exclu DU prêt UNIVERSITE DE NICE , lû7. Décembre 1975 INSTITUT D'ETUDES ET DE RECHERCHES INTERETHNIQUES ET INTERCULTURELLES Centre Associé de Formation aux Relations Interculturelles 34, rue Verdi 06000 NICE Tél 87 01 75 ELEMENTS POUR LA DEFINITION D'UNE STRATEGIE REGIONALE DE FORMATION DES MILIEUX IMMIGRES Gilbert BEAUGE Marie-Antoinette HILY Michel ORIOL 099 0000024 c.ç<\iî> 'A co SOMMAIRE 1 - INTRODUCTION 1 - 14 2 - SITUATION DE L'IMMIGRATION 15 - 42 2.1. Le procès d'internationalisation 15 - 20 2.2. Internationalisation et régionalisation 20 - 32 2.3. Région Provence-Côte d'Azur et mouvements migratoires. 33 - 42 3 - BILAN DES ACTIONS DE FORMATION POUR TRAVAILLEURS MIGRANTS 43 - 57 3.1. Bilan factuel et descriptif 43 - 48 3.2. Bilan critique. Etat actuel de la réflexion .... 48 - 57 4 - MODELE D'ANALYSE DES SITUATIONS DE FORMATION ET METHODOLOGIE DE L'INTERVENTION 58 - 84 4.1. Caractérisation de la démarche : la mise en place 60 - 70 4.1.1. Modèle méthodologique : éléments pour une typologie 60 - 62 4.1.2. Une action réglée sur objectifs 62 - 63 4.1.3. Associer le milieu concerné 63 - 64 4.1.4. Une formation centrée sur "problèmes" 64-69 4.1.5. Une formation "intégrée" 69 - 70 4.2. Définition des situations. Structures types .... 70 - 77 4.2.1. Dynamique des situations possibles 76 - 77 4.3. La séquence méthodologique du processus de forma¬ tion : ses différentes phases 77 - 84 4.3.1. Le recrutement des stagiaires 77 - 78 4.3.2. La constitution de l'équipe d'intervention ... 78-79 4.3.3. Les progressions 79 - 81 4.3.4. L'élaboration du matériel 81 - 82 M 4.3.5. Procédures dfévaluation et feed-back 82 - 84 v V 5 - PROJETS DE FORMATION - ETUDES DE MILIEU - PLAN FORMATION 8 5 - 118 5.1. Opération d'animation/formation à la cité "La Sauvagëre" 85 - 98 5.2. Analyse du milieu : cité de la Busserine. Montage d'une opération animation/formation ... 98 - 105 5.3. Rapport préparatoire à la définition d'une action de formation en milieu migrant sur l'aire toulonnaise 105 - 108 5.3.1. Préalables à la définition d'une action de formation 106 - 107 5.3.2. Publics. Constitution des groupes de sta¬ giaires 107 - 108 5.4. Formation d'animateurs-relais dans le cadre de f la résorption du bidonville de la Digue-des- Francais à Nice 108 - 118 5.4.1. Méthodologie générale 108 - 111 5.4.2. Cas particulier 111 - 118 5.4.2.1. Nécessité_d^animateurs-relais 112 - 112 5.4.2.2. La formation 112 - 118 xoxoxoxoxoxoxox * 1 - INTRODUCTION. 1.1. Aborder le problème de la formation des travailleurs migrants, c'est d'une certaine manière tenter de placer la réflexion sociologique à la charnière de deux phénomènes par¬ ticulièrement significatifs de l'évolution des sociétés occi¬ dentales depuis une quinzaine d'années : - Celui de la crise généralisée des systèmes d'éva¬ luation et d'enseignement traditionnels (1) auquel tente actuellement de surseoir le mouvement d'éducation permanente et la formation continue. - Celui des transferts de population qui accompagnent la reconversion des appareils économiques liés aux nouvelles dimensions internationales de-l'accumulation du capital et dont- les effets structuraux (2) particulièrement dans le do¬ maine de l'emploi constituent-désormais une des données fondamentales de leur fonctionnement. Ces deux phénomènes sont incontestablement liés : la tendance des- appareils occidentaux de formation à produire une main-d-1 oeuvre- toujours plus qualifiée (prolongement de la scolarité) ventilée sur des" secteurs d'activités non direc¬ tement-productif s (gonflement du'r tertiaire) trouve dans le recrutement (à la périphérie du système économique) d'une force de travail non qualifiée et abondante à la fois : (1) Philip. H. Coombs. La crise mondiale de l'éducation. Paris. PUF. 1968. (2) Ces effets, en ce qui concerne la croissance de l'Al¬ lemagne Fédérale, ont particulièrement bien été mis en évi¬ dence par J.L. Reiffers, qui soulignait également la nécessi¬ té de ne plus considérer les migrations comme un phénomène conjoncturel et transitoire, mais bien au contraire comme une donnée de structure durable aussi bien dans ses effets. JL. Reiffers, le rôle de l'immigration des travailleurs dans la croissance de la République Fédérale d'Allemagne de 1958 à 1968. Projet Algérie 14. BIT. Mars 1970. Ronéo 205 p. - La condition de maintenance de tout un ensemble d'activités à technologie peu avancée et à faible degré de concentration du capital, auxquelles la structure actuelle de la production et de la concurrence impose de faire massi¬ vement appel au facteur travail. - Un complément indispensable pour faire face au mouvement de déqualification qui accompagne sur le plan de la structure de l'emploi la reconversion des activités à haute composition technique du capital. - La condition du maintien d'un taux de croissance qui ne vienne pas perturber la montée des luttes ouvrières inévitables dans une conjoncture d'excédent de l'offre sur la demande de travail (3). Penser un phénomène en fonction de l'analyse que l'on opère de l'autre, tenter de rectifier tel ou tel aspect d'une opinion couramment admise en diversifiant les niveaux d'approche et en interrogeant systématiquement le système des présupposés qui les fonde;- telle nous paraît être la tâche qu'impose le souci de rompre avec la logique sociale domi¬ nante, sans toutefois faire appel à des modèles de régulation et de comportement que démentiraient les conditions actuelles de la pratique et les possibilités qui s'y dessinent. 1.2. On peut sommairement caractériser la situation ac¬ tuelle à partir du décalage énorme qui existe entre le prag¬ matisme des politiques préconisées et l'incertitude crois¬ sante des situations dans lesquelles sont engagés les milieux migrants. D'un côté, en effet, la conjugaison de moyens dont on peut penser qu'ils iront désormais grandissant semble vou¬ loir donner une réponse rapide et efficace à une situation d'ensemble qui n'a cessé de-se dégrader depuis une quinzaine d'années ; d'un autre côté, l'évolution rapide des problèmes que rencontrent les travailleurs migrants et les prévisions (3) Avec éventuellement la possibilité d'exporter le chô¬ mage comme l'a montré l'exemple de l'Allemagne en 1967. que l'on peut établir, semblent indiquer une inadéquation grandissante entre les objectifs d'une politique qui procède au coup par coup et la nature des problèmes que rencontre¬ ront désormais les milieux immigrés. Cette absence presque totale d'une analyse des lois de structuration des groupes sociaux ainsi que des mécanis¬ mes régulateurs des formes d'interaction entre- groupes étran¬ gers et milieux français autochtones, hypothèque sérieusement toute tentative de mise en oeuvre d'une politique de la for¬ mation aux prises avec les problèmes réels des travailleurs migrants. Du même coup, cette politique annexe des modèles et réinstitue des pratiques qui, pour avoir produit des résul¬ tats dans une conjoncture historique donnée en fonction de certains objectifs alors prioritaires, n'ont cessé depuis de fournir des preuves de leur dysfonctionnement et créent ac¬ tuellement les conditions d'un échec massit et réitéré. En effet, une politique de la formation n'a de sens que par rapport à la dynamique des changements sociaux en cours et vis-à-vis desquels il est alors possible de détermi¬ ner le sens et les limites que l'on doit et que l'on peut raisonnablement lui assigner. Plusieurs causes se conjuguent ici, pour rendre par¬ ticulièrement opaques les conditions dans lesquelles les groupes sociaux immigrés tentent de donner une réponse aux déterminismes d'ensemble qu'il leur faut affronter. Ces blo¬ cages tiennent pour l'essentiel à 1'instabilité des enjeux sociaux que cristallisent ou que révèlent (4) les travail¬ leurs migrants, à la multiplicité et au caractère profondé¬ ment antagonique ou contradictoire des forces sociales qui (4) Michel Marié dans "La Fonction miroir" montre comment les immigrés jouent très souvent une fonction de révélateur de contradictions qui leur préexistent et que leur présence permet de "déplacer" hors du champ initial où elles se manifestent. leur sont liées . L'analyse de ces phénomènes, du point de vue des travailleurs immigrés, est elle-même rendue particulièrement difficile du fait de la faillite quasi totale- en situation interculturelle, des instruments d'observation et des tech¬ niques dont dispose usuellement le chercheur en sciences sociales (5). Plus difficiles encore sont les tentatives de réin¬ sertion des résultats de l'analyse dans la définition d'une réelle politique de la formation du fait de l'inertie des structures en place (6). 1.3. L'école et,beaucoup plus récemment>la formation permanente, ont été le lieu d'une extrême diversification des luttes liée à la continuité des disparités sociales qu'elles s'étaient donné pour mission historique de réduire. La prise de conscience récente d'un maintien de l'i¬ négalité devant l'école et le démenti régulier qu'inflige chaque réforme à cet objectif, exacerbent les contradictions qui s'y manifestent (7), en signalent du même coup la fonc- (5) Paul Wald a analysé la signification que revêt pour une population non occidentale l'interview ou la passation de questionnaires et conclut au caractère radicalement ethnocen- trique aussi bien de ces instruments que de la situation que leur usage institue (relation enquêteur/enquêté). Ces remar¬ ques que l'on peut généraliser jusqu'aux techniques d'échan¬ tillonnages dans la mesure où elles présupposent l'individu comme unité élémentaire pertinente, appelle l'élaboration d'une méthodologie interculturelle extrêmement différenciée et fait actuellement l'objet de recherches minutieuses. Paul Wald. Sur l'enquête en milieu non-occidental. Offset IDERIC. Décembre 1973. 15 p. (6) Parler "d'inertie", c'est faire momentanément l'écono¬ mie d'une analyse des rapports de pouvoir qui s'affrontent dans les institutions et qui permettent de comprendre l'ab¬ sence de flexibilité ; la structure hiérarchique des rôles et des statuts comme l'expression d'un mécanisme de défense vi¬ sant le renforcement des dispositifs de contrôle. (7) Contradiction entre la tendance à la revalorisation de la valeur d'usage de la force de travail (procès de quali¬ fication) et la tendance à la dévalorisation de sa valeur d'échange (baisse du taux de salaire réel). - 5 - tion sociale implicite, mais ne semblent pas déplacer le champ des luttes sociales. Raymond Boudon (8) remarque que les disparités so¬ ciales que reproduit l'appareil scolaire non seulement ne . peuvent s'expliquer sans tenir compte de l'évolution de la division technique du travail, mais qu'en tout état de cause, f c'est l'appareil de formation qui s'ajuste et renforce l'évo¬ lution de la division du travail et non le contraire. En dernière analyse, la logique du fonctionnement de l'appareil scolaire est compréhensible à partir de sa fonc¬ tion de ventilation de la inain-d ' oeuvre dans la division du travail à laquelle elle est subordonnée. Si la crédibilité démocratique de l'appareil de for¬ mation a pu se maintenir en assurant la promotion sociale (9) d'une fraction croissante de la population jusqu'autour des années 1960, l'effet conjugué de l'appel à une main- d'oeuvre étrangère directement employable lié à une accélé¬ ration de la rotation du capital productif exigeant une re¬ qualification de la fraction déjà la plus qualifiée, a con¬ tribué à mettre en évidence la fonction sociale de reproduc¬ tion des différences. C'est dans ce contexte que se pose le problème de la formation des populations immigrées aussi bien sur le plan de l'école que dans le cadre de la formation continue. Les sanctions sociales qui se manifestent sur chacun de ces deux plans sont significatives à la fois de la généralisation de la prise de conscience de l'échec du modèle scolaire (qui „ se traduit pédagogiquement par une prolifération des méthodes didactiques) et de l'incapacité actuelle à formuler et à met- «' tre en oeuvre une alternative qui ne surenchérisse pas sur le statu quo : - Au plan de l'insertion scolaire des enfants immi- (8) Raymond Boudon, L'inégalité des chances. Dunod, 1975. (9) Extension du recrutement et mobilité sociale intergé¬ nérations . grés, ces sanctions prennent la forme d'une ségrégation croissante, que renforce l'attitude des parents d'élèves français qui préfèrent retirer leurs enfants des- équipements à recrutement mixte. Ces pratiques attestent de l'incapacité de l'appareil scolaire à traiter la différence culturelle autrement que comme un obstacle à la progression de ceux à qui elles s'adressent, c'est-à-dire de son incapacité à pro¬ mouvoir une pédagogie de la différenceLa surdétermination interculturelle des contradictions générales de l'appareil scolaire est ici particulièrement manifeste dans la réfé¬ rence à 1'Etat-Nation qui structure depuis Jules Ferry l'en¬ semble des pratiques pédagogiques en fournissant l'horizon normatif du modèle dominant de socialisation (10). - Au plan de la formation des adultes, la contra¬ diction principale se manifeste à partir des effets antago¬ niques (11) que produisent les mécanismes régulateurs de la répartition de l'emploi à l'échellon international et ce qui relève des médiations par lesquelles s'effectue la so¬ cialisation de la force de travail. Ainsi, ce qui est traité sur un plan, comme "besoin" ou "absence de besoin" de forma¬ tion n'est pas du tout traité sur l'autre ou formellement, dans le cadre d'une formation à composante technique domi¬ nante comme apprentissage de la "vie moderne". Cette contradiction vient renforcer un présupposé très communément accepté par l'école occidentale : celui de la division entre apprentissage professionnel qui serait un apprentissage purement technique, et l'apprentissage de ce qu'il est convenu, sinon convenable, d'appeler la culture générale. Dans un cas, l'apprentissage technique est abstrait des conditions sociales de 1'exercice de la technique apprise (les rapports de production),dans l'autre l'apprentissage d'une culture générale s'assimile à l'exercice d'un loisir (10) Cf. Michel Oriol,"Est-il encore concevable que l'é¬ ducation soit nationale"in L'Ecole en question, pp.67-85 (11) Repérés par la technostructure comme "besoins" contradictoires. - 7 luxueux (12). Ainsi, sur de nombreux points, se télescopent une série de problèmes permettant d'autonomiser certaines dé¬ marches sectorielles ou parcellaires fournissant sur un plan l'illusion qu'une réponse a été donnée à une question qui initialement se posait sur un autre, sans qu'aucun lien ap¬ parent ne permette d'ébaucher une transition, ni d'opérer, au sein d'une pratique immédiate, l'intégration conceptuelle des différents aspects qu'elle comporte. Tout se passe comme si le débat instauré sur la formation des travailleurs migrants (13) consistait à opérer une série de conjonctions/disjonctions entre les antinomies caractéristiques du savoir que véhicule l'école, sans qu'ap¬ paraisse la possibilité d'intégrer un ensemble de données partielles mais contradictoires dès qu'on tente de les sai¬ sir simultanément. C'est en partant d'une critique interne des valeurs véhiculées par les systèmes occidentaux d'éducation hérités de la période coloniale, qu'ont pu être avancés dans le cas du Tiers-Monde des objectifs de "respect" et de maintien de la culture paysanne traditionnelle. Aucune analyse de l'évo¬ lution des secteurs agraires des formations sociales péri¬ phériques ne permet de resituer la fonction sociale de ces normes ainsi que leur destin historique (14). Très gênéra- (12) Certains programmes de formation comprenaient une initiation aux caractéristiques de la culture inca ou aux techniques de contrôle corporel (yoga, etc...). Nous ne vou¬ lons pas dire que la culture inca soit exempte d'intérêts, nous voulons simplement souligner le fait qu'en l'occurrence nous sommes loin des préoccupations sociales du monde du travail, si ce n'est à prétendre que l'augmentation du temps de loisir représente une victoire significative du mouvement ouvrier. (13) Mais dont il est possible de retrouver des analo¬ gies aussi bien dans l'idéologie scolaire de la période colo niale que dans le rôle attribué à l'éducation dans certains plans de développement. (14) Cet aspect a particulièrement bien été décrit par Y. Goussault jLn Interventions éducatives et animation dans les développements agraires. Publications de l'IEDES. Paris, PUF. 1970. lement, ces objectifs-ont .concrétisé., le. refus., des valeurs congruentes à 1 ' expansion, progressive . du... mode., de production capitaliste. A contrario, ..c'est, beaucoup, moins sur., une critique interne du mode de fonctionnement.du.système scolaire occi¬ dental et sur sa liaison au mode de production que doit s'ar¬ ticuler aujourd'hui la définition des.objectifs d'une poli¬ tique de la formation pour. les . travailleurs-,migrants, que sur une analyse de la logique sociale qui. détermine la des¬ truction de leurs modes de-vie antérieurs. ; logique qui per¬ mettrait de faire apparaître le champ-objectif. des possibi¬ lités sociales que définissent-les tendances.actuelles de l'évolution du système productif-mondial- Cest dans ce sens qu'il faut comprendre la centration sur "l'identité cultu¬ relle" des travailleurs migrants au risque d'hyposthasier les valeurs traditionnelles.paysannes elles-mêmes en voie de transformation rapide dans les pays dJorigine (15). La nécessité en effet s'impose d'élargir le champ de l'analyse et c'est très généralement la fonction qu'a rem¬ pli la prise en considération des possibilités de retour au pays d'origine. Mais c'est aussitôt pour se rendre compte que les nouvelles formes de la socialisation de la force de tra¬ vail doivent être comprises dans le cadre de l'extension croissante du MPC, selon des formes de transition extrêmement variables qui ne correspondent pas forcément aux formes de transition qu'ont: connu les pays occidentaux. 1.4. En-tou.t premier lieu, c'est donc cet ensemble de préjugés, d'à priori-divers ou de jugements hâtifs sur 1'im- (15) Cet aspect, est particulièrement délicat et décisif. Il n'implique pas que nous sous-estimions les potentialités mobilisatrices que représentent les traditions populaires pay¬ sannes, mais tente"au contraire de prévenir contre les dan¬ gers que comporte une référence quasi mythique à des "valeurs identificatrices" que ne reconnaîtront- bientôt plus que les spécialistes occidentaux de l'ethnologie classique, inha¬ biles à-ce jour à concevoir les transformations culturelles extrêmement rapides que connaissent les pays en voie de déve¬ loppement . migration, ses causes, ses fonctions économiques et sociales, qu'il s'agit d'affronter. Leur prégnance repose sur 1'immé- diateté pratique du sens commun qui les soutient et qui réin¬ terprète toujours la relative spécificité d'une situation nouvelle en fonction des schémas disponibles antérieurement sans parvenir à dégager le champ des possibles qui s'y des¬ sine. Le sens commun a ceci de particulier qu'il argu¬ mente avec tout axîtant de conviction des propositions diamé¬ tralement opposées ou même contradictoires sans saisir le lieu où ces contradictions deviennent source d'une dynamique sociale, c'est-à-dire le champ de référence où doit nécessai¬ rement s'inscrire et se développer une pratique. La notion de besoins telle que la thématisent les instances administratives ou politiques, constitue le terrain idéologique de 1'ambiguïté. Cela peut aller de la conviction que l'étendue des besoins en formation doit imposer rapidement et sans phrases un programme massif de remise à niveau susceptible de combler les disparités sociales qui séparent les communautés migran¬ tes du reste de la population, jusqu'à l'opinion elle aussi très souvent exprimée qu'il y a contradiction à vouloir for¬ mer des travailleurs migrants auxquels on a eu recours préci¬ sément parce qu'ils n'avaient aucune qualification. "Certains vont jusqu'à se demander s'il est sou¬ haitable de donner une formation aux étrangers qui, de ce fait, ne satisferaient plus aux besoins d'emploi ayant pro¬ voqué leur venue" (16) . Dans l'un et l'autre cas, la liai¬ son "besoin/qualification" solidement ancrée dans la repré¬ sentation commune des finalités de l'action sociale, consti¬ tue le pivot de l'ambiguité sociale, le lieu où s'affronte (16) Françoise Rerat, Georges Petit et Michel Bauman. Les emplois tenus par la main-d'oeuvre étrangère. Extrait du cahier n° 8 du Centre d'Etude de l'Emploi, p. 22. - 10 - la diversité des enjeux et des intérêts^qu'elle révèle sans pouvoir déceler;-leur antagonisme ; c'est-à-dire leur struc¬ ture réelle comme résultante de la dynamique conflictuelle des rapports sociaux en présence. Ainsi se comprend la forme que revêt habituellement la mise en évidence des besoins : il s'agit de dresser un ca¬ talogue des disparités au regard de ce que paraît devoir être la norme "souhaitable". Cette démarche,qui a pour consé¬ quence de "gommer" la génèse sociale des disparités sans pouvoir introduire un débat sur les objectifs de l'action so¬ ciale (il s'agira "d'organiser une société plus heureuse pour les travailleurs immigrés") (17), catégorise "le besoin" comme une demande en l'individualisant, et permet à la technostruc¬ ture de "projeter" ses propres objectifs sur la réalité sociale. En matière de formation, la norme occidentale étant 1'éducation pour tous, la mise en évidence des besoins en formation se confond quasiment avec les données du recense¬ ment comme l'attestent les divers documents produits par la concertation. Dès lors, on ne cesse de prendre la mesure globale des inégalités sociales (et cela n'étonnera personne d'en mesurer l'ampleur) que pour justifier des pratiques institu¬ tionnelles dont la logique se joue ailleurs que sur le plan de ceux à qui on feint de-s'adresser. Le repérage des besoins par la technostructure ne représente en définitive qu'un indice du décalage entre les formulations idéologiques globales d'une société (la norme abstraite d'égalité) et ce que produit le jeu des mécanismes institutionnels en place, entre autre la reproduction même de ces inégalités. (17) Deuxième volet du document élaboré par le groupe de travail réuni sous la présidence du sous-préfet des Alpes- Maritimes, le premier trimestre 1975. "Les travailleurs immi¬ grés dans les Alpes-Maritimes". Dans- un système où les régulations par le marché ont l'influence que nous leur connaissons, les besoins catégorisés comme l'expression d'une inégale répartition des biens et services appellent comme réponse un infléchis¬ sement des flux quantitatifs. Dès lors, pour la technostructure, le couple moteur est bien : étude des besoins = évaluation des coûts, et la progression de "l'effort" pourra être mesuré en taux de participation réelle des entreprises, en nombre d'heures de stages par catégorie socio-professionnelle, en coût ho¬ raire d'unité-élève par stage ou en structure de la réparti¬ tion des dépenses. Toutefois, ainsi que le remarque Etienne Verne : "Non seulement la démonstration n'a pas été faite que la variation en hausse de ces données modifiait quoi que ce soit aux effets sociaux espérés (mais) la démonstration du contraire l'a été au moins en ce qui concerne les effets sociaux de la scolarisation sur l'immobilité sociale" (18). 1.5. Récuser la notion de "besoin", telle que la véhicu¬ le communément la technostructure, impose donc à un travail de cette nature qu'il manifeste le jeu de ses régulations internes, c'est-à-dire ce à partir de quoi il tente de trou¬ ver une cohérence qui lui soit propre. Dès lors, il importe d'expliciter les postulats théoriques, méthodologiques et politiques qui le sous-tendent car ils sont intervenus cons¬ tamment comme fils directeurs des orientations que nous avons adoptées et donc des résultats auxquels nous sommes parvenus. Récuser 1'expression des besoins comme expression de l'ambiguïté idéologique et de l'antagonisme des rapports dont ils sont le produit, peut conduire, sur le plan de la réflexion, à deux attitudes diamétralement opposées. 1. Chercher à trouver des garanties en terme d'ob¬ jectivité du côté de ce que, faute de mieux, nous appelle¬ rons les sciences sociales ; dans cette perspective, le rap- (18) Etienne Verne. Une scolarisation sans fin. Esprit n° 10, Octobre 1974. p. 532. port à la pratique est véhiculé en dehors chr champ de la problématique et ne s'y manifeste que comme une retombée (application) d'une recherche (fondamentale). Le rapport à l'idéologie comme instance régulatrice d'une praxis y est analysé comme un "cancer de la conscience" (19) dont il est nécessaire de se démarquer. C'est 1'objectivisme comme mode de réflexion dominant à l'université (20). 