UNIVERSITE DE NICE INSTITUT D'ETUDES ET DE RECMERCHES INTERETHNIQUES ET INTERCULTURELLES Centre Associé de Formation aux Relations Interculturel/es (C.A.FRI.) LA SCOLARISATION DES ENFANTS OE TRAVAILLEURS IMMIGRES TOME 2 TAXINOMIES ET SITUATIONS SCOLAIRES (Le cadre de la scolarisation dans l'enseignement primaire. Étude monographique) Jean-Pierre ZIROTTI B.U. NICE D 099 0008940 NOVEMBRE 1980 UNIVERSITÉ DE NICE Institut d'Etudes et de Recherches Interethniques et Interculturelles IP'G. éoos C2.) Centre Associé de Formation aux Relations Interculturelles (C.A.F.R.I) LA SCOLARISATION DES ENFANTS DE TRAVAILLEURS IMMIGRES TOME 2 TAXINOMIES ET SITUATIONS SCOLAIRES (Le cadre de la scolarisation dans l'enseignement primaire. Etude monographique). Jean-Pierre ZIROTTI Novembre 1980. IDERIC 34, rue Verdi • 06000 Nice - Téléphone : 87.01.75 Compte rendu d'une recherche subventionnée par le Ministère des Universités (Recherche pédagogique n° 150101) à la demande du Ministère de l'Education. Sossie Andizian, Alain Détolle, Denis Parisot, Christian Vaillant, Lise Vollenweider ont participé à la recherche. SOMMAIRE INTRODUCTION AU TOME 2 . . . , , p . 1. LE JUGEMENT PROFESSORAL : UN SYSTEME DE CLASSEMENT "QUI NE FAIT PAS DE DIFFERENCE". p. 1.1 - Analyse comparative des appréciations sur "les aptitudes intellectuelles" p. 1.1.1. - §YStème_d_|_apgréciation_des_2§2titudes s_éïèves_fran2.ais . p. 1.1.2. - Système_d^aggréciation_des_"aptitudes p. 1.1.3. - Leçture_coragarative_du_tableau_sYnogtigue P 22222"• îfiIl2ll2£II^l22_iil223Y2_£ii}l2ïI• 1.2 - Analyse comparative des appréciations sur 'le travail". p. 1.2.1 - Système_d^appréçiation_du_^travail^_des élèves_frangais. p. 1.2.2 - Système_d_|_a2préciation_du_^travail_||_des élèyes_étrangers. p. 1.2.3. - L§çture_com2arative_des_tableaux_synog- £iS22s_Ie2_2§£®22Yi2s_lu_iu225}22Y_2Yï:_':!:2 travaïï^T_ÂggrIciâtiôn_dI_I^Itre_môriï" 2£_222li£i222_£2_ïâ_Ii22i£l • 1.3 - L1euphëmisation sauve les apparences. p. 2. LE CADRE DE LA SCOLARISATION. MONOGRAPHIE D'UN ETABLISSEMENT PUBLIC D'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE. p. 2.1 - Une école primaire parmi d'autres.... p. 2.2 - Quelques situations scolaires p. I 1 4 4 7 9 19 19 22 23 32 39 41 46 F 2.2.1 - Situation__l_2_une_çlasse_de_çours_gréDaratoire p. 4 7 2.2.1.1. la classe. p. 47 2.2.1.2 Appréciations portées par l'institutrice sur chacun des élèves maghrébins. p. 54 2.2.1.3 Opinions et remarques p. 58 2.2.1.4 De la relégation comme modèle pédagogique p. 59 2.2.2. Situation 2_j__une_çlasse_de_çours_moY§n_deu- p. 68 •£i§2?§_§I!!}lë • 2.2.2.1 La classe. p. 68 2.2.2.2 Appréciations portées par l'instituteur sur chacun des élèves maghrébins (en fin d'année scolaire). p. 71 2.2.2.3 Opinions et remarques p. 74 2.2.2.4 Les limites de la bienveillance. p. 75 2.2.3 - Situation_3_jt_yne_çlasse_de_çours_prépa- p. 78 2.2.3,1, La classe, ^g 2.2.3.2. Appréciations portées par l'institutrice sur chaque élève magrhébin (en fin d'année sco¬ laire) . p. 80 2.2.3.3. Opinions et remarques. p, 85 2.2.3.4. De la "sympathie" au rejet : une rencontre révélatrice. P- 8 7 2.2.4 - Situation 4 : Une classe de cours élémentai- p. 91 iill" 2.2.4.1. La classe. P- 91 2.2.4.2. Appréciations portées par l'institutrice sur chaque élève maghrébine (en fin d'année sco¬ laire) P- 95 2.2.4.3. Opinions et remarques p. 99 2.2.4.4. Ne pas faire de différences mais refu¬ ser la différence. p. 99 2.2.5 - Situation_5_j__Une_classe_de_cours_élémen- p. 103 tairej. 2.2.5.1. La classe. p.103 2.2.5.2. Appréciations portées par l'institutrice sur chaque élève maghrébin (en fin d'année scolaire). p.104 2.2.5.3 Opinions et remarques. p. 108 2.2.5.4. Où la logique scolaire opère comme une fatalité. p. 109 2.2.6 - §ituation_6_ji_yne_classe_de_cours_prépa- p. 112 ratoire. 2.2.6.1 La Classe. p. 112 2.2.6.2. Appréciations portées par l'institutrice sur chaque élève maghrébine (en fin d'année scolaire) , p. 116 2.2.6.3. Opinions et remarques. p. 121 2.2.6.4 Où s'ébauche la manière d'échapper à la fatalité. p. 123 2.2.7 §i£H§ti22_Z_i_ï;§_£2Eï_^§_£É2EÉ22i2D* P 125 2.2.7.1 La cour des garçons. p. 125 2.2.7.2 La cour des filles. p. 127 2.2.8 îf§_2l§222_^2_E§££i2Èi22225)§DÏ* D 129 2.2 .8,1 - Ap2réciations_portées_2ar_iyinstitutrice sur_chacun_des P* *3 3 9 - La_classe_d_^arabe. Echec scolaire et infériorité sociale : une relation dialectique. SOMMAIRE TABLEAUX Tableau n°l - Tableau synoptique des catégories du jugement professoral et fréquences d'usages des caté¬ gories pour les français et les étrangers p. 10 Tableau n° 2 - Catégories de jugement utilisées exclusivement pour les élèves étrangers. p. 16 Tableau n° 3 - Tableau synoptique des catégories du jugement professoral et fréquences d'usage de celles- ci pour chaque groupe. p. 25 Tableau n° 4 - Tableau synoptique simplifié des catégories du jugement professoral et fréquences d'usage de celles-ci. p. 26 Tableau n° 5 - Caractéristique et cursus scolaire des élèves maghrébins scolarisés dans la classe de per¬ fectionnement. P- 134 O O O I INTRODUCTION AU TOME 2 Le premier tome de ce rapport de recherche est consacré à l'analyse du processus dans lequel s'inscrit l'évaluation, la sélection et l'orientation scolaires des enfants de travailleurs immigrés; le second tome présente l'analyse du cadre dans lequel s'inscrit la scolarité de ces élèves.^ La première partie complète et approfondit les analyses quantitatives dont les appréciations formulées par les ensei¬ gnants furent l'objet dans le premier tome. L'explicitation du système de classement sous-jacent au jugement professoral contri¬ bue, en dégageant les catégories qui le constituent, à révéler les attitudes des enseignants face aux élèves étrangers. Il appa¬ raît que la logique spécifique du système de classement, produite par le système scolaire, et intériorisée par les enseignants, impose à ceux-ci une conception égalitariste qui dénie l'effet propre des différences sociales et culturelles dans le déroule¬ ment de la scolarité. De plus, la position qu'occupent les ensei¬ gnants dans l'institution scolaire les contraint, dès lors que leurs propos s'inscrivent dans un contexte formel et officiel, à censurer leurs discours pour les régler sur "ce qui est dicible". (1) L'analyse des réactions des élèves étrangers aux conditions de leur scolarisation fait l'objet du troisième tome du rapport. II Il en résulte que ni les caractéristiques sociales des élèves ni les caractéristiques de l'école, ni a fortiori la nature de leurs interactions ne sont évoquées pour rendre compte des modalités de l'insertion scolaire des élèves étrangers; les performances, indépendamment des conditions de leur production, sont lues comme des compétences; les appréciations sur le travail, considérations sur l'être moral des élèves, définissent leurs mérites. Ainsi le "classement scolaire", avec la participation des enseignants qui ont, pour le moins, intériorisé la logique de l'institution, s'ajuste au "classement social" et place les enfants de travailleurs étrangers dans des positions scolaires qui par leur infériorité sont conformes au statut social de leurs parents. La seconde partie, monographie d'un établissement public d'enseignement primaire, rend compte par le moyen de quelques descriptions détaillées, du cadre dans lequel se déroule la sco¬ larité d'un groupe d'élèves maghrébins. Attitudes et comporte¬ ments des instituteurs et institutrices, des élèves étrangers, des élèves français sont examinés dans la dynamique de leurs inter¬ actions pour rendre compte de la spirale qui de l'intériorisation à l'échec scolaire, par leur renforcement mutuel, conduit à la marginalisation des élèves maghrébins dans l'école. "Varier tes formules, voilà le difficile" Kierkegaard. Post-scriptum aux miettes philosophiques. 1. LE JUGEMENT PROFESSORAL : UN SYSTEME DE CLASSEMENT "QUI NE FAIT PAS DE DIFFERENCE". La "démonstration" du caractère spécifique et discrimina¬ toire du processus de sélection et d'orientation des élèves étrangers repose notamment sur la place occupée dans ce proces¬ sus par les "appréciations" des enseignants sur "les aptitudes intellectuelles" et sur "le travail". C'est plus précisément cette dernière appréciation qui fait la différence. Sa pré¬ pondérance dans le schéma causal de l'orientation des élèves étrangers a permis, à titre hypothétique, d'avancer que tout se passe comme si quand les performances sont moyennes, "c'est alors en fonction de l'âge et des appréciations portées sur le comportement que se joue l'orientation" (1). Une telle hypothèse repose sur une interprétation de la nature de ce jugement qui est plus de l'ordre de l'intuition que de l'analyse. Bien que non contrôlée cette intuition n'est pas marquée d'une totale gratuité : elle repose sur une cer¬ taine "connaissance" des jugements acquise lors de leur quan¬ tification dans le cadre des analyses précédemment développées. Après cette première démarche qui a permis d'en apprécier l'effet sur la décision d'orientation dans le cadre scolaire, il convient de revenir sur l'analyse du "jugement professoral" dans une optique proche de celle de P. Bourdieu et M. de Saint-Martin. (1) ZIROTTI (J.P) avec la collaboration de NOVI (M.) : La scolarisation des enfants de travailleurs immigrés.~Tome 1 Evaluation, Sélection et orientation scolaires. IDERIC, NICE, Juin 1979 ; p. 188. - 2- Ces deux auteurs avancent pour hypothèse que : "Les taxinomies que révèlent les formules rituelles des attendus du jugement professoral ("les appréciations") et dont on peut supposer qu'elles structurent le jugement pro¬ fessoral autant qu'elles l'expriment peuvent être mises en relation avec la sanction chiffrée (la note) et avec l'ori¬ gine sociale des élèves qui font l'objet de ces deux formes d'évaluation."