« III b ,'. mm ■ R. LAURENT-VIBERT 1 F !" ' V . L'Art Bou d'après Henri Focillon iv'i "pj ÏH : 'Mm ' T ; • a#) M Itf LYON ml' ' sMégêmM f' -v\v' VY"'Y IMPRESSIONS DE M. AUDIN ET CIE 3, Rue Davout i921 ■ ■' ÏÊY: : ■ s: : . ;-L4. - Ufe>r| m mm n ' 'f ; v '.. V: ■ ■ v .S . ■■I "....A, . * ■ m* ,/7 i R. LAURENT-VIBERT L'Art B oudclhique d après Henri Focillon LYON IMPRESSIONS DE M. AUDIN ET C1E 3, Rue Davout 1921 L'ART BOUDDHIOUE d'après Henri Focillon1. i. Henri Focillon, l'Art Bouddhique, Paris, Laurens, édit., 1921 ; 1 vol. in-8. L faut loyalement en convenir. Nous sommes, bien souvent, déconcertés par les arts d'Extrême-Orient. Nous plaçons, malgré toutes nos révoltes apparentes, à l'horizon de notre sensibilité, les lignes symétriques et modérées du Parthénon ou les formes exaltées, mais dociles au nombre, des cathédrales gothiques. L'Extrême-Orient consacre d'une gloire égale le caillou auquel Ja nature ingénieuse a donné un contour où l'harmonie est secrète, et les décorations les plus chargées d'exubérants caprices. Il enveloppe de sachets de soie le petit vase vernissé, brut et précieux comme un lingot, puis découpe minutieusement, indéfiniment les solives de ses temples. Il sculpte avec une impassibilité apparente, mais où se devine une passion calculée, les flancs des montagnes et les coques de noix. Tout ce qui naît de cette prodigieuse industrie possède le don de la vie, familière, sublime, surnaturelle, et se soumet avec rigueur à des conventions techniques d'une rareté et d'une invention surprenantes. Et puis, de ci de là, au hasard des collections parcourues (je ne parle pas, hélas, en voyageur d'outre-mer, mais en curieux d'Europe), des oeuvres tellement belles, tellement simples et directes qu'elles nous sont immédiatement accessibles, à l'égal d'un Vélasquez ou d'un Rembrandt. Oh ! le grand cerisier en fleurs aussi émouvant qu'un beau Monet et les pagodes s'élevant dans une brume d'or, que nous vîmes ensem¬ ble à Cristiana. T'en souviens-tu, mon cher Georges ? Non, sans guide, il n'y a aucune espérance que nous nous reconnaissions dans cette étrange végétation, lourde de siècles, tremblante de fleurs. Un beau livre va nous conduire. L'Art bouddhique, d'Henri Focillon, que je viens de lire tout d'une traite et avec une vraie joie, nous trace un sentier, de marche facile, dans la forêt enchantée. là De même que les temples destinés à l'initiation mystique, l'ouvrage de M. Focillon nous fait d'abord passer par plusieurs portiques ou vestibules. D'abord, un exposé, d'un raccourci magnifique, Art et religion. Comment résumer, sans l'avilir, une synthèse déjà si serrée? Essayons, modestement. La conception de l'art contem¬ porain, qui a pour but essentiel l'expression de génie individuel et qui reste laïque en ce sens qu'« il n'est pas conduit par une théologie et qu'il n'est pas sous la dépendance d'une église», est d'origine récente. Dans les sociétés primitives, celles de l'antiquité ou du moyen âge, ou dans les grandes civilisations non européennes, l'art se présente comme une fonction sociale et une fonction religieuse. Les images qu'il crée ne sont pas un jeu de libre fantaisie, mais expriment, sous une forme efficace, des rites dont l'influence s'exerce sur les dieux, sur les vivants et sur les morts. Le souci de repré¬ senter l'« excellence » dans ces images introduit dans l'art la notion désintéressée du parfait, et c'est ainsi que le génie grec « a fixé dans des formes humaines, merveilleu¬ sement équilibrées et choisies, un certain nombre de notions valables, non pour une peuplade, mais pour l'humanité tout entière, la lumière, la beauté, la sagesse. En mode¬ lant des dieux parfaits, l'art grec modelait l'intelligence parfaite, sous les traits de l'homme accompli ». Le