��b�\(YV\ d.C1. Q ':r:DE.'KIC­ CE.P 111111111111�mlilllllllll D 099 0000265 UNIVERSITE DE NICE - SOPHIA ANTIPOLIS Institut d'Etudes et de Recherches Interethniques et Interculturelles Centre d'Etude des Plurilinguismes Agence de Cooperation Culturelle et Technique NORME ENDOGENE ET NORMES PEDAGOGIQUES EN AFRIQUE NOIRE Actes du serninaire de la Baume-Ies-Aix 7 - 9 juillet 1990 BI8LIOTHEQUE: DE L'UNlV[RS!TE SECTION LETTRES 100, 8d Herriot 06200 NICE , 1 AVANT PROPOS Ce compte rendu a ete etabli it. partir de notes manus crites et d'enregistrements daudibilite tres inegale. 11 est done certainement incomplet et peut-etre sur cer- tains points errone, Les rectifications, complements ou commentaires, seraient les bienvenus j il pourrait en etre fait etat dans des correspondances ulterieures, On s'est efforce non de transcrire les debats, tache pratiquement impossible, mais d'en operer une synthese, L'ordonnance generale des seances a ete respectee, mais on a souvent pris des libertes avec la chronologie: des elements d'information epars dans la conversation se sont ainsi trouves regroupes. Nous esperons que la reduction it. I'ecrit de nos interactions orales n'en aura pas trop altere l'esprit ni la teneur. BIBLIOTHEQUE DE L'UNIVERSITE SECTION LETTRES 100, Bd Herriot 06200 NICE 2 I " CADRES SOCIOLINGUISTIQUES ,.� En I'etat actuel de notre information, il semble que la recherche doive s'inscrire sur le plan sociolinguistique dans un espace limite par deux situations polaires : celle de la Republique Centrafricaine ou les domaines qui pourraient etre ceux d'un francais endogene sont apparemment occupes par le sango ou par le dis­ cours mixte dit fransango, et la situation const atee dans le sud du Cameroun (Ie nord etant foulophone) ou existe, selon P. Renaud, une variete camerounaise du francais. Cette variete est caracterisee par des particularites grammaticales et le­ xicales reperables, par l'extension de son emploi, chez les jeunes citadins, it toutes les fonctions qu'assure normalement le parler d'une communaute, et pat sa diversi­ fication en registres nombreux. II y a continuite entre francais "standard", francais camerounais et argots, les membres de 1"'eIite" utilisant la variete locale comme un registre familier. , :' '/ Entre ces deux poles, il reste it situer, compte tenu des competences des partici­ pants au present programme, le Congo, la Cote d'Ivoire, le Burkina-Faso, le Senegal et le Zaire. Pour le Congo, nous disposons de l'ouvrage recent de A. Queffelec (Le Jrant;ai3 au Congo, Paris, I'Harrnattan, 1990). L'auteur signale le taux eleve de scolarisation et la mediocrite de l'enseignement : le francais, largement repandu au Congo, y est mal appris. Ce francais mal appris est utilise par la majorite des Con­ golais comme langue de prestige, mais aussi dans la communication interethnique comme langue neutre (ce que ne sont pas les deux grands vehiculaires africains : lingala et munukutuba). Ce second usage tend it s'imposer comme norme locale, du fait de son utilisation dans l'enseignement et dans les media. Les congolismes le­ xicaux et syntaxiques sont fortements interiorises, meme par les categories sociales les plus instruites. Dans un texte redige il y a quelques mois, J. M. Lescutier evoque pour la Cote d'Ivoire deux centres d'irradiation du francais. L'un de ceux-ci est l'enseignement scolaire qui engendre une nebuleuse de variantes approximatives individuelles j l'autre est l'emploi du francais populaire ivoirien (F. P. I.) marque par une grande variabilite. Entre ces deux centres se situe une zone intermediaire occupee par une masse croissante de locuteurs dont la competence inclut en proportions diverses les productions de l'un et de l'autre. Cette zone est Ie lieu possible d'un processus d'appropriation. Cette appropriation est en cours selon Y. Simard qui parle de francais it norme locale. Au Burkina-Faso, le francais, langue officielle et langue scolaire, est confronte it deux grandes langues locales: le moore it Ouagadougou et en pays mossi, le dioula 3 it Bobo-Dioulasso et dans les territoires de l'ouest, et aussi it un usage populaire, le "francais facon" dont l'importance reste it determiner. On s'attend it trouver au Senegal une situation analogue it celle de la R. C. A., les composantes du repertoire urbain etant le francais, Ie wolof et le franlof. II en va de meme au Zaire ou, it Kinshasa du moins, le francais se trouve en concurrence avec le lingala, langue urbaine, langue de la capitale et langue du pouvoir. II apparait done qu'un facteur determinant le statut sociolinguistique du francais est la presence ou l'absence d'une ou de plusieurs grandes langues africaines as­ sumant les fonctions qui ne sont pas institutionrtellement reservees au francais et eventuellement une partie de celles-ci. Sont egalement importantes les connota­ tions sociopolitiques de ces langues africaines qui peuvent dans une certaine mesure annuler leur preeminence et laisser le champ libre au developpement d'une forme populaire de francais, II convient maintenant de confronter ce schema imprecis aux donnees de I'expe­ rience, Le Za'ire (expose de Madame C. Dousset) II n 'est question ici que de la situation du francais it Kinshasa. D'apres les renseignements recueillis, l'usage du francais est plus repandu it Lubumbashi, ville de tradition universitaire et qui s'oppose comme foyer de culture it la capitale, siege du pouvoir politique et economique. On n'entend pas parler francais dans les rues de Kinshasa; me me dans les ministeres, les entretiens entre fonctionnaires ont lieu en lingala ou dans la langue nationale employee par le chef de service, si ses proches collaborateurs sont de meme origine que lui. II n'y a pas de "petit francais", mis it part les productions approximatives des petites gens en contact avec les residents etrangers. La langue commune est le lingala, metisse de francais en proportion d'autant plus grande que le locuteur maitrise moins bien le parler urbain. L'emploi du Iingaia est une marque dintegration et l'on voit se developper un "petit lingala" qui a pratiquement elimine l 'indoubill, le Iingaia correct etant de moins en moins parle. Pour faire de Ia politi que ou du commerce, pour exercer une profession, le lingala est indispensable, non le francais. Ce dernier, dans son emploi courant, subit d'ailleurs l'influence du lingala, au moins au niveau discursif et lexical et cela jusqu'a la fin de la premiere annee d'universite. Le discours mixte, lingala-francais, sauf dans sa fonction utilitaire ci-dessus evo quee , est peu employe en public. Une enquete serait necessaire pour en evaluer 4 l'importance et en determiner la signification; il s'agit vraisemblablement d'un re­ gistre de discours, peut-etre caracteristique des usages de certains groupes sociaux. Le lieu normal d'apprentissage du francais est l'ecole. Le taux de scolarisation passe pour tres eleve (95 %), mais le francais ne devient langue d'enseignement qu'apres les deux premieres annees d'enseignement primaire. Les enfants entrent a I'ecole avec un bagage d'environ trois cents mots francais, sernantiquement "per­ vertis" par l'usage local. Cette perversion ne sera corrigee qu'a I'extreme fin de la scolarite : elle demeurera vivace jusqu'au niveau de l'enseignement superieur auquel accedent 20 % environ des titulaires du grade equivalent au baccalaureat : les etudiants qui se destinent aux carrieres de l'enseignement ou de l'information pratiquent une langue tres correcte. II n'en va pas de merne pour ceux des filieres conduisant aux sciences et techniques appliquees, II y a une disproportion remarquable entre I'interet porte a l'acquisition du francais et son utilite pratique. Les domaines ou sa connaissance est indispensable (Ie principal etant la politique) sont peu nombreux et pour la plupart hors de la portee de la masse des apprenants. Cependant, toutes les emissions de television et 60 % des emissions radiophoniques sont en francais. Les parents qui le peuvent envoient leurs enfants dans des eccles privees ou ils sont scolarises (avec un succes inegal] en francais. Beaucoup de femmes souhaitent apprendre le francais pour aider leurs fils et leurs filles dans leurs travaux scolaires. II semble que Ie francais soit percu comme une valeur sure dans une situation politique et economique incertaine, etant une langue neutre, exempte de connotations politiques et ethniques. C'est aussi, pratiquement, une voie dacces ala fonction publique et aux avantages sociaux (en matiere de sante notamment) qui y sont attaches. Le Cameroun (expose de Monsieur P. Renaud) Le francais est abondamment parle au Cameroun j on l'entend dans la rue et meme au marche, II est tres rare de rencontrer a Yaounde quelqu'un qui soit dans I'incapacite de repondre a une question posee en francais, Ce francais "courant" est different du francais "standard" dispense par I'ecole dont il n'a pas les connotations sociales et politiques j il est employe par des gens de niveau social different et il est frequent que dans des reunions amicales, des "intellectuels" abandonnent le francais standard pour la variete locale qui se presente ainsi comme l'une des composantes du repertoire dont dispose la societe camerounaise, Cette variete est caracterisee par des particularites grammaticales et lexicales, par sa diversification en registres et par la diversite des fonctions qu'elle assume, surtout chez les jeunes citadins. Elle n'a plus aujourd'hui les connotations pejoratives ("mauvaise education") qui pesaient sur elle il y a quelques annees. 5 II semble que le developpement de cette forme de francais soit a mettre en rapport avec l'affirmation d'un sentiment d'appartenance nationale. Depuis I'inde­ pendance, de tres nombreux jeunes ont ete formes par les organisations gouverne­ mentales; ils sont part age les memes experiences, ont acquis des interets communs et I'identite camerounaise prime pour eux sur I'identite ethnique. Cette appar­ tenance a la communaute nationale se manifeste par la preference a�ordee aux langues vehiculaires "neutres". La OU la scolarisation est faible, ce sont les langues vehiculaires locales qui sont employees: le fulfulde (dans le nord du Cameroun) et le pidgin-english; la ou la scolarisation est forte, c'est le francais camerounais qui I'emporte meme sur des vehiculaires anciennement etablis (ewondo dans le cen­ tre, pidgin a Douala). A Yaounde, une complernentarite s'etablit entre ewondo et francais en fonction de I'age des locuteurs : les fideles ages des Eglises, scolarises par elles en ewondo, continuent a pratiquer cette langue, mais les plus jeunes ont recu depuis I'independance un enseignement en francais et les Eglises, pour ne pas perdre contact avec eux, ont dii en tenir compte. Une enquete recente (mars 1989) montre qu'au marche de Yaounde, le francais est plus employe que Ie pidgin et que l'ewondo y vient en troisieme position. A Douala, le francais est en concurrence avec le pidgin dans l'usage courant, l'ewondo servant de vehiculaire et le douala demeurant l'expression d'une identite ethnique prestigieuse. Des experiences d'enseignement primaire - et secondaire _- en langues locales sont poursuivies dans des etablissements prives ; elles se heurtent a des difficultes, les enseignants devant recourir au francais pour pallier une maitrise insuffisante ou l'inadaptation du code linguistique employe. D'une maniere generale, les pa­ rents d'eleves sont tres reticents a I'egard de cette forme d'enseignement, a cause apparemment des references ethniques qu'elle implique et qui contredisent le senti­ ment d'appartenance a une entite camerounaise. Quant au francais, on continue a