. UNIVERSITE DE NICE SECTION DE SOCIOLOGIE DIFFERENCES CULTURELLES ET REPRODUCTION La scolarisation des enfants de travailleurs immigrés Jean-Pierre ZIROTTI SOCIOL (EDUC) B.U. NICE jiiiiiiiniii D 099 0003222 C,5%Zo 663 C.58&0 LA SCOLARISATION DES ENFANTS DE TRAVAILLEURS IMMIGRES P laglant ûurkhelmr, nous pourrions, à propos de la scolari¬ sation des enfants de travailleurs Immigrés, poser la question suivante : " Quel est IfIdéal pédagogique" que l'organisation de l'en¬ seignement a pour but de réaliser ?" Or, d' "Idéal" pédagogique" Il n'en apparaît point dans l'analyse des conditions de leur scolarisation, si ce n'est par défaut. Corps doublement étranger dans le système éducatif, Ils ne sont l'objet d'aucun projet, d'aucune visée spécifique . L'école "égalltalre" ne fait pas place à la différence. Ces élèves y sont "traités" sans discrimination. On sait ce qu'il en est de I' "Ecole une et égalltalre" après les analyses de Bourdleu et son équipe, ainsi qu'après cel- cou rants les de Baudelot et Establet pour ne citer que ces/ "classiques" de la sociologie de l'éducation. SI Bourdleu estime que c'est parce qu'elle est masquée que la différence est reproduite, Baudelot et Establet surenchérissent en affirmant que l'Ecole, par des pratiques Implicites, produit la différenciation en clas¬ ses sociales. Une certaine sociologie (I) qui n'est pas "spontanée" tend à reporter sur les enfants du prolétariat Immigré les analyses produites sur les enfants du prolétariat autochtone. Dès lors, ces derniers, qui ne se distinguent plus que par une majoration des (I) SI nous portons un grand Intérêt aux travaux effectués par Abou Sada et l'équipe du CRESGE sur la deuxième., génération d'Immigrés, nous sommes cependant en désaccord avec une ap¬ proche qui relègue au rang des "lieux communs de la sociologie spontanée [ les notions de J : conflits de valeurs et ambiva¬ lences culturels". G. Abou Sada et al. "La condItlon de la deuxième génération d'Immigrés". Rapport de recherche, CRESGE, Lille, 19/6, isy pages. 2 des handicaps socio-culturels énumérés pour les Français relèvent d'un môme traitement sociologique. Df IcI aussi la différence est bannie au nom d'une même appartenance de classe. La simple reprise de certaInèsformuIa- tlons de la sociologie de l'éducation produit Iv11t u s I on que tout se passe comme si la scolarisation des enfants d'Immigrés pouvait être abordée à partir de leur seule assimilation au prolétariat. Le concept de culture a eu un tel usage tdéologtque qu'on n'en même plus la pertinence du point de vue de la description des stratégies et des comportements qui relèvent du traitement des différences culturelles et des réactions qu'il Induit. C'est dans cette perspective, sans négliger certains ac¬ quis de la sociologie, pour ce qui est notamment du rôle joué par l'école dans le maintien des ilo$ga I l tés sociales, que nous Inscel* vons notre analyse de la scolarisation de ces enfants. o 3 I . PROBLEMATIQUE DE RECHERCHE ET INFLUENCES THEORIQUES. I.i Système éducatif et unité Idéologique de I'Etat-Nation * De Durkheîm nous retenons plus l'analyse de la fonction de l'éducation que celle de l'articulation entre structure sociale et système éducatif. "L'évolution pédagogique en France", étude dîachronique des systèmes éducatifs, révèle que l'organisation actuelle de l'éducation traduit un idéal pédagogique hérité du christianisme pur qui : "former un homme" ce n'est pas orner son esprit de certaines idées, ni lui faire contracter cer¬ taines habitudes particulières, c'est créer chez lui une disposition générale de l'esprit et de la volonté qui lui fasse voir les choses en géné¬ ral. sous un Jour déterminé" : car le christia¬ nisme consiste essentiellement dans une "certaine attitude de l'âme, dans un certain habltus de notre être moral" (I). Au delà dé) l'analyse en des termes très "actuels" (cf. Bourdleu) du pôl-© de l'école, Durkheim esquisse par la description de la socialisation différentielle selon les grou¬ pes soelâû:*, des analyses qui seront reprises dans une toute autre problématique : celle de la reproduction. "(...) L'éducation /variai avec les classes sociales, ou même avec les habitats. Celle de la ville n'est pas celle de la