2. D'autre part, s'il paraît évident de souligner que 1'analyse ne peut en aucun cas trouver en elle-même des garanties de son exactitude, c'est du côté des perspectives qu'elle offre et-des possibilités qu'elle contribue à révéler que doit donc-être recherché un critère de son évaluation. La conséquence en est-importante, car elle fixe une limite à l'analyse en permettant d'analyser la nature de cette limite : cela veut dire que l'intervention est elle-même un'instrument d'analyse si l'analyse doit être un instrument d'intervention. Plus précisément,il s'agit de reconnaître que 1'intervention pratique sur un milieu constitue elle-même un instrument essentiel pour la connaissance de ce milieu, en permettant de révéler un ensemble de relations, de rapports ou de possibilités que l'analyse seule et les techniques qu'elle mobilise- -(questionnaire, interview, etc...) ne per¬ mettent pas'de mettre en évidence. Les conséquences de cette attitude sont multiples : a. D'une part, elle fixe un principe de relative incertitude comme constitutif de la connaissance que l'on peut acquérir d'un milieu. Tel ne serait évidemment pas le cas si un milieu social rendu entièrement prévisible au terme d'une approche analogue à celle qui prévaut dans les sciences exac¬ tes, obéissait à des lois de changement quasi mécaniques sou- (19) Jean Duvignaud. L'idéologie, cancer de la conscience. Cahiers internationaux de sociologie. Vol. XLVI. pp. 37-50. (20) Sur la critique de 1'ob jectivisme, cf. Pierre Bourdieu Esquisse de théorie de la pratique, précédée de trois études kabyles. Librairie Droz. Genève, Paris, 1972. Deuxième partie/ p. 155 et suivantes. - 13 - mises à un strict déterminisme. C'est l'illusion objectiviste qui'trouve dans la technocratie son équivalent politico-pratique. b. D'autre part, cette attrtude tend à privilégier certains niveaux d'analyse par rapport à d'autres en fonction de la nature et de l'importance des facteurs susceptibles de modifier durablement la situation étudiée sous l'hypothèse de la constance (au moins pendant le temps de l'intervention) d'un ensemble d'autres facteurs situé à des niveaux d'analyse différents : nous reviendrons sur cet aspect, mais signalons déjà qu'il s'agit de rendre compte de la dialectique totali¬ sation analytique = totalisation pratique, elle-même soumise à la fluctuation des forces et agents sociaux susceptibles d'avoir une influence sur l'évolution d'une situation ou le déroulement d'un processus. c. Par ailleurs, cela implique de la part de l'é¬ quipe initialement chargée de l'étude, la prise en compte dès le départ de l'ensemble des possibilités pratiques que présente une situation compte tenu du déterminisme global qui la détermine. Sur le plan de la méthode, cela se traduit par une remise en question de la division traditionnelle du travail, aussi bien à l'intérieur de l'équipe de travail que telle qu'elle tend à s'imposer à tous les niveaux de la réalité sociale sous la forme d'un divorce entre phase de recherche et phase opérationnelle. Le présupposé de recherche active que nous avons adopté impliquait notamment que nous recherchions constam¬ ment un élargissement du champ d'analyse par le biais d'un élargissement du champ opérationnel. Cela s'est notamment traduit sur le plan institutionnel par la recherche de ga¬ ranties suffisantes au maintien d'un contrôle social suscep¬ tible d'assurer les conditions de possibilités du projet que nous avions formulé (contrôle collectif). - 14 - Très concrètement, il s'agissait dorrc de délimiter un espace des possibles sans se limiter à observer le jeu des rapports sociaux en présence, mais en intervenant comme partie prenante dans la structure de ces rapports. d. La question de la d é f i nitlon d^tin; pro jet fait donc intervenir plusieurs éléments : le 'milieu social por¬ teur du projet , les problèmes que suscite ce projet ou aux¬ quels il lui faut fournir une réponse, les objectifs pour¬ suivis. Ces éléments sont eux-mêmes dans un rapport d'insta¬ bilité réciproque qui définit le champ réel de l'interven¬ tion et conditionne le déroulement et la mise en place des structures. On voit à l'évidence que le processus concret de la mise en place d'un projet ne peut'en aucun cas être ré¬ duit au rituel bureaucratique de la séquence : 1. Définition d'un projet 2. Mise en place du cadre technico-social 3. Mise en évidence des "besoins". Dans cette séquence, les "besoins" représentent les garanties que cherche à obtenir la technostructure sur la question de savoir si les objectifs qu'elle définit en fonction du cadre technico-social disponible sont suscepti¬ bles de recueillir dans l'intervalle l'approbation des dif¬ férents groupes sociaux directement ou indirectement intéres¬ sés par le projet qui leur est soumis. xoxoxoxoxoxoxox 2 - SITUATION DE L'IMMIGRATION. 2.1. Le procès d'internationalisation. Il semble superflu de souligner que les diverses économies nationales dépendent de plus en plus, dans les caractéristiques essentielles de leur croissance, de l'in¬ ternationalisation des processus économiques, aussi bien sur le plan de la production (division internationale du travail) que sur celui de la circulation (extension du commerce mon¬ dial ) , Jusqu'à une date relativement récente, l'espace national constituait de manière dominante l'espace privilé¬ gié de la reproduction élargie au capital social, c'est-à- dire la base même de son mouvement d'accumulation. La dif¬ fusion intersectorielle des gains de productivité rendue possible par le développement croissant des forces produc¬ tives du travail (progrès technique, organisation du travail), a été particulièrement rapide durant la phase de libre con¬ currence et a permis un développement sans précédent du vo¬ lume de l'emploi industriel. Pendant très longtemps, le secteur agricole a été la source d'une main-d'oeuvre additionnelle et l'exode rural a pu être analysé comme la forme la plus marquante de la socia¬ lisation de la force de travail, pendant la phase d'expansion du capitalisme concurrentiel. Simultanément, le mouvement, d'accumulation s'est accompagné de la diversification du marché intérieur et de la recherche de débouchés extérieurs soutenus par l'entreprise coloniale. La demande intérieure nécessaire à la réalisation du capital n'a pû s'accroître que par la quasi-stabilité de la répartition des parts relatives du revenu social (salai¬ res/profits) . - 16 - Mais les déterminants de la localisation des activi¬ tés productives ont progressivement créé les conditions d'un inégal développement de l'espace économique national. L'internationalisation du capital, déjà perceptible dans l'expansion des échanges internationaux et la création d'un marché mondial, s'est accentuée avec l'élargissement du cycle du capital financier et se manifeste aujourd'hui dans l'internationalisation du capital productif (division inter¬ nationale du travail : internationalisation du procès du travail). A ce stade de développement, l'internationalisation du capital ne peut plus être saisie comme "débordement à la frontière" (1) du capital national, mais exige d'être analy¬ sée comme l'expression de l'interdépendance et de l'intégra¬ tion croissantes des diverses économies nationales. Les divers travaux engagés jusqu'à maintenant sur cette question permettent d'analyser le mouvement d'inter¬ nationalisation comme la tendance contradictoire à l'unifi¬ cation/diversification mondiale des conditions de production et d'échange. La nécessité de rendre compte des phénomènes d'in¬ terdépendance entre espaces économiques en mettant l'accent sur les disparités de la croissance et l'inégalité des échanges a progressivement imposé une distinction entre les "centres" de développement et leur "périphérie" ; distinction qui ne recoupe que partiellement les limitations nationales. Les rapports entre économies "centrales" et économies "périphériques" réglés par la mise en place de rapports de production internationaux, ont occasionné une réallocation d'ensemble et un transfert des principaux facteurs de produc¬ tion (transfert de capitaux, de technologies et de main- d'oeuvre). (1) L'expression est de Christian Palloix. - 17 - L'analyse de l'internationalisation des rapports de production sur le triple plan économique (division du travail), politique (accord d'Etat à Etat) et idéologique (débat au niveau des agences internationales) a progressivement permis de considérer le sous-développement des uns comme un produit du développement des autres. Sur le plan économique, à l'ancienne division inter¬ nationale du travail fondée sur la "spécialisation" des pays du Tiers Monde dans la production des matières premières et des produits agricoles, s'est substituée une nouvelle division du travail, d'abord orientée vers la substitution d'importa¬ tions et ensuite vers la délocalisation de certains stades de la production industrielle. Le développement du secteur agro-exportateur pendant la phase de la colonisation, en généralisant l'échange mar¬ chand dans le secteur agricole, a permis de créer les condi¬ tions d'une destruction progressive des modes de production antérieurs fondés sur 1'autosubsistance et la petite produc¬ tion parcellaire. L'industrialisation par substitution d'importations (secteur des biens de consommation) faisant directement concurrence à la petite production artisanale, mais avec des effets sur l'emploi beaucoup plus lents, n'est pas parvenue à créer les conditions d'une accumulation autocentrée du fait de la dépendance des économies périphériques vis-à-vis du marché mondial. Cette dépendance extrêmement manifeste au niveau technologique, porte essentiellement sur le choix des com¬ binaisons productives et la structure des investissements qu'impose la concurrence internationale (2). La haute compo¬ sition technique du capital très peu favorable à une absorp¬ tion industrielle du travail au moins égale au rythme de la (2) Sur la structure des investissements directs productifs en Algérie. Cf. A. Akkache. Capitaux étrangers et libéra¬ tion économique. L'expérience algérienne. Paris, Maspéro, 1970. - 18 - déstructuration du petit artisanat du secteur précapitaliste et de la production agricole parcellaire crée donc les con¬ ditions d'apparition d'une main-d'oeuvre excédentaire, source d'immigration ou de gonflement inflationiste du secteur tertiaire en même temps que les conditions d'une polarisation des revenus en faveur du capital. Cette source de travail additionnelle (immigration) permet aux industries centrales soumises à un blocage du mouvement de concentration du capital et qui ne parviennent pas à réaliser des taux de profit comparables au surplus de monopoles, de réduire considérablement leurs coûts unitaires de production dans une situation de relative saturation des marchés (B.T.P.). Parallèlement, le mouvement de déqualification/ surqualification de la force de travail (3) qui accompagne la recomposition des tâches industrielles et le passage à des technologies de plus en plus sophistiquées, dans les secteurs en expansion rapide, trouve dans l'immigration un complément indispensable à l'offre globale de travail, compte tenu de la diversification de la structure de l'emploi. Sur un plan économique global, l'immigration, en entretenant une offre quasi illimitée de force de travail, a permis à l'Etat de gérer un taux d'élévation de la valeur marchande de la force de travail, compatible avec les objec¬ tifs d'une accumulation soutenue. Les conséquences de la division internationale du travail sur la main-d'oeuvre et l'emploi peuvent être résu¬ mées de la façon suivante : a) L'élargissement et l'emprise croissante des effets de l'économie de marché, en détruisant progressivement les régulations économiques et sociales traditionnelles des pays (3) Michel Freyssenet. Le processus de déqualification/ surqualification de la force de travail. C.S.U., 1974. - 19 - de la périphérie, ont créé les conditions de la libération d'une main-d'oeuvre disponible et très largement abondante. La réorientation des activités agricoles (jusqu'alors tour¬ nées vers 1'autosubsistance et les débouchés internes) vers les débouchés extérieurs offerts par le marché international, en imposant une réorganisation des formes de la production, s'est traduite par une diminution des emplois agricoles. Cette diminution a été renforcée dans ses effets sur le mar¬ ché de l'emploi par l'accroissement démographique consécutif à l'amélioration, pour une large part, des conditions sani¬ taires et d'hygiène. b) Par ailleurs, les seuls investissements productifs réalisés dans les pays en voie de développement, et qui auraient dû permettre d'absorber une partie de cette main-d'oeuvre, n'ont paradoxalement fait appel qu'à une main-d'oeuvre relati¬ vement peu abondante, souvent d'ailleurs importée du centre et hautement qualifiée (4), alors que la diversification de l'appareil de production dans les pays industriels (contre¬ partie de l'intégration du progrès technique, mais surtout modification des conditions de la concurrence) nécessitait, au moins pour certains secteurs de l'activité (B.T.P., Auto¬ mobile, etc...), le recours à une main-d'oeuvre abondante, peu qualifiée et extrêmement mobile. c) Parallèlement, en l'espace de quelques années, la relative élasticité de l'offre du travail que connaissaient les économies "centrales" s'est peu à peu réduite pour laisser place à un marché du travail compartimenté, hétérogène et ri¬ gide. Cela s'est notamment traduit par l'apparition de goulots d'étranglement au niveau de certaines qualifications. Le dys¬ fonctionnement des réseaux traditionnels d'éducation et de formation professionnelle ainsi que la réduction de la mobilité professionnelle du travail a permis qu'un chômage structurel portant sur les faibles qualifications coexiste avec une rela¬ tive pénurie de main-d'oeuvre qualifiée ou polyvalente. C'est (4) Sur cet aspect cf. Kader Ammeur, Christian Leucate, Jean- Jacques Moulin. La voie algérienne, les contradictions d'un développement national. Maspéro, 1974. - 20 - dans ce contexte que la généralisation de la formation profes¬ sionnelle des adultes dans le cadre de la loi de Juillet 1971 a représenté une tentative de renforcement de la mobilité sectorielle et professionnelle du travail. Que les travail¬ leurs migrants aient été jusqu'à maintenant très peu concernés par les effets de la loi de 1971, cela s'explique par les objectifs explicites de la formation professionnelle et par les contradictions qui se sont manifestées entre ces objec¬ tifs et le rôle que les économies centrales ont attribué à la main-d'oeuvre migrante dans sa contribution au processus de croissance. 2.2. Internationalisation et régionalisation. La transformation des formes d'intervention tradi¬ tionnelles de l'appareil d'Etat et l'apparition de phéno¬ mènes apparemment soustraits à son emprise directe (crise monétaire) a pu laisser conclure hâtivement à l'amorce d'un dépérissement de ses fonctions et au déclin précipité de son pouvoir d'arbitrage interne. La saisie de l'internationalisation sur un seul plan descriptif a donné lieu, dans le cadre de la recherche d'une entité économique qui soit le support de cette tendance et le lieu d'une gestion homogène de la valeur internationa¬ le, à un renouveau de la théorie classique de la firme. Le débat s'est ainsi engagé sur la question du partage des pouvoirs entre firmes multinationales et Etats-Nations, fai¬ sant de la firme le principal moteur du développement mondial (5) et occultant du même coup toute possibilité d'appréhen¬ sion réelle de la diversification/unification de l'espace économique liée au procès d'internationalisation. Du point de vue de la firme, en effet, l'espace économique n'apparaît que sous le rapport de la dotation différentielle en facteurs de production dans l'analyse des stratégies de localisation des investissements productifs. (5) Les sociétés multinationales et le développement mondial. ONU. ST/ECA/190. New York, 1973. - 21 - L'analyse du mouvement d'accumulation du capital à l'échelle mondiale, que ce soit par le biais des conditions de sa mise en valeur, ou par celui du développement inégal (6) a mis en évidence les limites de cette démarche et con¬ duit actuellement à replacer l'analyse de la stratégie de l'appareil d'Etat dans l'analyse du procès d'institutionali- sation entendu comme tendance contradictoire à l'unification/ diversification mondiale des conditions de production et d'échange. La question est donc la suivante : quel type de gestion l'appareil d'Etat réalise-t-il de cette tendance ? Comment resituer la régionalisation (comme processus) et non la région (comme espace) dans les perspectives que dessine cette gestion ? Christian Palloix, sur cette question, fournit des éléments de réponse : "L'internationalisation et la régionalisation du capital sont les moments (...) où s'affirme de manière domi¬ nante la tendance à la différenciation des conditions de production de la plus-value, alors que l'économie nationale est le moment et la concrétisation nécessaire de l'unité du système capitaliste mondial (7). Ainsi, la tendance mondiale à l'égalisation des taux de profits moyens qui détermine la structure et le vo¬ lume des investissements directs à'1'étranger ne peut être comprise qu'en liaison avec la tendance contraire à la diffé- renciation des conditions de la production notamment en ce qui concerne la reproduction de la force de travail et la (6) Cf. Les travaux du groupe SIFI, de Michel Aglietta, Les principaux traits contemporains de l'internationalisation du capital. INSEE. Paris, 1974 (à paraître chez Mouton), ou d'André Granou, "La nouvelle crise du capitalisme". Les Temps Modernes. n° 323.329.330. Décembre 1973/Janvier 1974. (7) Christian Palloix. L'internationalisation du capital. Eléments critiques. Paris, Maspéro, 1975. p.135. - 22 - structure des divers appareils productifs. Cette tendance opère de manière à réaliser les conditions d'une gamme de combi¬ naisons productives compatible avec l'extrême diversité des marchés et la différenciation de la structure des échanges inter-industriels. Alors apparaissent plus clairement les significa¬ tions actuelles de la régionalisation, ses difficultés et ses limites, si l'on parvient à saisir les enjeux de la di¬ versification de la stratégie de l'appareil d'Etat face au procès d'internationalisation. Tant que la nation représentait la base privilé¬ giée du mouvement d'accumulation du capital, la gestion de l'unification nationale des conditions de la production a pu se développer sur la base de sa diversification initiale et a été contemporaine de la dissolution progressive des modes de production antérieurs (agraires de subsistance, artisanaux). Parallèlement à la dissolution de ces modes de production, ont également été détruits les modes de socia¬ lisation caractéristiques de la période précapitaliste. La généralisation de l'échange marchand à l'ensemble de la société et le mouvement de prolétarisation ont progressi¬ vement permis de constituer "la nation" comme référence do¬ minante du modèle capitaliste de socialisation. L'école service public a été l'instrument de l'uniformisation du mode de vie national. La prise de conscience de l'inégal développement de l'espace national qui devait imposer comme tâches pro¬ pres à l'appareil d'Etat la prise en charge de la planifi¬ cation de l'espace économique et social (1960) a été con¬ temporaine de l'extension du mode de production capitaliste à la quasi totalité des activités nationales, et correspond approximativement aux premières manifestations de l'inter¬ nationalisation du capital productif. La localisation des activités industrielles au sein de l'espace national, liée à la recherche d'avantages relatifs (dotation en facteurs, proximité des approvision- - 23 - nements et des débouchés) permettant de maximiser les marges de profits, a eu pour effet d'accentuer l'inégal développe¬ ment des différentes zones du territoire national et de dé¬ truire les cohérences sectorielles régionales susceptibles d'entraîner un développement multicentré. Pendant très long¬ temps, la stratégie de l'appareil d'Etat a consisté à favo¬ riser le renforcement des échanges inter-industriels à un niveau national entre les fractions les plus avancées du capital industriel, en laissant opérer les spécialisations régionales liées à la division croissante du travail social. Le mouvement de spécialisation régional lié à des fractions différentes du capital social (capital foncier, ca¬ pital commercial, capital industriel, capital financier) ou à des fractions plus ou moins avancées du capital dans le cours de son accumulation (mouvement de concentration) a été accentué par l'insertion de l'économie nationale dans le processus productif mondial et a précipité la prise de cons¬ cience des élites locales dont les intérêts, sans être con¬ vertibles au plan mondial, risquaient au plan national d'être menacés par l'impératif d'alignement de certaines branches productives à des normes internationales (mouvement de re¬ conversion de l'appareil productif français). L'internationalisation et la régionalisation sont donc des concepts homogènes qui permettent de saisir deux / aspects différents d'un phénomène unique : celui des condi¬ tions de la mise en valeur du capital, compte tenu des zones de fractionnement qu'implique l'élargissement du taux d'ex¬ traction de la plus-value comme riposte du capital à la ten¬ dance à la baisse du taux de profit national. Toutefois, ces deux concepts opèrent à des niveaux d'analyse différents. D'un côté, l'internationalisation correspond à une tendance inscrite dans le mouvement d'accumulation du capital et crée une situation par rapport à laquelle l'appa¬ reil d'Etat tente de définir une stratégie dont il ne con¬ trôle pas la totalité des éléments, mais dont il conserve le monopole. - 24 - D'un autre côté, la régionalisation comme riposte politique s'inscrit dans la différenciation de la stratégie de l'appareil d'Etat et correspond à la perte de pouvoir économique d'une fraction de la bourgeoisie nationale ou régionale menacée par la concurrence internationale (8) et qui tente d'étendre les effets de la croissance aux secteurs délaissés du développement national, soit en favorisant l'in¬ vestissement intérieur, soit en essayant "d'agrafer" à l'in¬ vestissement international des effets économiques multipli¬ cateurs susceptibles de générer de nouvelles cohérences sec¬ torielles en jouant sur un registre extrêmement étroit (sous-traitance) des retombées de l'investissement interna¬ tional (stratégie de Fos). Si l'apparente cohésion que présente actuellement l'acteur régional qui tient pour partie au mode de désigna¬ tion attaché à la mise en place des structures, semble se fonder sur un refus commun des effets de la centralisation (9), les contradictions qui, au niveau de l'appareil d'Etat, se sont manifestées lors de la mise en place de la régiona¬ lisation, risquent de se retrouver au niveau régional en décalage, mais accentuées par la dynamique des rapports sociaux issus de l'inégal développement national. Sur un plan économique global, l'appareil d'Etat, loin d'avoir perdu sa fonction, tente de définir une stra¬ tégie de gestion du déséquilibre international, compatible avec le maintien d'un relatif équilibre interne. Les négo¬ ciations de la CEE sur l'exportation des produits agricoles de base ont mis en exergue cette tendance à l'unification (8) La régionalisation a d'ailleurs été l'enjeu sur le¬ quel s'est opérée une lutte entre fractions différentes du capital pour le contrôle de l'appareil d'Etat. La fraction liée au capital international l'ayant emporté, on conçoit que la régionalisation initialement inscrite dans un pro¬ gramme protectionniste soit actuellement l'objet de la part du gouvernement de mesures de restrictions visant à ne lui accorder l'initiative et surtout l'efficacité que pour la gestion des conditions de la reproduction du capital (domai¬ ne social, aménagement du territoire, etc...). (9) Très souvent partagé d'ailleurs par les représentants régionaux de la décentralisation de l'appareil d'Etat (Préfecture de région). - 25 - des conditions de la production en soulignant ses implica¬ tions internes, notamment dans la précipitation du mouvement de reconversion agricole qu'il impliquerait en l'absence d'un soutien étatique. Si les facilités fiscales et le sou¬ tien actif qu'il accorde à la délocalisation régionale de l'investissement industriel (CIPAT, Comité de décentralisa¬ tion) permet la mise en compétition des capitaux étrangers et des capitaux français sur des bases relativement plus fa¬ vorables à ces derniers, d'un autre côté, l'aide accordée dans certaines branches aux entreprises les mieux placées sur un plan international précipite la reconversion de cer¬ tains secteurs en assurant un drainage national des surplus dégagés par l'investissement extérieurs. Toutefois, du point de vue des capitaux individuels, la région prise comme zone d'investissements possibles est mise en compétition avec la périphérie capitaliste du point de vue de la gestion internationale des conditions de la mise en valeur du capital, au moins pour l'ensemble des activités productives faisant appel à des capitaux réalisables sur le marché mondial. Dans cette logique, tout porte à penser que les divers espaces régionaux sont eux aussi placés vis-à-vis de l'espace national dans la position qu'occupent les pays sous-développés par rapport aux pays hautement industrialisés. La marge de manoeuvre extrêmement étroite de ce type de stratégie qui conduit sur un plan économique à s'in¬ téresser davantage à la dynamique des petites et moyennes unités productives faute de pouvoir "promouvoir dans chaque secteur un ou plusieurs groupes industriels capables d'affron¬ ter la compétition internationale" (10), démarche qui échappe à l'initiative des acteurs régionaux, fait apparaître l'en¬ jeu réel de la régionalisation économique : mettre en place de nouvelles cohérences sectorielles partielles utilisant en aval les disponibilités dégagées par le mouvement d'interna¬ tionalisation . (10) Objectifs du Vème et du Vlème Plan. - 26 - L'analyse des conditions dans lesquelles pourrait se déployer cette stratégie - du point de vue des contrain¬ tes à l'investissement (composition technique du capital), mais également du point de vue des collaborations à mettre en place et du support infrastructurel qu'elle nécessite - devrait pouvoir faire l'objet d'études minutieuses mais rapides. Nous l'aborderons ultérieurement du point de vue du recours aux mouvements migratoires qu'elle nécessite, ainsi que du point de vue de la politique de la formation qu'elle implique. Mais avant, il nous paraît important de critiquer certaines tendances actuelles concernant l'élaboration d'une politique régionale globale. Dans un document de travail sommaire et peut-être un peu rapide (11), Bouffard, Goux et Morel tentent de défi¬ nir les grandes lignes d'une stratégie politique globale à l'échelon régional. La question de fond est la suivante : quel peut- être le rôle de la région Provence-Côte d'Azur dans le réé¬ quilibrage des rapports internationaux ? Les auteurs consta¬ tant eux-mêmes que "l'équilibre ne peut exister que comme mystification", c'est bien évidemment de l'infléchissement des rapports de force internationaux qu'il s'agit. Les objectifs de cette politique dérivent du cons¬ tat du développement inégal comme effet du procès d'accumu¬ lation : ils impliquent une rupture avec la logique de la croissance capitaliste, mais restent encore extrêmement va¬ gues. Cela va, dans le texte, "de la construction d'une Mé¬ diterranée des peuples" à la création "de manière diffuse sur toute la région d'un développement économique nouveau". (11) Bouffard, Goux et Morel. Pour une politique régio¬ nale globale. Juin 1975. Laboratoire de Prospective. 