Gilbert 8eauge UNIVERSITE DE NICE stln 1lllllllllllifli�illlllllll �ch erch es intereth niq ues et interculturelles o 0990009744 . . . . Logique du travail social et usage des equipements collectifs \ . par les families rnmiqrees I # . ,I EXCLU ,DU PR�T UNIVERSITE DE NICE OCTOBRE 1978 INSTITUT D'ETUDES ET DE RECHERCHES INTERETHNIQUES ET INTERCULTURELLES (I.D.E.R.LC.) Centre Associe de Formation Aux Relations Interculturelles (C.A.F.R.I.) 34; rue Verdi - 06000 NICE tel: 87.01.75 LOGIQUE DU TRAVAIL SOCIAL ET USAGE DES EQUIPEMENTS COLLECTIFS PAR LES FAMILLES IMMIGREES Gilbert BEAUGE ! Ce travail est le compte rendu d'une recherche menee � l'I.D.E.R.�.C. d'avril 1977 a juin 1978, contrat Ministere du Travail/Fonds d'Action Sociale. Ont participe egalement a cette recherche Sossie ANDIZIAN� Djamel FRIK, Farida KASMI, Eliane PERRIN, Rui SANDE. 11 a ete realise sous la direction scientifique de Michel QRIOL, Di�ecteur du C.A.F.R.I. -I I � '. '.. "Lorsqu'un hornme en nourrit un autre, i1 en devient 1e mattre". Dicton populaire ir1andais "11 etait de cette race d'hornmes qui aiment qu'on 1aisse leur arne tranqui11e et ne to1erait pas que Pierre, Paul ou Jacques viennent se me1er de ses affaires en echange d'une paire de pantouf1es a quatre pence". Jack LONDON. Le peup1e de l'Abtme. S 0 M M A IRE Pages I - INTRODUCTION II - LES VILLES DE MARSEILLE, NICE ET GRENOBLE 2.1 Implantation des populations d'origine etrangere 2.2 Le reseau d'equipements sociaux III - MONOGRAPHIES D'EQUIPEMENTS SOCIAUX - Le Rouret - Saint Gabriel - Le quartier Abbaye-Chatelet - Carros - Le quartier du Panier - La Cite Paul Mistral - La Sauvagere IV - DIVISION TECHNIQUE DU TRAVAIL SOCIAL ET FAMILLES IMMIGREES 1. Presentation 195 2. Redistribution des revenus ou strategie d'encadrement ? 201 3. La polyvalence de secteur 207 4. Le conseil en economie sociale et familiale 230 5. Le travail familial 253 6. La tutelle aux prestations sociales 264 7. Le secteur educatjf 273 8. Strategie de signalement et modele d'interpretation 293 l'enqu@te sociale 1 8 8 12 14 16 24 51 83 111 136 163 194 .. La communaute portugaise une strategie d'evitemen� 377 O. Presentation La communaute maghrebine 1. La question du logement 2. Une aide negociee 3. Une strategie d'assistes Pages 302 303 v - L'US�GE DE L'ACTION SOCIALE PAR LES FAMILLES ETRANGERES 4. La penetration des familIes 5. L'usage des equipements une strategie qe n�go£iatlon 325 325 337 345 351 362 .. BIBLIOGRAPHIE 395 ANNEXES I ANNEXES II 402 415 • - 1 - I INTRODUCTION L'arr�t du mouvement migratoire consecutif a une deterioration des conditions economiques globales et la tendance qui actuellement prevaut a favoriser des retours, tout en facilitant la venue des familles des travail­ leurs ayant gar de un emploi ,iridi'q'uent que le mouvement migratoire s I engage dans une phase decisive: celle ou les problemes que souleverait l'inser­ tion sociale des familles risquent de se poser avec une acuite que les so­ cietes "d'accueil" s'etaient tres peu preparees jusqula maintenant a af­ fronter. ' La dynamique des conflits interculturels sur les quartiers, l'augmen­ tation des effectifs etrangers dans les structures medico-pedagogiques, La quasi specialisation a laquelle parviennent certains secteurs de l'educa­ tion surveille� liees a la recrudescence des problemes que posent les ado­ lescents de la ·seconde generation sont aut ant de sympt.Bme s des d i f f Lcu Lt e s qui s'annoncent. Ce s sympt Bme s .sorit contemporains de la tendance des communau t.d s immi­ gr e cs a r ccher cher en' e l.Les -rndmes des modes de r e gu Lat; ion et des f o rme s d'organisation qui ne doivent ni aux modeles herites de la tradition rurale ni aux modeles que tente de leur imposer la societe occidentale (1). Re­ cherche permanente d'un compromis entre ces deux modes de socialisation qui permette de faire face aux difficultes rencontrees, les pratiques qui y cor­ respondent courent le risque de paraitre incoherentes aussi bien aux yeux de ceux qui; s I instituent dans le "gardiennage" de la tradition qu 'aux yeux de ceux, plus nombreux qui, ignorant Ie poids de cet heritage tentent d'ac­ querir les communautes immigrees au mode de vie occidental et aux valeurs de la vie moder ne ... ,. Parce que les contraintes liees a la sphere de la production parais­ sent de plus en plus severes sans qu'on assiste parallelement a une redi­ versificatio� des formes de socialisation de la force de travail ou des formes de lut�e (2) on Peut desormais considerer que clest dans la sphere de la reproduction. (famille, logement, sante, ecole) que vont se de placer les enjeux lies a l'insertion sociale des communautes immigrees. QU'il s'agisse de formes de luttes organisees (greves des loyers) ou de' formes,de riposte beaucoup plus diffuses permettant dlechapper aux (1) A. SAXAD. Les trois "ages" de l'immigration algerienne en France. Actes de La �'echerche -en'sciences' sociaie·s-.-'pp.- 59. 79. .. -'-, .. ------� (2) Ma�yse TRIPIER.' _90I'l�,�_�_r.:�,l)�� .s_t su�s� itlltJon,! Le ,I)1C?llvefI.lent �ynd,i..<;al et ).e,s tr ayat Lleur s iTllIT!ig,r.A�. Doctorat de 3e cycle, Un Lve r s i t e de Paris X Nanterre. Octobre 1977. - 2 - contraintes de 1a production (absent�isme, arr@ts ma1adie, etc_ •• ), 1a sph�re de 1a reproduction risque sous peu de devenir 1e th�atre de contradictions difficilemenL surmont ab l.es , Si dans un premier temps, 1a pr�sence massive de travailleurs coup�s de leur fami11e et contraints de vivre des situations de c�liba� forc� �tait peu propice a l'�mergence de mouvements revendicatifs ou � des formes de resistan­ ce d Lf Eus e , 1a .venue des familles en affaib1issant 1es liens avec les pays d'origine va renforcer 1es exigences portant sur l'insertion socia1e en dimi_ nuant La ca pac Lt e des familles a y faire face. Sur un plan mat�rie1 et pour des ressources stationnaires les couts de reproduction augmentent. Sur un plan relationne1,les deca1ages de ra1e a l'in­ t�rieur de 1a fami11e s'accusent : i1 suffit pour s'en rendre aompte de voir l'importance que prennent 1es prob1�mes de socialisation des adolescents de 1a seconde g�n�ration. Face a ce double handicap mat�riel et cu1ture1, l'action sociale donne une r�ponse a 1a fois contradictoire et normative. Combler un handicap mat�­ riel et redistribuer des ressources in�ga1ement repartie� devient l'alibi d'une entreprise de nor�lis?tion cu1ture11e et inversement, maintenir qes possibi- 1it�s d'expression.de 1a diff�rence cu1turelle et de "respect de l'identit�" devient l'a1ibi du caract�re d�risoire des redistributions - qui s'op�rent. crest �� capacit� de l'action socia1e a relayer les formes d'organisa­ tion et les solutions que les communaut�s immigr�es essaient de donn�r aux prob1�mes qu'elles rencontrent qui est d�sormais en jeu. Parce qu'e1le r�interpr�te a la 1umi�re des situations individuelles 1es plus catastrophiques l'ensemb1e des situations migratoires collectives, de ma­ ni�re a jus�ifier pour tous 1e traitement qu'e11e r�serve a certainS, l'action sociale ne peut que meconnattre les formes de socialisation nouvelles qui s'�laborent aujourd'hui au sein des communaut�s immigr�es. Ces. formes de socialisation non encore stabilis�es - mais en voie de stabilisation.- sont tout aussi etrang�res a l'entreprise de normqlisation fami1iale op�r�e se10n le moo�le de 1a fami11e occidentale, qu'aux mode1es de revendications collectives fond�s sur l'identification a une m�rne classe socia- 1e. Mais parce qu'a1ternativement, e11es empruntent a l'un ou a l'autre cer­ tains de ses �lements en fonction des situations ou des circonstances, quitte a assQr(ler 1a contradiction que ces emprunts ne manqueront pas de f�ire surgir, 1es fami11es immigr�es sont en permanence vou�es a l'incomprehension et a l' embarras dans 1eque1 p l ongent; m@me ceux qui leur portent un sout ien incon­ ditionneL - 3 - Ainsi,l� delegue syndical ne comprendra guere plus que tel ouvrier immi­ gre s'inscrive simultan�ment dans deux organisations incompatibles a ses yeux, que ce que l'assistante sociale ne comprendra quIa une periode d'attention "excessive" portee a l'enfant succede une periode de desinteret apparent. Apres l'usage que le service social a fait du terme "d" aut onomt e'! , il devient de plus en plus, difficile de l'utiliser sans courir le risque d'etre malentendu; rnais tout nous porte a penser que l'action sociale ne pourra veri­ tablement etreattentive et relayer ces modeles de comportements, ou pour le moins tirer la lees-on de ce qu'ils nous enseignent, sans renoncer simultane­ ment au proje.t d "integration normative et a celui syme t r ique d rune marginali­ sat ion dans la difference. Cette double exigence n'est ni une profession de foi, ni un voeu pieux. 11 s'agit to�t a la'fois de sauvegarder les capac Lt e s de regulation que l'ac­ tion social� cor;s'er�e encore en evitant d'aggraver les conditions de son pro­ pre echec (�c���tuer les contr8les) tout en contribuant a ce que les familles continuent dr�ri berietitt�r pour faciliter la viabilisation des solutions qu' elles aeco�v�ent. Sf, comme nous essaierons de le demontrer, les institutions d'action so­ ciale parviennent progressivement a fonctionner dans la logique de leur pro­ pre echec, reculant toujours davantage les limites qu'elles memes se fixent, pour continu�r a contr8ler ce qui progressivement leur echappe; inver sement, les families tenterit de tirer le meilleur parti des contradictions que cette tendance fait'surgir et s'organisent de telle maniere que leur adhesion - reelle ou simulee - aux exigences que formule le service social, laisse la porte ouveFte a leur propre maniere de faire ou de sly prendre. Ce malentendu sur lequel repose l'illusion educative du service social, " contrepar.tie symb o l.Lqu e des b�nefices reels (meme s ' ils sont minimes) qu ' en retirent les familles (prestations, services) est au principe meme de la fa­ 'Son dont ,s� reproduit Le sys t eme d" action sociale. Parce que les familles etrangeres interpeIIent ce malentendu en dehors des presupposes qui le fondent, elles nlen soulignent que davantage Ie carac­ tere arbitraire et precaire de sa legitimite (3). Ce malentendu echappe aussi bien a ceux qui comme Donzelot (4) font de llaction social� une ent;reprise systematique d'assujettissement et de domina­ tion d'une'ciasse sociale sur l'autre, quIa ceuxv"bonnes ames" ;qui continuent (3) Cet aspect a particulierement bien ete mis en evidence par M. Marie dans "La fonction'miroir". (4) Jacques DONZE LOT : la Police des familIes. Paris Editions de Minuit 78 - 4 - de pretendre que les familIes immigrees "ne connaissent pas Ie service social", "ne savent pas s'en servir", "ignorent ses mecanismes" etc ••• Cela ne veut pas dire que Ie service social n'exerce pas des fonctions objectives de domination ou de contrale social, ni meme que les familles etran­ geres ne rencontrent pas des difficultes de comprehension ou d'information. Cela souligne simplement que l'organisation du service social est telle que l'influence qu'il exerce, exige une complicite dans la relation d'assistance (5) et qu'inversement les connaissances ou les informations necessaires aux famil­ Le s pour maximiser l'usage du service- social ne sont pas f or cement celles que celui-ci suppose et diffuse. Reconnattre cet aspect actuellement est particulierement d�licat. Cela va a l'encontre et s'oppose aussi bien aux conceptions courantes des travail­ leurs sociaux qu'aux attitudes generalement adoptees par les familles. Les unes sont d'autant plus enclines a interpreter COmme une incomprehension ce qui Ie plus souvent se presente comme un refus, que Ie reconnattre reviendrait a de­ voiler les intentions qui les animent pendant que pou� les autres, pretendre line pas avoir compris" est la meilleure facson de dissimuler habilement ce refus, sans cesser de donner des garanties de "bonne volonte". En desaccord sur les objectifs a atteindre, mais au moins d'accord sur la caracterisation des obstacles qui sly opposent, Ie consensus sur l'incoml?re­ hension ouvre la voie a toutes les initiatives de formation ou d'�nformation des usagers, de "reunion de syntheses" ou de stages professionnels pour les travail­ leurs sociaux. Tres communement les familIes sont absentes de ces reunions d'information car les questions abordees ne sont pas celles qu'elles rencontrent ou si elles y participent crest qu'elles en attendent autre chose; si de leur cate, les travailleurs sociaux sont particulierement assidus dans les stag�s de recyclage c'est tout autant pour affiner leurs techniques d'intervention qlle pour revalo­ riser un statut voue a une constante depreciation. Nous avons donc tente de mettre en evidence Ie mode de fonctionnement de l'action sociale et les rapports qui s'etablissent avec les familles etrangeres (5) On objectera dans tous les cas que les familIes n'ont pas le choix de recourir ou non au service social compte tenu de la precarite de leurs condi­ tions d'existence. Nous essaierons de montrer dans ce travail que l'ensemble des prestations "extra-legales" c'est-a-dire celles qui ne sont pas obligatoires sur lesquelles Ie service social appuie la majeure partie de son influence, est sans commune mesure avec ce que les familIes concedent pour y acceder. et pour les besoins de la pratique. Parce que les rapports qui associent les uns aux autres sont dans la plu- '. � . - 5 - non pas a partir d'une interpretation retrospective de ses resultats d'ensemble mais a partir d�une analyse des schemes de comportements qu'il mobilise de part et d'autre. Ainsi nous avons essaye de saisir sous l'apparente continuite des dis­ cours et des pratiques les lignes de fractionnement ou de recomposition qui les parcourent. Cela nous a permis de discerner de quelle maniere la lente irrup­ tion d'une population etrangere dans le champ d'exercice du travail social permettait tout a la fois de reveler ses presupposes tout en soulignant l'ar­ bitraire de sa legitimite. Inversement, nous avons recherche dans les formes d'usage que les famil­ les etrangeres font du service social, l'ampleur du malentendu qui les y oppo­ se. Cette demarche nous a permis de mettre en evidence tout un domaine de connaissances pratiques, de savoir diffus qui, �'il n'est pas reconnu par le service social, est au principe de l'ussge que les familles en font. C'est cet ensemble de connaissances diffuses, d'attitudes ou de comportements que nous avons essaye d'apprehender par la notion de strategie : strategie de surenche­ re sur la demande des travailleurs sociaux, strategie d'evitement, de detour- ., nement, ou de simulation qui sont aut ant de reactions forgees dans la pratique , , , part des cas fondes sur une equivoque, parce que la structure d'echange qui apparemment les reunit dissimule en fait une profonde dissymetrie des positions et des pouvoirs de chacun, nous nous sommes efforces de dissocier nos demarches. En ce qui conc'er ne Le s' institutions du service social, nous avons t erit e de decrire "La surface d ! emergenc'e" des pr ob l.eme s lies a l' existence des famil­ les etrangeres, -de voir la rnan Le r e dont' ces pr ob l emes etaient r e l.aye s , ·delimi-· tes et interpretes par les differents acteurs intervenant dans le champ, de reperer les grilles d'analyse et d'interpretation qu'ils utilisaient pour comprendre 1es' effets que chacun tentait alors de produire. Peu a peu se sont dessines les contours d'un "abord" par les travailleurs sociaux des familles immigrees et des problemes qu'elles posent. Ce travail s'est poursuivi dans trois grandes villes du Sud-Est de la France : Nice, Marseille et Grenoble. Dans chaque ville nous avons retenu trois quartiers ou davantage selon les precisions que nous voulions obtenir sur tel ou tel point de detail. Pour Nice, il stagit des quartiers du Rouret, de St Augustin, de l'Ariane et de Carros-le-Neuf; nous a�ons egalement tire quelques enseignements de la • connaissance que nous avions du quartier des Vignasses a la Trinite. - 6 - Pour Marseille, il s'agit des qu�rtiers du Panier, de la Sauvagere et de St Gabriel. A Grenoble, nous nous sommes interesses aux quartiers Mistral, Chatelet­ Abbaye et Teisseyre. 1 Pour toute une serie de raisons qui tiennent au mode mgme de fonction- nement de ces equipements, mais egalement pour des raisons d'ordre beaucoup plus conjoncturel (consultation electorale de mars 1978) nous n'avons pu avoir acces a certaines categories d'equ�pements : c'est le cas du C.A.Q. de la Renaude a Marseille. Dans d'autres circonstances, nous avons rencontre une fin de non recevoir de la part des responsables d'equipement : c'est le cas du Centre social Chorrie Berriat a Grenoble. Du point de vue de la methode, cette phase du travail n'a pas souleve de difficultes particulieres si ce n'est que l'acces aux sources d'information apparait de plus en plus comme une contrainte majeure du processus de recher­ che : les institutions negocient les informations doht elles disposent sur elles-mgmes sous �a forme d'un contrele de son usage, ou bien refusent de par­ ticiper a l'enqugte. Plus les informations que le chercheur reclame sont liees a des enjeux sociaux eleves, plus les garanties de contrele qufexigent les institutions sont importantes. Seules les informations faiblement valorisees sont livrees sans contrepartie, mais dans Ie mgme temps crest leur pertinence qui s'amenuise. Dans cette phase, nous avons utilise les materiaux habituellement dispo­ nibles pour l'analyse institutionnelle : compte rendus de reunion, bilans d'activites, documents internes, circulaires ecrites, lettres, entretiens avec les responsables d'equipement et les travailleurs sociaux, protocole d'obser­ vations directes ••• Les resultats de cette demarche sont consignes dans deux chapitres differents : Dans Ie chapitre III, nous rapportons les monographies de quartiers. II s'agit d'une description globale du fonctionnement des equipements. Ce chapitr� a base d'elements de description, tient compte des regularites que nous avons pu mettre en evidence sur l'ensemble des quartiers. Pour des raisons evidentes de deontologie, Ie materiel recueilli nra pu etre entierement traite dans les monographies de quartiers. C1est lfobjet du chapitre IV de presenter ce mate­ riel sous un angle different : celui de la division technique du travail socia4 Nous nous sommes alors attach�s a souligner les specificites de chaque catego­ rie de travailleurs sociaux relativement aux problemes abordes : assistante sociale, conseillere E.S.F., travailleuses familiales, tutelle aux prestation� educateurs specialises, prevention. - 7 - Dans le chapitre V, nous abordons l'etude des familles. Cette appro­ che nous a permis de faire converger deux types de materiaux : l'etude des. dossiers d'enqu�te sociale realisee par des assistantes specialisees et l'etu­ de des entretiens avec les familles. Ces entretiens se sont deroules en langue arabe.ou portugaise. Le travail de traitement a porte sur des traductions eta­ blies a partir des enregistrements originauxe Nous indiquerons ulterieurement les caracteristiques d'ensemble de notre population familiale; precisons sim­ plement que le temps passe avec les familles a ete extr�ement variable et fonction du type de relation que nous sommes parvenus a etablir. Sossie Andizian a qui nous devons l'essentiel des entretiens realises en langue arabe, a echelonne son travail jusqu'a suivre personnellement une famille pendant un an en raison des problemes particuliers qu'elle y rencontrait. De son c8te, Rui Sande, dont lVimplantation en milieu portugais gre­ noblois preexistait largement a notre enqu�te s'est organise differemment ses observations etaient consignees apres entretien : il gagnait en etendue des questions abordees ce qu'il concedait en litteralite des propos recueillis. Dans le dernier chapitre, nous essaierons de tirer les conclusions pratiques de ce travail en tenant compte simultanement des capacites de trans-' formation de l'action sociale dans son ensemble ou sur tel aspect particulier, mais surtout de ce que recherchent les familles lorsqu'elles frequentent les equipements de quartier et ce qu'elles lui reprochent lorsqu'elles cessent de le faire. Ce travail sera precede d'une description globale de l'implantation des populations etrangeres dans les trois villes etudiees ainsi que d'un in­ ventaire des equipements dont elles disposent (chapitre 11). 