campagne, celle du bourgeois n'est pas celle de l'ouvrier (2). (I) Durkheim (E.) - "L'évolution pédagogique en France" p. 37 cité par Cherkaoul (M.) : "Scolarisation et conflit s les systèmes éducatifs et leur histoire selon Durkheim "In Revue française de Sociologie, vol. XVIIV, 2 Avril/Juin 1976, p. 197 à 2l2. (2) Perkheim (E«.) - Education et Sociologie - P.U.F, Paris, • 1968 p. 37 or : "l'éducation est l'action exercée par les généra¬ tions adultes sur celles qui ne sont pas encore mû¬ res pour la vie sociale» Elle a pour objet de susciter et de développer chez l'enfant un certain nombre d'état physiques , Intellectuels et moraux que réclar ment tfeplul et la société politique dans son ensem¬ ble et le milieu spécial auquel II est particuliè¬ rement destiné (».») l'éducation consiste en une socialisation méthodique de la Jeune génération" (I)» Mais cette spécialisation selon les groupes sociaux connaît des limites qui sont Imposées par le rôle môme de l'école dans la société : " (,.») quelle que soit l'Importance de ces éduca¬ tions spéciales, elles ne sont pas toute l'éduca¬ tion (...) Elles ne divergent les unes des autres qu'à partir d'un certain point en deçà duquel elles se confrontent. El les reposent toutes, sur une base commune (...) t un certain nombre d'Idées, de sen«* tlments et de pratiques que l'éducation doit In¬ culquer à tous les enfants Indistinctement à quel¬ que catégorié sociale qu'ils appartiennent" (2), Au delà de sa contribution à la diversification des statuts sociaux, le système éducatif, succédant en cela à l'église, fonde l'unité Idéologique d'une soclétéj. Cé-doublé raouve ment "est un trait caractéristique du système actuel. Selohorkaou l M» Cherkaou fe : "C'est une des fonctions du système éducatif dans la plupart des Etats sans nation, en Afrique par exemple : /"que d'oeuvrer pour Ia7 réduction des différences cul¬ turelles et la formation d'une conscience de l'appar¬ tenance à une communauté nationale (6)". Il précise cependant que l'Ecole, a Joué en Europe, ce rôle dans un passé récent. Nous partageons partiellement son point de vue, car après celle des Bretons, des Corses,des Occitans, la scolarisation des enfants de travailleurs Immigrés réactive (1) Durkhelm, IbId. p. 38 et 39. (2) Cherkaoul (M.) op. cit. p. 202 5 les processus de réduction des différences culturel les, sans pour autant contribuer nécessairement à l'émergence, chez ces enfants, d'un sentiment d'appartenance à la société "d'accueil". La socialisation est également un concept clef dans l'analyse de l'Institution scolaire produite par le courant structuro-fonctîonnaIiste américain. T. Parsons (I) considère que l'allocation des ressources humaines - répartition des acteurs dans la structure sociale., et la socialisation i Intériorisa¬ tion d'un systèse de valeurs et apprentissage des rôles soctaux, décrivent les fonctions fondamentales de cette Institution. Mais cependant M'remet/ - i en question la conception durkhelmlenne des mo¬ dalités d'IncuIcatIon î les phénomènes d'Interaction produisent suffisamment d'effets pour que, dans un processus d'Intériori¬ sation d'un système de valéurs par exemple, le recours à la contrainte (à la sanction) ne soit pas nécessaire. C'est piovr l'analyse micro-soclologlque du fonctionnement de l'école, analyse organisée autour de ces deux concepts,que ce courant retient, non sans réserves, notre attention. La re¬ cherche. Jusque dans le détail des pratiques, des régularités qui permettent de définir la fonction sociale du système éducatif, constitue un mode d'approche que nous avons retenu. SI l'analyse en termes de soc la Iisatlon est une des dimensions fondamentales de la définition de la situation scolaire des enfants de travail¬ leurs Immigrés, il n'en demeure pas moins qu'elle est Insatis¬ faisante parce qu'Incomplète. Son principe, tel que le définit Durkhelm, consiste en son caractère différentiel selon les grou¬ pes sociaux et en l'unité de ses différentes formes comme une (I) Parsons (Talcott) "The School classias a Social System s Some of Its Functions In American Society" In Harvard Educational Review. vol. XXIX, 1959, p. 297-318. - ■ • ■ — — 6 nécessité sociale : I'IncuIcatIon d'une même Idéologie. Or