UNIVERSITE DE NICE d'Etudes GeCherChes Interethnique nterculturelles LOCALITE, TERRITORIALITE, INSERTION DES IMMIGRES. Contribution methodologique a l'aide d'un exemple (LA SEYNE SUR MER) . Projet d'article (Revue Europeenne des Migrations Internationales) BIBLIOTHEQUE DE L'UNIVERSITE SECTION LETTRE,S 100, Bd Herrlot 06200 NICE Octobre 1986 Victor BORGOGNO Lise VOLLENWEIDER-ANDRESEN IDERIC 63, Bd de la Madeleine - Bar. A - 06000 NICE (France) - Telephone, 93.44.82.44 P, � Disons, provisoirement, que notre objet c1est l'implantation sociale des immigres (ce que tout Ie monde appelle leur "in­ sertion") nous y reviendrons. " Pour approfondir la connaissance de cet objet, nous avons mene des investigations en des lieux precis. Ces lieux, nous ne les avons pas choisis nous-memes, en fonction de criteres scienti­ fiques. lIs nous ont ete designes institutionnellement. Cette designation ne resultait pas de la presomption que ce lieu etait particulierement approprie aux types d'etudes que nous menions. Inversement cette designation excluait par hypothese que ce lieu put, par rapport a notre objet, presenter des caracteristiques si singulieres qu'elles rendissent malaisee toute application gene­ rale des resultats. Non, il semblait admis, implicitement que ce qui se passait sur les lieux de nos enquetes (1) au regard des questions de cohabi­ tation et d'insertion des immigres, ne pouvait etre profondement different de ce qui se passait ailleurs en des lieux comparables. Un tel postulat n'allait cependant pas sans problemes. Nul n'ignore, en effet, que les mUltiples conditions qui sont de nature a inflechir Ie cours des phenomenes que nous etudions, peuvent varier considerablement, sous des apparences globalement semblables, d'une situation a une autre. Comment slassurer que ces variations ne puissent atteindre un degre tel que Ie proces­ sus etudie n1en vienne a etre si profondement transforme, que notre objet subissant une sorte de fragmentation en de trop nom­ breuses situations locales differentes, n1en vienne lui-meme a perdre toute sa substance theorique ? (1) Nous en avons mene en Corse (soutien : DATAR), a la Seyne­ sur-Mer (Ministere de l'Urbanisme. Commission nationale de deve­ loppement social des quartiers) etcontinuons et prolongeons cette derniere enquete par un travail sur Nice grace a un soutien re�u du CNR� et de l'etablissement public de la region Provence-Alpes­ Cote-d'Azur, dans Ie cadre d'un appel d'offre de recherchesregio­ nales conjoint. Nous remercions egalement Ie Commissariat General du Plan pour Ie cad�e particulierement stimulant que constituent les groupes de reflexion (politiques sociales locales et immigration.) aux- quels il nous a invites a participer. . 2 Etait-il possible d'etablir un cadre permettant la comparaison de toutes ces situations, et valable pour toutes les situations? Tout ceci nous amenait a nous poser la question du statut theo­ rique des approches locales. Dans Ie but de repondre a cette question, nous avons ete amenes a nous interesser a un article de J. Lautman, qui presentait ce merite de bien deblayer notre terrain. (1) Dans cet article, J. Lautman, critique certaines etudes locales trop prisonnieres du genre monographique at incrimine la faiblesse de leur cadre theorique. Trois critiques principales sont formulees La premiere porte sur l'impuissance de ces etudes a deboucher sur des demarches comparatives convaincantes. Qu'elles soient me­ nees par des ethnologues, des sociologues, ou, dans d'autres cas, par des historiens et des geographes, l'auteur leur reproche de ne parvenir que malaisement a depasser Ie niveau du particu­ lier ou du singulier dans les observations engagees, et de ne pas reussir vraiment a inscrire les donnees recueillies, pour riches et abondantes qu'elles soient, dans un cadre conceptuel elargi. La seconde critique met en lumiere l'incapacite de ces etudes a produire un "paradigme de la localite", ·situant avec precision Ie role differenciateur de la dimension locale dans Ie champ d'application des concepts generaux. Quellesque soient la densite et la richesse des investigations menees sur Ie local - dans un espace local - la localite, elle, semble condamnee a demeurer une zone aveugle pour les approches de thematique generale qui au­ raient grand besoin, pourtant d'inclure cet aspect. La troisieme critique apparait comme un corrolaire de la prece­ dente. En l'absence d'un instrument theorique qui permette de penser l'espace ou la marge propre de l'assignation locale dans les fonctionnements ou processus sociaux ou socio-economiques ge­ neraux, ces approches, bien qu'elles abondent parfois en details quasi-anecdotiques ne paraissent, paradoxalement guere en mesure de permettre d'identifier de maniere precise les facteurs speci­ fiques qui interviennent dans la concretisation locale de pheno­ menes ou processus generaux . alors qU'elles devraient etre l'occasion par excellence d�aller aU-dela des trop grandes gene­ ralites dans l'interpretation causale de tels phenomenes. Ces critiques, autant que notre competence nous permit d'en juger, nous parurent pertinentes et grande fut notre satisfaction de constater que notre propre conception de l'approche localisee ne paraissait pas y preter Ie £lanc. (1) Jacques Lautman : "Pour une theorie de la localite". Cahiers Internationaux de Sociologie, numero special: ilLes socio­ logies Ii. Paris, juillet-decembre 1981. --- -- � - - - �-- -- - 3 Nous partagions notamment les vues de l'auteur sur un point es­ sentiel. Vne §tude localis§e ne saurait s'assimiler pour nous a une monographie locale, c'est-a-dire a la description aussi exhaustive que possible d'un segment social et spatial limit§, (Sous un angle ou pour une question donn§s). Vne §tude localis§e devait, pour nous,se concevoir comme Ie simple moment d'une d§­ marche d'une extension potentielle consid§rablement plus large a la fois dans Ie temps et dans l'espace et portant sur un objet d'application g§n§rale, dont les d§terminations ne sauraient etre contenues dans l'espace local exclusivement. Toutefois notre satisfaction fut quelque peu ternp§r§e par Ie sen­ timent que notre propre conception de l'"approche localis§e" sem­ blait ne pas coIncider tout a fait avec Ie point de vue de l'au­ teur sur la rneme question tel qu'il transparaissait en contre­ point des critiques emises, ou tel que cet auteur l'exposait plus explicitement dans la .seconde partie de son texte. A premiere vue, pourtant notre theme de recherche, l'insertion ou l'irnplantation sociale des immigr§s, sernblait d'une nature assez voisine de celIe des objets dont l'auteur assurait qu'une "approche localis§elf cornpleterait utilement l'§tude (par exemple: la diffusion du changement social). Nous interrogeant sur l'origine de ce sentiment de dissonance que nous eprouvions, il nous apparut que Dotre propre objet, a y regarder de plus pres, §tait justiciable d'une "approche loca­ lisee" de contour assez voisin de la d§marche indiqu§e par notre auteur, rnais pr§sentant cependant avec celle-ci, d'assez notables diff§rences. De fait, Ie propre expos§ de J. Lautman laissait transparaitre une oscillation entre ces deux approches qui auialent rn§rit§ .0,.' etre davantage distingu§es. Voici en peu de mots ces deux versions. Dans la premiere de ces conceptions -, c'est celIe qui est domi­ nante chez J. Lautman-,le local qualifie un ordre de r§alit§s sociales, socio-§conomiques, culturelles ... dont l'identification fait intervenir n§cessairement la r§f§rence a un niveau territo­ rial r§duit, comme l'une de leursdimensiornconstitutives. Cette attribution de localit§, qu'elle r§sulte d'une §vidence concrete ou qu'elle ne fasse qu'enreglstrer une caract§ristique institu­ tionnelle pre-existante, debouche sur la constitution d'une sphe­ re de phenomenes sp§cifiques distincts de celIe des r§alit§s g§­ nerales ou nationales. Dans cette vue, l'ordre des realites g§n§rales ou nationales ne se d§finit pas comme un niveau conceptuellement englobant par rapport a la sphere locale mais bien comme une ext§riorit§ con­ crete. (1) A ce propos Jacques Lautman cite l'exemple de la notion d'in­ dustrialisation. (art. cit.) __ ��_ �_ _ _ �n. __ _ _ _ 4 La diff§renciation entre les objets des deux sph�res est pr§­ sente dans Ie r§el, elle pr§existe a son enregistrement par l'observateur, meme si cet enregistrement n'est pas toujours ais§ en pratique. Autrement dit les repr§sentations auxquelles renvoie une notion donn§e changent quand on passe de l'ext§rieur de la sph�re locale a l'int§rieur parce que Ie r§el appr§hend§, con�u, se modifie au cours de cette transition. Quand on passe de l'id§e de pouvoir national a celIe de pouvoir local, par exemple, la repr§sentation change parce que la r§ali­ t§ repr§sent§e a concr�tement chang§ : la nature de ce pouvoir, son etendue, son champ institutionnel de comp§tence, les traits sociaux de ceux qui en sont investis, sont diff§rents dans les deux cas, malgr§ la continuit§ du concept.C'est en ce sens que nous