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I I I T ■ ' " ' s 1 I I I ■ v m0-* ■mHmmm MB CENTRE DE DOCUMENTATION ET DE ( Vq \ RECHERCHES SUR L'ASIE DU SUD-EST J ET LE MONDE INDONESIEN BIBLIOTHEQUE EXPOSITION COLONIALE INTERNATIONALE PARIS 1931 INDOCHINE FRANÇAISE LE LAOS par Roland MEYER HANOI IMPRIMERIE DEXTRÊME-ORIENT 1930 Chapitre premier APERÇU GEOGRAPHIQUE ET CLIMATERIQUE Géographie. — Confiné au centre de la péninsule indochinoise, derrière ie rempart littoral de la Chaîne Annamitique, le Laos constitue l'hinterland commun auquel s'adossent nos colonies côtières et occupe en Indochine la même place géographique que les Hauts-Plateaux de 1 Atlas en Afrique du nord et que le Soudan nigérien en Afrique occidentale. De tous les points de la côte, les voies de pénétration y convergent et les bases terrestres s'y appuient. Le Laos est la Marche frontière et l'élément de soudure territoriale de l'Union indochinoise. Coincé dans l'éventail de chaînes et de vallées divergentes qui s'épanouis¬ sent de l'Himalaya et du Tibet sur toute la largeur de la péninsule, comme l'ossature d'une main ouverte, le Laos, ou pays des Thaïs-Laos, est borné à l'ouest par la chaîne birmane, à l'est par la cordillère d'Annam et couvre l'intervalle des deux bassins fluviaux du Mékong et du Ménam. L aire d'habitat des 12 millions de Thaïs déborde même sur le Haut-Tonkin, le Yunnan et le Kouangsi ; mais la présente étude étant strictement limitée à l'unité administrative du Laos français, bornons-nous à décrire cette parcelle territoriale qui ne comporte que la rive gauche du bassin supérieur du Mékong, en amont des -chûtes de Khône, avec deux enclaves sur la rive droite du fleuve, à Luang-prabang et à Bassac. Etendu sur 1.000 kilomètres du nord au sud et sur 200 à 400 kilomètres d'est en ouest, suivant que le Mékong se rapproche ou s'éloigne de la Chaîne Annamitique, le Laos français présente une superficie de 230.000 kilomètres carrés, égale au tiers de celle de l'Indochine et à 40 % de celle de la France. Il est limité au nord par la Chine et le Tonkm, à l'est par l'Annam, au sud par le Cambodge, à l'ouest par le Siam et la haute Birmanie, et privé de tout contact avec la mer. — 8 - Géologie. — La structure géologique du Laos offre deux zones bien distinctes : 1 0 Le Haut-Laos, d'une altitude souvent supérieure à 1.000 mètres, prolongé au sud-est par la chaîne d'Annam, est constitué par les plissements secondaires et tertiaires himalayens, bouleversés et arasés, puis soulevés à nouveau par un bombement général du continent et actuellement soumis au rajeunissement de l'érosion qui transforme continuellement leur modelé et creuse dans la masse des roches cristallines et des grès rouges de profondes vallées où roulent des cours d'eau torrentiels. Toute cette région extrêmement tourmentée offre suivant les saisons et les altitudes des variations considéra¬ bles de climats, de végétations et de conditions d'habitat, depuis l'étuve tropicale des basses vallées encaissées jusqu'aux froides cîmes des montagnes balayées par les vents. 2q Le Bas-Laos, bloc tabulaire plus ancien, qui a résisté aux poussées himalayennes, est adossé vers l'est aux massifs de granit et de schiste de la Chaîne Annamitique ; il se compose de larges plateaux, hauts de 200 à 1.200 mètres, formés de grès secondaires horizontaux, fortement érodés et parfois recouverts de basaltes récents, comme sur le plateau des Bolovens, ou bien percés de pitons calcaires et d'arêtes cristallines qui trahissent le socle primaire servant d'assise au continent. Au pied de ces plateaux, la pénéplaine laotienne, haute de 200 mètres en moyenne, est constituée surtout de terrains rouges, de grès et de sable, avec des apports alluvionnaires dans les vallées; c'est le domaine de la forêt clairière ou de la savane boisée qui couvre une grande partie du bas-Laos et du Cambodge. Orographie. — Le relief orographique actuel du Laos obéit à deux incli¬ naisons principales : 1 0 Dans le sens longitudinal nord-siïd, à la pente allongée de la Chaîne Annamitique et de la vallée parallèle du Mékong, dévalant de l'Asie Centrale vers la mer de Chine; 2° Dans le sens trans¬ versal est-ouest, à la chûte du versant intérieur de la Cordillère d'Annam vers la vallée du Mékong. L'origine de ce modelé simple et puissant, issu des plissements du Tibet et du Yunnan, est constituée aux frontières septentrionales du Laos, par l'épanouissement sur 400 kilomètres de largeur des chaînons et des plateaux annexes de la Chaîne Annamitique, hauts de 1.000 à 3.000 mètres, dis¬ persant les vallées du Haut-Mékong et des rivières Nam-tha, Nam-beng. Nam-ou, Nam-suong, Nam-khane, Nam-hueng, Nam-hck, Nam-ngum, — 9 - Nam-nhiep, Nam-sane, Sông Ca, Sông Ma et Rivière Noire, irradiées du sud-ouest au sud-est autour des massifs et plateaux du haut Laos : Chaîne Annamitique, massifs des Sip Sông Phannas, Muong-Sai, Phou-leui, Phou- lao-phi, Phou-sane, Phou-bia, plateaux de Muong-sone, Sam-neua et Tran- ninh, véritables bastions de l'Indochine du nord. Une de ces chaînes se prolonge même sur la rive droite du Mékong, et constitue la ligne de partage des eaux entre ce fleuve et le Ménam, en même temps que la limite politique entre le royaume de Luang-prabang et le Siam ; c'est la chaîne frontière de Paklay dont les sommets : Phou-khé et Khao- miêng dépassent 2.000 mètres d'altitude et représentent les bornes occiden¬ tales du Laos français. A partir du 18e degré de latitude, tous les massifs du Haut-Laos tombent en pentes raides et boisées sur la pénéplaine gréseuse du Laos central où s'épanche sur 500 kilomètres, de Vientiane à Savannakhet, le grand bief navigable du moyen Mékong. Seule, la chaîne dorsale péninsulaire continue sa course vers le sud en s'abaissant et se rétrécissant, surtout après le col de Napé et le plateau de Nakai, au point d'offrir au passage de voies de communications faciles, les cols déprimés de Mugia et de Lao-bao, hauts de 400 mètres environ. A cette latitude de 1 7 degrés, le rétrécissement de l'isthme montagneux est tel que 200 kilomètres à peine séparent en ligne droite le Mékong du Golfe du Tonkin. Mais presqu'aussitôt, la Cordillère s'élève et s'élargit à nouveau pour aller former aux confins du Laos, du sud-Annam, du Cambodge et de la Cochin- chine, le formidable nœud orographique de l'Indochine méridionale, cons¬ titué par les massifs du Langbian et de l'hinterland moï, avec des altitudes dépassant 2.000 mètres. Sur le versant laotien, la Chaîne s'épanouit alors en ramification et en plateaux (Tahoï, Boloven, Nhaheun) qui refoulent le Mékong vers l'ouest et encombrent son lit de rapides et de chûtes, notamment aux défilés de Khemmarat et au seuil de Khône, frontière du Cambodge. Cependant, dans ces deux secteurs inférieurs, la Cordillère d'Annam envoie encore au Mékong d'importants tributaires qui traversent d'est en ouest les plateaux et les forêts clairières de ce large versant : Nam Kadine, Nam Hinboun, Sébangfaï, Sébang-hieng, Sédone et Sékhong, belles ri¬ vières plus ou moins navigables pour des pirogues, en saison des pluies, mais au débit irrégulier et au lit barré de nombreux obstacles naturels. Dans leur ensemble, les plaines du bas et du moyen Laos, allongées de Khône à Vientiane, entre Mékong et montagnes, se maintiennent à une alti¬ tude de 200 mètres seulement au-dessus du niveau de la mer. — 10 — Hydrographie. — A défaut de littoral maritime, la ligne des points les plus bas du sol laotien suit le thalweg du Mékong, collecteur central drai¬ nant toutes les eaux du Laos vers les chûtes de Khône et vers la mer. A l'exception de la province de Sam-neua qui déborde sur le versant de l'An- nam-Tonkin, on peut affirmer que tout le territoire laotien s'abaisse vers le Mékong et lui apporte ses eaux par les vallées des rivières énumérées au paragraphe précédent. Sorte de bassin fermé au centre de l'Indochine, le Laos évacue ses eaux fluviales par la brèche des Khemmarat et par les vannes imposantes des cataractes de Khône, précipitant en saison des crues vingt mille mètres cubes d eau à la seconde dans les forêts noyées du Cam¬ bodge. Le Mékong « Mère des Eaux » est donc bien l'artère vitale du Laos. Issu des neiges du Tibet, à 4.000 mètres d'altitude et à 4.000 kilomètres de son embouchure, le Mékong n'est tout d'abord, pendant 1 .500 kilomè¬ tres, qu'un torrent sauvage roulant dans une vallée étroite de la Chaîne mé¬ ridionale, parallèle aux sillons où coulent le Yangtsé et le Salouen. Aux fiontières de la Birmanie, du Yunnan et du Laos, il commence à présenter, d'un rapide à l'autre, des fosses d'eau dormante et des biefs navigables pour de petites embarcations, comme les gradins liquides d'un escalier de géants. Après les couloirs dangereux de Tang-ho, le Grand Fleuve Indochinois ionge ou traverse le Laos sur 1.600 kilomètres et constitue sur 900 kilomè- Ires la frontière franco-siamoise. Navigable tout d'abord pour les pirogues et les radeaux, de Tang-ho à Vientiane, par Xieng-sen, Houeisai, Luang-prabang et Paklay, le Haut- Mékong encore coupé de rapides impressionnants, a pu être remonté dès 1898, à la saison des crues, de juin à octobre, par nos canonnières de la marine, jusqu'aux frontières de Birmanie et de Chine. L expérience plusieurs fois renouvelée a prouvé que de puissantes chaloupes à vapeur, filant 12 noeuds, du modèle en service sur le moyen Mékong, entre Vientiane et Khône, pourraient remonter régulièrement le haut fleuve pendant une bonne partie de l'année, moyennant d'importants travaux de dérochement et de balisage. En attendant ces progrès, le service des transports est assuré de Vientiane à Houeisai, en huit jours par des pirogues à mo'eur qui rendent de précieux services. En approchant de Vientiane, capitale du Laos, le Mékong s'apaise, étale son lit sur plus d'un kilomètre de largeur et serpente à travers les plaines bien cultivées du Laos central. Sur 500 kilomètres, de Vientiane à Savannakhet, passant par Nong-Khai, Paksane et Thakhek, le fleuve est parcouru en — [I — toutes saisons par des' chaloupes à vapeur à deux hélices, filants 1 0 nœuds, calant 1 mètre et portant 30 à 40 tonnes de charge utile. Après Savannakhet, le Mékong achève sa traversée de la pénéplaine par¬ tiellement couverte par ses alluvions, • et se heurte au bord méridional du plateau central laotien. C'est pari le canon étroit et tourmenté des Khemmarat, long de 1 50 kilo¬ mètres, que le fleuve descend, en une série de rapides grandioses, dans le bief du Bas-Laos, après avoir reçu sur sa rive droite le puissant déversoir de la Sémoun, principal collecteur des eaux du Laos siamois. D'énormes travaux accomplis depuis trente ans ont cependant ouvert ce secteur du fleuve à la navigation à vapeur, sauf quelques transbordements nécessaires à la saison des basses eaux. Dès lors, sur près de 200 kilomètres, se déroule le beau bief de Paksé, Bassac, Khong, entre des rives fertiles et peuplées, jusqu'au barrage-frontière de Khône qui retient et surélève le plan d'eau supérieur et y favorise la navigation à vapeur permanente. En aval des chûtes de Khône, il reste encore au Mékong à parcourir 700 kilomètres à travers Cambodge et Cochinchine, sans omettre de remplir en passant le Grand-Lac Tonlé-Sap, avant d'aller se jeter par un large delta dans l'océan Pacifique. Tel est le Mè-Nam-Khong des Thaïs, le Grand-Fleuve des Khmèrs, un des plus fiers cours d'eau de l'Asie,, remonté aujourd'hui par des bateaux à vapeur ou à moteur jusqu'à 2.500 kilomètres de ses embouchures. L'occupation et la renaissance du Laos français, étroitement liées à la conquête pacifique et à l'aménagement du Mékong, offrent au monde une des plus belles réalisations de notre politique coloniale. Climat. — Après avoir décrit « la terre et l'eau » du Laos, il nous reste à parler de son « ciel » c'est-à-dire de son climat, le meilleur d'Indo¬ chine. Tout entier compris entre les 14e et 22' degrés de latitude nord, le Laos possède un climat subtropical corrigé par l'altitude et la configuration du sol ainsi que par le régime des moussons. Ni littoral fiévreux, ni lagunes saumatres, ni deltas marécageux ; seules ies forêts recèlent des miasmes qu'on peut braver moyennant quelques pré¬ cautions. Largement ouvert à la mousson de suroît qui arrose et tempère la canicule, ce pays est défendu au nord-est par la muraille de la Chaîne Annamitique qui arrête les typhons, rafraîchit la mousson nordique et ménage au bassin du Mékong le privilège d'un hiver méditerranéen. Comme au Siam et au Cambodge, c'est en avril que commence l'année laotienne, à la veille des premiers orages du printemps tropical. C'est le mois le plus chaud de l'année. La température atteint souvent 35° à l'ombre et dans les habitations. Mai voit surgir des vapeurs de l'Océan Indien la grande marée de nuages de la mousson pluvieuse qui déferle sur l'Indochine, submerge les côtes ma¬ laises, birmanes, siamoises et cambodgiennes, franchit sans peine le rebord peu élevé du plateau laotien et envahit la vallée du Mékong avant d'aller se heurter à l'arrière plan de la Cordillère d'Annam. Alors, pendant cinq mois, jusqu'en octobre, c'est presque quotidienne¬ ment que s'annonce par un lourd tonnerre l'arrivée de l'ondée bienfaisante sur les rives fertiles du Mékong. Le coup de vent précède les nuées fantastiques accumulées dans le ciel à l'horizon du sud et soulève le sable blond des plages fluviales à l'assaut des berges. Bientôt, le déluge accourt, fouette le fleuve jauni par les apports limoneux des rives, trempe et fixe les sables, afat la poussière d'ocre accu¬ mulée par sept lunes de sécheresses, ravive les verdures altérées, crépite sur les pignons de chaume et les tuiles de bambou, ramine hommes, bêtes et choses dans un grand frisson de bien-être et de renouveau. Puis le rideau plombé du ciel pâlit et se déchire, l'averse cesse brusque¬ ment, l'arc-en-ciel éclatant annonce le retour de la fête solaire sur la nature attendrie, tandis que l'orage s'en va répandre ses bienfaits plus loin. La nuit monte de l'est avec l'haleine bleue des jungles désertes et tend au- dessus du Laos refraichi son firmament lavé, criblé d'étoiles. La température va se maintenir désormais entre 25° et 30°. Tant d' eau précipitée sur l'Indochine centrale gonfle torrents et rivières, envahit le Mékong déjà grossi par la fonte des neiges du Tibet; le fleuve couvre ses plages, enveloppe ses îles, monte de 10 à 30 mètres entre ses falaises de roc ou d'argile, déborde parfois dans les campagnes riveraines qu'il féconde ou qu'il dévaste, suivant l'ampleur de sa crue. C'èst la saison des rizières dont dépend pour tout un peuple le riz quotidien. En octobre s'accomplit le renversement des moussons; le vent du nord asséché et refroidi sur les cîmes du Haut Laos, refoule la mousson du sud vers l'hémisphère austral, balaie les nuages, épure le ciel, fait régner pen¬ dant cinq mois sur le Laos en fêtes une saison idéale, jusqu'au retour des chaleurs, aux approches du jour de l'an. — 13 — D'octobre à février, la température se stabilise entre 10° et 25°. La fin des pluies entraîne la baisse de toutes les eaux courantes ou sta¬ gnantes ; les rizières s'assèchent, le Mékong découvre berges, îles et plages fertilisées par d'épaisses alluvions ; c'est la saison des cultures riches, de l'élevage, de la chasse et de la pêche; mais c'est surtout le temps des fêtes nocturnes, des voyages et des divertissements. Tel est, d'une année à l'autre, le cycle harmonieux des saisons qui s'im¬ pose de tous temps aux populations de ce versant de l'Asie : Laos, Cam¬ bodge, Siam, Birmanie, Inde, avec quelques variantes de température, et dont la féconde régularité a fait éclore parmi ces peuples doux et heureux les dogmes du brahmanisme et du bouddhisme et favorisé l'épanouissement de la prodigieuse civilisation hindoue. Nong-Het. — Type de Mèo. Chapitre II NOTICE HISTORIQUE ET ETHNOGRAPHIQUE Histoire. — Dès l'époque préhistorique où l'Indochine n'avait pas encore acquis sa configuration définitive, alors que ses fleuves n'avaient pas colmaté leurs vallées et leurs deltas et que la mer s'enfonçait en golfes profonds dans les échancrures du Tonkin, du Cambodge, du Siam et de la Birmanie, déjà sans doute l'homme était apparu sur cette terre en formation et avait commencé sa lutte pour sa subsistance et pour le progrès. Qu'étaient ces hommes ? Qu'où venaient-ils ? — Qu'importe, puisque le mystère ne sera jamais complètement éclairci et qu'en cette matière, notre science se borne à faire circuler les races autour de la terre sans jamais Leur découvrir une source originelle. Il nous faut survoler des millénaires pour aborder la période historique, vieille seulement de quelques dizaines de siècles et constater ce qu'est de¬ venue l'humanité sur cette péninsule maintenant colmatée et asséchée. Sur les pentes des montagnes et dans les plaines les mieux émergées à l'abri des inondations, de maigres tribus d'hommes farouches défrichent et exploitent la forêt, s'adonnent à la chasse et à la pèche, s'entourent de rares cultures et de quelques animaux domestiques, se livrent entre eux à la guerre ei au pillage et peuplent leurs superstitions primitives de toutes les puissances naturelles qui les dominent. Déshérités par leur naissance et par le milieu qui les entourait, ces hommes que nous appellerions des sauvages se trouvèrent devancés par d'autres hom¬ mes mieux nés et mieux servis par la nature, dans l'évolution des races environ¬ nantes, si bien qu'un jour, des frères supérieurs et ennemis, débordant de leur domaine, vinrent disputer aux aborigènes les meilleurs arpents du sol indo- chinois. Ce fut la guerre séculaire, implacable entre les envahisseurs mieux instruits, mieux armés, qui ne tardèrent pas à occuper les plaines et les auto¬ chtones vaincus, refoulés dans les montagnes, traqués comme des bêtes, raflés et emmenés en esclavage pour être vendus sur les marchés de chair hu¬ maine qui existaient encore il y a 50 ans. — i8 —. Les derniers survivants de ces peuplades arriérées qui furent jadis maîtresses de l'Indochine, subsistent à nos yeux, confinés sur les grands massifs monta¬ gneux du nord et du sud de la péninsule, où plusieurs de leurs groupements résistent obstinément à tous efforts d'assimilation. Poars, Chongs, Kouïs, Stiengs et Pnongs du Cambodge, Mois, Radés, Djaraïs, Banhars et Sédangs de l'Annam, Khas du Laos, tous ces types variés, croisés, abâtardis, en lutte les uns avec les autres, mais unis contre l'envahisseur, qu'il soit jaune ou blanc, représentent certainement, au nom¬ bre d'un million d'individus, les vestiges de tous les vaincus de ces luttes, déchets des vagues successives de conquérants mêlés à l'antique faune hu¬ maine et refoulés avec elle par les populations actuelles de l'Indochine. Encore convient-il de distinguer parmi ces autochtones deux types humains bien distincts : l'un, le plus ancien, petit, teint foncé, poil crépu, nez épaté, allure simiesque, accuse des affinités physiques et linguistiques reconnues avec la grande famille Négrito éparpillée des îles Nicobar aux Philippines, en passant par les montagnes de Sumatra. L'autre plus élancé, teint clair, poil lisse, nez droit ou aquilin, allure guerrière, s'apparente au type malais, voire même aux Indiens d'Amérique. Les dernières hypothèses scientifiques attribuent à cette race indonésienne une origine continentale ; elle aurait couvert la péninsule indochinoise, fondé le royaume de Champa puis passé par mer dans les archipels de Malaisie où elle subit l'influence civilisatrice de l'Inde. Sans doute, au cours de leur régression séculaire, les Khas, descendants de Négritos et d'Indonésiens, laissèrent-ils aux mains des conquérants Thaïs, Khmèrs et Annamites de nombreux prisonniers, transfuges, esclaves et tribus entières qui s'assimilèrent à leurs nouveaux maîtres et leur infusèrent leur propre sang. C'est la Chine et l'Inde, directement ou par l'intermédiaire de l'Indonésie (Java et Sumatra) qui dirigèrent vers le péninsule les premiers courants colo¬ nisateurs. L'Inde semble avoir étendu très tôt son influence civilisatrice sur les côtes de Birmanie, du Pégou (Ténassénm), de Malacca et sur les îles de l'archi¬ pel malais. Java devint la plus belles colonie insulaire de l'Inde, ainsi qu'en témoignent les vestiges d'art hindou qui subsistent dans cette île et notamment les ruines de Boroboudour. A travers l'isthme de Malacca, l'influence indienne passa aisément du Pégou dans les plaines du Ménam et du Mékong avec des courants d immi¬ gration fréquemment renouvelés, et y fit éclore des principautés indépen¬ dantes. — ig — La légende prétend qu'un prince indien nommé Prah ThoNG vint s'établir au Cambodge, à une époque très recoulée, y épousa une princesse indigène et fut l'aïeul du peuple khmèr. De son côté, l'Indonésie demeura pendant plusieurs siècles, grâce à ses flottilles de navigateurs audacieux, en relations avec les côtes indochinoises et principalement avec le royaume du Champa qui s'étendait des bouches du Mékong jusqu'à la Porte d'Annam. D'autre part, sur le versant ouest de la péninsule, entre le golfe du Ben¬ gale, le Siam et le Laos actuels, s'était formé un rayaume Mon de religion bouddhiste qui paraît avoir servi lui aussi de relai entre l'Inde et l'Indochine. Le foisonnement des principautés de civilisation indienne sur tout le sud de la péninsule aboutit à l'unification de quelques-unes d'entre elles sous le nom de Royaume de Founan qui fut en relations directes et suivies avec l'Inde (Intipata). C est le terrain préparé par ces colonies indianisantes qui a servi de base à l'édification de l'empire khmèr. Il est admis que des Brahmanes de l'Inde méridionale entreprirent de véritables croisades pacifiques et religieuses en Indochine et s'y fixèrent au iv" siècle ; la légende attribue à un de leurs chefs, nommé Kaundinya la fondation de la dynastie khmèr des Varman. Mais c'est surtout du vi0 au xiii0 siècle de notre ère que l'empire khmèr atteignit l'apogée de sa puis¬ sance, avec les grands Rois bâtisseurs de palais et de temples : Jayavarman, Yaçovarman, Suriyavarman, qui couvrirent le territoire de ces monuments merveilleux dont leur capitale, Angkor, recèle les ruines les plus célèbres. Leur empire s'étendit sur toute la largeur de l'Indochine, du Pégou au Champa, non sans luttes, révoltes, répression continuelles. Vers le nord, les Rois khmèrs accrurent leurs domaines en profondeur, au delà des an¬ ciennes limites du Founan et occupèrent les vastes territoires encore faiblement peuplés des bassins du Haut-Mékong et du Ménam, en achevant de sou¬ mettre ou de refouler les peuplades Khas aborigènes. Mais dès le x6 siècle de notre ère, les Khmèrs étaient entrés en contact avec des races nouvelles, descendues des hautes terres de l'Asie centrale et oui allaient jouer à leur tour les premiers rôles sur la scène de l'Indochine. Nous avons exposé jusqu'ici le rayonnement de la civilisation indienne chez les populations