20 p. - 27 - Après une analyse de lrévolution de la division internationale du travail (D.I.T.) permettant de souligner la crise de l'hégémonie américaine et de caractériser la stratégie de riposte du capital nord-américain face à cette crise, ainsi que le type d'obstacles qu'il rencontre, les auteurs concluent à la nécessité de définir et d'articuler une politique de développement régional en rupture avec la dynamique impérialiste. Cette politique devrait trouver des points d'ap¬ pui dans la recherche de nouvelles alliances avec les pays à la tête de la lutte anti-impérialiste, ainsi que dans le jeu des contradictions inter-impérialistes elles-mêmes. A partir de là, la méthode préconisée reste extrê¬ mement vague et incertaine, produit des résultats dont la provenance est douteuse et les conclusions discutables. La sympathie idéologique qui relie certaines de nos analyses à celle qui nous est présentée, ne saurait se substituer à la rigueur de la démarche et appelle de notre part une série de remarques critiques dont nous espérons qu'elles contri¬ bueront à faire avancer le débat. Trois hypothèses sont successivement envisagées, concernant l'évolution de la conjoncture internationale. La première et la seconde hypothèse portant res¬ pectivement sur le succès ou l'échec de la stratégie de ri¬ poste nord-américaine, conduisent du point de vue de la ré¬ gion Sud à une même situation de dépendance. Dans le premier cas, la région serait totalement absorbée par la dynamique Nord-Européenne, elle-même dépen¬ dante du capital américain. Le seul problème de la zone Sud étant le maintien de la paix sociale. La seconde hypothèse qui suppose l'unification européenne et une politique d'alliance avec les pays arabes sous direction du capital européen le plus avancé (Ouest-Al¬ lemand) condamne "la France méditerranéenne" à n'être qu'un - 28 - couloir de transformation et le bassin méditerranéen "dans son ensemble" à ne pouvoir se "constituer en zone autonome" (p.2) . Sous l'une et l'autre hypothèse, tout ce qui constitue un moyen d'intégration de l'Europe du Sud à l'Europe du Nord renforce les tendances profondes du système capita¬ liste, sous domination américaine dans le premier cas, sous domination nord-européenne dans le second. Chaque hypothèse suppose la stabilité des struc¬ tures sociales existantes et fait dépendre la région de la dynamique des contradictions interimpérialistes dont l'en¬ jeu est le partage de l'influence de chaque fraction de capital à vocation hégémonique. La troisième hypothèse présentée comme hypothèse de rupture d'équilibre (?) est celle sur laquelle devrait s'articuler une politique régionale globale. Elle paraît se fonder sur une "remise en question de la paix sociale en Europe du Sud" selon un raisonnement dont les phases prin¬ cipales seraient les suivantes : 1. Maintien de l'hégémonie nord-américaine ; 2. Refus des "pays européens" s'engageant dans la recherche d'une accumulation "autocentrée" fondée sur une coopération avec les "pays arabes" ; 3. Schéma identique pour les "pays arabes" ; 4. Cette politique entraînerait la rupture : l'équilibre européen : - l'Allemagne retournerait vers 1'Atlantisme, - la France prendrait la tête des pays à la re¬ cherche d'un nouvel équilibre dans le bassin méditerranéen. l'équilibre arabe : - les pays du Golfe Persique à dominance de capital financier retourneraient dans la zone d'influence américaine, a) de b) de - les pays à dominance de capital industriel avant une politique anti-impérialiste renforceraient leurs alliances avec l'Europe du Sud. 5. La rupture de l'équilibre Nord-Sud entraîne¬ rait l'émergence d'un bloc à la recherche d'une politique autonome "d'orientation socialiste (?)" permettant d'impul¬ ser des firmes multinationales "d'une forme nouvelle" (p.3). Pour des raisons qui, en partie, tiennent aux né¬ cessités d'une phase transitoire, mais également à la recon¬ naissance de la faiblesse actuelle du pouvoir régional, la politique économique préconisée repose sur quatre points principaux : 1. Recherche d'une industrie technologiquement avancée ; 2. Soutien aux P.M.I. ; 3. Contrôle des grandes entreprises ; 4. Stratégie d'alliances généralisées avec les pays arabes. Cette construction semble beaucoup plus devoir à une hypothèse d'école qu'à une analyse rigoureuse de l'évo¬ lution des tendances actuelles de l'économie mondiale et du rôle qu'un acteur régional peut ou espère pouvoir y jouer. Tout d'abord, la méthode choisie est extrêmement contestable et conduit inévitablement à des formulations ha¬ sardeuses au plan de l'analyse, sans rompre avec l'illusion technocratique au plan politique. L'ambiguité consiste à développer des alternatives du type "tout ou rien" en feignant de supposer que le pro¬ gramme que l'on développe découle des prémices que l'on pose et assure les effets que l'on décrit. Il est bien évident en effet : 1. Que la multiplicité des intérêts et des stra- - 30 - tégies en jeu interdit de poser la nation/la région/les pays/l'ensemble méditerranéen comme entités régulatrices de ces activités, sans faire apparaître les classes sociales dont elles sont l'expression et dont l'antagonisme détermine la dynamique que l'on tente de décrire. A cet égard, pouvoir régional/pouvoir national restent des métaphores tant que ne sont pas analysées les forces sociales dont elles sont le support et ce qui détermine la répartition et la nature des pouvoirs qu'elles exercent. 2. Par ailleurs, on voit mal ce que peuvent décri¬ re les notions de rupture ou d'équilibre ou de rupture de l'équilibre indépendamment d'une analyse de l'évolution des contradictions interimpérialistes qui sont la trame dans la¬ quelle doivent s'inscrire les luttes, non seulement pour la remise en question des modalités du partage (salaire/profit) à l'échelle mondiale, mais également pour l'inégale répar¬ tition spatiale des profits (réalisation des investissements). Tout porte à penser que la problématique politi¬ que globale que préconisent Goux et al. s'inscrit non pas dans le cadre d'une remise en question des mécanismes régu¬ lateurs de la répartition du revenu entre le capital et le travail, ni même a fortiori dans la remise en question du rapport capital/travail, mais plutôt dans la remise en ques¬ tion de la répartition des profits et uniquement. L'astuce consiste à donner à entendre que la remise en question de l'un implique la remise en question de l'autre. Dès lors, un certain nombre d'amalgames sont ren¬ dus possibles : - Le premier serait de faire croire que la région puisse devenir un centre moteur de la lutte anti-impérialiste au même titre que l'Algérie par exemple : ce qui justifierait un système d'alliance privilégié et rendrait compréhensible l'expression "émergence d'un bloc socialiste". Cela n'est pas clair. - Le second dérive du premier. Il s'agit de res- taurer un capitalisme régional fondé sur une technologie avancée, lié aux fractions nationales qui résistent à l'emprise américaine sans disposer ni de la dynamique socia¬ le qui a permis d'engager l'Algérie dans la voie de la construction nationale, ni des ressources nécessaires (en capital, en matières premières) pour lui assurer une posi¬ tion de force sur le marché mondial. Dès lors, le point 3 du programme proposé "con¬ trôle des grandes entreprises dans le cadre d'une planifica¬ tion démocratique", restera bien évidemment un voeu pieux, en l'absence d'une dynamique populaire. Les auteurs évoquent bien entendu "une alliance de type nouveau entre l'industrie régionale (groupe et clas¬ se) et l'ensemble de la population" (p.17), mais on peut i raisonnablement supposer : 1. Qu'une dynamique populaire, si elle a lieu, ne prendra certainement pas la forme qui nous est décrite, compte tenu de la dynamique des rapports sociaux existants. 2. Que la région, dans l'état actuel des choses, est très peu susceptible de pouvoir être l'expression d'un mouvement populaire d'importance, ni même le susciter. Le point 3, "Mise en place d'une politique agricole pour les produits communs", se heurtera à l'état de développement de l'agriculture régionale issu des formes nationales de l'ac¬ cumulation et des résistances qu'opposent les agriculteurs à l'alignement international des conditions de production et d'échange (problème du marché commun agricole). Le risque est que l'appareil d'Etat délègue à l'échelon régional la gestion des contradictions qui se manifestent dans l'agriculture en¬ tre les effets de l'internationalisation (nécessité d'une restructuration économique de la production) et ses consé¬ quences sociales (accentuation de l'exode rural lorsque l'ap¬ pel à une main-d'oeuvre saisonnière ne permettant plus de réduire suffisamment les coûts, une production à plus haute technologie ou plus intensive s'imposera). Le point 1, "Recherche d'une industrie régionale technologi¬ quement avancée", c'est-à-dire impliquant une haute composi¬ tion technique du capital, se heurtera aux faibles disponi¬ bilités en capital mobilisable sur une base régionale et dont les conditions de mise en valeur seront contradictoires avec les objectifs de recherche (politique de plein emploi, construction d'un tissu industriel). Reste le point 2, "Une politique de soutien au P.M.I. fondée sur la recherche d'une matrice d'échanges inter-industriels", orientée vers la diversification du marché régional interne et l'intensification des échanges avec les pays du Maghreb. Toutefois, cette politique requiert une étude ex¬ trêmement soignée de la structure actuelle de la petite et moyenne entreprise aussi bien dans la région que dans les régions partenaires (Languedoc-Roussillon), avec la recher¬ che d'utilités communes avec les pays du Maghreb (structure de la sous-traitance, structure de la diffusion des gains de productivité, évolution de la composition organique du travail, etc.. . ) . C'est dans cette perspective que pouvait être conçue une politique de coopération et d'échanges aux diffé¬ rents plans : - des flux de produits marchandises ; - des flux de technologies ; - des flux de capitaux ; - des flux de force de travail. Nous allons envisager maintenant la position spé¬ cifique de la région par rapport aux flux de main-d'oeuvre étrangère et des problèmes qu'ils soulèvent. - 33 - 2.3. Région Provence-Côte d'Azur et mouvements migra¬ toires . Comme le souligne Georges P. Tapinos, "la migra¬ tion internationale de force de travail s'analyse comme un déplacement géographique associé au choix d'une profession" (12). Dans cette perspective, l'espace géographique (dis¬ tances, etc...) ne suffit plus pour caractériser les déter¬ minants des mouvements migratoires, mais doit être concep¬ tualisé comme espace économique, c'est-à-dire comme support et objet d'une dynamique politico-sociale permettant d'arti¬ culer un ensemble d'activités selon une logique qui tend, dans une société où les travailleurs n'ont pas le pouvoir sur la totalité du produit de leur travail, à reproduire sur une échelle constamment élargie les disparités sociales et économiques résultant de l'antagonisme fondamental entre le capital et le travail. En dernière analyse, les disparités de la crois¬ sance régionale, effet de l'inégale répartition des revenus sociaux du travail, doivent être comprises comme un produit du mouvement du capital dans le cours de son accumulation. Ce mouvement d'accumulation du capital social, qui se traduit au niveau des capitaux individuels par la re¬ cherche d'un profit maximum, non seulement néglige l'égali¬ sation des conditions de vie et de travail, mais organise leur différenciation comme condition même de la poursuite de son mouvement. Le résultat immédiat de cette tendance, lié à la différenciation des marchés et des formes traditionnelles de concurrence, est la rupture des cohérences sectorielles régionales, unique fondement d'une politique de croissance autocentrée." L'espace économique régional est un espace éclaté, morcelé, où coexistent des capitaux inégalement avancés dans le cycle de leur mise en valeur et soumis au mouvement de concentration/centralisation qui s'exerce sur (12) Georges P. Tapinos. "L'économie des émigrations in¬ ternationales". Fondation Nationale des Sciences Politiques. Armand Colin, Paris, 1974. p.42. - 34 - un plan international. Les unités productrices de Provence- Côte d'Azur (Fos, par exemple) ont tendance à entretenir davantage les relations avec les unités productrices interna¬ tionales (Algérie, Allemagne) qu'avec les unités productives de même localisation spatiale. Mais cela n'est pas tout. Le maintien d'une in¬ dustrie essentiellement tournée vers le marché interne, mais incapable de mobiliser un capital permettant d'assurer sa reconversion, n'a pu se réaliser qu'en réduisant énormément les coûts de production, notamment en différant les inves¬ tissements que réclamait une reconversion technologique. La région a été la base de la différenciation des conditions de la production, essentiellement en ce qui concerne la gestion des conditions de la reproduction de la force de travail. "Il serait faux de croire que l'internationalisa¬ tion de l'acte AT de l'achat de la force de travail signi¬ fierait égalisation et internationalisation de la reproduc¬ tion de la force de travail : pour le capital, sa principale contrainte est de produire des valeurs inégales de cette force, et la régionalisation - autre versant de l'interna¬ tionalisation - est l'expression spatiale de cette diffé¬ renciation de la valeur de la force de travail, différencia¬ tion caricaturale dans les formations sociales sous-dévelop- pées et qui s'appelle alors marginalisation" (13). La gestion des conditions de la reproduction de la force de travail qui concerne l'ensemble des éléments qui déterminent la valeur d'échange de la force de travail (for¬ mation) mais aussi ceux qui entrent dans la composition de ses moyens de subsistance (logement, nourriture, etc...), s'est opérée par la compartimentation des différents marchés du travail entre travailleurs étrangers et travailleurs na- w tionaux, par la hiérarchisation des tâches dans chaque acti¬ vité, enfin par les barrières élevées à la formation ou au (13) Christian Palloix. L'internationalisation du capi¬ tal. Eléments critiques. Paris, Maspero. 1975. p.176. - 35 - logement et l'apparition d'un processus ségrégatif croissant (14) . A cet égard, le rôle de la région s'est exercé aux différents registres de la gestion de la force de tra¬ vail selon les spécificités mêmes de l'espace Provence-Côte d'Azur qui tiennent pour l'essentiel : 1. Aux disparités internes de l'espace régional capitaliste, qui ne présente aucune unité économique ni même politique repérable (15). Cette caractéristique manifeste de l'espace régional Provence-Côte d'Azur (antagonisme Est- Ouest) se retrouve ailleurs très souvent amplifiée (cf. ré¬ gion Rhône-Alpes). Ces disparités tiennent à l'évolution de la structure des activités industrielles agricoles ou ter¬ tiaires qui s'y sont développées, aux dépendances multiples qu'elles ont entraînées et aux perspectives de restructura¬ tion qui s'y manifestent. 2. A la position de certaines fractions d'in¬ térêts régionaux vis-à-vis de la gestion de l'appareil d'Etat et de l'internationalisation de la mise en valeur du capital social. Cela entraîne la prise en considération : 2.1. Des dépendances économiques globales, no¬ tamment financières, mais repérables également dans "l'exode" hors de l'espace régional des gains de productivité et des surplus qui s'y réalisent. Cela appelle une analyse de la structure de la répartition de la valeur ajoutée et des (14) Telles sont les hypothèses principales d'une re¬ cherche en cours sur la mobilité de la main-d'oeuvre étran¬ gère que conduisent Verhaeren et Cordeiro. IREP, Grenoble. (Rapport à paraître Juin 1976). (15) Il faut ici distinguer la région comme entité éco¬ nomique et la région (établissement public) comme entité administrative. L'apparente cohésion de l'un (assurée par le mode de désignation de ses représentants) masque les dispa¬ rités de l'autre et soulève la question de la socialisation régionale. - 36 - "possibilités de rupture" (16) qui existent sur ce plan. Il n'est pas évident qu'une politique de "rupture" se traduise par un fléchissement de la nécessité de disposer d'un apport de main-d'oeuvre étrangère, même sous l'hypothèse d'une ten¬ dance à l'égalisation des taux de rémunération. 2.2. De la diversification des zones d'émigra¬ tion (origine) et du renversement de l'éventail d'immigration (accueil) qui placent la zone marseillaise en position d'as¬ sumer des fonctions importantes de transit et d'hébergement temporaire. 2.3. De la stratégie d'intervention de certai¬ nes fractions du capital régional dans le procès d'industria¬ lisation et ses conséquences en termes de structures de 1'emploi. 3. Aux problèmes sociaux qu'impliquent les nou¬ velles formes de la socialisation de la force de travail et que renforce la situation décrite sous 2.2. (coexistence de populations hétérogènes). Si l'on étudie les résultats du tableau 1, concer¬ nant l'évolution comparée entre 1962 et 1968 (17) des effec¬ tifs salariés par branches, entre l'espace national et la ré¬ gion PCA> un certain nombre de conclusions s'imposent : 1. Le taux d'accroissement global des effectifs immigrés pour cette période en PCA (+ 5,23%) est très lar¬ gement inférieur à la moyenne nationale (+23,7%). En l'absence de données plus précises concernant notamment la dynamique globale de l'emploi, ceci peut vou¬ loir dire plusieurs choses : (16) C'est autour de ce problème que Goux, Bouffard et Morel tentent, sans y parvenir, de définir les bases d'une politique de transition régionale. (17) Les données du recensement de 1974 paraissent en dé¬ cembre 1975. Il ne nous a pas été possible de vérifier les tendances globales récentes du phénomène. Répartition des salariés étrangers en France et Provence-Côte d'Azur par secteur d'activité pour les années 1962/1968 Secteur d'activité FRANCE XV REGION P.C.A XV • ^ 1962 1968 Variationàv Relatives 1962 1968 Variations ^ Relatives 1. Pêches, agriculture, forêts 88 820 79 860 - 4,5% 19 974 17 928 - 37,5% 2. Industries extractives 50 000 34 440 - 7,1% 1 431 1 220 - 4,0% 3. Bâtiment et Travaux Publics 242 940 364 260 + 54,6% 35 930 42 546 + 122,5% 4. Industries 330 720 404 560 + 33,3% 17 527 18 312 + 14,7% 5. Transports 19 180 26 000 + 3,1% 4 382 3 388 - 17,4% 6. Commerce, banques, Assurances 75 4 60 112 600 + 16,9% 10 167 10 700 + 11 % 7. Services 74 520 104 840 + 13,6% 11 632 11 784 + 3,5% 8. Services Publics, Admi¬ nistration, Défense Nationale 54 060 31 560 - 9,9% 2 900 3 284 + 7,6% 9. Total 935 700 1 158 120 100 103 943 109 192 ï 100 Variation globale + 23,7% + 5,2% Tableau 1. - 38 - - Soit, compte tenu de la dynamique de la dépen¬ dance, l'appel à une main-d'oeuvre immigrée exercerait dans chaque cas des fonctions différentes qui tiendraient à la structure différentielle de l'appareil productif, faisant ap¬ paraître au niveau global des rythmes d'amplitude extrême¬ ment divers, mais masqueraient des phénomènes caractéristi¬ ques de l'évolution des conditions de travail (18). Il fau¬ drait alors pouvoir mettre en évidence des variations systé¬ matiques, toutes choses égales d'ailleurs. - Soit le phénomène migratoire s'inscrit lui-même dans une dynamique de dépendance structurelle - ce qui paraît à peu près évident - mais renforce cette tendance au lieu de jouer une fonction de mécanisme compensateur, comme on aurait tendance à le penser et comme on le pense effecti¬ vement un peu partout : ce serait le propre d'une économie dépendante et à développement lent que de faire appel massi¬ vement à l'immigration. Comme par exemple chez Christian Pal- loix : "Le fait que ces industries (qui emploient de la main- d'oeuvre immigrée) restent pour partie dans l'espace capita¬ liste industrialisé, ne saurait masquer que tout se passe comme si elles étaient l'actuelle spécialisation du Tiers- Monde" (19) . Ce point mériterait d'être éclairci par rapport au mode d'accumulation du capital par secteur, et compte tenu des divers modes de création et d'absorption de la plus- value (absolue et relative) pour chaque "espace" de mise en valeur du capital. Ceci paraît décisif, notamment en ce qui concerne les implications du point de vue de l'emploi, d'une politique "d'autonomisation" régionale. (18) Le processus de déqualification/surqualification de la force de travail, extrêmement marqué au niveau national dans certaines branches d'industries, n'apparaîtrait pas au niveau régional, compte tenu de la structure de l'appareil productif (dominance des PME). (19) Christian Palloix. L'économie mondiale capitaliste. Tome I. Le stade concurrentiel. Paris, Maspero, 1971. p. 138. - 39 - L'hypothèse serait la suivante : en fonction des disparités régionales de la structuration de l'appareil pro¬ ductif national, la fonction d'une plus-value relative par diversification des procès de travail, dans les secteurs de la production des biens de production, absorbe relativement plus de travail immigré que la création d'une plus-value absolue par intensification du travail dans les secteurs de la production des biens de consommation (BTP, etc...) qui T apparaît alors comme la spécialisation des économies dépen¬ dantes. Cette hypothèse est cohérente avec la tendance ob¬ servée de la délégation par l'appareil d'Etat de la gestion des conditions de la reproduction de la force de travail à l'espace régional et permettrait de caractériser le phéno¬ mène à l'intérieur même du procès productif. 2. Par contre, si l'on maintient constant le taux d'accroissement global du volume de main-d'oeuvre étrangère pour étudier son évolution comparée par secteur d'activité, trois phénomènes se dessinent : a) l'accroissement régional de la main-d'oeuvre immigrée dans le bâtiment (+ 121%) est deux fois et demi (x 2,5) plus important que pour l'ensemble de la Nation, où il représente déjà la moitié de l'accroissement net. C'est un phénomène extrêmement massif, qui n'a pu se réaliser que par des transferts internes d'une branche à l'autre. b) la diminution de l'emploi immigré agricole permanent est pratiquement dix fois plus importante pour la région que pour l'ensemble national, alors que l'appel à une main-d'oeuvre saisonnière (année 1974) représente environ 20% de la demande nationale globale. Ceci semble indiquer une évolution extrêmement rapide des structures agricoles et des problèmes qui s'y poseront, notamment pour les départe¬ ments du Var et du Vaucluse. c) la demande industrielle régionale (14,7%) de - 40 - main-d'oeuvre immigrée est inférieure de moitié à la demande nationale (33%) et marque surtout la faiblesse de l'appareil productif industriel. En ce qui concerne la dynamique régionale de l'emploi immigré, nous résumerons les remarques précédentes en soulignant que les problèmes qu'il suscite se localisent: a) dans les petites et moyennes entreprises du BTP ; b) dans les postes sous-qualifiés des grosses unités productives côtières, avec les problèmes particuliers que soulèvent les petites entreprises de sous-traitance in¬ dustrielle ; c) dans le secteur agricole, avec l'appel exces¬ sif à des travailleurs saisonniers, parallèle à une diminu¬ tion rapide de l'emploi permanent. Ces données globales pour l'ensemble de la région demandent à être modulées par département. Il est bien évi¬ dent qu'un département comme celui du Var où le volume impres¬ sionnant des petites et moyennes entreprises (20) coexistent avec une tenue foncière parcellaire à base d'exploitations agricoles familiales et le gonflement d'un secteur tertiaire militaire sans précédent (21) , pose des problèmes différents de ceux qui se posent dans le Vaucluse, où la restructuration foncière s'est accompagnée d'une diversification et d'une intensification du travail agricole. Cette évolution peut être caractérisée dans ses grandes lignes par : 1) Une redistribution au cours des dernières (20) La Fédération du Patronat y compte plus d'adhérents que la C.G.T. ! (21) Alors que la présence de travailleurs étrangers di¬ minue à l'échelon national dans la branche des administra¬ tions publiques et de la Défense Nationale (-10%), elle s'ac¬ croît sensiblement au niveau régional (+8%). années des flux traditionnels de population:à une immigration essentiellement italienne et espagnole encore dominante autour des années 1960, s'est progressivement substituée dans le Midi de la France une immigration nord-africaine (Algérie, Tuni¬ sie, Maroc), avec une tendance récente à reculer encore da¬ vantage les limites géographiques du recrutement (immigration turque de ces dernières années, ainsi que Maliens et Pakis¬ tanais) . Malgré les récentes prises de positions de la Répu¬ blique Populaire Algérienne concernant l'arrêt momentané de l'immigration en direction de la France, prise de position principalement politique, l'hypothèse d'un arrêt définitif à moyen terme paraît assez improbable. 2) Toutefois, une volonté très régulièrement réaffirmée par les dirigeants Algériens consiste à vouloir favoriser le retour de leurs ressortissants ayant acquis une qualification suffisante pour être réinsérés dans l'appareil de production nationale (22). On sait que les déficits que connaît l'Algérie en personnel technique qualifié sont ac¬ tuellement comblés par une main-d'oeuvre européenne et qu'un aspect majeur de la politique du gouvernement: algérien re¬ pose sur l'arabisation progressive des cadres. Cette volonté repose sur une planification du développement et de l'emploi permettant d'appréhender les besoins cas par cas, et progres¬ sivement. Cet aspect soulève la question des formations en vue du retour - qui pourraient s'inscrire dans un programme de négociations bilatérales avec recherche d'utilités conver¬ gentes - sur un plan dépassant très largement les seuls pro¬ blèmes de l'emploi. 3) Du côté de l'économie française, l'immigration actuelle se caractérise également par un rétrécissement de l'éventail des secteurs d'activité faisant appel à une main- d'oeuvre étrangère, rétrécissement parallèle à une augmen¬ tation quantitative de la demande émanant des secteurs con¬ cernés. En terme de qualifications, cette augmentation de la demande ne paraît pas franchir de seuils significatifs par rapport à la période antérieure. Tout au plus assiste-t-on à une promotion extrêmement localisée d'une mince frange de (22) Cf. le Monde du 23,24/3/1975. - 42 - travailleurs destinés à occuper certains postes qualifiés ou de relais de maîtrise. A cet égard, les comparaisons portant sur les différences entre structures régionale et nationale de l'em¬ ploi étranger font apparaître une exacerbation des tendan¬ ces nationales, notamment dans le secteur des Bâtiments et Travaux Publics, et signalant le caractère spécifique des problèmes liés à l'emploi agricole (problème des travail¬ leurs saisonniers dominant dans les départements du Vauclu- se, du Var et des Alpes-de-Haute-Provence). Dans cette si¬ tuation, les perspectives de promotion liées à l'acquisi¬ tion d'une qualification paraissent bien réduites et les succès d'une formation uniquement centrée sur cet aspect, bien dérisoires. 