(1) Les "appréciations détaillées" des maîtres sur "les aptitudes intellectuelles" et sur "le travail" que contiennent les dossiers d'orientation soumis à l'analyse sont exprimées en des formules stéréotypées, concises, brèves, souvent lapidaires. La répétition d'un nombre restreint de formulations semble indiquer qu'au delà de la diversité des juges s'impose un système de classement (une taxinomie). Il n'est pas possible dans le contexte de cette recherche, faute de pouvoir les identifier, d'apprécier le degré de réalisa¬ tion de la taxinomie par chacun des "juges". De même, il est im¬ possible de vérifier si le recours à une même formulation recou¬ vre une identité de point de vue : une équivalence dans l'expres¬ sion ne correspond pas nécessairement à une équivalence de sens pour les enseignants qui recourent à une même formule. L"hypc-thôse avancée par P. Bourdieu et M. de Saint Martin est que la diversi¬ té (multiplicité) des formes de jugement se rêsoud dans un sys¬ tème de catégories, c'est à dire dans des régularités qui peuvent être appréhendées comme les : "formes scolaires de la classification (...) transmises, pour l'essentiel, dans et par la pratique en dehors de toute inten¬ tion proprement pédagogique" (2) Le "jugement professoral" se laisserait donc décrire comme un système de classement dont les éléments constitutifs : (1) BOURDIEU (P.) et de SAINT MARTIN (M.), "Les Catégories de l'en¬ tendement professoral" in Actes de la Recherche en Sciences Socia- les, n°3, mai 1975, p. 69. (2) Id. ibid. p. 69. "formes de pensée, d'expression et d'appréciation doivent leur logique spécifique au fait qu*/elles sont/ produites et reproduites par le système scolaire". (1) Ainsi serait assuré un nécessaire et minimal "consensus sur le sens "des formulations tant pour la hiérarchie des éléments du système de classement que pour les équivalents à un même degré du système. S'il n'est pas possible ici de vérifier la pertinence de ces a priori, il faut remarquer que la logique explicite du processus de sélection et d'orientation repose sur l'hypothèse d'un système de jugement, donc de classement, communément partagé par tous les acteurs qui interviennent dans le processus d'évaluation, de sé¬ lection et d'orientation. (1) Id. ibid. p. 69. Note technique Il a été -procédé à une reaension exhaustive des appréciations émises sur chacun des élèves, soit : Appréciations Elèves Sur les capacités intellectuelles Su r le travail Etrangers 225 225 Français 89 89 L'appréciation, souvent rédigée avec une grande concision, por¬ tée sur chaque dossier, dans chacune des rubriques : "Capacités intellectuelles" et "travail" est constituée globalement en unité de sens. L'analyse consiste à dégager de l'ensemble de chacun des types de jugement un système de catégories, puis d'affecter chaque appréciation à l'une des catégories. C'est avec une part d'arbi¬ traire inévitable dans ce type de traitement que certaines appré¬ ciations -unités de sens- ont été affectées à l'une ou l'autre des catégories, d'autres, inclassables, ont été regroupées sous la rubrique "divers". Le système de catégories fut élaboré à l'examen des listes exhaustives d'appréciations j la brièveté de la plupart de celles- ci a grandement facilité le regroupement en catégories. La liste exhaustive des appréciations est présentée en annexe. Le propos de cette étude n'est pas de mettre en relation les systèmes de classement avec les performances et l'origine sociale des élèves mais de vérifier la nature de la relation entre l'appartenance au groupe des élèves français et l'appar¬ tenance au groupe des élèves étrangers et les jugements. 1.1 Analyse comparative des appréciations sur "les aptitudes intellectuelles". L'analyse des appréciations sur "les aptitudes intellectuel les"repose sur une démarche simple : la recension exhaustive des appréciations pour chacun des groupes est suivie d'une opération de classement des propositions conduite en regard de la logique apparente du jugement professoral telle qu'elle se dévoile dans le corpus recueilli. La fréquence très élevée de formulations concises et stéréotypées simplifie beaucoup les opérations de classement. Avant d'esquisser une description sommaire de la logique de ce discours professoral dans son rapport aux deux groupes d'élèves que nous avons constitués, il convient d'exposer les catégories que nous y avons lues. Le montage auquel nous avons procédé n'est que l'expression d'un mode d'exposition qui pro¬ cède du général au particulier. 1.1.1. Système d'a£préciation_des_^aptitudes_intellectuel- les"_des élèves français. Ainsi, si nous prenons pour premier corpus l'appréciation des "capacités intellectuelles',des élèves français nous sommes amenés à élaborer deux types de catégories. A) - Le premier type regroupe les appréciations qui compren nent, exclusivement ou en association avec d'autres éléments, des "jugements synthétiques" qui se réfèrent soit à l'élève soit à ses "aptitudes" à l'exemple de : - intelligent ; - 5 - - insuffisantes ; - normales ; - moyennes ; - peu doué ; - bon élève ; - etc. Ces formulations qui expriment une appréciation non déve¬ loppée et dépourvue de justification de quelqu'ordre que ce soit, définissent la catégorie 1. Lorsqu'elles sont associées à des précisions relatives à l'une, à plusieurs ou à l'ensemble des matières enseignées, à l'exemple de : - moyennes surtout en mathématiques ; - très moyennes, des difficultés en orthographe ; - très éveillée, intelligente et attentive ; assez douée pour les maths. ; elles constituent la catégorie 1.1. Les catégories suivantes ont été élaborées selon la même démarche : . catégorie 1.2. : "jugement synthétique" assorti d'une appréciation sur l'attitude à l'égard du travail scolaire : - assez bonnes ; capable d'un effort suivie ; - assez bonnes mais peu intéressée par le travail sco¬ laire ; - etc. . catégorie 1.3. : "jugement synthétique" complété de re¬ marques relatives au comportement : - élève intelligente, timide, renfermée ; - intelligent ; très agité ; - etc. - 6 - . catégorie 1.4. : "jugement synthétique" complété d'une appréciation sur le "fonctionnement intellectuel" : - moyennes ; compréhension assez difficile ; - enfant à peine moyen, peu éveillé ; - etc. B) Le second type de catégories rassemble les apprécia¬ tions qui ne comptent pas de "jugement synthétique" précédemment défini, mais qui renvoient directement, non exclusivement, à l'un des thèmes évoqués déjà dans les catégories du premier type, soit . catégorie 2.0. : appréciation relative aux performances/ compétences dans une ou plusieurs matières : - élève extrêmement faible en mathématiques et en français - etc. . catégorie 2.1. : appréciation relative au fonctionnement intellectuel : - compréhension lente, peu sûre ; —rn avec, pour sous-catégorie 2.1.1. qui s'enrichit de corn- mentaires sur l'attitude à l'égard du travail scolaire ou sur des traits caractérisant le comportement : - esprit très lent ; semble souvent absente de la classe ; - compréhension lente ; grande timidité ; - etc. . catégorie 2.2. : appréciation se référant à des traits de comportement : - enfant très timide, cela le rend fermé à tout ; - enfant qui souffrait de troubles psychologiques, actuel¬ lement bien stabilisé ; - etc. C) Enfin une rubrique "divers" rassemble les appréciations inclassables dans le système de catégories qui est ici défini soit parce qu'elles contiennent des éléments relatifs à plusieurs catégories, soit -ce qui n'est pas nécessairement une condition indépendante de la première- parce qu'elles relèvent d'autres catégories mais n'apparaissent qu'une seule fois dans le corpus. 1.1.2. Système d'a£préciation_des_^agtitudes_intellec- tûëïlës77 des élèves étrangers. Les appréciations sur les capacités intellectuelles des élèves étrangers se laissent décrire par le même système de ca¬ tégories. Il suffit de l'enrichir de deux catégories du premier type : . catégorie 1.5. : appréciations synthétiques complétées d'une référence au parcours scolaire : - très moyennes ; deux ans de retard ; - assez bonnes mais Nora a été assez retardée ; - etc. . catégorie 1.6. : appréciations synthétiques complétées d'une référence au statut d'étranger et/ou à la langue : - faibles et auxquelles s'ajoute un handicap linguistique; - assez bien pour une enfant étrangère ; - etc. et d'une catégorie du second type : . catégorie 2.3. : appréciations relatives au statut d' étranger, à la langue : - des difficultés dues à la langue ; - inconnu, difficile à établir, ne parle pas le français ; - etc. Quelques appréciations inclassables sont rejetées dans la rubri- que "divers". - 8 Contenu exhaustif de la catégorie divers (0.) (Appréciations sur les "aptitudes intellectuelles" des élèves français et étrangers). Elèves étrangers - Peut être normalement admise en sixième. - Moyennes, peut avoir ses chances en sixième. - Peut être admise en sixième avec exigence de soutien. - Enfant qui peut encore progresser. Niveau moyen. - Bon niveau en calcul et en français, peut progresser. - Parle très mal le français mais beaucoup de bonne volonté. - Enfant qui semble d'intelligence normale mais est très chétive ; travailleuse. - Elève moyenne, peut réussir avec des efforts. - Pourrait faire beaucoup mieux. - Des difficultés en mathématiques peut être à cause des difficultés de la langue (incompréhension ?), de gros progrès en français. - Assez bon en math ; des difficultés en français en raison de ses origines. - Assez bonnes mais tendance à la paresse, des diffi¬ cultés en orthographe. - Elève maladive, très nombreuses absences. - Elève travailleur. Assez bons résultats en mathéma¬ tiques, irrégulier en français. Elèves français - Elève attachant car essayant de bien faire. - Elève extrêmement faible en mathématiques et en fran¬ çais pourtant s'applique beaucoup. - Indapté à l'enseignement. Niveau CM 1. Peut faire des progrès. - Très travailleuse. - 9 - 1.1.3. Lecture_comgarative_du_tableau_SYnogti2ue 2ence^'_._bes effets d'un discours censuré. La lecture du tableau synoptique du "jugement profes¬ soral" suggère qu'un même système de catégories, donc de classement, règle la production des appréciations portées sur "les aptitudes intellectuelles" des uns et des autres. Si sept catégories ne rassemblent que des "apprécia¬ tions" portées pour l'une ou l'autre des populations,elles ne représentent cependant que 14.3 % des "appréciations" émises sur l'ensemble des élèves (1). Plus encore, seules trois des catégories qui regrou¬ pent des "appréciations" particulières à l'une ou l'autre population dépassent le seuil de fréquence de 5 % (pour les étrangers : 1.6 : 6.5 % et 2. : 7.1 % ; pour les fran¬ çais : 2.1.1. : 6.7 %). Autrement dit, sans prendre en compte les fréquences de la catégorie "Divers", 80 % (2) de l'ensemble des ap- (1) Liste des catégories utilisées exclusivement pour l'un ou l'autre groupe. Utilisées pour les seuls français : 1.4 : 2.2 % , 2.1.1. : 6.7 % ? 