attacher le plus grand prix a la correction du standard, mais on pratique communement le francais camerounais qui efface les differences sociales, notamment celles qui se fondent sur le niveau d'education. L'universitaire ou I'Europeen qui veut s 'integrer parle ce francais et tend a en exagerer rneme les particularites prosodiques ou phraseologiques. II �s'agit desorrnais de deux varietes distirictes entre lesquelles on commute. D'autre part on const ate l'emploi sur les marches d'un "petit francais" tres simplifie, utilise eventuellement par des non-francophones (en particulier par des gens du Nord, des Haoussa), que les usagers et les etudiants qui ont pro cede a I'enquete designent par le terrne de "pidgin francais", peut-etre par analogie avec le pidgin-english. Le bien fonde de cette analogie, c'est-a-dire la relative autonomie de ce parler par rapport a la grammaire du francais, devra etre verifie. Le Burkina .. Faso (expose de Madame G. Prignitz) " 6 La Repuhligue Centrafricaine (expose de Madame Wenezoui) Comme le lingala a Kinshasa, le sango est omnipresent a Bangui. Le discours mixte (fransango) est le fait des etudiants et des lyceens. Les cadres moyens utilisent entre eux le sango, avec quelques emprunts au francais : dans un bureau, le francais est employe a titre cl'entree en matiere, puis l'entretien se poursuit en §Mlgo. II est vrai qu'a un certain niveau dans la hierarchie sociale, les gens preferent s'exprimer en francais plutot qu'en sango ; mais il s'agit alors d'un francais proche de la norme academique. L'emploi du francais est en principe requis a I'ecole ; une experience d'enseigne­ ment en sango a ete tentee en 1976 ; elle est demeuree sans lendemain. Cependant, il arrive souvent que dans l'enseignement primaire l'instituteur ecrive en francais au tableau et commente son texte en sango. La radio emet a plus de 60 % en sango ; la television utilise le francais, .avec quelques magazines en sango. Les discours politiques sont en sango, sauf si l'auditoire comprend des etrangers (diplomates par exemple). Le Chef de l'Etat donne deux versions (partiellement differentes ) de ses allocutions, une en francais, l'autre en sango. Le sango est constitutionnellement langue nationale depuis 1963 ; un projet en instance a la Presidence prevoit de lui conferer le statut de langue officielle ; son emploi exprime en tout cas un sentiment tres vif d'appartenance it la nation centrafricaine. Le francais n'en conserve pas moins un grand prestige, principalement parce qu'il permet d'acceder ala fonction publique. Mis a part les Yakoma qui s'occupent traditionnellement de commerce et quelques individus tentes par les profits qu'est cerise procurer Ie diamant, la plupart des Centrafricains souhaitent devenir fonction­ naires. Comme ailleurs en Afrique, le francais demeure la voie dacces a des postes auxquels tout le monde ne peut pas pretendre, mais que chacun reve d'occuper. Le francais au Burkina-Faso est employe a la radio, a la television et de plus en plus, semble-t-il, dans les administrations. Le francais a beaucoup progresse, par rapport it des observations effectuees il y a cinq ans : il est maintenant possible a Ouagadougou d'obtenir en francais un renseignement d'une femme ou d'un enfant, alors qu'il eut ete preferable naguere de s'adresser a un homme de vingt a vingt­ cinq ans. Les gens d'autre part hesitent moins a parler francais ; ils ne sont plus paralyses par la crainte d'enfreindre le bon usage. Ce qui n'a pas change, c'est l'existence de deux poles dont l'un est I'ecole : le taux de scolarisation est passe de 10 % dans les annees 80 a environ 20 %, la propor­ tion des filles ayant nettement augmente. Le francais "ivoirien" constitue l'autre pole, le qualificatif correspond probablement plus a une representation qu'a une 7 realite : tout expression nouvelle est reputee ivoirienne, "de Cote". Deux faits sont nouveaux: l'un est la montee de l'Islam qui touche une partie de la population avec pour corollaire une certaine desaffection a I'egard de la civilisation "moderne", de son appareil social et de I'ecole dont on attend moins ; l'autre est le developpement du secteur d'economie informelle qui a pour consequence le developpement d'un francais acquis hors de I'ecole, nourri probablement par l'apport des emigres revenus de Cote d'Ivoire ou ils ne trouvaient plus d'emplois. Une enquete recente met en evidence I'emergence d'un "mesolecte" francais en voie d'expansion, peu influence par le francais scolaire et qui limite le champ fonctionnel du "petit francais". II y a en quelque sorte centralisation de l'usage du francais, Sur le plan institutionnel, on retiendra surtout I'echec de I'ecole. Une ten­ tative a eu lieu a la fin des annees 70 pour diviser le territoire en trois zones geographiques ou.pendant les deux premieres annees de la scolarite, l'enseignement serait donne dans des eccles pilotes respectivement en fulfulde, en dioula et en moore. L'experience a echoue, a cause du statut tres inegal des langues choisies (Ie dioula langue de commercants, langue urbaine, langue regionale ; le moore langue d'empire, hegemonique ; le fulfulde idiome d'une ethnie rneprisee] et a cause de l'opposition tres vive des parents d'eleves et notamment des fonctionnaires. II existe actuellement un projet d'appui a l'enseignement du francais et des mathernatiques, auquel participe le ministere francais de la Cooperation; il concerne les trois niveaux d'enseignement, primaire, secondaire et superieur, mais surtout le primaire. Le francais apparait comme une langue neutre, surtout pour les gens de l'ouest a qui il permet d'eviter l'usage du moore; il est employe dans les menages mixtes de fonctionnaires et nombre d'universitaires affirment le parler regulierement a la matson. La Cote d'Ivoire (expose de Monsieur Y. Simard) Une enquete menee en 1985 parmi les etudiants de l'Ecole Normale Superieure d' Abidjan a revele que 10 % d'entre eux disaient avoir le francais pour langue premiere. Le francais est en effet tres repandu en Cote d'Ivoire ; le schema propose par J. M. Lescutier : deux poles d'irradiation du francais , ecole et usage populaire (F. P. 1. : francais populaire ivoirien), est certainement correct. Cependant on a tendance a voir encore res choses comme on les voyait au debut des annees 80 : trois grandes varietes de francais, le francais a norme exogene, le francais local ayant ses particularites propres et le F. P. 1., forme basilectale qui s'est developpee en raison de l'essor economique de la Cote d'Ivoire et de l'afHux de populations etrangeres venues des pays limitrophes. La situation a evolue a partir de 1984. La crise economique a provo que l"'ivoirisation", c'est-a-dire le depart des Europeens, cadres techniques des entreprises et enseignants, et leur remplacement par des nationaux. Les classes se sont trouvees confiees a des enseignants formes entierernent en Cote Le francais demeure une langue de prestige ; il est aussi percu comme langue d'unification nationale ; mais il ne s'agit plus du francais norme, Beaucoup de formes basilectales qu'on n'utilisait autrefois que par jeu ou pour s'adresser a des non-lett res sont entrees dans l'usage courant. Elles sont considerees comme nor­ males et personne ne les remarque plus. Le francais imprime dans Ivoire-Soir, jour­ nal publie depuis deux ou trois ans, n'est plus du tout celui qu'utilisait la presse il y a quatre ou cinq ans. Les cadres, les fonctionnaires l'emploient entre eux et me me avec des Francais, II en va de me me dans les debars televises auxquels participent des ministres ou de hauts fonctionnaires. C'est aussi, bien entendu, la langue de la pu­ blicite a la television. Les enseignants qui sortent de l'Ecole Normale Superieure ne disposent plus que de cette variete centrale, intermediaire entre le francais standard et le F. P. I., qui comporte des locutions et des constructions nouvelles issues d'une evolution interne. II y a dissociation a l'E. N. S. entre la langue des professeurs et celle des etudiants. C'est cette derniere qui est enseignee et qui se diffuse ainsi dans toutes les villes. Le phenomene est amplifie par la multiplication des institutions d'enseignement prive engendree par l'insuffisance du nombre des eccles publiques, institutions dont le personnel est tres inegalement qualifie. A Bouake, a Korhogo, les enfants parlent ce francais dans la rue. II est authentifie par l'usage qu'en font les gens qui sont alles a I'Universite et qu'on retrouve dans les entreprises et dans I'administration aussi bien que dans l'enseignement. II est reconnu pour facteur d'identification : c'est la langue des Ivoiriens, par opposition a celIe des ressortis­ sants des aut res etats africains francophones. En revanche le "francais de Moussa;' , pastiche litteraire du F. P. 1., n'est plus reconnu pour typiquement ivoirien : c'est le francais des Burkinabe, specialises dans les petits metiers (rnanceuvres, gardiens, boys, etc) - quoique le francais "ivoirien" doive beaucoup en fait au F. P. I.. : 8 d'Ivoire. D'autre part l'enseignement televisuel a ete supprirne ; tres decrie, il avait du moins le merite de mettre partout en Cote d'Ivoire les enfants en contact avec la norme centrale du francais ; on lui a substitue des instituteurs formes en deux ou trois ans dans les centres de formation pedagogique et qui avaient appris le francais dans les villes. C'est alors que s'est constituee une norme endogene puissante. Les "intellectuels", c'est-a-dire les gens de niveau bacc. + 3, n'ont ete en contact suivi qu'avec le francais de Cote d'Ivoire et tres peu avec le francais a norme exogene, On est done conduit a inclure dans le groupe intermediaire des "lettres" des gens qui ont fait des etudes superieures. \ ) ! ,I 'Ii \ Le dioula, pratique par 65 % de la population, est tres fortement connote. C'est la langue du marche, du commerce et des musulmans du groupe mande, redoutes pour leur puissance economique. La communication interethnique se fait en francais, Institutionnellement le francais, langue officielle, est partout employe dans l'enseignement, mis a part le projet Nord, elabore par 1'1. L. A. (Institut de Linguistique Appliquee) et 1'1. R. M. A. (Institut de Recherche en Mathematiques), de prescolarisation et d'enseignement dans les deux premieres annees du primaire en dioula. A I'Llniversite, seuls sont enseignes le baoule, le dioula et le bete. La radio donne un peu de dioula et cinq minutes par jour d'informations en langues 9 locales, par roulement. Le Senegal (expose de Monsieur M. Daff et de Monsieur P. Dumont) .