4) Les conflits sociaux prennent parfois une acuité exceptionnelle (événements de Marseille, de Grasse, etc...), liés aussi bien aux modalités de l'insertion des travailleurs étrangers dans le tissu social et urbain d'ac¬ cueil qu'au climat général qui préside aux relations que cette société établit ou n'établit pas avec les populations étrangères. Très communément, ces conflits ont été expli¬ qués par l'accentuation de la distance culturelle qui sépare les pays d'accueil des pays d'origine. Nous reviendrons sur ce qu'il convient de penser de ce type d'interprétation (car nous sommes déjà là au coeur d'un des aspects qu'une action de formation ne peut pas ne pas aborder). Mais signalons simplement qu'un simple report aux chroniques de l'immigra¬ tion autour des années 1930 rendaient déjà compte des con¬ flits dans lesquels étaient engagés les travailleurs ita¬ liens et espagnols en terme de distance culturelle, alors que ces populations sont considérées aujourd'hui comme cul- turellement proches. En tout état de cause, ce ne peut être que replacées dans une perspective historique que les notions de distance ou de spécificité culturelle peuvent être évo¬ quées ou utilisées. - 43 - 3 - BILAN DES ACTIONS DE FORMATION POUR TRAVAILLEURS MI¬ GRANTS. Au terme de 1'analyse du phénomène migratoire, un bilan de ce qu'ont été jusqu'à maintenant les actions de formation dirigées vers les milieux immigrés, peut être esquissé. Dans une précédente étude destinée aux travaux du Commissariat au Plan (l), l'occasion nous a été donnée d'en établir plus longuement une évaluation critique à l'échelon régional. Nous ne retiendrons ici, en approfondissant nos points de vues, que les dimensions les plus saillantes de la question : les principaux résultats à partir desquels nous avons amorcé, puis développé, l'étude que nous a confiée le Conseil Régional de Provence-Côte d'Azur. Nous aborderons successivement le bilan descriptif des actions de formation, pour envisager dans une seconde partie les grandes lignes de son évaluation critique. 3.1. Bilan factuel et descriptif. Il faut reconnaître que pendant très longtemps, les efforts accomplis dans le domaine de la formation n'ont dépas sé le stade du volontariat bénévole que pour n'atteindre, dans le cadre d'une formation ou d'une préformation profes¬ sionnelle, qu'une fraction de la population relativement ré¬ duite, compte tenu de ses besoins exprimés ou latents. Un fait domine l'ensemble de la question : la formation des travailleurs migrants, au seul point de vue quantitatif, res¬ te un phénomène marginal, dont l'influence globale demeure (l) Michel Oriol (sous la direction de). Les effets de la formation sur les travailleurs immigrés. Rapport de fin de contrat CORDES. IDERIC, Université de Nice. Ronéo 170 p. Février 1975. - 44 - restreinte. On ne peut pas dire qu'elle ait franchi un seuil tel qu'on puisse repérer des effets d'ensemble. Pour cette raison, seule une évaluation des effets de la formation au niveau individuel, et sa mise en rapport avec une analyse des institutions qui produisent ces effets, peut donc avoir un sens. Encore ne faudrait-il pas masquer par cette démar¬ che le constat général d'insuffisance ni le retard pris en la matière. Nous distinguerons trois phases dans la formation des milieux migrants qui correspondent chacune à une façon par¬ ticulière d'aborder les problèmes et d'y répondre et dont la coexistence actuelle permet de mieux comprendre la manière dont vient d'être engagé le débat sur l'immigration. a) Dans une première phase, la formation des travail¬ leurs migrants est prise en charge par des associations soit militantes soit confessionnelles et s'oriente essentielle¬ ment vers des pratiques d'alphabétisation ayant pour but l'apprentissage de la lecture/écriture. Le fonctionnement de ces associations repose sur le bénévolat, ce qui implique très souvent une périodicité hasardeuse. Les cours sont or¬ ganisés en dehors des heures de travail, font donc appel à une très forte motivation des stagiaires et induisent une participation aléatoire incompatible avec la poursuite d'ob¬ jectifs durables et suivis. La logique des apprentissages fait appel aux modèles que fournit la pédagogie scolaire, trop souvent mal adaptée à des adultes. Ces associations, malgré toutes les bonnes volontés qu'elles mobilisent, assu¬ ment pour l'essentiel un rôle d'assistance immédiate ou de socialisation primaire : les "élèves" viennent principale¬ ment au cours pour demander des conseils, prélever des in¬ formations d'utilité directe ou resserrer des liens de cama¬ raderie ou d'entraide. Pendant cette période, dans la région de Marseille, et selon des perspectives assez différentes, une association comme 1'ATOM (Aide aux Travailleurs des DOM.TOM) met en place dans le cadre du CPM (Centre de Préformation de Marseille) une structure de préformation professionnelle destinée - 45 - à donner aux stagiaires le niveau requis pour l'entrée en FPA. A la sortie du Centre, les stagiaires accèdent aux sections de formation des Centres FPA. Le régime du Centre est celui de 1'internat, les stagiaires sont rémunérés sur la base du SMIC, le fonctionnement est principalement assuré par le FAS (Fond d'Action Social). Les programmes pédagogi¬ ques prévoient : * pour les analphabètes : des stages intensifs d'alpha¬ bétisation en français (lecture - écriture - calcul élémen¬ taire) * pour les stagiaires déjà alphabétisés (qui consti¬ tuent l'essentiel de la clientèle du Centre) des programmes en triptyque composés d'un volet de préformation profession¬ nelle (principalement axé sur les activités du bâtiment), un volet de formation générale et un volet d'initiation à la vie moderne qui concerne l'usage des services publics (poste, téléphone) et d'une manière générale des institutions (sécu¬ rité sociale, syndicats, etc...). Le Centre reçoit en moyenne depuis une quinzaine d'années de cinq à six cents stagiaires par an. b) A partir de 1971? avec le vote de la loi du 16 juil- let, l'Amicale pour l'Enseignement des Etrangers réoriente une partie de ses activités et tente d'organiser des pro¬ grammes d'alphabétisation dans le cadre des entreprises au titre de la formation continue. L'Amicale pour l'Enseigne¬ ment des Etrangers rencontre actuellement deux types d'obs¬ tacles : - L'obstacle patronal qui ne discerne pas toujours l'in¬ térêt qu'il pourrait trouver dans l'alphabétisation de son personnel migrant et préférerait à cet égard orienter la formation vers l'adaptation aux postes de travail et à l'or¬ ganisation de la production. - L'obstacle des Centrales Syndicales qui tout en refu¬ sant l'adaptation pure et simple aux impératifs de l'écono- - 46 - mie pensent que le cadre législatif de 1971 n'est pas adé¬ quat au développement d'actions d'alphabétisation qu'ils as¬ similent à une formation initiale, ne relevant pas en prin¬ cipe des objectifs de la loi. Egalement, à partir de 1971* l'Education Nationale dé¬ finit à ses activités trois publics prioritaires : les jeu¬ nes à la recherche d'un premier emploi, les femmes désirant trouver un emploi et les immigrés. L'action de l'Education Nationale tente actuellement de s'exercer sur deux plans : celui des Universités par l'organisation de la forma¬ tion permanente * celui des CIFFA (Centres intégrés de formation de for¬ mateurs d'Adultes), organes administratifs mis en place par l'Education Nationale à partir de 1971? qui ont bénéficié, dans leur phase initiale, de crédit de première assistance. A l'heure actuelle, les CIFFA ont organisé des stages de formation à l'intention des enseignants désireux de s'orien¬ ter vers l'alphabétisation ou l'animation des milieux immi¬ grés. Sur le plan régional, environ une centaine d'ensei¬ gnants ont suivi ces stages. Par ailleurs, les GRoupements d'ETAblissements (GRETA) ont constitué la structure à partir de laquelle ont été programmées des actions dirigées sur un quartier, visant certaines catégories de population bien délimitées (jeunes de moins de 16 ans, femmes immigrées, etc...). c) A partir de 1974? à la suite des récentes déclara¬ tions gouvernementales, une prise de conscience de l'urgence des problèmes s'est traduite par la définition d'un ensem¬ ble de mesures aux différents niveaux de l'accueil de la formation professionnelle et du logement. Sur le plan régio¬ nal, l'action concertée du Ministère et des collectivités locales s'est focalisée sur Marseille, et s'est traduite par l'élaboration d'un programme d'intervention à double entente : la définition d'un plan d'urgence pour les années 1975-1976, suivi d'un ensemble de mesures à moyen terme. - 47 - Il paraît prématuré de vouloir évaluer l'impact du dis¬ positif mis en place, et peut-être devra-t-on attendre pour le faire que s'atténuent l'effervescence actuelle du débat et l'engouement volontariste que suscite toujours la phase initiale d'une opération. Deux remarques d'ores et déjà s'imposent : En ce qui concerne les projets retenus au niveau de 1'em ploi et de la formation professionnelle, quatre dispositions principales définissent l'orientation commune du Ministère et de la ville de Marseille. * La création d'un centre interentreprises pour l'adaptation des primo-arrivants. * La création d'un centre de préformation pour adolescent. Il s'agirait d'un internat d'environ 150 places destiné aux 16/18 ans. * Un centre de préformation pour jeunes filles ou femmes d'environ 90 places. .... » ... * Le doublement de la capacité d'accueil des filières FPA. On peut très sommairement caractériser l'ensemble de ces mesures comme un renforcement des tendances déjà affir¬ mées et des structures mises en place dans la période pré¬ cédente. Tout se passe en effet comme si les pouvoirs pu¬ blics avaient analysé l'échec de la période antérieure, uni¬ quement en termes d'insuffisance d'équipement et d'infra¬ structures sans qu'une remise en question des objectifs jusqu'alors poursuivis ait été réellement opérée. Cet as¬ pect de la question permet d'émettre un doute quant à la portée réelle du changement que l'on souhaite introduire. Ne risque-t-on pas en faisant l'économie d'une réflexion sur les facteurs d'inadéquation, de dysfonctionnement et de blocage de renforcer l'inertie institutionnelle des systèmes de formation actuellement en place, d'amplifier et de - 48 - multiplier la nature des causes actuelles des échecs enre¬ gistrés et de rendre bien improbable à terme l'éventualité d'un changement réel portant sur les structures et les ob¬ jectifs poursuivis ? Dans l'immédiat, les initiatives développées par les instances nationales et régionales ont eu le mérite direct, en suscitant un vaste débat sur les problèmes liés aux mi¬ gration, de sensibiliser une fraction importante de l'opi¬ nion et des responsables, de resserrer la concertation en¬ tre les agents sociaux directement concernés, et de faire apparaître leur participation et leur association aux dif¬ férentes phases d'une opération comme la condition sine qua non de son succès. 3.2. Bilan critique. Etat actuel de la réflexion. Si nous essayons de caractériser les grandes lignes qui articulent aujourd'hui la manière d'appréhender les problèmes que soulève la formation des travailleurs mi¬ grants et de leur famille, deux remarques au moins s'imposent D'une part, sous l'apparente diversité des réponses adoptées ici et là, un consensus paraît s'établir sur la manière de poser et de retenir un ensemble de questions com¬ munes et d'en exclure d'autres. Ce double mouvement d'in¬ clusion/exclusion définit un consensus qui délimite le champ actuel de la réflexion et de l'action. Tout se passe comme si des divergences sur les réponses à donner masquait une convergence sur les questions à poser ainsi que sur celles à éviter ou à exclure. D'autre part, analyser les limites à l'intérieur des¬ quelles se formulent actuellement les problèmes liés à la formation des migrants, c'est du même coup en signaler les insuffisances et être en mesure de proposer une série d'ob¬ jectifs spécifiques ne recoupant que partiellement l'ensem¬ ble des actions actuellement conduites ou en projet. - 49 - Quatre ou cinq grandes lignes de force ou principes de base orientent actuellement l'ensemble des actions de forma¬ tion destinées aux travailleurs immigrés. Ce sont ces prin¬ cipes qu'il s'agit d'interroger d'un point de vue critique et d'approfondir afin d'en discerner les insuffisances. a) Le primat_de_l^alphabetisation_initiale. Il ne s'agit pas, pour nous, de vouloir nier ici l'im¬ portance ni le caractère décisif des aptitudes que l'alpha¬ bétisation se donne pour tâche de développer. Dans une so¬ ciété qui se caractérise chaque jour davantage par la fré¬ quence des messages écrits, les capacités de lecture et d'écriture apparaissent comme un facteur essentiel d'acqui¬ sition de l'autonomie individuelle. Relevons toutefois que les effets réels des pratiques d'alphabétisation tradition¬ nelle n'ont jamais rempli que partiellement les objectifs qu'ils s'étaient fixés et dont il est souvent très diffi¬ cile de discerner la fonctionnalité réelle (c'est aussi que l'on se hasarde si peu à les remettre en question, qu'il est exceptionnel qu'on se soucie d'en évaluer réellement les effets). Tout se passe cependant comme si aucune action de formation n'était concevable que n'inaugure le B et A, BA de l'école élémentaire. A cela, plusieurs causes peuvent être évoquées ici : d'une part l'alphabétisation élémentaire s'institue le plus souvent dans la négation d'une situation de fait, qui est une situation de bilinguisme. Dans cette perspective, on assimile très communément l'analphabétisme en général à l'incapacité à lire et à écrire en français sans tenir compte ni des aptitudes acquises antérieurement en lan¬ gue d'origine, ni de la spécificité des apprentissages cul¬ turels qui très souvent représentent un potentiel d'adapta- bilité considérable. Par ailleurs, en ce qui concerne l'apprentissage de la langue orale, les pratiques d'alphabétisation paraissent s'épuiser dans des exercices de correction phonétique dont le rapport avec leur utilisation possible dans des situations concrètes s'amenuise considérablement jusqu'à disparaître. - 50 - Nous avons pu souligner l'absurdité de cette situation en faisant état d'un certain nombre d'exemples directement tirés de l'observation : dans l'exemple suivant ; "La guêpe a piqué la guenon sur la langue", on reste en dessous de la vérité en faisant remarquer qu'aucune référence à une situa¬ tion socialement motivante n'est désormais perceptible et on cherche mais en vain quels peuvent être les objectifs de ce qui se donne, en l'occurrence, sous le vocable d'alphabé¬ tisation . Cet exemple ne constitue pas l'exception caricaturale à une règle moins grossière. Il représente la norme commune de ce qui nous a été donné d'observer en ce domaine. Une conclusion s'impose : en tout état de cause, l'al¬ phabétisation ne peut en elle-même constituer un obj ectif. Elle ne peut trouver dans la vague affirmation d'une "néces¬ sité de connaître la langue du pays d'accueil" une raison suffisante au maintien et au développement des pratiques en vigueur jusqu'à ce jour. Une conception instrumentale de la langue est désormais nécessaire qui subordonne son appren¬ tissage à la définition d'objectifs partiels, descriptibles, et socialement pertinents. k) La_prépondérance des fonctions d'intégration/assimi¬ lation . Là encore, tout se passe comme si la fonction réelle (fonction implicite mais très souvent aussi explicitée comme telle) des actions de formation était principalement conçue comme un vecteur d'adaptation des populations étrangères au milieu d'accueil sans que symétriquement, aucune perspective de transformation de ce milieu ne soit elle-même envisagée. Assimiler, intégrer, nier les différences, tels ont été pour l'essentiel les effets d'un processus d'adaptation largement induit et imposé par une société, affirmant un sens aigu de sa supériorité et de la suprématie de ses schémas culturels. - 51 - Le phénomène n'est pas nouveau. Toutes les sociétés ont historiquement rejeté dans la sous-humanité et la bar¬ barie celles qui ne leur ressemblaient pas et qui, par leur mode de vie, leurs coutumes ou leur façon d'être ou de faire, leur paraissaient défier "le sens commun". Lévi-Strauss ajou¬ tait qu'il s'agissait même là d'un des traits les plus ca¬ ractéristiques des sociétés primitives. "L'archaïsme d'une telle attitude, sa formidable force d'inertie dans une so¬ ciété moderne et très largement ouverte aux courants et aux échanges internationaux, n'est pas seulement surprenante, elle constitue un obstacle et un frein au développement de ces échanges." Pour l'essentiel, c'est dénier qu'un quelconque chan¬ gement puisse intervenir dans le cadre d'un échange équili¬ bré entre cultures différentes, c'est renforcer la domina¬ tion de l'un sur l'autre par le caractère unilatéral de l'i¬ nitiative et de l'action. A moyen terme, c'est engager abu¬ sivement un pari sur l'avenir, en ne retenant que l'hypothèse d'une immigration de peuplement, alors que tout converge pour signaler que sur un plan individuel l'expérience migra¬ toire n'est jamais définitive et peut se conclure dans une très large proportion des cas, par un retour au pays d'ori¬ gine . Cette politique d'intégration s'est concrétisée jusqu'à maintenant par une négation pure et simple des traits culturels spécifiques à chaque communauté migrante, par une ignorance quasi systématique des savoir-faire et des modes de vie qui nous étaient étrangers, négation et ignorance que renforçait la croyance très profondément ancrée en l'univer¬ salité des modèles occidentaux. Actuellement, une prise de conscience des différences culturelles semble s'opérer notamment dans la revendication de plus en plus écoutée d'une formation propre aux anima¬ teurs en milieu immigré. Tout conduit cependant à estimer que ces mesures, aussi radicales soient-elles, ne seront pas - 52 - suffisantes pour décentrer réellement la formation par rap¬ port à la logique intégrationniste. Au contraire, la prise en compte d'éléments de culture étrangère, en facilitant les transferts d'apprentissages, permettra d'en optimaliser les effets. Il est d'ailleurs significatif de remarquer que très régulièrement, c'est en terme de "formation à la cul¬ ture d'origine" que l'on pense pouvoir réduire des problèmes organisationnels, toujours présentés comme des dysfonc¬ tionnements pédagogiques. En l'occurrence, c'est en terme de formation des formateurs, et non en terme de restructuration des équipes, que l'on pense pouvoir remédier aux décalages qui apparaissent dans la formation des stagiaires. Il existe actuellement une surenchère pédagogique qui donne l'illusion de briser le cercle vicieux de la formation parce qu'elle en recule constamment les limites. Dès maintenant, il nous paraît opportun de faire pré¬ valoir les nécessités du pluralisme culturel dans le respect de l'identité de chacun en proposant des structures réelle¬ ment basées sur l'égalité des échanges, la symétrie des points de vue et la réciprocité des apports. La mise en place d'é¬ quipes d'animation elles-mêmes pluriculturelles nous paraît être en ce sens une première garantie que devrait renforcer ultérieurement la diffusion "en chaîne", c'est-à-dire l'ap¬ propriation par les milieux concernés, de l'initiative de l'animation et des capacités requises pour assurer la perma¬ nence de ses effets. c) Les disparités organisationnelles_et le_morcellement des programmes. Parce qu'elle s'adresse à des individus isolés, selon la logique du recrutement scolaire, la formation ne peut qu'opérer dans l'ignorance des régulations communautaires qui structurent et assurent la cohésion des milieux migra¬ toires. Le régime habituel d'une action de formation, pour peu qu'elle soit suivie, étant l'internat, la coupure qui s'opère d'avec le milieu d'appartenance va favoriser des com- - 53 - portements de rejet du milieu liés à l'acquisition d'un statut valorisant. L'accentuation des distances, entretenue par le sentiment de ne plus appartenir à un milieu sans tou¬ tefois appartenir à un autre, en multipliant les conflits d'identité va constituer un puissant facteur de déséquili¬ bre et de troubles. En opérant des regroupements et des dis¬ sociations sur des critères très souvent étrangers aux com¬ munautés migrantes, l'alphabétisation a pour effet de subs¬ tituer à des fonctions de régulation primaire (jeux, répar¬ tition des tâches, etc...) des comportements d'évitement ou d'isolement liés à la motivation, très profondément ancrée par la formation, que l'on ne peut "s'en sortir" qu'indivi¬ duellement . De surcroît, les caractéristiques du recrutement pour les adultes favorise des individus déjà largement acculturés, et que leur situation dissocie de la population de base. Ils se placent généralement dans une situation sociale que l'on pourrait qualifier d'émergée, de promotionnelle ou en voie de l'être, ce qui n'est pas suffisant pour engendrer un dé¬ veloppement en chaîne. Ce phénomène de "morcellement" se poursuit dans la con¬ ception même des programmes, dans la thématisation des sa¬ voirs et des connaissances transmis, dans l'organisation même du temps consacré à la formation et la répartition de son emploi. * Dissociation entre le monde du travail et la vie hors travail qui oppose formation professionnelle et initiation à la vie moderne sans qu'aucune transition ne permette d'a¬ border les problèmes qui se posent sur un plan en fonction des réponses que l'on apporte sur l'autre. * Dissociation des savoirs et des compétences selon des registres spécialisés et préétablis très peu susceptibles de mobiliser l'identification ou des motivations aptes à relayer un projet collectif. A un savoir "morcelé", difficilement - 54 - synthétisable, et dont l'effet le plus massif est de démar¬ quer de leur milieu d'origine les individus pouvant présen¬ ter des garanties formelles de son acquisition, ne peut que correspondre l'isolement et la "débrouillardise personnelle" comme issue la plus optimiste d'une action de formation. * Dissociation et budgétisation du temps de formation en fonction des différentes "matières", selon une program¬ mation extérieure très peu susceptible d'être articulée sur une prise de conscience progressive des besoins et des prio¬ rités variables selon les situations. Il n'est pas étonnant, il est même très compréhensible que dans ces conditions le temps de formation soit très communément vécu comme un temps de semi-loisir permettant d'échapper momentanément aux con¬ traintes caractéristiques du temps de travail. Tout se passe comme si actuellement, la formation, in¬ capable d'appréhender globalement la totalité d'une situa¬ tion s'efforçait d'en délimiter chaque problème de plus en plus finement, de façon à lui fournir une réponse partielle et spécialisée sans tenir compte de la manière dont pourrait être totalisés les effets d'une intervention aussi bien par les milieux concernés que par les responsables de l'anima¬ tion. On s'achemine ainsi vers une idéologie à "l'américaine", qui cherche pour chaque problème une réponse immédiate et conjoncturelle, sans aucun rapport avec une problématique d'ensemble. Et on sait que les USA, tout en consacrant à l'action sociale et à l'éducation des groupes minoritaires et des migrants des moyens supérieurs aux nôtres, ont échoué massivement dans leurs entreprises de déségrégation et de promotion collective. De surcroît, cette situation, loin de représenter un facteur de restructuration des milieux et de renforcement de la cohésion de ses membres accentue les clivages, exa¬ cerbe les oppositions et réduit considérablement les chances de minimiser les coûts sociaux, mais aussi psychologiques - 55 - d'une adaptation réellement fonctionnelle et différenciée. Tels nous paraissent être les enjeux d'une formation intégrée, de lier sur le plan même de la conception des pro¬ grammes d'intervention et des formes organisationnelles de leur mise en application, l'ensemble des problèmes que doi¬ vent affronter au niveau de leur vécu et durant leur séjour en France, les travailleurs migrants et leur famille. d) Un_ fonctionnement_de_type_scolaireJL Actuellement, tout le débat portant sur la formation des adultes ne semble pas pouvoir dépasser le cadre de ré¬ flexion que suggère le modèle scolaire d'éducation initiale. La pédagogie est toujours conçue comme une démarche permet¬ tant d'optimiser la transmission d'un savoir, dans une rela¬ tion inévitablement dissymétrique. En effet, dans cette pers¬ pective, le formateur est le seul^disposer du savoir alors que le groupe en formation en serait totalement démuni : ce manque initial étant d'ailleurs très communément conçu comme la raison d'être et l'unique justification de l'effort pé¬ dagogique . De ce postulat de base découle tout un ensemble de pratiques de formation aussi différentes à la limite que peuvent être diversifiées les méthodes permettant d'assurer le transfert. Notre propos n'est pas d'entrer dans le débat pédagogique, mais de signaler les limites du postulat qui le fonde. Accepter ce postulat, c'est inévitablement s'achemi¬ ner vers un ensemble de pratiques que nous avons décrites comme scolaires en ce qu'elles induisent : 1) Un type bien particulier de relation à l'intérieur des groupes (on privilégie les relations verticales au dé¬ triment des relations horizontales). 2) Des modalités d'évaluation basées sur le franchis¬ sement successifs de "niveaux" formels de connaissances : - 56 - c'est le système de l'examen et du diplôme qui le sanctionne. 3) L'acquisition - ou plutôt le stockage - d'un ensem¬ ble de connaissances dont il est très difficile d'apprécier la manière dont elles pourront être intégrées dans la vie quotidienne ou les projets à terme des stagiaires, sinon par la médiation du diplôme, dont on sait aujourd'hui qu'il ne garantit rien de cette relation. Là encore, il convient de faire état des réflexions que nous ont apportées de nom¬ breux moniteurs lorsqu'on les interrogeait sur l'utilité du savoir qu'ils transmettaient et que l'on pourrait résumer de la façon suivante : "faire des études, ça sert toujours, mais sans que l'on sache très bien à quoi". 