2.2. : 2.2 % = 11.1 % Utilisées pour les seuls étrangers : 1.5 : 1.3 % ; 1.6 : 6.5 % ; 2. : 7.1 % ; 2.3 : 2.6 % = 17.5 % Soit par rapport à la population totale : "-1 8 + 17-5 % = 14.3 % conjointement (2) Somme des fréquences des catégories utilisées/pour les deux populations. Etrangers : (1.) 59.1 % + (1.1.) 5.7 % + (1.2.) 7.1 % + (1.3.) 2.6 % + (2.1.) 1.3 % = 75.7 % Français : (1.) 60.6 % + (1.1.) 13.4 % + (1.2.) 6.7 % + (1.3.) 2.2 % + (2.1.) 1.1 % = 84 % Soit pour les deux groupes confondus : 75.7 + 84 _ 0 . — — / y. y % 2 - 10 Tableau n° 1 Tableau synoptique des catégories du juge¬ ment professoral et fréquences d'usages des catégories pour les français et les étrangers. Français Etrangers brut % brut % 1. Appréciations synthétiques 54 60.6 133 59.1 1.1. Appréciations synthéti¬ ques + référence aux perfor¬ mances/compétences dans les matières 12 13.4 13 5.7 1.2. Appr. synth. + référence à l'attitude envers le tra¬ vail scolaire 6 6.7 16 7.1 1.3. Appr. synth. + référence aux comportements 2 2.2 6 2.6 1.4. Appr. synth. + référence au "fonctionnement intellec¬ tuel" 2 2.2 0 1.5. Appr. synth. + référence au parcours scolaire 0 3 1.3 1.6. Appr. synth. + référence au statut d'étranger et à cer¬ taines de ses conséquences 0 15 6.5 2. Appréciations relatives aux performances/compétences dans une ou plusieurs matières 0 16 7.1 2.1. Appréciations relatives au "fonctionnement intellec¬ tuel" 1 1.1 3 1.3 2.1.1. : 2.1. + référence à l'attitude envers le tra¬ vail scolaire ou au com¬ portement 2.2. Appréciations relatives au comportement 6 2 6.7 2.2 0 0 2.3. Appréciations relatives au statut d'étranger et à cer¬ taines de ses conséquences 0 6 2.6 0. Divers 4 3.3 14 6.2 89 99.5 225 99.5 - 11 - prédations se laissent décrire par un même système de catégories. Dans un tel contexte, il ne peut qu'être fait marginalement référence aux caractéristiques propres aux élèves étrangers. Le caractère uniforme du jugement professoral n'est- il pas une conséquence directe de sa nature ? Si nous opé¬ rons, en effet, un regroupement des appréciations synthé¬ tiques (catégorie 1.), des appréciations synthétiques com¬ plétées de références aux performances/compétences dans les matières d'enseignement (catégorie 1.1) et des apprécia¬ tions relatives aux seules performances/compétences (caté¬ gorie 2.), nous obtenons pour chaque population la somme des appréciations qui ne font référence qu'à un univers sco¬ laire particulièrement étroit : chaque élève y est marqué soit du signe de ses compétences/performances dans l'une ou plusieurs des matières enseignées, soit de celui de ses "dons" ("aptitudes intellectuelles" : insuffisantes - normales - moyen¬ nes - bonnes - etc...), soit de l'association de deux, mais de ces signes là seul, c'est-à-dire sans nuance ni attendu ; le tableau qui, ci-dessous, exprime les résultats obtenus, atteste de la prééminence de ces catégories de jugement : elles représentent 74 % des appréciations émises pour les français et 71. 9 % de celles qui sont émises pour les étrangers. Français Etrangers Catégories : 1 2 1. 1 60. 6 % 13.4 % 0. 59.1 % 5.7 % 7.1 % 74 % 71.9 % - 12 - On peut lire dans la fréquence très élevée de ces trois catégories la traduction, au plan des jugements, d'une con¬ ception de l'Ecole qui se veut égalitariste dans la mesure où les processus d'attribution de caractéristiques aux élè¬ ves s'exercent dans une sphère étroitement limitée aux seules performances ou à la compétence ("aptitudes intellectuelles") qu'elles révéleraient. L'effet de 1'égalitarisme ici est de ne faire jamais référence à des éléments qui iraient à 1'en¬ contre de cette représentation de l'Ecole en manifestant, par exemple, que les conditions de vie, l'origine sociale, culturelle, nationale, en un mot 1'"histoire" particulière de chaque élève perturbe les règles d'une compétition dans laquelle, hormis les différences de "capacités intellectuel¬ les", chacun serait l'égal de l'autre. Plus encore, on y lit l'expression du rôle le plus commu¬ nément affirmé de l'Ecole : distinguer les bons des mauvais, classer les élèves selon leurs "aptitudes", en se parant de la légitimité que lui offre l'idéologie de l'inégale réparti¬ tion des dons pour en occulter, tant que faire se peut, le caractère socialement discriminatoire et en ne s'interrogeant jamais sur les conditions de production des performances ni sur la nature du lien qui permet d'inférer des compétences, ou plus précisément des absences de compétence, de "mauvaises" performances. Plus généralement, les fréquences élevées d'un nombre restreint de catégories et le contenu même de celles-ci attes¬ tent du caractère rituel du "jugement professoral". On peut s'étonner de ce que la consigne portée sur le dossier sco¬ laire ne soit pas suivie : à la demande d'une appréciation détaillée les enseignants répondent, pour la plupart, par le recours à des formulations qui s'inscrivent, ainsi que nous l'avons vu, dans un champ de variations extrêmement limité. Si les appréciations des enseignants n'apportent très souvent aucune information qui puisse nuancer ou étayer une opinion sommairement exprimée et permettre une lecture plus éclairée des jugements quantifiés (les notes), c'est qu'elles s'inscrivent dans une logique de déqualification du discours enseignant. Il n'est que de se référer aux con¬ ditions de l'institutionnalisation de l'enseignement spécial chargé de scolariser les enfants "anormaux" pour saisir l'a¬ morce du processus d'invalidation de la compétence des ensei¬ gnants à repérer les "cas pathologiques" et, par conséquent, à interpréter finement les comportements ainsi qu'à appréhen¬ der avec rigueur les compétences. Bien que M. VIAL (1) s'oppose à l'analyse de F. MUEL (2), analyse partiellement reprise par P. PINELL et M. ZAFIROPOULOS (3), sur les conditions d'émergence de la notion d'"enfance anormale" dans l'institution scolaire il demeure que : "le mouvement en faveur de l'enfance anormale naît offi¬ ciellement en 1904 avec l'instauration, par le Ministère de l'Instruction Publique, d'une commission 'à l'effet d'étudier les moyens à employer pour assurer l'instruc¬ tion primaire non seulement aux aveugles et aux sourds- muets, mais,d'une manière générale, à tous les enfants anormaux et arriérés' (Arch. I.P.N., dossier 113, 1907). Le travail de cette commission aboutira à la loi du 15 avril 1909 créant les classes et les internats de perfectionnement" (4). A cette occasion s'est imposée "la démarche théorique de Binet /qui/ s'appuie toute entière sur une 'natura¬ lisation' implicite de la norme scolaire, et aboutit à une retraduction dans le langage de la pathologie des échecs scolaires, produits de la distance entre la cul¬ ture scolaire et la culture des familles des milieux populaires" (5). (1) VIAL (Monique) : Les débuts de l'enseignement spécial en France in S.R.E.S.M.S. n°l8, 1979, p. 7 à 152. (2) MUEL (Francine) : L'Ecole obligatoire et l'invention de l'enfance anormale in Actes de la Recherche en Sciences Sociales n°l, 1975, p. 60 à 74. (3) PINELL (Patrice), ZAFIROPOULOS (Markos) : La médicalisa¬ tion de l'échec scolaire in Actes de la Recherche en Sciences Sociales n°24, novembre 1978, p. 23 à 49. (4) MUEL (F.), op. cit., p.51. (5) PINELL (P.), ZAFIROPOULOS (M.), op. cit., p. 23. - 14 A cette conception est liée la négation de la compétence des enseignants ; si la réussite scolaire est considérée,par Binet, comme un critère incontestable de compétence donc d' intelligence (1) il convient de recourir à d'autres moyens et à des spécialistes pour dépister les enfants anormaux : En effet, "...le maître qui est doué d'esprit d'observa¬ tion peut arriver quelques fois, dans les cas extrêmes et très nets, à se faire une opinion juste sur les capa¬ cités mentales de ses élèves" (2). Tout concourt à invalider "le dire des maîtres" et à les placer sous la tutelle des spécialistes ; "dire qu'un enfant est anormal, c'est sortir du champ scolaire et c'est, en donnant un nom à l'inadaptation scolaire en faire l'objet de la pratique médico ou psychopédagogi¬ que" (3) . Que le contrôle du "champ de l'enfance inadaptée" -appel¬ lation qui depuis la fin de la seconde guerre mondiale s'est substituée à "enfants anormaux"- soit l'occasion de conflits entre pédo-psychiatres et analystes, que la position domi¬ nante des uns soit, aujourd'hui, mise en cause par les se¬ conds (4) n'atténue en rien la relégation du corps enseignant à un rôle subalterne dans le dépistage des enfants "inadaptés" et, par conséquent, dans l'appréciation des "capacités menta¬ les". L'enseignant signale, le spécialiste -psychologue sco¬ laire, pédo-psychiatre- examine, infirme ou confirme et dia¬ gnostique, la commission médico-pédagogique tranche et orien¬ te éventuellement vers les classes spécialisées de "l'enfance inadaptée" ou vers les instituts médico-pédagogiques (I.M.P.) selon que, en vertu des canons de la nosographie psychiatri¬ que, on aura affaire à un débile léger simple ou à un débile léger avec troubles de la personnalité associés. (1) "Lorsqu'un enfant réussit dans ses études, qu'il a de bon¬ nes notes de devoir et de leçon, de bonnes places en com¬ position, il n'y a pas de doute. L'enfant prouve son in¬ telligence par des actes" BINET (A.), Les Idées modernes sur l'enfant, Paris, 1911.