christianisme, à son tour, a nuancé l'art éternel du sentiment religieux, différent de l'inquiétude de l'homme primitif ou de l'angoisse philosophique. « Effusion, tendresse, désir, pitié vivifient les mythes et les images et ouvrent à l'art des horizons inconnus ». Mais ces préoccupations spirituelles ou surnaturelles s'accom¬ pagnèrent, de tout temps, du goût technique, de l'amour de la matière parfaite, de l'ordre, des symétries ou des asymétries volontaires. Ce goût profond de l'artiste assure, par la tradition des méthodes de travail de siècle à siècle, de génération à génération, une continuité et comme une unité indéfinissable aux produits de l'art humain. L'antique Hera du Louvre, dont les jambes sont jointes et noyées dans une gaine qui l'enserre comme des bandelettes funéraires, épanouit dans la lumière un buste harmonieux et libre. Deuxième portique d'accès : une simple et magistrale introduction précise, en face des affirmations des écrivains extrême-orientaux sur l'unité de l'Asie et le carac¬ tère évolutif du Bouddhisme, le jeu mouvant et fécond des relations qui, de tout temps, ont attiré en Asie l'homme de l'Europe centrale, les soldats d'Alexandre, ou les guerriers de l'Islam. L'Inde fut le laboratoire sacré qui sut élaborer et conser¬ ver une pensée religieuse où l'Occident a largement puisé. En Asie même, le continent semble divisé par la nature en compartiments ou bassins que séparent montagnes ou déserts, mais les passes qui les unissent furent à toutes les époques de l'histoire parcourues par les caravanes de marchands, les moines, les pèlerins, les conqué¬ rants. De ces libres et constants échanges n'est pas née une unité de pensées ou de sentiments, mais au contraire une diversité mystérieuse qui, dans le domaine de la religion, a propagé, avec richesse, de chaque côté de la « voie moyenne » des philosophes agnostiques, les formes les plus abstraites de la métaphysique ou, au contraire, les floraisons rituelles du mysticisme magique. Suivons, avec simplicité, étape par éta¬ pe, la propagation et l'enrichissement des arts bouddhiques. E Dans une langue qui sait se faire simple et sobrement colorée, M. Focillon nous conte la vie du Bouddha, « non comme une matière à exégèse, mais comme une Légende dorée », depuis les origines nobles et magnifiques du Sage, sa conversion à l'ascétisme, sa longue recherche de lia Sambodhi, la suprême sagesse, jusqu'au jour de révélation et de délivrance, où, l'ayant atteinte, il devient le Bouddha, l'Eveillé, l'Illuminé. Les voyages, les miracles, les conversions occupent quarante-quatre années de cette vie prodigieuse, qui s'achève par l'entrée calme, sereine, dans le Nir¬ vana. Ce crépuscule divin s'accompagne des larmes et des gémissements des hommes et des humbles bêtes de la terre accourus autour du lit du Maître (fig. i). A la prendre dans sa pureté, la doctrine bouddhique faite de renoncement et d'abstention et qui proclame que « le devoir du sage est d'errer, d'être pauvre, d'être chaste et de se taire » ne semble pas devoir être favorable à l'épanouissement des arts figurés, mais, prêchée sur une terre fourmillante de dieux, et d'ailleurs n'éloignant pas, par un paradis lointain, mais au contraire rapprochant de cette terre où se dérou¬ leront les réincarnations successives de l'homme, toutes ses pensées et toutes ses espé¬ rances, le bouddhisme trouve matière, dans le drame indéfini de chaque âme, dans les avatars des dieux du brahmanisme que le bouddhisme n'a pas chassés mais s'est — 8 - assimilés, dans les merveilleux épisodes de la légende du Bouddha, une matière inépuisable à représentations et à monuments. La conversion du roi Açoka (264-227 avant J.