Pr. Michel ORIOL mai 1993 Les problèmes du pluralisme Traiter du pluralisme, c'est immédiatement connaître un certain embarras. En effet il y a - ce qui n'est pas tellement paradoxal - plusieurs façons de définir le pluralisme ou d'en traiter. En gros, on peut distinguer un usage positif du mot et un usage normatif. Par exemple en sens positif, l'anthropologie anglo-saxonne appelle société plurielle celle où l'accent est mis sur la différenciation et la séparation entre les groupes et où l'ordre social est maintenu par le monopole du pouvoir exercé par un des segments de la société. Mais, inversement, les sociologues américains font un emploi normatif du mot pluralisme qui implique un consensus étendu, une forte cohésion sociale, une adaptation et une accommodation mutuelle entre les différents groupes et l'émergence d'un système de valeurs central capable d'intégrer les différences. Dans la tradition sociologique française, Gurvitch considérait que la sociologie devait être pluraliste, c'est-à-dire ne pas appliquer les mêmes critères de classification à tous les domaines de la vie collective. L'exemple même de ces usages montre la grande tentation qui a toujours existé de glisser du positif au normatif, de la description à la prescription en considérant qu'une bonne connaissance de la diversité des groupes aboutit forcément à justifier des pratiques de consensus et de coopération. A mes yeux, les débats qui se sont développés en France depuis les années 1970 n'ont B.U. NICE D 099 0000172 C. £.3 pas échappé à cette extrême confusion. L'exemple le plus simple en est fourni par les débats interminables autour du "droit à la différence". Rappelons que, si l'on revient au sens commun, les différences ne relèvent pas de la norme, mais du fait et qu'inversement, s'il y a une règle juridique, c'est qu'elle est commune. On conçoit qu'un concept aussi confus ait plutôt contribué à déchaîner les passions soutenues par des rhétoriques complexes et situées hors du champ de toute argumentation scientifique plutôt qu'à bien établir l'état des choses et à suggérer des façons d'en traiter. Pour éviter cette confusion dans le glissement du fait à la norme, je proposerai de me situer franchement dans une perspective normative, mais en articulant celle-ci à la connaissance que nous pouvons avoir de l'ordre des faits. Ce n'est jamais que revenir à la vieille notion kantienne d'idée régulatrice, c'est-à-dire d'un principe d'unité de la théorie et de la pratique qui tende à les unifier par la construction progressive d'un ordre qui englobe l'une et l'autre. De ce point de vue, j'énoncerai dans les termes suivants la définition de la norme pluraliste : elle pose que l'organisation sociale doit tendre à faire que la diversité d'appartenance à des groupes culturellement définis donne lieu, pour chacun d'eux et dans leur relation mutuelle, à des développements positifs. Bien que je ne me réfère point explicitement à la science politique, disons que les deux pays, dont les principes constitutionnels se rapprochent le plus d'une telle position sont le Canada et la Suède. Bien entendu, ce principe ne fait pas référence à une pure position de principe utopique. J'essayerai d'abord de montrer qu'elle correspond à un certain développement des connaissances que les sciences sociales ont de la diversité des groupes humains. Je montrerai ensuite que le pluralisme est un principe régulateur qui fonctionne de façon différente suivant le palier de la vie sociale auquel on se réfère, soit celui de l'interaction directe, soit celui de la vie officielle et instituée, soit celui des représentations globalisantes du devenir historique de l'humanité et de ses différentes composantes. S'il faut prendre une référence fondatrice en la matière, j'irai la chercher chez l'anthropologue norvégien Barth et à l'ouvrage qu'il publia en 1959 "Ethnie Groups and Boundaries". C'est dans le domaine des sciences sociales, le premier ouvrage qui entreprend une critique radicale des doctrines qui considèrent que l'homogénéisation de l'humanité est l'effet inéluctable des brassages liés à la vie moderne. Barth montre que, contrairement à ce que la plupart des auteurs de tous bords, libéraux ou marxistes, attendaient, les groupes amenés à se côtoyer durablement, à multiplier leurs interactions, n'en restent pas moins distincts du point de vue de l'appartenance assumée par leurs