(cité par XlÂL (M.) op. cit., p. 141) . (2) BINET (A.) op. cit., p. 82 (cité par VIAL (M.) op. cit., p. 142) souligné par nous. (3) VIAL - (M.) op. cit., p. 143. (4) PINELL (P.), ZAFIROPOULOS (M.) op. cit. - 15 - En conséquence, il apparaît que c'est à une juste percep¬ tion de leur position dans le champ scolaire que renvoie l'inobservation, par les enseignants, de la consigne qui les enjoint à être prolixes -"appréciations détaillées..."- dans un domaine -"...des capacités intellectuelles"- pour lequel la compétence leur est déniée. Il est dès lors cohérent, dans la logique de ce processus d'attribution, que le recours à des éléments originaux dans l'appréciation des élèves étrangers soit une pratique rare. Cette logique ne permet qu'accessoirement la prise en consi¬ dération des traits qui, dans le contexte du système de re¬ présentation dominant à l'Ecole, décrivent la singularité de ces élèves, à savoir : les causes extra-scolaires des re¬ tards dans le cursus (arrivées tardives en France), des re¬ tards dans l'acquisition de certaines compétences (maîtrise hésitante de la langue française; rareté des stimulations offertes par le milieu d'origine, la famille ; effets des conditions de vie). La conjonction d'une conception égalitariste et l'effet de censure que l'invalidation du "dire des maîtres" fait pe¬ ser sur leurs appréciations ne peut que situer comme pratique exceptionnelle la référence à ces quelques traits caractéris¬ tiques. La centration sur les performances et les compéten¬ ces que suppose cette conception interdit toute allusion aux caractéristiques extra-scolaires ; l'invalidation du discours enseignant interdit toute analyse des modalités d'insertion des élèves dans l'univers scolaire et de leurs effets sur la production des performances. Ainsi que l'exprime le tableau suivant, qui ne rassemble que les catégories de jugement mi¬ ses exclusivement en oeuvre pour les élèves étrangers, la conséquence en est une évocation très rare des "particula¬ rismes" de ces élèves (1) et, pour cette partie du système (1) Si nous effectuons la somme des catégories 1.5 + 1.6 + 2.3 + divers, nous obtenons une fréquence d'environ 12 %. - 16 - d'appréciation, la fréquence la plus forte pour une catégorie qui a pour seule originalité de n'apparaître qu'à l'occasion de l'appréciation des élèves étrangers sans pour autant traiter de leur spécificité. Tableau n° 2 Catégories de jugement utilisées exclusivement pour les élèves étrangers (1). 1.5 : Appréciations synthétiques + référence au parcours scolaire 1.6 2.3 2 : Appréciations synthétiques + référence au statut d'étranger et à certaines de ses conséquences. : Appréciations relatives au statut d'étran-}- ger et à certaines de ses conséquences : Appréciations relatives aux performances/ compétences. Divers : 3 appréciations proches de 1.6 ou 2.3 N = n=3 n=15 n=S n=16 n=3 43 _1. 3 % -6.7 % -2.6 % -7.8 % -1.3 % 19 % Les trois appréciations [catégorie n=3 soit 1.3% des appréciations) portant référence au parcours scolaire (2) ne méritent que peu d'attention. Il est toutefois surprenant que (1) Les écarts entre les fréquences d'usage des catégories de jugements sont si faibles (cf. tableau n° 1) que nous avons pris le parti de n'examiner que le sous-système d'apprécia¬ tion original des étrangers.. Les pourcentages sont établis en référence au nombre total d'appréciation portées sur les élèves étrangers : N = 225. (2) - "Très moyennes ; scolarisé tardivement en France". - "Intelligente, arrivée depuis 4 ans en France, a dépassé ses camarades" - "Assez bonnes mais a été assez retardée". - 17 - dans ces trois cas le retard n'est évoqué en faveur des élèves que pour indiquer qu'une scolarité normale ne leur a pas permis de manifester leurs pleines "aptitudes" ou pour insister sur la qualité "d'aptitudes" qui ont pu se révéler en dépit de ce handicap. En l'occurence, ces "circonstances attenantes" ne vau¬ draient que pour des éléments remarquables qu'il convient de sauver de l'issue fatale d'une orientation peu favorable et quasi mécaniquement déterminée par un âge avancé. Un peu moins de 10 % des appréciations traitent de la posi¬ tion particulière de ces élèves {catégories 1:63 2: 3y et trois appréciations de la catégorie "divers", soit n=24, 9.3% des ap¬ préciations) . Celles-ci se réfèrent, de façon non exclusive, soit aux difficultés dans la maîtrise de la langue française ("Moyennes. Handicap en français parce que Portugais" ; "Faibles et auxquelles s'ajoute un handicap linguistique" ; "Semble nor¬ mal mais arrive du Maroc, parle très peu le français"), soit au milieu d'origine désigné comme "handicapant" ("Elève qui ne manque pas d'intelligence, mais défavorisée par son milieu"), soit à une combinaison des deux ("Grosses difficultés en français dues à son origine d'enfant immigré", "Très handicapé par la langue et l'environnement familial"). Evoquer les particularités propres à ces élèves étrangers c'est donc expliciter les "tares" qui pèseraient sur un déroulement positif de leurs cursus scolaires, ce n'est jamais évoquer une altérité qui poserait question à - 18 - l'Ecole en dévoilant son refus ou son incapacité à la prendre en compte et à y répondre autrement que par la dénégation au nom du refus de la discrimination, réponse implicite mais actuellement dominante. Dans seize cas, les enseignants, à défaut de porter une appréciation globale sur l'élève, ont restreint leur apprécia¬ tion à l'affirmation de compétences ou d'incompétences, de bon¬ nes ou de mauvaises performances. Cette fréquence, relativement forte dans ce contexte précis (-7.1 %), d'une manière d'apprécier en usage pour les seuls élèves étrangers paraît attester de l'em¬ barras de quelques enseignants. Il se réservent de tout jugement mal fondé, eu égard à la difficulté qu'ils rencontrent à se faire une opinion au sujet d'élèves dont certaines caractéristiques - scolarité perturbée, expression maladroite en français - oc¬ cultent les "aptitudes", et n'évoquent que des performances/com- pétences qui expriment très directement les notes obtenues dans les matières évoquées. On peut y voir par ailleurs un effet de la censure qui pèse sur le discours des maîtres, mais il ne rend pas compte à lui seul de l'usage exclusif de cette catégorie à l'intention des enfants de travailleurs immigrés. La logique spécifique du système de classement, produit par le système scolaire, qui sous-tend la formulation des "apprécia¬ tions détaillées sur l'intelligence" ne lui permet pas, hormis dans quelques cas exceptionnels mais alors dans une perspective - 19 qui dégage l'Ecole de toute responsabilité ; de prendre en considération les facteurs qui, en rendant compte des difficultés de l'insertion scolaire de certaines catégories d'élèves, et plus particulièrement des enfants de travailleurs immigrés, per¬ mettraient d'éviter qu'une liaison fallacieuse soit établie entre performances dans les matières scolaires et "aptitudes intellec¬ tuelles" des élèves. 1.2. Analyse comparative des appréciations sur "le travail". L'analyse des "appréciations détaillées des maîtres sur le travail" fut conduite selon une démarche identique à la précé¬ dente. La liste des catégories fut dégagée des appréciations émises pour chacune des populations. 1.2.1. Systëmed^appréciation du "travail" de§ élèves français. Sous cette rubrique, l'expression des enseignants est, pour le moins, tout aussi concise que sous la rubrique précédente. Les expressions les plus lapidaires d'un ou deux mots, manifes¬ tent un jugement non développé et synthétique sur le travail, à 1'exemple de : - "Insuffisant" ; - "Médiocre" ; - "Passable" ; - "Très satisfaisant", etc... C'est une appréciation globale, formulée explicitement en termes de valeurs, qui est portée non sur l'élève mais sur le travail de celui-ci. Ces éléments sont constitutifs de la - 20 - aatêgovie 1. : Appréciation synthétique sur le travail. Quelques propositions, très précises, renvoient aux matiè¬ res enseignées : "Niveau très insuffisant en français" ; "Très faible en orthographe". Bien que peu fréquentes (elles repré¬ sentent environ 3 % des appréciations portées sur les élèves français), ces formulations sont parfois associées à d'autres éléments ; il importait donc de les regrouper en une catégorie. A l'exemple de deux expressions citées ci-dessus, il n'apparaît pas clairement ce qui du travail fourni par l'élève et de ses performances/compétences, est ici estimé. Seul l'intitulé de la rubrique du dossier scolaire amène à supposer qu'il s'agisse là d'une manière d'estimation du travail mis en oeuvre par l'é¬ lève . L'ambiguité cependant demeure. Ces propositions relèvent de la aat.êgovie 0. : Appréciation synthétique relative aux ma¬ tières enseignées. Une autre modalité d'appréciation du travail des élèves est d'évoquer les caractéristiques qui qualifient le comportement de travail : - "Lent" ; - "Rapide" ; - "Soigné" ; - "Soutenu" ; - "Régulier" ; - 21 - - "Appliqué" ; - "Propre" ; - etc. Ces formulations qui représentent, pour cette population, environ 25 % des appréciations sont rassemblées sous la catégo¬ rie 1.1. : Appréciation des qualités de travail. De nombreuses sentences, environ 26 %, traitent explicite¬ ment des attitudes des élèves à l'égard des activités scolaires : - "Travailleur" ; - "Paresseux" ; - "Fait des efforts" ; - "Consciencieux" ; - "Veut réussir" ; - "Sérieux" ; - "Intéressé par aucun travail", etc. Elles constituent la catégorie 1.2. : Appréciation des attitudes. Quelques jugements relèvent de plusieurs catégories ; les associations entre les catégories 1.1. et 0 ont été relevées quatre fois (elles représentent 4.5 % des appréciations) et les associations entre les catégories 1.1. et 1.2. treize fois (soit 14.6 % des appréciations) à l'exemple de : (pour 1.1. + 0) : "Effort irrégulier ; des faiblesses en français" ; — 22 - (pour 1.1. +1.2.) : "Très appliqué et sérieux" ; "Très soigné et consciencieux". Enfin deux appréciations inclassables, la première -"Dif¬ ficultés en orthographe"- parce qu'elle ne recèle pas l'ambi¬ guïté des formulations de la catégorie 0. dont elle est proche, la seconde -"Une classe de type B lui serait certainement pro¬ fitable "-parce que sans équivalent, sont rejetées dans la caté¬ gorie "divers". 