4) L'apprentissage des rôles de soumission et de dépen¬ dance à l'égard du savoir établi et de son utilité supposée, l'affaiblissement des capacités d'analyse critique qu'ac¬ compagne l'intériorisation de la hiérarchie et du conformis¬ me. Très souvent, nous avons entendu les moniteurs nous con¬ fier que les stagiaires étaient parvenus en fin de stage à "prendre leur mesure", c'est-à-dire le plus souvent, la me¬ sure de leur handicap initial. 5) Tout cela est rendu possible par une infantilisa- tion du stagiaire adulte, le postulat du modèle scolaire étant qu'il s'adresse à des enfants. Ce processus peut être repérable à tous les niveaux du fonctionnement pédagogique : l'élève stagiaire est considéré comme une "table rase", il ne sait rien et il lui faut partir à zéro. A l'intérieur même du cours, on sanctionne les comportements de coopéra¬ tion ("il ne faut pas copier sur son voisin") en favorisant les comportements de compétition : le devoir sur table est très communément assimilé à des championnats, le rire et la moquerie de l'ensemble du groupe pénalise l'erreur ou l'hé¬ sitation de l'un de ses membres, etc... Ce type de fonctionnement n'a jamais eu d'incidence notoire sur une quelconque amélioration des conditions de vie des milieux immigrés ; il n'a jamais été, et ne pourra - 57 - jamais constituer un levier de transformation ni un facteur de changement des rapports qui se sont établis entre com¬ munautés et dont la dégradation des termes est d'ores et dé¬ jà prévisible. L'échec réitéré du fonctionnement scolaire à cet égard, abondamment décrit, analysé et critiqué, ne semble toutefois pas avoir suscité d'autres mesures qu'un renforcement des dispositifs mis en place et une surscolarisation dont on attend manifestement plus qu'elle ne peut apporter. La question de fond aujourd'hui est la suivante : Peut- on concevoir la formation autrement que comme un transfert de connaissances ? L'échec de la réponse pédagogique qui consiste à en¬ visager les mille et une manières d'aménager ce transfert, atteste qu'aujourd'hui une réponse positive à cette question doit être recherchée du côté d'une conception faisant de la formation la première démarche d'une réponse collective à une situation sociale d'ensemble. Ainsi, un processus de diffusion des effets pourrait constituer le support des transformations en cours. xoxoxoxoxoxox - 58 - 4 - MODELE D'ANALYSE DES SITUATIONS DE FORMATION ET METHODOLO¬ GIE DE L'INTERVENTION. Nous avons déjà établi comment l'opposition fonda¬ mentale entre l'entreprise (lieu des activités de production) et le quartier (lieu de la reproduction) (1) se traduisait dans la bipolarisation des programmes de formation pour tra¬ vailleurs immigrés : une polarité technique (la formation professionnelle) et une polarité sociale (l'apprentissage de la vie moderne). Cette bipolarisation que masque le voca¬ ble de "formation socio-professionnelle" se retrouve extrê¬ mement démultipliée selon un système de cloisonnement rigide des activités et opère de proche en proche, quel que soit le niveau institutionnel que l'on privilégie (2). Ainsi, l'isolement d'un apprentissage technique, des conditions sociales dans lesquelles il est appelé à s'exercer (division du travail dans l'entreprise, rapports sociaux de production), correspond à l'absence de technicité dans les programmes d'action sociale ou d'animation en milieu urbain et permet de faire comme si le domaine des apprentis¬ sages opératoires ou instrumentaux était réservé à l'entre¬ prise, alors que le quartier ne demanderait qu'à être "animé" en faisant appel aux seules techniques d'organisation des loisirs, elles-mêmes d'ailleurs réservées à des profession¬ nels de la question. L'état actuel des pratiques qui se substituent à une (1) Cette opposition extrêmement schématique demanderait un approfondissement des relations qui existent entre cha¬ que terme, dans le sens d'une mise en évidence de leur unité fondamentale. Nous ne l'utiliserons ici que de manière des¬ criptive . (2) On peut commencer par en repérer les effets dans l'op¬ position qui existe entre le Secrétariat à la Formation Pro¬ fessionnelle qui travaille avec le Ministère du Travail et le Ministère de l'Action Sanitaire et Sociale qui, très signifi- cativement, lie les problèmes de santé à ceux de l'animation sociale en s'adressant particulièrement aux non-productifs (enfants, vieillards, etc...). - 59 - démarche visant à retotaliser ces différents aspects assigne un double objectif à la mise en place d'une dynamique nouvel¬ le de la formation : celui de socialiser les apprentissages à polarité technique dominante, celui de techniciser les programmes où domine la polarité sociale. Pour toute une série de raisons qui tiennent prin¬ cipalement à la nature des difficultés rencontrées en entre¬ prise autour de la négociation des objectifs de la forma¬ tion (3), nous nous sommes centrés sur l'analyse des condi¬ tions dans lesquelles un processus d'animation/formation pourrait s'articuler sur une dynamique sociale repérable dans la sphère de la reproduction de la force de travail, no¬ tamment en fonction des problèmes que soulève l'insertion urbaine des groupes migrants (pratiques sociales et modèles de socialisation, logement, etc...) (4). L'expérimentation d'une nouvelle logique de la for¬ mation en milieu immigré qui relèverait du projet de décloi¬ sonner les savoirs, de lier les pratiques à la théorie, d'a¬ dapter les apprentissages à des objectifs concrètement défi¬ nis à partir de problèmes réels, revient donc à dégager des instruments méthodologiques permettant : 1. De fixer le canevas général d'une intervention particulière ; 2. D'identifier une situation précise par rapport à une analyse d'ensemble du mouvement migratoi¬ re (typologie). (3) Le refus de la part des entrepreneurs d'admettre que les conditions sociales de la production (division du tra¬ vail, etc...) font partie au même titre que l'apprentissage des compétences techniques que requièrent ces conditions, de la dynamique globale d'un programme de formation. (4) Une tentative de transposition du modèle que nous pro¬ posons aux problèmes que l'on rencontre en entreprise, réali¬ sée lors d'un séminaire commun avec les formateurs de l'IRAP (Juillet 1975) a confirmé des difficultés de transposition. Pour une large part, elles tiennent à l'abstraction sur laquel¬ le repose un quelconque "discours de la méthode",pour une part aux limites de la "négociation des objectifs" dont la na¬ ture procède en dernière analyse d'un rapport de force ins¬ titutionnalisé (cf. Gilbert Beaugé, Colloque Menton). - 60 - Ces instruments n'en sont encore qu'au stade de l'élaboration, mais deux voies sont désormais praticables dans l'optique de leur approfondissement : la mise en place d'une diversification d'actions de formation, compte tenu de la nature des problèmes abordés (cf.dans -la 5ème partie, Pro¬ jets d'intervention) ; l'approfondissement de l'analyse des déterminants globaux des mouvements migratoires. L'évaluation critique des pratiques pédagogiques profondément marquée par le modèle scolaire, a permis de s'écarter du ,.schéma des "progressions" par niveaux se réfé¬ rant aux classes successives de l'école primaire. Il s'agit, dans la construction d'une nouvelle méthodologie,de recourir de façon systématique à tous les moyens permettant de si¬ tuer l'action de formation dans un contexte socio-économique. Il ne s'agit donc pas d'apporter des amendements à telle ou telle méthode déjà expérimentée par les spécialis¬ tes de la pédagogie, mais de situer notre champ d'interven¬ tion en dehors de ce cadre, c'est-à-dire de considérer l'ap¬ proche de manière synthétique dans un souci de transposabi- lité. Les caractéristiques d'une telle action ne peuvent être définies qu'à partir de l'énoncé des objectifs qu'elle se propose d'atteindre. 4.1. Caractérisation de la démarche : la mise en place. 4.1.1. Modèle méthodologique : éléments pour une typologie. La caractérisation de l'ensemble des déterminants qui participent à la définition d'une action de formation, s'impose en tout premier lieu. En effet, remarquons que si cette nécessité apparaît, c'est que, plus généralement, les dispositions instituant les différentes étapes et démarches à suivre pour y parvenir tiennent lieu de méthode et mas¬ quent leur nécessité sous la complexité des procédures, in¬ terdisant du même coup de s'interroger sur leurs finalités. Un "discours de la méthode" poursuit donc ici une double fonction : une fonction critique par rapport à l'or¬ donnancement des régulations administratives usuelles, elles mêmes extrêmement variables, et une fonction positive de guidage (une méthode se définissant comme un système logi¬ que susceptible de participer à une meilleure appréhension du réel). Dès lors, l'enjeu recherché dans la mise en place d'une opération de formation se situe à un double niveau : en amont, dans le repérage des déterminants institutionnels et politiques globaux ; en aval, dans la détermination des différentes phases d'une intervention. La mise en évidence d'un modèle formel permettant de caractériser une action d'une manière suffisamment géné¬ rale pour y intégrer la diversité des situations possibles, mais suffisamment précise aussi pour ne pas retomber dans les incertitudes du modèle scolaire, conduit à articuler la réflexion et la pratique sur trois registres complémentai¬ res : 1. Celui des finalités : une formation doit être organisée en vue d'atteindre un objectif (0) ; 2. Celui de la population concernée : une action se spécifie à partir du milieu qu'elle concerne directement (EM) ; 3. Celui des contenus : elle est centrée sur des problèmes (Pb). Les éléments méthodologiques initiaux qui ne pré¬ jugent en aucun cas de la définition des progressions, du recrutement des stagiaires ou des animateurs, de l'élabora¬ tion pédagogique, etc..., mais qui concourent à la clarifi¬ cation de l'ensemble des étapes d'une opération particulière demandent à être définis terme à terme. Nous envisagerons ensuite la dynamique qui s'établit entre ces trois éléments selon l'hypothèse que l'on forme sur l'un de ceux-ci, ou sur plusieurs, en fonction de la situation concrète rëncontrée - 62 - lors de la mise en place d'une opération. Cette démarche nous permettra de développer les bases d'une typologie des situa¬ tions de formation. Nous terminerons cette partie en essayant de carac¬ tériser la séquence méthodologique d'une gestion de formation, en tenant compte de certaines structures typiques de la phase de mise en place. 4.1.2. Une action réglée sur objectifs. Les caractéristiques d'une action d'animation/forma¬ tion ne peuvent être définies qu'à partir de l'énoncé des objectifs qu'elle se propose d'atteindre. Cela peut paraître évident, mais très généralement, ce sont les évidences qui posent problèmes. Par objectif, il ne s'agit pas d'entendre l'apprentissage de la lecture ou de l'écriture qui, à cet égard, ne peuvent être considérées comme des moyens, ni même, sans plus de précisions, "une meilleure insertion sociale" qui renvoie toujours à des abstractions masquant les incer¬ titudes. Il s'agit de l'énoncé détaillé d'objectifs précis tels qu'"un usage plus régulier des équipements sociaux existants", ou que "la participation active à une associa¬ tion" , etc... Les équipements sociaux sont définissables : il peut s'agir d'un centre social, d'une maison de quartier, éven¬ tuellement d'une laverie collective, etc... Par ailleurs, la régularité des usages est également évaluable. Il peut aussi s'agir d'accroître la productivité du travail agricole, ou de mettre en cause le fonctionnement d'une coopérative, comme cela a généralement été le cas des programmes de formation en liaison avec les réformes agraires dans le Tiers-Monde. Tout ce qui précède indique déjà suffisamment qu'un énoncé détaillé et minutieux des objectifs à atteindre ne peut être réalisé que cas par cas et situation par situation, au terme d'une étude de milieu permettant de préciser la na¬ ture des priorités et l'importance des problèmes qui s'y po¬ sent. - 63 - C'est en fonction de l'objectif à atteindre que l'on pourra ultérieurement définir les différentes phases du programme, rectifier les démarches par des évaluations successives en cours d'intervention, et éventuellement di¬ versifier les appréciations initiales portant sur l'acqui¬ sition et le contenu des séquences pédagogiques intermé¬ diaires . Le principe de formation schématisé par la formule "répondre aux besoins" est voué à l'échec si l'on ne répond pas à d'autres besoins que strictement pédagogiques. Il est bien évident, du fait de la dynamique des rapports sociaux,que l'énoncé des objectifs masque en réa- lité les conditions de leur négociation et que l'on ne sau¬ rait insister sur la nécessité de les définir sans évoquer le déterminisme social qui spécifie cette opération. Nous évoquerons ultérieurement ces difficultés en remarquant pour 1'instant : 1. Que très généralement, lorsque les objectifs ne sont pas définis ou restent implicites, c'est qu'ils s'ins¬ crivent dans la logique sociale dominante ; 2. Que lorsque c'est le cas, les conflits que cris¬ tallise la négociation des objectifs ne sont pas résolus pour autant, mais réapparaissent en cours d'opération avec les risques d'échecs que comporte cette éventualité ; 3. Que la seule manière d'éviter le conflit lors¬ que les objectifs n'ont pas été négociés, c'est de rempla¬ cer les structures de contrôle avec la certitude d'échec que comporte cette démarche. 4.1.3. Associer le milieu concerné. Une telle action doit permettre de s'adresser non pas à des individus isolés, mais à une collectivité, c'est- à-dire à un milieu principalement défini par la communauté des problèmes sociaux qu'il doit affiDnter. Il est important - 64 - de souligner dès maintenant qu'il peut s'agir d'une commu¬ nauté d'habitat (le quartier, le bidonville, etc...), mais que ce critère n'épuise jamais ni la signification d'un milieu social, ni les fonctions qu'il assume. Tel quartier caractérisé par une très forte mobilité (turn over) de ses membres, va assurer une fonction d'accueil et de plaque tournante de l'immigration et soulèvera des problèmes tout- à-fait différents de ceux qui se poseront au niveau d'un quartier de peuplement à forte immigration familiale. Par ailleurs, un milieu peut être principalement caractérisé par la structure interculturelle et plurinationale du sys¬ tème relationnel qui le définit. Sans entrer davantage dans la définition d'un mi¬ lieu social, remarquons simplement qu'en termes de fonction¬ nement institutionnel, ce premier aspect soulève la question du recrutement des stagiaires, question étroitement liée aux caractéristiques de la sensibilisation et de l'information des populations concernées. Le but ne peut être atteint que si l'on parvient à créer des pôles d'animation à l'intérieur même des communau¬ tés, susceptibles d'amorcer un développement "en chaîne" des effets de l'action entreprise et une réappropriation collec¬ tive de l'initiative. Cet aspect peut être garanti notamment en visant à la promotion d'un statut professionnel d'animateur pour les individus qui, en cours de stage, manifesteraient des dispo¬ sitions particulières pour être des agents actifs de trans¬ formation et de développement. 4.1.4. Une formation centrée sur "problèmes". Très généralement, les "problèmes" que l'on rencon¬ tre lors d'une opération de formation, sont ceux qui tien¬ nent aux "résistances" du milieu après que les objectifs aient été imposés par la technostructure. Par opposition, l'étude préalable doit permettre, en associant progressive- - 65 - ment le milieu concerné à la définition et à la clarifica¬ tion des problèmes auxquels il est régulièrement confronté, d'élaborer communément les moyens à mettre en oeuvre pour y faire face. Partir des problèmes que rencontrent quotidienne¬ ment les gens et envisager comment un programme de formation peut s'y articuler pour contribuer à leur résolution, c'est également rechercher la base motivationnelle de 1'animation/ formation. Plus généralement, la caractérisation de la nature des problèmes vécus par une communauté nécessite que soit pris en compte le degré de mobilisation qu'ils entraînent. Ceci nous renvoie dans l'exposé de la notion de "problèmes" à en délimiter le champ et à préciser les critères de sélection. Dans un premier temps, on pourrait appeler problè¬ mes tout un ensemble de déterminants objectifs ressentis né¬ gativement par les individus concernés. Cela se traduit gé¬ néralement dans les faits soit par l'absence d'infrastruc¬ tures nécessaires à la vie de la collectivité (équipements sociaux, médecins, logements, etc...), soit à un autre pôle/ par l'apparition de contradictions internes à une communau¬ té . Les critères de sélectivité qui en découlent, afin d'en hiérarchiser l'importance, appartiennent et renvoient à la collectivité. En effet, toute initiative a priori, c'est-à-dire qui imposerait ses propres critères, et qui, donc, ne chercherait pas à associer par le partage des res¬ ponsabilités et la délégation de la décision la fraction la plus large possible des milieux concernés, se heurterait rapidement à l'absence de motivations et à la résistance polie, mais très souvent aussi résolue/le sentiment qu'une fois de plus l'action en cours ne répondra pas aux vraies finalités recherchées par la communauté. Ce type d'intervention s'oppose à l'apprentissage de type scolaire dont les objectifs sont toujours différés et jamais directement saisissables, mais également aux ap¬ prentissages professionnels stricts dont les débouchés très souvent aléatoires (5) font l'objet d'illusions d'autant plus dangereuses que la formation n'aura aucune prise sur l'évolution globale de la structure de l'emploi (6) et de¬ meurera très souvent incapable même de la garantir. Cet aspect, toutefois, demande à être nuancé et plus que toute autre la nécessité de le régler cas par cas s'impose, compte tenu de la complexité des problèmes qu'il soulève. En premier lieu, chaque fois que la possibilité nous en sera donnée, il nous paraît opportun de définir un programme de formation professionnelle directement articulé sur des perspectives de développement définies et offrant des possibilités d'emploi. A cet égard, deux situations sont radicalement différentes selon que l'on considère les pers¬ pectives de l'emploi en France ou celles que peuvent offrir les pays d'origine, dans l'hypothèse éventuelle d'un retour. Dans cette seconde hypothèse, les situations sont également extrêmement variables selon les pays concernés. Les problè¬ mes liés à l'emploi algérien, où existe une planification et où les opérations de développement économique sont rela¬ tivement isolables, sont difficilement comparables aux pro¬ blèmes que suscite une économie dans laquelle le marché est . le principal régulateur de l'emploi et où les prévisions, même dans le court terme, s'avèrent' relativement peu fiables et incertaines. En second lieu, dans chaque cas, de façon à ne pas perpétuer la confusion entre des activités d'assistance et des activités de formation, il s'agira de progresser vers (5) Environ 50% des sujets formés selon une filière tech¬ nique exercent deux ans après leur apprentissage le métier auquel ils ont été formés. (6) On a même vu que c'était l'inverse ! Les effectifs en formation augmentent actuellement, alors que diminuent les possibilités d'emploi. - 67 - l'acquisition d'aptitudes et de capacités propres à garan¬ tir aux intéressés une relative autonomie, aussi bien sur le marché de l'emploi que dans les modalités de leur inser¬ tion sociale. Apprendre à utiliser les filières déjà existantes de,formation professionnelle ; savoir ce que l'on peut en attendre ou pas ; procéder à une évaluation critique des mérites et des inconvénients comparés de l'ensemble des réponses possibles dans une situation problématique ; être apte, en tout état de cause, à formuler un choix efficace dans une situation de mieux en mieux contrôlable ; tels nous paraissent être actuellement les objectifs d'une for¬ mation soucieuse d'accroître progressivement l'autonomie des milieux immigrés. Ce type d'action passe par la définition de sous- objectifs techniques (lecture/écriture), dont il serait ha¬ sardeux de vouloir poser a priori l'intérêt universel, mais dont l'opportunité doit être définie en fonction des objec¬ tifs prioritaires de chaque intervention. Par ailleurs, c'est dans le repérage et la prise en considération des problèmes les mieux susceptibles de mobiliser l'identité culturelle des milieux migrants que nous pensons trouver une garantie à l'efficacité de l'ac¬ tion entreprise et du caractère durable de ses effets. Une action qui ignorerait l'aspect déterminant des motivations liées aux spécificités culturelles des populations migran¬ tes, s'interdirait très rapidement de représenter autre chose qu'un relais de la domination d'une société sur l'au¬ tre et un renforcement de la dépendance qui, actuellement, définit ces rapports. Ceci pourrait s'effectuer dans le sens d'un appro¬ fondissement des problèmes que suscitent les conflits tant sociaux qu'individuels, liés au décalage entre les modes de vie et les régulations sociales propres à chaque commu¬ nauté . - 68 - Contrairement à tout ce que nous avons pu observer jusqu'à maintenant où l'abord des situations conflictuelles semble frappé d'un ostracisme que rien ne permet de compren¬ dre si ce n'est la hantise de mettre l'accent sur un aspect des problèmes dont on craint de perdre très rapidement le contrôle, tout nous porte aujourd'hui à penser que l'analy¬ se du conflit en tant que tel constitue la principale voie d'accès à la totalité des problèmes que doit affronter une communauté. De nombreuses raisons militent en faveur de cette conception : D'une part, et que cela soit ou non souhaitable, il faut bien reconnaître que le conflit représente dans une très large majorité des cas, le mode privilégié de résolu¬ tion des contradictions et des tensions sociales. Alors qu'une situation "normale" dissimule tout un ensemble de problèmes latents qui ne demande qu'à apparaître à la moin¬ dre circonstance, le conflit représente le moment privilé¬ gié où se "condensent" toutes les données d'une situation. D'autre part, c'est à partir d'une analyse des causes que manifeste une situation conflictuelle, des formes de résolution qu'il prend, et des blocages qu'il signale que peuvent être discernées les voies possibles d'une issue so¬ cialement moins coûteuse. Que cet aspect ait été jusqu'alors méconnu, expli¬ que dans une très large mesure l'imprévisibilité totale de¬ vant laquelle nous nous trouvons placés face à l'émergence d'un mouvement d'une quelconque importance, et signale qu'on a accordé beaucoup plus de crédit à la façon de réduire le conflit qu'à la manière de le prévenir. Il souligne également l'urgence d'une démarche qui prenne réellement en charge l'ensemble des problèmes à leur niveau le plus concret. L'expérience acquise au contact des milieux migrants enseigne que deux aspects sont particulièrement décisifs à cet égard : - 69 - a) la prise en charge des conflits d'identification consécutifs à l'ambivalence des références à la communauté d'appartenance et/ou à la société d'accueil. Ce point est particulièrement déterminant en ce qui concer-e la mainte¬ nance de la cohésion de l'espace familial. b) la prise en charge des conflits qui marquent le rapport entre les milieux immigrés et la société d'accueil, tant sur le plan de l'entreprise (grèves des chantiers na¬ vals) que sur celui de l'insertion urbaine (événements de Marseille, de Grasse, etc...). 4.1.5. Une formation "intégrée". Les objectifs d'une action de formation telle que nous venons d'en décrire les principales composantes, ne pourront être atteints que si l'on parvient à intégrer réel¬ lement ses différentes phases selon un schéma cohérent vi¬ sant l'unification des démarches entreprises. Qu'entendons-nous par formation réellement inté¬ grée ? Là encore, les procédures ne sont pas données d'avance et demeureront l'un des domaines de la recherche. Remarquons toutefois qu'il s'agit d'un travail constant de mise en relation visant une série de totalisations successives et partielles qui s'opposent à la tendance spontanée des anima¬ teurs ou des stagiaires à restreindre le champ de l'inter¬ vention en parcellarisant ces différents aspects : "Ils manquent de compréhension critique face à la "totalité" ; ils la perçoivent par petits morceaux sans y voir les interac¬ tions qui déterminent la totalité et en définitive, celle- ci leur échappe" (7). C'est dans l'organisation même de l'action de for¬ mation que doit être inscrite la possibilité que puisse jouer une tendance à l'intégration, car le degré d'intégra¬ tion d'une formation n'est jamais garanti d'avance ; il ne (7) Paolo Freire. Pédagogie des opprimés. Petite collec¬ tion Maspero. p. 91. - 70 - s'agit que d'un processus permettant de renforcer en perma¬ nence la cohésion des divers aspects qu'elle comporte. Dans un premier cas, l'objectif à atteindre est défini avant toute considération d'enquête de milieu et de définition des programmes. Les deux dernières étapes n'inter viendront qu'en tant que support à la réalisation des objec¬ tifs assignés initialement. Dans un second cas, l'urgence des problèmes rencon¬ trés par une communauté sont tels que les objectifs à attein dre s'imposent d'eux-mêmes et réalisent généralement l'una¬ nimité du corps social ; dans ce cas, l'étude de milieu a pour fonction de préciser les conditions de la mise en oeuvre des objectifs. Et enfin, dans un troisième cas, et dans le cadre d'une logique expérimentale, la priorité accordée à l'en¬ quête-participation inspire la totalité des démarches ulté¬ rieures . Dans ce qui suit, nous développerons les implica¬ tions de ce schéma dans la perspective de fournir un ins¬ trument pour l'analyse des types (8) de situations rencon¬ trées . 