-C.) en faisant du bouddhisme la religion officielle a mis l'or des princes au service de l'art. Euis le développement des discussions théologiques, en créant à l'infini des sectes rivales, a multiplié, en les diversifiant, les modes de l'expression figurée du bouddhisme, qui, tantôt vainqueur, tantôt vaincu dans sa lutte contre le Fig. 1. Le Nirvàna du Bouddha, d'après une broderie japonaise du XVIe siècle. (Musée Guimet de Lyon). polythéisme brahmanique et les religions nouvelles, conquiert d'un élan le Thibet, la Birmanie, le Siam, Ceylan, et en même temps s'écroule aux lieux mêmes qui l'ont vu naître. Quelles qu'aient été les formes des édifices de l'Inde antérieurs au bouddhisme, il est certain qu'on lui doit deux catégories d'édifices originaux, le stupa, tombe reliquaire, et le sangharama, le couvent. Le stupa, destiné primitivement à abriter les restes du corps partagé du Bouddha, — 9 - a une forme rituelle qui se retrouve sous toutes les variations que le souple génie asia¬ tique lui donna. «Un conte pieux montre le Bouddha déterminant lui-même son aspect extérieur et enseignant à ses disciples la manière de l'honorer : sur trois manteaux pliés en quatre, il pose son bol à aumônes renversé, et sur le bol il plante son bâton de moine errant. De cette formule simple est sortie à peu près toute l'architecture de l'Asie bouddhique ». M. Focillon démontre — et démontre, me semble-t-il, en toute certi¬ tude — que les trois parties essentielles du stupa : base, dôme et bâton se retrouvent aisément, malgré les ornements, les moulures, les découpures, les pinacles, les cloche¬ tons qui ornent la base, en la mêlant parfois au dôme primitif, et malgré les anneaux et les disques qui s'étagent le long du bâton central jusqu'à devenir les toits superposés des pagodes. Autour des stupas les temples à ciel ouvert, ou excavés au flanc des montagnes, s'entourent de porches, de barrières, se dessinent des avenues, dressant des chapelles et des statues où toute la fantaisie exubérante trouve à s'exprimer dans sa plénitude. Autour du sanctuaire, les logettes des moines, d'abord isolées, furent les centres de développement des premiers monastères, qui, grâce aux dons des laïques, purent s'a¬ grandir dans les parcs où les étangs, les eaux fraîches et limpides s'accordent à la déli¬ cate poésie naturaliste du bouddhisme. Ces monastères bouddhiques de l'Inde tombè¬ rent avec la foi qui les fit édifier, mais à l'autre extrémité de l'Asie, au Japon, les grands sanctuaires devaient, dans la solitude et la pérennité de leur histoire, acquérir un raffi¬ nement, une splendeur mystérieuse qui mêle les accents les plus tendres de la nature aux grâces exquises et fortes de la race et à la mélancolie de la mort. Cependant, au Nord, sur les socles montagneux du Thibet, les lamaseries, forteresses théocratiques, dressent, par leurs murs sombres coiffés d'écaillés d'or, l'image d'un Bouddha devenu prêtre, et maintenant, au lieu d'une philosophie libre et vivante, un implacable et rigoureux ritualisme. C'est en étudiant la sculpture dans l'Inde que M. Focillon, reprenant les études de M. Foucher, nous familiarise avec une idée qui, dès l'abord, nous surprend : l'influence de l'art hellénique sur les formes de l'art bouddhique. L'école primitive perso- indienne, qui cherche avant tout sur les bas-reliefs des piliers, des portes, des balus¬ trades à « raconter » avec un luxe inouï de détails, avec une exubérance et, à nos yeux d'occidentaux, avec un extrême désordre de formes, les histoires pieuses du boud¬ dhisme, sans toutefois représenter jamais le Bouddha est peu à peu supplantée par l'école gréco-bouddhique du Gandhara, qui offre, non pas de vagues ressemblances avec l'art hellénique, mais la certitude absolue d'une filiation directe. Telle frise de personnages de Musée de Lahore semble