ceci revient à négliger d'autres dimensions fondamentales. Ce n'est pas seulement que diversité et unité de la socialisation ne s'Inscrivent pas dans une problématique de reproduction des rapports sociaux telle qu'ont pu l'analyser de façonsd I fférentes Bourdleu et Baudelot - Establet, c'est ausâ I que I ' l ncu I cat Ion, c'est-à-dire la formation de la conscience collective ne va pas sans conflit (I). Un groupe social dominé, nous avons pu l'obser¬ ver au cours de nos enquêtes,peut ppposer au dominant une mobi¬ lisation et des formes de résistance qui, sans remettre en ques¬ tion le rapport de domination, lui permettent d'échapper à une aliénation Intégrale. Cette carence des analyses de Durkhelm et Parsons, signi¬ ficative des limites de leursprob lémat ! ques, est déjà Inscrite dans leurs définitions de la socialisation ; elles n'lnterrogent ni l'une ni l'autre la légitimité des modèles proposés. 1.2 De la violence symbolique à la "dé légitimation". Les travaux effectués par P. Bourdleu et le Centre de Sociologie Européenne abordent l'analyse du système éducatif sous différents sppects. Ils en décrivent les fonctions de commu¬ nication, de sélection, et d'IncuIcatIon, d'un arbitraire culturel. Chacune de ces approches s'organise autour d'un même prin¬ cipe d'Intelligibilité : la nature de l'articulation entre le (I) T. Parsons, pour qui les deux formes de changement social sont l'acculturation et la socialisation, évoque toutefois, bien que sur un mode mineur, les phénomènes de résistance au chan¬ gement. 7 système éducatif et la structure des rapports entre les classes soc la Ies. L'ensemble de ces démarches s'Inscrit dans la pro¬ duction d'une théorie de "la violence symbolique", violence Issue de la culture dominante, exercée par la médiation de l'action pédagogique. C'est à cette théorie que nous nous référons pour dépas¬ ser les notions de socialisation, telles qu'elles étalent enten¬ dues par Durkhelm efvParsons. Sans entrer dans le détail de celle- ci, nous en rappelons Ici quelques principes î " Toute action pédagogique est objectivement une violence symbolique,- en tant qu'Imposition par un pouvoir arbltralr d'un arbitraire culturel ; - en tant que les rapports de force entre les grou¬ pes ou les classes constitutifs d'une formation socia¬ le, /soit au fondement du pouvoir arbitraire (...); sont - en tant que délimitation comme digne d'être reproduite (...) de la sélection arbitraire qu'un groupe ou une classe opère objectivement dans et par son arbitraire euItureI", (I). Ainsi, toute action pédagogique, qu'elle relève de la "prime éducation" ou du "système d'enseignement", exerce une violence symbolique par l'Imposition, au travers des contenus et des formes de l'enseignement, d'un arbitraire culturel. L'élimi¬ nation et la sélection différentielles selon les classes so¬ ciales, la reproduction des rapports sociaux sont les effets de cette "violence" dans le "système d'enseignement". (I) Bourdleu (Pierre) et Passeron (Jean-Claude) "La reproduction". Paris, Editions de Minuit, 1970, p. 19, p. 2Q~ p.22 Le caractère arbitraire de l'imposition d'une culture, c'est-à-dire aussi bien la définition d'un système de valeurs que la sélection de signifiant, est posé comme élément dyna¬ mique du procès de reproduction. "Le degré de productivité spécifique de tout T.P (tra¬ vail pédagogique) autre que le T.P primaire est fonc¬ tion de la distance qui sépare l'habltus qu'il tend à Inculquer (I .e l'arbitraire culturel Imposé) de l'ha¬ bltus qui a été inculqué par les T.P antérieurs, et, au terme de la régression par le T.P primaire (I.e l'ar¬ bitraire culturel originaire) " (I). C'est donc l'écart entre l'habltus acquis au cours de la prime éducation et l'habltus que tend à inculquer l'Ecole, qui constitue la médiation entre l'arbitraire culturel et ses effdrts dans le "système d'enseignement". Le concept d'habitus est fondamental chez Bourdleu. Durkhelm en faisait déjà usage pour décrire l'acquisition d'un ensemble de dispositions constltu tlf d'un "être moral", dimension essentielle de la socialisation. Bourdieu et Passeron définissent l'habltus, "(...) comme produit de l'intériorisation des principes d'un arbitraire culturel capable de se