<-� Au Senegal, le taux de scolarisation est stable depuis plusieurs annees ; il est a peu pres de 40 % pour l'ensemble du territoire avec en moyenne soixante eleves par classe, l'effectif pouvant atteindre parfois cent dix ou cent vingt. L'enseignement est entierement donne en francais et le francais lui-rneme est enseigne, depuis l'abandon en 1981 de la methode du CLAD fondee sur les acquis de la linguistique contrastive, selon diverses methodes anciennes dont I'efficacite se revele mediocre. Elles ne prennent pas en compte les phenomenes lies au contact etroit entre francais et wolof, en particulier l'existence en wolof de nombreux emprunts au francais que les eleves reintroduisent dans leur usage de la langue apprise avec les denotations et connotations qu'elles ont acquises dans leur langue premiere. D'autre part il existe, a Dakar et au Senegal en general, de nombreuses eccles privees qui recueillent les laisses pour compte de l'examen d'entree en sixieme ; elles ne sont soumises a aucun controle de l'Etat. II y a eu dans les annees 1980, sous la poussee des syndicats, un net relachernent de la rigueur pedagogique : lutte contre la "selection-elimination", popularisation de I'ecole democratique. Les eleves ainsi formes sont maintenant a I'Universite, avec une connaissance tres insuffisante de la grammaire francaise et ils sont les enseignants de demain. Des maintenant, le francais qu'on entend a la television, a la radio, dans la rue (de plus en plus rarement), dans la bouche des hommes politiques lorsqu'ils improvisent un discours, n'est plus, comme autrefois, du "bon francais". Un test recernment administre a des enseignants a revele une representation tres indecise de la norme : des constructions fautives sont acceptees et ce sont celles qu'on retrouve couramment dans les copies d'eleves et detu diants. La norme academique du francais n'en demeure pas moins la seule admise : la commission nationale competente refuse formellement toute concession a l'usage local. Les intellectuels senegalais le recusent egalement, quitte a tomber dans l'hypercorrection. L'enseignement en langues nationales, qui a toujours ete experi­ mental, a ete supprirne. II n'y a pas de licences en langues africaines a l'Universite, seulement des cours a option de diola, wolof et sereer. L'exposition au francais demeure forte, grace au cinema et it la chaine Inter de la radio dont toutes les emissions sont en francais. La langue d'usage quotidien est le wolof, parle et compris par 80 % de la population (l'ethnie wolof en represente 40 % environ) et ce pourcentage augmente rapidement. A I'Llniversite, les professeurs ne communiquent plus entre eux qu'en wolof, ce qui net ait pas le cas il y a dix ans. De merne, dans les rues de Dakar, on rencontre de plus en plus de gens qui ne parlent pas francais. Les positions du francais sont menacees meme dans l'administration OU ceux ceux qui, compte tenu de leur st atut et de leurs fonctions, seraient censes l'employer s'entretiennent et donnent leurs instructions en wolof. Dans les classes et les salles de cours, seul en principe le francais norme est admis ; il y a de nombreuses entorses it cela, au benefice du wolof. Les espaces autrefois entierement occupes par le francais sont menaces par le wolof. Parallelement se developpe un discours metisse francais-wolof, tres frequemment entendu. , I 10 � Comme au Zaire, la demande de francais n'en demeure pas moins tres forte. Sauf exceptions, il n'est pas objectivement indispensable, mais on peut toujours en avoir besoin. D'autre part, le wolof, s'il est parle par tout Ie monde, est mal parle par ceux qui ont beneficie d'une scolarisation complete et parfois precoce (des l'age de trois ans dans les ecoles maternelles] et ces gens-lit preferent s'exprimer en francais en public, dans les reunions ou les assemblees ; il en va de meme dans les reunions du Conseil municipal; les communications du parti, les informations de la radio, me me destinees it etre publiees ou diffusees en langues nationales, sont redigees en francais, puis traduites. ; : \ I l 11 DONNEES LINGUISTIQUES Les donnees que nous avons a. recueillir sont de deux sortes : des donnees linguistiques et des donnees psychosociologiques. 11 s'agira ici principalement des premieres, dans la mesure ou l'on peut dissocier ce qui n'est qu 'aspects d'une meme realite, Notre hypothese de travail est qu'il existe dans les etats francophones d'Afrique une forme particuliere de francais, 11 ressort des exposes qui ont ete faits hier qu'il convient de prendre en consideration deux types de situations sociolinguistiques : I'une, representee par la R. C. A., le Zaire et le Senegal, ou le francais souvent mele au discours africain en conserve les formes, et l'autre (Cote d'Ivoire, Cameroun, Congo, Burkina Faso) ou existe une variete locale, manifeste et reconnue. En ce qui concerne ce second cas, il est question dans le projet initial de "francais mesolectal". Ce terme commode n'est peut-etre pas toujours pertinent. Stricto sensu, on ne peut parler de francais mesolectal que dans le cas ou exis­ te une situation de continuum analogue a. celle qu'on trouve dans certains pays creolophones, c'est-a-dire dans le cas ou les variantes observees s'ordonnent entre deux poles auxquels on peut imputer des grammaires distinctes : un pole acrolectal, le francais "standard" qui est celui qu'on est cerise enseigner, et un pole basilectal qui, en Cote d'Ivoire par exemple, est le francais populaire ivoirien (F. P. I.) qu'on peut decrire comme une variete autonome. Le mesolecte est constitue par l'ensemble des variantes qui se situent entre ces deux poles. 11 peut etre con<;u soit comme une zone interrnediaire ou les variantes se definissent par des combinaisons diverses et inegales de traits acrolectaux et de traits basilectaux repartis sur les degres d'une echelle d'implication ; soit comme resultant de "1 'habillage" acrolectal du systeme basilectal : les categories grammaticales et les relations syntaxiques demeurent celles du basilecte, mais elles sont exprirnees par des formes empruntees a. l'acrolecte. Dans les strates superieures du mesolecte, une proportion croissante de formes acrolectales conservent leur valeur grammaticale propre j mais dans cette perspective, Ie francais mesolect al se definit d'abord par reference au basilecte ; ainsi du francais "ivoirien" par rapport au F. P. I.. Ce schema ne convient pas dans le cas ou ce que nous designons par "francais endogene" se situe non entre un acrolecte et un basilecte, mais entre le "francais standard" et le "jargon des commencants", c'est-a-dire des productions approxima­ tives des gens qui acquierent le francais a. I'ecole ou ailleurs. Le francais endogene peut alors etre considere de deux points de vue opposes, qui ne s'excluent pas. 11 peut etre tenu pour une variete du francais standard, un Commentaires 12 francais "avarice" caracterise par un certain degrede fonctionnalisation (c'est un francais qui sert a communiquer, au me me titre que notre francais courant) ainsi que par les incertitudes de l'interlangue des apprenants. On peut y voir aussi un francais africanise, resultant de la reinterpretation de la grammaire et du lexique du francais standard en fonction des contraintes de I'oralite (mais d'une oralite africaine), d'habitudes denonciation anterieurement acquises dans la pratique des langues locales et de modes de conceptualisation africains : il est possible que dans certaines situations, il y ait resurgence en francais de categories et d'operations propres a la langue de substrat , ou communes aux langues de substrat. Cette notion d'africanisation de la langue permet de reintroduire dans le champ de la recherche I'etat de fait constate en R. C. A., au Senegal et au Zaire, auquel le terme de "francais avarice" ne saurait evidemment s'appliquer. II va sans dire d 'autre part que le francais basilectal, la ou il existe, est aussi un francais africanise. En resume, 1 'hypothese est que le francais endogene (ce terme etant pris dans son acception la plus large) sert a communiquer, au contraire du francais standard qui est avant tout une langue d'apparat utili see en situation "formelle". II est d'autre part l'expression d'une culture africaine urbaine qui n'est pas le simple calque de la civilisation urbaine occidentale, mais qui en integre les produits en une combinaison nouvelle. Ce francais repond a des besoins bien definis : son domaine est celui de la vie sociale en ville, non celui de la famille (a de rares exceptions pres) ni celui des relations ethniques. II sert a etablir des contacts (avec les employeurs, les collegues, les clients, les voisins, les .amis, les commercants, artisans et transporteurs, avec les services administratifs, etc) plutot qu'a celebrer des liens sociaux. II est structure selon les fonctions qui lui sont imparties. Utilise par des Africains pour communiquer avec des Africains, it met vraisemblablement en jeu des schemas communicationnels specifiques et il est possible que ce soit la ce qui fonde en partie sa singularite. La distinction proposee entre deux types de situation ne s'applique pas aux membres de la fraction "intellectuelle" de la population qui, dans l'un comme dans l'autre, font entre eux largement usage du francais, Cependant, mis a part une faible minorite daccultures , cet usage ressortit a des strategies langagieres ou le francais joue un role symbolique plus qu'il n'assume une fonction de communication. Au Zaire par exemple, il sert d'entree en matiere dans les echanges entre gens qui ne se connaissent pas, mais qui s'identifient comme eta .nt de me me categorie sociale. Le lingala apparait aussitot qu'on a pro cede a la ratification des identites, quitte a revenir ensuite au francais si le theme de la conversation l'exige. Le jeu des commutations de code implique evidemment de la part des interlocuteurs un savoir part age ; au Cameroun on Ie constate meme en famille. En R. C. A., malgre 13 I'omnipresence du sango, il est des milieux ou l'on peut entendre des conversations entierement en francais, ou en langue vernaculaire si les interlocuteurs sont de me me ethnie, et ou le sango est rarement parle, II serait d'ailleurs interessant de preciser les domaines ou, que ce soit en R. C. A., au Zaire, au Senegal ou ailleurs, on parle francais (standard) et ceux ou l'on utilise le parler "endogene", sango, lingala, wolof ou francais local, de maniere a definir, dans chaque situh"1lion locale, le lieu de I'endogeneite, D'autre part, ce n'est pas parce que la place attribuee par hypothese au francais endogene se trouve occupee par une langue africaine que l'existence d'un tel francais est exclu ; meme si l'emploi du francais est limite a des zones d'usage restreintes, il y a la a quelque degre appropriation. Les deux interpretations proposees pour le francais endogene: francais avarice et francais africanise ne sont pas antinomiques. II ne s'agit pas d'une opposition, mais de deux facons de voir les choses. Un romaniste decrivant le francais tel qu'il est parle en Afrique y reperera des traits qu'on impute habituellement au francais "po­ pulaire" ou familier et dont il trouvera des equivalents en d'autres pays francophones dans des situations analogues. Les memes donnees interpretees par un africa­ niste prendront une coloration differente ; elles evoqueront des manieres de parler frequentes dans les langues africaines. II s'agit tres souvent de tournures autorisees par la grammaire francaise mais qui se trouvent surexploitees en milieu africain parce qu'elle correspondent a des precedes de conceptualisation ou d'expression qui y sont communs. II y a une maniere de se servir de la langue francaise conforme a des habitudes de langage qui, elles, sont specifiquernent africaines. Le francais d'Afrique paraitra banal ou original selon le point de vue de l'observateur. Ce qui nous interesse ici, c'est precisement le point de vue des observateurs africains. Dans la mesure ou ils considerent que le francais local est simplement du mauvais francais, du francais mal appris, ou ils adoptent done la premiere in­ terpretation, nous n'avons pas grand chose a dire. Encore faudrait-il examiner de pres la representation qu'ils se font du francais correct et l'usage effectif qu'ils en font. L'autre possibilite est que les Africains, ou certains Africains, considerent le francais qu'ils parlent comme "le francais de chez nous", et ce n'est plus alors une variete aberrante ; c'est une contre-norme qui est en train de s'etablir et qui reagit stir l'enseignement scolaire de la langue, renforcant et authentifiant ainsi l'usage local. La perspective qu'impose la logique de notre enquete est plutot celle du sociolinguiste que celle du grammairien. On ne peut pas