11 nous reste a remercier tous ceux qui par le concours qu'ils nous ont apporte et la comprehension qu'ils nous ont manifestee, ont fait que ce travail ait pu avoir Li eu , 11 nous faut egalement remercier 1es familles, pour qui se livrer au jeu de nos entretiens, participaitsouvent du malentendu que nous avons decrit. � - 8 - II LES VILLES DE MARSEILLE, NICE ET GRENOBLE 2.1 1mplantation des populations etrangeres dans les villes de Marseille, Nice et Grenoble· Les donnees du recensement sont faiblement attentives aux populations etrangeres et nous ne disposons en ce qui les concerne que d'indications ex­ tr�mement generales qui permettent toutefois d'evaluer 1. La repartition de la densite de population etrangere par quartier (confe� en annexes les tableaux la, lb et lc, colonne 4) Cet indice de premiere elaboration est obtenu en reportant la popula­ tion etrangere (colonne 3) a la population totale (colonne 2). 2. Le taux de rotation de la population etrangere durant la periode intercensitaire (colonne 6). Cet indice represente Ie rapport du nombre d'e­ trangers presents en 1975 et hors metropole en 1968 (colonne 5) au volume de la population etrangere en 1975 (colonne 3) il nous fournit un indice global et par quartier de la stabilite de la population etrangere en France pour la periode consideree. Ces donnees sont interessantes, mais peuvent �tre mieux utilisees si nous les reportons a des indications plus generales concernant l'usage social de l'habitat par quartier : nous avons retenu deux indices. - Un indice global de la stabilite au logement de la population entre 1975 et 1968 (colonne 8). II est obtenu en reportant Ie nombre de personnes occupant en 1975 Ie m�me logement qu'en 1968 (colonne 7) au volume global de la population (colonne 2). - Un indice de la mobilite intra-communale, transfert de population d'un quartier a l'autre entre 1968 et 1975 (colonne 10) qui est obtenu en reportant - par quartier - Ie nombre de personnes habitant la commune en 1968 (colonne 9) au volume global de la population en 1975 (colonne 2). Les indices sont heterogenes et il est par consequent perilleux de ten- ter leur croisement pour faire appara1tre une quelconque regularite les deux premiers indices concernent uniquement la population etrangere, les deux derniers la population dans son ensemble (etrangers compris). lIs definissent malgre tout les grands axes d'une typologie de ltusage de l'habitat par quar­ tier dont nous preciserons ulterieurement Ie parti que l'on peut en tirer. - 9 - a) Nice (tableau 1a) L'imp1antation des populations etrangeres dans 1a ville de Nice n'accuse pas d'aussi fortes disparites que pour Marseille. La densite osci11e aut�ur d'une moyenne de 8.2 % sur l'ensemb1e de 1a commune avec une assez faib1e dispersion par quartier. Nous rencontrons des maximum de 20 % et 18 % respectivement dans 1e Vieux-Nice (nO 8) et 1es quartiers de Fabron-Ste Marguerite (nO 42), des densi­ tes inferieures a 5 % a l'Est de 1a ville, co11ines du Mont Gros (37), Est du boulevard St Roch (39) quartier des Corniches (40) Les donnees dont nous disposons ne nous permettent pas de mettre en evidence 1e peup1ement des quartiers peripheriques (Ariane) ou des communes avoisinantes : 1es Vignasses a 1a Trinite, Tourrettes-Levens au Nord, Carros- 1e-Neuf a l'Ouest. 11 nous faut noter toutefois un rejet des populations im­ migrees a 1a peripherie de l'agg1omeration ni�oise. 'Deux remarques doivent etre faites si l'on veut interpreter convena­ b1ement 1es donnees dont nous disposons : 1. Le decoupage par zones de recensement qui souvent ne respecte pas l'unite nature11e des quartiers est tel que, frequemment i1 "ecrase" tota1e­ ment des "foyers" de concentration etrangere importants. crest 1e cas par exemp1e du quartier de Bon Voyage entierement pris dans 1a zone des co11ines du Mont Gros. 2. Par ai11eurs, 1e recensement pe nous donne qu'une estimation gros­ siere et approximative des populations etrangeres : les agents du recensement que nous avons rencontres nous ont confirme que, pour Ie quartier du Vieux­ Nice, par exemp1e, seuls 1es etrangers en situation regu1iere ont ete enregis­ tres. Notons egalement que 1a population etrangere ni�oise s'est pratique­ ment renouve1ee du 1/3 durant 1a periode intercensitaire (tableau 1a - colonne 6) et que 1a encore, cette moyenne de 28 % sur l'ensemble de la commu­ ne, dissimule d'importantes disparites par quartier : Renouve11ement de moitie dans 1es quartiers Fabron, Ste Marguerite (54 %) du vingtieme dans 1e quartier Carabace1 (5.8 %). 1. Que la fonction de "plaque tournante" de l'innnigration que cette ville joue, opere dans des intervalles de temps extremement brefs et dans des zones extremement localisees : l'analyse par quartier le confirme. ..,.. - 10 - b) Grenoble (tab leau lb) La densite moyenne de population etrangere sur Grenoble (11 %) est la plus forte des trois villes que nous etudions (Nice 8.2 % et Marseille 7.8 %), mais inversement la population innnigree y est mieux repartie par quartier • Nous obtenons une densite maximale de 39 % au quartier St Laurent Oll simultanement la population innnigree est la mieux stabilisee : seule une fraction de 4.7 % presente en 1975 eta it hors metropole en 1968. Dans le meme temps - et ces trois indices cumules donnent au quar­ tier St Laurent sa physionomie particuliere, crest le quartier dont Ie peu­ plement s'est opere dans la plus forte proportion (38.9 %) a partir des autres quartiers de la ville - le quartier St Laurent est un quartier auquel la popu­ lation etrangere aboutit de maniere durable. A cet egard, il s'oppose fortement au quartier de "l'Esplanade" qui semble jouer pour la population innnigree le rale d'une plaque to'urnante : 61 % de la population etrangere presente en 1975 eta it hors metropole en 1968, et le peuplement du quartier s'opere en proportion extremement faible a partir des autres quartiers de la ville (18.6 %). D'autres quartiers enregistrent egalement une forte densite de popu­ lation Imm Lg r e e : Allies 21.8 %, N-d'tre-Dame 29.8 %, Te Ls se r e 24 % • • Les densites les plus faibles s'observent dans le centre de la ville: ce sont les quartiers de la Preiecture (4.9 %), Albert le .(4.6 %) Championnet (5.7 %) et Bayard (5.3 %). Simultanement ces quartiers sont ceux Oll la stabilite au logement (colonne 8) depasse la moyenne de l'agglomeration. c) Marseille 1. Par arrondissement (tableau lc) La premiere chose qui nous frappe sur Marseille crest le faible renouvellement de sa population etrangere durant la periode comprise entre les deux recensements. Seulement 18 % de cette population etait hors metropole en 1968. Cela signifie a la fois - 11 - 2. Mais ega1ement que 1a population etrangere qui sly fixe, Ee rait: beaucoup plus durab1ement qu'ai11eurs. La densite de population immigree y est faib1e dans l'ensemb1e, mais dissimu1e une dispersion par quartier extr�mement importante qui confirme l'amp1eur des mecanismes de segragation au niveau du logement. Le premier .et; 1e d eux Leme arrondissements (quartier de 1a Care, de 1a Porte d'Aix, du Panier et de 1a Jo1iette) avec des densites tres impor­ tantes,apparaissent comme des zones de transit; avec des densites comparab1es (superieur�s a 12 %) 1e quatorze et 1e quinzieme arrondissements (Bon-Secours, Ste Marthe, 1a Cabuce11e) mais surtout 1e seizieme (l'Estaque) apparaissent comme des zones de stabilisation. Le quatrieme arrondissement (C�nq Avenues, B1ancarde des Chartreux, Chutes Lavies) 1e cinquieme (quartier de 1a Concep­ tion) 1e septieme (St Victor, Pharo Endoume, Roucas Blanc) et 1e huitieme (Prado - B1. Miche1et au Nord, 1a Pointe Rouge a l'Est) sont des zones de fai­ b1e implantation (inferieure a 4 %). L'ensemb1e des autres arrondissements se situe dans 1a moyenne de l'agg1omeration (autour de 8 %) Cette premiere approche par arrondissement permet d'emb1ee de saisir 1e mouvement d'imp1antation des populations etrangeres dans Marseille. On peut dire que 1es immigres se situent a l'Ouest d'une 1igne de partage. Tres precisement definie par 1a Canebiere avec un centre ville a tres forte dens Lt e de peup1ement jouant une Eonct.Lon de plaque tournante, et des quart iers peripheriques Ouest (14, 15, 16eme) ou l'immigration a tendance a se stabi1iser. Entre 1es deux, et avec une densite moyenne de peup1ement 1e 3eme arrondisse­ ment (Belle de Mai, La Vi1ette, St. Lazarre) joue un ra1e de tampon. Cette approche par arrondissement ne permet pas de faire apparat­ tre 1es disparites qui existent a l'interieur des zones urbaines �u'i1s defi­ nissent. Pour ne donner qu'un exemp1e, Ie premier arrondissement juxtapose 1e quartier de 1a Porte d'Aix (40 %) et ce1ui de 1'0pera (2.6 %). Une demarche minutieuse et par quartier est done necessaire. Si nous affinons l'ana1yse par quartier 1es remarques qui prece­ dent se precisent : Une dizaine de quartiers presentent des taux de renouve11ement de 1a population etrangere pendant 1a periode intercensitaire, superieurs a 36 %; mais i1 s'agit pour l'essentie1 de quartiers a faib1e densite de population etrangere (inferieure ou ega1e a 6 % de 1a population tota1e). 11 s'agit done - 12 - de quartiers ou la population etrangere tente de se fixer mais sans y parvenir. lIs sont situes dans Ie 8eme et Ie geme arrondissements. Iuversement lvec une densite de population tres nettement superieu­ re a la moyenne de l'agglomeration (plus de 20 %) et avec des taux de renouvel­ lement inferieurs a 18 %, certains quartiers apparaissent comme des pales de stabilisation durable : ils sont situes dans Ie 14eme, Ie 15eme, et Ie 16eme arrondissements� Le quartier de la Porte d'Aix se detache nettement des autres quar­ tiers; avec une densite de population extr�mement elevee (42 %) et un taux de renouvellement tres superieur a la moyenne (36 %) : il apparatt bien comme un pole de fixation et une plaque tournante du mouvement migratoire (cf tableau 2) La majorite des quartiers ont une densite de population qui oscil­ Ie entre 3 et 9 % avec des taux de renouvellement de la population etrangere compris entre 9 et 80 %. Ces derniers ne suffisent pas pour caracteriser la physionomie des quartiers par rapport au mouvement migratoire. 2.2 Le reseau dYequipements sociaux Etablir l'inventaire des equipements sociaux d'une agglomeration sou­ leve de nombreuses difficultes; l'heterogeneite des fonctions qu'ils remplis­ sent et l'extr�me diversite des situations locales font que Ie m�me type d'e­ quipement, par exemple lila maison pour tous", joue ici ou la des roles radica­ lement differents� Sous l'apparente identite des appellations ou des statuts administratifs se dissimulent des differences considerables. De surcrott, la IDultiplicite des organismes intervenant y compris a l'interieur d'un m�me equi­ pement, rend difficile la tache dVen differencier les modes de gestion. Quel­ ques grandes tendaric e s ma l.gr-e tout se manifestent. Ainsi la ville de Marseille apparatt convenablement equipee, avec toute la gamme des equipements sociaux usuels, m�me si la preponderance des equipe­ ments directement controles par Ie pouvoir local s'accuse au fil des annees : unite d�animation sociale (UAG), centre d'animation de quartier (CAQ), maisons de quartier, et c, , , A lYinverse, la ville de Grenoble apparatt comme surequipee avec une tendance tres marquee a l'integration des differents fonctions ou services. En revanche, la ville de Nice se signale par deux caracteristiques prin- cipales 1� 1'insuffisance globale de l' equipement social et la d Lf f e r enc La t Lon - 13 - territoriale des organismes gestionnaires. 2. le r8le preponderant des equipements de soins (dispensaires) et l'absence quasi-totale de vie associative de qua�tier .. Le centre social est quasiment absent de la gamme des equipements so­ c;:iaux nic;ois. Si nous penetrons davantage dans la logique de l'equipement social de chaque agglomeration, plusieurs observations s'imposent : 1. L'equipement social est un phenomene de peripherie urbaine. D'une maniere generale les centres urbains sont sous-equips$ par rapport aux nouveaux quartiers peripheriques. l1.s s'inscrivent massivement dans le mode d'urbanisa­ tion qui a commence a prevaloir aut our des annees soixante. crest tres nettement le cas pour la ville de Marseille: ainsi le 13eme, le 14eme et le 15eme arrondissements a eux seuls representent Em volume, pres de 40 % de l'equipement social de la ville pour une population qui ne re­ pr e serrt e Iqil�� 25' % de l' agg l omer at ion. Sfmu Lt anemerrt , nous avons vu que ces arrondissements accueillent et stabilisent pres de 35 % de la population etran­ gere de l'agglo:meration. Parallelement, ces arrondissements accueillent pres de la moitie des centres d'aniination de quartier (CAQ) : equipements sociaux directement contr8- les par le pouvoir municipal. " '", La repartition par type d'equipement est ,.. , , variable seul extremement le geme arrondissement de Marseille dispose sur un meme pied d" ega lite de toute la gamme des ,squipements disponibles. En revanche, le 1er et le 16eme arrondis- sements sont typiquement sous-squipes - (cf tableau de la repartition des equi­ pements collectifs par arrondissement - Marseille). Cette tendance se verifie egalement pour la ville de Grenoble et la ville de Nice mais avec des caracte­ ristiques distinctes. 3. Le Quartier Abbaye-Chatelet (Grenoble) 1. Le �ode de production du cadre bati et morcele 2. Periodisat�on de l'intervention sociale sur Ie quartier un processus chaotique - 14 - III - MONOGRAPHIES D'EQUIPEMENTS SOCIAUX 1. Le Rouret (Nice) 1. Historique de la maison de la jeunesse 2. Origine et evolution du processus 3. Bilan et perspective 2. St Gabriel (Marseille) 1. Evolution et problemes generaux 2. Fonctionnement et activites A. Les activites permanentes B. Les permanences C. Les activites de coordination D. Le programme d'animation globale cancertee (1969-1976) 3. Fonctionnement actuel et difficulte de la coordination 4. Carros Ie Neuf (Nice) 1. Situation d'ensemble 2. La population 3. Le dispositif social actuel sociaux 4. Les principaux problemes 5. Les activites du service social equipements et travailleurs 5. Le Quartier du Panier (Marseille) 1. Le quartier 2. L'action sociale sur Ie quartier 3. Le centre social Baussenque 6. La Cite Paul Mistral (Grenoble) 1. La logique des grands ensembles 2. Mise en place du dispositif d'action sociale .. t r avad Ll.eur s .:i:rr..@.ig1:"�S - IDERIC 1975. conception de l'alpha­ k�� eft?!A. <;l_�.J(LtQr- - 36 - En definitive, les apprentissages fonctionnels restent extremement rares "II Y a deux ou trois ans, j'ai fait les mandats. Je leur ai appris a ecrire les chiffres en lettres". Le groupe d'alphabetisation du C.PoE. reste marginal par rapport aux autres activites du centre et malgre certaines tentatives de la part des monitrices, Ie malentendu pourrait-on dire subsiste. L'une d'elles en rend compte dans les termes suivants : "Cette annee, nous avons essaye de voir ce que faisaient les autres, mais on ne touche pas toujours les memes gens. Ori connatt les activites du centre, mais on y participe peu". Pendant la semaine que nous y avons passe, les animatrices du centre social avaient lance Ie projet d'un film sur Ie Bengladesh suivi d'un debat anime par un representant de "Terre des honnnes". L'objectif, en reunissant l'ensemble des groupes aut our d'une question connnune, etait de favoriser la rencontre et de creer des points de convergence. Les monitrices du C.P9E. y donnent leur accord, mais Ie malentendu apparatt aussit6t � "Nous sonnnes la jeudi, mmes condamnes a �tre des emmerdeurs, nous confie Ie directeur du service, on ne peut pas faire ce que lion fait et ne pas IV�tre". D'un c6te, l'espace et les modes d'intervention des educateurs de rue doivent constamment s'elargir au fur et a me sure que s'approfondit l'antagonisme qui oppose les adolescents delinquants aux institutions de la (18) Des Ie debut du mouvement d'urbanisation "la ruelV devient la han­ tise des classes dominantes et inversement toute une partie de l'histoire des classes populaires se confond avec l'usage qu'elles font "de la rue". Au de­ but du siecle, Henri Lavedan l'exprime avec vigueur � "Quel est dans la clas­ se ouvriere, Ie plus grand danger pour l'enfant, l'homme et la femme, Ie principal ennemi de la famille ? Ciest la rue. La rue attirante, bruyante, agitee qui grise et pervertit, la rue composite - et parfois inoffensive d'as­ pect - mais presque toujours sournoise, equivoque et malsaine, effrayante et formidable avec ses pieges, ses tentations, ses libertes et sa licence, ses affiches, ses cabarets et des petits avis, ses annonces, ses impudences et ses crudites, ses devantures, ses gestes et ses regards, ses papiers qui vo­ lent mais sont recueillis, ses ecrits qui demeurent. La rue avec ses h6tels et ses terrains vagues, ses aveuglantes lumiere!;1 et ses coins tenebreux, avec sa boue, ses bars, ses ruisseaux, son ivrognerie, ses hoquets, Ie poison de son atmosphere, de son aa..cool et de ses vices, Ie cynisme de son franc parler, l'audace de ses fr6lements, de ses insinuations, de ses poursuites, de ses attaques, la rue sans-g�ne enfin ou tout sletale, ou la decence et Ie respect sont abolis, que lion souille a plaisir, naturellement, comme si elle etait destinee a cet usage, ou l'on crie et l'on crache, ou l'on jett'2 tout p�le-m�le, restes de la table, detritus de la vie, ordures du langage� du corps et de la pensee ( ••• ) ou malgre soi lIon arr�te, fl�ne, r6de, glisse et t ombe'", Henri Lavedan , !