perpétuer (...) et par»là, de perpétuer dans les pratiques les principes de l'arbitraire Intériorisé" (2). L'habltus, "structure structurante", est un effét direct de la socialisation ("Imposition d'un arbitraire culturel") et règle les différentes manières d'être. Le caractère de classe de l'école repose sur l'aftlcula- (1) J_d., Ibid. p. 58 (2) ld., Ibid. p. 47 tlon entre habltus, arbitraire culturel et réussite scolaire. L'arbitraire culturel qu'Impose l'Ecole est confondu avec celui des classes dominantes et ce, avec le minimum de dis¬ tance requis pour conférer une certaine autonomie au système, condition de l'émergence d'une légitimité. La réussite scolaire est déterminée par la possession d'un "habltus adéquat", c'est- à-dire constitué d'un "ethos pédagogique" (I) et d'un "capital culturel" (2) réduisant^ peu de chose la distance entre I' "habl- J tus primaire" produit de la prime éducation et I' "habltus secon¬ daire" qu'Inculque l'école par la médiation de l'arbitraire eu ItureI. C'est ainsi que î"le processus scolaire d'élimination différentielle selon les classes sociales (...) est le produit de l'action continue des facteurs qui dé¬ finissent la position des différentes classes socia¬ les par rapport au système scolaire, à savoir le cap 1- taI culturel et l'ethos de classe" (3) Combien même. ces analyses sont produites pour un "public" scolaire différencié en termes d'appartenance de classe et non pas de nationalité et de culture au sens anthropologique, tl n'en demeure pas moins que leurs acquis sont transférables aux groupes que no$s étudions. En effet, I'énonclatlon du caractère arbitraire du modèle culturel qui anime l'action pédagogique, la (1) "(.,.) Système de disposition à l'égard de l'action pédagogi¬ que, 'Md_., Ibîd. p. 45 (2) "(.,.) Ltens cultuèels qui sont transmis par les différentes (A.P) Actions Pédagogiques familiales et dont la valeur en tant que capital culturel est fonction de la distance entre l'arbitraire culturel Imposé par I' A.P dominante et l'arbi¬ traire culturel Inculqué par I' A.P familiale dans les dif¬ férents groupes ou classes", Id. I b Id . p. 46, 10 description de son mode de légitimation et de perpétuation, l'analyse de sa contribution à la reproduction des rapports so¬ ciaux, tous ces principes valent clairement pour une population scolaire d'origine étrangère. Bien plus* celle-ci par sa situa¬ tion parti eu Ilère/met d'autant mieux en évidence certains des ce II e-c i mécanismes et des effets de la scolarisation. Les analyses de Bourdleu et de son équipe souffrent des mômes lacunes que celles de Durkhelm : les formes de résistance des dominés ne sont pas prises en considération. Or la légitimité de I' "arbitraire cultureI"# aussI bien que celle de I' "exclu- de slon"ne sont pas assurées/ façon plus Infaillible auprès des enfants scolarisés qu'elle ne l'était auprès des adultes Immigrés en situation de formation (I), Une approche mlcro-soclologlque, à: l'Image de celle qui fut mise en oeuvre dans notre étude de la formation des travailleurs Immigrés, permet de saisir la portée et les modalités de cette résistance qui ne se laisse pas décrire par le concept durkhelmlen d'anomle. Elle traduit, en effet, une très forte mobilisation de l'Identité collective. Le caractère systématique de l'échec scolaire et l'am¬ pleur de l'écart entre "habltus primaire" (produit de la socia¬ lisation assurée dans la famille et le groupe d'origine) et "habl¬ tus secondaire" (que l'Ecole tend à Inculquer) sont à l'origine d'un processus de dé lé.q 11 Imat Ion. D' "Institution de police, vouée à décevoir chez certains les aspirations qu'elle encourage chez tous (,,,)" (2) l'Ecole se transforme pour certains de ces "exclus" (1) Voir à ce sujet Orlol (Michel), Zlrottl (Jean-PIerre) et a I, "Les effets de la formation sur les travailleurs Immigrés1'"^ Etudes préliminaires, numéro spécial, Nice, IDERIC, 1975, ;.211 (2) Bourdleu (Pierre) et Passeron (Jean-Claude) "La reproduction", p. 252. 11 en Instance de mobilisation. "L'Intériorisation de la légitimité de l'exclusion" n'est 7 Pas assurée pour l'ensemble des enfants de travailleurs Immigrés. Toutefois, contra I rement à Baudelot et Establet, nous ne faisons pas du chahut une expres¬ sion pertinente de la résistance des dominés. Les signes de "délégItImatIon" qui ponctuent le discours de certain des dominés, traduisent plus un processus de prise de conscience qu'une révolte instinctive. 