au teint brun qui avaient recouvert en Indochine les couches négritiques primitives; il nous faut maintenant parler de l'arrivée des nouveaux colonisateurs au teint clair, descendus de la Chine méridionale, avec une civilisation encore rudimentaire. Le choc de ces deux éléments au cœur de la péninsule, va remplir l'histoire de ces dix derniers siècles, jusqu'à la période contemporaine. — 20 — Des plateaux du Tibet, du Yunnan, du Kouei-tchéou et du Kouang-si, trois peuples d'origines et d'habitats voisins descendirent et se dispersèrent par l'éventail des vallées ouvertes sur l'Indochine: à l'est, les Annamites occupèrent le delta du Fleuve-Rouge, secouèrent au Xe siècle le joug de la Chine, progressèrent le long de la côte d'Annam, anéantirent finalement en 1471 le royaume de Champa, s'emparèrent en 1700 de la Cochinchme et allaient se partager le Cambodge avec les Siamois, quand ce malheureux pays se réfugia en 1863 sous la tutelle de la France. A l'ouest, les Birmans s'installèrent dans les riches vallées du Salouen et de l'Irawaddy jusqu'au Pégou et se livrèrent à d'interminables luttes intestines, coupées de violentes incursions dans les bassins du Ménam et du Mékong. Au centre enfin, les Thaïs, proches parents sans doute des peuples pré¬ cités, s'infiltrèrent dans les vallées du Mékong et du Ménam et débordèrent sur le Haut-Tonkin jusqu'aux frontières du Kouang-si. Les Thaïs du Mé¬ nam devaient fonder plus tard le royaume du Siam ; ceux du Mékong devaient constituer les principautés laotiennes; ceux du Haut-Tonkin isolés sans force ni cohésion, devaient être réduits au rôle de minorités ethniques, coincées entre les Annamites et les Chinois. D'où venaient ces peuples que nous voyons quitter les hautes terres yun- nanaises pour submerger les plaines de l'Indochine ? A cette éternelle ques¬ tion, la légende thaï donne enfin une réponse catégorique : Les premiers hommes venus du ciel dans une énorme citrouille, ont atterri sur le plateau de Muong-thèng, entre le Mékong et la Rivière Noire, et de là ont peuplé la terre ». N'est-ce pas l'invasion des Martiens décrite par Wells ? Et combien cette légende semble donner de poids à l'hypothèse qui assigne à notre humanité une origine sidérale et peut-être, un avenir interplanétaire , Quoi qu'il en soit, une tradition moins antique, sinon plus sûre, attribue au Roi thaï Khoun Boulom le partage de son empire et des grandes vallées de l'Indochine entre ses sept fils, qui s'établirent, chacun pour son compte, mais liés entre eux par un pacte d'amitié fraternelle; depuis la Birmanie jusqu'au Tonkin. Peut-être les dévastations accumulées jusqu'au XIIIe siècle à travers l'Asie par les hordes des conquérants mongols eurent-elles une influence décisive sur la dispersion des Thaïs vers le sud ? Toujours est-il que le rameau cen- tial de l'immigration thaï, suivant la vallée du Nam-ou, atteignit le Mékong en un magnifique carrefour de rivières où elle fonda la capitale de Luang- prabang, sous le nom primitif de Muong-xiêng-dong-xiêng-thong. Le pays était occupé fortement par les Khas. De longues luttes s'en suivirent au cours desquelles les autochtones cédèrent la place aux nouveaux venus et se reti- — 21 — rent dans les montagnes, tout comme leurs frères de l'Indochine méridionale avaient abandonné les plaines aux immigrants môns et khmers. Mais dans le Haut-Laos, les plaines sont rares, les vallées étroites, c'est tout le pays que couvre la montagne. Les Khas n allèrent donc pas loin et demeurèrent en contact permanent avec les Thaïs, se mêlèrent à eux et s'assimilèrent partiellement. La tradition qui n'a conservé de cette époque reculée que les noms d'une trentaine de rois, affirme que plusieurs souverains de Luang-prabang furent d origine kha, ce qui confirme la force de résistance de ces populations pri¬ mitives et leur union partielle avec les Thaïs. Il est non moins certain que les Thaïs du Mékong et du Mé-nam, dans leur lente expansion vers le sud, entrèrent en relation avec l'empire khmer à son apogée et acceptèrent volontiers sa suzeraineté morale et son influence civilisatrice. Ici commence, avec les annales du royaume de Lane Çang (million d'éléphants), qui englobait Luang-prabang et Vientiane, la période histo¬ rique du Laos. Le Roi Fa Ngoum monte sur le trône du Lane Çang en 1353, avec 1 appui du Roi khmer, son beau-père. Presque à la même épo¬ que, les Thaïs du Mé-nam que nous appellerons désormais les Siamois tondent leur capitale Ayuthia, à cent lieues seulement à l'ouest d'Angkor et cherchèrent tout aussitôt à se débarrasser de la tutelle de leurs maîtres et éducateurs les Khmers. L'histoire des cinq derniers siècles de l'Indochine n'est qu'une lutte achar¬ née entre les peuples qui se disputent la suprématie. Parcourons-en rapide¬ ment les pages : notons-en les principales étapes : les Annamites détruisent le Champa en 1471, ravagent Luang-Prabang en 1479, entrent dans Vien¬ tiane en 1700, conquièrent la Cochmchine au XVIIIe siècle et la moitié du Cambodge au XIVe. Les Siamois se révoltent contre les Khmers dès 1371, prennent, repren¬ nent et détruisent Angkor au XVe siècle, abattent définitivement la puissance khmère au XVIe, occupent ce qui reste du Cambodge du XVIIe au XIXe. Entre temps, les Siamois envahissent le Laos, s'emparent de Vientiane en 1778 et détruisent la ville en 1830, étendant leur influence sur Luang- prabang et jusqu'aux confins de l'Annam-Tonkin. Les Birmans renonçant de temps à autre à leurs dissensions se jettent sur le Siam, détruisent Ayuthia en 1553 et en 1767; ils n'épargnent pas le Laos, prennent Vientiane en 1565 et Luang-prabang 1753. C'est au cours de ces guerres séculaires que devaient s'user et succomber les Etats les plus faibles : Champa, Laos et Cambodge, et s'affermir à leur — 22 — détriment les puissances bientôt rivales : Siam et Annam, seules debout au moment de l'intervention de la France en Indochine. Cependant, l'éphémère prospérité des principautés laotiennes écloses au cœur de la péninsule, du XVIe au XIXe siècle a laissé survivre jusqu'à nous quelques pages d'histoire dignes d'être évoquées. Deux siècles après l'avènement du Roi Fa Ngoum au trône de Luang- prabang, le royaume du Million d'Eléphants « Lane Çang », héritier dans le Moyen-Laos de la puissance déclinante d'Angkor, s'étendait au sud jusqu'aux frontières actuelles du Cambodge, à l'est jusqu'à la Chaîne an- namitique et aux territoires des Khas méridionaux irréductibles, à l'ouest jusqu'aux limites variables du jeune royaume siamois. Pour cette superficie de 400.000 kilomètres carrés, Luang-prabang devenait une capitale exiguë et trop excentrique, confinée dans les replis des montagnes du Haut-Laos. L'extension des groupements Thaïs-Laos sur les plateaux de l'est et dans les plaines du sud, loin du pouvoir central, risquait d'aboutir à un morcelle¬ ment de l'unité laotienne au préjudice de sa puissance. Déjà tendait à se constituer sur le plateau du Tran-ninh la principauté de Xieng-khouang, située à cheval sur la Chaîne annamitique et qui, par la suite, allait dépendre aussi souvent de l'Annam que du Lane Çang. Dans le Bas-Laos, la pro¬ vince de Bassac ne devait pas tarder non plus à chercher à s'affranchir du contrôle trop lointain des rois de Luang-prabang. Le Roi Setthathirat qui régna de 1548 à 1571 comprit le premier la nécessité de doter son royaume d'une métropole plus centrale et, bien que son empire englobât momentanément la principauté de Xieng-mai limitrophe de la Birmanie, il n'hésita pas à transporter à Vientiane le cœur politique de ses Etats. De tout temps, l'attention de ses prédécesseurs et même des feudataires de l'empire khmer avait été retenue par cette boucle du fleuve, dessinée au pied des montagnes et des rapides du Haut-Laos, à l'origine des plaines centrales où se déroule le grand bief navigable du moyen Mékong. Là, sur quarante kilomètres de sinuosités, s'étendaient en bordure du fleuve de gros villages exploitant en rizières les plaines de F arrière-pays. C'est à un point quelconque de cette longue agglomération que des centres urbains éphémères, dont quelques ruines subsistent de nos jours, avaient été édifiés, d'abord à Saï-phong, puis à Fhaï-nam. Or, c'e^t à l'extiémité amont de la boucle fluviale que le Roi SETTHATHIRAT fonda Vientiane, sa nouvelle capitale, la ville du Santal. Les soubassements de son Palais, les ruines de nombreuses pagodes, notamment de Wat-pra-kèo, temple du Bouddha d'Emeraude, l'enceinte des remparts et au delà, la grande pyramide du That-luong suffisent à nous donner une idée de la prospéaté de ce règn*» — 23 — et de I état de civilisation du Lane Çang à cette date. Malheureusement Vientiane fut prise en 1 575 par les armées du roi conquérant birman Bureng- nong qui lui imposa sa suzeraineté jusqu'en 1591. Néanmoins un demi-siècle plus tard, le Hollandais van wljsthof de passage à Vientiane, constata et relata la splendeur de cette ville et la puis¬ sance de la Royauté laotienne relevée de sa défaite momentanée. En r an 1700, le roi XâY-Ong-HuÉ ayant conquis son trône à Vien¬ tiane grâce à l'appui d'une armée annamite, eut le tort de partager son ioyaume avec son frère THAO-nong qu'il installa sur le trône de Luang- prabang. Ce fut le signal de la scission du Lane Çang et le point de départ de guerres fratricides où s'épuisèrent en moins d'un siècle les royaumes de Luang-prabang et de Vientiane. Profitant de cette situation, les Etats voisins qui guettent l'héritage du Lane Çang, se mêlent à ses querelles et prennent parti tantôt pour le Haut, tantôt pour le Bas-Laos. En 1753, les Birmans prennent Luang-prabang; mais en 1778, les Siamois prennent Vientiane et emportent à Bangkok le Bouddha d'Emeraude. En 1791, le Roi de Vientiane ong-nan prend et pille Luang-prabang. Alors, le Siam tout puissant met les rivaux d'accord et leur impose son alliance qui est une véritable suzeraineté. C'est désormais la Cour de Bangkok qui intronise les rois laotiens et enrôle leurs troupes dans ses armées. En 1805, TiaO-AnoU dernier roi de Vientiane monte sur le trône et s'efforce de restaurer sa capitale et son pays. I! inaugure en grande pompe en 1818 la pagode de Wat Sisaket, restaurée en 1929 par l'administration française. Mais TlAO-ANOU rêve de s'affran¬ chir de la tutelle siamoise ; il réunit une armée, marche sur Khorat et Bang¬ kok avec le concours de son fils TiAO-NGO, prince de Bassac, se fait battre par le général siamois phia-BoDINE qui s'empare de Vientiane en 1827. L'année suivante TlAO-ANOU surprend et massacre la garnison siamoise de Vientiane avec quelques troupes annamites que lui a accordées l'Em¬ pereur d'Annam. Cette fois, la répression siamoise est impitoyable : Vien¬ tiane est rasée, la population déportée, TlAO-ANOU est emmené en capti¬ vité et meurt à Bangkok en 1835. Son royaume est annexé par le Siam qui affermit, d'autre part, son empire sur Luang-prabang et étend ses empiéte¬ ments jusqu'aux frontières de l'Annam et du Tonkin, sous prétexte de faire la police de ces territoires et d'en chasser les bandes de pirates chinois qui l'infestent. En 1876, monte sur le trône de Luang-prabang le Roi TiAO-OuN-KHAM qui demandera onze ans plus tard à notre consul Auguste PAVIE le Protec¬ torat de la France sur le Laos. — 24 — Ethnographie. -— Renvoyons au chapitre suivant l'histoire de l'établisse¬ ment du Protectrat français au Laos et disons quelques mots des popula¬ tions qui habitent actuellement ce pays. S'il est exact que le Laos a été presque totalement recouvert par le flot des immigrants de langues thaï, répandus de l'Assam au Kouang-si, il a été effleuré au nord, par le rameau méridional des peuples de langue thi- bétaine qu'on trouve chez les Khas-ko du Haut-Laos (d'après huber B. E. F. E. O., 1905 — Dauffès B. E. F. E. 0., 1906 et Dr P. Cordier). En ce qui concerne les Thaïs Laos, numériquement les vrais maîtres du Laos, il est malheureusement certain qu'à la suite des dévastations et des déportations en masses pratiquées par les vainqueurs sur la rive gauche du Mékong, la grande majorité des habitants de cette race a été fixée sur la rive droite du grand fleuve et définitivement annexée au Siam. Il ne reste, sur les 230.000 kilomètres carrés du Laos français, qu'à peine 800.000 habitants comprenant, par ordre d'importance numérique : 1 0 600.000 Laotiens et Thaïs assimilés aux Laotiens répartis dans les vallées du Mékong et de ses affluents et sur les plateaux du nord ; 2° 200.000 montagnards de races khas, en partie indépendants, grou¬ pés sur les montagnes les moins accessibles et principalement dans le Bas- Laos, aux frontières de l'Annam ; 3° Quelques minorités ethniques éparpillées dans le Haut-Laos et prove¬ nant de la Chine (Mèo, Hos, Yaos); 4° Quelques milliers de nouveaux immigrés, (commerçants, industriels, employés), Annamites, Chinois, Siamois rassemblés dans les villes de créa¬ tion moderne où résident aussi les Européens. Examinons de plus près ces divers élémen's juxtaposés en commençant par les Européens : A) Derniers venus dans la gamme des races qui peuplent le Laos, les Fran¬ çais, au nombre de 300 environ, constituent la classe dirigeante et assurent l'Administration et l'exploitation du pays. Fonctionnaires, agents des en¬ treprises minières, commerçants et colons, avec leurs familles, ils sont groupés surtout dans les villes qu'ils ont créées et d'où ils président à l'évolution du Laos. Leur activité et leur influence disproportionnées à leur faible effectif numérique démontrent es qu'une poignée d'animateurs européens Deux jeunes époux laotiens en costumes de mariés. Un mariage laotien : le sorcier attache le lien de coton aux poignets des jeunes époux — 25 — peut tirer d'une masse asiatique amorphe, sur un territoire vaste comme la moitié de la France. B) Autour des Européens, dans les centres développés par eux, se sont installées quelques centaines de petits commerçants chinois, siamois et métis sino-siamois venus de la rive droite du Mékong, de Khorat et de Bangkok, exportateurs des produits locaux et importateurs de marchandises européen¬ nes, américaines ou japonaises dont ils ravitaillent la population. C) Plus étroitement associés aux Français qu'ils ont suivis au Laos, les Annamites, venus surtout du Nord-Annam et du Tonkin, sont déjà au nombre de 20.000 et s'accroissent rapidement. Employés des services pu¬ blics ou des firmes commerciales, artisans et commerçants, entrepreneurs, t⬠cherons, ouvriers, coolies, domestiques, pêcheurs sur le Mékong et même cultivateurs, ils accaparent très vite les meilleurs terrains des villes et des faubourgs et sont appelés à jouer un rôle capital dans l'aménagement et l'exploitation du Laos. D) A l'apposé de ces récents immigrés, et confinés loin des villes et du Mékong, dans les montagnes de l'est, 200.000 aborigènes à demi-sauvages, appelés Mois en Annam et Khas au Laos, occupent les Hautes-Régions, défrichent et incendient les forêts, cultivent des raïs, ou rizières sèches et de maigres jardins, se livrent à la chasse, au pillage, aux luttes de tribus, principalement dans la zone insoumise du sud-est qui échappe encore par¬ tiellement à notre contrôle. Telles sont les peuplades Khas Tahoï, Khas Katangs, Khas Kantou, Khas Alaks, Khas Nghé. Premiers occupants du pays, refoulés depuis des siècles dans les montagnes par les Thaïs-Laotiens venus du nord, ces autochtones résistent encore à l'assimilation là où ils constituent, surtout aux confins de l'Annam et du Cambodge, un bloc ethnique assez considérable et homogène pour se suffire à lui-même et se défendre contre les envahisseurs. C'est l'Hinterland moi qui groupe un demi-million de ces Négritos et Indonésiens farouches, lente¬ ment et prudemment apprivoisés par notre administration. Mais à la périphérie de cette zone dissidente et dans les massifs monta¬ gneux isolés vers le centre et le nord du Laos, des îlots de races khas, noyés depuis longtemps dans le flot des immigrants thaïs et astreints à des rapports permanents avec les nouveaux maîtres du pays, qui les exploitaient comme esclaves ou comme main-d'œuvre, ont subi une assimilation partielle, adopté certaines coutumes laotiennes et constituent de nos jours un élément ethnique robuste et travailleur appréciable. — 26 — Tels sont les Khas Leungs, Khas Bolovens, Souei du Bas-Laos, et les Khas Khmous, Phous-Noïs, Khas Phaï et Phou-Thengs du Haut-Laos. Là où ils n ont pas adopté le costume laotien (Sampot ou Sarong, veste ou écharpe) les Khas portent des vêtements sommaires, de cotonnade sombre et grossière, pagne, culotte ou ceinture, courte veste, bijoux d'argent et de cuivre. Dans le sud, les hommes sont souvent presque nus. Dans le nord au contraire, le climat plus rigoureux et l'exemple des races civilisées les incitent à adopter des vêtements plus compliqués. Les villages khas assez misérables, se composent de cases de bois et de bambou dressées sur pilotis comme les maisons laotiennes, mais moins élégantes et souvent communes à plusieurs familles. On voit ainsi, en pays moï, des hameaux perchés sur les hauteurs, dans les défrichements des raïs et composés de quelques chau¬ mières surélevées, longues de 50 à 60 mètres, véritables casernements res¬ semblant à des ponts couverts et abritant toute la popultion du village. De caractère ombrageux et de mentalité primitive, les peuplades mon¬ tagnardes khas n'offrent pas un intérêt considérable pour l'avenir immédiat de ce pays. Leur déchéance physique, leur organisation sociale rudimen- taire ne dépassant pas le cadre patriarcal du village, la barbarie de leurs superstitions et de leurs moeurs, malgré certaines infiltrations religieuses et morales au contact des peuples voisins, s'opposeront longtemps à une assi¬ milation qui n'a été obtenue çà et là au Laos que sur des groupes isolés, fondus pendant des siècles dans l'apport des races plus évoluées. L'avenir et l'éducation problématique des tribus arriérées massées dans les montagnes du Bas-Laos et de l'Indochine méridionale, seraient à recher¬ cher plutôt dans leur fédération autonome, sous une autorité française directe et sans l'intermédiaire des peuples asiatiques environnants. E) D'autres races montagnardes, d'origine mongoloïde, refoulées de Chine à des dates assez récentes, ont pénétré dans le Haut-Laos et forment des groupements totalisant environ 50.000 individus dans les provinces de Houei-sai, Luang-Prabang, Xieng-Khouang, Samnua et au 5a Territoire militaire. Ce sont les Khas Khos, les Yaos, appelés Mans au Tonkin, ins¬ tallés sur place depuis 3 ou 4 siècles, et les Mèos ou Miaos venus depuis moins d'un siècle, grands destructeurs de forêts, cultivateurs de raïs et de champs de pavot à opium, race fruste et ombrageuse qui ne se mêle pas volontiers aux peuples voisins et nécessite une surveillance constante. Ces immigrés ont été suivis par des Yunnanais plus sociables, les Hos, agricul¬ teurs, commerçants, caravaniers dont les convois monopolisent à chaque saison sèche le commerce d'exportation et d'importation de ces régions dif¬ ficilement accessibles. — 27 — F) Sur les plateaux moins élevés et dans les hautes vallées qui descendent vers le Mékong, se sont fixés depuis le Haut-Tonkin jusqu'à la Birmanie, des rameaux montagnards de la grande famille thaï, les Thaïs du nord, subdivisés d'après leur habitat et leurs coutumes en : Thaï-Nua, Thaï-Noirs, Thaïs-Blancs, Thaïs-Rouges, Phou-Thaïs, Phouens, Lus, Chans, représen¬ tant au total près de 100.000 habitants. Plus robustes ei actifs que les Laotiens des plaines, ils sont néanmoins fortement apparentés à eux, parlent à peu près la même langue et leur sont assimilés au point de vue admi¬ nistratif. L'enchevêtrement de ces multiples races et clans avec leurs aspects variés et très pittoresques constitue un des attraits principaux des agglomé- r rations du Haut-Laos. G) Enfin, les plaines et les vallées du Mékong et de ses affluents sont le domaine des Thaïs-Laos, ou Laotiens properment dits, évalués à 500.000 individus dans les limites du Laos français. Un nombre beaucoup plus con¬ sidérable de Laotiens est aujourd'hui fixé sur la rive droite du Mékong, dans le triangle Nong-khaï, Ou-bone, Khorat, ainsi que dans le bassin supérieur du Mé-nam et progressivement assimilé par l'élément suzerain siamois. Si clairsemés soient-ils, c'est d'eux avant tout que dépend la renaissance de ce pays, si nous voulons que le Laos reste le Laos. Pour juger les Laotiens, aussi bien que les Cambodgiens actuels, il faut imaginer ce que furent les Thaïs et les Khmers de la grande époque, ceux qui nous ont légué ces chefs-d'oeuvres d'architecture et d'art qui font encore l'émerveillement du monde. Si bas qu'ils soient déchus, les créateurs de telles œuvres ne sauraient être condamnés à la légère ; ils représentent les débris d'une race retombée à l'état de l'enfance; ces débris méritent notre indulgence et notre pitié. Des siècles de calamités historiques ont privé ce peuple de sa force et de son unité nationales, de son gouvernement, de ses institutions, effacé en lui le souvenir exact de son passé glorieux, de sa religion, de sa langue même. Si la France est arrivée au Cambodge juste à temps pour étayer et res¬ taurer l'édifice en ruines, elle est venue au Laos cent ans trop tard. Il est permis de supposer qu'à l'origine, la race jeune et fruste des Thaïs, encore vierge de toute civilisation préconçue, s'assimila aisément les prin¬ cipes de la culture khmère dont elle s'imprégna pendant cinq cents ans, jusqu'à la décadence de l'empire suzerain. Alors, elle suivit d'autant plus vite cette déchéance que sa teinture superficielle n'était qu'une parure d'em¬ prunt. — 28 — Très différents de race et de largue des Khmers venus de l'Inde, les Thaïs, tout en conservant leur vocabulaire propre, se laissèrent inculquer par né¬ cessité l'écriture indienne, la langue sacrée pâlie réservée aux caste royale et religieuse, le Bouddhisme cinghalais mêlé à quelques pratiques brahmani¬ ques et aux inévitables superstitions locales, les institutions, lois, traditions, arts, mœurs, costumes et manières de vivres alors en honneur dans toute l'Indochine. Ils entrèrent par voie d'adoption et d'éducation dans la grande lamille indienne à laquelle les Khmers appartenaient de naissance. Encore aujourd'hui, c'est une coquetterie pour les Thaïs du Siam que d'enrichir et de rénover leur langue en faisant appel aux étymologies indo¬ européennes, tandis que le dialecte laotien lamentablement appauvri, menace de s'éteindre. a r exemple de sa langue, tout le bagage intellectuel, moral et matériel des Thaïs-Laos est réduit aux proportions d'esquisses à demi effacées. En attendant leur rééducation nécessaire, il faut les accepter tels qu'ils sont venus se blottir sous notre égide. Le charme étrange du Laos est devenu légendaire ; il ne tient pas seule¬ ment aux décors riants ou sauvages de ce pays. L'impression initiale est assurément confirmée, complétée par l'accueil de