membres respectifs. Si cette observation est fondée, et depuis 30 ans le cours de l'histoire n'a fait qu'en confirmer la pertinence, alors les universalismes ne suffiront jamais à régler les rapports humains. Bien entendu, les universalistes de tous bords n'ont cessé d'alléguer que la pure et simple reconnaissance des différences entre les groupes comportait beaucoup plus de danger que la valorisation de principes universels. On pourrait citer des dizaines de textes où on reproche au concept de culture d'être un écran idéologique qui empêche de reconnaître et d'affronter les inégalités sociales. C'est ainsi que en ce mois de juillet 1992 au congrès de l'ARIC (Association pour la recherche interculturelle) à Liège, des sociologues de Bruxelles soutenaient que les jeunes Beurs de l'agglomération bruxelloise n'ont qu'une identité vide. Si, à leurs yeux pn n'observe aucune différence dans les pratiques et les goûts quotidiens par rapport à des Belges de souche, alors la vocation de leur identité ne peut être qu'un instrument machiavélien d'une manipulation destinée à la division des jeunes entre eux et à leur enfermement dans des ghettos ethnocentriques. Qu'il y ait un usage idéologique du pluralisme, c'est assez clair. Mais cela correspond justement, non pas à la définition de l'idée régulatrice que j'énonçai plus haut, mais à une espèce de systématisation de l'obligation de rester enfermé dans son groupe d'origine, ce qui anthropologiquement ne correspond pas tant à ce qu'on peut appeler pluralisme qu'à la promotion d'une société de castes, c'est-à-dire une société où les rapports entre sujets caractérisés par des "memberships" distincts au départ, sont soumis à des restrictions impératives et générales. Au contraire, si nos sociétés ne s'homogénéisent pas comme on l'attendait, c'est bien parce que les acteurs sociaux gardent une capacité d'auto-définition de leurs rapports aux groupes et que les groupes eux-mêmes sont caractérisés par des possibilités d'ajustement très flexibles à des environnements diversifiés et changeants. De ce point de vue, l'opposition que l'on fait souvent aujourd'hui entre des sociétés caractérisées par une organisation de type communautaire et des sociétés individualistes n'est pas radicalement dépourvue de fondement quant on compare, par exemple, la façon dont, historiquement, les appartenances religieuses ou culturelles sont reconnues dans des pays où est instaurée la laïcité et dans d'autres où elle n'a pas de statut officiel. Mais, anthropologiquement, l'opposition radicale entre les deux types de société est de moins en moins pertinente pour la raison simple que toutes les sociétés deviennent progressivement individualistes, pas forcément dans leur idéologie, mais dans la production des critères d'appartenance. Lorsqu'on travaille avec des familles d'origine étrangère, on s'aperçoit qu'au sein même d'une fratrie, il peut y avoir des choix radicalement différents d'appartenance nationale, culturelle ou religieuse. Mais ce phénomène n'est pas radicalement neuf, et il nous manquerait d'ailleurs une histoire des pratiques de conversion qui ont toujours illustré, au moins marginalement, la façon dont dépend partiellement le "membership" du jugement personnel de la personne qu'il concerne. De ce point de vue, le problème du pluralisme se situe directement dans l'héritage du débat sur la tolérance, tel que Voltaire et beaucoup de philosophes l'ont développé au XVIIle siècle. Mais, en un sens, les problèmes sont plus complexes parce que les appartenances auxquelles nous avons affaire et dont il s'agit de rendre possible la compatibilité et donc le changement, ne relèvent pas purement et simplement de l'opinion personnelle. Changer d'identité culturelle, cela ne se situe pas au même niveau qu'un simple changement d'opinion parce que cela concerne des relations plus fondamentales, des principes plus existentiels. Cela fait référence à l'amour, à la mort, à tous les liens sociaux privilégiés. Il faut donc prendre acte de ce qui était acquis en matière de tolérance. (Et il est certain que la laïcité française de ce point de vue représente un capital symbolique extraordinairement précieux.) Mais il faut voir en même temps que cela ne suffit pas et qu'il faut un pas de plus. Il s'agit en effet non pas simplement d'admettre qu'autrui puisse penser autrement que moi, il s'agit de comprendre comment autrui