disons que c'est une relation d'ext§riorit§ objective qui oppose ou distingue les deux sph�res. Le depart qui s'op�re entre sph�re locale et sph�re ext§rieure au local peut se repr§senter comme un seuil au-dela duquel les r�alit§s ou les ph§nom�nes changent pour ainsi dire de version, ou offrent a l'observation un segment d'eux-memes a la fois dif­ f§rent du segment de l'autre sph�re et semblable a celui-ci. La d§termination de ce seuil rel�ve irr§ductiblement d'une con- sid§ration spatiale. - Le lieu, l'espace plutot, comme cat§gorie, est impliqu§ dans cette determination par tout ou partie de ces trois dimensions possibles. • la localisation relative • l'§chelle • la forme urbaine A noter que, compte tenu des 3 dimensions dans lesquelles il faut l'inscrire, donc, Ie seuil a partir duquel la localit§ apparait et impose sa sp§cificit§ peut varier de fa�on appr§ciable suivant Ie domaine §tudi§, et ne saurait etre r§f§r§ universellement a un segment socio-spatial donn§ une fois pour toutes, r§ifi§, et surplombant toutes les sp§cificit§s de domaine (1). II Y a donc une relativit§ du local interne a chaque domaine. En ce sens "local" et "ext§rieuFau local"forment cognitivement une sorte de structure interpretative dont l'usage est compatible avec un changement de champ, comme il l'est avec un changement d'§chelle, celui-ci serait-il consid§rable (passage d'un point de vue "intra-national" a un point de vue international par exemple). Enfin, il est visible que dans cette structure l'espace local occupe la position dominee, tandi� que l'''espace ext§rieur" oc­ cupe la position d'espace dominant (2). La demarche locale s'affirme d�s lors souvent comme une reeva­ luation de la position du local dans ce rapport aux fins de par­ venir a une plus grande intelligibilite des phenom�nes generaux. (1) La ville de 2.000 habitants et moins par exemple ... ( 2) Exemples : schema du central oppose au per ipher.ique en rna ti�re de decision politique ou economique. Opposition pouvoir national-pouvoir local dans Le dc:maine institutionnel et po l.i t.iquer distinction capitale-province en mat.i.ere cuI turelle , ou autres; rapport d'attraction socio-economique exerce par les petites villes sur les grandes dans la notion d'agglomeration) -......._ . .:.......... ...... _w ._�_�_ 5 'Par voie de consequence, la caracterisation maintenue de ces appro­ ches locales par les objets concrets qu'elles paraissent viser (l'espace local, Ie village, la petite ville) conduirait a une er­ reur d'interpretation. En, realite, ainsi que Ie demontre claire­ ment J. Lautman, leur veritable statut est rnethodologique. Elles repondent a l'image d'un mode d'investigation inedit, s'ajoutant, sans se con£ondre avec elles, a des demarches sur des themes gene­ raux engages jusqu'ici en faisant abstraction des assignations spe­ cifiques dues a la localite. Mais une seconde version des approches localisees est, selon nous, concevable, qui,cornme la premiere se distingue de la monographie et a, de meme, une indication methodologique. Dans cette vue Ie local et son "exterieur" ne repondent pas a l'ima­ ge de deux spheres objectivement separees. Aucune coupure phenomeno­ logique et antecedente a la conceptualisation ne separe les realites appartenant a l'un ou l'autre ordre qui s'integrent dans chaque cas, en u� concept unique. Dans ce cadre l'opposition local-exterieur au local s'assimile a une difference de niveau de la representation, ou de l'organisation cognitive de l'apprehension du reel. - Elle renvoie a un choix d'angle de vue different sur une realite consideree cornme identique a elle-meme, pour l'essentiel, dans toutes ses formes de concretisation, a quelque niveau spatial qu'elles se situent. On voit tout ce qui separe cette seconde version de l'approche loca­ lisee de la premiere. ici Considerer les choses sous l'angle local, c'est(focaliser l'approche d'un phenomene sur un segment reduit (plus reduit qu'a I'accoutu­ mee ... ) d'actualisation ou de concretisation de celui-ci, en faisant I 'hypothese, au contraire, que cette reduction d'echeIIe ou d'ins­ cription spatiale de I'observation, ne conduit pas a deconstruire Ie 6 corps invariant des determinations essentielles que l'observateur est parvenu a cbncevoir a propos de ce phenomene, en resistant aux effets de distorsion produits par la diversite du reel qui s'ac­ croit precisement a proportion de la localisation de sa demarche. Dans la premiere version, l'attention portee a la localite s'assi­ mile a la decouverte du fait qu'un changement - une reduction - de l'ancrage territorial de l'observation permet de mettre au jour un deploiement jusqu'ici insoup�onne de la realite, qui accroit l'in­ telligibilite des _articulations essentielles'de celle-ci. On assiste a un mouvement tendant a l'enrichissement, a la complexi­ fication des concepts, par leur territorialisation, qui prend pour point de depart un etat de la connaissance dont l'ancrage territo­ rial est non-pense (l'exigence de cette conceptualisation qui, pa­ radoxalement apparait alors ardue, ne surgit qu'a partir du moment ou l'on yalide scientifiquement la dimension de localite dans les objets etudies.) Dans Ie second cas rien de nouveau n'est en_principe a attendre de la localite, qui n'est nullernent a l'image d'un continent inconnu de la connaissance. Plus precisement dit aucune modulation d'ensem­ ble des concepts et des representations n'est liee de maniere sys­ tematique a une reduction systematique de l'ancrage territorial de 1 'observation. (Ceci ne veut pas dire evidemment qu'aucune informa� tion significative et meme decisive ne puisse etre acquise au niveau local; nous insistons sur l'emploi du terme systematique.) II n'y a pas a proprement parler une industrialisation locale qui serait differente dans son essence, de l'industrialisation "generale" (1) (en tant que ce concept existe valablement pour un territoire englo­ bant do rme , ) A Y regarder de plus pres, on voit que dans Ie premier cas la deci­ sion d'engager une approche localisee est precedee - logiquement et non chronologiquement - d'une sorte d'auto-prescription methodo­ logique de la territorialisation de l'approche, d'une attention nouvelle a la territorialite, appelee par Ie caractere prometteur des ponderations nouvelles et des reevaluations que semble permettre la prise en consideration de ce�te dimension. (1) Bien entendu, il y a une localite dans l'industrialisation : la forme de l'exercice du pouvoir dans-r'entreprise peut subir l'ef­ fet de facteurs culturels, donc varier localement, par exemple ... Mais il s'agit de notions exterieures au domaine semantique de l'in­ dustrialisation proprement dite. D'autre part, il peut y avoir, c'est une autre question, des formes locales d'industrialisation- qui font exception a un modele dominant dans l'espace national. 7 Dans Ie second cas la territorialite n'a pas a etre redecouverte. Elle est un "deja ,la". Elle figure parmi les constituants de prin­ cipe des phenomenes en cause, et structure de maniere originelle les representations et les concepts relatifs a ceux-ci. La ques­ tion de la reevaluation methodologique de cette notion ne fait pas sens comme dans Ie premier cas. La prise en charge de la territorialite est donc bien differente dans les deux cas de figure. Dans Ie premier cas, l'approche localisee coincide avec une rein­ troduction de la territorialite au sein des determinations perti­ nentes pour la pleine intelligibilite d'un objet donne. C'est donc, certes, a une reterritorialisation du concept, que lIon assiste. Mais une reterritorialisation exclusivement motivee par la "reha­ bilitation" du local comme objet d'etude, et qui se deploie a par­ tir des intuitions con�ues a propos de cette notion, en vue de lui offrir un cadre conceptuel consistant. La question de la territoria­ lite s'ouvre avec celIe de la localite et se ferme avec elle. Dans Ie second cas, les formes empririque� qui appellent l'idee de localite, meme si elles paraissent intuitivement constituer un niveau particulierement remarquable d'ancrage territorial de l'ob­ servation, ne sauraient etre assimilees a "la cause" d'une quelcon­ que redecouverte de la territorialite. A quelque echelle qu'on les con�oive, les phenomenes qui sont en question ici baignent de fa�on evidente et permanente dans la terri­ torialite et on peut, en un sens, affirmer que leur approche est toujours localisee, c'est-a-dire qu'elle comporte toujours la consi­ deration qu'il s'agit de phenomenes dont l'expression territoriale est l'un des attributs cardinaux. La question du choix d'un ancrage territorialise de l'observation qui correspondrait aux formes spatiales que Ie sens commun'identifie sous les termes "local" "niveau local", ne peut etre ici posee, en toute rigueur, qu'en reference au traitement general de la territo­ rialite tel qu'il est manifeste par Ie mode de connaissance appli­ que a ces objets "constitutionnellement" territoriaux. Definir les conditions qui peuvent conduire a ce choix implique donc de mieux cerner cette forme de connaissance, ce qui, insepara­ blement conduit a s'interroger sur la nature des objets auxquelles elle parait specifiquement apptopriee. C' est la voie que nous allons emprunter main tenant. Parcourir cette voie sera du meme coup pour nous une f a co n de d e f i.n i r avec p Lus de precision et de rigueur Ie cadre epistemologique et methodologique dans lequel s'inscrit de toute evidence notre propre objet de recher­ che, dans lequel il est clair que la territorialite s'indique comrne une donnee tres importante. -- -� --- - - - - .. - 8 Les objets constitutivement territoriaux requierent une forme de connaissance dont une des particularites est justement la necessite devant laquelle elle se trouve placee de juguler sans cesse les effets scientifiquement anomiques que tend a induire la diversite territoriale confondue avec leur particularisation, de ses objets. Une des taches principales de ce type de demarche est d'integrer en un corps cognitif .coherent et signifiant les 'images eclatees que lui renvoie la realite a laquelle elle a primitivement affaire. 