4.2. Définition des situations. Structures types. Il convient à ce stade de faire l'analyse des si¬ tuations possibles à partir des trois fondements théoriques que nous venons de définir. (8) Types dans le sens où elle rend des schémas théori¬ ques qui définissent une réalité à partir de données obser¬ vables réduites à un certain nombre de variables saisissa- bles et analysables. Il va sans dire que dans les situations vécues, on trouve rarement des logiques aussi pures et que souvent des éléments indépendants viennent en modifier le modèle : toujours est-il que cette démarche a l'avantage de clarifier un ensemble de propositions et de permettre par là même de fournir une méthodologie applicable à l'ensemble des situations de formation. - 71 - Il convient cependant de noter que la démarche est abstraite, "idéal type", et que dans la réalité, même dans les contextes se rapprobhant le plus du modèle formel, nous rencontrons presque toujours des situations mixtes où l'hé¬ térogénéité des variables nécessite d'infléchir le schéma théorique.Quoi qu'il en soit, il faut beaucoup plus voir dans cette démarche une tentative de clarification d'orien¬ tation en matière de processus-formation, qu'une stratégie miracle qui marcherait à tous les coups. A partir de trois pôles : objectif (0), problème (Pb), milieu (EM), nous supposons les combinaisons suivantes possibles (9) : 1) Dans la situation de type 1, l'objectif à atteindre est fixé en dehors de toute observation des conditions par¬ ticulières auxquelles il est assigné. Ce sont généralement les propositions qui émanent des institutions dominantes , lesquelles élaborent leurs projets à partir des canaux dé- terminés par la législation (loi 1971, loi Granet, etc...). Pour préciser, il s'agit le plus souvent de formations à finalités professionnelles (au sens d'acquisition instrumen¬ tale en vue d'une promotion professionnelle, ou en vue de posséder une technique pour occuper un poste de travail). Ce point appelle une série de réflexions et cette situation ne va pas sans poser des problèmes, car, précisément, elle nous semble être à la charnière entre les besoins d'une (9) Cf. Tableau récapitulatif p.84. - 72 - technostructure et les aspirations des communautés concer¬ nées. L'alternative qui s'en suit est soit l'acceptation de l'objectif par la communauté, soit l'émergence de ten¬ sions qui peuvent engendrer des conflits. Dans la logique que nous venons de proposer, les démarches finales ne seront en quelque sorte que le support de la réalisation de l'objectif et n'interviendront que comme moyen de moduler les intérêts d'un groupe particulier. En ce sens, l'étude de milieu ne suscitera que la défini¬ tion des obstacles dans la marche aux objectifs, ou n'inter¬ viendra que comme palier de "négociation" entre les finali¬ tés déterminées et les oppositions manifestées. Il est clair que ces situations sont les plus souvent rencontrées, parce qu'émanant d'une logique sociale actuellement domi¬ nante. De nombreux exemples peuvent illustrer ces situations. Le plus remarquable est celui d'un certain nombre de stages professionnels destinés aux jeunes qui sont le plus souvent ressentis par les adolescents comme poursuivant les finali¬ tés d'un chômage différé. La situation de type 2 se situe à l'autre pôle. C'est prioritairement de l'étude de milieu que naîtra la totalité des démarches suivantes. Dans cette perspective, qui relève beaucoup plus d'une logique expérimentale que de projets institutionnels, l'autorité des sujets concernés est dominante. Il s'agira pour le milieu de caractériser collectivement quels sont les problèmes essentiels qui se posent à la communauté et ensuite d'en induire des objec¬ tifs techniques, culturels, et/ou institutionnels qui per¬ mettent à celle-ci d'accéder à un état supérieur. Là encore, il ne faut pas préjuger de l'homogénéité de la situation. En fait, la définition de l'objectif n'est généralement pas toujours abstraite de pressions institutionnelles ; pres¬ sions qui se caractérisent par le biais d'un contrôle ré¬ clamé par l'instance de financement. Nous sommes ici, une fois de plus, plus proches d'une situation mixte que d'un schéma pur. Les aspects interpersonnels (autorité de la collectivité) et les aspects institutionnels se retrouvent - 73 - en interaction. Si l'on pousse jusqu'au bout le raisonne¬ ment, il convient de penser à terme que le problème princi¬ pal posé devant la communauté deviendra l'analyse des fac¬ teurs et des conditions du contrôle institutionnel. On se rend bien compte dès lors, que la limite entre problème posé par la présence d'institution et l'objectif poursuivi par cette même institution sont renvoyés devant la communau¬ té comme obstacles à une définition réelle d'un but à atteindre. Prenons par exemple la séquence de type EM-O-Pb. Il s'agit là d'une situation où l'étude de milieu permettra la mise à jour des objectifs plus ou moins explicités d'une communauté, ou d'une fraction de cette communauté ; l'objec¬ tif, pour être atteint, nécessitant que l'étape formation soit centrée sur les problèmes à résoudre que l'on ne ren¬ contre logiquement qu'en fin de course. Supposons un fait concret : le cas souvent rencontré de femmes maghrébines désirant accéder à une formation professionnelle. L'objec¬ tif sera donc de s'insérer dans le marché de l'emploi. L'analyse de milieu peut révéler une série d'obstacles te¬ nant au statut de la femme dans la société musulmane, aux difficultés techniques (faire garder les enfants, présence de crèches, etc...), aux difficultés économiques dues à l'augmentation des charges (suppression du salaire unique, prix des transports, etc...). Si l'on suppose que la forma¬ tion peut intervenir dans cette perspective, en fait, on s'aperçoit très vite qu'il s'agit de faux problèmes et qu'en définitive, on se trouve renvoyé à d'autres détermi- nismes qui dépassent de loin la formation et qui se trouvent économiquement liés à la conjoncture du marché de l'emploi. Dans ce cas précis, les objectifs que l'on assigne à la formation se trouvent vidés de leur contenu et renvoient à une autre logique. En définitive, il convient donc dans chaque situation, d'examiner très précisément les limites qu'imposent les obstacles extérieurs à la définition d'un objectif de formation, si l'on ne veut pas créer des deman¬ des qui risqueraient de ne pas être satisfaites. Un dernier type de situations représentées par les - 74 - séquences Pb-EM-0 et Pb-O-EM, renvoie à un contexte social dans lequel les problèmes vécus par la communauté impulsent une telle dynamique que les objectifs qui en découlent s'im¬ posent rapidement. L'étude de milieu intervient dans ce schéma comme élément de détermination des mécanismes de régulation nécessaire à la réalisation de l'objectif. Ce type de situation se rencontre plutôt en période de conflit aigu. Il pourra s'agir soit de tensions entre communautés différentes, soit de conflits qui opposent une communauté dans son ensemble à une institution. La caractéristique de cette situation par rapport aux précédentes est qu'elle se présente plutôt comme une situation-limite et peut dans certains cas dépasser les cadres des problèmes immédiats à résoudre. A terme, ce qui distingue les situations réelles des situations-types, c'est non pas la plus ou moins grande précision dans la définition des éléments méthodologiques, mais bien plus par les distorsions qu'introduisent les ins¬ titutions extérieures qui viennent modifier les stratégies d'intervention définies. L'institution intervient comme élé¬ ment surdéterminant l'application d'un processus de forma¬ tion. Ces présupposés introduisent dans la dynamique des situations des éléments qui se forment sur trois registres au moins : 1. Celui de l'insertion du programme dans la dyna¬ mique sociale du milieu auquel on le destine ; i 2. Celui du passage entre la mise en place d'une opération et l'amorce des séquences proprement pédagogiques ; 3. Celui du rapport qui s'instaure entre le support institutionnel d'une action et la nature des objectifs qu'elle se propose d'atteindre. Sur le premier plan de la sensibilisation du mi¬ lieu et de la négociation des objectifs, le premier obstacle à éviter est que l'action entreprise apparaisse comme une - 75 - action "parachutée", totalement extérieure au milieu et étrangère aux préoccupations immédiates vis-à-vis desquelles un groupe organise sa vie, règle la nature des relations qui existent entre ses membres et aménage collectivement son devenir. Sur le plan de la sensibilisation et de l'informa¬ tion, il paraît donc nécessaire d'utiliser au mieux les ré¬ seaux formels ou informels d'influence ou de décision. Les études déjà réalisées en ce domaine révèlent l'importance de la "famille étendue" comme réseau de coopération, d'influen¬ ce et d'entraide déterminant dans la structuration sociale d'un bidonville., Mais, plus généralement, à l'échelon d'un quartier, il s'agira de mettre à contribution les structures déjà en place (groupements de jeunes, MJC, Comités de quar¬ tier, Associations Sportives, etc...). Sur le plan de la définition des objectifs, l'abso¬ lue nécessité d'une étude de milieu préalable s'impose, per¬ mettant d'apprécier très rapidement les principales données d'une situation, 3on évolution probable, ainsi que les pro¬ babilités de succès de telle ou telle stratégie d'interven¬ tion. Le passage de la mise en place de l'opération à l'intervention proprement dite constitue une phase particu¬ lièrement délicate dans la mesure où il s'agit d'éviter deux types de risques : 1. Celui que l'intervention n'apparaisse comme la mise en application systématique de tout ce qui avait été établi dans la phase initiale sans qu'aucune possibilité de réévaluation n'intervienne. Cette question soulève deux problèmes organisationnels distincts : a) celui de boucles de régulation interne du processus de formation ; b) celui du rapport de la structure institution¬ nelle directement responsable de l'opération aux instances de contrôle auxquelles elle est subordonnée. - 76 - 2. Celui d'une déperdition de contenu relatif aux objectifs, consécutif à une sous-évaluation des contraintes exercées par la technostructure ou à une absence de concer¬ tation dans la phase initiale. C'est pourquoi 1'intégration d'une action de forma¬ tion doit prioritairement être obtenue dans le rapport qui détermine les caractéristiques de son support institutionnel et la nature des objectifs qu'elle s'assigne. Nous revien¬ drons plus longuement sur l'aspect institutionnel du projet, mais signalons dès maintenant qu'une des implications du fonctionnement par objectifs impose que nous disposions d'une structure souple extrêmement flexible susceptible d'une ac- comodation rapide aux changements de situation. En effet, ce type de fonctionnement s'accommode très mal des lourdeurs administratives habituelles et requiert une rapidité d'exé¬ cution que n'offrent généralement pas les dispositifs actuel¬ lement en place. 4.2.1. Dynamique des situations possibles. Les trois paliers de la mise en place d'une opéra¬ tion de formation : 1. La négociation des objectifs (0) 2. L'association du milieu (EM) 3. La centration sur les problèmes (Pb), ne sauraient être interprétés comme un ordre séquentiel, mais au contraire comme les composantes d'une structure dont cha¬ que situation particulière déterminera la nature des rela¬ tions existant entre les éléments qui la composent. L'analyse de chaque situation permettra éventuellement de faire appa¬ raître un ordre de succession entre chaque phase et induira une méthodologie appropriée. Cette méthodologie sera extrê¬ mement différente selon que la situation rencontrée imposera un objectif à atteindre, ou exigera qu'une réponse soit don¬ née à une situation "problème". Il est extrêmement rare qu'une opération soit déclenchée au terme d'une étude de mi¬ lieu et que la définition des objectifs et la mise en évi- - 77 - dence des problèmes lui soient subordonnées. Comme cette séquence s'inscrit dans la logique même des actions expérimentales ou pilotes dont nous fourni¬ rons des exemples dans la cinquième partie, nous y insis¬ terons davantage. 4.3. La séquence méthodologique du processus de forma¬ tion ; ses différentes phases. 4.3.1. Le recrutement des stagiaires. Cette démarche essentielle, car elle va condition¬ ner le déroulement de l'ensemble du programme, demande une attention particulière. C'est toujours en fonction de la dynamique de la mise en place et à la charnière de cette phase avec la séquence de formation proprement dite que doit être résolue cette question. C'est également lors de cette phase que se joue le caractère "intègre" de l'ensemble du programme. Si l'on revient sur les dispositifs habituels de recrutement, qu'il s'agisse d'utiliser les réseaux institu¬ tionnels en vigueur de diffusion de l'information, ou qu'il s'agisse de faire appel aux diverses régulations administra¬ tives, on se rend compte que cette logique fait du recrute¬ ment une question individuelle (10). Afin de maintenir de bout en bout du programme une démarche inspirée par la même logique (caractère "intègre" de la formation), il nous pa¬ raît nécessaire, en ce qui concerne le recrutement des sta¬ giaires, d'insister particulièrement sur les trois points suivants : 1. Les sujets recrutés doivent être directement con¬ cernés par la réalisation des objectifs du programme. C'est dire que d'une façon ou d'une autre, il est nécessaire que les stagiaires soient partie prenante de leur réalisation,au sens où ils relèveraient d'une insertion sociale susceptible (10) Type de cette démarche, l'opération Granet utilisant les listes d'inscription à l'ANPE, a généralement recruté ses stagiaires par voie postale ! - 78 - d'en faire des agents actifs de transformation des situa¬ tions rencontrées. 2. Cette condition elle-même ne peut être atteinte que si l'on associe étroitement le milieu aux procédures de sélection et aux motivations des participants. Il est bien évident que cette démarche a très peu de chances de recouper les catégories usuelles de repérage des stages ou de défini¬ tion administrative d'une cohorte (critère d'âge ou de sta¬ tut social). 3. Cet aspect soulève la question de l'homogénéité du groupe en formation qui doit être résolue en fonction des capacités de chacun à participer ultérieurement à la redif¬ fusion "en clair" des effets du programme. Du point de vue de l'organisation, cette démarche suggère la possibilité de s'adresser alternativement pendant la durée de l'intervention à l'une ou l'autre des catégories (jeunes, femmes, etc...) qui ne participent pas directement au programme, mais sont susceptibles d'en infléchir le dérou¬ lement périphérique, compte tenu des fonctions sociales que ces catégories assument à l'intérieur des communautés. On ne peut toutefois espérer de la campagne initiale de motivation, qu'elle infléchisse de manière décisive la façon dont la demande sociale de formation est conditionnée par les structures socio-économiques globales (attente d'une promotion, etc...). Il s'agira, sur ce plan, d'accentuer la dynamique de participation en essayant d'utiliser notamment au maximum les infrastructures sociales existantes. 4.3.2. La constitution de l'équipe d'intervention. L'expérience a montré qu'une méconnaissance des conditions interculturelles de la relation pédagogique dans une situation de formation produit des dysfonctionnements réels dans les communautés concernées et renvoie à des mani¬ festations d'incompréhension entre formateurs et formés. La _ 79 - constitution d'équipes pluriculturelles sera l'occasion d'impulser une dynamique nouvelle dans les relations entre Français et immigrés, participant à l'innovation d'une pra¬ tique commune et collective. Il nous a été donné, par ail¬ leurs, au cours d'entretiens avec des travailleurs sociaux, de constater le peu d'informations que ces derniers possé¬ daient sur la connaissance des milieux immigrés dans les¬ quels ils interviennent. Dans cette perspective, l'institu¬ tion pourrait être le lieu et l'occasion donnés aux Français de s'initier à une culture différente de la leur, et par là même d'être capables de devenir des relais informateurs à l'intérieur de leur propre institution. Il ne s'agit évidem¬ ment pas de constituer des séminaires ethnographiques sans rapport avec la vie pratique des immigrés, mais de permettre, au cours d'interventions, d'associer des travailleurs sociaux au processus de formation. 4.3.3. Les progressions. La question des progressions est extrêmement déli¬ cate dans la mesure où la notion de programme articulée sur un ordre croissant des difficultés logiques rencontrées ne peut, de toute évidence, constituer l'axe directeur des pro¬ gressions proposées, bien qu'il faille toutefois lui accor¬ der une fonction régulatrice importante dans la logique d'un apprentissage. Nous traiterons la question des progressions sur trois paliers distincts mais interdépendants : 1. Celui de l'élaboration du calendrier, 2. Celui de la définition des séquences, 3. Celui du découpage des séquences en séances successives. 1. L'élaboration du calendrier doit tenir compte des contraintes externes très importantes lorsqu'il s'agit d'atteindre un objectif en zone rurale, mais très générale¬ ment, il s'agira de rendre compatible l'action de formation - 80 - avec la poursuite des activités habituelles des communautés concernées. La programmation du temps de formation doit per¬ mettre d'ajuster les progressions aux objectifs que l'on souhaite atteindre. La disponibilité des participants doit également être pensée en fonction du temps de mobilisation,de stabili¬ sation ou de rappel des connaissances acquises ou à acquérir de manière à être compatible avec les lois fondamentales de l'apprentissage (transfert, renforcement, etc...), elles- mêmes fort variables selon les cultures et le degré de moti¬ vation des participants. La variabilité des ressources opératoires d'une culture à l'autre et les possibilités d'usage que l'on peut penser en faire n'est pas non plus indépendante du découpage temporel que l'on tente de réaliser. 2. La définition des différentes séquences devra tenir compte de l'ordre de priorité attribué aux différents problèmes qu'abordera le programme : cette condition sera déterminante dans les situations à polarité sociale domi¬ nante . Mais la succession de l'ordre des opérations pra¬ tiques à réaliser, doublée par ]a cumulativité des savoirs dans certains domaines (sans que ces deux aspects obéissent forcément à des logiques temporelles identiques) devra éga¬ lement faire l'objet d'une élaboration minutieuse avant que soient déterminées les grandes lignes du calendrier. 3. Le découpage des séquences en séances successives s'organisera en fonction des thématiques abordées et de l'usage que l'on pense faire des différentes "disciplines". En ce qui concerne l'usage de la langue et éventuellement son apprentissage, le problème fondamental sera celui du repérage du "niveau de langue" optimal, compte tenu de la dynamique globale de la formation. Il n'est pas question de transmettre - 81 - les règles de correction usuelles qu'implique un usage "mondain" du langage, mais d'utiliser au mieux les ressour¬ ces linguistiques dont dispose le groupe pour affronter les situations qu'aborde le programme. La langue de l'atelier, la langue de la communauté ou celle des échanges, se situent chacune sur des registres différents dont il est nécessaire de tenir compte. Davantage négligée jusqu'à maintenant, la question des progressions en calcul devrait s'organiser : 1. A partir d'une situation pratique motivante (dosage, réglage, comptes) ; 2. En fonction des opérations familières au sujet (calcul mental chez les maghrébins) ; 3. En vue de prendre conscience des règles qui ont rendu des opérations possibles ; 4. De manière à permettre un transfert à d'autres opérations. 4.3.4. L'élaboration du matériel. La presque totalité du matériel dont on peut dis¬ poser actuellement, repose sur des visées pédagogiques ex¬ trêmement générales, essentiellement orientées vers un ap¬ prentissage de la langue française. Il s'agit au contraire d'utiliser au maximum toutes les techniques d'expression (livres, tracts, bro¬ chures, affiches, moyens audio-visuels) non pas en eux-mêmes, mais pour les possibilités qu'ils représentent en ce qui concerne la popularisation de l'action et la diffusion de ses effets. Ce renversement de perspective permet donc de faire apparaître comment la production d'un matériel par le groupe en fonction des problèmes qu'il rencontre, permettra ultérieurement d'en faire un usage didactique avec d'autres - 82 - groupes dans des situations différentes. La production du matériel doit donc être envisagée sur deux plans : 1. Au niveau du groupe en formation, l'autre pro¬ duction doit s'inscrire dans un processus d'autre formation, par essais et erreurs portant sur l'usage du matériel et ce que le groupe attend de cet usage. Le principe de la produc¬ tion du matériel est celui d'une ouverture du groupe sur l'extérieur où les animateurs n'interviennent que pour anti¬ ciper sur les résultats escomptés et orienter le groupe dans ses démarches. Cette production doit être décentralisée au niveau même du groupe. 2. A un niveau plus global, l'analyse de ce matériel et l'étude des conditions de sa production (dynamique du groupe en formation) doivent permettre de mettre en évidence les régularités d'une pédagogie centrée sur problèmes, de manière à garantir la transposabilité des démarches. Il ne s'agit pas d'utiliser un matériel déjà exis¬ tant pour apprendre à affronter ultérieurement une situation il s'agit d'apprendre à produire un matériel permettant d'af¬ fronter directement cette situation. 4.3.5. Procédures d'évaluation et feed-back. Contrairement au dispositif scolaire où les seules procédures d'évaluation portent sur l'organisation du contrô¬ le des connaissances avec le système de l'examen, il est nécessaire de distinguer dans la logique d'une action de for¬ mation collective deux niveaux d'évaluation : 1. Une évaluation externe portant sur les effets globaux du programme et sur la question de savoir si les ob¬ jectifs ont été ou non atteints, compte tenu de la dynamique sociale globale sur laquelle s'est "agrafée" l'intervention. Remarquons que cette évaluation ne peut être le fait de l'é¬ quipe chargée de l'animation. - 83 - 2. Des procédures d'évaluation internes portant sur la modification des conceptions de détails et l'organi¬ sation des séquences. L'évaluation interne peut intervenir soit à titre d'essai et d'expérimentation du matériel en fonction des difficultés rencontrées en cours d'administra¬ tion du programme ou à la charnière de deux séquences, soit à titre de réévaluation des orientations adoptées à la suite d'une modification des conditions générales de la formation. L'avantage des procédures d'évaluation interne est d'intro¬ duire des boucles de rétroaction (feed-back) permettant d'o¬ pérer une réorientation des activités en fonction des néces¬ sités ressenties. Les instruments de l'évaluation interne peuvent être des épreuves de contrôle ou des dissensions de groupe portant sur l'élaboration du matériel, la nature des progressions ou l'organisation générale de la formation. - 84 - Il s'agit par exemple de forma¬ tions organisées à partir des analyses de poste et plus parti¬ culièrement en milieu industriel ou dans le bâtiment. Formation sur objectif social. A ce titre, l'opération engagée par l'IDERIC dans le cadre de la ré¬ sorption du bidonville de la Vallée du Var semble être une situation- type intéressante (cf. 5.4.) Il s'agit là d'une situation expé¬ rimentale que nous décrivons dans la fin du rapport. Projet d'inter¬ vention dans un ensemble résiden¬ tiel de Marseille. Essayer d'amener une communauté multiculturelle à se fixer des ob¬ jectifs communs et à affronter en¬ semble les problèmes qui en décou¬ lent . Montage éventuel d'une opération dans le secteur "saisonniers". ("Situation-problème" caractéri¬ sée par la précarité des conditions de vie et d'emploi ^ mieux con¬ naître celle-ci ^.objectifs d'or¬ ganisation et de reconversion). Il s'agit par exemple d'une opéra¬ tion de formation portant sur le secteur "adolescents", où l'objec¬ tif prioritaire d'insertion écono¬ mique et sociale doit être confron¬ té aux problèmes que se posent les jeunes dans leur milieu. - 85 - 5. PROJETS DE FORMATION - ETUDES DE MILIEU - PLAN FORMATION. 