cependant faire l 'economie de la description linguistique : le francais local doit etre analyse de facon objec­ tive, comme le serait rr'importe quelle variete de francais non normatif. C'est dans . l 'interpretation qu'intervient la specificite de la langue, selon le sentiment des 10- cuteurs. II n'est pas impossible d'ailleurs qu'on decouvre dans certaines formes de ce francais des traits tout a fait particuliers dont ne rendent pas compte la gram­ maire et la sernantique du francais, cela peut-etre dans certains pays et non dans d'autres : J. L. Hattiger a mene une enquete de ce genre sur le francais populaire d'Abidjan. Un tel trait pourrait etre la construction de series verbales, precede qui n'est pas exclusivement africain, mais largement represente en Afrique. II est at- 14 : teste chez des eleves europeens de lycees africains, qui le doivent vraisemblablement au francais local et qui en font un large usage. On doit s'attendre, en effet, a ce que des Europeens s'efforcant de parler la variete locale privilegient les tournures qu'ils jugent exotiques. Ce pourrait etre la un theme de recherche: le francais d' Afrique tel qu'il est employe par des non-Africains, reinterprete et systernatise par eux. Le pastiche, per<;u comme une caricature, est mal recu par les locutetrrs africains, mais non pas ce qu'ils considerent comme conforme a la normale : tout depend du degre dintegration de l'interlocuteur europeen et il est possible que toutes les communautes linguistiques ne reagissent pas de la me me facon a cet egard, Dans le cas ou le francais local demeure structuralement proche du francais standard, comme ce parait etre le cas au Senegal par exemple, c'est la maniere dont est construit le discours qui devient I'objet principal d'etude. II faudrait s'interesser prioritairement a des locuteurs qui n'ont pas perdu les usages discursifs propres aux civilisations africaines. D'autre part on peut s'attendre a ce que des particularites qui font reference aux modes de conceptualisation reapparaissent dans le discours spontane d''accultures, et me me parfois a I'ecrit : une enquete menee en Centrafrique l'a montre a propos de l'emploi des connecteurs syntaxiques. II y a done lieu de porter une attention vigilante a des usages grammaticaux qui ne mettent pas en cause le fonctionnement du systeme, mais qui peuvent etre l'indice de processus d'appropriation. Dans la pratique, les questions posees sont : ou trouver des gens qui commu­ niquent entre eux en francais et sur quels types d'usage faut-il axer l 'enquete ? Celle-ci se deroulera en milieu urbain, ethniquement heterogene, donc dans des secteurs ou le critere d'implantation est le niveau des revenus plutot que l'origine regionale ou tribale. On sera conduit a s 'interesser d'autre part aux groupements pour lesquels 1 'appartenance ethnique est un critere moins important que 1 'integra­ tion a la civilisation africaine urbaine: associations de quartiers, clubs sportifs, syn­ dicats, sections du parti, associations de quartier, de femmes, etc. De me me nature sont les services publics: poste, contributions, police, justice, sante. L'orientation pedagogique du projet incite d'autre part a prendre en consideration des gens dont l'usage peut etre a quelque egard tenu pour exemplaire, parce que le prestige dont ils jouissent est lie it une pratique habituelle et legitime du francais, Une enquete est en cours au Burkina Faso, a l'Ecole Inter-etats des eleves-ingenieurs qui recoit pour une formation de trois ans des licencies en sciences et en mathematiques de toute l'Afrique francophone j elle a pour but de determiner s'il s'y constitue un usage interafricain, et aussi dans quelle mesure des usages nationaux (senegalais, malien, etc) y sont perceptibles et percus. U ne recherche analogue pourrait etre effectuee a Kinshasa, a l'occasion de stages d'une a six semaines qui regroupent des professionnels de la communication: cadreurs, preneurs de son, monteurs de films, etc, egalement venus des differents etats francophones. Appartiennent de droit a la population denquete les journalistes, du moins dans celles de leurs activites qui autorisent une certaine spontaneite de langage : comment aires sportifs, faits divers, chronique des tribunaux et, bien entendu, les enseignants. II faut y ajouter les agents de l'administration et les membres des services de sante et bien d'autres , I \"1 .' ,j ., c. 15 encore. Dans tous les cas, il s'agit de determiner non seulement ce que ces gens disent, mais ce qu'ils trouvent normal de dire et de ne pas dire: il a ete suggere de rechercher les traits du francais standard qui sont stigmatises comme "exogenes" par les locuteurs legitirnes du francais local j s'il est avere que de tels jugements sont portes et que des formes et des tournures endogenes sont systematiquernent preferees a celles du standard, on pourra en deduire que ces expressions sont percues comme des marques d'appartenance a une communaute et done comme les elements d'une contre-norme. Un autre moyen d'evaluer le degre d'autonomie du francais "endogene" est d'examiner le comportement des membres de "I'elite" dont le statut social est, pour partie au moins, fonde sur l'aptitude a pratiquer un "bon" francais, Le soin qu'ils apportent eventuellement dans des situations formelles a eviter les tournures locales ou a ne les utiliser qu'a titre de citations implique le sentiment d'une discontinuite. 11 en va de meme de l'usage delibere du parler populaire a des fins rhetoriques ou pour s'adresser a des peu ou non-Iettres. Reciproquement , I'indifference ou les reticences manifestees par certains locuteurs a I'egard de la norme standard (hors des cas ou l'enjeu est tel que son respect devient obligatoire) peuvent etre interpretees comme une revendication de la legitirnite de l'usage local. Les donnees linguistiques pertinentes pour notre recherche ressortissent a la prononciation et a la prosodie, a l'appareil grammatical, a l'organisation du lex­ ique, aux precedes d'enonciation et a la construction du discours. Elles seront recueillies dans un corpus de productions orales : conversations, recits, emissions radiophoniques et televisees, le langage de la publicite present ant un interet par­ ticulier a cause de son role d'amplificateur, de miroir grossissant. On constituera en outre un corpus de productions ecrites en privilegiant celles qui ont chance de refleter un usage oral: certaines chroniques de la presse ecrite, des echantillons de correspondance privee, des travaux d'eIeves et d'etudiants. Le Groupe Aixois de Recherche en Syntaxe se propose de reunir et d'editer un double corpus de francais ecrit et parle qui constituera une reference precieuse pour apprecier I'originalite du francais africain. . 16 PERSPECTIVE PSYCHOSOCIALE L 'appropriation d u francais en Afrique noire et la regulation de ses usa­ � sociaux (expose de Monsieur Ph. Poutignat) 1. - Du point de vue de la regulation des usages sociaux du francais en Afrique noire, son appropriation est envisageable sous deux angles : - Le premier concernera I'appropriation de la norrne externe, en tant qu'elle constitue un scheme cognitif sous-jacent aux attributions et jugements des locu­ teursj'auditeurs portant sur leurs performances et leur adequation sociale j sous­ jacent egalement it I'exploitation qu'ils font de ces attributions dans des strategies interpersonnelles, qui debordent le domaine institutionnalise des usages du francais tout en restant , cependant, dependantes de I'horizon d'intelligibilite de ses fonctions officielles (domination, prestige, etc) (1) . - Le second concernera le developpement d'une normativite qui ne passe pas par le recours it une formulation explicite j elle peut etre dite endogene it l'accomplisse­ ment des activites sociales. Une telle norrnativite est correlative d'une diminution de la vigilance metalinguistique (et une telle diminution tend, dapres Labov, it un parler vernaculaire). 2. - II importe de ne pas perdre de vue que toute reference it un groupe de locu­ teurs (2) porte sur une entite cognitive plutot que sur un ensemble d'individus qui partageraient certains "traits objectifs". La problematique pertinente est celIe de la categorisation sociale, c'est-a-dire de I'activite cognitive du locuteur qui or donne son environnement dans les termes de categories qui, ayant un sens pour lui, lui permettent de definir sa place dans le systeme social. Les categories qui emergent dans les actes de categorisation ne reproduisent pas necessairement celles de la description sociologique ou sociolinguis­ tique j toutefois cette derniere n'est pas exterieure it I'activite cognitive des sujets : elle en depend, en effet, pour etablir sa validite. Ainsi les representations nor­ rriatives susceptibles d'etre elicitees dans les reponses aux questions fishmaniennes (qui parle, quelle langue, it qui ... etc) sont-elles paralleles it cette description. Un (1) II s'agit, ici, de la reformulation partielle de propositions avancees lors d'une recherche anterieure sur Ie francais en Afrique noire et qui ont ete synthetisees par P. Wald dans la seconde partie ("Ie francais tel qu'il se dit") de l'ouvrage qu'il a co-edite avec G. Manessy. (2) Par exemple dans la proposition selon laquelle les "lettres" seraient le groupe support du francais endogene, ou encore, de facon generale, dans la proposition selon laquelle "tout groupe de locuteurs d'une langue x, qui se considere comme une unite sociale ferrnee, tend a exprimer sa solidarite interne en favorisant les innovations qui le distinguent de tous ceux qui n'appartiennent pas au groupe". 17 me me modele d'attribution est mis en oeuvre, qui fait correspondre des finalites so­ ciales pre-etablies, ou des groupes supports de telles finalites, a des moyens linguis­ tiques stabilises (dans la representation). L'intelligibilite commune d'un tel modele d'attribution releve d'un niveau plus abstrait que celui de taxinomies cristallisees dans la culture, celui de la coordination des criteres sous-jacents a I'enonciation en situation d'enonces a visee categorielle. L'etude des enonces norrnatifs, suppose, donc, une reference a la competence communicative des locuteurs et I'etude de cette derniere n'est pas reductible a l'image qu'ils en donnent. 