11 faut considerer ces formes de connaissance sous un aspect dynami­ que. Leur finalite propre est la construction d'une representation centrale porteuse d'une signification unifiante et generalisable a partir des representations partielles attachees a l'ensemble des for­ mes de concretisation par lesquelles s'exprime un phenomene. D'ou l'image d'un mode de connaissance subissant une tension permanente entre un pole de la generalisation et de la signification centrale et un pole de la particularisation et du sens eclate. Ce glissement d'un pole a l'autre est constant et prend la forme d'un processus dialectique dans lequel sont impliques les deux niveaux de la concep­ tualisation, et qui tend a la verification constante de leur cohe­ rence mutuelle, -e t; au p r oq r e s permanent de l' intelligibili te globale a laquelle tous deux concourent. Insistons aussi sur le fait qu'il n'y a pas lieu ici de poser l'an­ teriorite et la preseance d'un mouvement sur l'autre; si on le fai­ sait on s'acheminerait sans doute vers une interpretation sous la forme de la succession d'un moment theorique et d'un moment empiri­ que, point de vue que nous reservons ici. II importe au contraire de soutenir que, dans cette vue, si Ie moment de Ia signification centrale parait de toute evidence le plus impor­ tant, cette importance ne lui vient pas d'un statut theorique. Nous entendons au contraire valider l'idee que, au strict point de vue methodologique ou no us nous pla�ons, les deux moments ont autant d'im­ portance l'un que l'autre, et doivent etre con�us comme formant un couple inseparable. Comment intervient la territorialite dans ce processus? 9 Elle est indissociable de la particularite. Toute forme de concre­ tisation est, ipso facto, une forme de territorialisation. La progression vers Ie schema epure de la signification centrale slaccompagne d'une deterritorialisation liee a la perte progressive de la particularite. Mais ceci nlest qulune representation conventionnelle. En realite, il y a simple changement d'ancrage territorial. La deterritorialisa­ tion du mouvement ascendant est, en fait, une reterritorialisation a un niveau superieur dont Ie principe de cloture est Ie plus sou­ vent extra-scientifique (Ie territoire entier de la nation, de la societe auxquelles appartient l'observateur ... ). Cette reterritorialisation cependant reste tacite (et finit par faire l'objet d'une sorte de lapsusJ si bien qulon peut parler d'un processus d'abstraction de la territorialite, a partir duquel tous les malentendus sur les references territoriales concretes propres a un observateur lorsqu'il parle, peuvent se creer. A quels objets convient la methode de connaissance que nous venons de decrire brievement ? Elle est de toute evidence adaptee a l'interpretationces phenomenes singuliers, d'essence historique. Des realites que leur nature ne predispose pas au recadrage par des concepts representatifs de lois scientifiques. Le fait d'exclure par principe, comme nous l'avons fait, qulun mo­ ment ou un schema theorique puisse dominer la demarche ou la prece­ der logiquement s'accorde avec, et confirme cet ensemble de caracte­ ristiques. A ce point, il importe de placer notre definition sous l'eclairage procure par la distinction operee par Max Weber - notamment - entre "methode naturalistique ou generalisante"et"methode historique ou 10 individualisante" (1) et les objets qui peuvent etre construits par reference a l'une ou l'autre des methodes. Bien des indices nous invitent a conclure que la methode que nous avons dec�ite s'appa- rente de tres pres a ce que I' auteur allemand en tend par "methode historique ou individualisante"; et donc que, d'autre part, les phenomenes "a territorialite inunanente"dont nous avons ete .: amerie s a v a Lo r i.s e.r I' existence sc i.e n tLf Lqu e ," entrent parmi les ob- jets auxquels l'orientation methodologique weberienne s'applique. Ce rapprochement nous permet un meilleur balisage de notre propre voie. Une premiere precision s'impose ainsi : La progression vers la signification centrale generalisable, que nous avons decrite comme un des moments de notre demarche ne doit pas etre confondue avec la tentative pour etablir la correspondance entre la realite - singuliere - observee et un concept exterieur renfermant un ensemble de lois et de relations generales. Le caractere "generalisable" de la signification s'applique dans les limites strictes de l'extension propre du phenomene. II est Ie re­ sultat d'un travail sur la texture de celui-ci. Un travail de con­ ceptualisation qui est dirige vers l'essence singuliere de la rea­ lite en cause, et a pour objet la penetration et l'apprehension exhaustive de la signification de sa singularite, et non sa subsump­ tion sous un cadre theorique transcendant. En franchissant un second pas, on est vite amene a constater que notre demarche repond de fa90n assez precise au cheminement que sug­ gere la methode weberienne de l'ideal-type (2); dont Julien Freund dit : "il est Ie mode de construction de concepts propre a la me­ thode historique ou individuaLisante, dont nous savons qu'elle a pour objet l'etude de la realite et des phenomenes dans leur singularite" (3), ajoutant que la question a laquelle s'efforce de repondre Max Weber dans ce cas, est la suivante : "est-il possible de former des (1) Nous nous referons ici etroitement a l'expose que fait Julien Freund de ces questions dans son ouvrage sur l'auteur allemand (Julien Freund. Sociologie de Max Weber. Paris, PUF, 1968, p. 32 et suivantes) ' .. - .... ______.........-_. -� .. -.._- .... ' 11 concepts individuelsi bien qu'on admette couramment qu'il n'y a que des concepts g�n�raux ?" (1) Ce mouvement que nous avons d�crit entre Ie pole de la significa­ tion centrale et celui des formes concretes et de leurs significa­ tions partielles, sugg�re bien cet image paradoxale de la formation d'un concept du singulier. II n'est pas jusqti'A ce processus de "d�territorialisation" se con­ juguant avec une "d�particularisation" qui ne trouve un �cho pr�cis dans la figure de l'id�al-type. A propos de celle-ci Julien Freund a, en effet, une formule saisissante, ilIa qualifie d'"utopie ra­ tionnelle"j or utopie signifie litt�ralement "qui n'existe en aucun lieu", donc qui voit sa territorialit� abolie. Au point OU nous en sommes apres ce recadrage th�orique, comment aborder la question des variations de l'ancrage territorial des ob­ servations ? R�affirmons tout d'abord que l'appr�hension des formes de concr�tisation des ph�nomenes n'est pas un aspect subordonn� mais un aspect constitutif de ce mode de connaissance. Et que, donc, toute d�marche s'originant A ce dernier, ne peut se d�velopper qu'en r�f�­ rence a un ancrage territorial pr�cis li� a une expression concre­ te - qui a A etre pens� comme tel, dans chaque cas. (il est exclu ici que la territorialit� fasse l'objet d'une "d�couverte" soudaine sous l'unique et �ph�mere forme de la localit� par exemple.). Autre­ ment dit la localisation de l'�pproche doit voir ses effets pris en compte et mesures dans chaque cas, a quelque niveau territorial que l'on se place, et pas seulement quand il s'agit de l'"approche loca­ lis�e�'. Nous avons dit que notre d�marche �tait travaill�e par deux moments indissociable prisdans un processus dialectique : Un moment "ascen­ dant" au cours duquel on forme un sens g�n�ral a partir des formes (1) Julien Freund (�. cit.) 12 concretes, un moment "descendant" ou lion assigne du sens general � des formes particulieres. Un moment ou on construit une "struc­ ture logique" (1) , un moment ou l'on met en jeu celle-qi, ou on l'eprouve. Au premier moment correspond une deterritorialisation de la representation, au second, une reterritorialisation. En fait, nous Ie savons, les deux moments sont indissociables, et forment une activite unique que lion peut sommairemertt qualifier d'interpre­ tation