la population si bien adaptée à son milieu. Qui n'a pas rêvé dans sa jeunesse d'un royaume reculé, d'un peuple très lointain que n'auraient pas encore entamés les influences étrangères et qui auraient conservé la fraîcheur ingénue des humanités d'autrefois. Ce jardin des Hespérides qui n'est plus Tahiti, depuis que l'Ile heureuse est une escale des paquebots transpacifiques, c'est encore le Laos, ou du moins c'était le Laos il y a dix, vingt, trente ans, quand il s'est ouvert à nous. Là réside le mystère de l'attrait du Laos, séparé du reste du monde, non par les immensités océaniques, mais par sa ceinture de montagnes, de cataractes et de forêts. Sans contact aucun avec l'extérieur et avec la mer, le Laos était solide¬ ment défendu à l'est par la Chaîne annamitique, contre les influences de la culture annamite, fidèle à celle de la Chine dont elle est issue. A l'ouest ses frères de race siamois et birmans, à peine plus évolués, formaient tampon entre lui et les contrées étrangères. Enfin, au sud l'empire khmer, son seul exemple et maître, pétrissait le Laos à son image. C'est cette em¬ preinte, très émoussée, qu'il a conservée jusqu'ici. Par ses apparences extérieures, le type laotien actuel varie du nord au sud entre le modèle birman et le modèle cambodgien et se rapproche sensi¬ blement du Thaï siamois. — 29 — Au physique, le Laotien moyen est un gaillard sympathique et bien bâti, visiblement prédisposé à user le moins possible sa précieuse musculature. De taille plutôt élevée et bien proportionnée, de teint jaune ou bronzé, souvent tatoué du torse aux cuisses, il coupe ses cheveux à l'européenne et couvre son chef de la première coiffure venue. Son costume qu'il simplifie à l'extrême, peut comprter un langouti ou un pagne, une écharpe ou une vaste étriquée. Une fleur ou un cigare grossier sur l'oreille, accroupi sur la berge herbeuse ou sur le balcon de sa case, il voit sans regarder, il regarde sans voir couler le fleuve, le temps, les saisons, les années, attendant le destin sans intentions définies, « susu ». Au moral, quel brave compagnon ! doux, résigné, loyal surtout. Sa fran¬ chise un peu naïve ne se dément que par ignorance, par timidité, voire par politesse. Sa simplicité ingénue accepte avec le même sourire impuissant la vie ou la mort, les joies et les peines, le travail aussi, quand il le faut absolument. Et puis, il fait si bon agir ou ne pas agir à sa guise, manger, boire, fumer, dormir, s'amuser, aimer au gré de l'instinct qui passe et qui n'a jamais tort. Un peu d'éducation rationnelle ferait de ce Laotien le meilleur des hom¬ mes. Et la femme, la jeune fille, la Phousaw laotienne dont la renommée de grâce et de douceur a fait le tour du monde ? Choisissons la plus plaisante, la patricienne de Luang-prabang, s'ache- minant sans hâte vers la pagode, à l'ombre des flamboyants : silhouette élancée, démarche altière et prometteuse, chignon audacieux serti d'orchi¬ dées ou de chaînettes d'or, lourds bijoux ciselés à tous les membres, visage énygmatique du Bouddha souriant; des épaules de Diane, une poitrine de Pallas, des hanches de Vénus, mais des chevilles et des pieds d'hiéroglyphes tombant d'un pagne aux ramages égyptiens. Jadis, aux origines de la race, la Phousaw a dû faire sculpter sa tête aux Indes, son buste en Grèce, ses pieds au pays des Pharaons. De cœur ? Son charme, sa jeunesse, ses pensées n'ont qu'un but : plaire. Et pour l'atteindre, elle est prête à tout accepter, à tout sacrifier, à condi¬ tion d'y mettre les formes par respect des coutumes et pour conjurer les Phis, ces Génies embusqués à tous les détours des actions humaines. Dans tous les pays du monde, le rôle de la femme n'est-il pas celui-là ? Comme au Cambodge, la polygamie est un luxe réservé aux riches. Les gens du peuple se marient jeunes, sont plutôt fidèles en ménage, mais divor¬ cent trop facilement. Les Laotiens sont assez prolifiques et aiment leurs enfants, mais ils en perdent beaucoup par ignorance de l'hygiène et faute de soins. Le village (Bân) qui constitue le cellule de l'organisation patriar- — 3o — cale est une grande famille, administrée par un chef intitulé Père du village (Pho-bân). L'autorité du pho-bân et des chefs de famille, la crainte supers¬ titieuse des Phis, Esprits gardiens des traditions et des rites ont plus de poids dans la conservation des mœurs et de l'ordre social que la religion bouddhi¬ que, pratiquée pour la forme avec une aimable insouciance. Les morts sont inhumés, ou incinérés par les familles aisées ; la croyance à la métempsycose atténue la crainte de la mort et la tristesse des deuils. Les enfants jouissent dans la famille d'une grande liberté. Jeunes gens et jeunes filles tiennent beaucoup de place au Laos ; ils ont la priorité dans les fêtes et les cortèges, après les vieillards expérimentés, mais avant les lamilles qui appartiennent déjà au présent révolu. C'est qu'ils sont l'espoir et l'avenir de la race, ceux dont les chants licencieux égrenés au clair de lune feront germer l'amour et les générations futures. C'est cette jeunesse légère sans excès qui donne aux fêtes, aux Bouns laotien, mi-laïques, mi-religieux, déroulés de jour ou de nuit, à la lueur des torches ou de la pleine lune, leur caractère de fraîcheur idylle. La jeune fille laotienne honorée et choyée, est reine du village et de la maison; elle reçoit les visiteurs, offre des fleurs de bienvenue aux voyageurs de marque, se laisse courtiser par ses prétendants et répond avec audace à leurs madrigaux. Mais là se borne en général sa complaisance et elle s'effa¬ rouche au moindre geste. Si son destin la fait succomber, elle s'en console et les histoires scabreuses ont rarement une issue tragique. D'ailleurs, les mauvais garçons qui abusent de l'alcool, de l'opium ou des filles candides sont mal vus dans les villages et contraints bien souvent à réparer leurs dégâts. Les grandes fêtes traditionnelles jalonnent et illustrent les saisons de l'année. Aux premières pluies de mai se célèbre à Vientiane le Boun Bangfaï, lête de la fécondité, marquée par le lancement de fusées et par des mas¬ carades obcènes en l'honneur du linga. En juillet, commence dans les pagodes la retraite du carême bouddhique qui dure jusqu'en octobre, à la sortie de la saison des pluies. Alors ont heu sur le Mékong des courses de pirogues et l'envoi au fil de l'eau de flotteurs illuminés, dédiés aux Génies des eaux. La pleine lune de novembre voit évoluer autour des ruines du That- luong, embrasées par un feu d'artifice, les jeux et processions qui saluent le retour de l'hiver, saison des fêtes et du beau temps. Aux plus basses eaux de février, au milieu d'un appareil rituel de céré¬ monies et d'exorcismes, sont péchés dans les fosses profondes du Mékong les Pa-beuks, poissons sacrés, gros comme des buffles. — 31 — Enfin, les fêtes du Jour de l'An laotien dans les pagodes annoncent les fortes chaleurs et les premiers orages. Chaque village, chaque pagode observe avec ferveur le cycle de ces solennités qui sont les étapes les plus heureuses de l'existence du Laotien. Les cérémonies de famille : naissances, mariages et même décès, donnent lieu, comme partout en Asie, à des fêtes supplémentaires. Mais la vie n'est pas, même au Laos, tissée que de réjouissances ; la subsistance quotidienne, n'exigeât-elle qu'un peu de riz, de poisson, de viande et de légumes crus ou cuits, implique un certain travail. Hommes et femmes s'y résignent et s'adonnent suivant les régions et les saisons, à la culture, à l'élevage, à la chasse et à la pêche, au commerce et aux indus¬ tries domestiques. La grande corvée annuelle est celle des rizières, de mai à novembre, dans la boue, la pluie et le vent : labourage, hersage, semis, repiquage et enfin moisson, au seuil de l'hiver. Mais lorsque c'en est fait de tout ce barbotage et que les céréales fauchées sont amoncelées sur les tertres, quand sous le ciel serein, la plaine enfin asséchée est rendue aux bestiaux et aux charrettes libérées qui entrelacent leurs ornières et crèvent les talus, quand les gars et les filles, las de battre, de vanner, d'engranger la récolte nouvelle, doivent encore veiller dans la nuit froide, autour des feux, de crainte des malandrins, à quelles joyeuses parties de rires, de chants, de jeux et de poursuites ne se livrent-ils pas à travers champs ! Et comme on oublie alors le long effort des rizières, vautrés à deux dans les foms odorants ou lovés au creux des meules, le mufle altéré de nuques ambrées, les mains crispées sur des chairs palpitantes, comme des fauves râlant de plaisir... Hors de la lutte pour la vie, le sens artistique des Laotiens demeure assez aigu pour leur inspirer des travaux appréciables. Sans doute l'art des beaux monuments et des admirables bouddhas de bronze de l'époque classi¬ que qui peuplent mélancoliquement ruines et forêts s'est-il perdu ; néan¬ moins le Laos produit encore des tissus, broderies, soies et lamés aux teintes et dessins recherchés, des bijoux et objets d'orfèvrerie, des métaux et des bois ouvrés, des ustensiles et des vanneries, des constructions légères fine¬ ment sculptées, pagodes, maisons sur pilotis, charrettes et pirogues. La poésie, le chant, la musique et la danse sont toujours en honneur, avec les costumes, les accessoires pittoresques, sans omettre le Khène na¬ tional dans les orgues assourdies bercent si harmonieusement le sommeil des villages laotiens. Mais là où les riverains du Mékong excèlent, c'est dans la maîtrise de leur fleuve qu'ils remontent et descendent à la gaffe ou à la rame, en bravant rapides et tourbillons. Il faut les voir torses nus, jambes arquées, — 32 — carmponnés à leurs avirons ou à leurs godilles, les yeux fixés sur la débâcle écumante des rapides qui aspirent leurs frêles pirogues avec le torrent géant ! Au moment de se briser sur les récifs qui hérissent les chenaux du fleuve, un cri de barreur, une impulsion de toutes les rames, une embardée mira¬ culeuse épargnent à l'esquif l'écrasement fatal et laissent aux spectateurs le grand frisson ! Que dire de plus de ces enfants de la Nature, revenus à la Nature, sinon qu'à notre égard, ils sont neutres et sincères, exempts de toute xénophobie ? De même qu'ils ont accueilli naguère les enseignements féconds de l'em¬ pire khmer, ils sont prêts à obéir docilement à notre direction occidentale, et l'exemple du Siam nous montre ce qu'on peut tirer d'eux. Religions. — On trouve encore sur de nombreux points du Laos, et en particulier chez les tribus montagnardes plus ou moins soumises du sud-est, des superstitions primitives parfois tempérées par des réminiscences de pra¬ tiques brahmaniques introduites au temps de l'empire khmer et par une lente infiltration du Bouddhisme cinghalais, au contact des Thaïs. Le culte dominant chez les Khas ou Mois de la Chaîne annamitique est celui des Génies (Phï) dont ils peuplent l'univers et auxquels ils attribuent tous les événements heureux ou néfastes. En leur honneur ou pour conjurer leur colère, des fêtes rituelles, banquets, danses, tam-tams, libations d'alcool en jarres, sont célébrées périodiquement et des animaux sont offerts en sacrifice sur l'autel spécial aménagé sur la place publique. Ces fêtes donnent lieu à des orgies au cours desquelles les animaux sacrifiés sont égorgés par la foule avec une cruauté sauvage. D'autre part, à l'occasion des maladies, épidémies, disettes, décès, oracles tirés des éléments et de la nature, des cérémonies d'exorcisme sont commandées par les sorciers et des interdictions rituelles (Khalam) frappent momentanément une maison ou un village qui devient inabordable sous peme de sacrilège entraînant de nouvelles offrandes expiratoires aux génies. On rencontre aussi, de même que chez les Laotiens, des jeteurs de sort (Phi-pop) désignés au hasard par la vindicte populaire et le plus souvent innocents des maléfices qu'on leur impute. Parmi ces tribus arriérées, les sorciers jouissent d'une grande influence et peuvent déclancher des mou¬ vements politiques comme ceux qui troublèrent les clans Bolovens en 1902 et les peuplades mèos en 1920. En général, les morts sont enterrés en pleine brousse. Les tombes des chefs sont entourées de palissades, garnies d'un autel pour l'âme du défunt et de perches Totem sculptées et peintes, comme chez les Peaux-Rouges d'Amérique. Vientiane. — Thats de la Pagode In-Peng. Vientiane. — Le That Luong. Vientiane. — Le Prakéo — Pagode détruite en 1827 par les Siamois. — 33 — Heureusement, le fétichisme est en régression devant le Bouddhisme d^ Ceylan pratiqué largement au Laos, au Cambodge, au Siam et en Birmanie. La doctrine du Bouddha, faite de morale et de renoncement, s'infiltre sans violence parmi les primitifs de la haute région en contact permanent avec les Laotiens. Ceux-ci ne sont d'ailleurs que de tièdes pratiquants de ce culte pacifiste et s'abstiennent de tout prosélytisme. Le Bouddhisme ne s'impose ni par la force ni par la persuasion ; il ne condamne pas les autres croyances ; il les ignore et les élimine plus sûrement par son silence et son mépris. Sa modération fait sa force d'expansion spontanée, l'élasticité de sa disci¬ pline, surtout au Laos, lui conserve le cœur de ces populations apathiques. Sans froisser aucune susceptibilité ni imposer de lourdes servitudes, le dogme de Cakyamouni réserve à ses adeptes les joies égoïstes de la foi en une vie future adéquate aux mérites acquis par eux en ce monde et la rési¬ gnation aux déboires présents acceptés comme le châtiment des fautes com¬ mises en une existence antérieure. S'abstenir autant que possible du péché, se conformer aux sages préceptes du Bouddha, honorer ses idoles, ses tem¬ ples, ses moines, suffit pour s'assurer un avenir meilleur. L'entrée dans les ordres comme bonze (Phikhousangk), la pratique du bien et de la charité active impliquent un zèle réservé aux ambitieux qui rêvent d'avancements de faveur dans l'échelle des métempsycoses et s'efforcent de mériter en cette vie une existence future riche en félicités. Et puis, le culte et les pagodes ne sont-ils pas pour les Laotiens prime-' sautiers prétexe et cadre appropriés à leurs fêtes traditionnelles, à leurs ré¬ jouissances préférées, sous le regard complice de leurs bonzes et sous le sourire lointain de leurs Bouddhas indulgents ? En somme, le Bouddhisme est une excellente doctrine pour un peuple en tutelle et un gage de paix et de stabilité politique pour le gouvernement protecteur. Les Bouddhistes enterrent ou incinèrent leurs morts. Au Laos, le culte des morts est moins développé qu'au Cambodge, de même que la religion est moins rigoureusement observée. La réforme récente du clergé bouddhi¬ que, des pagodes et du culte constitue l'une des principales mesures de relèvement moral accomplies par la France dans ce pays. Elle rendra aux moeurs déréglées du peuple laotien la discipline domestique et sociale qu'il puisa jadis dans sa religion nationale et qui fit sa grandeur, comme celle de l'empire khmer. Chapitre III ETABLISSEMENT DU PROTECTORAT FRANÇAIS La genèse des rapports internationaux et des relations ethniques ménage à l'historien de telles surprises, qu'il vaut mieux pour lui renoncer à prévoir ou à expliquer l'inévitable et que les peuples entraînés dans l'engrenage universel, plutôt que d'accuser le destin, feraient mieux d'accepter le passé, d'exploiter le présent et de préparer l'avenir. Les Romains soupçonnaient-ils, vingt siècles à l'avance, que la Gaule alors barbare serait l'éducatrice de la fabuleuse Chersonèse d'or ? Mille ans plus tard, le Vénitien Marco-Polo traversant au XIII0 siècle l'Indochine, pressentait-il que Luang-prabang qu'il visita, dit-on, serait colonisée par une nation latine ? Même au XVIIe siècle, alors que les Cours d'Ayuthia et de Versailles allaient échanger leurs premières ambassades, le Roi SETTHA- THIRAT, bâtisseur de Vientiane a-t-iî jamais rêvé que les ruines de sa capi¬ tale seraient un jour relevées par la France dont il ignorait jusqu'au nom ? Bornons-nous donc à constater, sans passion ni amertume, le fatal enchaî¬ nement des circonstances qui ont fait du Laos et de l'Indochine les fc>ays riches et heureux qu'ils sont aujourd'hui. En fait, jusqu'à la fin du XVe siècle, les boutres arabes et les jonques chinoises détinrent à peu près seuls le monopole du commerce maritime dans les mers du sud, séparées de l'Europe par les déserts du proche-Orient. Ce n'est qu'en 1497 que Vasco de Gama découvre l'accès de ces mers en doublant le Cap de Bonne Espérance. Ses compatriotes profitent les pre¬ miers de sa découverte et installent des comptoirs portugais sur les côtes des Indes Orientales. En 1511, ALBUQUERQUE s'empare de Malacca et envoie des émissaires à la Cour siamoise d'Ayuthia. En 1541, CAMOENS fait naufrage aux bouches du Mékong dont il célébra les rivages dans ses a Lusiades )). La course est ouverte entre nations européennes vers les mystères et les Irésors de l'Extrême-Orient, pour l'exploitation des îles aux Epices, l'acca¬ parement de débouchés commerciaux et la conversion des païens au Chris¬ tianisme. Espagnols, Hollandais, Anglais, Français se lancent dans le sillage des caravelles Portugaises et leur disputent âprement les marchés, de l'Inde à la Chine, négociant, intriguant auprès des chefs indigènes, pour s'assurer des privilèges et évincer leurs concurrents. En 1641, les Hollandais enlèvent Malacca aux Portugais, étendent les domaines de leur compagnie des Indes Orientales sur Java et l'archipel de la Sonde et installent de solides comptoirs au Cambodge et au Siam. Du Cambodge, une mission commerciale Hollandaise commandée par VAN WusTHOF remonte le Mékong et atteint Vientiane, capitale du royaume du Million d'Eléphants, en 1641. Cette mission est reçue solennellement par le roi du Laos, lui offre de riches présents, obtient quelques avantages pour sa Compagnie et repart au Cambodge, vivement impressionnée par la magnificence de la royauté du Lane Çang. C'est le premier contact, rap¬ porté par la chronique, entre le Laos et l'Europe. Dès cette époque, 1 entourage des souverains extrêmes orientaux était assi¬ dûment sollicité par des négociants, émissaires, missionnaires et aventuriers, agissant pour leur propre compte ou pour celui de leurs gouvernements, se mêlant aux affaires d Etat comme aux intrigues de cour et réussissant parfois à acquérir une influence considérable et des situations honorifiques enviées auprès de ces popentats. Des Européens ou descendants métissés d'Euro¬ péens ont ainsi fondé dans certains pays d'Indochine des familles adoptées par la caste mandannale et qui ont servi loyalement leur patrie d'adoption. Un de ces flibustiers, LEVANTIN francophile nommé CONSTANTIN Fal- KON vint échouer par hasard au Siam et s'établit à Ayuthia. Il gagna la con- fiance du roi PhRA NARAI qui en fit son confident, de 1656 à 1688. FALKON persuada au souverain d'envoyer une ambassade à Versailles où elle fut reçue par le roi LOUIS XIV et obtint la venue à Ayuthia d'une mission militaire française, bientôt suivie d'architectes, missionnaires et commerçants. L'influence française devint alors prépondérante au Siam ; les résidences royales d'Ayuthia et de Lopbun s'enrichirent de palais et de jardins inspirés des créations de Versailles; des forts à la Vauban s'élevèrent à l'embou¬ chure du Ménam ; une ardente propagande religieuse tendit à convertir en masse les infidèles au christianisme. Tant de zèle imprudent finit par soulever la colère du peuple habilement exploitée par les rivaux de Falkon et des Français. Un soulèvement éclata ; le roi PHRAI NaRAI fut déposé, falkon et ses partisans massacrés, les Fran¬ çais se replièrent sur les forts du Ménam d'où ils se rembarquèrent pour l'Inde (1689). Ce dénouement désastreux de la carrière de FALKON entraîna une éclipse de deux siècles dans les relations franco-siamoises, alors qu'avec plus de — 39 — modération, il eut été possible à la mission française de consolider sa préémi¬ nence à Ayuthia et de jouer par la suite un rôle décisif dans l'expansion siamoise au Cambodge et au Laos. Mais telle était la force impérative qui, du xvi0 au xixe siècles, poussait l'Europe à découvrir et à éduquer les humanités lointaines, que moins d'un siècle après son échec au Siam, l'influence française évincée de la vallée du Ménam se manifeste à nouveau, en des circonstances non moins extraordinaires dans le delta du Mékong. En 1 775, le prince anamite NguyeN-Anh, prétendant au trône d'Annam, contraint de fuir devant la révolte des Tayson, se réfugie au Cambodge et demande secours à Mgr. plgneau de behaine, évêque d'AdRAN. Ce grand Français entrevoit aussitôt le parti que le christianisme et la France peuvent tirer d'un pacte qui rendrait son trône au prince déchu. Il part pour la France en 1784, obtient du roi Louis XVI un traité d'alliance franco- annamite, repasse par Pondichéry où il lève un corps de troupes et arrive enfin à Saigon en 1 790 pour aider nguyen-ANH à maîtriser la rébellion et à conquérir son trône. Devenu empereur d'Annam sous le nom de GlA-LoNG, l'allié de l'évêque d'AdRAN garde à son bienfaiteur et à la France une reconnaissance durable. Pendant tout son règne, les missions religieuses et militaires françaises sont bien accueillies en Annam, bâtissent des chrétientés, élèvent des citadelles à l'européenne encore visibles de nos jours et qui prêtent à tant de cités annamites le charme vieillot de leurs bastions démantelés et de leurs fossés d'eau dormante, émaillée de nénuphars. Malheureusement la politique versatile des royautés asiatiques devait, une fois de plus, en Annam comme au Siam, compromettre nos succès. Fa mort de GlA-LoNG marque pour les missionnaires français et pour leurs adeptes le début d'une ère de persécutions et de massacres qui amène la France, après de longues hésitations et des démarches réitérées, à venir établir en Indochine la paix, l'ordre et la prospérité. Les scènes du drame historique n'offrent qu'un intérêt de détail auprès de h implaquable logique qui enchaîne les actes et domine la volonté même des acteurs. Ni les représentations, ni les menaces n'ayant mis fin aux atro¬ cités commises sur nos ressortissants par les rois d'Annam Thieu-Tri et TlJ- Duc, il faut se décider à agir. Après quelques démonstrations navales préliminaires, la France occupe Saigon en 1859 et la Cochinchine de 1862 à 1867. Les deux nations sont tiop bien accrochées pour se lâcher en chemin. L'Annam reprend la lutte ; il faut vider la querelle, occuper le Tonkin en 1874, maîtriser la Chine — 40 — accourue à la rescousse et imposer le Protectorat à l'Annam par le traité de 1884. Ainsi, cent ans après l'alliance conclue entre GîA-LoNG et Louis XVI, l'Annam entre dans la grande famille française par un pacte d'union définitif qui seul peut pacifier l'Indochine et sceller l'avenir des deux pays. Voilà la hrance chargée de son fardeau asiatique, responsable désormais du sort du peuple annamite et des tribus autochtones