-JLIClmiJl�Lran aisE,?, Paris, Perrin, 1917, po 143 - 105 - societe globale, de l'autre c8te, leur marge d'initiative est constamment re­ duite par le rapport qu'eux-memes entretiennent avec leur propre institution$ Si bien que pour saisir convenablement le fonctionnement d'une equipe de pre­ vention, il est necessaire d'apprehender simultanement les rapports qui se developpent entre : 1. les representants de la societe globale, 2. les associations de prevention, 3. les equipes d'educateurs, 4. les groupes d'adolescents (bandes de quartier, etc ••• ). Pour les educateurs, leur seule chance de succes apparatt dans le renforcement de la relation primaire (interindividuelle) ce qui suppose une "desinstitutionnalisation" maximale de leur pratique, au moins aux yeux des adolescents (19). L'essentiel pour les educateurs de rue, c'est finalement de maintenir la demande, et cette demande se fomule toujours comme une de­ mande "d'impossible" ou plus exactement comme une demande qui consiste - de la part des adolescents - a tester en pemanence "les possibilites" de l'edu­ cateur, jusqu'a le mettre en contradiction avec ses propres limites - qui pour l'essentiel sont des limites institutionnelles (20). L'usage du local manifeste tres clairement cet aspect. A plusieurs reprises, les adolescents ont occupe les locaux, alors qu'ils etaient femes, en passant par les balcons. Ils n'ont rien casse, mais ont mange tout ce que contenait le frigidaire et pris une petite somme d'argent dans une caisse corrnnunautaire. Du point de vue des educateurs, il ne s'agit la que d'un epi­ sode nomal de la relation qu'ils tentent d'etablir av�c les adolescents; mais a la suite de ces incidents, des "eclaircissements" entre les animateurs et l'institution Montjoye ont abouti a l'interdiction de laisser le local ouvert en dehors de la presence d'un animateur. Interdiction egalement, de confier la cle du local a des adolescents, et de les laisser seuls plus d'une demi­ heure. Les educateurs voient dans ces dispositions une entrave au travail qui (19) Plus que jamais, la comprehension des groupes d'adolescents delin­ quants echappe aux procedures habituelles de l'enquete standardisee. Nous re­ viendrons longuement sur cet aspect a propos du quartier de la Sauvagere (Marseille) ou nous avons pendant six mois, anime un travail d'equipe, en di­ rection d'un groupe de jeunes delinquants maghrebins. (20) Tout ce qui constitue le "reglement interieur" auquel l'educateur doit se confomer sous peine de cesser "d'etre couvert" par l'association dans laquelle il travaille, fait de la part des adolescents l'objet d'une decons­ truction incessante et minutieuse destinee a placer l'educateur dans la posi­ tion ou il aura a choisir entre ce que lui demande le groupe et ce que lui prescrit l'insitution; la demande des uns etant fomulee avec d'autant plus de vigueur que les prescriptions des autres l'interdiseot, ou lui assignent des limites. - 106 - leur faut accomp1ir, entraves qui progressivement reduisent leur marge d'ini­ tiative au moment m@me ou i1s auraient besoin d'avoir "les coudees franches". Parce que 1Vobjectif de 1a relation educative concerne 1a manipula­ tion du conf1it (21) qui, d'une maniere genera1e oppose 1es adolescents aux institutions, tout se passe comme si, 1e conf1it et 1a manipulation du conf1it ne pouvaient �tre que 1e mode de fonctionnement des institutions qui prennent en charge cette relation. On pourrait presque dire que 1es educateurs, contraints de re1ayer a l'interieur de l'institution l'attitude que 1es ado­ lescents ont vis-a-vis d'eux-m�mes (22) n'y trouvent que ce qu'i1s y apportent. Apparatt a10rs - du point de vue de l'institution - 1a necessite de mettre en place des dispositifs regu1ateurs internes, te1s que la "conunission de preven­ tion�, mais ega1ement 1es obstacles auxque1s s'op�ose son fonctionnement : 1a crainte par 1es educateurs d'y �tre manipu1es. "La conunission de prevention" devrait avoir une fonction mediatrice en reunissant des membres du C.A. et des representants du personnel; mais pour l'instant, e11e ne recuei11e pas l'assentiment du personnel qui n'y voit "qu'un rouage bureaucratique supp1ementaire". Ainsi, chaque pa1ier de 1a pratique administrative ou de terrain est en permanence traverse par des conf1its 1atents (ou exprimes de maniere infor­ melle), ou 1a circulation de rumeurs et de oui-dire compromet en permanence 1es initiatives de chacun, et ou 1a suspicion et 1a defiance mutue11e tien­ nent lieu d'e1ements regu1ateurs. L'attitude des educateurs concernant 1es adolescents etrangers fait ega1ement partie des objets de conf1its possibles. Uniquement inscrite conune po s s Lb I l.Lt e de conf1it car aucun pr ob l.eme grave n'a ju squ t a maintenant ma­ nifeste cette opposition, l'attitude a avoir se reg1e au jour 1e jour, dans la pratique et en fonction de l'experience que peut avoir chaque educateur. La doctrine officiel1e sur cette question consiste a sou1igner l'indifferen­ ciation des conditions socia1es dans 1esque11es se trouvent 1es adolescents, qu'i1s soient de l'une ou de l'autre culture, mais surtout 1e danger qui consisterait a differencier des reponses qui fata1ement ne pourraient qu'abou­ tir a dissocier davantage des solidarites deja precaires. (21)"Que nous 1e vou1ions ou non, nous s omme s des manipu1ateurs ••• l'es­ sentie1 crest d'�tre des manipu1ateurs honn�tes" (directeur du service) (22) "Un jour un educateur m'a dit : ecoute, nous ne pouvons plus faire qu'une seu1e chose: crest d'�tre 1es porteurs de 1a contestation des jeunes. Je lui ai repondu : �a y est, nous y sonunes" (directeur du service) pas les causes plus profondes qui sont a l'origine pour les adolescents - 107 - "Pour moi, il n'y a pas de difference. Si on distingue, on va secto­ riser des gens, alors qu'ils sont assez bien integres". Directeur du service. L'expression des differences culturelles est toujours vecue comme un facteur de desunion, mais inversement en mettant l'accent sur les manifesta­ tions conflictuelles de cette difference au niveau des groupes, n'i&nore-t-on immigres de la seconde generation - de cette rupture de la cohesion des refe­ rentiels familiaux et culturels extremement specifiques s�1on la culture a laquelle on appartient, et doublement specifiques lorsqu'en permanence on est "tiraille" entre deux cultures ? Ces modes de reflexion et de reaction sont essentiels a la maniere dont l'etre d'une certaine aire culturelle s'eprouve et du meme coup se con�oit, dans la me sure ou ils forment une totalite; et c'est precisement la rupture de cette totalite, l'heterogeneite des referentiels qu'elle intro­ duit (23) qui est en principe de "liagressivitefl dont parlent les educateurs et qu'ils ne peuvent que "canaliser" faute de pouvoir la comprendre : "II nous faut canaliser l'agressivite ••• Les adolescents se rendent compte qu'ils ne peuvent meme plus etre delinquants. Alors ils recherchent n'importe quoi ••• Le suicide par exemple ou la drogue, c'est pareil, mais dans la joie si j'ose dire" ••• Directeur du service. Ce que Ie directeur du service de prevention exprime en disant "qu'ils ne peuvent plus etre de I Lnquant s "ou ce qu' exprime Miloud en disant qu' il ne sera jamais ni Algerien, ni Fran�ais totalement, ne sont que des aspects dif­ f�rents d'un processus identique : la qu�te d'une identite. (23) Cette detresse a laquelle aboutit la plupart du temps l'heterogenei­ te des referentiels culturels est vivement exprimee par Miloud (Algerien de 18 ans, ne en France)·: "Regarde-moi, ici je serai toujours un sale bougnoule, quand je travaillerais, ce sera du travail d'arabe. Je serai jamais fran�ais, tu as vu ma tete? Eh bien, en Algerie, c'est pareil ! Quand j'y vais, je me rends vite compt-e que je serai jamais un vrai Algerien. On me prend pour un Fran�ais la-bas, tu te rends compte? AU il est mon pays? Au milieu de la mer� Je me noie au milieu de la mer. - 108 - Cette recherche dUidentite, de reconnaissance, n'est pas totalement meconnue par les educateurs et crest la raison qui les pousse a privilegier la relation interindividuelle (24) mais simultanement cette relation est di­ luee dans l'homogeneite s�pposee 'des groupes d'adolescentso Que ces groupes ne soient veritablement pas homogenes, ou que leur homogeneite apparente soit fondee sur Ie partage d'une communaute d'exclusion tout l'indique et les symptomes en sont nombreux. "Jose (l'educateur) fait observer que Ie contact est quasiment impos­ sible avec les filles maghrebines a cause d'interdits paternels, efficacement relayes par les a!nes, et tres difficile avec les gar�ons dans Ie cadre d'un groupe "parce que les demandes ne sont pas identiques". 11 note "Qu'aucune integration veritable ne s'est jamais realisee et qu'il y a eu Ie plus souvent des phenomenes d'autoexclusion"o Le groupe qulil anime - comprenant deux maghrebins - avait decide cet hiver de faire du ski � les maghrebins ne sont jamais venus et Jose l'inter­ prete comme un refus de "supporter l'idee de se trouver dans une situation d'echec". Marie-Paule precise les conditions dans lesquelles ont eu lieu les occupations "sauvages" du local g "Le groupe compose essentiellement de prevenus avait eclate lors des arrestations et des interrogatoires policiers, les uns ayant donne les autres. C'est a l'annonce du proces que Ie groupe slest a nouveau ressoud� pour discuter de la situation de chacun et mettre au point un systeme de d�fense"o Autant d'elements qui nous engagent a mieux cerner la maniere dont les adolescents de la seconde generation tentent de donner une solution aux problemes que leur pose leur insertion a chaque palier de la realite sociale dont l'element determinant para it bien etre les tensions de tout ordre aux­ quelles est soumis l'espace familial. (24) Avec tous les ressorts de seduction que comporte une relat.ior.l a base d'identification, Karine (l'educatrice) fait observer que "Ie fait de posseder line vniture et de pouvoir se deplacer avec les jeunes sont avec la cha!ne ste­ reo, un des attraits capital des animateurs. Elle qui n'avait ni permis de conduire, ni vehicule, n1avait au debut que peu de succes". - 109 - 5.4) Les activites de l'A.T.E. Ce panorama de l'action sociale en direction des familles immigrees a Carros-le-Neuf, sera it incomplet si nous ne mentionnions pas la presence de l'A.T.E. (25) extremement recente puisqu'elle date de decembre dernier (12/1977). Monsieur S., Conseiller §ocial de l'A.T.E. tient une permanence a la Mairie annexe, tous les vendredis de 15 a 19 heures. 11 parle couramment six langues et se charge lui-meme de donner une solution aux problemes qui lui sont soumis (logement, travail, paiement des prestations, consultations a caract ere juridique, pensions, education des enfants, correspondance, contact avec les administrations, etc ••• ). "J'effectue toutes les demarches moi-meme sans renvoyer les etran­ gers aux autres travailleurs sociaux de Carros ••• " Grace aux nombreux contacts qu'il entretient avec les apministrations, Monsieur S. donne cas par cas une solution a tel ou tel probleme qui lui est soumis et dont il fait "une affaire personnelle". 11 nous signale qu'il a ainsi obtenu en 1976, 32 derogations speciales pour les permis de sejour ou de tra­ vail, qu'il n'aurait jamais pu obtenir sans les contacts reguliers (mensuels) qu'il a avec Monsieur le Prefet. Ce style de travail ne fait pas l'unanimite des autres travailleurs sociaux qui y discernent la mise en oeuvre "de la relation d'aide dans toute sa splendeur", precisement "le contraire de ce que nous essayons de faire, cette relation de dependance qui fait de celui qui re�oit l'oblige de celui qui donne". Monsieur S. se propose de realiser a Carros-le-Neuf, le meme program­ me que pour suit l' A. T_�E. a St Andre depuis de nombreuses annee s , Dans ce sens, il a deja passe convention avec le directeur de l'Ecole Spinelli pour y donner des cours d'alphabetisation en fran�ais et en arabe. Le confl it ext.r ememen t severe qui a secoue l' A. T.E. il y a b Lent.Bt (25) L'A.T.E. (Aide aux Travailleurs Etrangers) est une association, loi 1901, qui existe depuis 1953. Son siege se trouve 29, rue Pastorelli a Nice. Elle depend du Ministere du Travail. - 110 - un an et qui est a l'origine de la creation de l'A.L.I.F. (26) ne semble pas �tre repercute jusqu1a la base, dont les methodes de travail demeurent tou­ jours aussi conventionnelles. Chaque intervention sociale que fait l'A.T.E., fait l'objet d'un decompte minutieux soigneusement enregistre et qui atteste de l'etendue de ses activites. En 1976, Monsieur S. a re�u 1 637 etrangers dont 728 Marocains, 383 Algeriens, et 269 Tunisiens. L'A.T.E. comprend deux services le service social le service socio-educatif et culturel (A.T.E.L.A.C.) • Le service social, hormis les domaines d'intervention deja mention­ nes, dispose d'un foyer de 125 lits et gerera un deuxieme foyer de 175 lits a partir de juillet 1978, actuellement en construction • • Le service socio-educatif et culturel dispose d'un centre de prefor­ mation (90, boulevard Pasteur a Nice) ou sont organises des stages remuneres (470 F/mois de 14 a 18 ans, 90 % du SMIG de 18 a 25 ans). Signalons egalement que l'A.T.E. repartit des bons de v�tements qui sont d Ls t r Ibue s par l'Armee du Salute (26) l'A.L.I.Fo "Association pour PAide au Logement des Immf.gr e s et de leur Famille" - dont nous disons quelques mots a propos de ses activites sur l'Ariane (Nice) a ete creee �n 1976 par ce.rtains membres' demissionnaires de l'A.T.Eo " - 111 - LE QUARTIER DU PANIER 1. Le quartier 2. L'action sociale sur le quartier 2.1 La maison pour tous Panier-Joliette 2.1.1 L'accueil des Jeunes enfants 2.1.2 LA mise en place de "situations-�encontres" 3. Le Centre social Baussenque 3.1 Presentation 3.2 Travail social et racisme lie a la perte du role economique traditionnel de l'agglomeration. La fin du regime colonial, la crise de la p@che et le deplacement du port de peche a Saumaty devaient precipiter ce mouvement : entre 1962 et 1975 40 % de la population active quitte le quartier. - 112 - 1. Le quartier (1) 1. Lieu primitif d'implantation de la cite phoceenne, le quartier du Panier represente a Marseille un des derniers visages de l'habitat ancien traditionnel. Sur les 4 500 logements denombres au dernier recensement, les trois quarts ont ete construits avant 1871 (73 %); seule une frange extr@me­ ment mince (2,5 %) a ete construite entre 1915 et 1961. Le restant (24 %) l'a ete entre 1971 et 1914 ! .... Les rues sinueuses et e sca r pe e s avec ecoulement median des eaux deli,­ mitent les tlots irreguliers qui constituent le tissu urbain de l'actuel quartier. Durement touche pendant la derniere guerre mondiale et en partie reconstruit (notarrnnent les abords du vieux port) le quartier fait actuelle­ ment l'objet d'une vaste operation de renovation urbaine consecutive a la renovation d'une partie du quartier de la Porte d'Aix et aux amenagements du "Cent.r e D'i r'ec t ionne l," • Le quartier du Panier a toujours ete un quartier populaire : marins, pecheurs, ouvriers, artisans et petits cornmer�ants ont ete les acteurs essen­ tiels de l'animation economique. Le decalage entre les ambitions des pouvoirs publics et les realites socio-economiques du quartier caracterise et explique la crise qu'il traverse aujourd' hui. D'une part, on observe un processus de degradation de l'habitat paral­ lele au depart d'une fraction importante de la population active, lui-m@me D'autre part, le depart de la population traditionnelle coincidait avec le moment ou de nombreux travail leurs immigres etaient contraints de quitter l'tlot Ste Barbe (Porte d'Aix); la faiblesse des loyers, l'absence de charges elevees et la proximite du centre, ont donc favorise l'introduction des famil­ les etrangeres. La rentabilisation de l'espace b�ti va de pair avec sa devalorisation. (1) Pour une presentation plus complete du quartier, cf : Pierre Malbosc, R�novatio� r:e�§l�iJitat ion,._resta�E�� Len __ 1.t!_ c_�n!:r� 9:� __ MaE_se!.lle. Doc. r ondot.e 40 pages - de qui nous tirons l'essentiel de nos informations. - 113 - Sim�ltanement, a partir de 1973, 1es pouvoirs publics engagent une ope­ ration de renovation dont 1a vocation a transformer radica1ement 1a tonction socia1e du quartier s'affirme chaque annee davantage. 2. Le bilan immobilier du quartier est car ac t er Ls t Lque du processus de degradation des centres urbains traditionne1s. En 1970, 90 % des logements n'ont pas plus de de�x pieces et sont occu­ pes a 80 % par des locataires - 25 % seu1ement disposent de W.C. interteurs et 20 % sont equipes d'une salle d'eau. La vetuste des 1ieux et l'absence de confort sont leurs caracteristiques principa1es. L'evo1ution de 1a population au cours des 15 dernieres pnnees met en evidence 1 - une diminution globa1e de 1a population 2 - une tendance au viei11issement 3 - une augmentation des categories professionne11es a ta�b1es reven�s 4 - une dimin9tion du pourcentage d'actifs 5 - une a�gmentation du nombre des fami11es etranger�s 3, Decidee en 1972 afin "d'epargner a ce quartier 1a degradation qui est generatrice de pauperisme", l'operation de renovation a ete confiee par 1a ville de Marseille a 1 'A.R. I.M., Associat ion de Restauration Immob I l Le r e Provence-Cate d'Azur, a but non 1ucratif et dependante de 1a Federation nationa1e des centres P.A.C.T • •. L'ARIM a entrepris une operation de renovatmon au coe�r pu Panier. Cette premiere tranche compte 1 300 logements abritant 3 100 habitants dpnt 200 seu- 1ement sqnt propr�etaires. Des 1 300 logements dont la restauration etait prevue dans u� de1ai de 3 ans on en cqmpte aujourd'hui 134 dans 1e perimetr� op�ratiopnel d�� de "restauration innnobiliere groupee". En effet, i1 fa4t att�ndlre �e miHeu de l'annee 1974 pour que 1es autorites de tute11e approuvent 1e perimetre de res­ tauration, 1aissant ainsi 1ibre cours a 1a speculation innnobiliere. Elle s'est faite dans l e cadre d'une Z.A.D. (z cne d l amertagement; deli- ., rn i t ee ) • Une Z.A.D. est un perimetre institue par arrete pr�fectora� a l'inte­ rieur duque1 1es col1ectivites pub1iques, etab1issements publics ou societe d'economie mixte, ont; un droit de preemption a l'occasion de tpute alienation - 114 - volontaire a titre onereux. En contrepartie, les proprietaires sont titulaires d'un droit de delaissement, ils doivent presenter les offres de vente en prio­ rite a la prefecture. Si l'offre est acceptee, il sera achete environ 20 % de plus que, l'offre domaniale , sinon le proprietaire est libre de vendre. Les . '. . ,.. . . . delais de validite d'une Z.A.D. sont fixes a 14 ans. Le relogement des occupants non proprie�aires n'est pas preVUe ; La restauration sans bouleversement architectural doit s'accbmpagner dans l' intent Lon des organismes responsables, d 'une renovat ion economique et sociale qui suppose le remplacement des activites actuelles par des activites a dominante tertiaire. Elle implique semble-t-il un remplacement de sa population actuelle ou pour le moins de sa frange economiquement faible. En effet, cette population ne peut supporter les charges financieres de la restauration. Un document 'de travail de l'ANAH (agence nationale pour l'amelioration de l'habitat) prevoit d'importantes augmentations de loyer : le loyer d'un F3 restaure passerait de 95 F a 298 F ou 650 F en loyer libre. La restauration s'adresse donc "a des elements qui peuvent jouer de par la nature de leur prat ique ur ba Lne , les nouveaux rales economiques, sociaux et culturels qu l Im­ pliqu� la nouvelle vocation du quartier". 