d'''un'' reel. Celle-ci peut @tre, certes, definie par refe­ rence prioritaire � son moment de c�ntration sur la structure logi­ que, ou la signification centrale, mais aussi par reference � la necessite ou elle se trouve de maitriser, c'est son deuxieme moment, la variabilite concrete - territoriale - qui brouille dans chaque cas la figure de la signification centrale. - Pour employer une formulation fortement reductrice, on peut dire, que la signification centrale, qui n'a d'existence propre que dans la conceptualisation de l'observateur, s'exprime de fa�on differen­ te suivant les lieuxi ses expressions sont toutes sOUrnises � la va­ riabilite territoriale. Le "jeu" consiste � (re)trouver la struc­ ture logique sous des expressions territoriales variables. On peut en conclure, qu'il est indispensable que dans notre cas, la structure logique se voit adjoindre constitutive- ment un dispositif conceptuel permettant de cadrer la variabilite terri toriale duo phe nome ne etudie. Ce disposi tif doi t comporter essen­ tiellement une identification des differentes dimensions par rapport auxquelles les expressions territoriales peuvent varier. L'ideal­ type, cornrne methode heuristique, pour que son efficacite soit com­ plete, doit donc comporter, da�� notre cas - les phenomenes "A for­ te territorialite" - un corps de significations centraIes, ou struc� ture logique, et une structure adjacente delimitant Ie cadre des variations possibles - et admissibles - de la structure logique, dans son actualisation territoriale. Dans la perspective que nous tra�ons ici, chaque cas de recherche concrete � un ancrage territorial au niveau local par exemple - peut petmettre de mettre l'accent soit sur l'approfondissement (1) Julien Freund (£E. cit.) 13 de la structure. logique, soit sur les conditions de la variabilit§ territoriale (ce qui est tout autre chose qu'un inventaire plus raf­ fin§ des particularit§s locales !), selon que le cas parait plus exemplaire sous l'un ou l'autre des aspects. Mais dans les deux cas l'objet reste la totalit§ concr�te "signification centrale + §tat quant aux conditions de variabilit§", et c'est dans les deux cas l'enrichissement de la connaissance globale du ph§nom�ne qui est vis§e. ·Ceci permet de sortir de l'alternative inf§conde devant laquelle se trouvent trop souvent plac§es les §tudes locales, dans certains domaines i soit r§p§tition infinie de la meme §tude g§n§rale (d§ter­ ritorialis§e), soit d§rive vers la monographie et l'in§puisable par­ ticularit§. Notre "ph§nom�ne singulier", c'est l'implantation sociale des tra­ vailleurs immigr§s, l'ensemble des relationnements sociaux.qui se d§veloppent aut�ur de cette implantation. Pour signifier l'aspect global, nous appelons cela la r§alisation de l'"habiter" des immi­ gr§s. En vertu de ce qui pr§c�de on aura compris qu'il ne s'agit pas pour nous, ici, de mieux cerner un processus imm§morial, il s'agit de l'immigration actuelle consid§r§e dans son historicit§. Dans cet "habiter", pour la cOmInodit§, nous d§limitons trois domai­ nes principaux. "Produire" {insertion sur Ie march§ du travail et dans l'univers de l'entreprise)i "se loger" {acc�s i l'habitat, co­ habitation spatiale)i "s'§duquer" (scolarisation, formation et plus largement socialisation.). On notera que, dans cette conception, le point de vue socio-§cono­ mique, d€bouchant sur un rep§rage structurel, pr§vaut. Les aspects culturels et identitaires sont pris en compte, essentiellement, dans les articulations qu'ils pr§sentent avec le domaine pr§c§dent. 14 Quelle est la structure logique, ou la signification centrale, sur laquelle au stade actuel de nos travaux, peut se fonder la comprehension generale de.ce phenomene ? Nous posons que l'immigration "de notre temps" s'articule comme cause et effet a un mouvement general de reclassement - de promo­ tion sociale - des couches sociales inferieures de la societe d'ac­ cueil. Sous reserye de parler de tendances, On peut soutenir ainsi que les "nouveaux-venus" se voient affecter, logiquement, a des em­ plois de niveau inferieur, CIa strate d'emploi liberes) et, plus largement, se voient assignes, symboliquement a une strate inferieu­ re de "status" social, par rapport a ceux qui vont devenir leurs voisins sociaux (et souvent spatiaux.), ceux pour qui l'appartenance a la classe populaire, est a la fois encore vivante et cependant en question. Cet ecart, structurel, objectif, "socio-historiquement" assigne qui existe initialement entre les immigres et leurs voisins, se voit, de plus subjectivement revetu d'un caractere apodictique aux yeux de ces derniers. C'est sur Ie caractere necessaire et legitime - par ailleurs,peut­ on soutenir, largement legitime, au depart, par les immigres eux­ memes - de cette segregation initiale des immigres, qu'est fondee en grande partie l'intelligibilite de l'immigration aupres de ceux qui sont Ie plus etroitement concernes par elle. Ce rapport d'inegalite initial devient, par la suite, dans Ie devenir intergenerationnel, l'enjeu d'une relation, sourdement conflictuelle entre les deux couches sociales. Les uns entendant qu'il se produise a l'identique, les autres s'effor�ant de s'y soustraire. L'implantation sociale des immigres est done, pour nous, un proces­ sus profondement "travaille" par un rapport social specifique que nous proposons d'appeler "rapport de cohabitation" entre les immigres et leurs "voisins". Les autres elements, tels que Ie r6le des cadres institutionnels et politiques du pays d'accueil, engagements militants, determination et choix des immigres eux-memes, ne cesse pas pour au­ tant d'etre considerable, mais leur impact doit etre examine a la lumiere de ce rapport. Nous resumons notre vue par la formule : . "l'habiter est un cohabiter". 15 Si l'on veut donner au terme "insertion" une acception positive, on peut dire que l'insertion est assimilable au processus de re­ duction de cette inegalite specifique. Elle peut se di!e aussi acces pour les immigres a des capacites et des chances sociales egales a celles de leurs "voisins". (Ces capacites et les chances de ces derniers seraient-elles insuffisantes! ... ). La symetrie que s��gere Ie terme "rapport de �ohabitation" ne doit pas faire croire a un face a face equilibre. La relation en ques­ tion est marquee par une domination - relative - des voisins des immigres sur ceux-ci ... On peut exprimer plus simplement cela en parlant d'une resistance populaire diffuse et plus ou moins cons­ ciente a l'insertion des immigres. Nous soutenons cependant qu'il existe, au sein de la classe popu­ laire nationale, au moins potentiellement, des conditions "praxeo­ logiques" suffisantes pour que cette domination se renverse en ac­ cueil �t integration, a certaines conditions cependant qu'il faut examiner main tenant. Indissociablement ancre au rapport de cohabitation dans Ie champ intersubjectif ou s'inscrivent les relations concretes entre les immigres et leurs voisins, nous postulons l'existence d'une rela­ tion identitaire, impliquant une activite d'interconnaissance, au travers de laquelle se construit, se reproduit, ou se dissout, l'al­ terite ethnique des immigres (l'attribut totalisant qui a pour cor­ rolaire leur exteriorite maintenue a la "polis", a la nation.). Cette relation est donc pour nous Ie lieu d'un processus d'ethnici­ sation (ou de "desethnicisation") reciproque et symboliquement nego­ cie (et qui correspond a tout abtre chose qu'aux vues"chosifiees" sur Le maintient ou I' abandon de "la difference".). L'alterite ethnique, soulignons-le enfin est considere par nous ex­ clusivement sous l'angle de sa production dans un rapport de subjec­ tivite a subjectivite; et ne refere pas a la prise en compte par l'''observateur'' de traits objectifs:ce qui est objective ce sont les representations construites dans cette relation"seraient-elles pro­ duites par des consciences falsifiees, non les traits des acteurs (1). (1) De ce point de vue Le signifiant "imnigre" a pour referent (ne pas confondre avec signifie ... ) des groupes sociaux definis structurellement et non substan­ tiellement. II est clair que les "inroigres" du rrorrent sont essentiellerrent les Maghrebins. Mais cette assignation peut varier territorialerrent (les Turcs ici au la, voire les Portugais ... ) et surtout, historiquement! Segregation + ethnicisation desegregation = desethnicisation desegregation + ethnicisation = paix sociale = paix sociale = tensions sociales. 