3. - Dans la recherche anterieure menee avec Wald, le critere de legitimite du recours au francais est apparu central pour la categorisation sociale. Ce critere doit etre rapporte au processus de coordination mentionne en 2. Dans celui-ci, en effet, la norme externe (aux performances) se trouve indexee a la relation sup­ posee du locuteur au domaine des institutions qui est a son principe : processus de selection mutuelle dans lequel la categoric sociale renvoie a l'attribut linguis­ tique et inversement ("les lettres parlent francais" et "Ie francais est la langue que parlent les lettres"}, Ainsi la notion de "locuteur legitime" ne doit pas etre com­ prise comme une etiquette qui regrouperait nominalement des categories telles que "diplomes", "fonctionnaires", etc, mais comme un scheme cognitif qui, utilisant le rapport conventionnel de ces categories a la norme du francais standard, sert a evaluer la pertinence et la legitimite circonstancielle du recours au francais dans les situations de vigilance metalinguistique. II est egalement au fondement d'un proces d'appropriation de la norme externe, en ce qu'il procure une intelligibilite du recours au francais bien au-dela des specifications sociolinguistiques de ses fonctions conven­ tionnellement reconnues. Cependant ce processus d'appropriation est indissociable d'une instabilite de l'usage dans la mesure ou le locuteur est toujours sous la menace d'une contestation de sa pretention a s'approprier une image de legitirnite comme attribut categoriel. Cette omnipresence de la norme ext erne dans la categorisation, est susceptible cependant d'etre neutralisee - mais non entierement abolie - lorsque Ie francais sert de langue commune (c'est-a-dire dont l'usage ne doit pas virtuelle­ ment toujours etre justifie}, Elle sera par centre renforcee dans les configurations sociolinguistiques ou cette fonction est assumee par une autre langue vehiculaire, 4. - L'etude des phenomenes d'appropriation de la norme externe, et de leur lien avec la categorisation sociale, fait partie d'une recherche sur la competence com­ municative mise en ceuvre par les locuteurs, en tant qu'ils sont les acteurs des situations sociolinguistiques (dans la configuration fonctionnelle desquelles la place du francais doit etre, a chaque fois, specifiee}. Elle releve d'une ethnographie de la communication. Le volet complement aire de cette recherche portera sur les ac­ tivites sociales pour lesquelles le francais apparait constituer une ressource. Au plan theorique cette etude s'appuiera sur une conception de l'action sociale dont le cadre analytique ne reprend pas a son compte les precedes qu'utilisent les locuteurs pour ordonner leur environnement. La competence communicative sera, ici, analysee au niveau de l'action con­ certee des partenaires de I'interaction par laquelle ils configurent les activites so- ciales, tant en ce qui concerne leur organisation sequentielle que la construction du cadre relationnel (des liens et relations sociales pre-exist ants a l'interaction mais que les partenaires ont a traiter de facon circonstanciee comme definissant la situation actuelle de leur association). Ce travail interactionnel suppose, comme condition de sa poursuite, la production de formes normales indexant un savoir culturel partage. Nous ne pouvons que renvoyer, ici, aux travaux de Gumperz en ce qui con­ cerne les implications pour la linguistique de cette approche "interactionniste" de la competence communicative qu'il a contribue a promouvoir (en particulier au su­ jet de ce qu'il nomme "les indices de contextualisation"). Nous essaierons seulement de faire ressortir, dans le cadre de ces propositions, ses implications pour la notion de normativite endogene. La normativite en cause est implicite, elle correspond aux pretentions a l'intelli­ gibilite et a I'acceptabilite qu'elevent necessairement , les uns pour les autres, les partenaires. Elle se trouve attestee, pour eux, dans une norrnalite "a la per­ ception" de leurs performances a I'egard de laquelle ils s'orientent mutuellement comme condition de la poursuite de l'action commune. Vne telle normalite est d'emblee presupposee entre partenaires de bonne foi, c'est-a-dire qui s'accordent une reciprocite des perspectives d'apres laquelle autrui (pourvu qu'il soit "l'un d'entre nous") voit virtuellement les choses comme nous les voyons (si, du moins, il etait a notre place). A cette dimension des activites sociales, indissociable de leur accomplissement, d'etre des "faits naturels de la vie" a laquelle les partenaires co-referent tacitement, correspond un phenomene de confiance conversationnelle OU nous proposons de voir la marque specifique d'une riormativite endogene. C'est ainsi au developpement d'une telle norrnativite endogene qu'il faut rap­ porter, pertsons-nous, la "solidarite interne" d'un milieu social a laquelle il est fait reference dans la citation de la note 2, et cela dans la mesure OU ce milieu se constitue comme "milieu de vie commune". Nous avons deja souligne que cette constitution n'est pas reductible a sa designation comme groupe, elle correspond plutot a cette dimension communautaire qui se trouve impliquee dans la notion de "speech community". La sociolinguistique interactionniste nous parait avoir suffi­ samment montre que des milieux sociaux de "vie commune" peuvent constituer des "speech communities", sans et re forcement reconnus comme telles : des differences dans des facons de parler sont susceptibles, en effet, d'avoir des consequences sur les jugements et les evaluations que se portent les locuteurs, sans pour aut ant faire l'objet de reperages conscients. I .. : 18 1 , . i 5. - Nous proposons done de retenir les activites sociales comme cadre de nos analyses et non telle ou telle categorie sociale. Comme nous l'avons souligne, est en jeu, ici, le choix de ne pas utiliser comme ressource pour l'analyse (mais de soumettre a l'analyse) les propres methodes des acteurs pour ordonner leur environnement ; or c'est justement a cette assomption que nous procederions si nous considerions, a priori, telle categoric de la description sociologique comme support d'attributs d'endogeneite. La consequence methodologique pratique de cette proposition consiste dans 19 l'importance qu'il convient d'accorder, dans le recueil des donnees, au souci ("ethno­ graphique") de respecter I'integralite des activites sociales, afin de permettre l'analy­ se de leur mode d'organisation en tant que scenes courantes de la vie sociale. 6. - La problematique sociolinguistique est alors formulable dans les termes du rapport entre appropriation de la norme externe et norrnativite endogen��t du role de la vigilance meta-linguistique, entendue co:rnme distance psycho-sociale et non materielle a l'institution, dans ce rapport. Le site privilegie de l'appropriation qui caracterise la normativite endogene, est sans doute cette forme limite dactivite sociale que l'on nomme "une conversation". Cette activite, dont la finalite sociale consiste juste en cela: se parler, et dont l'organisation est de part en part realisee localement et interactionnellement, cons­ titue un pole dans une opposition avec les formes dactivites dont l'organisation est plus ou moins pre-deterrninee par l'institution, et dont l'autre pole sera les situations rituelles. Cependant, il importe de ne pas perdre de vue que I'activite conversation­ nelle au sens large, c'est-a-dire mettant en jeu le phenomene de confiance conver­ sationnelle, peut n'en etre pas moins presente dans les situations dont le cadre est fixe par les institutions, parce qu'elle est une condition de l'accomplissement effectif des activites sociales. Des lors la prise de distance a l'egard de la norme ext erne est, elle-rneme, une condition pour qu'un tel accomplissement soit compatible avec le recours au francais et cela meme dans les situations institutionnellement occa­ sionnees j inversement, I'omnipresence de I'insecurite linguistique tend a confiner celui-ci dans des usages d'apparat. Quant a l'appropriation de la norme externe dans les situations situees a distance des institutions, elle est correlative, comme nous l'avons deja souligne, d'une instabilite du recours au francais : la question de leur legitirnite, contestable et contestee, en constituant un scheme interpret atif om­ nipresent, vient contrecarrer les pretentious ala validite que les locuteurs devraient, pour developper leurs activites conversationnelles, laisser tacites. Ainsi supposons­ nous que le phenomene, souvent at teste, des joutes meta-linguistiques, est un indice de ce processus. C'est a I'enquete, portant sur les particularites de chaque confi­ guration sociolinguistique, de determiner les limites de pertinence de ce scheme, c'est-a-dire les limites au-dela desquelles cette contestation de la legitimite du re­ cours au francais devient elle-rneme contestable et l'indice d'un refus de cooperer (alors que dans les situations de joute auxquelles nous pensons - en Centrafrique - les prot agonistes jouent, chacun, "Ie jeu"). 7 N donne , l' ition " t" / " d ' " . - ous avons onne a OppOSl IOn norme ex erne norme en ogene ,un sens specifique dont le pivot est la vigilance meta-linguistique, entendue comme l'effet des representations qui ramenent le locuteur a une norme percue comme exist ant independamment de sa competence linguistique. Le statut du francais en Afrique noire a justement ceci de specifique qu'independamment de sa place effective dans I'economie des echanges langagiers, il est - et generalement lui seul - dote d'un mode d'existence exterieur aux pratiques de communication situees, auquel corres­ pond la notion de normativite externe, dans Ie sens que nous lui avons donne ici 20 (l'institutionnalisation de lanorme) (3) . D'un autre cote, il a ete implique plus haut que la vigilance meta-linguistique, condition necessaire pour qu'un choix s'opere entre des modalites d'enonciation, ne couvre pas l'ensemble des pratiques linguis­ tiques. L'espace de ces pratiques, qui echappent au controle reflexif, est variable, en particulier pour le francais en Afrique, selon les situations sociolinguistiques et l 'etat de sa competition avec les vehiculaires locaux pour la fonction de �gue com­ mune, mais il n'est, sans aucun doute, jamais inexistant. Cet espace, selon l'analyse prop osee ici, est celui-Ia me me dans lequel s'ex�rce le processus d'appropriation que Manessy a decrit comme "fixation des conventions de langage" . Commentaires : L'expose de Ph. Poutignat donne lieu a un deb at ala fois riche et confus, centre sur la notion de norrnativite. Ce qu'on designe ici par "norme institutionnelle" est avant tout une representation, et non pas un corps de regles objectives; c'est I'idee qu'existe une norme exterieure a la pratique du langage, qui est independante de celle-ci, qui en fixe l'usage correct et qui pourrait etre explicitee par une autorite competente, Le domaine de la norme ext erne est celui des usages institutionnalises du francais auxquels toute interaction menee en cette langue fait implicitement reference. C'est la le principe des joutes de langage, signalees au Cameroun comme en R. C. A., qui mettent en jeu la position revendiquee par les participants dans l'univers de la norme. Celle-ci, d'autre part, est objet d'appropriation par des locuteurs qui s'en considerent et en sont consideres comme detenteurs legitirnes, precisement parce qu'ils ont acces aux institutions qui lui sont soumises. La norme endogene nait de I'activite sociale ; elle est interne a l'interaction. Imprecise et variable, elle se manifeste par le sentiment qu'il est normal, compte tenu des circonstances de la communication, de s'exprimer ainsi et qu'il serait anormal de s'exprimer autrement. Elle renvoie a des etats de langue pratiques, qui ne sont pas censes etre soumis a des principes formulables en regles, principes par rapport auxquels des ecarts pourraient etre mesures. Cette norrnativite est celle it laquelle on se fie tacitement dans l'exercice du langage et qui en fonde la validite. Plus specifiquement , le sentiment du bien dit, sur lequel les locuteurs peuvent discuter et se mettre d'accord, appartient it la tradition culturelle de nombreuses societes africaines qui ignorent d'autre part touteriorrne instit utionnalisee en ce domaine. Le decal age entre ce qui est donne pour correct a I'ecole et ce qui est intuitivement percu comme normal hors de l'exercice scolaire est peut-etre pour partie responsable du deficit de l'enseignement. { ! i 'i (3) Pour une specification de cette notion de normativite externe, cf. Louis Quere : "Le statut duel de la langue dans I'Etat Nation" in : G. Vermes et J. Boutet (eds.) France, pays multilingue, vol 1, Paris: L'Harmattan, 1987. 