1.3 Réseaux de scolarIsatIon, reproduction des rapports de production et contradictions. La description de "l'Ecole capitaliste en France", telle qu'elle fut conduite par Baudelot et Establet (I) est d*un apport précieux pour l'élaboration d'un corps d'hypothèses quant à l'analyse de la scolarisation des enfants de travailleurs Immi¬ grés. Son premier Intérêt est d'être en quelque sorte complémen¬ taire des travaux du Centre de Sociologie Européenne, qui ne por¬ tent que sur I 'enseignement secondaire et supérieur. Associer dans une même analyse, le cycle primaire et le cy- cle secondaire contribue de façon positive à I'expI icitatIon des mécanismes qui tendent compte de la dynamique scolaire et de la fonction sociale de l'Ecole. Pour ces auteurs, l'Ecole est directement Impliquée dans la reproduction des classes sociales. Cette fonction est assurée (I) Baudelot (Christian) et Establet (Roger) "L'Ecole capitaliste en France", Paris, Maspéro, 1971, -, 336. p. 12 par la division de l'Institution scolaire en deux réseaux. L'un, réseau P.P (primaire professionnel) contribue à la produc¬ tion d'une force de travail prolétarlsée, l'autre, réseau S.S (secondaire supérieur) participe à la production de la bourgeoi¬ sie, L'hypothèse est vérifiée par l'analyse statistique des flux scolatres et par l'analyse qualitative des pratiques scolaires, A ces deux réseaux correspondent deux formes d'Incul- catlon de l'Idéologie dominante. Le réseau P.P est le lieu de transmission d'une sous-culture bourgeoise, de la production d'une acceptation passive de I'ordre social et du refoulement de I' "Idéologie" et de la "culture" des classes dominées. Le réseau S,S diffuse et reproduit la "culture bourgeoise", assure la formation d'Interprètes actifs de l'Idéologie dominante. Ces deux réseaux trouvent leur origine dans l'école primaire. Les élèves s'y heurtent à la première étape de sélection t l'alpha¬ bétisation. La lecture, l'écriture, l'expression qui s'organisent autour et â partir d'une réalité sociale Inconnue des enfants appartenant aux classes populaires, sont générateurs pour ceux- ci de "refoulement culturel". Ce "refoulement de l'expression", conduit par la médiation de l'échec scolaire, à l'orientation de ces élèves dans le réseau P.P. Nous ne discuterons pas dans ce cadre de la pertinence de l'analyse en deux réseaux de scolarisation, ni du caractère quel¬ que peu mécanlste et héréditaire de cette analyse de la reproduc¬ tion. Nous retiendrons de ces travaux : 1) - la notion de réseau de scolarisation ; 2) - l'articulation entre "refoulement culturel", "refoule¬ ment de l'expression", echec scolaire et orientation ; 13 3) - que le fonctionnement de l'Ecole pour quelque grou¬ pe que ce soit ne peut-être appréhendé que par sa mise en rap¬ port avec la structure de classa de la société. Par contre, la théorie de la résistance est très som¬ maire. Le chahut traduirait "les effets de l'Instinct de clas¬ se dans l'appareil scolaire" (I). Il n'est cependant pas établi qu'il soit l'apanage des élèves Issus des classes sociales do¬ minées. L'usage platonicien de ce terme, pris dans le seul sens d'expression de l'Instinct de classe, n'est pas rec^vable, Pour les élèves Français et étrangers, le chahut exprime plus le désintérêt que la rôvèlte. Enfin, ces travaux ont le défaut de ne pas prendre en considération les contradictions du système éducatif. La qualifi¬ cation des travailleurs s'Inscrit dans une formation générale qui n'est pas directement utile pour la production, mais suscite un niveau d'aspiration professionnelle que l'organisation de la pro¬ duction capitaliste ne peut satisfaire. Le décalage s'accroît en¬ tre le type de force de travail produit par le système de forma¬ tion, et les besoins en agents non qualifiés. Cette rupture est également l'expression de la remise en question de l'acceptation passive d'un certain destin social que I' "Inculcatlon de l'Idéo¬ logie dominantes se devait de réaliser. Baudelot et Establet, ainsi que Bourdleu