peut légitimement produire pour son propre compte des appartenances distinctes des miennes et les relier autrement au monde social. Aussi la question normative du pluralisme renvoie-t-elle très précisément à une question très positive : puisque nos appartenances ne sont point "naturelles" - il me semble hors de propos de réfuter ici naturalisme et racisme parce qu'il va de soi que rien ne les justifie dans l'histoire de l'humanité,- il faut analyser, avec le plus de rigueur possible, dans quel contexte, selon quel processus chacun de nous produit ses appartenances sociales. La grille de lecture que je propose sur ce point ne me semble pas, construite, a priori, mais elle vise à correspondre à ce que les acteurs humains eux-mêmes distinguent lorsqu'ils traitent des appartenances qui les concernent tantôt ils les jouent dans les rapports interpersonnels directs, tantôt ils se réfèrent à des codes, à des institutions, tantôt enfin ils traitent de représentations et de pratiques englobantes. La distinction entre ces trois paliers de la relation interculturelle ou, dit autrement, de l'expression et du développement du pluralisme est justifiée aussi par l'analyse socio-politique. Les seules sociétés que caractérise un projet, souvent mis en oeuvre avec brutalité, de mettre en cohérence complète ces différents paliers de la vie collective, ce sont les sociétés totalitaires. Elles postulent qu'il y a, dans l'ordre "normal" de la vie sociale, celui qu'elles sont censées incarner de façon exemplaire, une harmonie complète entre ce que ressentent les sujets, les citoyens, ce que prescrivent les institutions, et la représentation englobante du rapport de l'homme à l'histoire, au monde ou à Dieu, s'il s'agit de sociétés fondées sur une domination cléricale. Mais, en fait, le seul palier important dans de telles sociétés, celui qui développe en direction des autres une violence physique ou symbolique pour assurer sa prévalence, c'est le second c'est-à-dire le palier des institutions. En d'autres termes une proposition qu'on peut aussi bien prendre pour principe épistémologique que comme règle normative, c'est que le pluralisme ne peut être reconnu, ou même simplement pensé, que si on s'interdit au départ de postuler l'unité complète de la société sous l'emprise de l'Etat, poser que celui-ci soit l'instrument d'une intégration systématique et légitime. C'est l'une des raisons pour lesquelles d'ailleurs l'accent excessif placé sur les fonctions d'intégration, comme c'est le cas épistémologiquement du fonctionnalisme ou idéologiquement du débat actuel sur les migrations, mérite, à tout le moins, d'être soumis au doute méthodique le plus rigoureux et non pas accepté comme une sorte d'évidence sociologique irrécusable. Si on examine le problème du pluralisme au palier de l'interaction, des relations interpersonnelles, on voit que ce qui est en jeu, c'est la capacité d'identification à ce que Herbert Mead appelait l'autrui généralisé. Il y a là un ensemble de questions qui ont été posées dans l'entre-deux-guerres à partir de Chicago par l'école de l'interactionnisme symbolique et dont la pertinence n'a été reconnue en Europe que trop récemment. Pour en reprendre les lignes directrices de façon sommaire, rappelons qu'elles posent que l'identification à autrui repose sur l'élargissement par des apprentissages de plus en plus complexes et diversifiés de système de rôle initialement restreint au système familial. L'interactionnisme montre, de façon importante, que les ressources de la psychanalyse sont insuffisantes pour comprendre comment nous pouvons être capables de nous mettre à la place d'acteurs sociaux de plus en plus différents de ceux qui nous ont été familiers dans la première socialisation. De ce point de vue, il convient de souligner qu'il s'agit de toute autre chose que de l'apprentissage de la catégorie abstraite d'être humain universel. Il n'y a pluralisme, c'est-à-dire capacité d'une relation positive à un membre d'un autre groupe que si, justement, on peut se mettre à sa place, imaginer le rôle qu'il ou elle joue en se représentant, ce que c'est que son appartenance. Henri Tajfel soulignait, à juste titre, que les membres des groupes dominants ne reconnaissent le rôle du dominé que dans la mesure où il est joué à titre individuel, légitimé par des qualités, des attributs, des compétences qui n'ont rien de collectif. Les