21 METHODES D'INVESTIGATION Tous les participants residant en Afrique ont entrepris de reunir un double cor­ pus, oral et ecrit. Le corpus ecrit est constitue principalement par depouillement d'extraits de presse, de documents administratifs, de textes publicitaires et de travaux d'eleves et d'etudiants. A l'oral, deux techniques sont employees: d'une part l'enregistrement d'emissions de radio et de television (en particulier de com­ mentaires sportifs, de debars, d'interviews et de spots publicitaires) et de produc­ tions spont anees d'eleves et detudiants , en classe et hors de la classe j d'autre part des entretiens avec des etudiants ou des locuteurs "lettres", sur des themes susceptibles d'eveiller leur interet et de reduire leur vigilance met alinguistique, et aussi avec des "intellectuels" sur les problemes que pose l'emploi du francais et des langues locales. Deux possibilites s'offrent en theorie : ou bien I'enqueteur europeen participe a la conversation j celle-ci sera d'autant plus spontanee que ce dernier est moins etranger au groupe de ses interlocuteurs et que les conditions d'interaction semblent plus normales (discussion avec des collegues universitaires ou des et udiants par exemple) j ou bien I'enqueteur est africain j encore faut-il dans ce dernier cas que I 'usage du francais (de preference a la langue locale dominante) puisse etre tenu pour justifie, par la personnalite de I'enqueteur, par le statut social des participants, par le sujet de l'entretien ou par les circonstances de la communication. En ce qui concerne les methodes d'investigation, un tour de table fait apparaitre que trois pro cedes sont communement employes pour determiner respectivement ce que les gens disent faire en matiere de langage, ce qu'ils croient normal de faire et ce qu'ils font. 1. - Questionnaires U ne enquete sociolinguistique prealable a ete entreprise au Zaire. Cent cin­ quante questionnaires ont ete distribues a l'Alliance Irancaise qui touche un pu­ blic d'age et de statut socioprofessionnel varies, dont beaucoup de femmes, a des et udiarrts de differentes disciplines, au personnel de la Bi bliot heque N ationale, a des ingenieurs, secret.aires, documentalistes. Les questions portent sur le lieu de residence de l'informateur, sur les langues nationales parlees, sur la frequence d'emploi du francais par rapport a celles-ci, sur les circonstances de cet emploi. L'objet de cette enquete est d'evaluer les changements intervenus dans ces differents domaines depuis une quinzaine dannees , epoque a laquelle des recherches analogues avaient ete conduites par des linguistes zairois. Les premiers resultats suggerent une expansion du lingala et une regression moderee du francais, ainsi qu'un desir crois­ sant des femmes d'apprendre le francais, pour aider les enfants dans leur scolarite et participer a la vie publique de leurs maris. A l'inverse, une image negative de la norme implicite locale pourrait etre obtenue en examinant les corrections portees par des enseignants africains sur des copies d'eleves et en relevant les ecarts par rapport ala nor me acadernique qui, de facon habituelle ou constante, n'ont pas ete sanctionnes, La correction pourrait parfois faire apparaitre "en clair" cette norme, quand une tournure acceptable en francais standard est rectifiee conforrnement a celle-ci. 22 2. - Tests En complement de I'enquete par questionnaire, un test lexical a ete elabore : il comporte un texte suivi et vingt a vingt-cinq phrases en francais zairois, reconstitues a partir d'eIements de conversations. Ce texte et ces phrases ont ete soumis par ecrit a I'appreciation de juges qui avaient a se prononcer sur leur acceptabilite et eventuellement a proposer des corrections. En outre des enseignants zairois ont demande a leurs eleves de construire a leur tour des phrases incluant les termes retenus pour I'enquete, La participation de l'Institut de Linguistique Appliquee de Bangui au projet Cafe a permis de constituer un fichier d'africanismes, utilises dans des exercices "a trous" offrant un choix multiple de reponses. L'examen de ces reponses permettrait de discerner celles de ces particularites lexicales qui sont reconnues pour telles et celles qui passent inapercues. Au Senegal, un test ecrit comportant cinquante-deux phrases francaises, em­ pruntees a diverses sources et ressortissant pour partie au francais "populaire" et a l'usage senegalais, a ete distribue ou administre a six cents exemplaires a des enseignants, a des etudiants en premiere annee du cursus de langues vivantes et a un public non-enseignant. Son objet est de determiner un seuil de dicibilite, les enquetes etant invites a repondre par "oui", "non" ou "ca depend" a la ques­ tion : "cette phrase est-elle ecrite en bon francais ?". On espere voir se dessiner ainsi une image au moins approximative de ce qu'est l'usage normal du francais au Senegal a differents niveaux de competence. Les difficultes proposees sont d'ordre grammatical aussi bien que lexical. De tels tests doivent etre manies avec precaution. Leur inconvenient majeur est qu'ils mettent en jeu la subjectivite de celui qui les etablit, inconvenient evidernment reduit si l'auteur appartient a la meme communaute linguistique que les sujets observes. II est a craindre que le test ne reflete une idee preconcue de ce qui doit etre tenu pour significatif parmi les ecarts eventuels et de ce qui ne l'est pas. II faut se donner les moyens de privilegier la subjectivite du locuteur integre au systerne langagier dont on veut rendre compte sur celle du linguiste et ranger a ce dernier. Une enquete preliminaire permettrait de definir par recoupements des "points sensibles" en nombre variable, mais non indefini, On obtiendrait ainsi une sorte de stereotype qu'on confronterait aux donnees observables pour en eprouver la validite et qu'on modifierait le cas echeant. D'autre part les tests administres par 3. - Recours it l'opinion de juges competents .� 23 ecrit devraient I'etre aussi oralement, les connotations de l'usage etant differentes dans l'un et l'autre cas. Un champ de recherche important, pour I'elucidation de la "norme endogene", est l'examen de ce que les gens pensent des productions d'autrui. Cette enquete d'opinion peut etre menee directement, par entretiens avec des interlocuteurs qui s'interessent a quelque titre aux questions de langage : intellectuels, professionnels de la parole, parents d'eleves, auditeurs de la radio et de la television (en Cote d'Ivoire, la qualite du francais des presentateurs de journaux televises est un sujet de discussion). Pour les autres (et pour ceux-la aussi), il est preferable de susciter des jugements sur des echantillons de parole et des montages de voix. Ces jugements portent d'une part sur la qualite de la prestation langagiere, d'autre part sur la nationalite, le statut social et la personnalite imputes aux locuteurs. Cette technique efficace doit cependant tenir compte de certains presupposes. II est peu probable que le juge distingue l 'enonce de l.'enonciation et soit en mesure de le traiter comme un simple exemple de grammaire. Entrent en jeu ce qui a ete dit, la situation dans laquelle cela est suppose avoir ete dit, la veracite de I'asser tion, l'opinion qu'on se fait du locuteur. D'autre part, le jugement de norrnalite est fonc­ tion des conditions dans lesquelles il est sollicite ; d'autres circonstances pourraient engendrer des appreciations differentes, La seule maniere de poser une question determine en partie la reponse ; la formulation de la consigne risque d'etre decisive; elle doit en tout cas etre prise en compte dans I'interpretation des reponses obtenues. Quel que soit le precede employe, la validite de I'enquete est conditionnee par une observation precise des pratiques langagieres. Ce n'est que lorsqu'on dis­ posera de donnees suffisantes sur la maniere dont I'activite sociale s'inscrit dans la parole qu'on pourra comprendre comment le francais s 'insere dans une cul­ ture de I'oralite. Ces donnees devraient etre visuelles aussi bien qu'auditives ; il faudrait pouvoir restituer par l'image et le son la situation de communication etudiee et demander aux interlocuteurs de commenter leur propre comportement. L'utilisation du camescope poserait evidemment un probleme pratique: sa presence pert urberait plus gravement encore que celle du magnetophone la situation ob­ servee ; il faudrait qu'elle fut justifiee par cette situation meme, les interlocuteurs participant a I'experience dont elle serait I'instrument , II reste enfin que les enonces francais que l'on peut recueillir en Afrique font reference a un autre univers semiotique que celui qui est familier a l'utilisateur du francais a l 'interieur de I'Hexagone par exemple. Le probleme ici pose est : comment le francais tel qu'il est pratique en Afrique peut-il produire en discours un sens que le locuteur natif ne saurait pas reproduire ? La recherche ne peut pas , 24 se limiter aux seuls ecarts syntaxiques sous peine de laisser dans l'ombre des faits' import ants. Ce n'est que lorsqu'on aura analyse ces mecanismes de production du sens qu'on pourra peut-etre concevoir une methodologie renovee de l'enseignement du francais en Afrique. , , , : I . , , I 25 CORPUS Expose de Madame Cl. Banche-Benveniste La methode de transcription elaboreepar le Groupe Aixois de Recherche en Syn­ taxe l'a ete pour un objectif bien precis: la recherche en morphosyntaxe et en syn­ taxe. Elle presuppose la possibilite d'identifier les morphemes et s 'accommode, pour cette raison, de l'orthographe francaise qui est une orthographe de morphemes. On ecrit donc sous leur forme orthographique tous les morphemes prononces, quitte a en preciser eventuellement la prononciation reelle dans une note en bas de page. Cette methode n'est pas applicable si l'on travaille sur des faits de prononciation, ni dans tous les cas ou l'on n'est pas en mesure d'identifier a coup sur les morphemes (dis­ cours d'immigres, dejeunes enfants; certaines formes d'aphasie; parlers regionaux}. II faut alors recourir a une transcription phonetique ou phonologique, beaucoup plus laborieuse encore. II convient en tout cas de conserver les bandes [copiees en double par mesure de securite] pour pouvoir le cas echeant pro ceder a d'autres transcriptions centrees sur des problemes particuliers : liaisons, intonation, jonction des morphemes, etc. La transcription prop osee est it mi-chemin entre une transcription d'etude et une transcription "grand public". EIle permet de traiter un corpus etendu et elle est lisible par des non init.ies, rend ant possible la circulation des documents. Elle comporte des conventions de mise en page: seize lignes it la page, numerotees pour faciliter les references, separees par de larges interlignes permettant de surcharger le texte ; marges de 3,5 ern a gauche, it droite et en haut, 5 em en bas. En debit moyen, une telle page correspond a peu pres it deux minutes de parole. Elle demeure aisernent Ii sible et Ie format constant facilite les comptages (nombre de mots a la minute par exemple), les recherches sur la frequence de tel ou tel phenomene, etc. II peut etre utile de disposer de plusieurs exemplaires d'une me me page, dont une copie de travail et une copie-ternoin. La transcription des faits d'intonation est difficile. On est aisement dupe d'illusions auditives, et tout it fait demuni quant a I'evaluation des seuils de percep­ tibilite. II est prudent d'avoir recours a des specialistes travaillant en laboratoire. La transcription implique des conventions d'application generale et des con­ ventions particulieres auxquelles on recourra s'il en est besoin. Differences d 'audition, signalees par une multi-transcription: IX, Y /. De telles differences dinterpretation entre transcripteurs ou chez un meme transcripteur sont frequentes dans le cas d'intonation parenthetique, ou en position non-accentuee. Elles doivent etre conservees parce que certaines se reveleront inso­ lubles, et aussi parce qu'elles peuvent donner des indications sur les neutralisations dans la perception de certaines voyelles ou consonnes, ou de certaines sequences. II est parfois possible de systernatiser les multi-transcriptions et d'en tirer des en­ seignements reutilisables. 