1.2.2. Système d'appréciation du_"travail" des élèves étrangers. C'est encore par un système de catégories identique à celui qui est sous-jacent à l'appréciation des élèves français que se laisse décrire le "jugement professoral" qui prend pour objet les enfants de travailleurs immigrés. Il convient seulement d'ajouter une nouvelle catégorie à la liste déjà établie. En effet, dans quelques rares cas de for¬ mulation assez développée, allusion est faite à certaines parti¬ cularités propres aux élèves étrangers. Ces "appréciations rela¬ tives au statut d'étranger et/ou à certaines de ses conséquences" relèvent de la catégorie 1.3. (1). ( 1 ) Liste exhaustive des appréciations contenues dans 1.3.' catégo¬ rie 1,3^'(n=4 f 1.7 %) ~ - "Peut être à cause des difficultés de la langue, de gros progrès en français" ; - "Arrivée en France en cours d'année a eu des notes faibles le premier mois mais a fait des progrès constants et finit dans les dix premiers" ; - "Retard en langue française" ; - "Manifeste de grandes difficultés pour le travail écrit en français,nécessite donc une aide permanente". - 23 La rareté des jugements associant des éléments spécifiques et non spécifiques ainsi que la diversité de ces quelques asso¬ ciations ont rendu inutile, contrairement à ce qu'il en fut dans l'analyse du jugement précédent, la définition de catégo¬ ries supplémentaires prenant en compte ces associations. Elles sont décomptées dans les catégories déjà établies ; la liste complète en est donnée en note (1). Il est à remarquer que les deux listes reportées en notes comptent dix appréciations, soit environ 4 % des appréciations émises sur les élèves étrangers : prendre en considération l'originalité de la situation de ces élèves est ici encore une pratique extrêmement minoritaire. Deux appréciations, enfin, sont comptées dans la catégo¬ rie "divers" (2). 1.2.3. Lecture_comgarative_des_tableaux_synogtigues_des tî22_Ë2_ii"§î:E2 J22Eâi"_§£_çonditions_de_la_dignité • L'examen des deux tableaux contenant, sous une forme plus et moins développée, les catégories de cette dimension particu- (1) Liste exhaustive des appréciations associant éléments spéci¬ fiques et non spécifiques (n - 6 ; 2.6 %) - "Passable, vu un milieu familial étranger 'dévalorisé'" ; - "Elève appliquée dans son travail mais manque de possibi¬ lités en raison de sa situation d'enfant de travailleur immigré" ; - "Insuffisant, difficultés dues à la langue" ; - "Très bonne volonté, mais d'origine italienne est très handicapée surtout en orthographe" ; - "Résultats moyens dans l'ensemble, faibles en français en raison du handicap de la langue" ; - "Beaucoup de bonne volonté mais aucun résultat, Zaici est en France depuis six mois". (2) - "Les résultats scolaires sont faibles malgré les aptitudes intellectuelles normales" ; - "Passable, je ne pense pas que le doublement du CM2 lui serait d'un grand profit". -24 lière du "jugement professoral" et les fréquences d'usage de celles-ci, établit qu'élèves français et étrangers sont soumis à un même processus de catégorisation. La logique du "jugement professoral" n'est pas affectée par la confrontation à un grou¬ pe d'élèves porteur d'une relative originalité qui, niée ou presque dans ces éléments du discours enseignant, n'en est pour¬ tant pas moins largement évoquée par ceux-ci en d'autres lieux et circonstances où le poids du rituel dans lequel s'inscrit l'appréciation officielle des élèves, censure moins l'expres¬ sion. Ce ne sont pas, en effet, les quelques propositions com¬ portant référence à une difficile maîtrise de la langue fran¬ çaise ou à un début de scolarité tardif en France (soit pour la catégorie 1.3. : Appréciation relative au statut d'étran¬ ger : 4.4 % des appréciations portées sur les élèves étrangers) qui modifient sensiblement le système d'appréciation. Dire qu'un élève a "des difficultés en orthographe" n'est pas émettre une opinion très circonstanciée sur son travail. Mais ce n'est là qu'une manière de jugement aussi peu usitée pour les élèves étrangers que pour les élèves français : pour chacun des groupes la fréquence de la catégorie 0. : Apprécia¬ tion synthétique se référant aux matières enseignées est d'en¬ viron 3 %. - 25 - Tableau n°3 Tableau synoptique des catégories du jugement professoral et fréquences d'usage de celles-ci pour chaque groupe. (Français n = 89 ; Etrangers n = 225). Catégories Français Etrangers brut % brut % 0. Appréciation synthétique se ré¬ férant aux matières enseignées 3 3.3 7 3.1 1. Appréciation synthétique sur le travail 22 24 .7 69 30.7 1.1. Appréciation des qualités du travail 22 24.7 43 19 .1 1.2. Appréciation des attitu¬ des 23 26 63 28 1.3. Appréciation relative au statut d'étranger et/ou à certaines de ses con¬ séquences _ — 4 1.7 Catégories en association 1. + 0. - - 1 0.4 1. + 1.1. - - 2 0.9 1.1. + 0. 1.2. + l.l. 1.2. + 1. 4 13 4.5 4.6 1 19 11 0.4 8.5 5 1.2. + 1.3. - - 2 0.9 1.2. + 1.1. + 1. - - 1 0.4 Divers 2 2.2 2 0.9 Total 89 100 225 100 - 26 - Tableau n° 4 Tableau synoptique simplifié des catégories du jugement professoral et fréquences d'usage de celles-ci (Français n = 89 ; étrangers n = 225) Français Etrangers brut % brut % 0. . Appréciation synthétique se réfé¬ rant aux matières enseignées 3 3.3 7 3.1 1. Appréciation synthétique sur le tra¬ vail + combinaison avec d'autres ca¬ tégories que 1.2 22 24.7 72 32. 1.1 Appréciation des qualités du travail + combinaison avec d'autres caté¬ gories que 1. et 1.2 26 29.2 44 19.5 1.2 Appréciation des attitudes + combi¬ naisons avec d'autres catégories (1) 36 40.5 96 42.6 1.3 Appréciation relative au statut d'étranger et/ou à certaines de ses conséquences. — - 4 1.7 Divers 2 2.2 2 0.9 TOTAL 89 100 225 100 1.3 + combinaisons auxquelles ap¬ partient la catégorie 1.3 10 4.4 (1) Le regroupement des combinaisons comprenant la catégorie 1.2 avec celle-ci est un choix arbitraire qui a pour effet de mettre l'accent sur cet aspect du jugement. Regrouper, par exemple toutes les appréciations combinées comprenant la catégorie 1.1. avec celle-ci aurait beaucoup modifié les fré¬ quences respectives de 1.1 et 1.2 ; en effet la combinaison la plus fréquente associe ces deux catégories ainsi que cela est porté sur le tableau n° 3. - 27 - L'appréciation synthétique sur le travail {catégorie 1) , légèrement plus représentée dans le "jugement" des élèves étran¬ gers (30.7 %) que dans celui des élèves français (24.7 %) ras¬ semble les formulations lapidaires qui ne donnent ni nuance ni détail. Qualifier de 'très bon", "insuffisant", "irrêgulier", le travail d'un élève c'est sacrifier à la nécessité de l'apprécia¬ tion sans rechercher l'analyse. L'^fet de censure - conséquence de la déqualification relative des maîtres pour la détermination des aptitudes - qui a été déjà évoqué et analysé à l'occasion de l'examen de l'appréciation des "aptitudes intellectuelles", pèse également, dans ce cas, sur le "dire des maîtres". L'usage inten¬ sif de ces formulations - elles représentent le tiers, environ, des appréciations des étrangers et le quart de celles des Français - relève de ce même ordre de phénomènes en ce qu'il at¬ teste du double effet de la déqualification : censure du discours qui craint de ne pouvoir s'exprimer en des termes savants, i.e légtimes, et anticipation négative sur les effets du discours dans le processus d'orientation (1). Les commentaires sur la aa- tégorie 1. ne sont que l'occasion d'une remarque dont la portée est plus générale et qui concerne les diverses modalités du "juge¬ ment sur le travail". Il n'est que de remarquer la concision et le caractère non élaboré des propositions constitutives de chacune des catégories pour s'en convaincre. (1) Cette attitude apparait clairement dans les propos tenus par certains enseignants qui affirment que "les appréciations ne servent à rien", que "ce qui compte ce sont l'âge et les notes". Ils manifestent ainsi une appréhension pertinente, pour partie, et de la logique de la sélection et de l'orientation et de leur position dans le champ scolaire. - 28 - Un écart approximatif de 5 à 7 %, selon que l'on considère ou non l'usage exclusif de cette catégorie (voir tableaux 2 et 3) indique que les enfants de travailleurs immigrés sont plus soumis à cette forme de jugement. L'analyse mise en oeuvre ne permet pas de vérifier si cela exprime une sorte d'embarras des maîtres face à des élèves difficilement définissables... il demeure cependant, ainsi que l'atteste l'analyse quantifiée des valences des juge¬ ments (1), qu'il existe chez les enseignants une tendance à mar¬ quer une certaine réserve dans l'appréciation des élèves étrangers. La catégorie 1.1 a été dénommée "appréciation des qualités du travail" parce qu'elle regroupe les jugements plus "techniques" qui décrivent certains aspects du travail fourni par les élèves. Avec un écart de 5 à 10 % environ, selon qu'elle est décomptée en usage exclusif ou non (voir tableaux 3 et 4), cette catégorie dé¬ crit un peu plus fréquemment le jugement porté sur les élèves français. On peut y lire une conséquence de l'usage plus intensif de la catégorie 1. pour les étrangers : par effet de symétrie, à une tendance plus marquée à l'appréciation du travail des élèves étrangers en des termes de valeur et généraux, correspond