exemples ici surabondent. C'est ainsi que lorsque le racisme a commencé à être remis en question dans les films américains, la reconnaissance du noir comme être humain n'avait rien à voir avec sa négritude, elle était subordonnée à l'excellence de son image et de ses performances personnelles. C'est le cas du personnage incarné par Sydney Poitiers dans le film "Devine qui vient dîner ce soir" où il lui fallait, pour être un prétendant acceptable, avoir un P.H.D., être beau, appelé à une brillante carrière, bien élevé... L'ethnocentrisme, comme le montre aussi bien la psychologie sociale que l'anthropologie, est ici suffisamment spontané, surtout au sein des groupes favorisés, pour que la capacité de s'identifier à autrui, en tant qu'il est membre d'un groupe minoritaire dominé, n'aille absolument pas de soi et demande un exercice à la fois critique et émotionnel. Dans une expérience de dynamique de groupe interculturel que j'ai conduite il y a plusieurs années, il s'est produit un événement que j'ai pu interpréter en ce sens. Deux des participantes, dans un groupe dont la moitié des membres étaient français de souche, étaient des étudiantes antillaises. A un moment donné, elles se sont mises à parler entre elles en créole et dans le feed-back que l'une d'elles a ensuite proposé au groupe, elle a expliqué que c'était la première fois qu'elles mobilisaient ainsi leur langue minoritaire et que c'était en partie en réaction à la domination vécue du groupe français. La réaction de celui-ci a été tout à fait éloquente. On leur a répondu : "Mais pourquoi Viviane (c'était le prénom de l'intervenante) as-tu pu dire "nous". Toi tu as telles et telles caractéristiques et Josiane (l'autre antillaise) est très différente de toi". Autrement dit, au sein d'un groupe d'étudiants et de travailleurs sociaux fortement imprégnés d'idéologie universaliste, il y avait une méconnaissance du processus concret d'apprentissage de l'autrui généralisé, c'est-à-dire de la reconnaissance de rôles reconnus et spécifiés comme collectifs, de la capacité de ne pas tout ramener à des interactions forcément individuelles. Le passage au palier de la relation institutionnelle introduit forcément une rupture. En effet, un groupe interculturel, même s'il comporte des relations de dominations, est susceptible de s'engager dans la tâche d'ailleurs passionnante, par son indéfinition même d'élucidation, des malentendus. C'est ainsi que, dans une autre expérience de dynamique de groupe interculturel, la prise de conscience émotionnelle de la différence profonde des registres du beau et du comique à l'occasion de plaisanteries, de chants avait donné matière à échange et non pas à rupture. En revanche, il n'y a pas d'exemple d'institution qui soit produite fondamentalement par l'ajustement de codes culturels diversifiés. Il est assez clair que dès le moment où un rapport social est médiatisé par une règle, même si celle-ci se prête à diversité d'interprétations, elle ne s'accommode pas d'être énoncée de façon initialement plurielle. Aussi le pluralisme, en termes institutionnels, ne consiste-t-il pas à renoncer à toute dissymétrie dans la source des codes, mais à veiller à ce que le groupe qui a la maîtrise historique et sociale de ces codes en termes de pouvoir, de compétence, et de familiarité n'en tire pas systématiquement parti pour dénier à ceux qui ont une autre appartenance culturelle à l'origine le droit à toute autre appartenance et à toute forme de participation. Du point de vue institutionnel, une société pluraliste est donc essentiellement une société conflictuelle, c'est-à-dire une société où on a le droit, le moyen de poser les questions sur la façon dont les codes institués peuvent tenir compte des appartenances culturelles. Il est clair que le problème posé en termes pluralistes par les communautés d'origine musulmane en France ne consiste pas à promouvoir la polygamie, mais revient à s'interroger sur la façon dont aussi bien les groupes dominants que les groupes dominés peuvent débattre de la mise en pratique des codes "légitimes", ce qui implique forcément une dynamique de transformation mutuelle. Selon les formulations que je proposais plus haut, il serait donc contradictoire d'imaginer qu'une société devienne pluraliste par décret. La généralisation de la pratique de la prière dans les ateliers, celle du port du "foulard" (du "hijab") dans les