26 Conventions generales Pauses: f pause courte, - - pause moyenne, - - - pause longue. La longueur des pauses est evaluee par rapport a la vitesse d'elocution de chaque locuteur, a son debit moyen. Ce debit est mesure par le nombre de mots prononces en une minute. Le debit le plus lent qui ait ete rel eve (chez des personnes agees le plus souvent) est de cent dix mots/minute, le plus rapide de trois cent trente ; le mot, pour ce calcul, est ce qu'on trouve entre deux blancs graphiques. II faut se mefier de l'impression subjective: les locuteurs professionnels ont toujours un debit plus rapide qu'on ne croit. L'etude du debit est interessante, certains phenomenes etant lies a sa variation: 1 'expression de la marque ne de negation par exemple, ou la presence de euh. Interruptions: / / / / A distinguer des pauses : elles rompent le fil du discours. Syllabes incomprehensibles : X une syllabe, XXX plusieurs syllabes. II s'agit de syllabes percues, mais non identifiables, du moins a premiere ecoute ou par un premier transcripteur. Enonces qui se chevauchent : on les superpose en les unissant par une ac­ colade. Ces enonces sont ceux de locuteurs qui parlent en me me temps; I'experience montre qu'au-dela de trois interlocuteurs, ils sont tres difficiles a percevoir. Ces chevauchements doivent etre notes, car ils peuvent troubler le locuteur et provoquer des desordres dans I'enonce, ou au contraire aider le locuteur qui prend appui sur eux. Quelque chose ou rien : / X, 0/ On n'est pas sur d'avoir entendu ; cela peut arriver, notamment pour des elements phatiques d'approbation ou de questionnement qui sont parfois presque inaudibles. Alternances orthographiques : il( s) chante( nt) Cas particulier du phenomene precite, ainsi note pour gagner de l'espace et du temps. 27 Appel de note: daccord ' Sont signales en note les phenomenes dont on ne peut pas rendre compte par une transcription orthographique : prononciation, prosodie, mimique ... On y place­ ra en particulier les transcriptions phonetiques. Conventions particulieres Allongement de voyelle : V: Symbole utilise quand l'allongement est significatif, par rapport a l'usage habituel du locuteur. Syllabation it droite de la consonne finale: quant nous viendrons [kata nu ... ] Cette prononciation, qui n'est pas propre au parler meridional, ne doit pas etre confondue avec I'hesitation, Liaisons non grammaticales : aller a Ces liaisons sont souvent liees a un parler ceremonieux : expression systematique de la marque ne de negation, generalisation de nous aux depens de on, etc. (11 est propose, pour la commodite typographique, de remplacer l'arc de cercle souscrit par un blanc souligne : aller.. a). Absence de liaison: un point entre deux mots qui devraient etre lies: c'est-a lui. Un nombre croissant de locuteurs se dispensent de certaines liaisons grarnma­ ticales. Amorce de mot: marquee par le trait d'union : a-avec. Les conventions ne concernent pas les phenomenes generaux, communs a l'ensem­ ble des locuteurs, qui doivent etre decrits en introduction: ainsi de la prononciation ide "ils" devant con sonne ("i viennent.'j usuelle depuis le XVIIeme siecle , ou de la triple realisation de "il y a" (trois syllabes il iy a, deux syllabes i(1) ya, une syllabe ya). De me me pour les caracteristiques de la prononciation du locuteur dont on transcrit le discours : faits de nasalisation, aperture des voyelles, etc. Les notes en bas de page ne concernent que ce dont Ie lecteur doit et re inforrne au moment meme ou illit la transcription. La transcription evoquee est une transcription minutieuse et preCIse ; elle a ete concue pour mettre en evidence des aspects du francais parle sou vent negliges ou incorrectement decrits et analyses : les Francais ont la particularite de mal entendre leur propre langue et illeur est difficle de la transcrire exactement. D'autre part, il arrive que certains passages soient semantiquement difficiles a comprendre hors situation et le transcripteur peut etre incite a des reconstructions abusives (Ie cas risque de se presenter frequemment pour un corpus africain). En d'autres circonstances, il peut n'etre pas indispensable d'entrer dans tous les details qui ont ete mentionnes. La transcription doit etre adaptee aux besoins : ce qui est convention particuliere ici peut se reveler important ailleurs. La transsription est plus qu'une technique, elle engage une theorisation de la langue. 28 Commentaires L'expose de Madame Blanche-Benveniste suscite un nombre important de ques­ tions et de remarques sur differents points. Recours au locuteur : On pourrait etre tente de recourir au locuteur pour trancher entre plusieurs interpretations de ce qui a ete entendu. Le procede est peu sur, parce que le locuteur, en regle generale, deteste son propre discours et qu'il proposera plus probablement une correction qu'une precision. On peut cependant le consulter s'il s'agit d'un nom propre ou d'un nombre, ou d'une precision port ant sur le contenu plutot que sur la forme de I'enonce. On justifie alors la demande par la competence pretee a l'interlocuteur qui se trouve ainsi place en position de superiorite. Liaisons grammaticales : La decision de ne marquer que les liaisons remar­ quables et les absences de liaison implique que l'on se soit mis d'accord sur les zones de liaison obligatoire. Pour le syntagme nominal, cette zone se situe a gauche du nom, jamais a droite : elle concerne les predeterrninants : articles, adjectifs : un_enfant, un petit_enfant, les_anciens_autres_enfants (mais les jenfants-anglais] i on constate cependant une tendance recente a supprimer la liaison pour les adjectifs termines par une consonne liquide : les_anciens_autres·enfants� Pour le syntagme verbal, la regle s 'applique aux pronoms clitiques (atones) sujets ou complements preposes a la forme verbale conjuguee, cette forme pouvant et re celle de l'auxiliaire : ils_en_ont parle, ils les_ont·attrapes i elle s'applique aussi aux pro noms postposes : prends_en, dit-il, Les noms sujets ou complements ne sont pas obligatoirement lies : les enfants-en jont-attrape, demander·aide et assistance. En principe les prepositions monosyllabiques entrainent la liaison: chez_un_ami, en_un_an, mais celle-ci est parfois omise. Enfin les locutions comportent la liaison: pied_a terre, ChampsElysees, Ponts_et Chaussees (cf. dictionnaires). Ailleurs, l'absence de li­ aison ne provo que pas d'effet d'agrammaticalite. 11 faut tenir compte de ce qu'un meme locuteur peut disposer de plusieurs systemes de liaison, selon les circonstances ou selon le type de discours qu'il choisit de tenir. Les liaisons abusives sont signalees en note. Parmi celles-ci, la presence d'un � a I'interieur du groupe nominal, la ou rien dans le contexte ne le justifie : les machines 29 it laverzanglaises, les SudaAmericains, qu'est-ce que vous avez commezarbres j il semble que nous allions vers un etat ou � apparaitrait it tout point de jonction d'un syntagme nominal percu comme pluriel. Un autre cas est celui ou la consonne de liaison est suivie d'une pause: lezrenfants j cf. P. Encreve, La liaison avec et sans enchainement - Phonologie tridimensionnelle et usages du franc;ais (Paris, Ed. du Seuil, 1988). Transcription orthographique et trariscription phonetique : Pour le . traitement d'un corpus de francais africain, le recours it la transcription phonetique s'imposera beaucoup plus souvent que s'il s'agissait d'un corpus "rnetropoli tain". Utiliser la transcription orthographique equivaudrait , dans les cas douteux, it pro­ jeter l'appareil morphosyntaxique du francais standard sur des enonces dont la structure peut ressortir it une tout autre grammaire. Nous serons done conduits it traiter certains enonces selon les methodes appliquees it I'etude d'une langue incon­ nue. On peut concevoir, dans la pratique, une double transcription: phonetique (objective) et orthographique (interpretative), ligne it ligne pour la recherche, page it page pour I'edition. Il est deconseille en tout cas de truquer l'orthographe, le texte et le locuteur s'en trouvant irremediablement devalorises. Ponctuation : Si la transcription doit fournir les materiaux d'une analyse syntaxique, il faut supprimer toute ponctuation, la moindre virgule prejugeant des conclusions it venir. Elle n'est jamais indispensable s'agissant d'une langue parlee qui dispose d'indications contextuelles, du jeu des pauses et de precedes de demarcation. Cependant beaucoup de corpus de langue parlee conservent les marques du discours rapporte (deux points, guillemets) et les points expressifs : interrogation et exclamation. On utili sera les majuscules pour les noms propres, mais non pour les debuts de phrase. Deontologie : Il ne faut disposer qu'avec la plus grande prudence des enre­ gistrements effectues j le droit francais est complique dans ce domaine et il protege efficacement les droits de l'individu. Il convient de remplacer les noms de personnes par des pseudonymes ou des designations conventionnelles et de ne jamais publier des enregistrements de personnes privees sans l'autorisation de celles-ci. Prosodie : C'est un domaine tres important pour notre propos. L'experience mont re que le premier reperage, au sein d'un groupe de locuteurs, est prosodique. Nous ne pourrons guere nous dispenser de transcrire des faits de cet ordre. Nous aurons done it demander conseil it un specialisfe sur les principes, les methodes et les precedes de notation de I'intonation, de maniere it unifier nos usages. Une autre solution serait de decrire, sous la rubrique "Phenomenes generaux", les differents schemes intonatifs utilises dans la region consideree. 11 faudrait pour cela faire reperer par des informateurs les traits pertinents, les analyser et les decrire. C'est lit un autre programme de recherche, difficile et hors de notre portee, Nous devons nous contenter d'etablir l'importance du phenomene et de poser des jalons pour des etudes futures. 