16 Selon ce cadre conceptuel, l'insertion des irnmigres peut etre re­ gardee cornme un processus "negentropique" au cours duquel se dis­ sout leur inferiorite initiale. Pour que ce processus s'accomplisse sans heurts, il faut que la segregation initiale de ces groupes soit delegitimee par leurs voi­ sins (et aussi par eux-memes! ... ), et cette delegitimation a elle­ meme pour condition la desethnicisation de la relation identitaire. Si l'on entend prendre en compte les preoccupations de paix sociale qui sont generalement celles des acteurs politiques, on peut indi� quer que, de ce point de vue, se dessinent les figures logiques sui­ vantes. Indiquons enfin que les couches sociales qui composent reellement ou virtuellement la classe populaire nationale paraissent travailles en tendances, par une division en deux polarites de dispositions assignables en termes de probabilite statistique a deux grandes ca­ tegories differenciables par leur position respective sur la "trajec­ toire" socio-economique - : un pole d'exclusion sans condition (groupes reclasses ou en voie de reclassement.) un pole d'integra­ tion ou la demande correlative de desethnicisation est intense (groupes tendant a la parite socio-economique avec les irnrnigres.) Ce corps de signification const-i. tue Le principe heuristique cornrnun a l'ensemble des expressions concretes, territorialement deployees, de notre "phenomene". Dans la logique des positions que nous avons decrites, la recherche de delimitations territoriales fines est seconde par rapport a l'objectif d'identification de situations typiques presentant une certaine marge de variabilite entre elles, mais concourant a affi­ ner et a conforter la signification centrale. · -. - - .. _ � - - - 17 L'operation qui consiste a identifier une expression typique du phenomene, en se preoccupant de maniere particuliere de l'ancrer a une inscription territoriale relativement stable, (tqujours en de�a de l'inscription nationale i la region, Ie bassin d'emploi ... ) et jugee surdeterminante, doit etre consideree comme Ie point d'aboutissement de la demarche non son point de depart. Par rapport aux recherches qui valorisent Ie concept de local, on observe ici un renversement. L'ancrage territorial (eventuellement "local" •. ')1 qui correspond a un moment methodologique necessaire de la recherche, voit l'importance de son choix relativisee. Le probleme essentiel est: a partir de l'abord d'un segment donne du phenomene, comment definir les limites territoriales de nature a donner acces a l'ensemble des determinations, diversement territo­ rialises, a l'oeuvre dans ce segment? La difficulte principale ici est qu'il n'y a pas forcement convergence entre les delimitations territoriales, ainsi con�ues, selon que l'on envisage une dimension ou une autre du phenomene (ainsi, partis d'une etude sur un quartier d'habitat social de la Seyne-sur-Mer, il nous a paru utile de faire intervenir la commune, Ie bassin d'emploi, l'agglomeration, la re­ gion, etc ... ) D'ou la question: quelles dimensions convient-il de prendre en compte pour avoir une vue d'ensemble des determinations-diversement territorialisees - agissant sur un segment du phenomene ? Nous en definissons quatre : Le contexte, l'etat et les enjeux de l'insertion, la spatialisation, les dispositifs organisationnels. [ Nous reproduisons en const�tuant les deux rons reference ici a annex� �e t�blea� analytique des elements d ameris a.on.s premieres!, les seules auxquelles nous fe- propos de notre exemple de la Seyne sur Mer. ] II nous faut maintenant eclairer un peu plus ce cadre conceptuel en utilisant l'exemple de notre enquete a la Seyne-sur-Mer. On aura compris, par ce qui precede, que justifier ce choix ne presente pas grand interet pour nous. II suffit, en somme, qu'il s'agisse d'un -- - ---- II. Etat et enjeux de l'insertion. Dimensions I, Contexte A.Contexte economi­ que B.eontexte socio-demo­ graphique C.Contexte migratoire D.References locales de la problematique migratoire A. Produire a b B. Se 10ger ANNEXE Contenu ancrage territorial possible �.�istoi�e du �eve10ppement econom1que recent .conditions de l'appe1 a 1a I m�in d�oeuvre etrangere. .S1tuat10n economique actue1- \ Ie. bassin ( commune � d 'emploi (contexte regional) .structure demographique ( •. position structure1le de ) l'apport etranger. ') .evolution de 1a structure ( sociale locale • • histoire locale de l'immi­ gration .description des populations etrangeres. .migration "intra-nationa1e" .structure demographique des populations. { commune, agglomeration 1 bassin d' emp Lo L. -, i ;(comparaison avec situation ( nationa1e). ( \ bassin d'emp10i � commune I \ Region (1) memo ire collective et si- ( Region ; tuation actuelle de \ commune \ l'identite politique. �bassin d'emp10i, "\ 2) memo ire collective et pro- i ( blematique actuelle de \ . l'identite ouvriere. etc .• position structurel1e des immigres en terme de statut professionne1. position des immigres en terme de ?ranches d'activi­ te (comparaisons regionales et nationales). commune bassin d' emploi agglomeration examen de 1a position des immigres sous Ie critere precarite!chomage. .orientation des formes de gestion de la force de tra­ vail • bassin d'emploi c commune bassin d ' emploi a • tendances dans 1a structure interne de 1a c1asse popu- 1aire .gestion de l'urbanisation so- commune,departement . ciale. b .eva1u�tion des conditions d "hab Lt a t des Irnm Lg r e s .gest10n de l'acces au loge­ ment. commune, bassin d'emploi c commune, departement - _.-- - - - -- - - 18 "segment" donn§ de manifestation de notre ph§nom�ne, la seule con­ dition sine qua non est que Ie "segment" choisi pr§sente des con­ jonctions sociales concr�tes (spatialis§es) rassemblant des repr§­ sentants des couches sociales(l) impliqu§s virtuellement dans ce "rapport de cohabitation" qui constitue Ie pivot de notre "signi­ fication centrale". (Ce rep§rage, rel�verait, en toute rigueur m§- thodologique .d'une analyse r§f§r§e � la'dimension de�patiali- sation") . Dans notre cas, en fait, on peut pr§senter les choses en disant qu'une anticipation institutionnelle(2) de ce rep§rage s'§tait produite en vertu de laquelle Ie quartier de la "ZUP de Berthe" � La Seyne-sur-Mer �tait offert � nos investigations; tout indiquait d'ailleurs que ce quartier repr§sentait � merveille Ie type de conjonctions sociales recherch�. Dans ce travail d'illustration, nous ne ferons intervenir, faute de place que deux des dimensions de variabilit§ : Ie contexte et l'§tat et enjeux de l'insertion. En-pr§liminaire voici Ie cadre analytique que forment ces deux dimensions : Par rapport aux perspectives trac§es par ce tableau, on constate (IA) (3) que La Seyne r§pond � l'image d'une ville ouvri�re dont la croissance est directement li�e � celIe des chantiers de cons­ truction navale(4). Le d�veloppement de cette mono-industrie com­ mence (dans Ie prolongement d'une tradition s§culaire) dans la se­ conde moiti� du XIXe si�cle. L'effectif ouvrier de ces chantiers est de 4.000 en 1913, et culmine � 6.000 en 1976 (pour redescendre (1) C'est-a-dire des nationaux des classes populaires et des immi­ gr§s (pour l'acception de ce dernier terme, voir note p.IS. (2) II s'agit de la participation au dispositif de recherche mis en place par Ie Minist�re de l'Urbanisme et du Logement (Plan-Cons­ truction) et la commission de d§veloppement social des quartiers sur les quartiers d'habitat populaire pr§sentant certains probl�mes caract§ristiques communs. La ZUP de Berthe � La Seyne-sur-Mer est un des tous premiers quartiers � etre admis en 1981 au b§nefice de cette procedure nouvelle. (3) Les chiffres et les lettres renvoient dans chaqUe cas � une en­ tree du tableau analytique des dimensions. (4) Nous nous sanmes largernent Inspi.res pour 1a partie historique de cet article des riches travaux de Patrick Martinenq ("Ouvriers des chantiers navals et nodes de vie; La Seyne-sur-Mer et son marche de I' enploi : 1830-1981. These de 3e cycle, nov. 1982, E.H.E.S.S.). -- ---- � �-- -- 19 a 3.700 en 1984, 2.000 a fin 1985, la situation actuelle etant marquee par des menaces de fermeture torale imminente). Deux caracteristiques importantes seront presentes des Ie debut et perdureront so us des aspects variables, jusqu'a la periode la plus recente . • appel constant de l'industrie locale a la main-d'oeuvre immigree, nationale et etr�ngere (IC). • Separation des emplois en deux grandes categories : un secteur d'emplois qualifies, proteges, formant la base possible d'une sor­ te d'"aristocratie ouvriere", d'une part; et, d'autre part, un secteur d'emplois peu qualifies et entaches de precarite, constitue et gere (IIAG) au travers d'entreprises sous-traitantes et, plus recemment, de societes d'interim dont la presence permet a la direc­ tion des chantiers de supporter l'irregularite et Ie manque de suivi qui constituent une des particularites du marche de leur produits. Ce second secteur d'emploi conditionne (IDd2), une identite ou­ vriere inferiorisee par rapport au premier secteur (Une disjonction qui tend d'ailleurs a prolonger ses effets dans la ville et l'habi­ tat ou est perceptible une certaine segregation residentielle qui lui repond). Ce second trait se trouve accentue au cours du tournant industriel et social qui se situe au moment de la guerre (immediatement avant et apres). Le processus productif, en effet, se voit alors profon- .. dement transfonne : "taylorisation.". accrue� separation entre travail en ate.lier et travail de bord, introduction des technologies modernes, voila les traits principaux