11 faut cependant noter que l'aide apportee aux travaux de restauration par la co l l.ec t Lv Lt e locale (rnun i.c Lpa Li.t e ) ou par l'etat, est cons Lde rde comme une incitation au maintien de la population residente et comme un Frein a la speculation Immob i.l Le r e , Elle se ca ra ct e r Lse par l'intervention de l'offlceH.L.M. donc par la creation de logements sociaux et par le remplacement de l'allocation logement par la nouvelle reglementation plus souple de l'A.P.L. Cette aide peut �tre importante puisqu'elle peut atteindre les 2/3 du montant . des "'travaux; ne anmo Lns un certain nombre de p ropr Le t a Lr e s dont une maison en decrepitude constitue le seul patrimoine, s'avere incapable de financer le tiers restant. De toute maniere, ces mesures ne concernent pas directement les familles etrangeres et il semblerait que la position des ins­ tances operationnelles evolue dans la perspective de ne pas prendre en consi­ deration le relogement de cette categorie de population. • - 115 - 2. L'action sociale sur le quartier 2.1 La Maison pour tous "Panier-Joliette" La Maison pour tous du Panier a ete construite sur un tlot ancien qui a ete detruit; le but de l'operation dirigee par la municipalite, consistait a creer un foyer du troisieme age, deux creches et une Maison pour tous. Amor­ cee en 1972, cette operation se situait a la conjonction de deux evenements - la mise en place au niveau de l'agglomeration marseillaise de struc­ tures d'animation strictement municipales, centre d'animation de quar­ tier (C.A.Q.), unite d'animation sociale (U.A.S.), maison de quartier (M.Q.) - la decision prise au niveau du quartier d'un projet de renovation urbaine .. Un dialogue entre la municipalite et le comite d'interet de quartier (C.I.Q.) - equivalent sur Marseille de l'Union de quartier a Grenoble - et qui devait se poursuivre bien apres l'ouverture en 1974 de la Maison pour tous, avait retenu le principe de la construction de l'equipement par la municipa­ lite avec decision ulterieure de gestion. Trois hypotheses de gestion etaient envisagees 1. une gestion directe par la municipalite (type C.A.Q.) 2. une gestion confiee aux associations existant sur le quartier et dans laquelle le C.I.Q. aurait joue un rale de premier plan. 3. �ne g�stion Leo Lagrange En 1974, lorsque les travaux sont terrnines, c'est la seconde hypothese qui semble prevaloir. Par une serie de negociations ou intervienn�nt la fede­ ration Leo Lagrange, la municipalite et Ie comite d'interet du quartier, la gestion de l'equipement est finalement confiee a la federation Leo Lagrange. Cette decision semble avoir ete facilitee par un accord intervenu entre la municipalite et le C.I.Q. concernant la restauration d'un lieu d'animation different situe beaucoup plus au coeur du quartier; il deviendra ulterieure­ ment le C.A.Q� du refuge. Toutefois le principe d'une representation des associations du quartier au sein de la Maison pour tous est retenu et semble avoir constitue un frein a la mise en oeuvre de son fonctionnement. - i1 deve10ppe des activites de type c1assique se10n des horaires fixes et exigeant souvent une cotisation importante. • - 116 - En effet, sans @tre hostile � ce principe, 1a £ederation Leo Lagrange rec1amait l'initiative et l'entiere responsabi1ite de 1a definition de 1a po- 1itique d'animation � poursuivreo Le premier directeur de 1a Maison pour tous, mute par decision interne fin 1975, semble avoir ete place en position de satisfaire simu1tanement � 1a pression des associations du quartier et aux directives de travail emises par 1a federation. S'ouvre a10rs une periode de transition de 8 mois principa1ement carac­ terisee par 1es difficu1tes que rencontre 1a federation dans 1a gestion de son personnel. Un certain nombre de mesures de 1icenciement devait aboutir en septembre 1976 � 1a nomination d'un troisieme directeur qui, jusqu'en septem­ bre 1978, imprimera � 1a po1itique d'animation de 1a Maison pour tous, une nouvelle physionomie. C'est � partir de cette periode en effet, que 1a Maison pour tous va faire des prob1emes lies � l'immigration, une preoccupation prioritaire. Lorsque l'actue1 directeur de 1a Maison pour tous entre en fonction, deux caracteristiques principa1es definissent 1e fonctionnement de l'equipe- ment - i1 s'adresse en majorite � une frange de population re1ativement exterieure au quartier (boulevard des Dames) et essentiel1ement compos de de classes moyennes. "Nous nous sommes rendus compte que ces activites structurees atti­ raient un public qui n'etait pas ce1ui du quartier,qui en avait besoin si tu veux, mais comme en a besoin une c1asse sociale qui Se trouve en milieu citadin et qui ne trouve pas pour ses enfants que1que chose qui, en plus de l'eco1e, favorise leur epanouissement, Donc une demarche re1ativement individue11e qui est ce11e de trouver 1fequiva1ent du prive dans 1e public ••• trouver du judo, trouver de 1a danse, trouver du piano, etc ••• ". Directeur de 1a Maison pour tous L'equipe en place, qui � cette epoque 1� - comme maintenant encore - ne dispose que d'un animateur et d'un demi poste de secretaire, se propose alors de renverser 1a situation en essayant d'accuei11ir 1a population du - 117 - quartier sans pour aut ant penaliser les usagers anterieurs. Cette population se presente de deux fa�ons differentes - ce sont d'abord des enfants du quartier qui en dehors des horaires scolaires investissent la rue, la parcourent, y jouent mais n'osent pas rentrer dans la maison. - ce sont ensuite les associations qui en font la demande "qui est une demande de local en definitive". Des janvier 1976, la maison systematise l'accueil des enfants "C'est comme �a que des la rentree nous avons re�u tous les enfants qui le desiraient. A 98 % immigres d'ailleurs; des algeriens, des portugais, quelques tunisiens ••• des enfants qui viraient, qui tour­ naient, qui entraient dans la maison boire un coup, pisser un coup ou �tre la comme �a pour discuter de ce qu'il se passait ••• tu vois un peu !" et s'ouvre largement aux associations du quartier : les jeunesses armeniennes de France CJ.AsF.), l'association europeenne d'art populaire, les groupes de musique folklorique ou moderne. A partir de janvier 1976, les activites se deploient dans deux directions 1. l'accueil des jeunes enfants 2. la mise en place de "situations rencontres entre les differentes communautes". 2.1.1. L'accueil des jeunes enfants , L'accueil des jeunes enfants maghrebins d'abord organise Ie samedi de rnaniere a le dissocier des activites du rnercredi, reservees au public habituel, non seulement fait eclater les cadres classiques de l'animation car il est difficile de leur proposer des activites vraiment structurees, mais s'impose rapidernent comme mode de fonctionnement dominant de la Maison pour tous en ce sens qu'il tend a evincer "Ie public europeen d'enfants". "Nous avions jusqu'a 80 enfants qui debarquaient Ie samedi apres­ midi, ce qui eta it enorme C ••• ) plus ce que �a induisait pendant la semaine : ils s'appropriaient la maison, venaient tous les soirs et donc accaparaient Ie seul animateur present C ••• ) Donc ces en­ fants commen�aient a prendre de l'importance dans la maison a - 118 - tel point que 1e public eur o peen d t enf ant s qui etait 1.?t 1e mer­ credi et dont on continuait a sloccuper, corrnnen<;;ait a partir ( ••• )" Responsab1e de 1a Maison pour tous En l'espace de six mois, 1a maison qui auparavant accuei11ait une soixantaine d'enfant europeens nlen accuei11e plus que six! Dans 1e m@me temps, 1es activites proposees evo1uent et se diversifient, poussant 1es animateurs a experimenter de nouvelles formu1es : "Tu prends un groupe d'enfants fran<;;ais et un groupe irrnnigre, 1es Fran<;;ais ont l'habitude dl@tre cana1ises,d'@tre pris en charge ••• i1 yale fric pour ceci, 1e fric pour ce1a ( ••• ) Des qulon a corrnnence a travai11er avec 1es irrnnigres, <;;a nous a obliges a re­ concevoir comp1etement 1Ianimation". Animatrice Lorsque 11equipe decide de ne plus dissocier 1es activites en direction des jeunes enfants, e11e ne fait qulenteriner et precipiter un processus deja 1argement engage. "A 1a r ent r ee , beaucoup de parents se sont emus ( ••• ) i1s nous ont demande si on ne vou1ait pas faire un atelier special pour eux, pour qu'i1s ne soient pas melanges ( ••• ) certains nous 110nt fran­ chement dit, d I autres n I ont pas o se mais de toute 'f acon on ne 1es a plus vus ••• "'. Animatrice Deux circonstances permettent de rendre compte que ce processus se sait deroule sans conflit apparent : 1. D'un� part, i1 coincide avec l'ouverture d'un centre d'animation de quartier (le C.A.Q. du refuge) qui semble avoir favorise une rela­ tive "specialisation" des equipements par type de population concernee. 2. D'autre part, 1a structure institutionne11e de 1a federation Leo Lagrange en pena1isant 1es possibi1ites de representation directe des usagers au sein des equipements, b10que dans une certaine mesure 1e ra1e que par ai11eurs (par exemp1e dans 1es centres sociaux) i1s sont appe- 1es a y jouer. 11 n'y apas d'assemb1ee genera1e des usagers, ni de consei1 d'adminis­ tration habi1ites a prendre des decisions, et 1e "Consei1 de Maison" • - 119 - n'y joue guere qu'un rale de second plan. En revanche, ce processus a tres largement amplifie les tensions intra et interinstitutionnelles; dans un cas, elles tiennent au mode de fonctionne­ ment interne de la federation Leo Lagrange et impliquent des reponses diffe­ rentes selon la place occupee a l'interieur de llnstitution; dans l'autre, elles tiennent aux consequences qu'implique une "specialisation" par categorie de population, des differentes institutions intervenant sur un meme quartier. En privilegiant les depenses d'equipement et les depenses salariales au detriment du financement des activites (2) la federation Leo Lagrange tend a favoriser un autofinancement des equipements qui dans une assez large mesure bloque l'initiative experimentale dans des domaines reputes peu lucratifs. Pour toonner cette difficulte, plusieurs possibilites se presentent a) operer une specialisation par equipements en fonction de la composi­ tion sociale des quartiers et retablir un equilibre financier par une perequation gestionnaire. Cette solution a lfa�nhage d'accrottre la marge d'initiative de certaines equipes, mais de la reduire pour d'autres. "Par rapport a la federation on a carte blanche; on nous a laisse carte blanche pour faire ce que nous voulions, c'est-a-dire que nous nJavons pas a nous justifier de Leo Lagrange aupres des usa­ gers ( ••• ) Ils acceptent que nous fassions du "social" mais avec ce raisonnement : si tout le monde se met a faire du social on aura plus de fric ••• c'est pas tenable! Dans Leo Lagrange, il n'y a que trois maisons qui ont fait le choix d'une action prioritaire en milieu migrant ••• Campagne Leveque, les Aygalades et le Panier ••• " b) la seconde solution consiste a negocier des modes de financement ad hoc aupres des institutions centrales du type F.A.S. de maniere a pouvoir lancer certaines activites et a garantir leur continuite par des modes de financements polyvalents et plus stables; les negociations avec la C.N.A.F. pour l'acces des Maisons pour tous aux prestations de service, vont dans cette direction. (2) La Maison pour tous du Panier ne disposait jusqufa ces derniers temps que de 5 000 F annuel pour le financement de l'ensemble de ses activites. - 120 - c) 1a troisieme solution consiste. a dep10yer une strategie de diversi­ fication des champs d'activites en uti1isant 1e pote.ntie1 que represen­ tent 1es equipements de quartier : 1e deve10ppement a partir de 1976 de stages de preformation dans l'institut Leo Lagrange a cet egard, est exemp1aire. Mais ces possibi1ites a leur tour, font surgir de nouvelles difficu1tes : - La premiere solution tend a reduire 1a cohesion interne de 1a federa­ tion en favorisant 1a mise en competition des directeurs de maison entre eux; desormais i1s vont p1aider leur propre cause, ou ce11e de "leur" maison, en opposition 1es unes avec 1es autres. Les reunions hebdomadaires des directeurs de maison avec 1e coordinateur ten­ tent de reduire 1es possibi1ites de conf1it, e11es-m�mes renforcees par 1es disparites du recrutement technique et social a 1a direction des maisons. Cette solution aboutit paradoxa1ement a un renforcement des contr61es institution­ nels interne, a10rs qu'i1 s'agissait d'accroitre 1a mange d'initiative des equipes. Une note de service (3) datee de janvier 1976, marque cette tendance "Cher Camarade, 11 est apparu, depuis que1que temps au sein de 1a federation de­ partementa1e, un certain re1achement dO a l'extension tres impor­ tante de notre association aussi bien a l'interieur de ce11e-ci (nombre de salaries approchant 1a ci.nquantaine) quia l'exterieur par 1es initiatives tres nombreuses que nous avons vou1u deve10pper pour placer notre federation au premier rang, ou tout au moins pour qu'e11e soit toujours presente dans 1es grands moments de 1a vie de 1a cite, du departement ou de 1a region. Pour permettre que toute.s 1es actions menees soient faites dans un cadre qui reponde a l'esprit qui nous anime, i1 nous a paru neces­ sa ire qu'au niveau de l'administration genera1e un rappel soit fait des reg1es que tous nous devons app1iquer dans toute1eur rigueur afin que ne soient pas livrees a l'appreciation de chacun des ini­ tiatives qui te.ndraient a remettre en cause 1e fondement meme de notre action ( ••• ) Chaque sa1arie aura a sa disposition un recuei1 de notes de service et circu1aires ( ••• ) i1 doit etre considere comme un reg1ement imperatif a suivre dans sa stricte definition ( ••• ) Re�ois, Cher Camarade, nos sinceres salutations. Le Directeur Administratif Le delegue general " (3) Les notes de service "sont 1es reg1es imperatives qui precisent dans 1e detail 1es conditions de travail des salaries au sein de l'association". - 121 - _ la seconde solution souleve Ie delicat probleme des niveaux hierar­ chiques auxquels s'operent les negociations des subventions ainsi que des formes qu'elle rev@t. Selon la maniere dont se regIe dans un cas la repartition des responsabilites et dont s'opere dans l'autre la mise en oeuvre d'un contrale, Ie role des subventions de fonctionnement variera du tout au tout. Negociees au niveau hierarchique Ie plus eleve et sur dossier, les subventions accordees alimentent les frais de fonctionnement de la structure dans des proportions peu compatibles avec les objectifs poursuivis. r;'est semble-t-il, une des raisons qui a pousse les �hallges de mis­ sion de la C.N.A.F. a rencontrer directement les directeurs de maison lors de la negociation des prestations de service. Par contre, une delocalisation de la negociation operee non plus sur dossier, mais sur enqu@te� en modifiant la repartition interne des reponsabi­ lites, prend Ie risque d'affaiblir la cohesion institutionnelle de la fede- ration. Est-ce la raison pour laquelle les subventions F.A.S. sont directement accordees sur dossier a un niveau national ? L'une et l'autre solutions contribuent a accuser davantage Ie hiatus entre les cadres de l'association, soup�onnes de ne plus entretenir qu'un rapport extr@mement lointain avec la realite sociale des quartiers - et les intervenants directs - Cet aspect est vivement souligne "Les cadres n'ont plus la uision de ce qui se passe dans les mai­ sons. Pour eux c'est une course. II y a des subventions a prendre, •••• on fait Ie maximum pour �a et apres on verra toujours ••• " 'C'est d'ailleurs ce qui permet de comprendre que les solutions recher­ chees au niveau federatif et les solutions recherchees au niveau des equipes divergent a ce point; il n'est pas rare, il est m�me frequent que la volonte d'instituer trop rapidement une experience nouvelle soit a l'origine de son echec : c'est en partie ce qui s'est passe a propos de l'experience de tissage menee en commun par la maison pour tous du Panier et les centres sociaux de Bassens et de,la Paternelle. Mais plus generalement les equipes essayerent de compenser l'effet des pressions hierarchiques.verticales par un renforcement du travail collectif a la base. II prendra deux formes : - une redistributt�� �s taches a l'interieur de l'equipe telle qu'elle place tous les intervenants sur un m�m� plan de responsabi- - 122 - lite et d'initiative. - une regulation collective de l'action sociale sur le quartier qui permette un fonctionnement par objectif, attenuant les preoc­ cupations de "clientele". Elle prendra la forme du "collectif des travailleurs sociaux" du Panier. Ainsi sont definis les deux grands axes de l'animation "Pour nous, la definition de l'animation est tres claire, c'est . deux choses : il s'agit d'abord de renforcer notre alliance avec Baussenque a tel point qu'on dise officiellement : c'est la rea­ lite du Panier et non plus un centre social et une maison pour tous ••• D'autre part, au moins pour nous, on ne recherche pas le public ••• c'est fini ! On recherche des gens qui puissent travailler dans nos locaux pour faire des trucs qui interessent le quartier." Directeur de la Maison pour tous Cette animation collective se concretise �ur quatre registres diffe- rents 1 - une consultation juridique sur l'habitat qui aborde les problemes que rencontrent les habitants du quartier a propos du logement (surfaces corrigees, loyers, etc ••• ). Elle est animee par des benevoles et par les stagiaires en preformation. 2 - une emission tele-video qui rrdonne la parole" aux habitants du quartier et qui est rediffusee ensuite sur les marches ou dans les bars. 3 - un atelier d'affiches journal mural, qui serve de support expressif en meme temps que d'organe de liaison et d'information. 4 - un travail de recherche expressive sur l'animation. 11 consiste a decou­ vrir et elaborer des rythmes de base qui puissent servir de support d'im­ provisation; il s'accompagne egalement d'une recherche theatrale utilisant les masques et les materiaux de la legende ou des contes populaires. L'objectif poursuivi est "de provoquer des situations d'animation de rue" en faisant eclater le cadre juge trop etroit des equipements de quartier. - 123 - Interroges sur Ie sens qu'ils accordent a cette d�marche, les animateurs de la maipon pour tous sont unanimes "Dire qu'on a reussi ou pas, n'a pas gue:re de sens ••• Nous travail­ Ions dans une certaine direction, c'est cette direction qui est juste ou qui ne l'est pas ••• " Cette direction de travail n'est unanimement pas partagee par l'ensem­ ble des responsables sociaux du quartier. Entre autres, et parce que "la specialisation" des equipements par categorie de population concernee s'accom­ pagne egalement d'une "specialisation" par type de problemes abordes, il est frequent qu'un desaccord sur les objectifs poursuivis sur un plan (celui du logement) soit l'occasion d'une reactivation des conflit� sur un autre plan, (celui de l'animation), ces conflits seront d'autant aigus que ce double par­ tage est tres cQmmunement interprete - et legitimement interpretable - comme Ie symptome d'un partage plus general: celui de l'exclusion des familIes etrangeres de l'operation de renovation. Le collectif des travailleurs sociaux du Panier et la maison pour tous qui en fait partie, cherchera pendant longtemps a rencontrer l'elu du quartier, egalement responsable du C.A.Q., a propos des problemes souleves par la restau­ ration (4). Face aux formes que prendra cette demarche (conduite d'evitement dans un cas, strategie de harcelement dans l'autre) l'elu local interpellera Ie president de Leo Lagrange pour lui demander de justifier Ie choix fait par la maison pour tous, "de ne recevoir que des immigres". Les animateurs reagiront vivement "9a n t a pas l'air d'etre du racisme, mais en fait, �a en est ( ••• ) les immigres entrent toujours la-dedans comme enjeu ou alibi de quelque chose d'autre qui se regIe sans eux ( ••• ) Pour nous Ie retour de maniveIIe nous revient par ce biais la ••• " (4) Lettre du 27.5.77 des travailleurs sociaux a l'elu local: "les t ra­ vailleurs sociaux du Panier ont l'honneur de vous faire part de l'inquietude de leurs usagers au sujet du relogement ( ••• ) Nous nous adress6ns a vous, estimant que vous etes Ie plus apte a repondre a nos questions. C'est pourquoi nous vous invitons a animer notre prochaine reunion ( ••• )" Lettre du 27.10.77 des memes au meme : "les travailleurs sociaux du Panier desirent s'entretenir avec vous de votre qualite d'elu et non de president du C.A.Q. Le but qu'ils poursuivent est d'avoir toute information sur les problemes d'administration du Panier et de relogement de la population ( ••• ) lIs prendront toute disposition pour vous rencontrer". - 124 - Le president de Leo Lagrange (maison pour tous) etant en m@me temps directeur des oeuvres socia1es de 1a ville de Marseille (C.A.Q.), on con�oit que ce type de conf1it soit moins faci1ement voue au retentissement que nous avons eu - ai11eurs - l'occasion d'observer. 