écoles seraient, bien entendu, contraires à toute conception dynamique de l'institution du rapport interculturel. Inversement, on s'aperçoit que les solutions avancent et se diversifient en intégrant à leur élaboration beaucoup d'organisations diverses, syndicats, églises, associations de parents. La capacité de négociation du règlement de l'entreprise ou du projet d'établissement de l'école, peuvent permettre fondamentalement que la spécificité des populations concernées puisse être prise en compte et reconnue. En d'autres termes, on ne peut développer des formules pluralistes que si elles sont diverses d'un lieu à l'autre en fonction même de la variété des modes de participation, de revendication. Ce qui alors inquiète, c'est peut-être que l'identité sociale globale risque d'être entâchée de confusion et de flou. D'où l'importance incontestable du troisième palier, celui de l'image englobante des cultures et des relations réciproques. Ici encore l'humanisme bien intentionné n'est pas seulement inefficace, il est sans pertinence. Maryza Zavalloni critique avec justesse des formules par lesquelles l'un des tous premiers psychologues sociaux, Allport, condamnait toute espèce de proposition portant de façon générale sur l'ensemble des membres d'un groupe. Marysa Zavalloni fait observer que si on doit s'interdire toute espèce de catégorisation sociale, que ce soit sur l'étranger, les religions, les générations, on ne peut plus avoir la moindre stratégie adéquate par rapport à la vie sociale. Le problème du pluralisme n'est pas ici de refuser de catégoriser, c'est d'éviter de catégoriser de façon simplificatrice, réifiante. Ce qui fait ici le lien entre les leçons d'anthropologie et le projet normatique du pluralisme, c'est, à mon sens, et je rejoindrai dans une seule mesure les thèses d'Edgar Morin, la critique de l'évolutionnisme et la reconnaissance de la compléxité. Je n'insisterai pas longuement sur le fait que l'anthropologie a réfuté, de façon irréversible, l'idée qu'il y ait des cultures plus complexes que d'autres. Mais ce sont là des leçons encore trop peu diffusées, trop mal illustrées. Je me référerai simplement au travail qu'il y a une vingtaine d'années le linguiste Labov a fait sur le "Black Standard English" (l'anglais parlé par les noirs américains) dont il a montré qu'il avait des structures syntaxiques aussi complexes que n'importe quelle langue savante. La reconnaissance de la complexité des ressources culturelles oblige à considérer que l'identification à autrui ou la reconnaissance des codes implique un apprentissage qui ne sera sans doute jamais achevé, mais qui est une tâche à la fois motivante et enrichissante. C'est dans la mesure même où elle est conçue comme telle, qu'il convient pédagogiquement de ne pas représenter de tels apprentissages comme des entreprises de déstabilisation de l'identité sociale tant personnelle que collective. Je soulignerai qu'un exemple intéresant sur ce point et trop peu exploité est celui des grands changements historiques d'appartenance, non pas seulement les conversions religieuses mais les changements d'identité nationale de la part de grands écrivains, de grands artistes dont le parcours est l'illustration même non seulement de la possibilité du pluralisme mais du fait que sa reconnaissance est source de création indéfinie. D'une part, donc, il faut savoir enseigner qu'on ne maîtrise jamais complètement la culture de l'autre mais en même temps il faut relever que cette relative opacité n'interdit absolument pas les changements, les transformations, les conversions, les adhésions et qu'au contraire c'est l'indéfinition même des ressources qu'on s'approprie qui désigne les sujets à la vocation de nouveaux modes d'expression littéraire, scientifique. Je rejoindrai ici Julia Kristeva qui soulignait donc que dans la construction du pluralisme, les sujets sont invités aussi à faire le point sur la diversité de leurs appartenances, sur l'indéfinition partielle de leurs identités, sur la part de décision que celles-ci impliquent de leur part. On peut dire de l'appartenance ce que Freud disait de l'inconscient c'est-à-dire que là où était un processus incontrôlé, non discuté, non débattu doit advenir une relation consciente et négociée. Là où était le "ça" doit advenir un "moi" qui ici n'est pas simplement individuel mais collectif, c'est-à-dire un "Nous". Michel ORIOL