de catte transformation. Le patronat en partie guide par des objectifs d'accroissement de rentabilite, en partie sous la pression du syndicat CGT dont la puissance s'affirme, est amene a developper une politique du person­ nel favorable a la promotion des ouvriers du premier secteur : diversification et relevement des qualifications, disparition quasi­ totale des manoeuvres et des "03", creation du statut de technicien, avancement assure; a cp.ci s'ajoute llne veritable politique sociale: retraite complementaire, aide au logement dans Ie cadre de la cons­ truction de logements HLM entreprise par la Municipalite. Tous Ces - - - -- � .. �-- -_ - - 20 facteurs renforcent la tendance i la formation locale d'un fort noyau d'ouvriers privilegies, conscients d'appartenir i une elite. Cette appartenance traverse les generations. C'est souvent de pere en fils qu'on est ouvrier de "la navale" (oQ on entre par l'ecole d'apprentissage speciale creee en 1949). Dans ce meme temps les entreprises sous-traitantes qui permettent i la direction d'absorber les "i coup" du m�rche, se developpent et se multiplient (leur "age d'or" se situe entre 1970 et 1975 ... ) et se voient affecter Ie "travail de bard" (montage d'elements nor­ malises construits i l'exterieur, sablage, peinture ... ). Leurs em­ ployes ant generalement des salaires inferieurs i ceux des ouvriers de "la navale", et leurs conditions de travail sont plus difficiles. Enfin, bien que la plus grande partie de leur travail s'effectue a bard des navires, ils n'ont pas Ie sentiment de faire partie reel­ lement des ouvriers de cette "aristocratie" que tendent i consti­ tuer les ouvriers des chantiers navals. L'effet induit principal du developpement des chantiers navals hors de leur sphere d'activites propres, est la creation d'un im­ portant secteur du "batiment et travaux publics" en raison notam­ ment de la politique active de construction de logements sociaux engagee apres la guerre par la Municipalite communiste(l). Les ef­ fectifs de ce secteur d'emploi vont atteindre deux mille person­ nes au cours la decennie 1960-1970. Le developpement des chantier�. navals a de taus temps necessite l'appel a une main-d'oeuvre immigree (IC). Ces immigres ont ete, au cours d'une tres longue periode, presque exclusivement des Ita­ liens (Piemontais, Toscans, Venitiens). lIs representent en 1881, 13% de la population seynoise, et leur part dans la population ira jusqu'a atteindre 30% en 1921 (pour regresser ensuite sous l'effet de la crise, des tensions entre la France et l'Italie fasciste, et (1) Voir i ce sujet, M. ANSELME et R. WEISZ "Un systeme economique en mutation: l'exemple de La Seyne". In Sud-Information economique n° 62, 1985. 21 aussi sous l'effet ... des naturalisations et des acquisitions de nationalite.). Ces Italiens sont majoritairement employes aux chantiers navals (ils forment 41% de leur personnel en'1881) ou ils occupent initialement les emplois du second secteur avant de penetrer - "intergenerationnellement" - dans Ie premier. Parmi eux l'engagement dans des activites politiques ou.syndicales est fre­ quent : ils figurent (avec les bretons) tres souvent au rang des premiers leaders des luttes syndicales. Beaucoup d'entre eux qui appartenaient d'abord a la mouvance de l'anarcho-syndicalisme, re­ joindront, apres 1917, les rangs du parti communiste et renforce­ ront son implantation grandissante. A partir de 1960 on assiste a l'arrivee d'une seconde vague migra­ toire (IC) essentiellement formee par les Maghrebins{l). Les Alge­ riens d'abord a partir de 1962, puis les Tunisiens et les Marocains a partir de 1968. Ce groupe constituera en 1982 6% environ de la population seynoise (9% si on y ajoute les nFran�ais par acquisi­ tion" de meme origine). II faut mentionner, aux cotes de ces maghre­ bins un petit nornbre de senegalais (1,5% des habitants de la com­ mune) auxquels s'ajoute un nornbre non negligeable de familIes de la meme origine, qui ont choisi la nationalite fran�aise a l'inde­ pendance de leur pays .. Les travailleurs de cette nouvelle vague migratoire seront employes soit dans les entreprises sous-traitantes des chantiers navals, soi t dans l' importan t s ecteur du ba timen t qui se d e ve Loppe alors �I, A noter que dans Ie premier cas une specialisation ethnique interne (I) Sur Ie bassin d'emplois toulonnais ce sont les Algeriens qui forment Ie groupe Ie plus nombreux dans la population mag�rebine (40 2%) alors que sur la commune de La Seyne proprement d�t ce sont les Tunisiens qui sont en majorite (62,7% des Maghrebins) Ceci s'explique sans doute par Ie fait que les membres de la.com­ munaute tunisienne sont frequemment originaires du port de B�zerte et de sa region, ou les "primo-arrivants" avaient a::quis des qua­ lifications dans des activites liees a la construct�on navale. De plus, en raison des perspectives que paraissait.offri: ce secteur d'emploi, ces Tunisiens ont plus frequemment fa�t.v�n�r leur :a­ mille que les autres Maghrebins (taux de mascul�n�te en 1982 . Tunisiens, 52%; Algeriens : 61%; Marocains: 68%). 22 apparait (IIAb) : les Senegalais sont generalement affectes aux travaux les plus penibles et les plus dangereux (peinture, travaux de carenage ... ){l). Les Maghrebins eux sont employes �ans la chau­ dronnerie, la metallurgie, l'armement. La croissance urbaine suit d'abord celIe des chantiers navals qui la conditionne. La ville (lIb) qui compte 8.709 habitants en 1856, en comptera 19.747 (dont 23% d'etrangers c'est-a-dire d'Italiens en 1906), 39.636 en 1962. Au cours des deux dernieres decennies la ville va connaitre un ac- croissement important - elle atteindra 57.000 habitants en 1982. Un accroissement du pour beaucoup a des courants migratoires divers, qui ne sont pas tous lies aux besoins en main-d'oeuvre des chan­ tiers navals (IB). Parmi ces courants, on note celui des rapatries d'Algerie(2), essentiellement, auquel il faut ajouter sans nul doute, une part du courant migratoire d'origine nationale forme de retraites et d'"actifs" employes dans les secteurs non marchands ou Le "tertiaire", notarmnent Le tourisme, qui touche alors la region tout errt i.e.r e et qui est l'indice de transformations economiques: _;e.t sociologiques profondes. Au cote de ces courants migratoires nationaux prend place, nous l'avons vu l'immigration de travail etrangere, qui nous occupe ici.(3) Le parc de logements sociaux (IIG) inexistant avant la guerre passe a pres de 4.500 unites en 1984 (dont 3.500 sont concentres a la "ZUp de Berthe" qui abrite 20%' environ de la commune , c'est-a-dire une grande partie de sa frange ouvriere.) (1) Cette assignation ethnique n'est pas sans trouver son echo dans les representations qu'ont les Maghrebins des Senegalais (en fait pour eux les "noirs" ... ) du moins en tant que travailleurs et qui sont parfois assez dev a Lo r Ls an t.e s . (Pour Le travail,' ce sont de veritables machines etc ... ") (2) On en denombre 40.000 pour Ie departement du Var (qui comptait 625.000 habitants en 1975). (3) Au cours de la per.iode intercensitaire 1975-1982, la population de La Seyne augmente de 14,3% et cette augmentation est dUe pour 12,5% a l'accroissement de la population etrangere (qui augmente de 23%). Sur Le bassin d' emploi tou­ lonnais, on note une augmentation totale de 10,6% due pour 10,9% a la popula­ tion etrangere (qui augmente de 19%) (IB) . - - -- - -.� ��-� 23 11 faut dire un mot des liens entre Toulon et La Seyne, qui prati­ quement se touchent dans l'espace, et sont inclus par les statis­ ticiens dans le meme bassin d'emploi (III spatialisation ... ). Le parc de logements sociaux de La Seyne est proportionnellement superieur a celui de Toulon (4.360 logements HLM a La Seyne contre 7.490 a Toulon pour une population dix fois superieure); ceci sug­ gere une sorte de chevauchement de fonctions, La Seyne remplissant en partie le role de zone d'habitat populaire pour Toulon. Cette integration partielle ne doit pas dissimuler tout ce qui op­ pose les deux villes. Toulon est une ville dont l'importance, due a des fonctions adrninistratives et militaires est anciennei au mi­ lieu du-siecle dernier, sa population etait deja dix fois superieu­ re a celle de La Seyne. Ces fonctions ont abouti a la creation d'un fort secteur d'emplois proteges dans des secteurs d'activites non marchands (1 emploi sur 4). La Seyne, au contraire, apparait cornrne un pur produit de l'initiative capitaliste et correlativement son identite ouvriere est affirmee, alors qu'a Toulon c'est une iden­ tite "petite bourgeoise" qui predomine (Toulon compte 25% d'ouvriers c�ntre 40% a La Seyne en 1982). Pendant longtemps, cette opposition materielle et syrnbolique entre les deux poles du bassin d'emploi a eu aussi, en quelque sorte, une traduction politique. En effet, logiquement, pourrait-on dire, le parti cornrnuniste a conquis la Mairie de La Seyne en 1947 (le premier maire cornrnuniste est d'ori­ gine italienne et fils d'ouvrier ... ). La Seyne va constituer ainsi un bastion de gauche face a Toulon jusqu'en 1985, ou elle passera aux mains de la droite (ID.l), homogeneisant,au plan politique, en quelque sorte le bassin d'��ploi, cornrne signe sans doute de pro­ fondes mutations sociales. A partir des elements qui precedent on est a meme de cerner les contours historiques d'un paradigme local de l'insertion des imrni­ gres ou se reflete parfaitement notre "signification centrale". La sphere d'emplois suscites par "la navale", on lea vu, comporte une stratification a deux et meme a trois niveaux (car il faut y inc lure les travaux particulierement devalorises confies aux tra­ vailleurs noirs) differencies par les conditions objectives - et subjectives - offertes a ceux qui les occupent : strate "noble" des ouvriers de la navale, et strate inferieure des emplois de la sous-traitance, avec sa subdivision en deux categories. 