11 n'en accomp1it que davantage, ce qui est une des caracteristiques majeures de l'action socia1e en direction des fami11es etrangeres : c'est d'abord un prob1eme interne aux institutions de 1a societe d'accuei1 avant d'@tre 1a prise en compte des prob1emes speci­ fiques que rencontrent 1es milieux immigres. 2.1.2 La mise en place de "situations-rencontres" entre 1es differentes communautes Cette activite faci1itee par 1e fait qu'e11e ne rec1amait qu'un faib1e budget de fonctionnement, a principa1ement consiste a reunir des grou­ pes de cu1tur�differentes possedant deja leur propre dynamisme, de maniere a "affirmer ensemble l'existence des cultures minoritaires dans l'agg1omera­ tion marsei11aise et de 1es faire connaitre aux populations des quartiers et au grand public" (5) On y affirme 1a vo1onte de 1utter c�ntre l'oppression "economique, socia1e et cu1ture11e" a 1aque11e sont soumises 1es fami11es immigrees en faisant mieux connaitre leur quotidiennete • • La premiere manifestation dans ce sens, "Marseille terre mediterra­ neenne" donne 1e ton de 1a nouvelle orientation de 1a "maison pour tous" en reunissant 1es habitants du quartier, artistes, artisans, ouvriers ou "rien du tout", aut�ur de ce qu'ils ont realise et de ce qu'ils souhaitent pour Ie quartier. 11 s'agit la, de systematiser 1a "rencontre", en uti1isant des pro­ jections de diapositives et en organisant des manifestations fo1k1oriques (danses, musique, etc ••• ). Cette demarche recuei11e 1e soutien du maire de 1a ville, est favorab1ement accuei11ie par 1a population du quartier et encourage l'equipe a poursuivre dans 1a m@me direction • • E11e est suivie d'une seconde rencontre qui reunit 1es communautes armenienne , yougos1ave et grecque. E11e a pour but de : (5) Document interne Maison pour tous "Minorites cu1ture11es" - 125 - "Presenter ce que faisaient ces trois cormnunautes, mais aussi, creer une situation plus libre, plus spontanee, ou chacun mettant ses disques ou ses musiciens jouant, tout le monde puisse danser sur ces a Lr s-s l a ••• " Re�ativement fermee, puisque seuls les membres de chaque cormnunaute y sont convies, cette rencontre constitue une ouverture en ce sens que "c'etait la premiere fois que ces cormnunautes se rencontraient sur les bases folklori­ ques traditionnelles" • • Dne troisieme tentative, consideree par l'equipe d'animateurs cormne -- un echec relatif, essayera de systematiser cette perspective de "rencontre", mais en utilisant cette fois une tache: le tissage. Elle s'adressera priori­ tairement aux fermnes maghrebines, mais mettra en evidence les limites qu'une insuffisante insertion sociale de la demarche fera surgir. Initialement, cette demarche regroupe les animateurs du Panier, de Bassens et de la Paternelle, beaucoup plus sur "quelques idees, quelques moyens et le desir d'explorer une situation" que sur des objectifs a atteindre, defi­ nis avec exactitude. "On avait simplement pour but de preparer le materiel de tissage et de le mettre a la disposition des fermnes pour qu'elles puissent eventuellement revivre une situation qui permettrait ••• on ne savait pas trop quoi ••• mais on essayait ••• " L'experience connait un debut de realisation, se heurte d'abord a des problemes de financement, puis, de l'aveu des equipes y participant, echoue face aux antagonismes que fait surgir la mise en competition des institutions pour acquerir une preeminence dans l'acces aux sources de financement. "Les structures jouaient un jeu que lIon ne contr8lait plus et qui risquait a tout moment de faire glisser l'ac�e d'animation dans n'importe quel sens; en fait, on a eclate a ce niveau-la ••• dans le contr8le de ce que rious avions mis en place ••• " D'un c8te les institutions sont promptes a donner une forme definitive et figee a ce qui, du c8te des equipes se presente tres souvent cormne une ex­ ploration des possibilites que comportent certaines situations, exigeant par consequent un maximum de souplesse. Inversement, la tendance des equipes in­ tervenant directement sur les terrains consiste a interpreter cormne une "re­ cuperation" institutionnelle ce qui le plus souvent n'est que la rancson d'une . .. - 126 - incertitude fondamentale de la demarche. Cette incertitude repose toujours sur la nature de l'insertion sociale d'une demarche et le type de motivations qu'elle mobilise de la part de ceux a qui elle s'adresse. Une incertitude sur ce plan conduit tres communement a des initiatives sans lendemain ••• crest d'ailleurs ce que reconnaissent au­ jourdthui les initiateurs de cette experience: "11 aurait fallu que cette proposition de tissage puisse aboutir vers un type de travail nouveau pour les femmes algeriennes ••• qu'on puisse par exemple trouver des debouches ••• " Cette conclusion recoupe exactement les conclusions auxquelles sont parvenues d'autres equipes au terme de demarches comparables; elle reprend egalement le point de vue des femmes immigrees (cf quatrieme partie) en ne signalant comme veritablement interessantes que les experiences dont les retombeessociales sont au moins des le depart relativement previsibles. Ces retombees tiennent tout autant a la conjoncture sociale dans laquelle chaque initiative.se developpe. Cette troisieme tentative montre bien les difficultes que fait surgir la mise en place d'une tache dont le succes depend de ses retombees sociales, lorsqu'elle est soutenue par une ideologie tres peu susceptible dry preparer celle de la "rencontre", ou de la reappropriation symbolique de la gestuelle tradit ionnelle • • Une derniere tentative dans cette direction revelera davantage les impasses qu'elle comporte& II s'agissait pour l'equipe d'animateurs de revenir sur la demarche initiale en favorisant la "rencontre" c'est-a-dire en insistant sur les re- tombees relationnelles d'une manifestation musicale, et faisant appel a deux groupes de musiciens. L'antagonisme des points de vue adoptes par chaque grou­ pe, l'un professionnel insistant sur l'aspect "spectacle", l'autre, amateur, refusant la notion de "public" et insistant sur l.e caract ere intimiste de leur demarche, sera a l'origine des tensions vecues sur un registre dramatique. Ces tensions etaient elles-m�mes surdeterminees par l'appartenance nationale de chaque groupe: algerien dans un cas, marocain dans l'autre. L'echec de la rencontre d'un groupe de musiciens algeriens profession­ nels "qui avaient l'habitude de se presenter devant n'importe quel public et - 127 - de fa ire face a n'importe quelle situation" avec un groupe de musiciens ma­ rocains amateurs refusant la mise en scene et l'expression publique, consti­ t ue bien "1' analyseur" (6) de I" amb i guf t e qui entoure le caract ere sociale­ ment significatif ou non des activites dont les equipements collectifs sont le support. "11 n'y a pas eu rencontre en definitive ••• 11 y a eu spectacle, d'une violence contenue si tu veux, mais reelle, organique ••• " Directeur de la maison pour tous A l'occasion du passage de l'emission "Mosaique" sur le quartier, un rapprochement plus important va s'operer entre la maison pour tous et le centre social Baussenque qui va �tre a l'origine du type d'action poursuivi a partir de septembre 77 et que nous avons deja evoque (collectif du Panier). Ce rapprochement s'opere aussi bien a la faveur d'un desaccord commun adresse a la politique sociale du centre d'animation de quartier (critique du "clien­ telisme") qu'a la faveur d'une convergence sur les objectifs poursuivis, principalement en direction des milieux immigres. 3. Le centre social Baussenque 3.1 Presentation L'implantation du centre social Baussenque est exemplaire a bien des egards de l'evolution qu'ont connuele travail social et la vie associative de quartier au cours des quinze dernieres annees. Jusqu'en 1970, il n'y avait absolument aucun equipement sur le quartie�;, pendant 40 ans, le patronage des jeunes filles de la major est tenu par une religieuse extr�mement populaire, soeur Jeanne, encadree par une association formelle; toute l'activite repose donc sur la seule personnalite de cette religieuse. A sa mort (1967) le mouvement cesse pratiqument d'exister. 11 est relance par un jeune pr�tre aide par une institutrice - ancienne du patronage - et devenue dans l'intervalle directrice d'ecole dans ce quartier. L'objectif est alors de restaurer l'heritage social de soeur Jeanne, mais en utilisant de (6) Nous utilisons ce terme dans le sens ou "l'analyse institutionnelle" (La pas sade , Lourau etc ••• ) en a promu l'usage. - 128 - nouvelles methodes. La perspective dans laquelle se situe ce pretre est re­ solument "moderniste" : "il voulait faire un mouvement qui n'ait pas de croix dessus". Elle correspond semble-t-il a. la prise de conscience et a. "l'ouve:tture" qui, a. l'interieur de l'eglise, tente durant cette periode de relancer l'em­ prise de l'obedience catholique. "11 etait un peu dans le style de l'eglise moderne, c'est-a.-dire percutant; il eta it sorti des soutanes, des grands tapis rougeset de tout le reste ••• 11 avait d'autres preoccupations que celle du prix de la messe ••• ce qui soit dit entre parentheses, nous a un peu reconcilies avec l'eglise a. ce moment-la. ••• " Responsable centre social Ils prennent contact avec les groupes deja. constitues du quartier, re­ amenagent les anciens locaux du patronage dans l'enceinte de l'ecole libre, font largement appel au benevolat et organisent toutes sortes d'activites : camps de vacances en Corse, etc ••• Des divergences entre les responsables du patronage et l'association des parents d'eleves de l'ecole libre, les seconds reprochant aux premiers de s'occuper "d'enfants de la rue" ou de "sales gosses" - divergences arb i­ trees par les "plus hautes instances ecclesiastiques" - aboutirent a. trans­ former le patronage en une association laique : "A la suite de ces combats, nous avons ete mis hors des locaux, purement et simplement ••• pas Ie pretre, puisque malgre tout il etait pretre ••• mais l'association". Apres une periode intermediaire que l'association met a. profit pour multiplier les contacts, un certain nombre d'associations existant sur le quartier decident de se regrouper pour tenter la restauration d'une ancienne eglise - fermee au culte - et en faire un equipement a. but social. 11 s'agit de certains membres de la ClMADE qui faisaient deja. de l'al­ phabetisation, de l'APFI qui organisait des cours de couture, de l'association d'education populaire du Panier (A.E.P.), des Petits Freres des pauvres, qui commen�aient sur le quartier un travail d'aide a. domicile en direction des personnes agees. Dans le meme temps, l'A.E.P. re�oit un agrement de prevention sur le quartier; les educateurs participeront a. l'implantation du centre. En 1973, l'association centre Baussenque se constitue; tous les participants y viennent - 129 - a titre individuel. La restauration beneficiera de subventions de la C.A.F., du F.A.S., du C.I.L., de la mission suedoise, du concours des chiffonniers d'EmmaUs, des petits freres des pauvres et de benevoles, notamment pour l'architecture. L'association passe un bail de 18 ans avec l'archeveche qui garantit la stabilite du loyer durant cette periode (8 000 F/an). Le centre social ouvre officiellement Ie premier janvier 1977; Ie per­ sonnel comprend deux salaries de l'association auxquels se joignent deux educateurs specialises et un animateur remunerffipar la federation des clubs et equipes de prevention. Les statuts de l'association mentionnent pour objectifs "des rencontres plus vraies et plus naturelles des differentes generations et des differentes cultures". Le Directeur actuel du centre, ancien commer�ant a la retraite, ne dans Ie quartier, y ayant grandi, a participe comme benevole au fonctionnement du patronage; ancien president de l'A.E.P., ancien membre du C.I.Q., il imprime au centre social son registre propre d'intervention et d'efficacite; l'arbi­ trage et le rale qu'il exerce - a base de familiarite et d'interconnaissances - reposent sur une connaissance pratique des mentalites et des regles de compor­ tements propres a chaque categorie de population. Le centre social comporte trois commissions qui definissent autant de perspectives de travail : une commission jeunes, une commission migrants, une commission personnes �gees. Plutat que d'analyser dans Ie detail Ie fonctionnement de chaque acti­ vite, nous nous interessons a ce qui en represente Ie fil directeur : la lutte c�ntre le racisme a travers les problemes des jeunes migrants. 3.2 Travail social et racisme La lutte contre Ie racisme est une des priorites que s'est fixe Ie centre social Baussenque. Si son directeur reconnatt quelques succes a cette demarche, il en souligne egalement toutes les difficultes : " Nous sommes parvenus a aborder Ie probleme racial dans les bars; il faut voir ce que �a veut dire dans Ie Panier de commencer a parler des arabes ••• il y a un travail enorme qui a ete fait dans ce domaine la, depuis quatre ou cinq ans ••• " - 130 - Les difficultes rencontrees tiennent aussi bien a la nature des rela­ tions sociales existant sur le quartier et aux enjeux globaux auxquels est associee la presence des familles etrangeres, qu'aux obstacles qui s'opposent a une caracterisation reelle du racisme ou a l'organisation d'une riposte. 1. Les relations sociales sur le quartier, tres differentes en cela de ce que nous avons observe dans les grands ensembles, vouent chacun au re­ gard de tous dans un espace d'interconnaissance vecu comme relativement clos. Cela implique du meme coup une densite et un entrecroisement des reseaux relationnels qui amplifiant le moindre evenement, le reinterpretent aussitot a la lumiere des antagonismes latents qui divisent l'ensemble de la population. "C'est un quartier assez ferme quand on arrive de l'exterieur; les gens ne s'ouvrent pas d'un coup comme �a; il faut que les gens soient en confiance ( ••• ) la rue est encore importante meme pour les adultes. On sait tout ce qui se passe chez le voisin a partir du moment ou on est issu du quartier ••• " Ces memes caracteristiques qui permettent de comprendre que le moindre conflit interpersonnel puisse rapidement acquerir les dimensions d'un conflit intercommunautaire, expliquent egalement que l'opposition interieur/exterieur du quartier soit vivement marquee : tres communement vecu comme un espace se­ curisant pour ceux qui y appartiennent, il entretient a l'exterieur l'image d'un quartier peu rassurant. 8i les regulations sociales qui sont a l'origine de cette representa­ tion de l'espace, tendent progressivement a disparattre pour n'exister plus desormais que l'imaginaire col1ectif d'une population dont 1a cohesion interne s'amenuise, e11es n'en continuent pas moins a definir des regu1arites de comportements. Jusqu'a une periode recente, i1 etait d'usage parmi les bandes d'ado­ lescents de1inquants ou prede1inquants "d'operer" ai11eurs que sur Ie quartier, et de faire passer leurs rivalites au second plan lorsque des bandes exterieu­ res au quartier, 1e choisissaient comme the�tre "d'operation". La presence des adolescents maghrebins semble avoir redistribue ces reg1es de comportements et etre a l'origine de conf1its au cours desquels le centre social a pu jouer un role d'arbitrage. Nous y reviendrons. 2. La difficulte a affronter 1es prob1emes de racisme tient egale- . ment aux effets de differenciation que produisent 1es institutions en fonction - • - 131 - - de la mani�re dont elles int�riorisent les enjeux auxquels est li�e la pr�sen­ ce des familIes �trang�res sur Ie quartier. Progressivement, la forte implantation des familIes �trang�res est ap­ parue comme un obstacle a la mise en oeuvre des objectifs de la r�novation. Diversement int�rioris�es, selon leur plus ou moins grande proximit� aux instances op�rationnelles, les contradictions de la renovation urbaine contri­ buent a alimenter des conflits sur lesquels les familIes n'ont aucun pouvoir de contrale. Deux conceptions sly affrontent : un "client�lisme" qui fait de l'action sociale et de l'acc�s au logement un probl�me individuel r�glable cas par cas, une conception qui fait du relogement un probl�me collectif exigeant une solu­ tion globale sans toutefois rencontrer dans Ie milieu immigr� les points d'ap­ pui qui lui permettraient de d�velopper davantage son action. A cet �gard, les difficult�s soulev�es par Ie relogement "sur place" d'une famille alg�rienne apr�s destruction de son appartement par une explo­ sion de gaz (cf 4�me partie) pr�figurent pour une large part les probl�mes a venire En effet, les objectifs de relogement sur place initialement. pr o c Lame s par les instances operationnelles s'estompent au fil des ans ••• Les consignes ie�ues de m�ni�re informelle par les travailleurs sociaux sur cette question font ressortir de plus en plus clairement une volont� de relogement p�riph�­ rique. 