confinées dans les mon¬ tagnes de F arrière-pays. Au fait, jusqu'où s'étend cet hinterland inexploré, sans loi ni maîtres, ce « no-man's-Iand » où agonisent le Laos et le Cam¬ bodge ? La France, appelée à se substituer à l'Annam en matière de politique étrangère, reprend naturellement à son compte sa tradition d'expansion vers 1 ouest, à la recherche d'une bonne frontière, but commun poursuivi depuis mille ans par tous les peuples d'Indochine, au prix de guerres sans fin. Précisément, sur le revers de la Péninsule, le jeune royaume du Siam cherche lui aussi une frontière convenable dans l'intervalle qui le sépare des montagnes de l'Annam. Entre le Siam et nous, héritiers des revendications annamites, la rencontre est inévitable .quelque part dans l'arène constituée par le bassin du Mékong. Les droits du Siam sont aussi bien fondés que les nôtres ; gouverné par des rois patriotes, servi par des diplomates éclairés, le royaume Thaï défend avec opiniâtreté ses intérêts nationaux, tout comme l'Annam avait bravement lutté pour soutenir contre nous les fautes de ses mauvais souverains. Avec de tels partenaires, la politique est un jeu honorable qui doit finir à la satisfaction de chacun. Après maintes frictions, altercations, conventions et rajustements de frontières mal équarries, le Siam et la France ont fini par trouver un terrain d'entente sur les deux rives du Mékong. Toute l'histoire est là. Sans soulever à nouveau la poussière épisodique de cette période contem¬ poraine, notons que le rôle de la France a été heureusement simplifié par l'initiative du Cambodge et du Laos, principaux intéressés au partage de leurs terres et qui ont librement opté pour le protectorat français. Il restait donc à déterminer avec le Siam les limites des pays ralliés à notre tutelle, ce qui fut fait, tant bien que mal, grâce à des concessions réci¬ proques. Ainsi a pu être réalisée l'entente franco-siamoise, consolidée par les traités de 1925-1926 qui consacrent l'amitié et la collaboration des deux pays limitrophes et marquent le point culminant de notre politique extérieure indochinoise. Revenons au Cambodge et au Laos dont l'entrée spontanée dans notre lamille coloniale constitue un succès éclatant. — 4i — Dès l'année 1855, le roi du Cambodge ANG-DuONG cherche vainement à négocier avec le gouvernement français. Son intention est reprise par son successeur NORODOM qui place son royaume sous le Protectorat de la France par le traité de 1863. Le Siam reconnaît en 1867 le fait accompli et reporte tous ses efforts d'expansion vers le Laos, peuplé comme lui de races Thaïs. La France ne se désintéresse pas de cet arrière-pays de l'Annam et charge en 1866 la mission DoUDART DE LagrÉE et francis GaRNIER de remonter le Mékong et d'explorer le Laos jusqu'aux frontières de la Chine. Cette mission reçoit un accueil chaleureux des populations laotiennes, privées presque partout de gouvernements constitués, depuis la ruine de la royauté de Vientiane en 1830. Il est réservé à un grand patriote colonial, Auguste pavie, de réaliser l'annexion pacifique du Laos à la France au cours de la mission géographique et diplomatique dont il est chargé sur sa demande, dans ce pays, de 1887 à S 895. Nommé consul à Luang-prabang, ville déjà occupée à plusieurs reprises par les Siamois, pavie y retrouve la tombe du voyageur français mouhot, premier explorateur des ruines d'Angkor, mort à Luang-prabang en 1858. II prend contact avec le vieux roi Thiao-OUN-KhaM, avec les mandarins, les bonzes, la population, le pays qu'il parcourt en tous sens, accumulant les itinéraires et levers topographiques, les documents historiques et ethnographiques, gagnant le cœur des habitants et leur apprenant à aimer la France, à souhaiter sa tutelle. Peu après son installation à Luang-prabang, la ville est attaquée et dé¬ vastée par les pirates chinois commandés par Deo-VAN-Trï, chef de clan de Lai- chau. PAVIE, seul défenseur de la cité sauve le roi et la population qu'il entraîne à Paklaï, d'où il revient ensuite occuper la capitale évacuée par les pirates. Une colonne française partie du Tonkin chasse les Chinois du Pîaut-Laos et opère sa jonction avec PAVIE venu de Luang-prabang à sa rencontre. Dans sa reconnaissance touchante, le roi OuN-Kham a demandé à PaVIE la protection de la France sur le royaume de Luang-prabang dernier survivant de l'ancien empire laotien du Lang-Çang. C'est ce vœu que PAVIE réussit à combler en intéressant le Gouvernement français à l'occupation méthodique de la frontière du Mékong. Le traité franco-siamoise de 1893 consacre l'établissement de notre Pro¬ tectorat sur la rive gauche du Grand Fleuve et la création du Laos français. — 42 — Les traités franco-siamois de 1904, 1907, 1925 et 1926 précisent par la suite les frontières de l'Indochine, consolident les rapports franco-siamois sur la base d une amicale réciprocité et instituent une Haute Commission per¬ manente Franco-Siamoise du Mékong qui fonctionne depuis 1928 à Vien- tiane et qui est chargée de l'étude et du règlement de toutes les questions de frontières intéressant le Siam et l'Indochine. Des conventions conclues en 1895 avec la Chine et en 1896 avec la Grande Bretagne ont fixé d'autre part les limites du Laos avec le Yunnan et la Birmanie. L'établissement en 1 893 du Protectorat français au Laos a été salué par les populations laotiennes comme l'annonce de la fin de leurs calamités et de la renaissance de leur pays. Depuis près de quarante ans que la France exerce son autorité maternelle et poursuit sa tâche admirable de relèvement matériel et moral, aucun incident n a pu faire douter du loyalisme de nos protégés laotiens et décou¬ rager nos efforts. Dans ce pays, la France est récompensée de sa peine par la gratitude rayonnante de ses administrés autant que par les résultats con¬ crets de sa mission. Seules, quelques peuplades montagnardes, au caractère ombrageux et fanatique, ont tenté, à deux reprises, de contrarier notre Administration, à l'appel de quelques sorciers : De 1901 à 1902, les Khas du plateau des Bolovens, dans le Bas-Laos„ provoquent la rébellion des Phou-mi-Bouns, qui prend fin avec la capture de leur chef Bac-Mi. Dans le Haut-Laos, les Méos des provinces de Xieng-khouang et Luang- prabang se soulèvent de 1919 à 1920, croyant obéir à un ordre surnaturel tombé du ciel. Ils finissent par rentrer dans l'ordre après une répression sévère qui coûte la vie à leur chef batchal. Enfin, il y a heu de mentionner l'infiltration en 1914 de bandes de pirates yunnanais qui s'avancent jusqu'à Samnua, dans le Laos septentrional, et qu'il faut déloger de vive force et rejeter en Chine en décembre 1915 et janvier 1916. La création sur cette frontière du Ve territoire militaire par arrêté du 3 mars 1916 met fin aux incursions chinoises et assure la tranquillité complète du Laos. - 43 — Le vœu de PAVIE est exaucé, qui tendait à constituer l'unité indochinoise en soudant les maillons de nos colonies côtières sur le fermoir central de l'hinterland laotien. Il faut s'en féliciter et reconnaître loyalement que, dans l'état où la France l'a prise, l'Indochine ne pouvait prétendre à un meilleur destin. Un demi-siècle de paix française a valu à ces pays une prospérité économi¬ que et une sécurité politique miraculeuses, à l'abri des cataclysmes qui ont éprouvé tant de contrées du globe. Que fut-il advenu si la fortune de la France l'avait détournée de sa mission asiatique? L'anarchie, les rivalités qui déchiraient alors la péninsule auraient parachevé la ruine des peuples centraux les plus faibles et mis aux prises les vainqueurs de l'est et de l'ouest pour la conquête d'une frontière commune. Cette frontière qui se serait peut-être stabilisée sur le Mékong, au prix de guerres sanglantes, ne l'avons-nous pas obtenue, pour ainsi dire sans combat, et avec des garan¬ ties d'avenir qui s'évanouiraient en notre absence? Cette éclatante vérité ne devrait-elle pas, à elle seule, effacer les ran¬ cunes mesquines et faire apparaître l'intervention française comme provi¬ dentielle? Absorber et digérer l'Indochine? Telle n'a pas été l'ambition de la France du XIXG siècle qui, obéissant au grand élan d'expansion matérielle et morale des nations occidentales vers les peuples arriérés, n'a voulu qu'as¬ sumer une part honorable de la mission civilisatrice dévolue à l'Europe et réserver une place au soleil pour ses enfants d'adoption. C'était son devoir et c'était son rôle dans la phase « colonisatrice )> de l'humanité. Si elle y avait manqué, une autre tutelle eut infailliblement pris sa place en Indochine et apporté à ses populations moins de bonheur et moins de profits. Sa tâche est accomplie, sa moisson a mûri, sa couvée grande et forte veut maintenant voler de ses propres ailes? Soit ; mais à une condition : Comme les fruits mûrs se détachent de l'arbre mais demeurant à son pied, sous l'abri de ses ramures, les colonies adultes peuvent légitimement souhaiter de desserrer les liens de gratitude filiale qui les attachent à la Mère Patrie, mais sans prétendre les renier. Ainsi la France vénérable doit continuer à étendre son ombre tutélaire à la surface de la terre, groupant les Frances-mineures essaimées à travers le monde sous un régime fédéral inédit, fondé sur leur communauté de sou¬ venirs, d'éducation et d'intérêts. — 44 — C'est à l'avènement de cet ordre nouveau que doivent collaborer Fran¬ çais et Indochinois, unis dans le même idéal de justice et de progrès indéfinis. Certes, les temps sont proches où l'Indochine consciente de sa majorité, aspirera à recevoir de la Métropole une manière d'émancipation morale. Elle l'obtiendra, dans la mesure progressive et raisonnable où une mère avertie peut combler l'impatience de ses grands enfants. Car la France ne saurait redouter de donner une fois de plus au monde l'exemple de la sagesse et de la générosité. Puissent ces pages sincères et prophétiques dissiper les malentendus. Chapitre IV L'ŒUVRE DE LA FRANCE Pour apprécier pleinement le programme de reconstruction et d'organi¬ sation rempli par notre protectorat au Laos, depuis 1893, il faut imaginer les difficultés d'accès de ce territoire et l'état de délabrement où nous l'avons trouvé à cette date. Le Laos ne représentait même plus une entité politique; les royautés tt principautés du bassin du Mékong s'étaient écroulées à Vientiane, à Xieng- khouang, à Bassac, sous les chocs répétés des guerres civiles et des inva¬ sions étrangères et seul le royaume de Luang-prabang, en pleine décrépi¬ tude, avait survécu à la désagrégation de l'empire de Lane Çang. Partout ailleurs, en l'absence de pouvoir central, les mandarins provin¬ ciaux ou Chao-muongs, épars et sans liaison entre eux, avaient continué par routine à exercer un simulacre d'autorité sur leurs circonscriptions dénom¬ mées Muongs, subdivisées en cantons appelés Tassengs et en villages ou Bans. Dans les régions les plus éprouvées, les familles de l'ancienne noblesse administrative avaient même disparu et les villages abandonnés à leur propre sort retournaient insensiblement à une semi-barbarie, dans l'oubli des lois, coutumes et institutions. Quant à la population, ce qu'il en subsistait sur la rive gauche du Grand Fleuve, après les massacres, les paniques, les dépor¬ tations massives, n'était qu'un pitoyable troupeau éparpillé sans espoir ni recours, loin des ruines de ses villes détruites, groupé de ci de là en hameaux provisoires et prêt à gagner la brousse à la moindre alerte. Que dire de la mortalité effrayante qui décimait ces créatures traquées et menaçait la race d'extinction? Il était temps d'intervenir car, plus encore qu'au Cambodge, l'édifice politique et social anéanti était à rebâtir pierre par pierre, sur les ruines de son passé. Et tout d'abord, à ce pays décapité, il fallait une capitale, un centre politique ralliant les énergies défaillantes des vieilles générations et les espé- - 48 - rances des nouvelles. L'emplacement de Vientiane, la cité morte, fut choisi comme symbole de la renaissance du Laos et cette initiative audacieuse acheva de nous gagner tous les coeurs A 1.500 kilomètres de l'embouchure du fleuve, à l'extrémité supérieure du bief du moyen Mékong et au pied des premiers massifs du Haut-Laos, les vestiges des palais et des pagodes de Vientiane, assaillis par la forêt, attendaient cette résurrection. Ce fut une œuvre de magiciens. Loin de nos bases maritimes, sans routes ni chemins de fer, hors de toutes voies de communications pratiques, autres que celle du Mékong, alors indompté et à peine exploré, une ville moderne riante et prospère a surgi des décombres déblayés, parmi les ruines restaurées et rayonne aujourd'hui à cent lieues à la ronde, en reine incontestée de ('Indochine centrale. C'est sur les soubassements de briques séculaires du palais du roi SET- THATHIRAT que fut érigée la Résidence supérieure de France, face à la boucle majestueuse du Mékong. Autour de ce nouveau cœur politique du Laos appelé à suppléer la royauté évanouie de Lane Çang, tous les Services administratifs furent progressivement installés eU étendirent leur activité sur le pays entier : bureaux de la Résidence supérieure, Inspection mobile des Affaires politiques et indigènes, Justice, Police, Gendarmerie, Garde indi¬ gène, Prison, Trésor, Contrôle financier, Enregistrement, Douanes et Régies, Postes et Télégraphes, Travaux publics, Service agricole, Service vétéri¬ naire, Assistance médicale, Enseignement, Musée archéologique, Station radiotélégraphique, Usine électrique, Flottille fluviale. Enfin, la capitale fut constituée en centre urbain et dotée d'une Résidence-Mairie dont dépend également la province environnante. Encouragées par l'exemple officiel, les initiatives privées ne tardèrent pas à se manifester à Vientiane; des maisons de commerce et des Sociétés de transports européennes et asiatiques s'y fixèrent ; les Missions catholi¬ ques y édifièrent une église, la population indigène vint repeupler son an¬ cienne capitale qui compte aujourd'hui près de dix mille habitants. L'activité féconde du protectorat rayonna bientôt vers les points les plus reculés du territoire qui furent rattachés à Vientiane par fils télégraphiques, puis par routes ou services de transports fluviaux. Le Laos fut divisé en dix provinces, administrées par des Commissaires du Gouvernement Français, à savoir, du nord au sud : Houeisai, Luang-prabang, Samnua, Xieng- khouang, Vientiane, Thakhek, Savannakhet, Saravane, Paksé, Attopeu. Depuis 1916, la pointe septentrionale du royaume de Luang-prabang cons¬ titue le Ve Territoire militaire avec chef-lieu à Phongsaly, préposé à la — 49 — défense de la frontière chinoise et relevant directement comme les provinces civiles, du Résident supérieur à Vientiane. Des postes administratifs secondaires ou Délégations, dépendant des Chefs de provinces, furent créés dans certaines localités excentriques, telles Muong- sing, Paklai, 1 chépone. Des agents des Services administratifs les plus importants furent détachés au chef-lieu de chaque province, notamment pour la diffusion des oeuvres d'enseignement et d'assistance médicale et l'intensification des Travaux pu¬ blics. En outre, chaque province devint le centre de groupement d'un certain nombre de Muongs laotiens dont le statut et le fonctionnement furent rénovés sous l'autorité directe des Administrateurs français, dépositaires des pou¬ voirs des anciennes royautés indigènes. En même temps, une politique d'expectative prudente ou de pénétration pacifique était adoptée, non sans succès, à l'égard des tribus indépendantes de la Haute-Région, en vue de gagner leur confiance et de préparer leur soumission au régime commun. A la vérité, tous les rouages de l'Administration indigène étaient à reviser et à restaurer de fond en comble. Et en premier lieu, la Royauté de Luang-prabang fut confirmée et consolidée dans ses prérogatives tradi¬ tionnelles, sur un territoire pacifié et nettement délimité, dans l'intérêt même de 1' exercice normal de notre protectorat. Auprès du Roi, le Conseil d'Etat ou Hosanam-Luong fut réorganisé et composé de trois hauts dignitaires spé¬ cialisés dans des attributions définies, englobant les divers services adminis¬ tratifs du royaume. Le Commissaire du Gouvernement Français à Luang- prabang représente, par délégation du Résident supérieur qui réside à Vien¬ tiane, le Gouvernement protecteur auprès du Souverain protégé. Toute l'Administration provinciale du royaume, y compris le V° Terri¬ toire militaire, est divisée en circonscriptions appelées fChvèngs, et mieux conservée que dans les Muongs du Bas-Laos ; elle relève directement de 1 autorité royale et du Hosanam et fonctionne sous le contrôle direct du Protectorat, dans les mêmes conditions qu'au Cambodge. En résumé, l'Ad¬ ministration indigène locale représente aux yeux des populations l'élément conservateur et quasi-rituel du gouvernement; le rôle essentiel de l'Admi¬ nistration française consiste à en contrôler le bon fonctionnement, à pour¬ suivre l'étude et l'application des réformes de toutes natures et à gérer directement les services dont le caractère spécial ou technique exige une ex¬ périence européenne. Cette formule judicieuse de la répartition des pouvoirs et des compétences paraît constituer la meilleure interprétation d'un pro¬ tectorat. * — 50 — Pour l'ensemble du Laos, y compris le royaume de Luang-prabang, un statut uniforme du personnel de l'Administration des Muongs fut édicté, fixant la hiérarchie, la solde et les fonctions des Chaomuongs, Oupahats, Phouxoueis et Samiens, ainsi que la répartition de leur effectif dans les pro¬ vinces, sous le contrôle des Commissaires français. Plusieurs de ces digni¬ taires et mandarins parmi les plus qualifiés ont été détachés à la Résidence supérieure de Vientiane et dans les Services administratifs français où ils assurent une liaison précieuse avec l'élément indigène et apportent à notre œuvre la plus franche collaboration. A l'échelon inférieur des subdivisions administratives, l'organisation can¬ tonale et communale des Tassengs et des Bans, encore embryonnaire, a reçu, elle aussi, dans le cadre des Muongs réorganisés, une impulsion uni¬ forme et un statut homogène. Enfin, le corps de police civile dénommé Garde indigène, recruté tout d'abord exclusivement en pays annamites, a vu, comme au Cambodge, s'accroître le nombre des recrues laotiennes volontaires qui assurent déjà, dans une proportion appréciable, la sécurité intérieure de leur propre pays. Une réforme radicale intervenue en 1927 et apportée par la France dans les mœurs administratives laotiennes a été la séparation des pouvoirs admi¬ nistratif et judiciaire, la spécialisation d'un corps de magistrats indigènes et la mise en vigueur des nouveaux Codes laotiens. Fruit de longues années d'investigations et d'études, et de la collaboration de juristes français et d'érudits indigènes, les nouveaux codes laotiens inspirés de la coutume écrite et orale du pays ainsi que de nos principes de droits moderne, constituent un monument scrupuleusement adapté à la mentalité et aux besoins de la population dont elle respecte autant que possible les mœurs, tout en lui dispensant les bienfaits de notre expérience occidentale. Mais la mise en œuvre de cet appareil judiciaire impliquait la scission des pouvoirs naguère confondus, la création des tribunaux des 1 ' ' et 2' degrés dans les provinces, la réorganisation du Tribunal supérieur d'appel et d'an¬ nulation de Vientiane et surtout le recrutement et la formation d'un cadre de magistrats laotiens. C'est dans ce but qu'a été ouverte à Vientiane en 1928 une Ecole de Droit et d'Administration qui forme désormais les mandarins provinciaux des cadres administratif et judiciaire nettement spécialisés, à 1 exemple de l'école des Kromokars du Cambodge qui a donné depuis vingt ans au royaume Khmer une jeune génération de fonctionnaires sélectionnés. Après avoir doté le Laos d'une solide armature administrative, sur la¬ quelle pût s'appuyer en toute confiance notre protectorat, la France a jugé le moment venu, en 1923 d'appeler la population elle-même à participer « - SI - à la gestion des intérêts publics, en créajit à Vientiane une Assemblée Con¬ sultative ndigène élue par un collège électoral restreint, dans les diverses circonscriptions laotiennes. A la faveur de cette institution libérale, les représentants des diverses régions du Laos, assemblés annuellement à Vientiane, prennent conscience de leur unité nationale, des progrès réalisés d'une année à l'autre par leur pays, de la benne gestion des deniers publics, des intentions et des méthodes de l'Administration supérieure qu'ils éclairent de leurs avis et de leurs vœux. Ils peuvent notamment constater et signaler ensuite à leurs électeurs que si le budget local du Laos atteint déjà le chiffre de quarante millions de francs, c'est, pour plus de la moitié, grâce à une subvention du Budget général de l'Indochine. La faible densité actuelle et la modicité des res¬ sources de la population laotienne ne permettent pas, en effet, d'exiger d'elle l'effort fiscal que comporteraient les frais considérables de premier équipement et d'aménagement de ces marches occidentales de l'Indochine. Se penchant plus bas encore, sur le sort des humbles populations elles- mêmes, la France s'est préoccupée de leur avenir et de leur bien-être et a donné aux œuvres d'intérêt social un développement remarquable. Et d'abord, il fallait sauver la race en voie de disparition, enrayer l'exode et la dispersion des familles, les regrouper et les fixer dans les. régions fertiles, à l'ombre de notre drapeau et sous la protection de nos postes, rendre à ce peuple accablé le courage de vivre et la foi en l'avenir. L'assistance médicale répandue dans toutes les provinces, a triomphé de la variole, des épidémies et de la mortalité infantile et répandu les bienfaits de l'hygiène en luttant contre l'ignorance, les superstitions et la routine, Dès aujourd hui, 1 excédent des naissances sur les décès est un fait acquis au Laos. Les formations sanitaires comprennent six hôpitaux, deux maternités et huit ambulances répartis dans les villes principales, cinquante-cinq dispen¬ saires ruraux et deux léproseries. L'effectif du personnel médical est de douze médecins français, douze médecins Indochinois et cent quarante-six infirmiers et infirmières indigènes. Le nombre des malades consultant atteint annuellement 275.000 et celui des hospitalisés 5.500 individus. En outre, les campagnes de vaccinations antivarioliques et anticholériques ont intéressé respectivement 246.000 et 80.000 personnes au cours de l'année 1929. Pendant la même période annuelle, cent quatre-vingts dépôts de quinine ont distribué 130 kilogrammes de ce produit, dont un tiers gratuitement. Signa¬ lons que l'hôpital principal de Vientiane dispose de tous les perfectionne- J» ments scientifiques : laboratoire bactériologique, poste radio logique, services antirabique et vaccinogène. L'activité du Service d'Instruction publique n'est pas moins satisfaisante et embrasse l'enseignement primaire, primaire supérieur et industriel ainsi que l'éducation physique. Le personnel enseignant s'élève à 208 unités dont 21 professeurs français, répartis dans 82 écoles, avec un effectif scolaire de 6.500 élèves en progression continue. L'école professionnelle de Vien- tiane forme des artisans et des ouvriers spécialisés pour les industries modernes qui ne tarderont pas à se développer au Laos, en raison de ses richesses minières. Ajoutons que le Laos envoie dans les établissements d'enseigne¬ ments secondaire et supérieur de l'Indochine et même de France un certain nombre d'étudiants appelés à rendre plus tard à leur pays d'émments services. Dans un ordre d'idées connexe, les aptitudes artistiques de nos protégés ont trouvé des encouragements, non seulement à l'Ecole pratique d'Indus¬ trie de Vientiane, mais surtout dans l'exposition et la vente des produits locaux aux foires annuelles de Hanoi et dans les commandes nombreuses faites aux ateliers indigènes par les Européens résidant ou de passage au Laos. Ces nouveaux débouchés ouverts aux artistes laotiens, bijoutiers, orfèvres, sculpteurs et tisserands, ont, stimulé leur activité et amélioré leurs méthodes, en attendant que l'administration puisse envisager, à l'exemple du Cambodge, une impulsion technique de plus large envergure, Mais c'est principalement à la conservation et la réfection des vestiges archéologiques, monuments et statues, que le protectorat s'est appliqué dès son établissement au Laos. Un musée provisoire aménagé à Vientiane a reçu les meilleurs fragments de sculpture et d'architecture ainsi que les plus beaux Bouddhas recueillis dans les ruines de temples et de dagobas. Les édifices les moins délabrés ont été restaurés, chaque fois que leur réfec¬ tion a été possible, comme pour la pagode de Sisaket et le mausolée du That-luong. Quant aux monuments trop endommagés, le Wat Phra-kèo par exemple, ils ont été débroussaillés, consolidés, encadrés de jardins et de pelouses et rendus accessibles aux pèlerins et aux touristes. Cette œuvre de pieuse reconstitution historique qui frappe le visiteur, surtout à Vientiane, n'a pas été l'un des moindres titres acquis par la France à la reconnaissance de ses administrés. 