24 Les enjeux de l'insertion - c'est-a-dire du rapport de cohabita­ tion - se cristallisent sur ce changement de position dans cette structure interne du "status" ouvrier. Les imrnigres du passe - les Italiens - se voient assigner a leur arrivee une position dans Ie second secteur d'emplois, l'insertion se joue, "interge­ nerationnellement", sur Ie passage au premier secteur d'emploi qui s'interprete aussi comme l'acces - ou l'affiliation - a la pleine identite ouvriere. Ce passage etant plus aise lorsque on est en periode de pleine activite ou de croissance economique. Fait capital a noter : la desethnicisation des relations concre­ tes qui accompagne et conditionne cette insertion s'opere, priori­ tairement, par reference a l'identite ouvriere. Elle est Ie "lieu" symbolique de l'integration. C'est par rapport a cette identite que la frontiere de l'alterite ethnique est appelee a se dissou­ dre. C'est en son nom que les ouvriers frangais reclament et pro­ posent cette dissolution, grandement facilitee par Ie dynamisme du mouvement ouvrier. Ce modele a fonctionne quelque temps pour la vague migratoire des annees 60-70. Plus exactement, il n'y a que la premiere phase, segregative, qui s'est deroulee conformement au "modele" (cette epoque de "segregation heureuse",nous avons entendu certains ou­ vriers tunisiens l'evoquer comrne un age d'or ... ). Mais Ie modele est aujourd'hui en crise. Pour comprendre cette crise, il ne faut pas se contenter de faire intervenir des causes simples, comme Ie racisme populaire, ou l'attachement des Maghre­ bins a leur identitei il faut faire intervenir des chaines cau­ sales beaucoup plus complexeS� Car c'est tout Ie contexte de l'in­ sertion qui a change et pas seulement l'origine nationale des tra­ vailleurs immigres. C'est ce point que nous allons aborder mainte­ nant. Tout d'abord, les consequences du changement d'origine des flux (c'est maintenant l'immigration maghrebine ou du tiers-monde qui predomihe) ne sauraient evidemment etre passes sous silence. La premiere d'entre elles est Ie changement qui affecte les determi­ nations symboliques pesant sur les relations entre na tionaux et; 25 immigres. On peut dire qu'on assiste a une exacerbation de l'ethnicisation des rapports entre les deux groupes. Pas seule­ ment parce que l'alterite ethnique en vient reciproquement a �tre interpretee sur un registre "anthropologiqtie" qui la natu­ ralise; mais aussi parce que les violences ou les stigmatisations racistes dont sont frequemment victimes ces immigres-la (et en fait, a travers eux, la c1asse populaire t�ut entiere dont ils sont devenus les "marqueurs"), de la part des couches sociales de statut immediatement superieur, aboutit par effet de "schis­ mogenese", a exacerber chez eux la revendication de l'identite, qui a son tour renforce chez les nationaux, la certitude de leur "inassimilabilite". Et il faut avoir en memoire a ce propos les conditions creees par l'arrivee sur la commune, a l'instar de la region toute entiere, de nouvelles couches moyennes, qui tranfor­ ment profondement sa structure socio-demographique (IB). Les changements les plus importants se situent cependant dans la sphere socio-economique, ils permettent de "recadrer" utile­ ment Ie strict probleme de l'interethnicite. Le developpement initial du secteur du batiment constitue l'un d'entre eux. Ce secteur fait fortement appel a la main-d'oeuvre immigree(l). C'est une activite qui leur est abandonnee, et qui a ce titre, appartient au second secteur d'emploi. Mais c'est aussi une activite qui est coupee de la structure-objective et symbolique - des emplois, telle qu'elle s'est fixee a La Seyne aut�ur de "la navale" qui ne tire pas son sens de sa position dans , , ' cette structure; c'est donc une sphere autonome de representation de l'identite ouvriere qui se cree la, avec ses conditions de tra­ vail �t ses hierarchies particulieres, et les possibilites qu'elle parait offir d'une evasion de la condition ouvriere, sous la forme (1) En 1982, 12% des actifs fran�ais ages de 25 ans et plus sont employes dans Ie batiment sur Ie bassin d'emploi c�ntre 52% des Maghrebins. Sur La Seyne meme, 8% des f r anc a i s des memes tranches d'age travaillent dans cette branche, c�ntre 54% des maghrebins. 26 de l'artisanat et de la creation de peti es entreprises. Ce secteur d'emploi d'abord devalorise, risque, par la suite, mal­ gre la crise qui Ie frappera lui-meme,d'etre l'objet d'un rein­ vestissement, a la fois concret et syrnbolique, parfois fonde sur des representations largement imaginaires, de la part des ouvriers nationaux victimes eux-memes de la crise de "la navale". Ce qui peut constituer.une source de tensions supplementaires : de rele­ gues qu'ils sernblaient dans ce secteur, les immigres risquent d'apparaitre comme les detenteurs d'un monopole envie. Mais la rupture decisive est celIe qu'introduit la crise econo­ mique en general, et plus particulierernent celIe des chantiers navals; elle va entrainer la desagregation complete de l'espace ouvrier de la ville,et par voie de consequence, celIe des bases sur lesquelles s'§tait edifie Ie modele "historique" de l'inser­ tion des immigres. Le processus qui s'etait engage sur ces bases avec les Maghrebins de la vague migratoire des annees 60-70 va se trouver bloque. On peut montrer ainsi que c'est Ie nouveau contexte economique cree par la crise qui decuple l'effet propre du facteur aqqr av an t; que cons ti tue en e Ll.e=meme la nouvelle compo­ sition ethnique de l'immigration. La crise des chantiers navals d'abord. Le tournant se situe tres precisement en 1978, lorsque Ie "plan Davignon" est adopte(l) (IA.). A partir de cette date "la navale" commence son long declin frap­ pee par une crise qui se revelera mortelle. De restructurations en plans sociaux et de plans sociaux en "p6les de conversion" les effectifs passent de 6.000 environ en 1976 a 1.700 aujourd'hui (2) v Le ch6mage induit et diffuse par celui des chantiers navals est, soulignons-le, d'un impact considerable dans cette ville mono­ industrielle. Les specialistes locaux ont coutume de dire, par exemple, qu'un emploi sur les chantiers navals induit 9 emplois dans la ville et fait vivre 27 personnes ... (1) Programme de restriction des capacites productives et de restructuration des chantiers navals, concerte au niveau europeen, et qui porte Ie nom de son auteur. (2) Les menaces de fermeture totale se faisaient de plus en plus precises apres Ie dep6t de bilan de la NORMED. 27 Le secteur relativement independant du batiment et des travaux publics est lui-meme gravement touche. Des 1970 on a assiste a un retournement de tendancei on note a cette date un ralentisse­ ment puis un arret total des grands marches publics. La branche s'oriente alors vers Ie marche plus restreint des mai­ sons individuelles (trait qui n'est pas sans rapport avec les mu- " tations sociales dont la commune comme la region sont le theatre - IB) crise et reorientation ont pour resultat qu'entre 1978 et 1984,1/3 des entreprises du batiment ferment leurs portes. Au total au cours de la derniere periode l'augmentation globale du ch6mage est considerable : elle est de 150% dans la Commune, entre 1975 et 1982, avant meme les dernieres grandes vagues de licenciements sur les chantiers navals. Signe des temps et, la encore, sympt6me des transformations socia­ les et economiques qui affectent la Commune comme la region, la perte des emplois est freinee par l'augmentation spectaculaire des emplois dans les activites de service (1). Un dernier element ajoute ses effets a cette desagregation de l'espace ouvrier. Le patronat des chantiers met en place ce qu'on pourrait appeler une gestion de crise de la force de travail. Elle est caracterisee par Ie recours de plus en plus pro nonce 'aux so- c i e t.e s d' interim (2) (IIAb), tandis que reg'resse le nombre des en­ treprises sous-traitantes. L'Interim fournit une main-d'oeuvre fragilisee par la precarite, ne beneficiant pas du soutien syndi­ cal, sans droit de greve ni convention collective. Il constitue sans nul doute un moyen efficace pour briser la resistance ouvriere face aux restructurations, et plus largement pour accentuer les (1) A La Seyne meme, ville de tradition industrielle, Ie secteur des services depasse desormais celui de l'industrie. Sur la region Provence-Alpes-C6te-d'Azur 68% des actifs ayant un emploi au der­ nier recensement t�availlaient dans le "tertiaire". La tendance se verifie d'ailleurs au niveau national ou cette proportion est de 65%. A noter que cette evolution a pour corrolaire une forte augmentation des emplois "feminins". (2) En 1981, selon le journal municipal "Vivre a La Seyne", le nombre des travailleurs dependant de societes d'interim, employes par les chantiers navals,se monte a 800 (l'effectif permanent se montant a 3.500, a la meme date) . 