une ten¬ dance plus marquée à l'appréciation précise des élèves Français. La précision, en l'occurence, n'est pas le fait d'un apport d'in¬ formations ou de nuances mais d'une description "technique" du tra¬ vail qui est alors : "soigné", "soutenu", "régulier", "malpropre", etc.. (2). La catégorie 1.2 est, en apparence, fort différente. L'appréciation des attitudes y apparaît clairement comme telle. C'est (1) Voir La scolarisation des enfants de travailleurs immigrés. Tome 1. p."90 et sq. (2) Ces remarques suggèrent que le système de classement manifesté par les formulations du "jugement professoral", compte plusieurs dimensions liées par un système d'équivalents sémantiques qui, dans l'échelle des valeurs, associent les éléments des diffé¬ rentes catégories ; à titre d'exemple on peut supposer qu'à "travail soutenu" correspond "bon travail" et "travailleur". Ces remarques n'invalident pas pour autant une interprétation qui tend à marquer la spécificité de chaque catégorie. - 29 - l'élève qui est en question. A l'appréciation globale du travail et à l'appréciation précise d'un de ses caractères succède une définition plus ou moins précise de son'être moral". Le travail n'est qu'un prétexte à définir certains aspects de la personnalité : "Travailleur" - "Paresseux" - "Conscienceux" - "Fait des efforts" - "Veut réussir" - "N'est intéressé par aucun travail". Cette catégorie est la plus fréquemment recensée dans cha¬ cun des groupes. Si, employée seule, elle représente 26 % des juge¬ ments portés sur les Français et 28 % de ceux qui le sont sur les étrangers, en décomptant les associations avec d'autres catégories, la fréquence passe à 40.5 % pour les uns et à 42.6 % pour les autres. Le caractère arbitraire de cette manière de recenser les catégories est d'un effet tout à fait secondaire : un gonflement quelque peu artificiel de la catégorie 1.2 attire l'attention sur l'usage très fréquent qu'il en fait dans l'appréciation de l'ensemble des élèves et, ce, au détriment de la catégorie 1.1. Mais, de fait, sous une appréciation "technique" du travail de l'élève, la catégorie 1.1. décrit souvent, et au même titre que la catégorie 1.2 , le rapport à l'univers scolaire dans ce qui est défini, par le discours des agents les plus actifs - les maîtres - mais aussi par celui des parents, comme l'une de ses dimensions fondamentales : le travail. L'Ecole est explicitement et socialement décrite comme une instance de socialisation dont les objectifs sont doubles : transmettre des savoirs-faire et des manières d'être. Or, c'est dans son rapport au travail scolaire - 30 - qu'est définie la manière d'être de l'élève. Un travail "soigné", "soutenu", "régulier" traduit au-delà de ces comportements, un in¬ vestissement positif dans l'activité scolaire, donc une attitude positive (1). Ces expressions, bien que moins explicites doivent être lues comme des équivalents un peu appauvris des appréciations de la catégorie 1.2. En additionnant les fréquences des catégories 1.1 et 1.2 à celles de toutes les associations auxquelles elles appartiennent, il apparaît qu'environ 63 % des jugements émis pour les élèves étran¬ gers et 70 % de ceux qui concernent les élèves Français, font explicitement (1.2) ou implicitement (1.1) référence à leur manière d'être. Le jugement sur le travail est bien, selon une expression de Fanny Colonna, l'occasion de définir" l'être moral" des élèves. Il est d'une grande importance dans leur classement en apportant une information complémentaire à celle qu'offre le jugement sur "l'intelligence",' lequel n'est souvent, comme cela a été analysé, que redondance par rapport aux performances quantitifiées que ré¬ vèlent les dossiers scolaires. (1) Pour cerner plus précisément la logique du "jugement professoral" il aurait fallu analyser les associations entre le jugement sur les "aptitudes intellectuelles" et le jugement sur le "travail" ; cela dépassait les objectifs de cette recherche. En effet, la diversité des appréciations, constitutive d'un système de clas¬ sement qui implique que celles-ci ne sont pas utilisées de ma¬ nière aléatoire, exprime des potentialités de nuance : il n'est pas indifférent de qualifier le travail de "soigné" ou de "propre" il n'est pas indifférent que ces appréciations soient formulées conjointement à des jugements positifs ou négatifs sur "l'intel¬ ligence" . A l'occasion de la définition de "l'excellence scolaire" dans le processus de sélection des "agents (algériens) les plus aptes à être les diffuseurs de la culture domi¬ nante" (1) dans le cadre de l'Algérie coloniale, Fanny Colonna remarque que "rien ne rachète, en effet, la non-conformité aux exigences morales de l'Ecole, tandis qu'inversement la bonne volonté, la docilité, la régularité dans l'effort sont toujours reconnues et récompensées" (2). Dans un contexte socio-historique différent, la pertinence de ces propos demeure : "... on sait que le système des attentes de l'Ecole est lui-même ambigu, et que l'excel¬ lence strictement scolaire est le plus souvent le fruit d'un compromis entre ce que l'on pourrait appeler l'exigence de brillant et l'exigence de sérieux" (3). Le jugement sur "le travail" définition de l'"être moral", est l'occasion dans le processus d'orientation, précédemment analysé, de s'assurer qu'un élève est digne d'une bonne orientation scolaire. A performances égales, plus précisément à performances également médiocres lors de l'orientation des élèves étrangers, les apprécia¬ tions portées sur "le travail" permettent de distinguer les élèves "capables d'effort", "sérieux", "consciencieux" de ceux qui 'feont intéressés par aucun travail", "ne font pas d'effort", "travaillent irrégulièrement" "lentement", "malproprement" ; elles permettent d'accorder les chances scolaires et sociales d'une bonne orientation scolaire à qui satisfait aux exigences morales de l'Ecole. La nature même du 'jugement sur le travail" légitime l'inter¬ prétation qui a été donnéede sa position originale dans le processus d'orientation des enfants de travailleurs immigrés. Tout permet que, pour le moins à.:un même niveau de performances, les condisérations sur "l'être moral" des élèves soient déterminantes pour l'obtention d'une bonne orientation scolaire. (1) COLONNA (Fanny). "Verdict scolaire et position de classe dans l'Algérie coloniale", in Revue Française de Sociologie, XIV, 1973, p. 180-201 ; p. 180» (2) Id. Ibid p. 182. (3) BOURDIEU (Pierre) de SAINT-MARTIN (Monique) : "L'excellence sco¬ laire et les valeurs du système d'enseignement français". Annales, Economies, Sociétés, civilisations, 25 (1), janvier-février 1970, pp. 147-175. - 32 - 1.3 L'euphémisation sauve les apparences. L'évaluation des élèves qui se donne à lire dans les ap¬ préciations portées par les enseignants sur les "aptitudes in¬ tellectuelles" et sur le "travail" paraît relever d'un processus d'attribution. Il s'agit, en effet, d'attribuer des compétences et plus généralement des caractéristiques à partir d'éléments, en fait très diffus, constitutifs de ce qui est dénommé "la con¬ naissance de l'élève". En regard de la définition que propose Serge Moscovici du processus d'attribution il ressort que ces éléments ne sont pas aisément définissables : "[Le processus d'attribution] consiste à émettre un jugement, à inférer "quelque chose", une intuition, une qualité, un sentiment sur son état ou sur l'état d'un autre individu, à partir d'un objet, d'une dis¬ position spatiale, d'un geste, d'une humeur" (p.60) (1). Or, les conditions d'élaboration des jugements ne sont, dans le cadre de l'institution scolaire, jamais explicitées. Il est impossible, à la simple lecture des "jugements" et des dos¬ siers scolaires, de déterminer avec certitude ce qui des per¬ formances en orthographe, en mathématiques, ce qui d'une certaine qualité de l'expression orale, d'une manière d'être, de se vêtir, (1) MOSCOVICI (Serge). L'homme en interaction : machine à répondre ou machine d'inférer. In : MOSCOVICI (S.) (ed) : Introduction à la psychologie sociale, 1972, vol.l, Paris, ed. Larousse d'un "type nord-européen" ou "méditerranéen" accentué, etc.. (1) est prégnant, dans l'originalité de l'interaction entre un enseignant et chacun de ses élèves, sur l'inférence qui conduit à l'attribution d'une caractéristique. Il est de règle, parallèlement à l'invalidation de la compétence des maîtres à déterminer seuls les aptitudes et les comportements, de ne jamais explicitement interroger la genèse des appréciations. Une compétence minimale qui n'est jamais l'objet d'un enseignement systématique mais qui selon P. Bourdieu et M. Saint-Martin (2) est transmise "pour l'essentiel, dans et par la pratique, en dehors de toute intention pro¬ prement pédagogique" est condédée aux enseignants qui participent "d'une machine qui, recevant des produits so¬ cialement classés, restitue des produits scolairement classés" (3) ; participation qu'ils assurent sans en être conscients : "ils ne font bien ce qu'ils ont à faire (objectivement) que parce qu'ils croient faire autre chose que ce qu'ils font ; parce qu'ils font autre chose que ce qu'ils croient faire ; parcequ'ils croient dans ce qu'ils croient faire. Mystificateurs mystifiés, ils sont les premières victimes des opérations qu'ils effec¬ tuent" (4) (1) A propos des éléments "non scolaires" qui sont à la base du processus d'attribution, P. Bourdieu et M. Saint-Martin re¬ lèvent que "... les attendus du jugement semblent plus forte ment liés à l'origine sociale que la note dans laquelle il s'exprime ; cela sans doute parce qu'ils trahissent plus directement la représentation que le professeur se fait des élèves à partir de la connaissance qu'il a par ailleurs de leur hexis corporelle et de l'évaluation qu'il s'en fait en fonction de critères tout à fait étrangers à ceux qui sont explicitement reconnus dans la définition technique de la performance exigée.". Le jugement professoral op. cit. p. 73 Bien que le matériel traité ici n'ait pas été soumis à une analyse identique à celle qui permit de telles interpréta¬ tion, celles-ci n'en paraissent pas moins pertinentes dans l'analyse de l'appréciation des élèves étrangers. (2) BOURDIEU (P.) et de SAINT-MARTIN (M.) op. cit. p. 69 (3) Id. ibid p. 76 (4) Id. ibid p. 80 - 34 - Si "apprécier"les élèves c'est les classer selon un sys¬ tème de classement produit par la logique scolaire ; "appré¬ cier", c'est, en regard de notre analyse, soit attribuer expli¬ citement des caractéristiques en évoquant, par exemple, des performances en orthographe ou en définissant le caractère "soutenu" ou "insuffisant" du travail, soit définir explici¬ tement l'appartenance catégorielle : "élève intelligent", "élève paresseux". Il semble que si l'attribution de caracté¬ ristiques n'est pas l'équivalent intégral et explicite de la catégorisation, elle l'a anticipée; elle en est de ce fait la conséquence puisqu'elle fournit aux lecteurs les éléments indispensables à une catégorisation dont l'articulation aux at¬ tributs mentionnés par les enseignants est réglée par le système de classement qui - hypothèse imposée par la nécessaire recon¬ naissance d'un consensus minimum sur le sens et la hiérarchie des éléments appréciatifs entre certains des protagonistes de l'orientation des élèves (enseignants, chefs d'établissements, etc...)