ont mis l'acce nt fait sur un usage, que/ l'Institution scolaire, de différences culturel- (I) 0£. cjjf. p. 182 14 les au statut d'aîI leurs *iricêrtâin ' * "> (I)» Cependant, comme sf 11 s'agissait d'un processus achevé et comme si les éléments qui en ont assuré l'efficacité avalent disparu depuis la réduction des minorités nationales, Ils ne font aucune réfé¬ rence au rôle spécifique de l'Ecole dans l'unification natio¬ nale. A contrario, nous citerons les difficultés auxquelles se heurte la mise en place des cours de langue maternelle pour enfants étrangers (2),Il apparaît que cette timide contestation du monopole de la langue française dans l'école primaire soulève de très fortes résistances, tant au sein de l'Institution (admi¬ nistration, corps enseignant) qu'à l'extérieur (parents d'élèves, municipalités). Or, on sait que les effets de cet enseignement (apprentissage et valorisation de la langue) dépendent pour beau¬ coup de son mode d'Institutionnalisation. De plus, à quelques rares exceptions près, il n'est pas assuré dans l'enseignement secondaire où se Joue pourtant le statut des ; langues des Immigrés par rapport à l'anglais par exemple. C'est le cas notam¬ ment pour l'arabe et le portugais. Cette Incohérence pédagogi¬ que est significative de ce qu'il en est réellement de l'ap¬ prentissage des langues d'origine. Aussi la présence des enfants étrangers dans l'Ecole (1) Voir à ce propos le débat ouvert sur les notions de "culture de la pauvreté" et "culture prolétarienne". (2) L'enseignement de la langue maternelle dans le cadre de l'éco le primaire a fait l'objet de conventions bilatérales entre la France et certains pays d'émigration. Ces pays assurent le recrutement, la formation et la rémunération des enseignants l'école primaire fournit les locaux et Intègre ces cours dans le cadre du tiers temps pédagogique. 15 révèle-telle les processus de réduction de différences cul¬ turelles dont le cadre dMnterprétatlon le plus pertinent n'est des pas tant la reproduction/c lasses sociales que la constitution et le maintien de I' Etat Nation. 2* HYPOTHESES ET OBJET ; LES ACTES D'UNE RECHERCHE. 2.1 Hypothèses. Ces références et ces remarques nous ont conduIt à'orga¬ niser l'analyse de la scolarisation des enfants de travailleurs Immigrés autour de deux hypothèses en étrofte Inter-reIatlon. L'Ecole par son caractère ethnocentrIque, participe de la réduction des différences culturelles. Les processus psycho¬ sociaux de l'Intériorisation des modèles culturels transmis par l'Ecole sont générateurs d'anomle. En règle générale, l'assimila¬ tion de ces enfants est hors de propos : l'école tend à les mar¬ ginaliser sur la base d'une aliénation déséquilibrante de l'Iden¬ tité culturelle. Toutefois, dans certaines situation? se manifes¬ tent des formes de résistance sans rapport avec l'anomle. Elles traduisent alors la mobilisation de l'identité collective. Or,cette approche psycho-socia Ie entre en contradiction avec les observations très partielles effectuées sur fa relation entre scolarisation et marché de l'emploi au palier macro-soc la I , Cette contradiction définit un des caractères fondamentaux de la scolarisation de ces enfants et suscite la formulation d'une hypo¬ thèse complémentaire. L'Inadaptation scolaire des enfants de travailleurs Im¬ migrés, qui trouve son origine dans la géjgatlon de leur spécifi¬ cité cul ture I Ie; est à la basa d'un processus fonctionnel de sé¬ lection et d'orientation. Tout sa passe comme si l'école les In¬ tégrait à la reproduction d'une force de travail non qualifiée, mais suffisamment socialIsée^pour occuper, avec une fraction des enfants français, des classes populaires, des places déterminées sur le marché du travail, A la seconde génération, les Immigrés se trouveraient mieux "adaptés" qu'à la première, par une meil¬ leure connaissance de la langue, par l'Intériorisation plus pro¬ fonde d'un certain mode de vie, par une plus grande familiarité avec une technologie "moderne". L'articulation de ces deux hypothèses ne peut être déter¬ minée par la priorité unlvoque de l'une sur l'autre. L'hypothèse de marginalité par exemple, ne peut s'Imposer indépendamment du groupe culturel considéré, 2,2 Un objet. Quelques