11 n'est pas jusqu'à la restauration du culte bouddhique orthodoxe qui n'ait attiré l'attention du protectorat, intéressé à retenir au Laos le zèle des théologues indigènes qui, faute de trouver sur place un enseignement dogmatique, cédaient à l'attraction du puissant foyer religieux de Bangkok. 53 — Or, nous possédons au Cambodge, à Phnom-penh, un centre de culture bouddhique parfaitement organisé auquel il suffisait d'emprunter les élé¬ ments d'une réforme religieuse du Laos, ancien disciple de l'empire Khmer. C'est donc avec le concours de l'Ecole supérieure de Pâli du Cambodge que furent créés des cours de cette langue sacrée, à Vientiane et à Luang- prabang, puis, que furent dnigés sur Phnom-penh de jeunes bonzes laotiens désireux de parfaire leurs connaissances du Bouddhisme Hina-Yaniste, pour revenir en rappeler les préceptes au Laos. Une réglementation complète, mise au point avec le concours des personnalités indigènes et des bonzes les plus compétents, fut édictée en 1928 en vue de remettre en vigueur le statut et la discipline du clergé, souvent tombés en désuétude et de répartir les pagodes du Laos en paroisses cantonales et diocèses provinciaux, sous le con¬ trôle des chefs religieux agissant en liaison avec les autorités laotiennes et françaises. L ensemble de ces mesures est appelé à rendre au peuple lao¬ tien son autonomie en matière religieuse et à raffermir les règles de disci¬ pline individuelle et sociale qu'il a puisés jadis dans son culte national. La haute portée politique, administrative et sociale de l'œuvre, exposée a-dessus, n'a pas détourné le Protectorat des préoccupations matérielles de construction économique et de mise en valeur du Laos. Ainsi qu'il a été dit au début de ce chapitre, les représentants de la hrance ont commencé par doter le pays d'une capitale, Vientiane, qu'il a fallu relier aux chefs-lieux de provinces nouvellement créées, puis aux pays voisins de l'Indochine, et enfin, aux ports maritimes de notre grande Co¬ lonie. Le tour de force de la création de Vientiane a été renouvelé dix fois, sur des bases plus modestes, aux sièges des Commissariats provinciaux qui sont devenus des miniatures de capitales, conçues et installées selon les prin¬ cipes modernes de l'urbanisme et de l'hygiène. Ces centres administratifs et commerciaux en plein essor ont été promptement unis entre eux par fil té¬ légraphique et par voies fluviale et terrestre, au prix de travaux gigantes¬ ques. Le Mékong, unique chemin naturel de pénétration au Laos, a été do¬ mestiqué sur 1.500 kilomètres de son cours, depuis l'embouchure jusqu'à Vientiane. L'achèvement prochain du programme d'aménagement des ra¬ pides de Sambor, au Cambodge, va permettre aux chaloupes de Phnom- penh de remonter directement, en toutes saisons jusqu'aux chûtes de Khô- ne, frontière du Laos. Une voie ferrée de sept kilomètres établie dans l'île de Khone, contourne les chûtes, relie les embarcadères de Khone-sud et Khone-nord et permet de transborder d'un bief dans l'autre voyageurs, marchandises et même chaloupes hâlées sur un slip et destinées à être lancées dans le bief d'amont. — 54 — Depuis 1 apparition au Laos, en 1894, de deux canonnières de la Marine qui explorèrent le fleuve jusqu'en Chine, une dizaine de vapeurs a été mise en service régulier sur le moyen Mékong entre Khone et Vientiane, soit par le protectorat, soit par la Compagnie subventionnée de Navigation Saïgonnaise. Il a fallu dérocher et baliser des chenaux navigables, surtout dans les rapides de Khemmarat, entre Paksé et Savannakhet et étudier un pro¬ gramme de travaux analogues à exécuter ultérieurement entre Vientiane et Luang-prabang. Pour le moment, ce sont des pirogues à moteur qui assurent les transports postaux et commerciaux au delà de Vientiane jusqu'à Houei- sai, à 2.400 kilomètres de la mer. Dix mille tonnes de marchandises em¬ pruntent annuellement cette voie fluviale du Mékong, -tant à l'entrée qu'à la sortie du Laos. Le Mékong est pratiquement vaincu. Mais cet interminable ruban fluvial déroulé jusqu'au port trop lointain de Saigon, ne pouvait suffire aux besoins économiques du Laos. Il importait, d'autre part, de prévenir la concurrence des voies ferrées siamoises qui divergent de Bangkok vers nos frontières cambodgienne et laotienne et détournent déjà de Saïgon, au profit du grand port siamois, une part appré¬ ciable du commerce de la vallée du Mékong. Or, l'examen de la carte permet de constater que, dans son secteur de Thakhek à Savannakhet, le Grand Fleuve se rapproche à 200 ou 300 kilomètres en ligne droite de la côte d'Annam, alors qu'il lui reste encore plus de mille kilomètres à parcourir jusqu'à Saïgon. Dans ces conditions, l'idée de relier ce bief fluvial supérieur à nos ports maritimes de Tourane et de Vinh, par des routes dont la longueur n'excéderait pas respectivement 300 et 300 kilomètres s'imposait d'autant mieux que leur tracé devait précisément emprunter les cols les plus accessibles de la Chaîne Annamiti- que, à Lao-bao et à Na-pé. La première route de pénétration au Laos, de Tourane à Savannakhet est aujourd'hui achevée et empierrée de bout en bout. Celle de Vinh à Thakhek est en cours d'empierrement. Par ces voies directes, le Mékong n'est plus qu'à un ou deux jours d'automobile de la côte d'Annam et Vientiane est à cinq jours d'Hanoi ou de Hué et à huit jours de Saïgon. D'autres routes d'une importance moins immédiate ont été inscrites au pro¬ gramme des travaux publics du Laos et leur exécution se poursuit d'année en année : De Vinh, une route escalade le plateau du Tran-mnh et s'avance vers Luang-prabang et Vientiane. Au sud, une piste automobilable en saison sèche prolonge la route de Saigon à Kratié, par Strung-treng, Paksé, Sa¬ vannakhet, Thakhek, parallèlement au Mékong et va aboutir à Pakhinboun et aux mines d'étain de la Nam-Patène. De Paksé, deiix routes atteignent ' — 55 — d'une part Saravane, par le plateau des Bolovens, d'autre part Phimoun, au Siam, localité voisine du terminus du Chemin de fer de Bangkok à Oubône. Enfin, trois routes sont amorcées autour de Vientiane, l'une en direction de Luang-prabang et du Tran-ninh, la seconde vers Paksane et Vinh, la troisième longe le Mékong et aboutit en face du gros centre siamois de Nong-khaï. Ces trois tronçons, partiellement empierrés, totalisent déjà 250 kilomètres et tendent à opérer leur jonction avec les routes venant de Vinh, en Annam. Non contente de poursuivre l'achèvement de ce vaste réseau routier, l'Administration locale a obtenu du Gouvernement général de l'Indochine et du Gouvernement métropolitain l'étude et la mise en chantier du chemin de fer de Tân-ap à Thakhek qui franchira la Chaîne Annamitique sous un tunnel, au col de Mu-gia et mettra le Mékong à 285 kilomètres du port de Vmh. Les travaux d'exécution de cette voie ferrée, payés sur les fonds du grand emprunt national de mise en valeur de nos Colonies, seront vrai¬ semblablement achevés en 1936 et assureront le débloquement définitif du Laos. AP rès les voies de communication, les sources de la production locale, qui seront examinées en détail au Chapitre VII, ont retenu la sollicitude des pouvoirs publics. La création d'un Service forestier, envisagée dans un avenir prochain, permettra l'inventaire, la protection et l'exploitation ration¬ nelle des immenses domaines boisés du Laos. Pour le moment, outre l'ex¬ ploitation des riches sous-produits et résines, la seule entreprise forestière sérieuse est la Compagnie de l'Est Asiatique français qui exploite les forêts de tecks du haut Laos et fait flotter, à chaque crue annuelle, 12 à 15.000 billes de ce bois jusqu'à Saigon. Toutes facilités sont accordées à cette société pour l'emploi de ce mode de transport pratique et peu coûteux. Dans le domaine des cultures, un Service Agricole installé en 1926, a déjà étudié les possibilités de sélection et d'amélioration des produits indi¬ gènes et les conditions de développement futur de la grande colonisation européenne, notamment sur le plateau du Tran-ninh et sur les terres rouges du Bas-Laos qui se prêteraient aux cultures de coton, café, thé et quinquina. Les résultats encourageant obtenus par plusieurs planteurs ont justifié la ciéation en 1928 d'une Chambre mixte de Commerce et d'Agriculture, appelée à éclairer l'Administration locale de ses avis et de ses vœux. De son côté, le Service Vétérinaire qui possède au Laos quatre secteurs a étudié les caractéristiques des espèces qui composent le cheptel laotien et les conditions d'élevage dans ce pays. Ses nombreuses tournées de vacci¬ nations ont limité, non sans difficultés, les ravages des épizooties parmi les troupeaux de bœufs et de buffles que les Laotiens abandonnent presque sans surveillance dans les immenses pâturages de ce pays. Pour terminer, signalons que le protectorat a dû faire face depuis quelques années à un véritable afflux de prospecteurs et de capitaux attirés par les richesses minières découvertes au Laos, principalement dans la province de Fhakhek. En 1928, quatre mille déclarations de périmètres miniers ont été déposées par de nombreuses sociétés en formation. Seules les mines d'étain de la vallée de Nam Patène sont actuellement en exploitation et exportent déjà annuellement près de mille tonnes de minerai concentré, tant par les cha¬ loupés de la Compagnie subventionnée de Navigation Saigonnaise que par Camions automobiles, sur la route de Thakhek à Vinh. Tout permet de conclure que la grande industrie minière, si elle est poussée avec les garanties techniques et les ressources financières indispensables, est appelée à constituer la principale richesse future du Laos, surtout quand le chemin de fer de Tân-ap à Thakhek pourra en exporter la production vers le débouché maritime de Vinh-Bênthuy. ^ ^Phong-saly + 9 Muong-sing HANOI ;Haiphong- SamneuaO" Luang-Prabang /Xieng-Khouang 'aksane annam: >Nakaï* Thakhi Tchépone * Savannakhét) Oubone .Paksé K ho rat golfe du tonkin Vers Tourane—* .+ •sÇSaravane, + / +• v*-o Attopeu Khôn^XX + + * Cambodge Jjr^Vers Bangkok. •vers Saïgon I* $ ♦ i. Voies ferrées françaises construites et en construction. Voies ferrées siamoises construites et en construction. ...» Routes utilisables et routes projetées. Terminus de la Navigation sur le Mékong pour les chaloupes et les pirogues à moteur. VOIES DE COMMUNICATIONS Chapitre V L'AVENIR DU LAOS Il convient de clore sur une vision d'avenir cet exposé général de la situation du Laos, et de renvoyer aux deux derniers chapitres de la présente étude la documentation technique et pratique destinée aux touristes et aux colons. L'avenir du Laos est lié à celui de l'Indochine et nous ne saurions envi¬ sager cet avenir hors du cadre actuel du protectorat français. Il ne nous ap¬ partient donc pas de supputer ce qu'aurait pu ou ce que pourrait être le Laos dans une combinaison politique autre que la fédération mdochinoise et toute hypothèse de cette nature réduirait nos plans à néant. En matière politique et administrative, le Laos a été restauré et doté des institutions essentielles qui assureront sa croissance normale. A l'exemple de ses voisins d'Indochine, plus anciens et mieux développés, ce pays verra se perfectionner les rouages de son gouvernement dans la mesure de son essor politique, économique et social, jusqu'au stade d'épanouissement com¬ plet auquel il peut légitimement aspirer. Comme dans les autres parties de l'Indochine, l'Administration française s enrichira bientôt d un Conseil de Protectorat appelé à éclairer et à renforcer les décisions du Résident supérieur, de même que l'autorité des Chefs de provinces s'appuiera de plus en plus sur les avis des Conseils provinciaux. En matière indigène, l'organisation actuelle profitera de l'expérience ac¬ quise et de l'exemple des pays voisins. Peut-être se généraliseront un jour les tendances déjà manifestées par quelques précurseurs qui déplorent que l'unité laotienne, irrémédiablement scindée entre le Siam et l'Indochine, soit encore morcelée, au point de vue administratif, au sein même du Laos français? En effet, ce pays se compose du royaume de Luang-prabang entouré de Muongs disparates, naguère rattachés à l'empire de Lane Çang et relevant aujourd'hui directement d'administrateurs français, en l'absence de pouvoir royal. -- 6o — Cette situation paradoxale trouvera-t-elle un remède? — Verrons-nous le Laos, envieux de la cohésion du Cambodge, tendre vers une concentra¬ tion politique indigène à l'exemple de l'Italie qui réalisa au 19° siècle son unité nationale autour de la Maison de Savoie? Une telle simplication aurait pour conséquence probable le déplacement vers Vientiane du centre politique du royaume, comme sous le règne de Setthathirat et pour les mêmes raisons. Quoiqu'il en soit, ces éventualités ne sauraient être négligées par les esprits éclairés, soucieux de l'avenir du Laos, ni soulever d'objections de principe absolues, puisqu'elle n'intéresseraient que l'administration intérieure indigène, sans mettre en cause le régime de notre protectorat. L-es prévisions lointaines mises à part, l'avenir immédiat du Laos com¬ porte la solution de trois problèmes principaux : 1 0 Le débloquement ; 2° Le peuplement ; 3° L'exploitation. C'est dire que dans l'état actuel du pays, les considérations d'ordre matériel et économique l'emportent sur les préoccupations politiques, les¬ quelles n'ont jamais compliqué notre administration. Le Laos était un vase clos. Nous l'avons entr'ouvert. Il faut maintenant l'ouvrir largement aux influences extérieures et à l'activité mondiale. A défaut de débouchés maritimes directs, ce pays peut être débloqué par le fleuve, les routes, le chemin de fer et l'aviation. Le fleuve d'abord, si judicieusement exploité, peut être amélioré encore dans des proportions notables. C'est pendant les quatre mois de basses- eaux, de janvier à mai, que les seuils rocheux ou sablonneux et les obs¬ tacles des rapides gênent le plus la navigation. Au Cambodge, aux abords de Khone, dans les Khemmarat et au-dessus de Vientiane, les chenaux doi¬ vent être rendus plus aisément praticables aux chaloupes d'un tonnage moyen. Rien n'empêche pratiquement de reporter à Luang-prabang et même à Houei-saï le terminus de la navigation à vapeur. Le volume d'eau qui passe en saison sèche à Vientiane est sensiblement le même qu'à Luang- prabang, aucun affluent appréciable en cette saison ne grossissant le Mékong entre ces deux villes. Il n'y a donc pas insuffisance de débit, mais seule¬ ment difficultés d'aménagement; en y mettant le prix, on en viendra à bout; l'effort déjà réalisé depuis trente ans mérite d'être poursuivi jusqu'à complète utilisation du Mékong français. — 6i — Pendant les huit mois des hautes et moyennes-eaux, tous les obstacles étant submergés, il conviendrait de généraliser les services de navigation directs, sans transbordements, de Khone à Vientiane et Luang-prabang, par chaloupes rapides et de fort tonnage, qui approvispnneraient d'un coup les marchés du Haut-Laos de tout le matériel d'importation nécessaire jusqu'à l'année suivante et évacueraient au retour les productions locales accumulées sur les berges et dans les entrepôts du fleuve, vers les exutoires de Khone, Savannakhet et Thakhek. Une entente à réaliser entre produc¬ teurs et acheteurs, importateurs et exportateurs, d'accord avec la Compa¬ gnie subventionnée de transports fluviaux aboutirait certainement à régler suivant ces principes économiques et ces horaires saisonniers le gros du mouve¬ ment commercial du Laos, et à tirer le meilleur parti du régime de naviga¬ bilité du Mékong. Les routes ont été l'adjuvant précieux du fleuve; il faut les achever, les empierrer, les compléter par des travaux d'art définitifs en maçonnerie ou béton. Le terminus du réseau routier de pénétration parti de Saigon, de Tourane et de Vinh, doit être reporté au moins jusqu'à Vientiane et Luang- prabang, les deux centres principaux et les plus isolés du Laos. Sur ces routes nouvelles, les services subventionnés de transports auto¬ mobiles, déjà inaugurés jusqu'à Savannakhet et Thakhek, pourront étendre leurs parcours et rendre les régions les plus éloignées, facilement accessibles aux colons et aux touristes. Mais par dessus tout, il importe de hâter l'achèvement du chemin de fer de Tân-ap à Thakhek et d'amener le rail français sur le Mékong, à peu près en même temps que le rail siamois venant de Bangkok et Khorat. Ainsi, la jonction des réseaux ferrés siamois et mdochinois se fera sur la frontière, réalisant le transpéninsulaire Singapour, Haiphong et Yunnanfou. Un infime tronçon de 180 kilomètres seulement, à construire entre Tân- ap et Thakhek, pour débloquer un pays vaste comme la moitié de la France et établir à travers le continent une liaison ferroviaire continue, longue de quatre mille kilomètres, sans compter ses ramifications, voilà l'effort si justifié et si modeste que le Laos aura réclamé et attendu pendant qua¬ rante ans. Il est vrai que le Cambodge, plus riche et plus accessible, n'a pas été mieux partagé. Enfin, l'année 1936 verra l'arrivée de la locomotive sur la berge du Mékong, événement qui annoncera le réveil économique du Laos, tout comme l'apparition de la France sur cette même rive, en 1893, a signifié le salut et la renaissance politique de ce pays. L'aviation, enfin, dont le rôle s'étend désormais aux relations interna¬ tionales, est un moyen de communication sans pareil pour les transports — 62 — légers et rapides, dans un pays aussi fermé que le Laos. Aussi, des terrains d atterrissage ont-ils été établis dans toutes les provinces et surtout à Vien- tiane, située sur l'itinéraire de la grande ligne projetée Paris, Hanoi, Chine via Rangoun, Pitsanoulok, Vientiane et Vinh. Cette ligne aéro-postale doit fonctionner en 1931 et relier 1 Indochine à la France en huit jours environ. Lorsque le bassin du Mékong sera complètement débloqué, il restera, pour préparer son exploitation intensive, à le peupler. Le Laos, avec ses 800.000 habitants, est presque un désert. Imaginons ce que serait la France entière si elle était peuplée seulement de deux millions d'hommes, dont un quart à denu-sauvage, retranché dans les montagnes et rebelle à tout progrès? Pour égaler la densité très modérée de la population française, il faudrait au Laos seize millions d'habitants. Son territoire trop montagneux ne suffirait pas à les nourrir. Bornons-nous à lui en souhaiter deux ou trois millions, chiffre qui permettrait 1 exploitation de toutes ses ressources naturelles et fournirait au Budget local les recettes nécessaires à son équilibre, sans sub¬ vention du Budget général. Il est évident que ce chiffre minimum ne pourrait être atteint par le seul accroissement de la population laotienne que dans un ou deux siècles, en admettant que la lutte contre les maladies, l'opium et l'alcool obtiennent un tel regam de vitalité. Les besoins d'expansion économique du pays n'at¬ tendront pas jusque là. L'immigration étrangère apparaît donc au Laos comme une nécessité inéluctable qu'il faut accepter et exploiter courageuse¬ ment. Le Laos aux Laotiens? — Sans doute, les Laotiens, majorité ethnique et premiers occupants du sol en demeureront les vrais maîtres, mais, à 1 exemple des races clairsemées ou peu prolifiques, ils ne pourront éluder le phénomène démographique du peuplement allogène, qui contribuera à mettre en valeur et à régénérer leur pays. La France ne donne-t-elle par l'exemple en utilisant sur son territoire trois millions d'étrangers? Où puiser la main-d'œuvre indispensable à l'exploitation du Laos? — Les éléments les mieux assimilables, siamois ou birmans, restent chez eux et ne pourraient d'ailleurs fournir qu'une infiltration minime. Il en est de même des Khmers, attachés à leur Cambodge et peu migrateurs. La Chine, sur les confins du V" Territoire, n'offre que des éléments yunnanais turbulents et indésirables. Il reste, à proximité, l'unique réservoir d'hommes de l'An- nam-Tonkin. On a pu déplorer l'antinomie apparente des races et des caractères anna¬ mites et laotiens. Cependant, ces deux peuples ont eu, dans l'antiquité, une origine presque commune sur les hauts plateaux de la Chine méridionale. — 63 - Des siècles de séparation les ont différenciés d'autant plus profondément qu'ils ont vécu depuis lors sous des climats opposés et reçu l'empreinte de de civilisations particulières. Voici que les Annamites, disciples de la Chine, et les Thaïs, élèves de l'Inde se retrouvent pour le partage des terres va¬ cantes de l'Indochine centrale; pourquoi ne se reconnaîtraient-ils et ne s'en- tendraient-ils pas? Une réadaptation mutuelle est désirable et n'est pas im¬ possible; elle atténuerait singulièrement les inconvénients d'une immigration inévitable ; il nous resterait à encourager une collaboration profitable aux deux éléments ethniques intéressés. C'est nous qui par nos routes et nos voies ferrées aurons ouvert le Laos à l'activité étrangère; la barrière montagneuse qui l'a défendu jusqu'ici est abolie; entre le Laos et l'Annam, « il n'y a plus de Pyrénées » ; il nous appartient de veiller à ce que les Laotiens ne soient pas les victimes de ce grand événement. Longtemps encore, notre ingérence s'imposera en cette matière; l'Anna¬ mite haidi, entreprenant, combatif, ne ferait qu'une bouchée du Laotien timide et résigné. 