- sous-tend la production des appréciations. Averti par l'expérience, on peut supposer que le maître anticipe sur l'in¬ terprétation qui sera faite de ses propos et par là en règle l'expression ; dire d'un élève qu'il est faible en orthographe ou en mathématiques ce n'est pas affirmer son inintelligence mais, par le recours à l'euphémisme, c'est produire, eu égard à la logique du système de classement, un énoncé proche si ce n'est équivalent. - 35 - Le débat ouvert au sujet de l'antériorité du processus de catégorisation sur celui de l'attribution, par J.C Deschamps (1) qui tend à vérifier que c'est en regard d'une classification opérée a priori que sont dégagés les attributs, permet d'avancer dans l'analyse de "l'apprécia¬ tion" des élèves étrangers. Le contenu des appréciations, très souvent restreint à la définition de caractéristiques n'infirme en rien cette hypothèse : rédiger des appréciations dans un dossier scolaire, quelqu'en soit la forme adoptée (explicitation d'attributs ou catégorisation), n'est pas re¬ produire fidèlement le processus cognitif qui conduit à leur élaboration. Avancer que les enseignants dans la production de leurs "jugements" anticipent sur la lecture, donc la caté¬ gorisation, qu'opéreront leurs lecteurs n'est aucunement con¬ tradictoire avec l'hypothèse de l'antériorité de la catégori¬ sation. A l'inverse, doter un élève d'attributs dont on an¬ ticipe l'effet de classement c'est avoir déjà, plus ou moins précisément, défini son appartenance catégorielle. Bien que J.C Deschamps se rallie à Jones et Goethals (2) pour considérer que dans le cas précis de catégories telles que "intelligent", "travailleur" la catégorisa¬ tion est le résultat d'un processus d'attribution, il n'est pas assuré que cette restriction soit pertinente pour le cas de l'appréciation des enfants de travailleurs immigrés : il est "... moult exemples de catégories qui sont des données objectives de la situation sociale : catégorie d'âge, de sexe, d'ethnie... ; dans ce cas, l'hypothèse que nous faisons est que la classification d'individus dans des catégories n'est pas le résultat d'un processus d'attribution mais va être au contraire à la base de l'attribution. Les sujets feront dans cette optique des attributions à autrui en fonction de la re¬ présentation cognitive qu'ils ont de la catégorie d'ap¬ partenance de cet alter (3)", (1) DESCHAMPS (J.C) : L'attribution et la catégorisation sociale 1975, Université de Paris X, Thèse de doctorat de 3ème cycle 317 p. (2) JONES (E.E), GOETHALS (G.R). Order effects in impression formation : Attribution context and the nature of the entity, in : JONES (E.E), KANOUSE (D.E), KELLEY (H.H), NISBETT (R.E) , VALINS (S.), WEINER (B. ) (eds) ;• Attribution perceiving causes of behavior. 1971, Morristown, General Learning Press p. 27 à 46 (cité par DESCHAMPS (J.C) : op. cit. p. 6). (3) DESCHAMPS (J.C) : op. cit. p. 6 36 - Il est, par conséquent, légitime de s'interroger sur le poids dans les appréciations, des catégories culturelles et/ou nationales qui classent les élèves étrangers, au détriment des critères "explicitement reconnus dans la définition technique de la performance exigée" (1). "Les catégories sont comme des hypothèses sur la nature de la réalité avec laquelle nous sommes con¬ frontés» Une fois qu'une décision de nature caté¬ gorielle est prise, l'information ultérieure est déformée pour entrer dans la catégorie ou pour con¬ firmer les hypothèses aussi longtemps que cette in¬ formation n'est pas trop en contradiction avec l'exemple typique de cette catégorie" (2). L'absence totale d'allusion aux conditions dans lesquel¬ les l'Ecole scolarise les enfants de travailleurs étrangers est la conséquence d'un parti pris qui est de ne jamais interroger cette institution sur sa part de responsabilité dans l'échec scolaire. L'absence, dans les appréciations, de considération de cette nature ainsi que la rareté des références faites aux éléments caractérisant la situation sociale et culturelle de ces enfants et à leurs effets sur les modes d'insertion sco¬ laire pourrait surprendre. Il faut pour rendre compte des conditions d'uniformisa¬ tion du "dire des maîtres" se référer aux conditions dans les¬ quelles il est élaboré. C'est dire qu'il faut situer les auteurs (1) BOURDIEU (P.), de SAINT-MARTIN (M) : op. cit, p. 73 (2) JONES (E.E), GOETHALS (G.R) : op. cit. p. 43 (cité et traduit par DESCHAMPS (J.C) : op. cit. p. 5 et 6). - 37 - de ces discours dans le champ scolaire qui en règle la produc¬ tion. Nous avons exposé, précédemment, le processus qui a par¬ tiellement invalidé le discours des instituteurs et instutrices dans sa fonction appréciative. A l'exemple de P. Bourdieu, il est pertinent de considérer que "le champ [scolaire] fonctionne comme structure de censure" (1) et que si "le champ (...) est une certaine structure de la distribution d'un certain capital" (2) les instituteurs, sont, dans le champ scolaire, et dans le contexte précis de l'appréciation des élèves, faiblement dotés en capital. La conséquence en est que les conditions de rece¬ vabilité des discours, produit de la position des locuteurs dans le champ, en règlent la forme et le contenu : "(...) le champ exerce une censure sur ce que [le locu¬ teur] voudrait bien dire, sur le discours fou qu'il voudrait laisser échapper, idios logos , et ne laisse passer que ce qui est convenable, ce qui est dicible. Il exclut deux choses : ce qui ne peut pas être dit, étant donné la structure de la distribution des moyens d'expression - c'est l'indicible - et ce qui pourrait bien être dit, disons presque trop facilement, mais ce qui est censuré, l'innommable" (3). " 1 ' indicible" renvoie, en 1'ocurrence, à l'éventuelle mise en cause des conditions dans lesquelles sont scolarisés les élèves étrangers ; 'l'innommable", qui sourd pourtant dans les échanges oraux, relève de ce qui, trop explicitement et dans des formes pouvant manifester le racisme, fait des appartenances sociales, (1) BOURDIEU (P.). La censure. In : Information sur les sciences sociales ; 16 (3/4) ; pp. 385-388 ; p. 386 (2) Id, ibid., p. 386 (3) Id, ibid., p. 387 - 33 - culturelles et nationales les causes déterminantes de l'échec scolaire. Il faut interpréter le caractère généralement peu cir¬ constancié et uniforme des jugements comme l'effet d'un travail d'euphêmisation, imposé par la censure, qui occulte la réalité de l'interprétation qu'un grand nombre d'enseignants donnent de la difficile insertion scolaire de la majorité des enfants de travailleurs immigrés. O O - 39 - !> "L'école est bien, mais on dirait qu'ils ont quelque chose contre les Arabes". (Mère de famille marocaine). 2. LE CADRE DE LA SCOLARISATION. MONOGRAPHIE D'UN ETABLISSEMENT PUBLIC D'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE. L'explication des pratiques formelles - appréciation des performances, des compétences et comportements, et orientation - ne suffit ni pour rendre compte de l'échec scolaire de la plus grande part des élèves étrangers ni pour en apprécier les consé¬ quences sur la socialisation ainsi que sur les potentialités et modalités d'insertion sociale de ceux-ci. Si l'analyse de la sélection et de l'orientation scolaire a montré comment les régularités qui les décrivent participent d'un traitement discriminatoire, et "défavorable", des enfants de migrants, et par là, semblent s'inscrire dans un processus de production d'une main-d'oeuvre non qualifiée, il convient pour approfondir l'analyse de se référer à des dimensions moins formelles de leur scolarisation, c'est-à-dire à une description de certaines des pratiques qui font le quotidien d'un élève. Avec cet objectif, il a été procédé à une série d'observa¬ tions dans le cadre d'une école primaire. Il importe en effet de rendre compte du détail, des détails, qui ne se laissent pas saisir dans les traitements formalisés. Si l'étude de la distribution des performances éclaire quelque peu sur le con¬ texte dans lequel elles sont produites, ce ne sont que les - 40 - > principes généraux, et seulement certains d'entre eux, qui sont ainsi mis à jour. La réalité de la scolarisation des élèves issus des milieux immigrés est autrement plus complexe que ce que l'étude formelle des dimensions les plus formalisées a dégagé. Khadija, Hocine, José entretiennent avec le "milieu scolaire" des relations d'une importance fondamentale aussi bien pour ce qui relève de leur investissement scolaire que de leur rapport à la société d'"accueil". Les diplômes