résultats. L'anticipation sur les résultats de la recherche sera liée à l'exposition précise de notre objet. Anticipation ou plus précisément esquisse, étant donné qu'il est hors de propos à cette étape de rendre compte par le détail de résultats acquis : si le recueil de l'ensemble des données est clos, les analyses qui leur donnent sens ne sont pque partielles, 2,2,1 La gestion comme objet, la définition de S'il fallait contracter cn quelques mots/ l'dtfjet de la 17 recherche, nous pourrions dire qu'elle se préoccupe d'analyser la gestion de la scolarisation de ces enfants (I). - gestion par le "dominant" - ladite "société d'ac¬ cueil" - qui par ta médiation de l'Institution scolaire Impose ses pratiques et ses objectifs ; - gestion par le "dominé" - l'enfant Immigré et sa famille - qui de sa position ne peut que réagir aux pratiques et aux symbolIsmes du dominant, ce qui ne signifie pas toujours une totale soumission, mais un état permanent de domination. La confrontation des deux formes de gestion est étudiée selon le modèle proposé, à partir de trois groupes de relations; *a) - relation entre pratiques et symbol Ismes ; Il s'agit de situer les unes par rapport aux autres d'une part, l_es régu- IarItés qui peuvent caractériser les pratIques, d'autre part, les totalisations qui peuvent caractériser les symbol Ismes. b) - relation ontre pratiques des deux communautés cultu¬ relles différentes, l'une dominante, l'autre dominée j c) - relation entre symbol Ismes de deux communautés cul¬ turel lée différentes, dans le même cadre d'Inégalité (2). (1) Le schéma théorique et méthodologique auquel nous nous référons pour cette partie fut élaboré par Michel Oriol: "transposition et rupture des structures familiales dans les communautés immigrées'. Document pour le séminaire de 3ë cycle; IDERIC - Université de Nice, 1977, 5 p. "Les cultures en mouvement: propos épistémologiques à l'écoute des communautés immigrées", in PLURIEL - n°14, 1978;pp.13-27. (2)"Ttransposition et ruptureIbid.p.Iet2. 18 La situation scolaire ne reflète pas directement ^op¬ position de deux communautés culturelles mais plutôt la confron¬ tation de certains des "dominés" à une Institution des "dominants Institution qui par l'Imposition de pratiques et de symbollsmes, dont le caractère systématique relève du cadre organIsatlonne1 et législatif (obligation scolaire), participe activement à la socialisation des enfants scolarisés. La part Icu.lar lté de l'école vient de ce qu'elle cristal¬ lise certains des éléments diffus qui définissent l'Inégalité du rapport des groupes Immigrés à la société globale. 2.2.2 La gestion par les "dominants" Analyser Tes formes Imiposées par l'Institution, à la scolarisation des enfants de migrants, Implique qu'outre leur repérage, les éléments significatifs soient analysés en re¬ gard des deux pôles : pratiques et symbollsmes. .Les pratiques formelles et leur lecture symbolique. Nous, entendons par formelles, les pratiques qui dans l'Institution s'expriment dans des formes qu'ielle Impose et qui règlent la vie scolaire en ré Interprétant ses différentes dimensions à partir des objectifs explicites t transmettre des connaissances et délivrer des diplômes \ c'est bien ainsi que se laissent appréhender, dans les dossiers scolaires, tes pra¬ tiques afférentes à la sélection et à l'orientation ; elles s'y expriment dans des rubriques, selon des catégories et des espa¬ ces mêmes Impayés par l'Institution. Il Importe à partir de ces documents produits par l'école de répondre à diverses questions : 19 - quels sont les cursus scolaires de ces enfants ? - des régularités s'y expriment-elles ? -•diffèrent-elles des régularités observées pour les enfants français originaires de catégories socio-professionnelles proches ? Pour ce faire, Il fallut recueillir et analyser les dos¬ siers scolaires d'un grand nombre d'enfants étrangers et d'un groupe témoin d'enfants français (l'enquête porte sur environ 300 doss lers ). Ont été l'objet d'analyses systématiques, les dossiers scolaires de l'école primaire et dans les dossiers de l'ensei¬ gnement secondaire et technique court, les documents relatifs à l'orientation en fin de CM2, en fin de 5e et de 3e, Outre la reconstitution, même partielle, des cursus scolaires - en effet les dossiers sont examinés à des étapes différentes de la scolarité - nous avons pu relever les per¬ formances dans les diverses matières et I eu rs apprôc latl ons par les enseignants, ainsi que les appréciations sur les aptitudes et les comportements et les justifications apportées aux déci¬ sions d'orientation. De plus, par rapport à l'ensemble du cursus sont col¬ lectés : - les éléments marquants : redoublement-orientation- exclus Ion . ; - l'évolution des performances, des comportements et de leurs appréciations. 