28 divisions et la competition parmi les travailleurs. On peut re­ marquer de plus que cette forme d'emploi dessine Ie profil d'un ouvrier malleable et interchangeable coIncidant assez bien avec l'image traditionnelle du travailleur immigre. De fait, l'augmentation de la population etrangere qui atteint 23% sur La Seyne (IC) entre 1975 et 1982 pqrait surprenante et l'acceleration du regroupement familial consecutif a l'arret de l'immigration ne suffit certainement pas a l'expliquer. On peut estimer avec quelque raison que cette augmentation est due au fait que Ie recours a la main-d'oeuvre immigree, par l'interme­ diaire des societes d'interim, c'est accru non pas malgre la cri­ se mais a cause d'elle, ce qui l'inscrirait dans une nouvelle strategie de gestion globale de la main-d'oeuvre au niveau local ... - Chomage spectaculairement accru, mise en place d'une gestion de la main-d'oeuvre orientee vers son atomisation et l'exacerbation de la concurrence en son sein, tels sont donc les traits du mar­ che du travail local en ces annees de crise. Le cadre de l'insertion des immigres se trouve desormais comple­ tement modifieetil faut d'abord voir la la consequence de l'homo­ geneisation du marche du travail, et de la disparition du double secteur d'emploi. Si lion compare la maniere dont s'etait accomplie par Ie passe l'insertion des Italiens, et celIe qui s'offre desormais aux Ma­ ghrebins, on aurait tort de conclure que Ie modele historique d'in­ sertion est frappe de dysfonction a l'egard des Maghrebins, empe­ chant leur transition de la position inferieure a la position su­ perieure de Ia structure des emplois qui est Ie propre de ce mo­ dele. En verite, ce qu'il convient de dire, c'est que c'est cette structure elle-meme qui s'est desagregee, qui est devenue obsolete. Pour autant, l'insertion des immigres n'echappe pas a toute struc­ turation et Ie schema de notre "signification centrale" va trouver une autre forme d'expression. La dissolution de la frontiere entre les deux secteurs d'emplois n'est pas Ie resultat d'une desegregation des immigres (ce qui s'assimilerait a leur diffusion, a chances egales, dans toutes 29 les strates d'emploi) mais celui d'un processus de regression des ouvriers nationaux vers les secteurs d'emplois occupes tradition­ nel1ement par les immigres. Autrement dit, les enjeux dB rapport de cohabitation ne sont plus cristallises autour du passage d'une strate d'emploi inferieure a une strate superieure, mais aut�ur de l'emploi tout court dans une situation de penurie. La pression a la segregation. s' assimile de so rmad s a une "pression a l' exclusion pure et simple(l). Ce nouveau cadre est gros de tensions sociales imprevisibles, et conduit a souligner l'importance et l'urgence du proces de deseth­ nicisation des relations int�rsubjectives entre "nationaux" et immigres, seul capable de relacher ces tensions, et de garantir la possibilite d'une insertion norrnale des immigres. (Fran9ais et Lmm i.q r e s de la ,c,lasse populaire devenant alors egaux et solidaires d 1,· d'em21ois 11 ' evant a penurle(et ies nouve es formes de gestlon de la force de travail.) (1) Les indices de cette redistribution ne manquent pas - La tendance des ouvriers nationaux a s'orienter de plus en plus vers le secteur du batiment, jadis "reserve" aux immigres, tout d'abord : a La Seyne, dans la tranche d'age 16-25 ans, en 1982, 13% des fran9ais 's�nt employes dans le batiment, alors que parmi leurs aines (25 ans et plus) 8% seulement travaillent dans ce secteur. - L'inegalite devant Ie chomage ensuite : dans la tranche d'age 16-25 ans 12% des fran9ais sont au chomage alors que c'est le cas pour 23% des maghrebins (sur �a commune). - Indice encore plus remarquable. Sue Ie quartier d'habitat socail qui est Ie point de depart de notre enquete (La ZUP "de Berthe"), au sein des categories ouvrieres, alors que les jeunes (16-25 ans) immigres qui possedent une qualification sont plus nornbreux que leurs homologues fran9ais 54% c�ntre 44%) le chomage frappe davantage les jeunes immigres (17% de chomeurs chez les Fran9ais, 36% chez les Maghrebins) . 30 En faveur de cette desethnicisation jouent heureusement toutes sortes de facteurs, parmi lesquels la tradition integrative (ID2) de la ville "historiquement" ouvriere n'est pas Ie moins impor­ tant. Nous ne pouvons ici nous etendre sur Ie role joue par les conjonctions sociales liees a l'habitat (cette question releve de notre IIIe Dimension, "La spatialisation ... ") et qui peut @tre im­ portant dans certains cas, ainsi que sur celui de certaines formes d'action sociale. Enfin et surtout, evidemment, l'ecole egalitaire, joue egalement un grand role dans ce domaine, comme espace desegra­ tif et comme lieu d'un proces de socialisation commun des jeunes. Face a ces elements positifs, d'autres elements nefastes sont a l'oeuvre. Le principal d'entre eux resulte de la mise a mal de l'identite ouvriere sous l'effet de la crise de "la navale". II faut conside­ rer, en effet, que cette crise, signifie quelque chose de plus qu'une desastreuse perte d'emplois, appreciee quantitativement, elle signifie la perte d'un repere social majeur pour toute une couche sociale, toute une micro-societe. Sur les decombres de l'an­ cienne identite ouvriere, l'image emblematique nouvellement offer­ te de la condition populaire et du travailleur, est celIe d'un ouvrier amoindri, endurci, mobile, interchangeable, adapte au nou­ vel ordre des choses. Et les ouvriers des chantiers menaces de licenciement, font sans doute sourdement grief aux immigres de - - d r e "trbop , tt' d . para]. tre repon re . ,_ ].en a ce e .i.maq e , e p ac t.a se r en somme avec elle et ceux qui la proposent. "Des gens adaptes pour la survie, pas pour la vie,des mutants l"dit des immigres un vieil ouvrier des chantiers. La rupture la plus grosse de perils est celIe qui concerne Ie contexte oU se trouve place ce qu'on pourrait appeler le�ifferend ethnique" et qui est Ie noeud critique de la "relation identitaire" liant immigres et nationaux des classes populaires. La desethnicisation - l'abolition de l'alterite ethnique - n'est plus reclamee et proposee par reference a la representation uni­ versalisante et, en quelque sorte, transcendante - de l'iden­ tite ouvriere, mais par reference a la representation particulari­ sante de l'identite politique, et sous Ie point de vue des dispositions Victor BORGOGNO Lise VOLLENWEIDER-ANDRESEN 31 a l'egard de l'appartenance a la nation; ce qui ouvre a la pro­ blematique insidieuse de l'�assimilabilite�, et conduit les na­ tionaux a delegitimer dans son principe et sa possibilite meme Ie proces de desethnicisation, quand il implique les Maghrebins. Cette regression est-elle �interessee�, ou est-elle Ie produit sans auteur de la nouvelle situation? nous n'en debattrons pas ici ••• Les plus lucides des militants ouvriers, et parmi, eux ceux qui sont engages dans les actions sur les conditions d'habitat(l} � et donc de cohabitation - sont conscients des risques de cette si­ tuation et s'efforcent de lutter c�ntre les replis identitaires. lIs invitent les immigres a eviter ce repli � et a entrer dans des organisations communes. Bien des facteurs cependant jouent en faveur de la tendance au repli, largement explicable au surplus par une simple reaction de defense communautaire ... Parmi ces �acteurs peut-etre faut-il ci­ ter, paradoxalement Ie mouvement associatif immigre qu'a entraine, en partie, la vogue officielle du theme de l'identite culturelle (dont les intentions sont certes, tout a fait louables ... ). Son existence a renforce parfois chez les voisins des immigres Ie sen­ timent, fonde sur des apparences mais n'importe! que les immigres delegitimaient eux-meme tout rapprochement �desethnicise� avec ceux dont ils partagent - a peu pres - desormais la condition. C'est ce que sernblait vouloir exptimer cet ouvrier des chantiers a la retraite quand il nous a declare: "on dit que nous sommes racistes mais ils Le sont plus que nous !". (I) Notamment celles qui sont suscitees dans Ie cadre des "actions de developpement social des quartiers". Dans Ie cas du quartier de la ZUP de Berthe, ceci renvoie tres precisement au role essentiel joue par les amicales de locataires unifiees localement, et fede­ rees a la CNL (Confederation nationale du logement.).