3. La troisi�me difficult� ressentie dans la lutte c�ntre Ie racisme tient a la mani�re dont il se manifeste. Tout se passe comme si Ie racisme, toujours r�activ� a propos d'autre chose que lui-meme (Ie vol par exemple) par rapport a quoi il se justifie, mais contraint par ailleurs de ne pouvoir s'affirmer qu'en se d�niant (je nesuis pas raciste, mais ••• ) ne doive son efficacit� quIa l'ambiguYt� qui l'accom­ pagne, interdisant du meme coup a la riposte qui lui est donnee de marquer a son tour la diff�rence, sous peine d'etre egalement soup�onn�e d'en avoir int�rioris� les m�canismes. Lorsque Ie directeur du centre social sugg�ra une action sp�cifique en direction des jeunes d�linquants maghr�bins accus�s de vol, sa proposition sera rejet�e parce que redoublant les marques de la difference. On lui substituera une action globale en direction des jeunes et des familIes; d'ou sa r�action g - 132 - "Souvent, on a l'i.mpression qu'on perd de vue l'objectif qu'on s'est fixe ••• " Nous reviendrons sur cette logique. Mais, inversement, la reaction de ceux qui sont soumis au racisme consiste alors a jouer de la meme ambiguitepour devier sur un plan Ccelui de leur appartenance raciale) la legitimite de ce q?i leur est reproche sur un autre (avoir vole). Reaction des adolescents "Si on me reproche d'avoir vole ••• c'est parce que je suis arabe ••• " Habile de part et d'autre a manier les effets de mauvaise conscience et de culpabilite, la relation raciste voue le tiers intervenant a ignorer en permanence son objet ou a le diluer dans un aveu oecumenique "nous sommes tous freres", sous peine dietre soup�onne a son tour d'y etre incluse Ce n'est pas llun des moindres paradoxes de la maniere dont s'exerce le racisme (7) que le principal artisan - sur le quartier - de la riposte qui lui etait donne soit contraint pour nous en parler, d'introduire ainsi son propos � "Je ne suis pas du tout raciste ••• d'ailleurs pour tenir ce poste je ne peux pas l'etre, par definition, je ne_le suis pas (0 •• ) je suis bien dans l'esprit de ce pretre � ouvert a tous ••• d'ailleurs vous le savez (e 0.) mais je suis oblige de dire qu ' il ne faut pas non plus faire du racisme dans l'autre sens; je dois avouer que depuis quatre ou cinq ans, un des problemes majeurs du quartier c'est que toute sorte de jeunes migrants y volent continuellement notamment dans les voitures ••• auto-radio, cassettes, vestes ••• tout ce qui peut trainero Ce qu'il y a de plus grave c'est qu'il slagit souvent de gosses tres jeunes". Que mettre l'accent sur les problemes de delinquance auxquels sont confrontes les adolescents immigres de la seconde generation puisse faire cou­ rir le risque d'etre soup�onne de racisme, en dit long sur les mecanismes qui font obstacle a la reponse quion peut lui apporter (8). (7) A cet egard, les L is auxquelles il obeit sont radicalement etrangeres a celles qui nous gouvernent; ciest ce qui fait le caractere derisoire des textes legaux en la matiere, principalement elabores pour maintenir un ordre qui n'est pas celui des phenomenes quiils vivent. (8) Ce probleme prend aujourd'hui des dimensions vraiment preoccupantes au cours de l'enquete que nous menions, un adolescent de 17 ans familier du quartier a ete tue apres avoir vole,dans une voiture. Son camarade qui essayait de s'enfuir a ete blesse dlune balle dans le bras. - 133 - La situation se presentait de la maniere suivante A la suite du vol d'un appareil auto-radio� la victime accompagnee de quelques amis ayant eu eux aussi affaire a des problemes de cet ordre, dec i­ dent de se faire justice eux-memes. Guides par la rumeur, ils pensent identifier le coupable, se presen­ tent dans sa famille et exercent un chantage double d'une intimidation. Ils reclament la restitution du materiel ou son remboursement et envisagent dans le cas contra ire des represailles. La famille terrorisee demande au directeur du centre d'intervenir, le coupable est identifieD Une solution a l'amiable est negociee par le directeur du centre qui permet d'eviter une montee de la violence en donnant une solu­ tion momentanee a la situation. Ulterieurement, une action globale sera en­ gagee sur le quartier, elle est encore en cours. Plusieurs caracteristiques meritent d'etre notees 1. D'une part, le recours de la famille au centre social apparait c omme un substitut du recours au di spo s Lt Lf policier, f a c Ll.Lt.d par le rale d'arbitrage des relations primaires joue par le centre social. 2. L'exercice de ce rale ne peut etre qu'individuel et reposer sur une insertion sociale de longue duree impliquant une connaissance des manieres de faire et de reagir propres a ch�que groupe social. "On a une certaine influence du fait qu'on est issu du quartier et que les gens ont confiance en nous, du fait aussi qu'ils nous per�oivent un peu cormne un tonton et que tout un tas de relations ont ete creees des le depart, qui sont toutes autres que celles que l' on peut avoir avec les gens qui arrivent ••• " Meme cette familiarite relationnelle ne suffit pas; elle exige egale­ ment une determination ignorant l'hesitation et l'incertitude, sur quoi se joue precisement la credibilite a long terme de la capacite a exer­ cer ce rale. " Ce sont quand meme des gens tres dures et tres racistes plus par­ ticulierement vis-a-vis des Nord-Africains ••• crest tres difficile de les faire demordre ••• A la limite, s'ils n'ont pas un certain respect pour l'intervenant, ils peuvent s'en prendre directement a lui, en disant : "toi, si tu n'es pas content, tu neas quIa pren­ dre leur part" ••• Vous voyez, �a peut aller jusque la .•. Dans cette situation, il s'agit de ne pas partir en courant, parce que non seu­ lement on est grille dans cette operation, mais pour le reste du - 134 - temps ••• apres, �a se saito 11 faut aller jusqu'au bout des cho­ ses ••• tu ne peux pas rester le cul entre deux chaises, c'est absolument impossible !" A partir de la, tout se passe comme si le probleme apparamment reg1e parce que resolu momentanement, ait du mal a @tre aborde sur un plan plus general: l'e1argissement du dispositif de reponse en imp1iquant un elargis­ sement de 1a concertation institutionne1le semble a11er de pair avec une "bana1isation" des objectifs a: atteindre. Le compte rendu de 1a reunion de concertation d'octobre 77 qui, outre 1es travai1leurs sociaux de la maison pour tous et du centre Baussenque, reunissait un representant de 1a maison de l'etranger et deux representants de l'A.A.E., paratt l'indiquer : "Depuis pas mal de mois, les habitants du quartier sont victimes journellement de vo1s et de deteriorations sur leurs vehicu1es au stationnement. Ces operations sont certainement effectuees par de jeunes migrants (9 a 15 ans) et 1a population 1e saito Ceci, s'ajoutant au racisme latent concernant 1es Nord-Africains, pour­ rait dec1encher rapidement des operations de commando si nous n'arrivons plus a contr61er 1a situation ( ••• ) A 1a proposition de visiter 1es fami11es a1geriennes du quartier pour leur expli­ quer 1es consequences graves que risque d'entratner ce comporte­ ment des enfants, 1es representants de l'A.A.E. objectent que ces visites contribueraient a renforcer 1a violence de l'accusation envers ces fami11es et par 1a rneme accentuer 1es fondements du racisme ( ••• ) 11 s'est a10rs propose d'organiser une rencontre avec 1es fami1les fran�aises et immigrees pour parler ensemb1eo La encore, p1usieurs personnes demandent que cette situation ne soit pas proposee aux gens dans 1e seu1 but de parler de 1a de1inquance. En effet, l'ensemb1e des participants reconnatt que 1a de1inquance est un phenomene lie a des questions plus globa1es ( ••• ) et qu'i1 faut ( ••• ) rechercher une action qui contribue a creer un mouvement positif aupres des habitants du quartier. Pour creer ce mouvement, l'ensemble des personnes presentes est d'accord pour d'abord re­ pondre co11ectivement aux besoins de toute 1a population. Plus precisement repondre aux questions qu'i1s se.posent sur leur deve­ nir en tant qu'habitants du Panier. Cette information devrait contribuer a cana1iser l'angoisse col­ lective vers un appetit co11ectif d'information. Dans 1e meme but, 1es participants sont d'accord pour favoriser une situation ou 1es differents groupes sociaux puissent exprimer leur identite a tra­ vers 1e temoignage de leur vie quotidienne passee et presentee Ainsi de1inquance et racisme pourraient @tre abordes par l'ensem­ ble des habitants ••• " Le texte se termine par une proposition d'action concrete: organiser une journee de reunion - rencontre dont les objectifs seraient d'informer les gens, et de creer une situation d'animation. . - 135 - Nous n'aurions pas cite ce texte aussi longuement si le mouvement meme qui l'organise, n'etait � ce point caracteristique de cette dissolution des problemes rencontres dans une rhetorique destinee � en faire disparaitre prog�essivement la trace. Sous couvert d'un elargissement de la concertation qui reste malgre tout une des conditions essentielles du succes de chaqu� operation, une bana­ lisation s'opere qui en compromet l'efficacite. Parti d'un probleme extremement precis, bien delimite, peut-etre insuf­ fisamment analyse mais extremement mobilisateur, on parvient, au terme d'une remarquable strategie d'evitement et de compromis, � perdre de vue la signifi­ cation des problemes rencontres et � reduire l'efficacite des mesures � enga­ ger et des initiatives � prendre; tout se passe comme si l'initiative sociale gagnait en efficacite ce qu'elle perd en legitimite et rec�proquement. � 136 - LA CITE PAUL MISTRAL 1. La logique des grands ensembles 2. Mise en place du dispositif d'action sociale 3. L'eventail des initiatives, leur repartition, leurs enjeux 3.1 La maison pour tous 3.2 Le centre social 3.2.1 La consultation de nourrissons et la halte garderie En 1964, 1es quatre immeubles de Mistral I sont oc�upes quatre barres de 10 etages comprenant 264 10gements. En 1966, 1a barre centrale, Mistral II est achevee (10 etages, 527 il s'agit de - 137 - 1. La 10gique "grand ensemble" A l'initiative du depute maire de Grenoble, Paul Mistral (1936), l'emp1acement actue1 de 1a cite qui desormais porte son nom, connait un debut d'urbanisation. 11 s'agit a l'epoque d'un ensemble d'habitations a bon marche (H.B.M.) du type cite-jardin a vocation ouvriere. Au fi1 des annees, 1a de10ca1isation industrie11e vers 1a peripherie attire de nombreuses fami11es et 1a vocation socia1e de 1a cite se confirme. En 1951, quatre immeubles sont construits para11e1ement a 1a riviere Drac et en bordure de 1a cite-jardin, mais c'est seu1ement a partir de 1962 que 1e quartier connait sa veritable mutation: 1a cite-jardin est detruite, ses anciens occupants seront en grande partie re10ges dans 1es immeubles "le Drac" - lui succede a10rs un vaste programme immobi1ier de reconstruction presque exc1usivement compose d'H.L.M. 10gements). 11 faut attendre 1970 pour que 1es tours de Mistral III soient mises en location (217 Logement s j, Vaste realisation de 1 080 10gements, 1a cite Paul Mistral est 1e deuxieme grand programme d'habitat social de 1a ville de Grenoble. 11 avait ete precede de 1a cite Teysseire (1960) construite dans des conditions compa­ rab1es et avec des objectifs identiques. Ega1ement a 1a peripherie de l'agglomeration et aux abords immediats . des communes de St Martin d'Heres et d'Eybens, 1a cite Teysseire comprend '1 307 10gements repartis en sept tours de onze etages. A l'epoque, ces deux programmes immobi1iers apparaissent comme des reussites de 1a municipa1ite Micha10n. La structure comparee par type d'habitat : surfaces, 10yers et charges des deux cites nous donne un indice de 1a vocation de leur recrutement essentie11ement des famil1es nombreuses d'origine ouvriere (1) (1) 1es donnees chiffrees dont nous disposons proviennent, sauf avis contraire, de l'agence d'urbanisme de 1a region grenob10ise ou de l'orfice d'H.L.M. - 138 - MISTRAL Fl 1'2 F3 F4 F5 F6 Total 1. Nb de logements Drac 6 54 12 72 Mistral I 88 44 132 264 Mistral II 46 41 68 174 170 28 527 Mistral III 24 22 85 86 217 70 151 203 314 314 28 1 080 2. Surfaces moyennes 62 m2 70 m2 86 m2 3. Loyer moyen 1975 269 F 301 F 340 F 4. Charges 1975 153 F 176 F 223 F TEYSSEIRE Fl F2 F3 F4 F5 " 1. Nb de logements 44 138 733 305 87 2. Surfaces 34 m2 45 m2 55 m2 65 m2 79 m2 3. Loyer moyen 1972 147 F 172 F 208 F 234 F 274 F 4. Charges 1972 45 F 58 F 72 F 87 F 108 F En l'espace de 10 ans, la population de Mistral passe de 1 200 a 4 900 habitants et connait tous les problemes d'une urbanisation sauvage et desor­ donnee. Veritable enclave urbaine a la limite des communes de Grenoble et d'Echirolles, longee sur deux cates par la bretelle d'acces a l'autoroute Grenoble-Lyon, sur deux autres par de larges voies de circulation, Mistral presente toutes les caracteristiques du ghetto et des phenomenes qui y sont associes (production et mise en circulation des signes de l'exclusion, exacer­ bation des contradictions internes, unification contre l'exterieur etc ••• ). Cet aspect est beaucoup moins marque pour Teysseire, mais dans l'un et l'autre cas, nous retrouvons les mgmes consequences d'une gestion au coup - 139 - par coup, beaucoup plus imposee par la pression sociale que reellement plani­ fiee par les organismes responsables : pnenomenes de surpeuplement et de concentration progressive, degradation rapide des espaces cornrnuns non entrete­ nus, faiblesse ou absence des equipements; le chauffage collectif inexistant a fait sur Mistral liobjet d'un conflit entre l'Union de quartier et l'office d'H.L.M. et les transports en cornrnun sont mal organises, autant de caracte­ ristiques qui vouent l'espace social a un processus de desequilibre cumulatif. Le recrutement social des cites suit ce mouvement en l'accelerant : on observe une dequalification croissante de la population, liee a une precarite accrue des ressources et une augmentation considerable des populations d'ori­ gine etrangere. D'importants retards de loyer apparaissent avec une accumulation de "cas sociaux" : beaucoup plus de families sont touchees par le ch6mage et le sont beaucoup plus durement; parallelement apparaissent des syrnpt6mes "d'ano­ mie sociale" : troubles sociaux et familiaux, conflits de voisinage, insecu­ rite croissante des habitants; l'insecurite, beaucoup plus fantasmee que re­ elle est significative d'un climat social extremement tendu et degrade. En 1973, de violents affrontements opposent les jeunes de Mistral aux services de l'ordre a la suite d'une demande de verification d'identite. De tels evenements sont vecus par la population de fa�on extremement ambivalente "ils avaient raison, mais ils n'auraient pas dO"; egalement orchestres par les medias, ces evenements contribuent a fa�onner pour l'exterieur les contours d'une syrnbolique de l'espace, a la fois objet de sollicitude : "il faut faire quelque chose" mais de defiance "tout en sachant ou on met les pieds". De la meme maniere, mais sur un registre different, a la suite d'une augmentation abusive des loyers (de 42 % en deux ans) les habitants de Teys­ seire engageront une lutte c�ntre l'office d'HeLeM. qui conduira a la demis­ sion du directeur departemental. La nouvelle equipe, heritiere d'une situation extremement lour de a gerer, fera son possible pour "enrayer" ce type de phenomenes, avec le sou­ tien des travailleurs sociaux : politique de "dedensification" et de "desen­ clavement" d'un c6te, de meilleure repartition des families de l'autre : on preconise un "repiquage" qui consiste a isoler les families etrangeres par montee d'escalier. Mais les principales tendances observees par ailleurs se confirment : de 1968 a 1975, le taux de renouvellement annuel de la population sur Mistral s'accelere : il passe de 8 a 15 % et fait apparattre deux phenomenes - 140 - 1. le depart des classes moyenn�s qui ne sont pas remplacees 2. l'arrivee massive d'une population etrangere immigree : en l'espace de sept ans le pourcentage de population etrangere est mUltiplie par trois : il passe de 7 a 22 % (2) Sur Teysseire actuellement, ce pourcentage atteint 41 % (50 % si on tient compte de l'origine culturelle et non de la nationalite) Cette arrivee de population immigree est doublement selective: elle souligne l'importance de la demande maghrebine au detriment des autres na­ tionalites (espagnole, portugaise, italienne); elle s'opere egalement par categorie d'immeubles : la population etrangere passe de 10 a 27 % a Mistral II (la barre centrale) alors que dans le meme temps la composition des immeubles Drac ne bouge pratiquement pas (de 1,2 a 2 %). Enfin, le renouvellement de la population sur Mistral tend simultane­ ment a accuser les deux pales de la pyramide d'age : la population jeune se rajeunit pendant que la population la plus agee, vieillit davantage, confir­ mant l'hypothese verifiee par ailleurs d'un telescopage des "trajectoires residentielles". (3) Si nous prenons comme indice l'evolution de l'age des chefs de famil­ les entre 1968 et 1975, les menages ages (+ 50 ans) augmentent a peu pres dans la meme proportion que les menages jeunes (- 30 ans) au prix d'une di­ minution des menages de 30 a 50 ans. (2) Encore que ce chiffre ne tienne pas compte de l'origine et se limite a enregistrer les nationalites declarees. (3) cf. Chamboredon et Lemaire, Proximite �E?ti?le et distance sociale) l�_gI_�nd�_�.!lpemb!�§ eLJ,gu..r geul?lerqg_ll!;:...w Revue f r anca I se de sociologie nO XI 1970. MOBILITE DES MENAGES DE 1968 a 1974 (quartier Mistral) (*) IAnnees 1968 - 1969 1969 - 1970 1970 - 1971 1971 - 1972 1972 - 1973 1973 - 1974 SOLDE Arrives 76 100 98 108 140 155 Partis 72 97 86 111 134 154 Taux de rotation % 8,5 10-,1 10 10 12,8 14,8 .r ..,_.__ __ � ____ .... .....r __ _ . �. ARe DEP. AR. DEP. AR. DEP. ARe iDEP. AR. DEP. AR. DEP. Par c.s.P. Cadres 15 31 15 25 24 21 14 20 14 22 12 27 - 52 Artisans-cormner. 2 - - - 1 1 1 2 1 - - - - 2 Employes 18 30 15 31 31 24 26 31 19 30 21 23 - 39 Ouvriers 65 39 70 44 44 54 59 47 66 47 67 50 + 90 TOTAL 100 100 100 100 100 100 100 100 100 100 100 100 Par na t Lona l t t e Fran_g_r.'§'QM9.lJt_� __ IJl..aghr"e- 1?tE�_ %,�E;:2.P.o.�L��Ja�d,�uili_l!l�__geEeration.$ Lyon 1977 - 181 - Tres tot, 1e jeune gar< logie de "l'american way of life" et partic\llierement de "l'achievement". "Une famille saine est celle qui est capable de poursuivre ses buts pour le bien de tout le groupe ( ••• ) par contre une famille malade a du mal a etablir un plan quelconque que ses membres pourraient realiser en tant que groupe" (11) Dans le pire des cas, on observe une instrumentalisation de 1a situation relationnelle qui reduit 1a relation d'aide a un travail de manipulation ou de propagande morale. G. Bilodeau (12) repertorie ainsi 19 techniqu�s susceptibles d'@tre uti­ lisees pour parvenir a un resultat dans le court terme et qu'il prOpose, pour l'edification des eleves assistantes sociales : 2. centre propagande 3. persuasion 4. prevision 5. universalisation 11. information 12. apprentissage de cQnduites appropriees 6. Li eu 13. discussion logique 14. avis et aide 15. imposition de limites realistes 7. intervention directe dans l'environnement 8. confrontation 9. support 16. exploration 17. exteriorisation 18. digressions ou incises 19. participation associativ� (11) Grace L. Coyle, revue "Social Case work" nO 7, New York juillet 1962 (12) G. Bilodeau, .C;:9ur_s�_sur __ 1�!3_ approches q!.