20 Les analyses en cours permettent d'apprécier, en comparaison avec les dossiers d'élèves français, le poids rela¬ tif des différents éléments dans le processus de sélection et d'orientation et d'en cerner la logique Interne. Il s'agit de définir ce qui des performances, de leurs appréciations, de l'appréciation des capacités et des comportements, des éléments du cursus antérieur (nombre de redoublements, classes ou filiè¬ res fréquentées) ou des éléments relatifs à certaines caracté¬ ristiques personnelles (sexe et nationalité) rend le mieux compte de l'orientation et de la sélection. Il s'agit aussi d'analyser chacune de ces dimensions et d'apprécier par exemple la vertu sélective de chaque matière, la stabilité des apprécia¬ tions - à performances Identiques - selon les groupes considérés, la stabilité de leur champ sémantique, etc... L'analyse des pratiques formelles est en oeuvre. Les premiers résultats n'Indiquent pas qu'une logique originale di¬ rige te processus d'orientation et de sélection des enfants de migrants. Il apparaît que les éléments les plus prôgnants relè¬ vent du passé scolaire dans le cycle élémentaire. Nous nous garderons de donner une dimension générale à ces résultats partiels. L'analyse complète des conditions de l'orientation en fin de 5e et en fin de 3e peut fort bien Infir¬ mer ces propos. Pour le moins, est réaffirmée l'Importance fonda¬ mentale de la scolarité dans le primaire qui : pour ce public particulier, peut être décrite comme une ml se en sItuatIon d'échec scol al re, sur laquelle se greffent les pratiques de sé I ect Ion/or le' 21 ta+lon opérées à l'entrée et dans le premier cycle de Rensei¬ gnement secondaire. Rapporter ces pratiques au pôle des symbollsmes, c'est- à-dire aux systèmes de valeurs de normes et aux représentations qui les sous-tendent revient à expliciter sur ce point d'une part, le discours de l'Institution, d'autre part, les catégories du jugement professoral et les attitudes qui le déterminent. Les appréciations portées tant sur les matières que sur les comportements constituent le corpus sur lequel se développe I'expIIcltatlon de la catégorisation produite par le corps en- seIgnant. Les attitudes relatives à la scolarisation des enfants de migrants sont cernées de façon méthodique. Un questionnaire futadressé à une centaine d'Instituteurs et d'Institutrices sélectionnés en regard du pourcentage d'enfants étrangers pré¬ sents dans leurs établissements. Le discours de l'école se lit dans les procédures de régulation qu'elle a ' tnst'Ituëes Q+ dans les modalités de leur fonctlonnement. . Lesrprat I ques "autres". L'objectif est sur ce point l'étude de ce qui, hors des pratiques formelles décrites cl-dessus, est porteur d'effet sur chacun des pôles de notre schéma et définit à sa façon la sco¬ larité de ces élèvss. Il faut toutefois signaler l'étroite Inter¬ pénétration des deux types de pratiques que seul l'analyse dis¬ socle : des performances médiocres, une situation d'échec icolalre 22 * "■ ne sont pas sans favoriser et sans amplifier la dénégation ou la dévalorisation culturelle, réciproquement les prémisses d'une crise de l'Identité n'améliorent certes oas le niveau de perfor¬ mances . Le champ de ces pratiques est à la fols vaste et précis : vaste parce qu'il Inclut les pratiques relatives aux contenus, à la langue, aux relations ; précis parce qu'est anelysé ce qui a rapport au statut des cultures en présence, soit directe¬ ment sous forme de valorisation, dénégation, dévalorisation, soit Indirectement par l'appréciation de ses conséquences dans le: registres de I • I dent I f Icat ion culturelle et de la »