11 faudra éduquer celui-ci, l'armer pour la lutte écono¬ mique, le défendre contre sa propre faiblesse, lui interdire d'abdiquer ses droits. On a préconisé il y a une dizaine d'années un système susceptible de sauvegarder les intérêts de la population laotienne contre les empiéte¬ ments excessifs des immigrants qui s'infiltrent, s'imposent et dépouillent les autochtones de leurs meilleurs terrains. Il s'agirait d'instituer partout où cela paraîtrait opportun, des réserves rurales dans les villages et des quartiers ethniques dans les villes, strictement destinés aux Laotiens; eux seuls pour¬ raient résider, exploiter, louer, vendre ou aliéner entre eux, dans l'étendue de ces réserves. Ils conserveraient de force le bénéfice de leurs meilleurs domaines et ne risqueraient pas d'en être spoliés. En particulier dans les centres où affluent les étrangers, attirés par toutes les commodités citadines créées par notre Administration, les Laotiens seraient assurés de conserver intacte une part équitable de leurs quartiers urbains et de n'être pas, en définitive, seuls sacrifiés et refoulés à la périphérie, dans la brousse des faubourgs. Cette politique prévoyante limiterait simplement les droits indi¬ viduels d'aliénations immobilières des Laotiens eux-mêmes, dans leur propre intérêt collectif, et ne gênerait nullement l'installation des immigrants dans les zones vacantes ou non réservées. 1 ant que nos protégés n'auront pas appris à se défendre eux-mêmes, nous serons tenus d'exercer une semblable tutelle, si nous ne voulons pas les voir s'éliminer au contact des races plus audacieuses et disparaître de leur propre patrie. - 64 Sous ces réserves, le peuplement du Laos doit pouvoir s effectuer par voie d'immigration rationnelle et sélectionnée dans 'la mesure où l'exige le développement économique de ce pays. En effet, quand par les voies de débloquement achevées, pourront pénétrer librement le personnel, la main-d'œuvre et le matériel d'exploitation méca¬ nique, rien ne s'opposera plus à la mise en valeur des ressources du sol lao¬ tien. Financiers et colons pourront étendre et multiplier leurs entreprises; les forêts prodigueront leurs bois de construction et d'ébénistene, leurs résines, gommes, stick-laque et benjoin; les plantations de coton, tabac, héveas, café, quinquina s'empareront des terres grises et rouges des plaines et des plateaux; d'immenses troupeaux seront élevés dans les savanes et les forêts clairières de ce Fart-West indochinois ; des mines d'or, de cuivre, d'étain s'ouvriront partout et livreront les lingots attendus par l'industrie étrangère, le ronflement des usines couvrira la plainte amoureuse des Khènes, l'embrasement des forges éteindra les feux des nomades de la jungle, un peuple cosmopolite s'acharnera à extraire et à exporter les trésors de la terre en échange des brillantes pacotilles donc s amusent, aux heures de trêve, les salariés du travail. Alors fleurira le Laos du phoubaw syndiqué, de la phousaw suffragette, le Laos de demain, banlieue de l'Europe, paradis perdu Résignons-nous, tuteurs du Laos, à cette course au progrès où le monde entier nous devance. Mais perçant l'avenir à travers les siècles, sachons y découvrir le gage du succès de notre œuvre, la formule magique d une colonisation durable : Acquérir, conserver à la Mère-Patrie, non des vassaux, mais des Amis. Phong-Saly Muong.silig HANOI f (pî 7 Haiphong leisai' Xiengseni Luang Prabang \ \.XiengKhouang, La khoneLampa Napél Mines Vientiane Thakhek V 7 TchéponeS 3>--Q STSavannakhei Tourane Oubone Paksong Khorat Prah Vihéai Khone Angkor Aranhia Kratié 1 — Remontée du Mékong de Saigon à XiengSène. 2 — Route parallèle au Mékong de Saigon à Thakhek. 3 — Route de Tourane à Savannakhet. 4 — Route de Vinh à Thakhek. 3 — Route de Vinh h Xieng Khouang, vers Luang-Prabang. >t a. i ■ Voies ferrées de pénétration siamoises. LE TOURISME AU LAOS ITINÉRAIRES DE TOURISME Chapitre VI TOURISME ET ITINERAIRES (!) Décors naturels et paysages incomparables, ruines des plus grandioses civilisations du passé, extraordinaire variété de populations asiatiques, réalisa¬ tions admirables de la colonisation moderne, voilà, ô touriste, explorateur in¬ satiable des beautés de notre Ferre, ce que vous réserve l'Indochine, escale du tour du monde qui mérite à elle seule de constituer votre but. Les cités de Saigon, Cholon, Phnom-penh, Hué, Haiphong, Hanoi, Dalat, Vientiane, Luang-prabang, vous présenteront l'activité multiple d'ag¬ glomérations cosmopolites en plein développement ; les temples ruinés d'Angkor, de Myson et de Vientiane, les palais et les tombeaux de Huê vous initieront aux splendeurs des arts khmer, chame, laotien et annamite; la baie d'Along, le col des Nuages, les terrasses de Popokvil, les chûtes de Khone, le grand-lac Tonlésap, les forêts noyées, les jungles du pays Moï, domaines des grandes chasses, exalteront votre goût d'émotions iné¬ prouvées; les aspects pittoresques de la vie indigène, en ses manifestations ethniques innombrables, depuis les plaines côtières jusqu'au chaos des mon¬ tagnes inaccessibles, vous feront reculer d'âge en âge vers les formes les plus antiques de l'humanité. Visitez l'Indochine et découvrez le Laos, avant de porter ailleurs vos espérances et votre peine ; vous en serez récompensés. Que faut-il voir au Laos? En gravissant du sud au nord la pente du terri¬ toire, voici les curiosités principales qui s'offrent à votre attention : Les cataractes de Khone, les ruines khmères de Wat-phou, le plateau des Boloven et les grandes chasses en pays Kha, les rapides de Khemmarat, les forêts clairières des provinces de Savannakhet et Thakhek, les cols de (1) Des éléments de ce chapitre ont été puisés dans les monographies des provinces, dans le Laos touristique de M. MALPUECH, revu et complété par le Service des Travaux publics à Vientiane. — 68 - ia Chaîne Annamitique, le plateau giboyeux de Nakaï et ses fraîches futaies de p;ns. les pyramides anciennes de That-phnom, de La-khone et d'Ou- thène, lieux de pèlerinages bouddhistes, sur la rive siamoise du Mékong; citons plus loin les ruines de Muong-khao, les grottes et massifs calcaires de la Nam-Hinboun et de la Nam-kadine, les mines d'étain de Nam- patène, le plateau du Tran-ninh et sa Plaine des Jarres, Vientiane capitale du Laos, ses monuments anciens et ses fêtes laotiennes, les rapides du Haut-Mékong entre Vientiane et Luang-prabang, la ville, les pagodes et les fêtes locales de Luang-prabang, les vallées encaissées de la Nam-khane et du Nam-ou, le cours supérieur du Mékong jusqu'à Houei-sai et Xieng- sen, les curieuses tribus montagnardes des Hautes-Régions de Muong-sing, de Ve Territoire militaire et de Sam-nua, aux confins de la Birmanie, du Yunnan et du Haut-Tonkm. Avant d étudier ensemble les divers itinéraires d'accès au cœur du Laos, parlons des conditions générales du tourisme dans ce pays. La saison la plus favorable aux excursions est la saison fraîche et sèche, du 1er novembre au 1 " mars. Les vêtements de toile portés toute l'année en Cochinchine peuvent servir au Laos, même en hiver, mais aux heures chaudes du jour seulement. I! est prudent en cette saison d'être muni d'un vêtement de drap et d'une cou¬ verture, surtout dans les régions montagneuses où le froid est plus sensible que dans la plaine. Bien que tous les chefs-lieux de provinces disposent de bungalows ou de salas, ou maisons de passagers sommairement aménagés, il est bon, pour pouvoir s'écarter des centres et des grandes routes, d'emporter un léger matériel de couchage, natte cambodgienne matelassée, et surtout mousti¬ quaire. Pour faciliter les déplacements et les transports, il convient de réduire les bagages au minimum : habillement de rechange, matériel de cuisine, quelques conserves, beurre, lait condensé, vin, farine, thé, médica¬ ments, quinine, teinture d'iode, antiseptiques, pansements, un ou deux photophores et une lampe à acétylène, enfin les armes et munitions nécessaires aux chasseurs. En tout, deux ou trois caisses ou cantines métalliques ne pesant pas plus de trente kilogrammes chacune, en prévision du portage à dos d'hommes dans les sentiers de la brousse. Le personnel domestique se composera d'un cuisinier annamite bon à tout faire, sachant autant que possible parler un peu Laotien pour servir d'inter¬ prète et acheter dans les villages les vivres frais : riz, œufs, volailles, pois¬ sons, légumes et fruits qu'on trouve partout au Laos. Il existe dans les villes des bords du Mékong des Annamites immigrés connaissant suffisamment la langue du pays et qui se placent volontiers au service des Européens. — 6g — A l'égard des populations indigènes, notables et habitants, guides, porteurs, piroguiers etc, il importe d éviter et d interdire aux intermédiaires annamites toute intimidation et toute violence d'humeur. La politesse et la douceur, non exemptes de fermeté et de dignité sont indispensables pour s'assurer le dévouement de ces hommes timides, gagner leur confiance et obtenir leur concours. Dans les cas difficiles, notamment pour franchir des rapides en pirogue ou en radeau, mieux vaut ne pas affoler les rameurs par des cris et des interventions contradictoires et les laisser manoeuvrer selon leur expé¬ rience et leur instinct. En général, l'initiative européenne ne s'impose que lorsque la routine indigène est à bout. Mais on aurait tort de trop insister quant aux démarches et questions posées, les Laotiens vous répondent : Bo mi, bo dai et bo hou thia\. Ce sont leurs derniers mots (1). En principe, et pour éviter toutes difficultés, il sera bon de soumettre vos projets au Chef de la province qui pourra vous donner d'utiles conseils et faciliter vos rapports avec les autorités indigènes et avec la population. A titre d'indication, voici le tarif journalier minimum de location des moyens de transports au Laos : Porteur (charge maxima 1 5 kilogs) aller ou retour 0 $ 40 Charrette attelée, avec conducteur — aller 1 00 — retour 0 50 Cheval ou mulet avec conducteur — aller . 0 80 — retour 0 40 Selle pour monture 0 20 tJéphant avec cornac — aller 1 00 — retour 0 50 Piroguier —• aller ou retour . 0 50 Pirogue de 1 à 4 rameurs, aller 0 30 — retour 0 20 Pirogue de plus de 4 rameurs, aller 0 40 — retour 0 30 La durée du voyage des pirogues remontant le courant est toujours comp¬ tée pour le double de la durée de la descente. En général, le voyageur obtiendra les meilleurs services en se montrant généreux, sans excès. (1) Il n'y en a pas. Il n'y a pas moyen. Je ne sais pas. — 70 — La chasse. La chasse au Laos a fait l'objet d'une étude spéciale de M. VlTRY, Commissaire du Gouvernement à Saravane, déjà insérée dans le Laos tou¬ ristique de M. MALPUECH, et que nous reproduisons à peu près intégrale¬ ment ci-dessous : « Sans être aussi richement pourvu que certaines régions de l'Annam ou du Cambodge, le Laos offre aux chasseurs de petit et de gros gibier, des ressources fort appréciables. Les espèces représentées en pays laotien sont les mêmes que celles peu¬ plant montagnes, forêts et clairières de l'Asie méridionale, des Indes An¬ glaises à la mer de Chine. Ces espèces sont les suivantes : Eléphants (éléphas indiens). — Très répandu, plus particulièrement dans le Bas-Laos, mérite, par sa taille, la première place dans la faune locale, mais pratiquement sans intérêt pour le chasseur, puisque la destruction est interdite et que par ailleurs, les trophées qu'il est susceptible de procurer sont excessivement rares. Contrairement à ce que l'on constate sur l'espèce africaine où les femelles elles-mêmes ont des pointes de poids, les mâles ne portent ici d'ivoire que dans la proportion d'un sixième de l'effectif des adultes. Les seules occasions, pour un porteur de carabine, de tenir une cible de 1 espèce sous son guidon, ne peuvent guère se présenter que sous la forme de charges d'animaux surpris et effrayés ou de la rencontre d'un groupe renfermant quelques sujets de mauvais caractère. Pour être rares, ces cas se produisent et, malheureusement, presque toujours ils sont à imputer à des lemelles, ce qui diminue singulièrement l'attrait de l'occasion. Quoi qu'il en soit, il est bon à savoir que le coup à la tête est beaucoup moins dif¬ ficile, généralement, sur l'éléphant d'Asie que sur celui d'Afrique et qu'un projectile moyen, ayant une pénétration suffisante pour atteindre assez profondément la cervelle, met la bête à terre. Rhinocéros (R. Sumatrensis). — Peuplait il y a moins de soixante ans certaines régions au point de les rendre de parcours difficile : le plateau des Boloven en particulier. A disparu à peu près complètement, non pas tant par suite de destruction, dont la valeur de ses cornes était cause, que sous les coups d'épizooties. — 7l — A part quelques unités qui doivent vivre encore près des sources de cer¬ tains affluents du Nam-ou et dans quelques hautes vallées voisines de la frontière chinoise, de problématiques individus situés de temps à autre par les indigènes dans quelque contrefort particulièrement difficile de la Chaîne annamitique, l'espèce n'est plus représentée nulle part. Gaur (Bos Gaurus). — Le plus grand des bovidés Indochinois atteint, dé¬ passe même parfois deux mètres au garrot, à la silhouette caractéristique du bison, mais poil rare, robe noire chez les adultes, roux noirâtre chez les jeunes, le bas des jambes du genou au sabot blanc jaunâtre. Habitat : — Montagnes et collines boisées — ne descend guère aux pâturages de plaines qu'en saison des pluies et de nuit. Se rencontre de la frontière de Chine, à celle du Cambodge et de l'An- nam au Mékong, moins difficilement accessible toutefois dans le sud que dans le nord en raison de la nature des terrains et de la végétation. Bœuf sauvage. — (Plus exactement taureau et vache sauvage, ces der¬ nières ne méi^tent pas toutefois de retenir l'attention du chasseur). Bos Souvaicus. Suit de près le Gaur pour la taille, l'atteint presque pour la masse ; dépasse 1 m. 65 au garrot, bâti en force du train arrière comme du train avant, robe variant du chocolat foncé au gris blanchâtre en passant par le jaune et le roux suivant les régions et l'âge. Contrairement à ce que pourrait laisser supposer l'espèce domestique locale, le taureau sauvage ne porte aucune bosse graisseuse et sa silhouette rappellerait bien plus les gros bovidés du Devonshire que les petits bœufs bossus du Siam ou du Cambodge. Inexistant dans le Haut-Laos, apparaît à la hauteur de Vientiane et se présente en densité croissante en approchant des confins cambodgiens. Buffle sauvage. — Aussi rare en pays laotien qu'il est commun dans certaines plaines herbeuses du Cambodge. Se rencontre cependant deçi, delà, en petits groupes, généralement très farouches ; en dix-neuf années de séjour je n'en ai entendu signaler que deux fois : dans le Haut-Mékong, au sud-est de Ban-houei-sai et dans la moyenne vallée de la Sé-bang- hieng. Les Félins (Tigre, panthère et espèces plus petites). — Très nombreux et partout — mais se laissant voir assez rarement. Sauf les occasions exceptionnelles, le tigre se rencontre il ne se chasse pas. Sort d'assez mauvais gré en battue des fourrés où il passe les heures de jour, ne peut être pris à la piste que dans les conditions favorables rare- — 72 — ment remplies, relève essentiellement, pour la destination, de l'affût de nuit à proximité des victimes, gibier ou bétail, qu'il a abattues. Malheureuse¬ ment, semblable destruction est bien peu sportive. Contrairement à une croyance généralement répandue, il ne se rencontre pas toujours isolément: deux tigres, trois parfois travaillent ensemble et peuvent sortir, en chasse, d'un même fourré. Tout ce qui se dit du tigre peut être, dans l'ensemble, répété pour la. panthère en notant que ce dernier félin dépasse de beaucoup le premier en audace, que là où un tigre hésitera aux abords d'un village ou d'un campement, une panthère blessera un homme ou enlèvera un chien sous une \érandah. Les félins de petite taille, de pelage les plus divers, souvent fort jolis d'ailleurs, sont de tous les terrains et de toutes régions, le plus souvent s esquivent sans être aperçus. Les Cervidés. — En forêt dense, dans les gros taillis ou à leurs abords, se rencontre dans toutes les régions le cerf proprement dit avec ses variétés multiples dont la plus répandue est le Sambour caractérisé ^>ar ses bois à trois branches, soit six andouilles, ce qui exclut pour le chasseur tout espoir d'inscrire à ses tablettes des victimes à multiples ramures, mais dont la taille rachète assez fréquemment la pauvreté du nombre. Sur ce dernier point les autres espèces, en particulier celles dénommées par les indigènes Kouang (cerf) et Kouang-soi-mai, sont encore plus mal partagées, la pre¬ mière ne portant que des dagues courtes et droites sans la moindre ramifi¬ cation, la seconde, des bois un peu plus longs, moins rectihgnes, mais sans plus grand attrait comme trophée. Si les têtes de tous ces cerfs sont souvent très quelconques, les corps atteignent les plus forts poids et donnent une chair susceptible de satisfaire les plus difficiles des amateurs de venaison. La forêt clairière du sud laotien jusqu'à la région de Vientiane, est généralement habitée par un cervidé que les Européens qualifient du nom d'Elan — bien qu'il n'ait avec l'animal du même nom qu'une ressemblance très lointaine, nulle même à dire vrai : la taille n'y est pas, la forme du corps non plus, celle des bois encore moins. Si quelque similitude existe entre ce Cervidé de non clairières et un Cervidé du Canada et de Terre-Neuve, c'est avec le Renne et non avec l'Elan, similitude ne portant strictement d'ailleurs que sur la forme des bois dont le dessin général, sinon la taille, sont presque équivalents. Quant à la masse que représente un beau mâle de notre soi-disant Elan, elle dépasse rarement la moitié de celle d'un fort Sambour. Quoi qu'il en — 73 — soit et malgré cette infériorité, le cerf d' Eld (cervus eldi) n'en reste pas moins le plus joli des Cervidés de nos régions. Il vit en bandes qui atteignaient jadis la centaine, dépassent rarement main¬ tenant la vingtaine et sont composées en majeure partie des femelles dont la taille est d'un tiers environ moindre que celle des mâles. Cette espèce change de robe au moment de la saison sèche pour le pelage moucheté du Daim. A ce changement, inconnu des profanes, beaucoup de gens croient ren¬ contrer des animaux d'une espèce nouvelle. Les plaines marécageuses, certaines du moins, couvertes d'herbes assez denses, constituent l'habitat ordinaire du cerf dit de marais (cervus porcinus), très répandu en Cochmchme et au Cambodge, mais rare ici. Depuis qu'entre 1895 et 1902 des épizooties ont détruit le très riche peuplement de l'espèce qui caractérisait jadis la faune du plateau des Bo- ioven, le Laos est assez pauvre en cerfs de marais, je pense que l'arnère- pays de Bassac (rive droite Mékong) doit rester le seul, ou presque, à offrir quelque ressource à l'amateur recherchant ce gibier. Il constitue une pièce d'exceptionnelle qualité pour la table. Un peu partout, au plus épais de la grosse forêt comme dans la brousse proche des villages, ou voisinant avec les cultures, le Chevreuil (Cervulus aureus, Cervulus rnuntiac) tantôt offre à la carabine une de ses plus sportives utilisations, tantôt, au chasseur, l'agréable possibilité de clore une journée de bredouille par un excellent gigot. De beaucoup le plus petit par la taille, le Tragule, improprement connu sous le nom d'Agouti, clot la série des Cervidés laotiens. Il n'habite que les fourrés denses, et relève du fusil de chasse, au même titre que le lièvre qu'il ne dépasse guère m en poids ni en taille. Suidés ou Porcins. — Sangliers et cochons sauvages de taille moyenne ou grande, à chair rouge comme à chair blanche (ces derniers en énorme majorité) sont de partout et, partout la plaie des cultures. Ils donnent au chasseur l'occasion fréquente de bons coups de carabine mais auxquels, le plus généralement, la table a bien peu à gagner. L'effectif d'une bande peut atteindre, si j'en juge par mes propres constatations, la cinquantaine. J'ai vu des terrains ravagés de telle façon que j'admettrais volontiers, qu'occasionnellement, des groupes puissent être plus nombreux encore. — 74 - L'ours noir à collier blanc (Ursus labiatus malayanus) se trouve sous toutes les latitudes dans les forêts laotiennes, eh montagne plus fréquemment tou¬ tefois qu'en plaine. De lui on peut dire ce que l'on dit du tigre : bien peu rare mais que l'on rencontre rarement, ce que les indigènes apprécient hau¬ tement d'ailleurs, car ils le redoutent autant que les félins, prétendant même qu'il attaque plus volontiers, ce que d'assez nombreux exemples confirment, en quelques régions du moins. Moins généralement répandues sont les autres espèces : Ours brun de taille supérieure au précédent. Ours brun de petite taille dénommé Ours-chien par les indigènes. Les Canidés sont représentés par diverses variétés de chiens sauvages dont la plus répandue habite les forêts clairières et les bois épais mais de peu d'étendue. La taille est intermédiaire entre celle du Renard et celle du Chacal, la silhouette empruntée également aux deux. Dans les gros massifs forestiers et en montagne, une variété plus forte de taille et d'appétit : le Canis aureus, détruit de grosses quantités de gibier. L'animal est intermédiaire comme puissance entre le Loup et le Renard d'Europe. Si l'on néglige les multiples représentants de la race des singes gros et petits, qu'aucun vrai chasseur ne tire, les Loutres, les Blaireaux, les Mus- iêlidés de toutes tailles et de tous poils, il suffit, pour clore la liste des animaux de chasse de taille moyenne, de citer, en lui faisant une place à part : le Memorharde (memorhardus sumarensis) généralement peu et mal connu, plus répandu que d'aucuns ne supposent. Si on la voit rarement et qu'on en parle peu, c'est que cette antilope (la seule d'Indochine) habite les flancs escarpés des montagnes rocheuses et qu'elle ne descend qu'assez rarement aux altitudes voisines des plaines. Sa taille est celle d'un cerf moyen; la tête, très petite pour le corps, est ornée de cornes creuses rappelant, en un peu plus grand toutefois, les tiophées d'Isard ou de Chamois. Un