5.1. Opération d'animation/formation à la cité "La Sauvagère". a) La cité "La Sauvagère", au Sud-Est de l'agglomé¬ ration marseillaise, regroupe un ensemble de six cent quarante logements répartis sur sept bâtiments, n'exédant jamais cinq étages. On dénombre cinquante cinq cages d'escaliers pour une population totale d'environ 2 500 personnes. C'est un grand ensemble de copropriétés, construit en 1960 par le C.I.L.. Les propriétaires résidents repré¬ sentent environ 1/5 de la population (130 logements) ; pour le reste, il s'agit de locataires (environ 510). Au cours des quinze dernières années, ce rapport n'a cessé de décroître avec le départ de nombreux proprié¬ taires ; parallèlement, la concentration de la propriété s'est accentuée. Certaines entreprises ou collectivités sont propriétaires d'appartements : E.D.F. (trente cinq appartements), Foyers de Provence (une dizaine), etc... La gestion est confiée par le syndicat des copro¬ priétaires à un syndic d'immeubles chargé de gérer la cité et de veiller à son bon entretien. Deux gardiens assermentés, rémunérés par la copropriété, veillent au respect du règlement interne et sont responsables du maintien de l'ordre. La mobilité de l'habitat paraît être relativement élevée et ceci semble devoir être mis en relation avec l'évo¬ lution de la valeur ajoutée immobilière qui ne semble pas avoir suivi une progression soutenue (difficultés actuelles de la vente). - 87 - Des espaces verts régulièrement entretenus par la copropriété, deux terrains vagues utilisés par les enfants comme aire de jeux et un terrain de football dont l'exis¬ tence paraît compromise, déconditionnent l'habitat. L'espace de la cité est clos sur la quasi totalité de son périmètre. Les équipements collectifs comprennent un bloc scolaire (maternelle, école primaire de garçons, école primaire de filles), un centre commercial et un centre social. - Les équipements scolaires connaissent des diffi¬ cultés : fermeture de cinq classes au cours des trois der¬ nières années pour l'école de garçons et réduction des effec¬ tifs scolarisés et enseignants. Le nombre d'enfants immigrés scolarisés s'est accru dans une proportion dont ne rend pas totalement compte l'évolution comparée des familles étrangères et des familles françaises sur la cité. On évoque des "seuils de tolérance". Cette tendance semble devoir être mise en relation avec les pratiques de certains parents d'élèves qui préfèrent envoyer leurs enfants dans d'autres écoles à pro¬ ximité plutôt que de les maintenir sur place- - Le centre social, ayant le statut d'une association 1901, est la propriété (66%) de la copropriété : il est administré par un conseil élu. Il regroupe tout un ensemble d'activités s'adressant "à tous", c'est-à-dire à tout un quartier et non pas uniquement aux habitants de la cité. De nombreux services sociaux ont une permanence au centre. Le caractère précaire des financements sociaux pose de nombreux problèmes d'équilibre budgétaire. Les objectifs du centre parfois contestés par la copropriété sont l'occasion de conflits rarement ouverts, mais soumis à un arbitrage et un contrôle que l'équipe permanente d'animateurs éprouve comme une contrainte. Les associations les plus actives sont le Conseil Syndical des Copropriétaires, créé dès 1969, et les associa¬ tions de parents d'élèves. L'Association des Familles est pratiquement inexistante. L'Amicale des Algériens en Europe - 88 - compte de nombreux adhérents et organise certaines activités (cours d'alphabétisation, rencontres, projections, etc...). b) Dès 1969, onze appartements furent occupés par des familles algériennes, par l'intermédiaire de l'Associa¬ tion pour le Logement des Travailleurs Algériens (ALOTRA) qui est maintenant fondue avec l'association des Foyers de Provence. Au départ, ces familles étaient disséminées dans différents blocs. D'autres familles louent, soit directement au propriétaire, soit par le biais d'une agence. Elles pro¬ viennent des cités Bassens, Arena, ou plus directement de la résorption du bidonville Romain Rolland. "Les gens sont venus par connaissance", nous déclarera un des responsables du centre social. Dès 1962, La Sauvagère joue également un rôle d'ac¬ cueil et d'hébergement temporaire pour certaines familles : "Il faut signaler aussi la présence d'amis ou d'alliés vivant momentanément dans la cité". En 1968, 16% de la population de la cité est étran¬ gère, dont 9% algérienne. En 1970, dix appartements de l'entrée B 14 sont occupés par des familles Nord-africaines. Les familles se sont regroupées principalement dans les blocs B, C et G. A partir de cette période, l'attitude du syndicat des copro¬ priétaires semble avoir été de limiter l'accès de la cité aux familles françaises, en essayant par ailleurs de favoriser le départ des familles étrangères déjà installées. En 1973, l'accès des familles Nord-africaines dans la cité n'est pas totalement bloqué puisque plusieurs familles ont emménagé dans l'intervalle, mais les départs semblent l'emporter sur les entrées. En effet, début 1975, la popula¬ tion étrangère de la cité ne représente plus que 11% de la totalité des familles résidantes. - 89 - A partir de 1974, l'attitude de la copropriété se durcit et conduit à un conflit extrêmement tendu entre la copropriété et les familles Nord-africaines. Les gardes de la cité paraissent avoir reçu des consignes leur demandant de pénaliser les enfants immigrés. Les amendes vont de cinq cents à deux mille francs et conduisent à une mobilisa¬ tion du milieu immigré, à laquelle participe le Centre Social. L'intervention du président du Centre Social auprès des tri¬ bunaux permettra de trouver une issue au conflit, mais sa démarche sera jugée par la copropriété comme "prenant la défense d'éléments perturbateurs". D'octobre 1974 à mars 1975, le Centre Social orga¬ nisera des activités en direction des familles Nord-africaines, tentera de favoriser des rencontres avec les familles fran¬ çaises, diffusera une information sur le logement, l'hygiène, l'organisation budgétaire, etc... Beaucoup plus que d'affron¬ ter les causes profondes d'une situation conflictuelle ten¬ due, cette action semble avoir eu pour effet de "dédramatiser" le climat relationnel de la cité. En octobre 1975, des incidents se produisent entre le garde et un groupe d'adolescents immigrés, des menaces d'expulsion touchent à nouveau certaines familles, etc... En général, les familles maghrébines sont en France depuis longtemps. De nombreux chefs de famille ont immigré jeunes et certains même sont nés en France. Les femmes ont immigré de façon plus récente, certaines au moment de leur mariage. Elles parlent français quoiqu'entre elles ou en famille, elles s'expriment en arabe. Les adolescents pour la plupart sont nés en France ; entre eux, ils parlent fran¬ çais. Les familles sont très généralement des familles nom¬ breuses, la conjoncture actuelle de l'emploi semble les avoir particulièrement touchés (important chômage). L'intervention des divers services d'action sociale échappe mal à la superposition des initiatives et à l'absence de coordination dans la mesure où la "famille" constitue la - 90 - base de ce type d'intervention. Une tentative pour créer un "fichier familles" permettant d'assurer cette coordination, s'est heurtée à des divergences de point de vue quant à l'usage qu'il convenait d'en faire et les travailleurs so¬ ciaux ont du y renoncer. c) Au premier abord, la situation sociale de La Sauvagère ne paraît pas particulièrement préoccupante. Nous sommes loin des quasi "ghettos" que l'on rencontre dans certains quartiers de l'agglomération et l'encadrement social y est, à certains égards, beaucoup plus important et mieux diversifié qu'ailleurs. Dans ces conditions, la question se pose donc de préciser les circonstances qui nous ont amenés à proposer un action dans cette cité. Nous avons déjà souligné les dangers que présente la conception selon laquelle seule l'urgence d'une situation, analysée au regard du caractère spectaculaire ou dramatique de ses manifestations les plus visibles (ghetto, délinquance avancée, etc...), serait susceptible de légitimer une action soutenue d'animation/formation. L'expérience montre que très souvent, ce type de réponse non seulement n'est déjà plus adapté à la situation qui s'est créée, mais ne fait que s'inscrire dans une logique qui tend elle-même à en maintenir les causes dans les limites de "l'acceptabilité sociale". "Il faut bien faire quelque chose". Les disparités existant entre les causes qui sont à l'origine d'une situation limite et les moyens que l'on mobilise alors pour y faire face, font que les plus clairs effets de ce type d'intervention se résument dans un dépla¬ cement des limites de l'acceptabilité, au terme d'une lutte constamment renouvelée, épuisante et toujours démobilisante. Dès lors, il est souvent trop tard et l'animation dans ces conditions ne peut que masquer momentanément les insuffisances accumulées d'une politique inexistante ou à très court terme. - 91 - Ceci ne veut évidemment pas dire qu'il ne faille rien faire, mais ceci souligne que très généralement les motivations qui s'exercent dans ce type de situation, recèlent déjà en elles-mêmes les conditions de leur propre échec. L'attestent les difficultés très vivement ressenties par l'ensemble des travailleurs sociaux, le découragement dont ils nous font part sur la manière d'affronter ces pro¬ blèmes, l'impression très communément partagée par tous que les vraies solutions sont ailleurs. ) On ne peut dès lors que replacer chaque situation particulière dans l'analyse des processus globaux qui s'exer cent à l'échelon de l'agglomération pour produire ici et là telle ou telle situation spécifique, de manière à favoriser le repérage de situations susceptibles d'être transformées au cours d'une action en vue d'enrayer une tendance d'en¬ semble sur les points où il est encore possible d'avoir une influence durable et efficace. Car tout se passe comme si à La Sauvagère, nous rencontrions une situation inverse et symétrique à celles que nous pouvons observer dans certains points de Marseille où le phénomène ségrégatif a atteint des limites difficile¬ ment dépassables (Frais Vallon, ZUP Nord, La Paternelle). Le phénomène d'ensemble est celui de l'isolement et de l'enfermement de certaines franges de population étran gère dans certaines zones urbaines où le jeu conjugué d'un déterminisme social global (marché de l'emploi, marché du logement) et de la dynamique des rapports sociaux de base tend rapidement à la marginalisation et au rejet des groupes immigrés. Les mécanismes régulateurs du procès social de ségrégation sont extrêmement complexes et diversifiés ; mais on peut toutefois, sur un plan descriptif, discerner deux grandes tendances . Alors que dans certains quartiers, nous observons - 92 - une désertion progressive de la part de la population françai¬ se qui cède la place à de nouveaux arrivants étrangers, dans d'autres quartiers, c'est un processus inverse qui se mani¬ feste : sous la pression sociale de la population française, les communautés étrangères abandonnent progressivement les lieux et tentent de se reloger dans des espaces moins hostiles, ceux-là mêmes qu'abandonnent les Français (situation 1). Tel semble être le cas de la Sauvagère ; nous ajouterons que s'il s'agit de la situation la moins "visible" au sens où les conflits qui s'y révèlent sont les moins durs, il s'agit de la situation la plus répandue où une activité d'animation/ formation réellement efficace est encore possible. Bien entendu, l'opposition n'est pas aussi nette, des situations intermédiaires stabilisées existent et il se¬ rait nécessaire ^l'approfondir l'analyse des mécanismes so¬ ciaux et des dispositifs institutionnels intervenant cas par cas pour disposer d'une vision exacte du phénomène. Cette tendance n'est pas homogène et elle s'accom¬ pagne d'un mouvement contradictoire de disloquation des re¬ groupements qui s'opèrent, notamment par le jeu de la réno¬ vation urbaine (quartier de la Porte d'Aix) par les mécanis¬ mes institutionnels d'accès au logement, de rénovation de l'habitat ou d'aide sociale au logement, par la tendance à l'extension périphérique de l'agglomération. Ce mouvement de répartition par dislocation/regrou¬ pement de certaines couches sociales au niveau de l'habitat demanderait à être analysé plus précisément. Il met probable¬ ment en jeu deux données particulièrement importantes : 1. Les fluctuations des conditions de valorisation du capital foncier et immobilier, en fonction des activités qui s'y développent : l'espace urbain comme support de rapports sociaux ; 2. La gestion des conditions de la reproduction des différentes catégories de force de travail, liée aux caractéristiques de l'appareil de production. - 93 - Sans développer davantage l'analyse et pour revenir à la situation qui nous intéresse, nous avancerons comme hy¬ pothèse de travail que la cité de la Sauvagère est caracté¬ ristique de ce mouvement de répulsion/rejet de la communauté étrangère qui se développe probablement sous des formes différentes dans de nombreux autres quartiers. Il est néces¬ saire de comprendre, qu'en dépit de la diversité des effets que l'on observe, ce sont les mêmes processus qui s'exercent de part et d'autre sous des formes différentes et qui ten¬ dent à produire le même effet global : la ségrégation des groupes immigrés. Le méconnaître, ce serait vouer toute po¬ litique de déségration à l'échec, ou reconduire à l'identique la situation actuelle. d) En Mai 1975, nous envisagions la possibilité d'une intervention sur la cité de la Sauvagère. S'agissant pour nous de développer une action expérimentale en rupture avec la logique assistancielle de l'animation et la logique scolaire de la formation, de manière à poser les premiers jalons d'une démarche éventuellement reproductible à des situations identiques, il importait tout particulièrement que nous puissions établir un contact étroit avec les tra¬ vailleurs sociaux et que, d'autre part, nous assurions à l'opération un ancrage institutionnel suffisamment souple pour donner à l'équipe d'intervention toute l'autonomie requise par le projet. Le contact avec les travailleurs sociaux que nous avons prolongé pendant les six premiers mois précédant l'in¬ tervention au rythme moyen de deux séances de travail com¬ munes par mois, nous a permis de développer largement et de soumettre à la discussion le projet que nous formulions, il s'est également traduit par une coordination des efforts permettant notamment la participation de la Caisse d'Alloca¬ tions Familiales et du FAS. Les discussions portant sur la situation de la cité devaient rapidement confirmer : 1. Que l'interaction entre communautés de cultures - 94 - différentes, sans être particulièrement conflicturelle dans la période en cours, l'avait été antérieurement et risquait éventuellement de le redevenir si rien n'était fait ; 2. Que, malgré le très fort coefficient "d'enca¬ drement social" qui caractérise la cité, les tensions inter¬ raciales n'avaient fait jusqu'à maintenant l'objet que de mesures de "dédramatisation" sans prise réelle sur les cau¬ ses qui le produisent ; 3. Que le problème majeur s'exerçant principa¬ lement au niveau des familles est celui de la pression à l'expulsion et au rejet ; 4. Que les jeunes adolescents posent un problème particulier dont il convient de rechercher les causes aussi bien dans la relation familiale que dans la relation avec l'entourage social immédiat. Un consensus devait assez rapidement s'établir dans la caractérisation de la situation entre les divers travailleurs sociaux et l'équipe du CAFRI. I "Le rejet massif des immigrés s'est manifesté lors des événements antérieurs sur la cité. En fait, lorsque les gens parlent, cela masque le fond du problème. Ils disent qu'ils ne sont pas propres, qu'ils font des dégâts, en fait, ce n'est pas ça le vrai problème, qui me semble être lié au racisme. C'est un phénomène qu'on rencontre aussi ailleurs" (1). Actuellement, les discussions tournent sur les problèmes organisationnels, la clarification des objectifs concrets d'intervention, la division du travail, la question du relayage des effets de l'intervention, etc... L'objectif principal étant de concourir au main¬ tien des familles immigrées sur la cité en s'adressant au milieu dans son ensemble et non, cas par cas, à des familles (1) Extrait d'enregistrement de discussions de groupe. Assistante sociale. - 95 - particulières, il conviendra de répertorier toutes les pos¬ sibilités permettant d'exercer une influence dans ce sens, depuis le renforcement des contacts entre familles immigrées et familles françaises jusqu'à la définition de la prise en charge par les intéressés eux-mêmes des instruments permet¬ tant le contrôle de cet objectif (association des familles, structures de rencontres, etc...). Cet aspect de l'intervention concerne tout par¬ ticulièrement la cellule familiale et nécessitera un repé¬ rage de la structure d'influence au sein de la communauté immigrée, de manière à pouvoir susciter un bénévolat ulté¬ rieur et une prise de conscience des possibilités existantes Le rôle des femmes à cet égard ne doit pas être sous-estimé : la participation des familles immigrées à la vie collective de la cité y est en grande partie subordonnée et cela peut se traduire par des sous-objectifs d'initiation au fonctionnement des institutions (Sécurité Sociale, loge¬ ment, syndic, etc...). L'insertion des jeunes adolescents pose des problèmes beaucoup plus délicats, faisant intervenir entre les déterminismes sociaux globaux (l'emploi), l'ambivalence des identifications communautaires typique d'une situation de rejet culturel. f£oiisqioid"ïBq ob xusevin axôtd anotisuçnidaib s won , ssaorio Il conviendrait peut-être sur ce plan de promou voir des activités nécessitant une prise en charge commune de l'accomplissement de certaines tâches permettant de libé¬ rer l'expression des adolescents, de mobiliser leur identité et de libérer l'initiative (création d'ateliers collectifs autour de tâches motivantes : mécanique, jeux théâtraux, etc C'est par ce biais que des problèmes beaucoup plus généraux pourraient, semble-t-il, être abordés sans créer au départ les blocages caractéristiques d'une situation rigide ou im¬ posée de l'extérieur. La Sauvagère nous fournit un exemple particuliè rement probant de la manière dont s'articule dans la gestion - 96 - des rapports sociaux le couple assimilation/rejet, ainsi que les pratiques qui lui correspondent : animation et formation visant l'intégration dans un cas, sanction et répression dans l'autre. Nous voyons de surcroît, que si cette alternative renvoit presque toujours à des pratiques concertées (au sens où il est possible de leur assigner un support institu¬ tionnel) , elles se développent également sur la base d'un processus informel de ségrégation (dans l'espace, les équi¬ pements, etc...) que renforcent généralement les comporte¬ ments d'interactions (expressions racistes...). C'est en fonction de cette analyse que pourront, semble-t-il, être spécifiés davantage les objectifs de l'action à mener. e) Les réunions de travail conduites jusqu'à maintenant dans le cadre du centre social, ont montré la né¬ cessité de se donner une structure de décision et d'arbi¬ trage qui soit le lieu dans lequel et autour duquel puisse s'organiser rapidement l'action à mener. Ce collectif de travail, lieu du débat et du contrôle de la mise en oeuvre du programme, doit permettre constamment l'approfondissement des options retenues et la discussion des problèmes rencon¬ trés. Nous avons insisté sur la nécessité d'un élargissement progressif de cette structure à l'ensemble des agents sociaux concernés par l'opération, élargissement qui soit fonction de la nature des problèmes abordés. Dans l'état actuel des choses, nous distinguerons trois niveaux de participation qu'il serait souhaitable d'atteindre si l'on ne veut pas isoler le programme du milieu social auquel on le destine directement ou indirectement. Premier niveau. Equipe technique permanente : - 3 animateurs CAFRI - 1 aide familiale de la CAF - 1 assistante sociale de la CAF - 1 animatrice du centre social - 1 animateur FAS - 97 - Second niveau. Un représentant de chaque service social du centre. Troisième niveau. Un représentant des Associations du quartier : AAE, City club, parents d'élèves, copropriété, e t c • . » f) Dans la perspective que nous venons de défi¬ nir, un projet d'animation en direction des familles mi¬ grantes ne saurait partir d'une démarche et d'une méthode "traditionnelles". En conséquence, il convient de procéder à un travail de recueil et d'élaboration d'un matériel pé¬ dagogique correspondant aux objectifs que nous avons déter¬ minés. La démarche que nous proposons peut se résumer ainsi : 1) Une première étape de trois semaines (phase de sensibilisation) consistera à organiser des réunions- débats autour de thèmes spécifiques liés aux problèmes immé¬ diats de la communauté. Par ailleurs, l'équipe permanente chargée de l'animation travaillera durant cette période à la mise en place d'activités collectives qui regroupent les publics auxquels est destinée la formation. Parallèlement au processus d'animation, des séances de discussions collectives réuniront les différentes instances participant au projet. Ce collectif de travail aura pour tâche essentielle, non seulement d'élaborer les contenus des programmes, mais aussi de poursuivre une démar¬ che critique dans le déroulement de l'action. 2) La seconde étape (du 30 Janvier au 30 Mars) visera à une action plus intensive auprès de deux groupes distincts. Il s'agira d'une part, plus précisément, d'un - 98 - groupe de jeunes adolescents et d'autre part d'un groupe de femmes immigrées. On s'attachera le plus possible à créer les conditions d'une pratique collective. En ce sens seront développés des "ateliers collectifs" dont le but principal sera de promouvoir un apprentissage de l'autonomie dans une pratique productrice (l'artisanat, par exemple, peut être un support motivant). Les horaires seront aménagés suivant les dispo¬ nibilités des individus concernés. La diversification des lieux de la formation (centre social, chez les familles, etc...), permettra de toucher les gens dans les endroits qui leur sont le plus familiers et, de ce fait, tentera de rompre avec une transposition pure et simple du schéma sco¬ laire de l'école, lieu privilégié de la formation. 3) Une phase finale réunira l'équipe pour une tâche d'évaluation. 5.2. Analyse du milieu : cité de la Busserine. Mon¬ tage d'une opération animation/formation. Dans un rapport d'activité daté d'Octobre 1975, émis par des animateurs sociaux, on pouvait lire la remar¬ que suivante : "En 14 ans, la situation sociale de ce sec¬ teur "Busserine" ira en se dégradant d'une façon très rapide du fait d'une trop grande densité de population... et par rapport à l'arrivée tardive des infra-structures et de la réduction des super-structures en regard du plan de masse.." Le grand ensemble de la ZUP n° 1 résulte de la combinaison de logiques différentes. A chacune de ces logi¬ ques correspond un mode de financement qui se répercute tant sur le produit final que sur le mode de gestion. Notre pro¬ pos ne sera pas précisément de démonter les mécanismes de ces processus parfois contradictoires, mais de voir dans quelle mesure la vie spécifique du quartier est née de la diversi¬ fication à la fois des modes de financement et des types de logements. Il s'agit donc dans cette étude d'évaluer les - 99 - résultats et de procéder à des constatations afin de déter¬ miner les limites dans lesquelles peut se situer une action d'animation/formation au regard des problèmes immédiats géné¬ rés par la coexistence dans un grand ensemble de populations diverses, l'expression la plus directe de ces contradictions étant le conflit : "La ZUP n°l de Marseille est un ensemble créateur et provocateur de conflits en tous genres" nous di¬ sait un travailleur social, car tout le monde s'accorde à reconnaître l'existence d'une situation de crise plus ou moins bien ressentie par les habitants du quartier. L'ensemble de la ZUP n°l représente 50 000 ha¬ bitants, avec une densité de 103 à l'hectare, une population de jeunes de moins de 20 ans atteignant 65% dans certains quartiers (Saint-Barthélémy III, la Busserine, le Mail, les Flamants, Picon, Fontvert). En 1971, une rapide enquête portant sur trois ensembles dénombrait plus de 27 nationalités qui se répartis- saient comme suit : Sexe Français Français Devenus Devenus Algé- Autres Total de nais- musulmans Français Français riens nationali- sance en Algérie musulmans lités(2) Masculin Busserine 1 280 5 100 3 128 136 1 652 Fontvert 664 2 49 16 511 131 1 363 Picon 306 5 21 1 49 22 407 Féminin Busserine 1 323 - 155 4 139 130 1 751 Fontvert 677 3 56 13 320 114 1 182 Picon 321 8 29 — 52 31 441 (2) Afrique, Italie, Allemagne, Luxembourg, Pays-Bas, Es¬ pagne, Grande-Bretagne, Pologne, Portugal, Suisse, Yougoslavie, Maroc, Tunisie, Turquie, Guyane, Antilles, etc... - 100 - LË_E£oduction_du_2rand_ensemble_£_source. ^2_222tE2^i£ti222 sociales. 1. Diversification de la population. Nature des problèmes. La base sociale du quartier est essentiellement d'origine ouvrière avec des salaires bas, et des familles souvent nombreuses : Catégories Socio-prof. Patrons prof.libérales Cadres moyens Employés Ouvriers services Marseille 20,35 33,73 45,91 Picon Busserine 3,20 25,80 70,4 5 Fontvert 1,50 28 ,31 70, 18 Par contre, ce que ne nous montre pas ce tableau, c'est le nombre de chômeurs qui va en grandissant dans ce secteur. Ce sont surtout les jeunes qui se trouvent être la catégorie la plus touchée. C'est ainsi que l'on peut voir dans les immeubles des groupes d'adolescents inactifs enfer¬ més dans un espace qui n'offre guère de perspectives. Délin¬ quance - vol - etc.., entretiennent sur la cité une situa¬ tion de rejet de la part du reste de la population. "Rejetés par un système social qui n'a pas su leur donner ce qui leur est dû (l'instruction, la formation, l'emploi, la dignité humaine), rejetés par le milieu familial qui croule sous les problèmes, rejetés par la classe adulte qui ne les comprend pas. A ces rejets générateurs d'agressivité, ces jeunes ré¬ pondent par l'agressivité, la remise en cause de toutes les valeurs sociales, morales, refus de toute contrainte et loi autres que celles du groupe de la bande et rejet aussi de tout jeune qui ne "fonctionne" pas avec les mêmes règles qu'eux" (3). (3) Extrait d'un rapport sur le problème des jeunes mar¬ ginaux de la cité ZUP n°l. - 101 - Surajouté à ces réactions conflictuelles, vient s'inscrire le problème des immigrés qui relève du même proces¬ sus, mais sur lequel se cristallise l'ensemble des réactions négatives des habitants du quartier. De même, l'école en tant qu'institution fournit un exemple frappant du rejet des immigrés. Les familles françaises retirent leurs enfants en prétextant le mauvais niveau scolaire dû à la présence d'immigrés (+ de 50% de la population scolaire est d'origine maghrébine). A travers la fréquentation des équipements cul¬ turels, il apparaît de même des réactions de rejet, ou tout au moins de l'hostilité. Tel est le cas des relations entre Antillo-Guyanais et maghrébins dans le cadre de la maison du quartier par exemple, où chaque communauté revendique l'occu¬ pation de l'espace à l'exclusion de l'autre. 2. Equipements collectifs. Nature des problèmes. a) Déséguilibre_entre_fréguentation_et_moyen. Un rapide calcul montre que les équipements col¬ lectifs installés sur la ZUP sont nettement insuffisants par ) rapport au degré de fréquentation par les habitants des quar¬ tiers. Mais le problème principal se situe plutôt en terme de modalités de fonctionnement où il apparaît plusieurs dys- fonctions. 1) Pénurie d'animateurs 2) Cloisonnement social entre les différentes branches de l'appareil d'animation Nous ne nous attarderons pas sur le premier point, mais par contre, le second point mérite réflexion. L'implantation de certains équipements qui, au départ, avait vocation pour s'adresser à un public indifférencié, se voit souvent obligée de différencier les publics et de considérer leurs interventions comme relevant de telles ou telles acti¬ vités en direction de public particulier. Cette partition du public selon les activités, se fait presque dans tous les cas - 102 - sur le mode de l'exclusion et renvoie à des conflits entre communautés qui relève à l'origine et parfois de ce type de cloisonnement. A terme, les responsables d'équipements sur la ZUP tentent de remédier à cet état de fait en proposant une animation concertée. A savoir la réalisation d'une animation au niveau d'une coordination de ces équipements "tout en accélérant la mise en place des équipements qui manquent". Trois objectifs sont mis en avant : - "Eviter le cloisonnement des divers équipements et unifier l'action socio-éducative et socio-culturelle en coordonnant leurs interventions ; - Mettre en place des structures de formation permanente à travers les installations du quartier ; - Développer et favoriser les lieux de rencontre, la connaissance, le dialogue et l'action vers une prise en charge des habitants de leur propre cadre de vie". C'est dans ce contexte "d'une animation en vue d'un développement global" que nous voudrions tenter une opération pilote de formation en direction des jeunes immi¬ grés de la cité Busserine. Avant de définir le plan de formation - action à mettre en place - rappelons les trois principes de base qui guideront les phases de l'action. a) Clarification et mise en évidence avec les intéressés des problèmes auxquels ils sont confrontés ; b) Discussion et élaboration commune des moyens à mettre en oeuvre pour y faire face ; c) Formation de bénévoles destinés à jouer dans le milieu un rôle de relais, de structuration, dans le cadre des activités socio-éducatives. - 103 - £•££.