__iJ:}�_ervgnt�on soc La Le - tec;hJ:lJque de 1_' intery�nJ:Lo_n _pJa�I}__if,iee dans c�e court te rme , Ecole du service social de Provence - annee 75/76. - 226 - Out:r-e Ie caractere proprement hallucinant d'une telle classification qui evoque surtout Ie "traite de zoologie portative" de Francis Ponge� ses qua l.i.t e s podt Lques en rno Lns , nous a ppr enons que la "participation a ssoc La t Lve" (techni.que 19) est "une technique par laquelle un t rava Ll l.eur social permet au client d'avoir un contr6le direct Bur ce qui se dit ou se fait � son sujet!" Cette technique, conclut un long catalogue qu'il serait fastidieux de repro­ duire mais dont l'esprit consiste bien � anticiper chaque type de situation possible et � lui associer la reponse la plus efficace compte tenu des objec- t Lf S "poursuivis. La confrontation (technique nO 8) "consiste � mettre Ie client en face d'un aspect de son comportement qu J Ll. ne veut pas voir ( ••• ) L-elle_!'doit etre employee avec prudence et doigte; inversement l'universalisation (technique nOS) est utilisee pour aider Ie client � accepter certains sentiments qui Ie para­ lysent. Savoir que tous les humains ont des sentiments d'agressivite envers les etres les 'plus chers, allege son anxLe t e l " L'ambivalence des techniques laisse entierement ouverte la question de leur appropriation et selon que Ie client sera juge, irrationnel, paralyse sur un plan emotionnel et affectif, negatif avec autrui, qu'il doutera de ses capa­ cites, qu'il sera ignorant, inhibe ou anxieux, il fera l'objet d'une contre­ propagande verbale (!) on l'aidera � mieux s'accepter, on lui ouvrira les yeux sur. ce qu! il persiste � me conna'l t r e , on Le rassurera en l' approuvant (� condi­ tion toutefois "que ses reactions soient saines, socialement acceptables et utiles") on l'informera, on lui indiquera la route � suivre, on Ie convaincra, on lui donnera la permission d'agir ou au contraire on imposera un controle. Dans ce dernier cas, il s'agira "de renforcer la structure du super- ego (sic) et de supprimer les impulsions inacceptables en travaillant la partie saine du client". II e.s t alors r ec ommande de faire valoir les normes "encour ag e es par la societe mais non encore incorporees par Ie client". ,Car c'est bien de cela qu'il s'agit : faire incorporer des valeurs en exer�ant une influence, pour finalement exiger l'essentiel, c'est-�-dire un conformisme social strict, sous apparence de dispenser l'indispensable : l'aide materielle. Cela exige une canalisation des flux et des energies, une domesti­ cation des impulsions, une liberation des forces dynamiques parallele a un blo­ cage d e s .f or c e s retrogrades, enfin la man i.pu La t Lori de sentiments ou de reactions elementaire's ': sentiment de cu Lpab i l.f t e , sens des r e s pons ab Ll Lt e s , besoin d'etre heureux {! h de s i r de dramatisation etc ••• - 227 - Des considerations purement tactiques permettront de ponctuer chaque demarche : technique nO 9 : des 1a premiere entrevue "le travai11eur social exprime son interet pour son client, lui montre son acceptation, sa compre­ hension, son desir d'aider, sa confiance ••• " i1 s'agit de preparer 1e terrain. Technique nO 18 : "le travai11eur social echange a pied d'ega1ite sur des sujets neutres et apparemment anodins ( ••• ) sans rapport direct avec 1e but de l'intervention. Cette technique permet au client de souff1er". 11 s'agit de prevenir des phenomenes de saturation. . Mme B. assistante socia1e dans un service d'AEMO a suivi une fami11e pendant un an et demi. E11e demande au groupe de formation "d'y voir plus clair", de lui permettre de "prendre ses distances" car, "tout ce qu'el1e vivait dans cette famil1e etait si intense" qu'e11e "avait du mal a objectiver ou neutra1iser son attitude". L'expose qu'e11e nous donne des prob1emes qu'e11e y rencontre atteste un cumul des handicaps et un desequilibre avarice du milieu familial. , - relation diffici1e avec 1a mere malade menta1e et envahissante (impression d'etouffement) - separation du couple - reinsertion d'un enfant place arbitrairement - rejet et abandon de 1a fi11e ainee agee de quinze ans (enfant natu- re11e) avec de1ire de la mere axe sur 1es relations supposees de sa fi11e avec son mari, d'ou instance de divorce. . Le recit de son intervention renvoie a un fantasme typiquement materne1 de canniba1isme reciproque a 1a fois souhaite et refuse "j'ai fai11i me faire bouffer", qui simu1tanement lui permet de rationa1iser 1es 1imites qu'e11e fixera a 1a relation d'aide "apres s'etre donnee a fond" et dont e11e deman­ dera au groupe de l'en decu1pabi1iser. Paral1e1ement ce recit fait apparaitre 1e caractere irnmanquab1ement infanti1isant de 1a relation d'aide : "e11e etait aussi demunie qu'une en- fant". "Lors de rna premiere visite, je me trouvais devant une personne encore jeune, sur 1a defensive, m'observant longuement en silence avant de me raconter sa vie ( ••• ) Que1qu'un de craintif, demuni sur tous 1es plans, sans defense, demandant aide et protection. Spontanement, sans ref1echir, je me donnais a fond et peu a peu j'assistais a un "epanouissement", une ouverture S\,lr le monde - 228 - exterieur, une recherche de contact, 1e desir nouveau de vivre comme tout 1e monde. Tous ces elements nouveaux me satisfaisaient mais m'empechaient de prendre conscience de 1a dependance etroite que j'etais entrain de creero Jietais devenue 1a confidente, l'amie ( ••• ) aucune decision nietait prise sans mon avis, j'etais devenue indispen­ sable (0 •• ) La demande etait enorme et je commen�ais a ne plus pouvoir y repondre. Je me sentais prisonniere d'une relation etouffante, i1 mietait devenu impossible de prendre mes distances pour quo I T" . Or ce nVest pas te11ement dans 1a structure de 1a relation d'assistance ni meme dans 1es 1imites que lui impose l'institution a 1aque11e e11e appar­ tient que Mme B. recherchera une reponse, mais de maniere extremement signi­ ficative, dans' 1es a l ea s de sa propre genea10gie faniilia1e. IIJlai alors pris conscience que j- cette situation -j faisait re­ ference a rna vie personne11e, a-ce que j'avais vec� dans mon en­ fance ( ••• ) Je me posais en parent possessif face a e11e ( ••• ) qui etait aussi demunie qu'une enfant. Le lien tres serre que jientretenais avec e11e me procurait un certain p1aisir ( ••• ) Je pus a10rs prendre un certain recu1 ce qui me permit de commencer a 1a lifrustrer" ( ••• ) mon role fut moins facile, je dus suppor­ ter a l.o r s une attitude agressive et rejettante ( ••• ) mais 1es . resu1tats furent positifs ••• " Cette reaction de rejet, interpretee comme une manifestation d'ingra­ titude, permettra a10rs de masquer 1e refus beaucoup plus fondamenta1 que 1es fami11es opposent a 1a relation d'assistance en en faisant 1a reaction carac­ teristique d9un 'enfant vis-a-vis de sa mere - mais par ai11eurs, i1 est dif­ fici1e pour 1es fami1les de lui donner une forme differente : "Ils peuvent pas lui dire m ••• en face, dans 1a mesure ou i1s ris­ queraient de se priver de cette possibi1ite de soutien ( •• e) crest pas grand chose, mais crest toujours �a ••• " Educateur de prevention 11 existe donc une comp1icite dans 1e ma1entendu qui oppose 1es assis­ tantes socia1es aux fami11es qui ne peut etre reproduite que si ce11es-ci y trouvent leur compte au niveau des gratifications secondaires. D'ou 1es formes de resistances diffuses que suscite 1a relation d'aide et qui ne se manifes­ teront que dans un cadre delimite par 1es formes memes de cette relation. . . • - 229 - '�adame o. manifestait une grande ambivalence face a mon interven­ tion. La necessite qu'elle avait d'avoir recours a mon aide la mettait mal a lIaise et entrainait des fluctuations dans la fre­ quence et la qua lite de nos entretiens. Je m!effor�ais d'avoir l'attitude la plus neutre possible en re­ ponse a ce qui me semblait etre sa difficulte a accepter l'aide de la part de quelqu'un de jeune. Madame O. etait tres coquette et tenait a cons�rver pour elle-me­ me et les autres une marge d'autonomie et de seduction. Je pense que rna propre image devait la renvoyer a quelque chose de penible pour elle ( ••• ) Quand sa situation materielle s'ameliora, elle saisit le pretexte pour installer une quasi rupture dans nos en­ tretiens. J'ai alors tres mal vecu ce rejet que je re�sentais cormne une ingratitude." . Lorsque les reactions de refus depasseront Ie cadre fixe par la rela­ tion d'aide, elles se repercuteront dans les services, mobiliseront de nou­ velles responsabilites et susciteront de "vives emotions". C'est Ie cas pour ce refus de placement : "La des Italiens; les parents malades mentaux, une fil1e atnee mere celibataire egalement ••• tr�s depressive; des diffic�ltes finan­ cieres enQrmes, le perc cn invalidite avec une incapacite de tra­ vail. La mere decide soudain de retirer ses enfants d'un I.M.P. de la ville pour les garder chez elle, alors qu'aupar�vant elle ne les envoyait pas a l'ecole. Donc les services sociaux avaient decide ••• enfin avaient decide ••• lui avaient suggere de les pla­ cer en internat scolaire et a l'epoque �a avait marche. Donc gros, gros branle-bas au niveau des services sociaux ••• " Avec Ie service social se fixent donc les grandes lignes d'un travail de reeduoation et d'influence qui va se demultiplier et s'affiner au fur et a mesure de la division technique du travail social. Des mesures en apparence les plus souples parce qu'elles font appel a l'adhesion des familIes jusqu'aux mesures les plus coercitives - sous mandat judicia ire - une merne grande entre­ prise d'assujettissement et de contr6le est en cours. 11 nous reste encore a parcourir ses principaux moments. - 230 - 4. Le conseil en economie sociale et familiale Lorsque les decrets portant creation du diplame de conseillere E.S.F. par a Ls.sent en 1973 et 1974� i.ls ne font que sanctionner un long deperissement qui devait conduire lienseignement menager a une reorientation de ses objec­ tifs,et de ses methodeso ; Get en s e Lgnemerrt , dont on sait qui il fit long feu depuis la fin du XIXeme sieele et dont on pourrait dater le declin a partir du moment ou le regime de Vichy le generalise en le rendant obligato ire (creation des centres d'apprentissage - loi du 18.3.1942 - et ouverture des centres prives d'ensei­ gnement familial social et menager - ordonnance du 2.11.1945) a puissamment contribue a fau.II;j.LN,a,l(ai,t.l m Le ux, c ommett r e tel. de l I t dans telle c Lr coris t ance p Lut Bt qu t un autre, at l l eur s , compt e t enu des risques qu t d l s 'accep'tai�hi�dc'·.rpt:�.nd.re-Q)i.t-Ub'1qIj,:_ __ '�i_ ""G'I, )," r- _ , . ,;: :,'1 ··.tl � �_. ,0 �3 .) h "1,_, .. ' Il.)l. i : ,,; r, - 292 - conflits qui opposent les educateurs aux institutions sociales, siils presen­ tent un caract ere structurant de premier plan, ne reproduisent que faiblement les conflits qui opposent les adolescents a la societe globaleo Get espace relationnel imaginaire (institutions - educateurs - adoles­ cents) ou chacun tente de paraitre aux yeux de l'autre pour autre chose que ce quiil est, tout en essayant diobtenir autre chose que ce quiil revendique, definit Le caract ere f onc Ler ement pervers de la r e l.a t.Lon educativeo Dans cette logique, Ie jeu des adolescents est extr@mement clair ils demanderont liimpossible, sachant que cela leur sera refuseo GVest Ie contour des "possibles" qu'offre la relation educative qui va done en constituer lienjeuo Lielargissant �u Ie reduisant au gre des circons­ tances, Ie groupe delinquant va operer un chantage quasi permanent sur l'educa­ teur qui n_iaura plus des lors que deux solutions: c e l Le "d t avou e r ses limites" ou celIe de changer de quartier. Dans un cas, les motivations des adolescents seront extr@mement diffi­ ciles a maintenir, dans l'autre, Ie scenario educatif renouvele sur ses bases, pourra a nouveau se reproduire selon des phases comparables. La force des adolescents, comme Ie dit un educateur, "clest dietre entier" et au moinssur ce plan d'ignorer la contradiction: "pour eux, tout est permis". LVenfermement fera donc partie des eventualites de leur jeu (14). Inversement, la fa'iblesse des educateurs consiste a etre contradictoire, f luctuante dans leurs appreciations, hesitante dans leur demarche; c i est lid I avoir Ie cuI entre deux chaises"o Ni jamais totalement diun cote, ni jamais totalement de liautre, ni delinquants, ni travailleurs sociaux, delinquants parmi les travailleurs sociaux et travailleurs sociaux parmi les delinquants, la position quiils occupent dans la division technique du travail social, les condamne a tenter dietre les tra­ ducteurs du malentendu qui oppose les uns aux autres. 8. Strategie de signalement et modele d'interpretation socia1e l'enqu�te - 293 - Nous avons vu que l'eventai1 decrit par la division technique du travail social reproduisait 1es deux poles d'une alternative strategique allant de 1a persuasion a 1a contrainte. Persuader les famil1es de 1a necessite de la contrainte ou les contrain­ dre a l'arbitraire de 1a persuasion, leur faire admettre que 1es solutions adoptees sont 1es mei11eures ou 1es seules envisageab1es, 1es placer en situ­ ation ou e1les-m�mes rec1amerbnt soutien et consei1s, autant de demarches fa­ mi1ieres aux travai11eurs sociaux et que chacun accomplira dans les 1imites et 1a marge d'initiative que lui assure 1a division technique du travail. Par une gradation insensible a11ant de 1a simple relation d'aide jus­ qu'aux mesures de placement ou de tute1le sous mandat judiciaire, on observe le deploiement progressif d'un dispositif de domination et de contro1e dont l'enjeu en ce qui concerne 1es fami1les etrangeres, consiste bien a favoriser leur integration socia1e en faisant disparaitre toute trace d'une difference signalant leur appartenance a un univers culturel autre que l'univers occi­ dental. Parce qu'e1le se situe a la charniere du "judicia ire" et du "social" et qu'elle fournit la matiere premiere sur 1aquelle vont s'elaborer dans chaque cas, 1es reponses 1es mieux appropriees, l'enquete sociale apparatt comme un document de tout premier plan pour aborder les representations que 1e service social se fait de la famille immigree. Document administratif destine a assurer une collaboration etroite entre services differents, exigeant a 1a fois minutie et precision, on peut diffici1ement le soup�onner d'une que1conque complaisance, ce qui est frequem­ ment 1e cas en situation d'entretien. Effectuee se10n une demarche estremement codifiee, standardisee et immuab1e par des agents specialises de l'action socia1e, l'enquete systematise 1e prelevement d'informations sur la fami11e, sur le mineur, sur son environ­ nement et suggere une interpretation des difficu1tes qu'e11e rencont�e. Jacques Donze1ot a mis en evidence 1es reg1es qui gouvernent 1e derou­ lement de l'enquete : approche circulaire de la fami11e, interrogatoire separe et contradictoire de ses membres, verification pratique du mode de vie fami­ lia 1 (1). (1) Jacques Donze1ot, 1a Police des fami11es op. cit. p. 114 - 294 - Dans Ie cas des fami1les etrangeres, ces regles fonctionnent avec un rendement accru du fait des difficu1tes de communication entre la famille et l'enqu�teur, des contradictions qui traversent l'espace familial, de la sus­ picion dans laque1le les enqu�teurs tiennent generalement 1e temoignage de ses membres : "VOUS savez, i1s vous racontent un peu n'importe quoi et s'i1s ont 1ecide que tout se reglerait entre eux vous aurez beau leur po­ ser des questions, i1 n'y aura rien a faire ••• Remarquez, s'ils voient qu'ils arriveront a vous soutirer quelque chose, a10rs la ils seront bavards; i1s n'hesiteront pas a se contredire ••• ils sont filoux vous savez ••• " Assistante sociale chargee des enqu@tes L'approche commence avec les services sociaux de secteur, pour savoir si la famille est "connue" ou non. Si elle est "connue", tout un corpus de donnees informel1es pourra @tre recuei11i, consigne, retranscrit. 11 permettra de fixer 1es grandes 1ignes de l'enqu�te en cheminant sur des sentiers deja battus donc avec toutes les garanties que procure sinon l'objectivite, du moins Ie consensus qui'spontanement s'etablit entre services concourant a une tache commune. S1 la fami1le n'est pas "connue", on pourra utilement recourir au temoignage du maitre d'ecole, observateur impartial et attentif des progres­ sions de l'enfant, des difficultes qu'il rencontre dans son entourage familial, conseiller a la fois ecoute et consulte par les parents. Dans un ordre d'idee different, 1a gendarmerie, 1es agents municipaux et d'une maniere generale, toute personne que leur fonction place en situation de d e t en Lr et d" emettre un "avis autoritaire" seront egalement con su Lt e s : employeur, proprietaires, commer1 menages paysan 15 ans 1 ';1/ 1 1974 20 21 mari 1945 usine textile ouvrier tex. 15 ans 1965 1967 3 1968 20 F. 1971 ferrnne 1948 ? paysan ? 1967 1973 19 20 E. mari 1943 ouvre spec. ouvrier 11 ans 1969 1963 4 l�g� 26 1�69 femme 1945 - ? ? 1969 1 72 24 19 I mari 1945 usine paysan 11 ans 1971 1967 6 1968 26 K. - ferrnne 1949 - journalier 14 ans 1972 1977 23 19 mari 1934 agriculteur 10 1971 I 1961 37 F. ma <;; on ans 1960 3 1963 ferrnne 1936 menages " ? 1972 1968 36 25 v. mari 1945 batiment journalier 11 ans 1920 1968 2 1969 25 ferrnne 1951 usine journalier - 1970 1971 19 18 mari 1934 usine OS agriculteur ? 1959 1965 25 1962 4 1966 R. I 1969 ferrnne 1941 agriculteur ? 