Leporide tenant du Garenne par la taille et le pelage, du Lièvre par sa constitution, son habitat et ses habitudes, est connu dans tout le bas et moyen Laos. Au nord de la province de Vientiane, il est inexistant. Le Paon se rencontre partout, voisinant avec Coqs et Poules sauvages. En forêt dense, sous toutes les latitudes, vivent plusieurs variétés de fai¬ sans gris argenté; l'Argus est beaucoup moins régulièrement réparti. Quatre ou cinq variétés de Perdrix et de Francolines, les Ramiers, Pa¬ lombes, Pigeons verts et Tourterelles terminent la série des espèces séden¬ taires. — 75 - Parmi les migrateurs, il faut citer : La Bécasse dont la rencontre en pays laotien est une bien rare exception hors de ses lieux de repos favoris ; la Bécassine simple ou double que le mois d'août ramène chaque année dans les rizières de toutes latitudes, rizières qu'elle quitte en octobre-novembre pour terminer son séjour autour des étangs et des poches marécageuses. En novembre, elle disparaît ne laissant de ci, de là que quelques unités- de caractère exceptionnel passant toute 1? saison sèche soit sur les berges d'un cours d'eau, soit dans les boues d'un marais. La petite Caille est répandue partout ; la grosse (de la taille de celle du nord d'Afrique et de l'Europe) est plus rare : ce n'est guère que dans le nord et en quelques régions qu'elle justifie qu'on s'occupe spécialement d'elle. Le gibier d'eau est représenté par les Sarcelles, Canards de trois ou quatre variétés allant de la taille d un beau Colvert à celle d une petite tourterelle, par les Poules Sultanes, les Poules et Raies d'eau, etc... Comme le Caïman très abondant sur le Mékong et ses affluents, les Hérons, les Pélicans, les Cigognes, les Marabouts, les Grues cendrées, les Aigrettes, vraies ou fausses, sont 1 occasion fréquente de coups de fusil ou de carabine, pour le chasseur en déplacement. Les saisons de chasses varient avec le mode de chasse plus encore qu avec les espèces auxquelles on se propose de s'attaquer ; la saison sèche est plus spécialement propice aux battues, la période pluvieuse aux poursuites à la piste. Mais pour ces dernières, de beaucoup les plus passionnantes, il y a lieu de tenir compte qu'en août et septembre, les pluies sont si intenses que la forêt est peu habitable et que la lecture des traces devient impossible sur le sol couvert d'eau. Aux amateurs ne reculant pas devant les longues poursuites au plus dut- soleil, devant les campements en forêt, loin de tous villages, nous conseille¬ rons ainsi les premières pluies d'avril à juillet et les dernières d octobre. Les battues, en forêt épaisse, peuvent se faire aussi bien en décembre qu'en mars, ces dernières parfois cependant plus fructueuses parce que pouvant porter sur des lots que les incendies de brousse ont enrichi de tout ce que le feu a chassé des clairières ou plaines herbeuses des alentours ; hors cette réserve, décembre et janvier mériteraient la préférence de tous ceux qui apprécient à sa juste valeur notre hiver laotien. Tous les grands animaux blessés, quelquefois seulement tirés, de \'Elé¬ phant au Sanglier, en passant par les bovidés et les félins, peuvent être — 76 — dangereux et doivent être toujours tenus pour tels; un Tigre foudroyé d'une première balle, un Eléphant en chasse s'écroulant d'un coup à la tête doivent toujours être « assurés » d'une seconde balle tirée de près et placée très exactement au bon endroit. Non tirés, simplement surpris, l'Eléphant, le Buffle, le Gaur, l'Ours, le Rhinocéros peuvent charger, les exemples n'ent sont pas rares; Tigres et Panthères peuvent réagir de même, mais chez eux, la charge est plus souvent un geste d'attaque que de défense. Les grands félins du Laos ont généralement bonne presse et il est juste de reconnaître que les victimes humaines sont plutôt rares dans les régions ou Tigres et Panthères abondent. Il est bon cependant de ne point oublier là, onze hommes ou femmes dévorés, en 1921, par trois Tigres, chassant en¬ semble, et cela en quelques semaines ; ailleurs, dix ou douze Khas tués ou blessés par une vieille Panthère-, là encore, ce Tigre barrant un sentier et faisant sa proie de tout colporteur ou caravanier tentant de s'y aventurer. Quelles armes employer ? Le fusil de chasse, s'il constitue seul l'arme¬ ment du chasseur, ne doit pas être d'un calibre trop petit. Le 16 ou le' 20 peuvent suffire si le détenteur entend ne pas user de la chevrotine, le 12 s'impose dans le cas contraire. Pour la carabine, si elle doit être également unique comme arme à balle dans l'arsenal du débutant sur le gros, ne pas oublier qu'elle doit être suf¬ fisante pour les cas majeurs, ce qui exige, à mon expérience le 450 ou 400 anglais dans les armes tirant la Cordite ou la Bn 3 f. r. (vitesse 600 à 650 m. ), le 500 lourd ou le 577 dans les carabines utilisant la noire ou la J° (vitesse 450 à 500). En tous cas, il est prudent de ne jamais descendre, pour une carabine unique destinée à faire, le cas échéant, grosse et dangereuse besogne, au-dessous de la 405 Winchester, ou des armes tirant cartouches équivalentes, en donnant toutefois la préférence à celle dont la puissance de choc n'est pas obtenue par la vitesse presque seule au détriment du poids du projectile : la masse de celui-ci est indispensable pour pousser suffisamment loin le travail dans l'organisme. Les balles plumes, même lancées par des vitesses supérieures à 750 m., sont à réserver, pour ceux que les 600 et 550 m. classiques ne satisfont pas, au moyen gibier non dangereux. Un dernier conseil enfin pour le touriste auquel deux armes sembleraient excessives et qui désirerait cependant pouvoir risquer avec succès quelques cartouches sur le gros : un calibre 12 genre Paradox utilisant la balle co¬ nique dans un des canons (celui que le chasseur a coutume de tirer le premier), donne aux courtes et moyennes distances précision et choc capables d'abattre les représentants des plus fortes espèces ». — 77 - Petit lexique laotien. Le voyageur de passage au Laos aurait avantage à pouvoir échanger quelques mots avec les indigènes qu'il rencontrera. La langue laotienne est iacile. Aucune conjugaison ni modification des mots qui s'ajoutent simple¬ ment, bout à bout. En voici quelques-uns : Je, moi Khoï. Vouloir Yâk. Aller Paï. La-bas Phoun. Un peu Thiak noï. Oui Dôï, eu. Non, pas Bo. Pouvoir Daï. Pourquoi Péniang. Qui ? Phou-daï. Où ? You-saï. Quoi, quel Inhiang. Arrêter Saou. Vite Vaï-vaï. Assez Pho-lêo. Combien Thiak. Quel prix ? Tho-daï. Merci Khop-thiaï. Adieu La-neu. Faire Hét. Maintenant Dîo-ni. Demain Mu-une. Manger, boire . . . Kinn. Riz Khaou. Eau, rivière Nam. Feu Faï. F usil Pune. Tirer Nhing. Animal Tô. Mort Taï. Vous, toi Thiao. Il, lui ■ • • Mann. Venir Ma. Ici Ni, phi. : Déjà, fini Léo. Homme Khonn. Femme Mê-nhing. Voiture Kien, lott. Pirogue Hua. Caisse Hip. Maison Huen. Village Ban. Dormir None. Malade Thiép. Prendre Aou. Donner Haï. Argent Ngeun. Piastre . Kîf, lien. Un Nung. Deux Song. Trois Sam. Quatre Si. Cinq Ha. Six Hok. Sept Thiét. Huit Pêt. Neuf Kaou. Dix Sip. Cent Hoï. Mille Phane. - 78 - Hôtels — Bungalows. —- Salas. Le Laos ne possède pas encore de grands hôtels modernes. Cependant, on trouve maintenant, dans toutes les villes importantes, un bungalow con¬ fortable, géré sous le contrôle administratif, et, dans les localités secondaires, des salas ou maisons de passagers pouvant servir d'abris provisoires aux iouristes. Voici, en remontant du sud au nord, la liste de ces établissements, avec l'indication de leurs aménagements et s'il y a lieu, de leurs tarifs: Sala de Khone. — Abri gratuit, sans aménagement. Sala de Khong. — Abri gratuit, deux chambres sommairement aménagées. Hôtel Ky-Kèo, à Pa\sé. — Chambre et pension 4 S 50 et 5 $ par jour ; Chambre sans nourriture >, 1 50 et 2 par jour; Petit déjeuner 0 30 : Déjeuner . 1 30 Dîner 1 50 : Vin — la 1/2 bouteille 0 35 Garage pour 5 voitures 1 00 par jour ; Location de bicyclettes 1 00 par jour. Bungalow de SaOannakhet. — Quatre chambres avec cabinets de toilette, eau courante, douche, salon, salle à manger, garage, cuisine. Chambre 1 $ 50 par jour ; Pension 1 50 par repas. Hôtel Nam-Hao, à SaVannakhet. — Quatre chambres ordinaires — mêmes tarifs qu'au bungalow. Hôtel Hù, à Satiannaphet. — Trois chambies ordinaires — mêmes tarifs qu'au bungalow. Maison de passagers de Tchépone. — Deux chambres sommairement meu¬ blées, sans linge ni cuisine... 1 $ par jour. Bungalow de Thakhep — Immeuble neuf — Hall, salon, salle à manger, bureau, quatre garages fermés, etc... huit chambres avec cabmet de toilette, salle de bains. Chambre pour une personne ... 2 $ 00 par jour ; Chambre pour deux personnes— 2 50 par jour; Lit supplémentaire 1 00 par jour ; ( - 79 - Lit d'enfant 0 50 par jour; Petit déjeuner 0 40 à 1 $ ; Repas sans vin î 80 par repas. Bungalow de Napé. — Salle à manger, salon, huit chambres, salle de bains. Chambre pour une personne . . . 2 1 5 00 par jour; Chambre pour deux personnes... . 3 00 par jour ; Lit supplémentaire 1 00 par jour ; Lit d'enfant 0 50 par jour; Petit déjeuner 0 40 à 1 $ ; Repas sans vin 1 80 par repas Salas-abris sans aménagements sur la route de Thakhek à Napé aux kilo¬ mètres 27 (Ban-khmg), kilomètre 38 (Na-thuong), kilomètre 66 (Nhomarat), kilomètre 86 (Nakay), kilomètre 101 (Nam-teune), kilomètre 1 14 (Nam-miên), kilomètre 132 (Keng-deng). Bungalow de Vientiane. — Salle à manger, six chambres. Chambre pour une personne . . . 2 | -xzr? o o "O p >-< jour ; Chambre pour deux personnes — 2 50 par jour ; Petit déjeuner 0 40; Repas sans vin 1 90 par repas Chambre au mois 30 00; Pension au mois, sans vin 60 00. Hôtel du Mékong à Vientiane. — Salle à manger, deux chambres som¬ mairement installées. Chambre 1 $ 50 par jour ; Repas sans vin i 50 par repas ; Pension au mois .... . . 50 $ ; Pension au mois avec chambre . . 75 Maison de passagers à Xieng-khouang. — Trois chambres sommairement meublées — pas de nourriture. La chambre 1 $ 00 par jour Maison de passagers de Luang-prabang. — Installation sommaire et gra¬ tuite. Bungalow de Luang-prabang. — Un bungalow moderne, sur le modèle de celui de Thakhek, sera achevé à Luang-prabang en 1931. — 8o — Dans les provinces et localités non encore pourvues de locaux pour les voyageurs, ceux-ci sont tenus de camper dans les chaloupes ou pirogues, ou de s'adresser aux autorités françaises et laotiennes pour faciliter leur séjour. Ii est recommandé de n'user de l'hospitalité indigène, surtout dans les pagodes et maisons privées, qu'avec la plus grande discrétion, pour éviter de heurter les traditions et superstitions locales. Itinéraires. Il nous reste à étudier les principaux itinéraires d'accès au Laos et les moyens pratiques de visiter les curiosités touristiques de ce pays. Pour le voyageur venant d'Europe, le chemin le plus court pour atteindre le Laos est le réseau ferroviaire des Etats fédérés malais, ayant sa têie de ligne à Singapour, et prolongé par le réseau ferré siamois qui, de Bangkok, prend l'Indochine à revers. Débarquant à Singapour, à 23 jours de Marseille, le touriste sera en deux jours à Bangkok, grande capitale de 600.000 habitants, pittoresque et monumentale. De là, il pourra arriver en quelques heures à la frontière du Cambodge à Aranhia, d'où une automobile le conduira le jour même aux ruines d'Angkor. La ligne d'Oubone, et la route de Phi-moun à Paksé lui permettront d'arriver en deux jours à ce chef-lieu du Bas-Laos. La voie en construction de Khorat vers Khonkèn et les pistes qui la pro¬ longent, en saison sèche, jusqu'à Nongkhay et Vientiane, ou jusqu'à Tha- khek mettent ces localités à trois jours de Bangkok. Enfin, le chemin de fer du nord-siamois qui atteint Xieng-mai, détache de Lakhon-Lampang une route qui mène à Xieng-raï et Xieng-sen, d'où 1 on peut descendre rapidement le Mékong vers Houei-saï, Luang-prabang et Vientiane, soit en pirogue à moteur, soit en radeau. Mais l'avance momentanée prise par les voies de pénétration siamoises sur nos routes indochmoises ne compense pas pour le touriste, l'agrément de voyager en terre française et d'y trouver les commodités et habitudes de notre pays. Aussi, conseillons-nous d'allonger de deux jours la traversée maritime, de Singapour à Saïgon et d'aborder l'Indochine par sa vraie capitale commerciale en même temps que par sa plus importante cité. La traversée du Siam et de la péninsule malaise peut être réservée pour le retour. A Saïgon, le Bureau du Tourisme Indochinois installé à l'Hôtel Con¬ tinental, en plein centre de la ville, fournira au nouveau débarqué toutes précisions désirables pour régler le programme de son séjour dans la Colonie. ■ Luang-Prabang. — Le Phou-Si (Vue prise du Palais du Roi). ■ — 81 — En ce qui concerne plus particulièrement la visite du Laos nous propo¬ serons cinq itinéraires principaux : 1 0 Remontée du Mékong de Saigon à Xieng-sen ; 2" Piste de saison sèche, parallèle au Mékong, de Saigon à Tha- khek ; 30 Route de Tourane à Savannakhet ; 40 Route de Vinh à Thakhek ; 5" Route de Vmh à Luang-prabang par le Tran-ninh et retour par le Mékong ou par le Siam. Voici, tout d'abord, les tarifs de transports de la Compagnie saïgonnaise de Navigation, sur la ligne de Saigon à Luang-prabang : Saigon — Phnom-penh 350 kilomètres. ( ' classe . . (Nourriture comprise). ) c asse ( j classe Excédent de bagages — la tonne ou le mètre cube .... 1re classe 2" classe 3° classe Excédent de bagages — la tonne ou le mètre cube .... Phnom-penh — Khône 400 kilomètres. (Nourriture comprise). I V classe . . . (Nourriture en supplément). ) \ classe ^ . { 3 classe Excédent de bagages — la tonne ou le mètre cube Paksé — Savannakhet 250 kilomètres. | ' e c"asse (Nourriture en supplément). * C aSS" Khône — Paksé 1 30 kilomètres 3° cl classe Excédent de bagages ■— la tonne ou Savannakhet —- Vientiane 460 kilomè- ,( 110 classe très ! 2 classe (Nourriture en supplément). ( 3° classe .... Excédent de bagages — la tonne ou le mètre cube Vientiane — Luang-prabang 430 ki- ( 1re classe . . . lomètres 2e classe (Sans nourriture ni couchage). ( 3e classe Excèdent de bagages — la tonne ou le mètre cube 27 1 i 03 16 22 6 49 10 81 27 71 16 52 8 45 25 98 11 12 6 80 4 14 25 74 18 36 10 88 6 80 27 20 35 24 20 88 13 05 52 20 31 : $ 04 18 40 11 50 46 00 — 82 — , , , , v- I Ce bief n'est desservi que par des Lmang-prabang — rioueisai — Aieng- \ . .... , -, < embarcations administratives ou ssn pcU kilométrés ; , , , . ( louees a titre prive. La franchise de bagages accordée aux passagers est de : 1re classe 100 kilos ; 2° classe 60 kilos ; 3° classe 20 kilos. Les excédents de bagages sont taxés d'après les tarifs du tableau ci- dessus. En amont de Khône, les repas sont comptés en supplément, au tarif sui¬ vant : 1 "! classe 2 $ 00 par repas. Pont européen 1 00 — Pont indigène 0 40 — Sur les parcours en pirogue, la Compagnie de transports ne fournit pas la nourriture ni le matériel de couchage. Les voyageurs doivent être accompa¬ gnés d'un domestique et munis de matériel et de provisions pour assurer leur campement et leur subsistance aux escales des convois de pirogues, à midi et le soir. A cet effet, la Compagnie fluviale accorde un passage gratuit pour un domestique indigène aux voyageurs munis d'un billet direct sur un parcours comportant un trajet en pirogue. Itinéraire n° 1 Remontée du Mékong de Saigon a Xieng-sen La Compagnie Saigonnaise de Navigation, (ex-Messageries Fluviales de Cochinchine) subventionnée pour les transports entre Saigon et Luang-pra- I bang, assure le départ de Saigon pour le Laos le samedi à 21 heures, par de gros vapeurs confortables qui arrivent à My-tho, sur le Mékong, le lende¬ main dimanche, à la première heure. Les voyageurs qui désirent éviter cette nuit de navigation dans les arroyos de la basse Cochinchine, peuvent pren¬ dre le tram à Saigon le dimanche matin à 7 heures et rattraper le bateau à My-tho à neuf heures. - 83 — De là, le vapeur remonte le bras principal du delta du Mékong, fait escale aux jolis postes de Vmh-long et Sadec et arrive à Phnom-penh le lundi matin. La spectacle de la ville monumentale, vu du confluent des Quatres-Faces, sous le soleil matinal, est un des plus saisissants qu'on puisse admirer en Indochine. Le touriste a le temps de visiter rapidement la capitale du Cambodge, le Jardin de Wat-phnom et le Palais Royal avant de s'em¬ barquer, le soir même à 16 heures, ou le lendemain matin, selon les saisons, sur un navire à fond plat, assez bien aménagé, qui le conduit à Kratié, en vingt-quatre heures. A partir de Kratié, les chaloupes ne naviguent que de jour et éteignent ieurs feux à l'escale du soir; l'horaire varie suivant les saisons; il faut envi¬ ron deux jours pour atteindre Stung-treng et Khône-sud en remontant les durs rapides de Sambor. Le transbordement entre Khone-sud et Khone-nord (7 km.) se fait im¬ médiatement par voie ferrée, aux tarifs suivants : 1"" classe 0 $ 40 2" classe 0 25 3" classe 0 15 Les chaloupes en service sur le Mékong laotien, en amont de Khone jusqu'à Vientiane, sont des vapeurs de 120 à 150 tonnes, longs de 35 mètres, larges de 5 ou 6 mètres, calant 1 mètre et filant 10 à 12 nœuds, grâce à leurs deux hélices actionnées par des machines de 300 à 800 chevaux-vapeur. Leurs aménagements sont suffisants pour plusieurs pas¬ sagers, mais pourraient être améliorés dans l'intérêt du tourisme, sans risque de luxe superflu. La remontée d'un fleuve dure, de Khône à Paksé un ou deux jours sui¬ vant la saison, de Paksé à Savannakhet deux ou trois jours en franchissant ies gorges sauvages des rapides de Khemmarat, enfin de Savannakhet à Vientiane quatre jours. En saison des crues, les chaloupes poursuivent même jusqu'à Khok-pheung, à 40 km. en amont de Vientiane, au seuil des rapi¬ des du Haut-Mékong. Mais plus on remonte vers le nord, plus s'élève l'arrière-plan des montagnes altières qui semblent interdire l'accès de leurs défilés. Au-dessus de Vientiane, l'ancien système des convois de pirogues à rames qui mettait 20 à 25 jours pour atteindre Luang-prabang a été remplacé depuis 1930 par des pirogues à moteur qui accomplissent ce voyage en cinq jours à la montée et en deux ou trois jours à la descente. - 84 - De Luang-prabang à Houeisai et Xieng-sen, aucun service régulier ne fonctionne encore, mais on peut parcourir ce bief en pirogues de location ou en pirogues à moteur dont l'administration locale généralise l'emploi sur le Haut-Mékong et ses principaux affluents. De Xieng-sen, il est possible de gagner Bangkok par route et chemin de fer siamois, ou de descendre le Mékong et d'emprunter pour sortir du Laos une des routes françaises énu- mérées aux itinéraires nos 2, 3, 4, 5, ci-après. Au point de vue touristique, outre les paysages et rapides du fleuve lui- même, la remontée du Mékong, objet de l'itinéraire n" 1 proposé ci-dessus, permet d'accomplir aux escales, les excursions suivantes : 1 0 De Khône-nord : La visite des cataractes de Khône s'impose. Ce seuil rocheux d'où le Grand Fleuve saute du plateau laotien dans la plaine cambodgienne, barre le Mékong sur douze kilomètres de largeur et divise ses eaux tumultueuses en multiples bras. Chacun de ces torrents écumants franchit l'obstacle à sa manière, soit par une pente raide encombrée de roches, soit par une véritable chûte verticale de 1 5 à 1 7 mètres de hauteur. Le spectacle est toujours impressionnant et mérite la brève excursion de quelques heures, aller et retour, nécessaire pour atteindre les principales chûtes dénommées : Phaphéng, Salaphè, Somphanit, Sang-phuek. Les visiteurs trouveront tous renseignements complémentaires à l'agence de la Compagnie fluviale et au bureau de la Gendarmerie de Khône-nord. 2° De Pa}(sé : A) Promenade sur le plateau des Bolovens, 100 kilomè¬ tres aller et retour en cinq heures d'automobile, visite à la station d'altitude de Ban-nhick, village Boloven situé à 700 m. d'altitude et d'où l'on dé¬ couvre une vue panoramique sur la vallée du Mékong et les montagnes de Bassac ; on pousse une pointe jusqu'à Pak-song, sur le plateau, à 1.200 m. d'altitude, dans un climat tempéré. C'est le point de départ éventuel pour les grandes chasses en pays kha, dans les provinces de Saravane et d'Attopeu. B) Excursion d'une matinée aux ruines Khmères de Wat-phou, implan¬ tées à flanc de colline, sur la rive droite du Mékong ; beau vestige archi¬ tectural de la grande époque d'Angkor. C) Pour les voyageurs disposant d'assez longs délais, une randonnée plus sérieuse peut être accomplie de Paksé aux grandes ruines Khmères de Phrah- Vihéar, accrochées au bord de la falaise des monts Dangrek, à la frontière du Cambodge et du Laos siamois. Ces ruines sont situées à 1 50 km. à vol d'oiseau, au sud-ouest de Paksé; on peut se rendre en automobile jusqu à - 85 - Phi-moun, près d'Ou-bone, terminus du chemin de fer siamois de Bangkok et effectuer le reste du voyage à cheval (100 km.) en direction sud. Le temple de Phrah-Vihéar bâti en nid-d'aigle à 300 mètres au-dessus des forêts désertes du Cambodge, représente une des plus étonnantes réali¬ sations de l'art Khmèr ancien. 3° De Tha\heb_: Il est possible d'aller en automobile voir les forêts de pins du plateau de Na-kai, ou les mines d'étain de Nam-patène, situées, les unes et les autres, à 80 kilomètres de Thakhek, en passant par les défilés des montagnes calcaires. 40 De Vientiane : La ville du Santal ; Consultation du bureau local du Tourisme à la Résidence supérieure ; visite de la charmante capitale du Laos, de ses faubourgs et de ses vieux monuments : Wat-phra-kèo, Vat-sisaket, Vat-phia-vat, Vat-klang, That-luong, etc...; fêtes laotiennes énumérées au chapitre 2 ; Excursion facultative aux ruines de Saiphong difficilement accessibles et dont il ne subsiste presque rien ; promenade dans la riche vallée de la Nam-ngume et à la future station d'altitude du Phou-khao-khoai (80 km.) ; tournée en automobile au Nam-lick et au gros village Thai- neua de Vang-vieng, situé au pied des montagnes à 150 km. au nord de Vientiane sur la route de Luang-prabang, actuellement en construction. Un séjour d'une semaine à Vientiane n'est donc pas excessif pour remplir cet emploi du temps. Si vous pouvez, voyageur si pressé, vous affranchir un jour de l'obsession du départ et vous convaincre qu'à l'exemple des Français attachés à cette rive de Vientiane, vous en êtes captif pour toujours, allez seul errer un beau soir sur ce boulevard du Mékong, jusqu'au point où il s'amincit et se perd dans la brousse des villages d'amont; recueillez-vous dans cette solitude, tandis que le soleil déclinant embrase les méandres du fleuve, jette sur ce monde, avant de s'éteindre, comme l'éclat désespéré d'une mourante aurore et plonge à regret derrière les cîmes du royaume de Luang-prabang, empor¬ tant le silencieux message de vos pensées très loin vers la Birmanie, vers l'Inde, vers la France. Peut-être garderez-vous de cette heure nostalgique une impression secrète et durable qui surgira plus tard du bagage de vos souvenirs et vous fera revivre avec une acuité lancinante l'agonie d'un jour d'exil sur la ville du Santal. 