empruntée aux sarcophages de Latran, tel torse nu dérive, sans nul intermédiaire, des grands modèles du Ve ou du IVe siècle. * Inattendu et émouvant spectacle. La civilisation méditerranéenne réalise une conquête que le génie d'Alexandre avait sans doute préparée. Bien entendu l'esprit bouddhique fit subir à ces formes une transformation, mais sans l'influence hellénique, il est probable que jamais ne se serait dressée, sur l'horizon de l'Est, l'image mystérieuse, savante, paisible, ascétique et illuminée du Bouddha, grande création humaine, vers laquelle sont allées, frénétiques ou consolées, d'innombrables aspirations. En même temps que l'art gandharien changeait la disposition des chevelures, les plis, devenus plus secs, des vêtements, les détails rituels des images, tout un panthéon bouddhique: multiplication des bouddhas, formes féminines tenant.un enfant — les Kwan-yin de Chine, les Kwannon du Japon —, saints ou bodhisattvas, arhats ou apôtres, vient enrichir et varier à l'infini l'iconographie bouddhique. m En Chine, le bouddhisme allait se superposer à un fond déjà prodigieusement riche et nuancé. Sous la dynastie des Tcheou, 1122-221 avant J.-C., s'étaient élevées et organisées deux conceptions religieuses, celle de Confucius, dont le domaine naturel fut le Nord de la Chine, pays de vie facile et heureuse, et dont la. doctrine, faite de bon sens et de sagesse tout humaine, dirigeait vers la vie présente, qu'il importait de rendre saine et harmonieuse, en accord avec les leçons des ancêtres et les nécessités d'un rôle social, les préoccupations essentielles des esprits vertueux. La Chine du Sud, monta¬ gneuse, vit, presque à la même époque, naître, sur les bords du Fleuve Bleu, la religion taoïste, celle du philosophe Lao-Tseu, qui, plus âpre, restaurait les droits de l'indivi¬ dualisme et opposait la morale ascétique à la recherche souriante et modérée des joies terrestres. Les deux doctrines, alternativement, triomphèrent. Les Han (202 av. J.-C.- 220 après J.-C.) firent du confucianisme la religion officielle. Leur art (dont nos lec¬ teurs pourront voir ici (fig. 2) un exemple complètement inédit que M. Focillon nous a aimablement communiqué) est surtout décoratif avec beaucoup de souplesse et d'é- trangeté. A la chute et à l'émiettement de l'empire Han, l'individualisme de Lao- Tsen sous l'époque des Trois-Royaumes et celle des Six Dynasties (268-618) restaure dans l'art la liberté, le goût des harmonies des choses et de la nature, et développe, par le perfectionnement des techniques, par l'invention du papier et du pinceau, l'idée que l'art est en lui-même puissance propre de suggestion. Le bouddhisme chemina lentement du 11e eu 111e siècle de notre ère, à travers les passages du Turkestan, et c'est dans la Chine du Nord que nous trouvons, dans les sanctuaires rupestres, les grottes, et le lieu célèbre des Dix Mille Bouddhas les repré¬ sentations les plus expressives du bouddhisme chinois, où l'école gandharienne perd ce — II — Fig. 2. Stèle funéraire des Han, d'après un estampage de M. Chavannes. (Musée Guimet de Lyon). Dans la Chine du Sud, deux philosophies, l'école Tchhan (en japonais Zèn), et l'école Thyen-thaï (en japonais Tendaï), la première contemplative, ascétique mais tournée vers la nature, la seconde mystique et symbolique, devaient tour à tour triom¬ pher et imposer à l'art un réalisme idéal, si je puis dire, ou au contraire un mysticisme dangereux pour son équilibre. Sous les Song, le Zenisme réalise, en vérité, l'union de l'esprit du Nord et de celui du Sud, « le Bouddha de l'éternel repos et le Dragon de l'éternel changement ». C'est la nature dans ses roches, ses arbres, ses eaux courantes que les maîtres étudient avec une passion clairvoyante. Cette esthétique