1963 I 22 24 - I 1973 I I I mari 1948 usine 1968 I 1971 20 O. 1967 2 I I ferrnne 1949 menages 1968 I 1972 19 22 I . La communaute maghrebine une strategie de negociation - 325 - 1. La question du logement C'est aut our de la question du logement et de l'habitat qu'apparait avec le plus d'acuite le decalage entre les problemes que rencontrent les familles immigrees et la maniere dont ces problemes seront reinterpretes pour etre pris en compte par le service social. Question primordiale pour les uns, dont l'urgence se signale des les premiers jours de·leur arrivee en France jusqu'a deteminer entierement les conditions de leur sejour, �lle constitue pour les autres la limite de leur . credibilite. C'est parce que tout un ensemble de problemes lies aux conditions de logement ne seront pas abordes en teme de logement ("il faudrait tout detruire" nous confiait une assistante sociale) que Ie recours a l'action sociale s'impose dans 50 % des cas comme une necessite. II s'agira alors de reduire des dysfonctionnements sociaux inscrits dans la structure du cadre bati, en instituant des controles plus stricts. Le service social apparait alors comme Ie depositaire des "residus" ou des "bavures" du plan d'urbanisme. A cet egard, la rupture institutionnelle qui existe entre Ie disposi� tif d'action sociale et les organismes promoteurs de logements sociaux, n'est pas fortuite � elle a valeur de structure et pemet de traiter sur un plan (relation educative, aide, secours, assistance ••• ) des problemes qui continuent de se poser sur un autre (exiguite des lieux, insalubrite etc ••• ) Mme C. assistante sociale, malgre un harcelement pemanent de l'office d'H.L.M., n'a pas reussi a obtenir un logement pour la famille L. d'origine algerienne, sept enfants,vivant depuis 12 ans dans un deux pieces. Elle se verra contrainte de traiter en temes educatifs, appelant un placement, Ie refus de la fille ainee a continuer a partager la meme chambre que ses freres et soeurs. Parce que les conditions de logement et d'habitat deteminent massive­ ment les conditions de vie et de socialisation des familles et qu'aucun autre probleme ne saurait etre reellement aborde avant que celui-ci ait re�u une solution satisfaisante, parce que simultanement la politique du logement so­ cial ou plus simplement le controle de ses filieres d'acces echappe a l'emprise des services sociaux, la rupture qui existe entre l'un et l'autre fait de l'un Ie substitut de l'autre et definit assez precisement les limites que Ie service social ne peut pas franchir ainsi que les fonctions qu'il est appele a remplir. - 326 - Cette rupture entre les services du logement et les services sociaux place les agents d'action sociale en position de g�rer les contradictions qU'elle engendre et la mani�re dont les familIes int�riorisent ces contradic- tions. Si dans certaines circonstances (Teysseire 1974) cela peut aller jus­ qu ' a un soutien de la gr eve des' layers par les travail leurs sociaux solidaires des familIes contre l'office HoL.M., la plupart du temps, c'est a un v�ritable d�tournement d'objectifs que donne lieu l'exercice du travail social; nous pourrions multiplier les exemples. A l'inverse, dans taus les cas au une coop�ration �troite associe la gestion du logement et Ie travail social, parfois meme dans Ie cadre de la me­ me institution, il s'agit alors d'obtenir des familIes qU'elles se conforment aux normes de gestion en vigueur sans que leur pr�sence compromette l'�quili­ bre social et financier de l'entreprise. · · LiA.L.I.F., association pour "l'Am�lioration du Logement des Immigr�s et de leurs familIes" slest engag�e aupr�s de l'office H.L.M. a reloger 150 familIes en quatre ans. Son role consiste a favoriser leur insertion ult�rieure dans un habitat normalis�. "lIs comptent sur nous, il ne faut pas les d�cevoir" nous pr�cise monsieur B., coresponsable de l'association en parlant de l'office; il nous confie �galement son embarras. "Le v�ritable probl�me est Ie suivant familIes =1 voudront partir ?" est-ce qu'elles l-les "Celles qui sont les plus �volu�es, partiront petit a petit" admet le colonel B., pr�sident de liassociation. La t�che parait difficile g · "Nous avons des familIes qui se tiennent bien, d'autres par contre c'est une v�ritable catastrophe ••• 9a devient une nuisance ••• 11 nous faut adoucir les angles, les pr�parer a la vie en commun ••• " Monsieur B. s i emploie a demys t i f Le r Le st�r�otype de la famille irrnnigr�e "Dire qu'ils n'ont pas de mobilier, que c'est un campement, c'est faux ••• lIs arrangent gentiment leur int�rieur, ils ant un mobilier correct et de goOt qui montre qu'ils sont attach�s a notre mode de vie ••• " ) comprendre ••• " Assistante de secteur - 327 - Que les travailleurs sociaux interiorisent d'eux-memes les difficultes que cree une politique restrictive du logement social et tentent de dissuader des demandes en compensant sur un plan ce qu'ils ne peuvent obtenir sur l'autre, qu'ils evoquent les caracteristiques d'un mode de vie "particulier" pour jus­ tifier une politique de discrimination selective qui de toute maniere leur echappe (1), qu'ils rivalisent de "devouement", "remuent le ciel et la terre", "ruent dans les brancards" pour finalement s'entendre rappeler que tel program­ me immobilier "n'a pas vocation pour recevoir des immigres" ou a atteint "le quota reglementaire defini par l'office", dans tous les cas, le resultat sera a peu pres identique : L'acces au logement social differencie globalement la population fran­ �aise .de la population etrangere et opere meme a l'interieur de la population etrangere une selection qui amplifie les handicaps initiaux a l'emigration : Selon que vous etes arrives clandestinement ou pas, que vous disposez d'un reseau familial d'accueil ou non, que vous etes Algerien plutot que Portugais, vos chances d'acceder au logement social varieront : trois fois penalise l'Algerien arrive seul clandestinement que lIon retrouve au bidonville et qui tente de faire venir sa famille dans les memes conditions. Les familles D. et K. sont exemplaires a la fois du caractere cumulatif des handicaps initiaux a l'emigration et de la strategie du service social en pareil cas. La famille D., mere tunisienne, pere algerien, 5 enfants, en France depuis 1960 et la famille K. marocaine, en France depuis 1957, 8 enfants, ha­ bitent un bidonville depuis plus de quinze ans. Depuis 1962, monsieur D. se heurte au refus systematique de l'office H.L.M. et aux tracasseries administratives de toutes sortes : "J'ai fait la demande , ils ne m t orrt meme pas repondu m •••• sauf le respect de mon frere ! lis m'ont dit : chaque annee, faites la de­ mande et moi chaque annee, je suis dans la poubelle. �a fait 8 ans que je renouvelle J.a demande ••• J'ai arrete puis j'ai recommence ••• " A un refus de l'office, il tente alors d'opposer les possibilites que presentent les agences immobilieres, mais sans succes non plus : (1) "Prenons l'exemple de cette famille : dans les chambres, elle faisait secher aes oignons, aes aulx, des poissons ••• �a genait les voisins. Elle en­ tassait tous les gamins dans une seule piece, et elle faisait de la culture dans les autres (.0.) J'avoue avoir beaucoup de mal a accepter �a ••• a le Curieuse expression que 1a "natura1isation" qui designe simu1tanement l'action "d'accorder a un etranger 1es droits dont jouissent 1es nature1s du pays" et ce11e de "preparer 1es depoui11es des animaux pour leur rendre leur aspect n.ature1" (Littre). J , - 328 - "Quand je suis degoute, je ne leur fais plus 1a demande, c'est fini ! Je suis revenu a l'agence. Lui, i1 me regarde et me dit 1 500 F/mois, parce qu'i1 sait tres bien que je ne peux pas payer. 11 me propose 2 ou 3 pieces, ce1a ne me suffit pas ••• i1 me fau­ drait au moins cinq pieces pour reprendre l'a11ocation !!! Et ce1a s'i1 nla pas honte de moi ! Dans 1e cas contraire, i1 me dit : je ne loue pas aux Arabes ••• direct! Les gens racistes me 1e disent directement 1" De son cote, madame K. a mu1tip1ie 1es demarches, s'est adressee de partout, a essaye par mille moyens de trouver une solution. Aujourd'hui sa demarche est incoordonnee, a1eatoire : e11e a 1e sentiment d'avoir epuise tou­ tes 1es possibi1ites sans pouvoir s'y resigner: "11 ne manque que 1es pompiers sauf ton respect, a qui on ne s'est pas adresse pour 1e logement. 11 ne reste plus qu'eux !" Pour l'une et 11autre fami11e, 1a situation est entierement b1oquee. Seu1e 1a decision de raser 1e bidonville pourrait 1a modifier et dans ce cas, i1 ne leur resterait quia prendre leurs valises et partir. Les valises, sym­ bole de l' Lns t ab Ll.Lt e familia1e, sont toujours a por-t e e de main : certaines n'ont jamais ete videes de leur contenu. . "Je ne cherche plus ni logement, ni rien ( ••• ) Je me suis dit : 1e bon Dieu t'a trouve : i1 t'a mis entre ces bois, immigre ! Je reste ici, jusqu'a ce qu'un jour i1s prennent 1e bulldozer, jus­ quIa ce qu'i1s me disent de prendre mes valises et de partir ••• " Au debut, monsieur K. aurait peut-etre pu obtenir un appartement H.L.M. par 1e biais du service social, mais 1es conditions qu'on lui oppose, lui . paraissent alors exorbitantes on lui demandait rien de moins que de renoncer a sa nationa1ite. Monsieur K. interprete cette condition comme un veritable chantage a son identite � . "J'ai fait 1a demande en 1962. Toujours je vois l'assistante socia1e, chaque jour, chaque jour. En 1962, e11e m'a dit de prendre 1es papiers francsais : "Fais 1a nationa1ite francsaise et nous aurons droit au logement". 'Ei j'ai droit au logement sans me natura1iser diaccord, sin.on, 1aisse-moi rester ici" je lui ai dit." - 329 - Pour madame D., le chantage est identique et les reactions comparables: "A l'R.L.M., on m'a demande de changer de nationalite ! Moi, chan­ ger de nationalite a cause d'un mur ! Jamais de la vie, ce n'est pas possible que cela se passe" On voit comment, des le depart, le service social definit une situa­ tion de rapport de force o� rien n'est donne, ni re�u qui n'appelle une contre­ partie et o�, obtenir ou proposer quelque chose, c'est toujours exiger ou renoncer a une autre. Monsieur K. refusera de brader sa nationalite et n'aura pas besoin de simuler l'incomprehension pour manifester son refuse Les conclusions qu'il en tire sont immediates : maintenir sa dignite en France revient a accepter de continuer a vivre dans des conditions que plus personne n'accepte. Le meme refus qu'il oppose pour lui-meme, il le formulera egalement pour ses enfants dans des conditions identiques, prenant ainsi le risque de se l'entendre ul­ terieurement reprocher par ceux-la memes sur qui il reporte le sens qu'il tente de donner a sa vie. Ce jour-la, sa vie aura cesse d'avoir un senSe .. "Lorsque mon fils est ne a l'hopital, on m'a dit voila! ne donne pas a cet enfant un prenom arabe, donne lui un prenom fran�ais. On m'a dit : comme �a, on vous donnera un logement et tout ce que vous voudrez ••• Je leur ai repondu : et si je dois retourner, dois­ je prendre les autres enfants et vous laisser celui-a chez vous ? Car, ils vont pas le laisser passer a la frontiere ••• Je leur ai dit aussi : ne me dites plus ces choses-la ••• " . A travers sa nationalite, et le prenom de ses enfants, c'est a sa pro­ pre identite que monsieur K. refuse de renoncer • A partir de la, le service social cessera de s'interesser a �ui parce que "faisant preuve de mauvaise volonte". Chaque demarche se heurtera a la m�me reponse, leitmotiv de sa condi- "tu n'as pas Ie droit". Les generations d'assistante sociale se succedent et apparemment, se ressemblent toutes : la derniere en date se contente, semble-t-il, d'indiquer tion a sa femme une demarche dont elle sait d'avance qu'elle n'aboutira pas. "Lundi passe, elle m'a envoye a la prefecture avec mon mari, je suis revenue morte : elle ne m'a donne l'adresse. Toujours je cherchais "la prefecture qui donne le logement aux immigres, la prefecture qui donne les logements ••• " toujours on me repond qu'il n'ya pas ••• " - 330 - Pour monsieur De crest la meme chose: il a l'impression de se heurter a une "machinerie" specialement concsue pour l'ecraser, une machinerie a la­ quelle Ie gouvernement aurait sa part de responsabilite. Dans l'impossibilite de discerner avec exactitude les mecanismes auxquels il se heurte, sa maniere d'en responsabiliser Ie gouvernement revient a affirmer l'ampleur et la force du dispositif qui l'ecrase. "Ma femme part souvent la voir j-l'assistante 7. Elle lui raconte tout. Elle lui repond :"tu n'as pas droit a u�e H.L.M." Qu'est-ce qu'on dit, si elle dit cela ? J'accepte ••• Je ne ne peux alleguer le gouvernement moi ! Elle est fonctionnaire du gouvernement non ?" Sur Ie plan des conditions de travail, monsieur D. reconnait que la situation est differente. Parce que l'interlocuteur est immediat, Ie rapport de force direct sera possible ••• "Le jour ou nous travaillons oui ( ••• ) la nous frappons jusqu'a la mort ( ••• ) crest oblige qu'on se batte parce que Ie pain est en jeu. Mais pour te dire qu'il existe une loi fran�aise ici non Elle est morte iei ••• " mais concernant Ie logement, aucune possibilite d'affrontement direct n'apparaito Les mecanismes de domination n'operent que par l'intermediaire de regulations institutionnelles diffuses et impersonnelles, d'autant plus effi­ cacement, que chaque agent peut toujours renvoyer a quelque chose d'autre qui Ie depasse et auquel lui aussi serait entierement soumis, les effets de ce dont il apparait comme l'executant Ie plus scrupuleux : le droit. Monsieur D. a beau pressentir qu'il n'opere pas partout ni pour tout 1e monde de '1a mfune maniere, en demonter 1es mecanismes supposerait une compe­ tence qu'il n'a pas. D'ou simu1tanement, la fascination qu'exerce Ie personnage de l'avocat " J "un i"n�e1l�'gent qui arrive ales depa s s er sur la loi ••• " et I" Lnt e r Lor Lsa t Lon des limites sociales de sa situation comme l'effet de ses propres limites, vecues alors sur 1e mode de la culpabilite et de la resignation : "Nous nous taisons, seulement. Nous n'avons pas Ie droit de parler completement ( ••• ) alors, nous sommes patients, a 1a merci de Dieu ( ••• ) lci tout ce qulils font, je suis d'accord, ce n'est pas mon pays, je ne suis pas associe a ce pays". Selon une reaction caracteristique des groupes domines, monsieur K. authentifie le rapport de force auque1 il cede en Ie mettant au compte de ses , . - 331 - propres faiblesses, et en avouant son erreur "Nous sonnnes venus jeunes et forts. Nous leur avons construit leur ville. Aujourd'hui, nous avons fait tomber notre sante dans leur ville. Ils ne nous reconnaissent plus. Ils ont raison ••• Si au moins, nous avions travaille dans notre pays ••• " On comprend mieux a partir de la, toute la valeur structurante de la reference au pays d'origine et l'eventualite d'un retour. Ce desir de "reconnaissance", monsieur K. tente de le faire prevaloir aupres des siens en reproduisant pour l'Algerie la mgme demarche que celle qu'il venait d'echouer en France. 11 essaiera dry obtenir un logement, mais la encore il ira au devant de nouvelles deconvenues. 11 ne recevra aucune reponse. Les appareils d'etat se juxtaposent et apparennnent se ressemblent tous dans la maniere dont ils traitent les revendications des travailleurs. C'est ce qui explique le desar­ roi profond dans lequel nous le rencontrons; c'est egalement ce qui permet de comprendre la longue maladie qu'il contacte alors et le refus farouche qu'il oppose desormais aux travail leurs sociaux. Tant que son appartenance nationale lui permettait encore de comprendre sa situation tout en gardant l'espoir d'une amelioration possible, sa situa­ tion en France etait encore supportable; a partir du moment ou le gouvernement algerien ne repondra pas a sa demande de logement et que la possibilite d'un retour disparaitra de son horizon, monsieur K. l'interpretera connne un desaveu d'appartenance et cessera de lutter : IIJ'ai fait la demande a Constantine, on ne m'a pas repondu. Une demande a M'Sila, on ne m'a pas repondu, une demande a Skidda, c'est la meme chose ( ••• ) Pour Skidda, j'ai fait la demande par _la voix de l'Amicale ••• " Monsieur K. se deplacera alors et essaiera de traiter directement par lui-meme et sur place, une demarche dont il pressent quIa distance et en uti­ lisant des intermediaires, elle risque de lui echapper. 11 lui faudra alors affronter l'indifference dU,Consulat, les lenteurs de la bureaucrat ie, la corruption des fonctionnaires. "Au Consulat, ils ne veulent mgme pas te parler quelquefciis ( ••• ) sans parler de ce qui se passe la-bas ( ••• ) Si je veux avoir un papier quelconque, je dois lui passer de l'argent sou� le comptoir (e •• ) sinon il me fait toujour courir demain et lui le papier il le garde •• e" S'il maintient encore une reference positive a l'Algerie, ce n'est que de maniere extremement mediatisee : une famille "morte", une revolution, dont il hesite a dire qu'elle l'est aussi. . - 332 - Abandonne par ceux-la memes au nom desquels il refusait de s'integrer totalement a la France, rejete par les Fran�ais qui lui reprochent de ne pas vouloir denier totalement ses origines, monsieur K. cessera alors de chercher a comprendre et passera huit mois en longue maladie "On a la justice nl. l.Cl., ni dans notre pays. Les Fran�ais ne nous rendent pas justice, les n6tres ne nous rendent pas justice ••• ou va-t-on ? (eo.) Pour Ie pauvre, il n'existe de justice ni dans son pays, ni a l'etranger ••• Alors mo i , j'ai eclate ••• " . "Ma famille est morte pour la Revolution. S'ils ont aide, moi aussi j'ai aide, c t est; pareil ••• " ,II refuse la sollicitude tardive des services sociaux et colporte l'i­ dee que les assistantes sociales "ne servent a rien". Pour preuve de la dis­ tance qui aujourdVhui Ie separe des agents du service social, il nous donne en exemple sa reaction lorsque l'assis�ante sociale a essaye d'intervenir sur la nourriture des enfants � IiL'assistante m'a dit � faites manger vos enfantse Je lui ai repon­ du � si je n'ai pas envie de manger, est-ce que cela te regarde ?" Cette posture, monsieur De peut difficilement la maintenir longtemps. Ses cond�tions materielles dUexi.stence lui interdisent de systematiser un refUSe II acceptera par exemple que ses enfants scient pris en charge pour la periode des vacances mais fera apparaitre cette concession comme un objet de divergence entre lui et son epouse, a 1aque1le i1 cederait. . Toutes les familIes que nous avons rencontrees dans ce bidonville par­ tagent cette impression diavoir ete f10uees par Ie service social et d'etre a sa mercia lIs lis'amusent" ou ils lise moquent" de nous sont des expressions extremement frequentes. Parce qu'elle releve de decisions et de circuits administratifs qui pour l'ess�ntie1 echappent au contr6le de l'action social, tout en etant au coeur des problemes que rencontrent les familIes, la question du logement suscite de 1a part des travailleurs sociaux tout un eventail d'attitudes contradictoires. - 333 - Le cas de la famille A. dans un v�eux quartier de M�rsei1le offre par rapporf aux conditions de loge�ent l'exemple 1i�ite d'une mobilisation des travai11eurs sociaux. 11 permet de comprendre a la fois pourquoi des situations aussi catastrophiques durent autant me temps et comment seu1e une surenchere dans la catastrophe, efficacement relayee aupres des administrateurs, permet dans certaines circonstances de lui donner une solution acceptable. Madame A., 40 ans, veuve depuis 6 ans, A1gerienne, vit depu�s une ving­ t�ine d'annees avec ses cinq enfants dans une chambre cuisine de la vieil1e ville; lorsque son appartement - "un vrai gourbi" '" est detruit par une explo­ sion �e gaz, el1e se retrouve seule a 1a rue, avec ses enfants. El�e y restera trois jours : "Personne n'est venu me "oir, personne n'est venu me dire: venez couchei :hez moi; je suis restee trois jours dans la rue; i1 p1eu­ vait, il y avait le mistral ( ••• ) Tous les soirs on mangeait de­ hors avec 1es enfants; 1es gens passaient, i1s nous regardaient et i1s criaient : "regardez cette famil1e ••• ils sont dehor-s avec leurs petits", mais ils n'ont rien fait; personne ne mla fait ren­ trer chez lui ••• " A1ertes par 1e voisinage, 1es travail leurs sociaux du q�artier prennent l'affaire en main et tentent d'obtenir de la mairie un nouvel appartement. La demarche est 1abQrieuse et se heurte aux dec�sions municipa1es de renova­ tion. La Pression qu'i1s exercent sur les autorites locales est tel1e que fi­ nalement, i1s obtiennent gain de cause. Pour madame A., c'est inesp�re ••• "Je ne vous 1e cache pas, si je suis venue au monde une sec.onde fOis, c'est grace a eux ••• " ••• et dans une certaine mesure incomprehensible "Je ne 1es connaissais pas, tout 1e monde savait que la maison avait explose ••• lIs sent quand meme venu� ••• " Ses reactions nous donnent 1a mesure des obstaoles qui s'opposent a l'acces au logement social ••• "J'etais tres ma1heureuse dans 1a maison ou j'et�is, heureusement qu'e11e a exp1ose ••• " ••• et de ce que pourraient �tre 1es objectifs d'une renovation conce�tee avec 1a population. - 334 - :i' Hadame A. dispose maintenant'dlun'petit sejour, ;de deux chambres,d'une A " ��J cu�sine,et d'une salle d'eau dans le 'perimetre meme du quartier. Bien que re- lativement Ls o l e e et ne f r eque nt.arrt; que i t r e s peu de mond e , c ' est un quar t Le r dont ,elle ne voulait pas partir. -,., ... "Je ne sais pas cormnent vous dire, j 'v suis bien, je ne vou La i s pas vivre ai1leurs ••• " Ses enf ant s ont r e t r ouve le gout du travail, e Ll.e-smeme s'estime satisfaite "Moi, mon H.L.M., c t e st;