Î2IL î 2222Ï: 222/22222/222 ' 1. Phase animation. Repérage du groupe. Il s'agit initialement et en collaboration avec les animateurs travaillant sur la cité, de concevoir avec les jeunes (préalablement repérés avec les bénévoles issus du milieu) une série de réunions - discussions plus ou moins informelles - qui auront pour objectif premier d'amorcer des relations plus étroites et de créer un climat favorable à une intervention ultérieure. Détecter le besoin des jeunes immigrés selon la méthode de discussions autour de thèmes fournis par la nature des conflits sur la cité. L'aspect principal de cette con¬ frontation devrait amener les participants à procéder à la mise à jour d'objectifs spécifiques. Cette première étape est nécessaire si l'on ne veut pas reproduire les schémas clas¬ siques de la formation. Lesquels consistent à imposer de l'ex¬ térieur des plans formation souvent sans rapport immédiat avec les projets des participants. Les conséquences qui s'en suivent de ce fait, sont bien souvent l'absentéisme et le dé¬ sintérêt quand ce n'est pas tout simplement le boycott des cours. La prise en compte dans un contexte social des problèmes spécifiques d'une communauté particulière (ici ma¬ ghrébine) se heurte souvent au rejet de la population euro¬ péenne "il n'y en a que pour les immigrés". Cette réflexion d'un habitant de la ZUP est caractéristique et nécessite de considérer le système des relations inter-communautés dans son ensemble. Un des aspects de cette interrogation porte précisément sur la notion de conflit qui en découle. Il ne s'agit pas d'isoler un groupe d'un autre, mais de créer les conditions à la définition de visées communesi'^Ce principe suppose que concrètement il soit organisé en terme de tâches communes. Thèmes proposés à partir d'improvisation dans des séances d'animation et vécus dans la réalité objective dans la vie de la cité. Exemples : le racisme, 1a. famille, - 104 - le vol, le pays d'origine, etc... Durée : Séances de 4 heures pendant un mois à raison de 4 séances par semaine. Durant cette phase, des intervenants extérieurs seront conviés à participer aux séances d'animation. 2. Deuxième phase : plan formation. Le démarrage de cette seconde phase est large¬ ment déterminé par les résultats attendus de la première période. Il appartiendra aux animateurs de structurer les objectifs mis à jour et de proposer un plan de formation plus serré à partir d'un groupe restreint issu de la collectivité et proposé par elle. t Nous proposons initialement le plan suivant, en considérant le fait que des ajustements peuvent être ap¬ portés au terme du premier mois d'animation. A partir d'un groupe de 15 à 20 jeunes adoles¬ cents immigrés, deux types de formation peuvent être envisa¬ gés . a) Déblocage de l'expression - communication - initiation linguistique. . Elaboration de sketchs . Connaissance des activités sportives . Initiation gestuelle . Initiation à 1'audio-visuel b) Initiation aux institutions juridiques et sociales - connaissance des réseaux et filières pour accéder à une formation technique. Utilisation des équipements sociaux. . Formation à l'animation et à la gestion . Connaissances des associations de quartier, etc... Durée : Séances de 4 heures, 5 jours par semaine sur une période de deux mois. - 105 - 3. Troisième phase : Evaluation. Durée : 15 jours, 4 séances de deux heures. 5.3. Rapport préparatoire à la définition d'une action de formation en milieu migrant sur l'aire toulonnaise. Le projet d'action de formation-animation en mi¬ lieu interethnique (Maghrébins, Gitans, Européens) sur l'aire toulonnaise dont nous tentons de jeter les bases, est tiré pour l'essentiel du contenu des débats que nous avons eus avec des animateurs-formateurs ayant une pratique et une ex¬ périence sur les communautés maghrébines vivant dans les quartiers de Fort-Rouge et du Jonquet. Il s'agissait pour nous de procéder à un travail préparatoire de prise de contacts sur le terrain, et ensuite, de procéder à une analyse de l'organisation sociale des po¬ pulations dans un espace urbain déterminé. De ce point de vue, il nous a donc semblé qu'une équipe CAFRI intervenant ponctuellement (entre trois et quatre mois), devait initialement ajuster l'élaboration de ses objectifs et de ses méthodes de travail aux projets des agents sociaux qui assurent la continuité dans le temps du travail pédagogique. Et ceci afin d'éviter de "plaquer" un schéma de formation qui apparaîtrait sans relations immé¬ diates avec les problèmes vécus par les communautés. Au terme de cette première démarche, on peut déjà envisager deux niveaux d'approche : 1. Engager sur le plan institutionnel des méthodes de collaboration (convention financière, déta¬ chement d'animateurs, etc...) avec les institu¬ tions travaillant sur le milieu ; 2. Sur le plan de l'action : définir collectivement les objectifs d'un projet de formation lié au repérage des situations-problèmes. - 106 - Le but de cette première phase (qui déterminera largement le cours ultérieur de l'action) est de permettre d'une part d'approfondir les liens de connaissance et la confiance nécessaire à la mise en commun des expériences concrètes, d'autre part de partir de bases solides pour pro¬ grammer l'organisation des groupes et du travail pédagogique, sans quoi il semble difficile de mener à bien toute tenta¬ tive de mise en place d'une méthode expérimentale de forma¬ tion. Ce point doit être souligné, si l'on veut éviter les échecs que rencontrent certaines actions de type tradition¬ nel (nullité des effets de formation, inefficacité, absen¬ téisme des stagiaires, etc...). 5.3.1. Préalables à la définition d'une action de formation. a) Lieu_de Inaction. Les quartiers du Fort-Rouge et du Jonquet repré¬ sentent un milieu populaire (populations maghrébines, gitanes en majorité) dont le niveau de vie est relativement bas. Ils laissent apparaître un fort taux d'enfants et d'adolescents dont les derniers,ayant quitté l'école, sont le plus souvent sans emploi. Par ailleurs, le contact entre ethnies et cultures différentes fait émerger des conflits qui sont liés le plus souvent à une méconnaissance des pratiques culturelles de chaque groupe, mais aussi et surtout aux conditions de vie dans ces quartiers. Malgré la présence de nombreuses institutions (ATD, ATOM, foyer socio-éducatif, assistantes sociales, etc.) il n'en demeure pas moins que les équipes sur le terrain sont souvent confrontées à des situations difficiles. b) Çonditions_2énérales^_Perspectives_de_lfaction. 1. Concevoir l'action comme s'adressant non pas à des individus isolés, mais à une collectivité, c'est-à-dire à un milieu principalement défini par la communauté des - 107 - problèmes qu'il doit affronter. 2. Mettre en place une formation intégrée, à savoir un non-morcellement du savoir (technique/social). 3. Viser à une meilleure intégration des acquisi¬ tions. Prendre en compte la spécificité culturelle des formés. 4. Travailler pour une large part dans une équipe pédagogique relevant de groupes culturels différents, afin de privilégier la définition des conditions interculturelles de la relation pédagogique. 5.3.2. Publics. Constitution des groupes de sta¬ giaires . Nous pensons devoir orienter notre action en di¬ rection des jeunes adolescents, en constituant deux groupes de dix à quinze, correspondant aux deux quartiers sur les¬ quels porterait l'intervention. L'équipe de formation serait constituée de trois personnes. Il sera également fait appel, en fonction des demandes des stagiaires, à un certain nombre de spécialistes des domaines concernés. Développer une intervention sur les jeunes signifie - Analyser le milieu concerné par les problèmes qui touchent à la fois à la sphère de production (chômage) et la sphère de reproduction (inacti¬ vité, constitution de bandes, délinquance, etc..) - Impliquer les parents et le milieu à une prise en charge collective des problèmes. EY22£2Ef™2tion_du_travail • Double circuit d'initiative : - Fonction des centres d'intérêt. L'équipe chargée de la formation proposera aux groupes des thèmes de réflexion et des activités ; - Propositions de thèmes de la part du milieu. - 108 - C'est à partir de ces deux propositions que s'éta¬ blira la ligne de travail ayant pour but d'atteindre les objectifs pédagogiques suivants : - s'exprimer - enquêter (analyser) - travail/non travail - les loisirs dans la ville. 5.4. Formation d'animateurs-relais dans le cadre de la résorption du bidonville de la Digue-des-Français à Nice. 5.4.1. Méthodologie générale. Le problème méthodologique soulevé par cette opé¬ ration se situe dans le prolongement des entreprises qui, à partir des années 1930, s'efforcent de conjuguer une étude de milieu avec les objectifs de formation de sujets vivant dans le milieu même. Il s'agit non pas seulement de surmonter la traditionnelle distinction de la théorie et de la pratique, mais aussi de mettre en évidence que toute une série d'as¬ pects du milieu ne se révèle qu'à partir du moment où il est associé à une action destinée à modifier son environnement et sa structure, tandis qu'inversement, l'action de formation trouve une efficacité accrue dans le fait qu'elle cherche ses régulations par l'analyse constante et collective des effets qu'elle entraîne ou même qu'elle découvre au fur et à mesure de son développement. Toutefois, les méthodologies ainsi orientées vers cette conjonction de la formation et de l'étude de milieu continuent à être difficilement applicables ou insuffisamment précises lorsqu'il s'agit d'aborder un certain type de pro¬ blèmes tel que celui qui caractérise la population maghrébine de la Digue-des-Français. Schématiquement, on peut en effet considérer qu'el¬ les se situent entre deux pôles : un pôle d'animation orien¬ té vers une recherche de participation et un pôle de struc¬ turation destiné à favoriser un changement plus ou moins - 109 - strictement organisé et planifié. D'un côté, essayer de partir d'une dynamique sociale pour dégager et développer des projets ; d'un autre côté, étant donné les objectifs fixés par une techno-structure, tenter d'associer ceux qu'ils concernent à la mise en oeuvre des moyens et au dé¬ roulement des opérations. Le défi à relever dans l'opéra¬ tion niçoise peut avoir à ce point de vue largement valeur d'exemple, et l'on doit optimiser à la fois l'un et l'autre aspect si l'on veut faire face efficacement à la modification de la situation communautaire qui interviendra au début de l'année 1976. a) Méthodologie_privilégiant la_participation, On peut distinguer deux sortes d'orientations gé¬ nérales : celles qui partent de la conscientisation qu'a promue Paolo Freire, et celles qui s'orientent dans les ter¬ mes les plus traditionnels vers l'enquête-participation. La conscientisation n'a pas d'objectifs précis : elle tend à promouvoir une culture de classe, en fournissant les moyens élémentaires mais critiques d'une étude de milieu. Elle a donc valeur pour une communauté soudée par une idéologie homogène dans une perspective de changement historique glo¬ bale et relativement indéfinie dans son déroulement. Il y a très souvent par rapport à cet ensemble de conditions une généralisation abusive de ce terme. L'enquête-participation est censée concerner des populations et des actions relativement plus définies. Tou¬ tefois, son usage normal consiste à faire surgir en grande partie les lignes du projet de l'association de la popula¬ tion elle-même, ou du moins certains de ses éléments les plus dynamiques ou les plus sensibilisés, à l'étude de l'environ¬ nement concret. Tel aurait pu être le cas à Nice si l'on avait pu associer les immigrés à une opération de définition du plan masse et de la nature de l'architecture (ce que des raisons techniques, administratives, ont rendu impossible). De ce fait, l'enquête-participation est inadéquate et ce sera le cas toutes les fois que les grandes lignes d'un chan- - 110 - gement sont le fait pour l'essentiel d'une initiative qui échappe à la population elle-même. b) A l'autre pôle, 1'action-research de Kurt Lewin (4) développée par beaucoup de ses élèves, notamment dès les années 1940, se situe de façon élective au palier psycho¬ social et concerne principalement les attitudes. Il s'agit d'utiliser cette propriété relativement générale établie par la psychologie contemporaine qu'a le groupe de faciliter le changement des attitudes. Les limites d'une telle entre¬ prise concernent de toute évidence le fait qu'elle ne porte en rien sur les aspects proprement sociaux de l'environne¬ ment, notamment sur les structures sociales, la modalité de régulation des actions, etc... Aussi les techniques lewinien- nes n'ont-elles en général trouvé d'efficacité que pour des actions de portée limitée et à relativement court terme. Les formations fonctionnelles telles que l'alpha¬ bétisation fonctionnelle promue par 1'UNESCO à partir de 1975, se donnent des objectifs plus ambitieux et plus géné¬ raux. Indépendamment du fait que la méthodologie contempo¬ raine demeure en cours d'élaboration, on doit observer que dans la plupart des cas, la méthodologie relative à ces ac¬ tions laisse le plus souvent prédominer très fortement les initiatives de la techno-structure (à l'exception peut-être de certains aspects des expériences tanzaniennes). Or, il convient assez souvent par exemple de se donner des objec¬ tifs très précisément institutionnels (modification des modes de gestion) de façon concomittante à la recherche d'un objectif économique et/ou technique. Dans ce cas, on ne peut privilégier ni la recherche de participation qui laisserait l'objectif dans un certain flou, ni la recherche de mobili¬ sation sur un objectif déjà défini qui risque de n'avoir qu'un impact réduit. Dans ces conditions, nous pensons que les expé¬ riences à tenter dans l'action de relogement qui est associée très précisément à une structuration des groupes mettant en (4) Kurt Lewin : Resolving social conflicts. cause les modalités de gestion des nouveaux habitats, don¬ nent l'occasion de développer une recherche où c'est préci¬ sément parce que les problèmes posés à la communauté par le changement doivent être précisés à mesure, qu'on ne peut se contenter d'une information auprès des participants ou d'une tâche progressive de pure et simple animation. Il importe de faire en sorte que, au fur et à me¬ sure que le groupe prend conscience de la nouvelle situation qu'il aura à affronter, corrélativement le changement puisse révéler les problèmes internes et externes qu'il aura à sur¬ monter pour faire face efficacement et solidairement à ces conditions relativement inédites. L'ordre méthodologique de déroulement qui semble dès lors s'imposer, partirait d'un problème (auquel une po¬ pulation a à faire face collectivement), en tirerait un ob¬ jectif commun dont l'approfondissement pourrait être l'objet d'une dynamique communautaire, s'efforcerait à partir de là de vérifier l'analyse des obstacles par une analyse de milieu solidaire d'une action de formation, tout ceci abou¬ tirait à une définition plus précise d'objectifs définis de la formation qu'il conviendra de donner avant que la situa¬ tion-problème soit à affronter de façon directe. Cette séquence problème-objectif - étude de milieu définition d'une visée pédagogique, construction d'une pro¬ gression de formation - peut constituer un modèle général de recherche,- action dont la transposition à d'autres communau¬ tés,' à d'autres types de problèmes (économiques, institution¬ nels, voire culturels) semblent relativement faciles. 5.4.2. Cas particulier. En ce qui concerne le relogement des habitants du bidonville, il convient donc de mettre en oeuvre des moda¬ lités de prise en charge de l'opération par le groupe des travailleurs immigrés. - 112 - 5.4.2.1. Nécessité_d_]_animatéurs-relais. En effet, toute opération de déplacement de popu¬ lations comporte un élément à la fois de contrainte et d'ar¬ bitraire, notamment en ce qui concerne la dislocation et la restructuration des groupes communautaires. Ceci se traduit par une plus ou moins grande variation des taux d'évasion au moment du relogement. Réduire le caractère contraignant et arbitraire de l'opération suppose une participation des immigrés eux-mêmes à leur relogement. Ceci peut se faire par l'Intermédiaire de quelques individus choisis pour leur capacité à servir de relais entre la population du bidonvil¬ le et les instances de relogement. Qu'est-ce qu'un relais ? Aucune liste a priori de ses qualités ne peut être fournie. La "sélection" du relais doit être l'objet d'une enquête, d'une étude réorientée du milieu, et donner lieu à une "dynamique" qui la transforme en "émergence". De même, aucune ënumération de ses "fonctions" n'est possible. Délégué, leader, intermédiaire négociateur ? Avant tout un animateur capable de prendre une réelle cons¬ cience des problèmes et d'assumer les conflits correspon¬ dants . Il est, certes, nécessaire de prédéterminer un "profil" avec des critères (âge, niveau culturel, alphabé¬ tisation, qualification professionnelle). Mais, en dernier ressort, l'émergence du relais doit , avant tout, être in¬ duite par la dynamique des groupes familiaux ou régionaux qui sont repérés et réunis régulièrement. Ces animateurs-relais ont reçu une formation en vue de leur intervention qualifiée au moment même du reloge¬ ment, puis dans le cadre des actions et des institutions socio-éducatives et socio-culturelles ultérieures. 5.4.2.2. La_formation. Les tâches accomplies en France par les immigrés - 113 - sont peu complexes et assez instables ; elles donnent donc difficilement lieu à une formation centrée sur les problè¬ mes. Toutefois, cette notion peut être transposée à tout ce qui concerne la possibilité de participer à des "organisa¬ tions". La résorption du bidonville est une occasion privi¬ légiée pour une telle participation. L'objectif étant d'uti¬ liser et - mieux - d'élargir la marge d'intervention laissée aux immigrés, que cette marge concerne les conditions du "déplacement", la restructuration nécessaire après le "dépla¬ cement", la participation à la gestion des lieux d'accueil ou la promotion d'une véritable animation culturelle et so¬ ciale, assurée jusqu'ici plus ou moins bien par le bidonvil¬ le. Contenu. Compte tenu de ces objectifs, l'action de formation des animateurs-relais pourrait prendre pour hypothèse de dé¬ part le développement de trois volets autour desquels il semble possible d'organiser à la fois les informations à transmettre aux formés et une progressive prise en charge par eux-mêmes de leur situation et de celle de leur communau¬ té . Ces trois volets sont : 1. Communication On peut considérer que celle-ci s'exerce : a) avec la société française. Ici intervient l'analyse des institutions, spéci¬ fiques ou non aux étrangers, avec lesquelles les immigrés sont en relation : organisations professionnelles, politi¬ ques, administratives, etc.. Par ailleurs, il convient de compléter l'analyse par une étude des situations propres aux immigrés, à savoir : logement, loisirs, santé, racisme, etc.. b) avec le groupe d'origine. - En France L'équipe de formation doit faire prendre conscience aux stagiaires des possibilités d'organisation (de par les structures communautaires et les éléments d'auto-organisation déjà existants) de leur groupe, à savoir la population du bidonville, l'objectif étant d'aboutir à l'élaboration com¬ mune des conditions et de la nature de l'animation future. - Dans le pays d'origine Si nous nous situons dans la perspective du retour, il apparaît nécessaire d'accorder une grande importance dans le programme de formation aux rapports que les immigrés entretiennent avec leur groupe familial (courrier, envoi argent,vacances, etc...) avec leur culture (religion, coutu¬ mes, traditionnelles...), leur société globale d'origine (pouvoir politique, développement économique, projets de retour définitif, etc...). 2. Gestion. L'enquête SONACOTRA a montré comment la non-maîtrise d'un budget aboutit à des situations de dépendance économique incompatibles avec l'exercice d'un contrôle sur l'environne¬ ment social. En conséquence, il est nécessaire de fournir aux stagiaires un certain nombre de données qui, à partir de l'analyse critique des pratiques des immigrés dans ce domai¬ ne, doivent leur permettre d'intérioriser des notions telles que prévision, amortissement, investissement, épargne, etc.., en vue de l'élaboration de budgets tant collectifs qu'indi¬ viduels. L'efficacité de l'opération de formation impose une approche du type problématique. La formation passe donc en premier lieu par une recherche et une définition de ces problèmes (c'est à ce niveau qu'apparaît l'importance de l'articulation du travail avec l'équipe SONACOTRA). A partir de là, la séquence des opérations à parcourir pourrait être la suivante, pour un problème donné et identifié : 1. Analyse de la situation actuelle 2. Définition de la situation visée 3. Traduction du problème en objectif pédagogique 4. Mode opératoire 5. Aspect socio-économique Nous nous sommes proposé de disposer l'ensemble du "volet" gestion en groupes de trois "modules" pédagogiques dont la répartition en temps était : - 50 heures - 1er module - 50 heures - 2nd module - 80 heures - 3ème module Ces trois volets sont : - Problèmes relatifs à la perception, la relation, l'usage des administrations,associations, collectivités françaises ; - Problèmes relatifs au budget (épargne, investis¬ sement, choix économiques) ; - Problèmes relatifs à l'usage" et la gestion des équipements collectifs. (Il nous apparaît qu'il faut accorder une impor¬ tance particulière à ce troisième point, car la notion d'é¬ quipement collectif est d'une importance réduite sur le bidonville, alors qu'elle était très importante dans un foyer-hôtel par exemple). Sans que rien d'exhaustif puisse être avancé au¬ jourd'hui, on peut essayer par des exemples, d'arriver à une approche plus précise de cet itinéraire de formation pour chacun des "modules". Tout en gardant une flexibilité suffisante pour l'ajustement aux problèmes détectés au fur et à mesure, nous pouvons illustrer la démarche sur quelques points. A. Perception, relation, usage des administrations. Il s'agit, en premier lieu, de toutes les presta¬ tions complémentaires du salaire ou substitut de ce dernier - 116 - (Allocations "Familiales-Logement", ASSEDIC, CNPO, Sécurité Sociale, Caisse des Congés Payés, etc...). Exemple_de_lj_allocat ion-logement _et_de_chômage. Situation actuelle Situation visée Objectif Pédagogique Mode Opératoire Aspect socio- économique 1. Ignorance de cette prestation 2. Connais¬ sance/non utilisation Connaissance et usage Utilisation Information Changement de perception Remplir un formulaire (Lire/ Ecrire) Visite à l'ad¬ ministration Rencontres avec chômeurs, syndi¬ cats, administra¬ tion B. Budget, épargne, investissement, choix économique. Exemple_de_lj_ épargne. Thésaurisa- Rentabilisa- Acquisition des Calculs de tion pure et simple tion notions de taux d'intérêt. Dé¬ préciation de la monnaie pourcentages Remplir un formulaire (Calculer/ Ecrire) Visite aux Caisses d'Epargne Exemple de l'achat d'une voiture ... C. Usage et gestion des équipements collectifs. Exemgle_£ris_sur_le_bidonville_^_les_gompes. Irresponsabi¬ lité indivi¬ duelle ou individua¬ liste Prise en charge collective Acquisition de la notion de coût commun et collectif et/ou de frais géné¬ raux et de gestion commune Calcul Présentation de la maquette - 117 - 3. Décision. Ce troisième volet de la formation consiste en une intégration des données fournies précédemment. Il s'agit que le groupe en formation définisse les conditions de la prise en charge du relogement par l'ensemble de la popula¬ tion du bidonville. Ceci suppose d'une part l'élaboration de stratégies par rapport aux institutions concernées par le relogement et la formation, d'autre part la mise en place de structures d'organisation au sein de la population du bidonville. Dans ces conditions, l'équipe de formation n'in¬ tervient plus que pour contribuer au bon fonctionnement du groupe et favoriser l'expression de ses membres. Méthode. Un tel contenu exclut le recours aux méthodes tra¬ ditionnelles de formation des travailleurs étrangers. En effet, définir une action de formation comme la constitution d'un groupe ayant pour objectif opérationnel, suppose de sortir radicalement du modèle scolaire habituel et le recours à une pédagogie "active". En conséquence : - Le perfectionnement nécessaire dans la langue française, que ce soit en lecture/écriture ou en expression orale, s'est fait à propos des thèmes évoqués plus haut. Les stagiaires ont ainsi constitué le matériel pédagogique sur lequel ils ont travaillé (exemple : textes élaborés après discussions, etc...). De la même façon, l'initiation au cal¬ cul s'est faite à partir de problèmes de gestion et de bud¬ get. - Le fait qu'une partie des matériaux de base de la formation soit fournie par les stagiaires (informations sur le bidonville quant aux structures communautaires ou quant aux relations avec le pays d'origine, etc...) trans¬ forme la relation formateur/formé. Le formateur devient - 118 - alors l'animateur d'un groupe et non plus l'enseignant unique détenteur du savoir. - Par ailleurs, nous avons confronté le plus pos¬ sible les discours tenus à l'intérieur des locaux de forma¬ tion à la réalité sociale, ce qui signifie qu'une partie de la formation s'est faite sur le terrain (cela a pris la forme de visites d'administrations, rencontres avec les syndicats, etc...). xoxoxoxoxoxox