30 Problemes d'ecoute : II a ete constate que le transcripteur est souvent dec on­ certe par ce qu'il entend : ou bien il ne comprend pas, ou bien il croit comprendre et il reconstruit. Or nous avons a ecouter un discours africain. Celui-ci peut etre difficilement intelligible pour le transcripteur francais et parfaitement clair pour un Africain qui dispose d'un savoir culturel adequat et de l'aptitude a saisir des indices (prosodiques, notamment) que nous ne percevons pas. II serait utile par consequent de faire etablir ou du moins reviser les transcriptions par un transcrip­ teur africain forme a cette tache, c'est-a-dire acceptant de verifier la conforrnite de la transcription au texte sans se sentir tenu de rectifier celui-ci. Corpus ecrit : On s'en tiendra a la reproduction du document, remis au format adopte pour le corpus oral, expurge de ses noms prop res et des indications pouvant donner lieu a litiges et accompagne d'un commentaire. Conduite de l'enquete : L'enquete portera sur un grand nombre de sujets dans des situations analogues. II serait utile egalement de suivre un petit nombre de locuteurs dans des situations diverses afin de mettre en lumiere la variation diversification en registres et modes d'utilisation de la norme endogene. Scories de l'oralite : II s'agit des hesitations, recherches de mots, corrections, redites, incompletudes, reprises de phrases, anticipations, etc, frequentes dans le langage parle, Ces "imperfections", longtemps negligees.sont fecondes en enseigne­ ments. Les "listes d'essai" de locuteurs en quete du mot propre permettent de reconstituer le cheminement lexical sous-jacent ; de merne pour l'enrichissement progressif des modalites du verbe ("il travaillera", "il devra travailler", "il devra pouvoir travailler"). Sont egalement significatives les precautions qui entourent la denomination. Les locuteurs passent un temps considerable a commenter leur propre production. II est tres possible que ces hesitations se manifestent de facon differente dans le discours africain en francais. II y aura lieu de se demander si les phenomenes qui y seront constates ressortissent a I'oralite, aux difficultes de la communication en langue seconde ou a des precedes rhetoriques africains. En resume, il semble avere que nous aurons souvent a proceder a une transcrip­ tion phonetique (incluant des multi-transcriptions en cas d'incertitude) des donnees recueillies. Cependant la transcription "courante" sera orthographique, tous les morphemes prononces (et identifies a coup sur) et seulement ceux-Ia et ant transcrits. II serait possible, pour les formes isolees dinterpretation douteuse ("je prepare du riz" : preparer, prepare, preparais, prepare Y) de les noter phonetiquement entre crochets droits (je [prepare] du riz). Sur les questions d'intonation, il serait op­ portun de consulter J. M. Lescutier, auteur d'un mernoire sur l'intonation et son enseignement (cf. BOFCAN 3, 1982) et aussi Madame M. Chr. HazaeI-Massieux (Universite de Provence) qui travaille depuis longtemps sur l'intonation en francais et en creole antillais : elle a probablement etabli des conventions dont on pourrait voir si elles sont transposables dans notre champ de recherche. II est indispensable de disposer de conventions communes autorisant la comparaison et I'edition. II 31 serait souhaitable que les materiaux fussent recueillis hors de la presence de person­ nes etrangeres aux activites ou se developpe l'interaction. L'enqueteur devrait done, autant que possible, etre africain, ce qui pose un probleme epineux de retribution. Cependant, on peut concevoir des situations ou la presence d'un Europeen n'est pas injustifiable. D'autre part, I'experience montre que si on laisse se developper librement une discussion de groupe, la dynamique en est suffisante pousceffacer en dix ou quinze minutes I'impact d'une presence etrangere. On devra done s'efforcer de susciter, dans la mesure du possible, de telles situations et de telles discussions. 32 ORGANISATION DE LA RECHERCHE EN 1990-91 Objectifs L'hypothese de travail est qu'il y a en Afrique francophone appropriation du francais par ses usagers africains. Cette appropriation se manifeste, pour toutes les situations sociolinguistiques evoquees, dans le discours. Elle y est reperable au niveau de l'organisation du le­ xique, de I'enonciation (par exemple dans I'etablissement des coordonnees spatiales) et de la structuration du discours (miseen forme, organisation et presentation de I 'information). En outre, lit OU le francais est susceptible d'intervenir dans la communication interethnique, cette appropriation est egalement marquee par des particularites grammaticales dont I'interpret ation varie selon qu'on peut ou non, les mettre en re­ lation avec une variete basilectale (opposition constatee entre la situation ivoirienne et la situation camerounaise). Le discours africain doit etre observe, enregistre et analyse ; un corpus doit etre constitue selon les conventions adoptees et exploite. Cela implique que soient prises en compte, pour chaque enregistrement, les caracteristiques de l'interaction qui en a fourni la matiere. L'observation portera plutot sur les activites sociales ou le francais est susceptible d'apparaitre que sur Ie comportement impute it des categories preetablies, La terminologie employee: "lettres", "non-lettres", etc, n'a valeur que de commodite et elle n'est aucunement discriminatoire. L'autre volet de la recherche porte sur la conscience qu'ont, ou n'ont pas, les locuteurs africains de la specifici te de leur usage et sur la mesure dans laquelle ils en admettent, en revendiquent ou en recusent la legi tirnite. On utilisera pour deceler ces opinions des questionnaires, des tests, des entretiens et des documents (corpus ecrit ). La collecte des enregistrements, I'administration du questionnaire et des tests, la conduite des entretiens seront effectuees par des enqueteurs, de preference africains, habilites it participer aux activites sociales ou le francais est employe. L'interpretation des donnees recueillies sera entouree des precautions methode­ logiques qui ont ete evoquees. Elle prendra en compte notamment la specificite de l'univers conceptuel et socioculturel qui leur confere leur signification. " - au Senegal: Moussa Daff Madicke Diop N odou N diaye Papa Alioune N dao Universite de Dakar Universite de Dakar Universite de Dakar Universite de Dakar 33 Equipes locales Sont susceptibles de participer it la realisation du programme: - au Burkina-Faso : Gisele Prignitz Andre Batiana Claude Caitucoli Youssouf Ouedraogo Paul-Sylvain Pare Dafrassi Jean-Francois Sanou Francis Gandon (sous reserve) Louis Millogo v« Vinou Lucile Traore (occasionnellement) Universite de Ouagadougou Universite de Ouagadougou Universite de Ouagadougou Universite de Ouagadougou Universite de Ouagadougou Universife de Ouagadougou Universite de Ouagadougou Universite de Ouagadougou Universite de Ouagadougou E. N. Ouagadougou - au Cameroun: Jeannine Gerbault Emmanuel Chia Jean-Marie Essono Carole de Feral (en mission) Universite de Yaounde Universite de Yaounde Universite de Yaounde Universite de Nice - en Guinee : Alpha Mamadou Diallo Maurice Millimouno Patrick Renaud (en mission) Universite de Conakry Universite de Conakry Universite de Paris III - en R. C. A. : Martine Wenezoui Georgette Deballe Moise Mamadou Noel Ngoulo Philippe Poutignat (en mission) 1. L. A. Bangui Universite de Bangui Enseignement secondaire 1. L. A. Bangui C. N. R. S. - au Zaire: Claudette Dousset Kazadi N tole Mundeke Universite de Paris III C. E. L. T. A. C. E. L. T. A. II subordonne d'autre part les deux derniers versements it la production de deux rapports, l'un it l'automne sur les result ats des enquetes prelirninaires et sur la methodologie de la recherche, l'autre it la:fin de l'annee, consist ant en la presentation de corpus. 34 Eyibite P. Nyembwe Ntita Tsh. Landa na Assana Sesep N sial B. C. E. L. T. A. C. E. L. T. A. Alliance Francaise I. N. S. P. Gombe L'absence de J. M. Lescutier et de Madame S. Lafage, empeches, et celle de A. Queffelec, retenu it Paris par la session dagregation en Lettres Modernes, n'ont pas permis de preciser la composition des equipes ivoirienne et congolaise: Y. Simard se rendra en mission it Abidjan au mois d'octobre 1990, et A. Queffelec it Brazzaville it une date encore non precisee. Coordination Le Centre d'Etude des Plurilinguismes jouera pendant toute la duree du pro­ gramme le role de plaque tournante. 11 recevra et diffusera l'information : brefs compte-rendus sur I'etat des recherches en cours, rapports de missions, recensions d'articles et d'ouvrages, renseignements bibliographiques, documents, tirages it part ou articles inedits. 11 serait utile que chaque equipe produise pour la :fin d'avril 1991 un rapport sur les resultats obtenus, accompagne d'annexes documentaires. Ces rapports per­ mettront de preparer la reunion de juillet 1991. Echeancier Le contrat signe avec l'A. C. C. T. prevoit la mise it disposition de la subvention accordee pour 1990-91 en trois versements, ce qui oblige it echelonner les depenses, de juillet 1990 it janvier ou fevrier 1991. Le premier rapport sera fonde sur les resultats de la presente session. L'autre pose un probleme. Etant donne la date tardive de la signature du contrat (mai 1991), celle plus tardive encore du premier versement et les obligations adminis­ tratives auxquelles sont soumis les participants en poste en Afrique, il est excIu de fournir it la date indiquee des corpus complets. En revanche, il sera possible de proposer un rapport sur les principes cl'etablissement des corpus et sur les conven­ tions de transcription que nous venons darreter , appuyes par des extraits de corpus 35 existants ou en voie de constitution. Il est done demande it chacun des participants au serninaire de fournir avant la fin du mois d'octobre dix pages de corpus etablis selon les principes et les normes en question. Seminaire 1991 II aura lieu it la Baume-Ies-Aix les 7 et 8 juillet 1991 (seules dates encore disponibles Ie 9 juillet 1990). La parole sera :alors aux didacticiens qui auront it developper les implications pedagogiques des resultats de I'enquete sur la norme endogene. II conviendrait de prendre contact, durant la prochaine annee universitaire, avec les institutions et les personnes engagees dans la reforrne ou la preparation des programmes scolaires. C'est sur place qu'il faudra juger de I'opportunite de prendre langue avec telle ou telle des autorites cornpetentes, en soulignant que le projet n'est pas issu d'une initiative individuelle, mais repond it un appel d'offres de l'A. C. C. T. lance par cette agence it la demande des Chefs d'Etats africains (3eme sommet des Chefs d'Etats et de Gouvernements, Dakar, mai 1989). L'ordre du jour du prochain seminaire pourrait comporter les points suivants : - bilan des resultats obtenus ; - leurs implications pedagogiques (image de la norme ; pratique des enseignants et des eleves) ; - reflexion sur I'opportunite et sur les moyens d'inclure dans les normes d'enseigne­ ment, jusqu'ici fondees sur I'ecrit Iitteraire, la reference it un usage local et oral ; - edition du corpus de francais africain, en liaison avec celle que projette Ie G. A. R. s. Suzanne LAFAGE - Universite de Paris III. Jean-William LAPIERRE - IDERIC, Universite de Nice. Jean-Marie LESCUTIER - Ecole Normale Superreure, Abidjan. Ambroise QUEFFELEC - Universite de Provence, Aix-en-Provence. 36 ANNEXE Liste des participants au seminaire : Claire BLANCHE-BENVENISTE - Universite de Provence, Aix-en-Provence. Moussa DAFF - Universite Cheikh Anta Diop, Dakar. Birahim DIAKHOUMPA - Universite de Provence, Aix-en-Provence. Claudette DOUSSET, Universite Paris III. Pierre DUMONT - Universite Paul-Valery, Montpellier. Carole DE FERAL - IDERIC, Universite de Nice. Jeannine GERBAULT - Universite de Yaounde. Katia LEVY - Universite de Provence, Aix-en-Provence. Gabriel MANESSY - IDERIC, Universite de Nice. Philippe POUTIGNAT, CNRS-IDERIC, Universite de Nice. Gisele PRIGNITZ - Universite de Ouagadougou. Patrick RENAUD, Universite de Paris III. Yves SIMARD - Universite de Franche-Comte, Besancon, Martine WENEZOUI - Institut de Linguistique Appliquee, Bangui. N'ont pu prendre part au seminaire : CADRES SOCIOLINGUISTIQUES Le Zaire (C. Dousset) . . Le Cameroun (P. Renaud) La Republique Centrafricaine (M. Wenezoui) Le Burkina-Faso (G. Prignitz) La Cote d'Ivoire (Y. Simard) Le Senegal (M. Daff et P. Dumont) 2 3 4 6 6 7 9 37 TABLE DES MATIERES AVANT PROPOS . . 1 DONNEES LINGUISTIQUES Expose Comment aires .11 .11 · 12 PERSPECTIVES PSYCHOSOCIALES Expose de Ph. Poutignat Comment aires ..... · 16 · 16 · 16 METHODES D'INVESTIGATION 21 CORPUS Expose de C1. Blanche-Benveniste Comment aires . .25 · 25 · 28 1 l- ",; ! ! '� , I / 38 1 , : .32 1 .32 i .. , .33 .� .34 .34 . 35 ORGANISATION DE LA RECHERCHE EN 1990-91 Objectifs Equipes locales Coordination Echeancier Serninaire 1991 . ANNEXE : Liste des participants . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36 BIBLIOTHEQUE DE L'UNtVcRSITE SECTION isrrcas 100, 8d Herriot 06200 NICE i I