est formulée avec un rare bonheur par un peintre de cette époque, Kuo-chi. Je ne résiste pas au plaisir d'en citer un passage : « L'eau est une chose qui vit. Sa forme est profonde et tranquille, ou douce et unie, ou vaste comme un océan ou pleine comme de la chair, ou qui lui restait d'académisme pour prendre une majestueuse suavité et une sérénité émouvantes. L'unification de la Chine sous les Thang (618-907) ouvrit une nouvelle période de l'art bouddhique, qui, à ce moment, atteignit ses plus hauts sommets en Corée et au Japon. La Kwannon de pavillon Tô-en-dô à Nara réalisa une perfection et une plénitude de formes, qui inspira directement le Japon, à une époque où la pensée nationale ne s'y était pas encore dégagée. cerclée comme des ailes, ou s'élançant et svelte... Les gazons et les arbres des rives la regardent avec joie et sont comme de charmantes femmes sous des voiles de brumes, ou quelquefois brillants et éclatants, comme le soleil rayonne sur la vallée. Tels sont les aspects vivants de l'eau ». En même temps que les peintres, les potiers de la Chine Song enferment sous les vernis et les émaux d'un ton rare une sensibilité d'une mysté¬ rieuse discrétion et d'un style accompli. L'invasion mongole, en bouleversant l'empire, ramena au pouvoir les adver¬ saires du bouddhisme, et le réveil national des Ming provoqua une restauration du bouddhisme dont l'art s'immobilisa et s'endormit dans des formules qui avaient perdu leur puissance de vie. C'est au Japon maintenant que va fleurir une dernière fois l'arbre sacré. Fig. 3. Kouniyôsi. Le Nirvàna de l'acteur Dandjouro ; estampe satirique. (Musée Guimet de Lyon). C'est avec une évidente prédilection que M. Focillon, qui a publié sur le Japon de charmantes et pénétrantes études, aborde cette partie de son sujet. Au shintoïsme japo¬ nais primitif, qui peuple le monde des vivants du monde innombrable et bienveillant des morts, et qui anime une nature mouvante de génies qu'il faut apaiser, au confucia¬ nisme et à sa philosophie humaine et terre à terre, le bouddhisme en s'incorporant étroitement, sous l'influence de princes de haute pensée, à ces deux doctrines, apporta aux simples, par l'espérance des vies successives, une consolation et une espérance, et à l'élite une philosophie supérieure dans laquelle la nature et l'homme sont intimement liés, où tout est vie, et vie consciente et divine. Toute réalité est esprit : les fleurs, les jardins, une noble falaise, un bloc de roches modelé par les eaux sont riches de sugges- — 13 — tions : « Ne pas montrer, mais suggérer, voilà le secret de l'infinité ». On voit quelles ressources délicates un tel principe de discrétion, de mesure, d'amour pour l'aspect exquis et passager des choses allait apporter à l'art bouddhique. Le rythme qui, en Chine, avait fait osciller l'art entre une forme heureuse, tendre, facile et un ascétisme contemplatif se retrouve au Japon. Lorsque, au Xe siècle, le Japon se dégagea, par une rupture politique avec la Chine, des influences sino-coréennes pour créer une pensée et un art national, le succès du culte d'Amida, la Pitié infinie, l'Etre de bonté, et le rôle grandissant de la femme dans la société favorisaient une civilisation romanesque et d'un suave raffinement. Au XIIe siècle, l'école Zèn, avec son sens profond des palpitations divines de l'univers, atteint dans l'art une hauteur et une noblesse qui se Fig. 4. Kouniyosi, Les Bouddhas mettent de force l'acteur Dandjouro sur son lotus, au paradis ; estampe satirique. (Musée Guimet de Lyon). manifestèrent d'une manière parfaite pendant l'ère des Asikaga, au xvie siècle ; pureté des formes et des lignes, vie intense d'une nature représentée sous ses aspects les plus synthétiques, avant tout style dans les œuvres