5° De Luang-prabang : Ascension de la colline sacrée du Phou-si, visite de la ville, des pagodes, du Palais Royal et du marché matinal, rendez- vous mondain des élégantes; fêtes indigènes les plus caractéristiques du Laos, surtout à la pleine lune de novembre et dans les mois d'hiver limpides et tempérés. - 86 — Tous renseignements seront fournis aux voyageurs par les bureaux du Commissaire du Gouvernement. On peut de Luang-prabang entreprendre en pirogue, puis à cheval des voyages intéressants dans les vallées supérieures du Mékong, du Nam-ou, et de la Nam-khane, vers les régions montagneuses peuplées de races variées, aux mœurs et aux costumes extrêmement pittoresques, notamment vers Muong-sing, Phongsaly et Sam-neua. Luang-prabang est le carrefour de toutes les vallées descendues des con¬ fins de la Birmanie, de la Chine et du Haut-Tonkm. C'est la moins acces¬ sible, mais aussi la plus précieuse des cités de légende épargnées par notre siècle, à l'intention des intrépides chercheurs d'imprévu. Montez donc jusqu'à cette capitale du royaume des Millions d'Eléphants et du Parasol Blanc. Itinéraire n° 2 Piste de saison sèche parallèle au Mékong de Saigon a Thakhek. Le jour où sera achevée, empierrée et pourvue de ponts définitifs la piste parallèle au Mékong, de Saigon à Thakhek, elle doublera utilement le fleuve et l'itinéraire n° 1 jusqu'à Pak-hinboun, et permettra de se rendre de Saigon à Hanoi aussi bien par le Laos que par la route mandarine côtière. Pour le moment, l'empierrement n'existe qu'en Cochmchine et partielle¬ ment au Cambodge; mais depuis Kratié jusqu'à Thakhek, le tracé récem¬ ment ouvert n'est utilisable qu'en saison sèche, de novembre à avril et les rivières sont franchies sur des bacs. Dans les meilleures conditions, le trajet complet Saigon —- Thakhek peut être ouvert en automobile en quatre jours, à la vitesse moyenne de vingt- cinq kilomètres à l'heure, au heu de dix ou douze jours par la voie fluviale. Mais, aucun service de transports réguliers ne fonctionne sur cette piste et les touristes sont tenus de se procurer des voitures privées. L'itinéraire évite Phnom-penh et le Cambodge et dessert, entre Kratié et Thakhek les mêmes régions et curiosités que le fleuve ; à partir de Thakhek ou de Pak- hinboun il faut continuer en chaloupe la remontée du Mékong vers Vien- tiane et Luang-prabang, ou bien, renoncer à voir le Haut-Laos et emprunter les routes de Thakhek à Vinh ou de Savannakhet à Quang-tn, pour aller visiter l'Annam et le Tonkin. Une telle détermination n est guère excusable de la part du touriste parvenu jusqu'à Thakhek et pour qui la promenade de Vientiane, aller et retour, n'exige que cinq jours de navigation fluviale. - 87 - Pour se faire une opinion exacte du Laos, il est indispensable de voir Vien- tiane ou Luang-prabang, ces deux anciennes capitales du Royaume de Lane Sang. Précisons enfin que la distance à couvrir par l'itinéraire n° 2, entre Saigon et Thakhek est de 965 kilomètres, au lieu de 1.220 km. en remontant le Mékong. Itinéraire n° 3 Route de Tourane a Savannakhet C'est actuellement l'itinéraire le plus court et le plus pratique pour se rendre au Laos. De Saigon, le voyageur arrive à Tourane par mer ou par terre, à son choix. II peut faire une excursion aux montagnes de Marbre, voisines de Tourane, visiter la ville et le musée Chame et partir ensuite pour Savannakhet en automobile, par une route de 500 kilomètres, empier¬ rée de bout en bout. Il peut aussi prendre le train jusqu'à Hué, Quang-tn et même Dong-ha, point où la route bifurque vers le Laos. Dans les deux cas, il franchira la chaîne du col des Nuages d'où la vue embrasse la baie de Tourane et la côte de l'Océan Pacifique. Il s'arrêtera à Hué pour rendre hommage à cette noble capitale de l'Annam, visiter son Palais, ses tombeaux royaux cachés parmi les collines et les bois de pins, et il appréciera certaine¬ ment la beauté sévère des décors que baigne la rivière des Parfums. Le service hebdomadaire de transports automobiles assuré entre Qfaang- tri — Dong-ha et Savannakhet est réglé en correspondance avec l'horaire des chaloupes du Mékong, lequel varie suivant les saisons et le niveau des eaux du Grand Fleuve. Il convient de se renseigner à Saigon, Tourane ou Hué sur l'horaire en vigueur. Le voyage qui peut s'effectuer en une journée par automobile privée, dure deux jours avec le service public et comporte une nuit d'arrêt à la maison de passagers de Tchépone, premier poste du territoire laotien. Les tarifs de transports, de Dongha à Savannakhet sont de : 1 classe 1 1 $ 81 avec franchise de 15 kg. de bagages; 2° classe 7 $ 38 avec franchise de 10 kg. de bagages; Les enfants de 3 à 7 ans payent demi-place ; Excédent de bagages : 7 $ 38 les cent kilos. — 88 — A partir de Dong-ha, la route s'écarte de la voie ferrée, tourne le dos à la mer et s'enfonce vers l'ouest dans les replis de la chaîne annamitique qu'elle franchit sans peine au col de Lao-bao (420 m.), en traversant des sites alpestres séduisants. Depuis la Sé-banghieng, affluent du Mékong, jus¬ qu'à Savannakhet, s'étend sur 200 kilomètres la forêt clairière, monotone et à peu près déserte que l'on traverse à grande vitesse, en terrain plat. A Savannakhet, la route se raccorde avec les itinéraires nos 1, 2 et 4. Itinéraire n° 4 Route de Vinh a Thakhek Cet itinéraire relie le Laos au nord-Annam, au Tonkin et au port de Cinh-Bênthuy. Jusqu'à l'achèvement de son empierrement, la route longue de 285 kilomètres n'est praticable qu'en saison sèche, de novembre à avril. A cette époque un service public hebdomadaire de transports automobiles 3' fonctionne comme sur la route de Savannakhet. Les tarifs de transports sont de : l,e classe 14 $ 01 avec franchise de 15 kg. de bagages; 2e classe 8 $ 92 avec franchise de 10 k,g. de bagages; Les enfants de 3 à 7 ans payent demi-place ; Excédent de bagages : 8 $ 27 les cent kilos. Une auto particulière peut facilement accomplir en une journée le trajet de Vmh à Thakhek. Le service public fait un arrêt de nuit à Napè où existe un bungalow confortable. Le tracé très accidenté franchit la Chaîne d'Annam au col de Kèo-nua (Napè) à 750 m. d'altitude, retombe à 600 m. sur le plateau de Napè-Nakai, traverse la Nam-kadine sur un bac, se dé- loule ensuite sous de magnifiques boisements de pins, descend brusque¬ ment à 200 m. dans la plaine de Thakhek et atteint cette ville en se frayant d'étroits passages dans un dédale de massifs calcaires, creusés de grottes et de rivières souterraines. Cette route plus pittoresque et plus courte que celle de Savannakhet, se raccorde à Thakhek avec les itinéraires nos 1, 2 et 3 précités. Il y a heu de rappeler que c'est entre les deux routes de Savannakhet et de Thakhek que se construit la voie ferrée de Tan-ap à Thakhek (180 km.) — 89 — qui franchira la chaîne au col de Mugia (400 m.) et reliera le Mékong au Fransindochinois côtier en 1936. A cette date, le voyageur franchira confortablement en vingt heures de wagon les 600 kilomètres qui séparent Thakhek de Hanoi ou de Tourane. Itinéraire n° 5 Route de Vinh a Luang-prabang par le Tran-ninh Lorsque la route de Vmh à Cua-rao et Muong-sen aura été remise en état de viabilité et dotée de ponts solides, l'automobile atteindra en quatre ou cinq heures le pied des massifs du Fran-ninh. En attendant, la voie fluviale du Sông Ca inférieur est utilisée sur 200 kilomètres environ, de Vinh à Cua-rao. Un service hebdomadaire de transports automobiles permet en¬ suite d atteindre Xiêng-khouang, à 240 km. de Cua-rao, en une journée. Les tarifs sont de : 0 $ 15 par kilomètre et par passager européen, avec 1 5 kilogrammes de bagages en franchise ; 0 075 par kilomètre et par passager indigène, avec 10 kilogrammes de bagages en franchise. La route vertigineuse escalade le plateau Mèo, atteint la côte 1.600 m. redescend dans le cirque de Ban-ban, à 700 m. ; remonte à 1.100 mètres sur le plateau du Tran-ninh, parmi de beaux bois de pins et des paysages d'Europe, traverse la fameuse plaine des Jarres, fond d'un lac asséché, parsemé de ces jarres préhistoriques, monolithes évidés, hauts de deux mè¬ tres, dont l'origine et la destination demeurent mystérieuses ; enfin, la route , oblique au sud-est, passe au champ d'aviation de Lat-sen, à la Bergerie et at¬ teint Xieng-khouang, chef-lieu de la province et capitale de l'ancienne principauté du Muong-phouen. De Xieng-khouang, une route inachevée, longue de 1 50 kilomètres, ébau¬ chée à l'état de piste, dévale au sud, par la trouée de la Nam Sane jusqu'au poste de Paksane, sur le Mékong, desservi chaque semaine par les chaloupes de la ligne de Savannakhet à Vientiane. Mais l'itinéraire normal de la visite du Tran-nmh, au départ de Xieng- khouang traverse à nouveau la plaine des Jarres, dominée par une ceinture de montagnes hautes de 2.000 à 2.800 mètres (Phou-sao, Phou-bia) et — 90 — s'élève vers l'ouest à 1.700 mètres d'altitude au terminus actuel de Muong- soui. Ce secteur de route non empierré n'est praticable qu'en saison sèche de novembre à avril. Plus loin, la route est en construction sur les sommets montagneux d'entre Nam-ngume et Nam-khane, d'où elle bifurquera à Ban- done, pour descendre d'une part, sur Luang-prabang d'autre part sur Vien- tiane. En hiver, la température sur les plateaux du Tran-nmh descend la nuit à 2 ou 3 degrés centigrades. Dès à présent, on peut se rendre à cheval ou à pied en deux jours, de Muong-soui à Muong-you, sur la Nam-khane (50 km.) et descendre cette rivière par radeau ou par pirogue, en quatre jours d'une navigation fort pittoresque, pour arriver à Luang-prabang. Après un séjour prolongé dans cette fameuse capitale du Royaume du Million d'Eléphants, on peut remonter le Mékong en pirogue vers Houei-sai et Xieng-sen reliée à Bangkok par route et voie ferrée, ou le Nam-ou vers le V0 Territoire militaire, ou bien redescendre le Mékong vers Vientiane en deux jours de pirogue à moteur, ou en dix jours sur des radeaux faits de pirogues accouplées et surmontées d'une véritable maison flottante; c'est le mode de locomotion idéal pour qui désire admirer la nature à son aise, sans être à l'étroit ni pressé par le temps. De Vientiane, le touriste peut regagner l'Annam ou la Cochinchine par les chaloupes du Mékong et par les routes de Thakhek, de Savannakhet et de Kratié (Itinéraires nos 1, 2, 3 et 4 en sens inverse). Anticipation aéronautique. Pour en finir avec les voies d'accès au Laos, anticipons de quelques déca¬ des sur les progrès de l'aviation moderne, considérons comme périmé de lon¬ gue date le premier service aérien Paris-Saigon prévu pour 1931 et embar¬ quons-nous sur un avion-bolide, à l'aéroport du Bourget. Douze mille kilo¬ mètres en ligne droite nous séparent de l'Indochine; nous allons les franchir d'un seul bond. Nous sommes parés? Attention... Lâchez tout! Le tonnerre des moteurs éclate, la tempête des hélices se déchaîne, 1 avion frémit, roule, glisse, sautille et décolle, c est fait, nous sommes partis ! Quel ascenseur ! Quel vertige ! La terre s'effondre au-dessous de nous, tandis que nous montons dans le bleu. Paris en arrière n'est plus qu'un lac de brumes d'où émerge une torche géante, la Tour Eiffel. Peu à peu 1 oreille s'habitue au ronflement des chevaux volants et au sifflement de l'ouragan sur le fuselage hermétique. N'était le léger balancement de la nef et ses pion- — 91 — geons élastiques dans les trous d'air, l'immobilité semblerait complète. Par le hublot que cingle le vent, l'aile apparaît rigide, à peine frissonnante dans l'armature des haubans. Aucun point de repère n'accuse notre vitesse. Pour¬ tant, voici qu'après avoir exploré tout le domaine solide qui nous porte, le regard atteint le rebord de l'aile et tombe dans le vide. Quelle chute ! Dans la sphère céleste où nous sommes suspendus, les assises de l'univers se colorent en pastel d'une tendre mosaïque de champs et de forêts, criblée de villages lilliputiens, striée de routes blanches, veinée de rivières sinueuses : le clos de la planète glissant imperceptiblement sous nos ailes tendues par l'essor ! Et ce lent déroulement de la terre qui tourne là en bas, à 2.000 mètres dans les profondeurs du gouffre, trahit seul notre course à travers le ciel ! Les plaines de Champagne ; lom sur bâbord la lorgnette détaille une tache grise coiffée de 2 tours de pierres : la cathédrale de Reims. Mais déjà l'horizon se soulève à l'avant en longs plissements boisés : les Hauts de Meuse, l'ancienne frontière, Verdun, Toul, Nancy et la hjgne des forts que flanque comme un glacis la plaine marécageuse de la Woevre... Voici le plateau de Lorraine, Lunéville, Metz, et devant nous un autre obstacle plus imposant que nous dominons sans peine en montant à 3.000 mètres pour éviter les remous : de longues croupes montagneuses, velues de noirs sapins, les Vosges ! Nous plongeons sur la trouée de Saverne et survolons les plaines d'Alsace, un vrai jardm épandu en contre bas, et sillonné dans toute sa longueur par le pâle ruban du Rhin. Voilà Strasbourg d'où jaillit l'unique clocher de sa cathédrale et les ponts de Kehl enjambant le fleuve frontière comme de grosses chenilles. Adieu France ! nous pénétrons en Allemagne. Une plaine toute semblable à l'Alsace : Le Duché de Bade, et encore une chaîne de montagnes boisées analogues aux Vosges : La forêt Noire et encore un vaste plateau symétrique à la Lorraine : La Bavière. Maintenant, toutes les eaux des rivières semblent couler vers l'est à l'appel du Danube qui nous ouvre la route de l'orient. Voici Munich, capitale de la bonne bière. Très loin sur tribord, l'horizon du sud est barré par le formidable chaos des Alpes Suisses, Bavaroises, Autrichiennes, cou¬ ronnées de glaces éternelles et par les cimes déchiquetées des Dolomites au delà desquelles on devine la pure clarté du ciel Latin, l'Italie, le Monde Méditerranéen. Fonçons vers l'est; entre les derniers contreforts des Alpes et ceux des montagnes de Bohême, la vallée du Danube se resserre autour d'une ville géante : Vienne, le Pans de l'Europe centrale, capitale démesurée d une minuscule république, tout ce qui subsiste de l'Empire des Habsbourg. — 92 — Maintenant s'offre à nos yeux l'immense plaine Hongroise si nue, si plate, que les cours d'eaux hésitent en cherchant une pente; c'est la terre des céréales comme la Beauce, mais cent fois plus étendue. Ecartons-nous du Danube, laissons Budapest à bâbord et cinglons au sud- est, vers l'issue de cette plame où convergent tous les fleuves : Danube, Tisza, Drave, Save... Voilà Belgrade et les premiers massifs des Balkans que le Danube franchit aux Portes de Fer, en évitant sur sa gauche les dernières pentes de Transyl¬ vanie, prolongements des Karpates. Laissons à bâbord les plaines de Rou¬ manie, survolons la Bulgarie rattrapons l'Orient-Express qui file au-dessous de nous comme un train d'enfant. Voici la mer : La Mer Noire à gauche, la Marmara en face et, sur la droite, la Mer Egée criblée des Iles de l'Archipel Grec. L'Europe finit en pointe et tombe sur les fossés des Dar¬ danelles et du Bosphore qui unissent les trois mers. A l'angle de la Mer de Marmara scintillent des palais, des minarets, des dômes, des mosquées : Constantmople ! Le temps presse, nous entamons l'Asie. Pas encore l'Asie féconde et luxuriante des moussons, non, mais toute la pauvreté aveuglante du proche- Orient Musulman. Les plaines côtières d'Anatohe se soulèvent en larges plateaux que soutiennent à l'entour de la péninsule des bourrelets de mon¬ tagnes pelées, roussies jusqu'aux majestueux remparts du Taurus. Par une brèche étroite nous tombons sur la plaine littorale de Cilicie. Là passa jadis Xerxès allant à l'assaut de l'Europe. Par là descendit plus tard Alexandre, conquérant de l'Asie. A notre tour nous survolons ces défilés historiques à la poursuite d'autres conquêtes : l'espace et le temps. Sur notre droite, voici encore la mer ; une profonde échancrure où se mirent les neiges du Liban; c'est le Golfe d'Alexandrette, l'extrémité orien¬ tale de la Méditerranée. Après Alep, escale de là Syrie Française, nous affrontons l'immensité de cailloux et de sable qui prolonge vers l'Orient les déserts de l'Arabie et de l'Afrique. Au loin sur tribord, apparaît au milieu des dunes un mirage d'antiquité : des colonnades tronquées, des portiques chancelants, les ruines de Palmyre ! Sur l'étendue fauve du désert cheminent des fourmillements de caravanes en route vers les oasis de l'Eu- phrate, pauvre fleuve bordé de rives sablonneuses et de palmeraies. Plus loin, un autre fleuve l'accompagne, le Tigre, Mossoul Bagdad. Où êtes-vous ruines de Ninive et de Babylone effacées par le temps ! Enfin les deux fleuves s'unissent en un delta marécageux avant de se jeter dans le Golfe Persique dont nous longeons la rive nord ; sur bâbord de longues cordillères s'étagent pour supporter le plateau de l'Iran, fa Perse, guère plus hospita¬ lière que les plateaux d'Asie Mineure. — 93 - Après s'être resserté au détroit d'Ormuz, le Golfe Persique s'ouvre lar¬ gement sur l'Océan Indien. Nous dépassons Karachi, première escale de l'Inde Anglaise, près des bouches de l'Indus et les derniers déserts projetés vers l'est par les influences desséchantes de l'Arabie. Maintenant un air plus humide et quelques flocons de nuages annoncent dans le ciel le changement du climat, La terre au-dessous de nous revêt une somptueuse parure de forêts, de rizières et de jardins. Partout des villages, des cités, des palais et des temples et d'énormes fourmilhères humâmes; c'est l'Inde Noire, la vallée du Gange, le Bengale. A une distance pro¬ digieuse sur notre gauche, au-dessus de l'horizon vaporeux, une interminable chaîne de cimes glacées nous accompagne comme une rivière de diamants, c'est l'Himalaya dont nous nous écartons pour survoler Bénarès la ville sainte, Calcutta et le delta du Gange qui joint au Brahmapoutre, se jette par cent bouches fangeuses dans le Golfe du Bengale. Nous voilà parvenus aux frontières de Birmanie; 1.800 kilomètres seule¬ ment nous séparent en ligne droite de Hanoi, et Vientiane n'est plus qu'à 1.500 kilomètres. Mais ici, l'Himalaya détache vers le sud-est tout un éventail de chaînes divergentes qui vont former la péninsule de Malacca et l'Indochine. Le survol de ces montagnes inhospitalières, séparées par de profondes vallées, n'est pas sans présenter quelques risques et mieux vaut contourner tous ces obstacles en longeant les côtes de Birmanie vers le sud. Sur tribord, l'Océan Indien miroite comme un bain de mercure; enfin, nous atteignons le delta de l'irawaddy, le grand fleuve qui arrose Rangoon, surnommée par Pierre Loti, le pays des Pagodes d'Or. Après l'embouchure du Salouen, second fleuve birman, la chaîne dorsale de la péninsule Malaise s'abaisse et s'amincit, et par dessus ses cimes, nous apercevons déjà de l'autre côté, les rizières du Siam et la mer qui enserre la presqu'île allongée vers Singapour. Nous sautons l'obstacle et arrivons au-dessus de la Ménam. Près ae l'embouchure de cette rivière dans le Golfe de Siam, une ville superbe grandit, avec ses palais et ses pagodes aux tuiles vernissées, jaunes, bleues et vertes, surmontés de flèches éblouissantes comme des glaives de diamant. C'est Bangkok, la capitale du Royaume de Siam. Désormais, la route est libre vers l'est, à part quelques massifs confus qui bordent sur notre droite le golfe enchanteur. Au-dessous de nous, parmi de pauvres rizières et des forêts clairières, passe la frontière de 1 Indochine française. Nous avons certainement pénétré au Cambodge, car cette immense mer intérieure qui blanchit à l'horizon, longue de 120 kilomètres, large de 30, c'est le grand lac Tonlé-Sap entouré d'une ceinture de jungles maréca¬ geuses. Et tenez, à quelque distance de sa rive nord, dans un repli des forêts, quelles sont ces cinq têtes de monstres qui se dressent comme pour — 94 — nous regarder passer? Cinq tiares de pierre grise encadrées de cloîtres à colonnades et de fossés d'eau morte... Angkor-Vat : Les ruines d'Angkor ! Plus haut, par delà le gradin des monts Dangrek, c'est le Laos, Khorat, Vientiane et la route aérienne du Tonkin? Mais poursuivons vers l'est. Nous atteignons l'extrémité des lacs qui par un large effluent vont se vider d'ans un fleuve formidable, large de 2 kilomètres, le Mékong. Devant ce confluent, le fleuve se divise encore pour former son delta et c'est à ce carrefour des quatre voies fluviales que s'élève Phnom-penh, un petit Bangkok, la capitale du Cambodge. Nous approchons du but, le delta de Cochinchine, grenier à riz de l'Ex¬ trême-Orient, se ramifie en multiples embouchures et enfonce ses rizières noyées, ses rives bordées de palétuviers et de palmiers d'eau dans une nappe de boue saumâtre, largement étendue dans l'immensité bleue de l'Océan Pacifique qui nous interdit d'aller plus loin. Virons à bâbord. Sous nos ailes, dans la boucle d'une rivière grouillante de jonques et de cargos, une ville monumentale nous attend, avec ses larges avenues, ses usines, ses édifices, son palais à arcades et sa cathédrale grise et rose qui tend vers nous, en un geste de bienvenue, les flèches aiguës de ses clochers. Attention ! nous piquons vers la rizière ; un craquement, l'avion glisse, roule et s'arrête. Nous sommes à Saigon, tout le monde descend ! Vue générale de quelques installations de la SEEMI. Chapitre VII PRODUCTIONS ECONOMIQUES Un pays vu à vol d'avion : des forêts, un océan de verdure, des pâturages naturels, des plaines de rizières et, sur les berges des fleuves sinueux, de fertiles alluvions annuellement renouvelées par les crues, voilà les éléments tangibles de la prospérité du Laos, tels qu'ils sont apparus à l'aviateur pelletier-d'olsy, quand il survola d'un seul coup d'aile l'Indochine centrale, de Saigon à Hanoi. Ajoutons à ces richesses étalées au grand soleil, les trésors secrets du sous-sol, les mines, espoir du Laos, et nous aurons, de la valeur économique de ce pays, une notion pratique suffisante, qu'il nous restera à développer ci-après. 11 a été dit, à la fin du chapitre IV, combien l'action des Services admi¬ nistratifs du Protectorat avait contribué à la mise en valeur des productions locales, dans les domaines forestier agricole et minier. Nous croyons utile de fournir dans ce dernier chapitre, aux prospecteurs et aux colons, un in¬ ventaire résumé des ressources naturelles du Laos, classées en sept catégories : A) Produits alimentaires ; B) Produits pharmaceutiques et tinctoriaux ; C) Textiles ; D) Résines ; E) Bois ; F) Produits animaux ; G) Produits minéraux. (I) Des éléments de ce chapitre ont été fournis par M. MaLPUECH (Le Laos économique) et par M. GoUBEAUX, chef des Services agricoles du Laos. - 98 — A. — Produits alimentaires Riz. — Comme chez tous les peuples d'Extrême-Orient, le riz constitue l'aliment essentiel du laotien. Toutefois, le riz gluant, utilisé dans le reste