d'art les plus complexes comme dans les vêtements les plus simples, les cérémonies, ou les gestes courtois de la civilisation, ces qualités devaient rester celles de tout le développement ultérieur de l'art japonais, nuancées par un goût du décor et du faste à la fin du xvie siècle, ou fécondées par un sens délicieux de la vie qui passe et par un humour délicat, une gaîté heureuse et uni¬ verselle. Les deux estampes inédites que nous reproduisons ici, et dont nous devons communication à M. Focillon, en donnent de charmants exemples (fig. 3 et 4). — 14 — Les deux derniers chapitres— l'un sur le Japon., l'autre, conclusion sur l'art boud¬ dhique dans son ensemble — qui terminent ce beau livre, seraient à citer presque en entier. Je tiens à en reproduire les dernières lignes : « A travers tant de changements et malgré tant de voyages, on peut dire que l'art bouddhique reste fidèle aux principes dont il est sorti. Les notes graphiques des dessinateurs et des peintres, les vaporeux paysages de fleuves et de vallées, la bête qui bondit, l'eau qui court, l'herbe qui plie, la féerie de la neige, de la lune et des fleurs, les feuilles rougies de l'érable sur les rivières d'automne, tout prend corps et prend âme sous nos yeux avec le charme étincelant et rapide de la vie qui passe. Elle glisse, elle s'enfuit, elle n'est plus, les insectes s'évadent du carnet de croquis. Les héros s'exterminent. Les danseuses et les courtisanes s'épanouissent comme des fleurs qui vont mourir. Cet univers bouge, s'efface et disparaît. Seule demeure, les yeux à demi-clos, le visage resplendissant de lumière intérieure, les mains abandonnées au creux du manteau, plus immobile, plus impénétrable et plus résistante qu'un rocher des montagnes, l'image du détachement souverain et de la suprême pitié ». 1Ë3 Je relis ces quelques pages où j'ai essayé de donner une idée de l'ouvrage de M. Focillon, et je suis désolé de la sécheresse qu'un tel résumé, si affectueusement qu'il ait été fait, donne à une si riche et si ondoyante matière. Ah ! que de tels livres sont utiles ! Ma jeunesse a connu la doctrine stérilisante qui n'admettait, dans l'histoire et dans l'art, que la nomenclature, l'étude « objective » (j'en ai pris ce mot, clair et utile pour¬ tant, en horreur) des documents. Il était défendu de vivifier par des vues larges et de l'émotion les reliques du passé toutes indifférentes, égales aux yeux du savant, quelle qu'en fût la signification et la beauté ; une vie d'analyse pour une heure de synthèse, disait-on. Assez d'archéologues ont fouillé, mesuré, publié pour que certains, à large culture, essayent de rétablir le temple dévasté. Ce que nous vous devons, mon cher Focillon, c'est une gratitude cordiale pour avoir osé un « système » de l'art asiatique, pour tant de bonne science, claire, française, érudite, sensible, artiste, que vous mettez à notre disposition avec cette générosité intellectuelle qui ne craint pas de répandre ses trésors et cette sincérité profonde qui ne redoute pas de laisser voir émotion, respect, sympathie pour les œuvres et les hommes dont vous évoquez patiemment et courtoisement l'aspect et l'esprit. Et puis vous parlez un beau langage, vous êtes de ceux qui restaurez, dans les ouvrages de pure science, la notion du style aussi indispensable, à mon sens, que la sûreté de la documentation. Peut-être, sur — i5 — certains points, vous cherchera-t-on chicane. Je m'en garde avec soin. Depuis que je vous ai lu, me voici pour de longs jours avec une merveilleuse provision d'images sublimes et délicates, et de pensées hautes et subtiles. Le bouddhisme et votre talent m'ont rendu plus bienveillant pour la vie et pour les hommes. Un beau livre est décidé¬ ment un bienfait. R. Laurent-Vibert. V'" •V ça '■ - -