sco¬ laires ne témoignent jamais, ouvertement et directement, de la nature de la relation qui s'est instaurée entre un élève et l'univers scolaire. Les dossiers scolaires, autres manifes¬ tations des opérations de classement et de sélection, contien¬ nent sous le mode de la description des comportements quelques allusions limitées parce que privilégiant le point de vue de l'enseignant, par là celui de l'institution, point de vue li¬ mité qui n'expose pas la nature des relations mais qui selon une taxinomie en identifie certains effets. Mais ce ne sont que des indices partiels, difficiles à déchiffrer; quand bien même, ainsi que nous l'avons tenté pour l'analyse du jugement professoral, parvient7anrestituer le code qui en règle la pro¬ duction, ces indices ne permettent jamais de faire la genèse des comportements qu'ils désignent et classifient. Il est hors de propos de caractériser avec une prétention d'exhaustivité les diverses interactions constitutives de la vie scolaire. L'objectif ici poursuivi est d'en analyser quel¬ ques unes afin de décrire ce qui caractérise le mode de scola¬ risation des enfants de travailleurs immigrés. - 41 - 2.1. Une école primaire parmi d'autres... Nos observations ont porté sur quelques classes d'une école primaire. Celle-ci, située dans la banlieue nord-est de Nice, accueille une proportion d'enfants de travailleurs étrangers qui est de l'ordre de 20 %. Les élèves français, sont issus de milieux "modestes" : leurs parents occupent, le plus fré¬ quemment, des emplois d'ouvriers spécialisés, ouvriers quali¬ fiés et employés, quelques uns sont artisans ou commerçants. La commune est, en quelque sorte, une banlieue ouvrière de Nice; c'est encore plus précisément le cas pour la partie de la commune où est implantée cette école. Outre la relative importance du nombre d'enfants étrangers scolarisés dans cet établissement, celui-ci fut retenu parce que la grande majo¬ rité des élèves maghrébins qui la fréquentent habitent dans un même ensemble d'immeubles légèrement en marge de la commune, composé au moment de l'investigation de bâtiments en voie de dégradation et partiellement insalubres, exclusivement occu¬ pés par des familles algériennes, marocaines et tunisiennes. Quelques familles italiennes et, moins nombreuses encore, quelques familles espagnoles, sont également implantées dans cette commune et y scolarisent leurs enfants. C'est l'exemple même d'une forte concentration de familles étrangères dans un quartier et par conséquent d'élèves étran¬ gers dans une même école, qu'il est loisible d'observer pour quelques cas dans le département des Alpes Maritimes. - 42 La très forte disproportion tant dans la visibilité so¬ ciale et scolaire que dans la réalité des effectifs entre les familles et enfants originaires d'Afrique du Nord et les au¬ tres étrangers, nous a conduit à délaisser l'observation com¬ parative de tous les élèves étrangers scolarisés dans cet établissement pour ne mettre l'accent que sur le problème le plus manifeste, le plus affirmé : la forte proportion d'élè¬ ves maghrébins. Nous ne traiterons donc qu'exclusivement des modalités de l'insertion scolaire de ces élèves. Il aurait, sans aucun doute, été préférable de poursuivre, à cette phase de l'étude, la démarche comparative qui permet dans un premier temps d'opposer les performances, les appré¬ ciations et les orientations scolaires des différents groupes nationaux retenus dans le cadre de cette recherche, pour lé¬ gitimer l'association, dans un second temps, des différents groupes étrangers en une même population alors comparée à la population témoin française. La description des modalités de l'insertion scolaire de quelques élèves algériens, marocains et tunisiens n'équivaut certes pas à une analyse qui prendrait en considération et l'ensemble des nationalités constitutives de l'immigration de force de travail et la diversité des si¬ tuations scolaires. Les élèves observés et leurs familles, tant par leurs appartenances nationales et culturelles que par leurs positions dans le "parcours migratoire", plus même, le type de relation à la société d'"accueil" qu'exprime, par exemple, le type d'habitat -impression dans l'espace de la position sociale d'un groupe, principe et conséquence à des degrés divers des relations sociales tant internes qu'exter¬ nes au groupe-, tout ceci est porteur d'originalités qui ne peuvent pas ne pas influer. sur la nature des rapports à l'école. Réciproquement, selon que l'établissement scolaire retenu accueille ou non une forte proportion d'élèves étran¬ gers, selon la nationalité de ceux-ci, selon qu'il est, en conséquence, marqué ou non du "sceau de l'infamie", selon que les enseignants se satisfont de leur nomination dans cet éta¬ blissement, s'en accomodent ou aspirent à une mutation, selon que l'environnement social, le quartier, la commune, est ac¬ cueillant, indifférent ou hostile à la présence de ces élèves, le contexte scolaire s'en trouvera modifié et par là les con¬ ditions de la scolarisation de ces enfants (1). L'hypothèse sous-jacente à notre démarche est qu'au-delà de la diversité, au-delà des différences qui marquent les ac¬ teurs sociaux et les situations, est en oeuvre, dans l'insti¬ tution scolaire, un processus qui règle les rapports aux élèves issus du prolétariat étranger. On peut légitimement penser que le nombre et la nationalité des élèves présents dans un même établissement influent sur le degré de visibilité et sur l'accentuation du processus. On peut, de même, supposer qu'il (1) Ces quelques remarques permettent d'apprécier les difficul¬ tés sous-jacentes à une analyse multi-variée pour ne pas dire la quasi impossibilité à mettre en oeuvre une analyse comparative qui prendrait tout autant en considération les groupes et leurs spécificités que l'originalité des situa¬ tions scolaires. C'était pour le moins un objectif qui dé¬ passait les capacités de cette investigation. - 44 - aura des retentissements différents tant au plan de l'inser¬ tion scolaire que de la socialisation des individus qui y sont soumis. Ces variations s'inscrivent dans des limites qui n'infir¬ ment pas la nature du processus qui peut être défini : - au plan culturel, au plan des règles et des valeurs, par la sélection, donc la valorisation par l'école de modè¬ les (1) qui nient et parfois même dévalorisent la diffé¬ rence culturelle? (1) A l'exemple de Suzanne Mollo nous entendons par modèle : "une construction mentale originale, forme particulière des représentations sociales ou individuelles, volontaire¬ ment stable, caractérisée par son aspect normatif qui la rend inséparable d'une intention morale" (p. 16) Si nous ne partageons pas l'ensemble des analyses de cet auteur, il nous paraît cependant pertinent de considérer que " (...) l'école opère un tri dans la réalité sociale et les valeurs que celle-ci propose; l'école donne à l'é¬ lève l'image d'une société décantée, ëdulcorée, mutilée, déformée, au nom des principes pédagogiques, qui tendent à le faire vivre dans un monde idéal à la mesure de l'hom¬ me idéal que l'éducation veut promouvoir en lui" (p. 14) Toutefois l'auteur accorde une trop grande autonomie à l'institution scolaire et ne peut, par conséquent, que partiellement rendre compte de la genèse des modèles pé¬ dagogiques. Bien plus, il n'est fait aucune référence ni aux conditions de réception de ces modèles, ni, à un plan plus général, aux effets différenciés selon les groupes sociaux de cette transmission de valeurs, tant pour ce qui concerne l'insertion scolaire que pour l'insertion sociale et professionnelle. MOLLO (Suzanne) : L'Ecole dans la société. Psychosocioio- gie des modèles éducatifs. Paris -Dunod- Collection Sciences de l'Education - 1970 - 306 p. - 45 - - au plan pédagogique, par la mise en oeuvre de modes de transmission et d'évaluation des connaissances et des aptj.t:udes qui, au nom du refus de la discrimination, ne prennent aucunement en considération les spécificités, tant dans le cursus scolaire que dans les règles et va¬ leurs acquises dans le cadre de la socialisation produite par le groupe d'origine, dont ces élèves peuvent être porteurs ; - au plan des relations, par des attitudes et des comporte¬ ments, émanant tout à la fois des autres élèves et des enseignants, qui oscillent de la bienveillante indiffé¬ rence à la discrimination et parfois même à l'hostilité manifeste. L'articulation de ces trois dimensions est génératrice de multiples figures, pouvant être appréhendées comme autant d' "ambiances scolaires", qui s'inscrivent dans ce même processus d'infériorisation scolaire et sociale. Ce processus qualifie la nature d'une socialisation qui semble avoir pour effet de préparer ces élèves étrangers à leurs futurs rôles et statuts dans la société française. Ainsi serait assurée la reproduc¬ tion d'une force de travail non qualifiée dont la socialisa¬ tion assurerait la docilité. Nous nous proposons d'esquisser le caractère ethnocentrique de l'école et le mode d'infériorisation des élèves étrangers. Le caractère limité de nos observations ne doit pas être per¬ çu comme un obstacle invalidant nos analyses : quels que - 46 - soient les particularismes des situations observées et -eu égard à l'ensemble des enfants de travailleurs étrangers sco¬ larisés en France- la non représentativité de notre popula¬ tion, l'école française est une institution suffisamment cen¬ tralisée, homogène et contrôlée pour qu'au-delà du singulier soient atteintes certaines des régularités dans lesquelles s'inscrit son rapport aux enfants de travailleurs immigrés. 2.2. Quelques situations scolaires Les quelques classes qui ont pu être observées pendant leur fonctionnement ne représentent pas un échantillon des différents contextes de scolarisation qu'un élève étranger peut connaître dans l'école publique française. Ces classes n'ont pas été sélectionnées : la possibilité d'accès à la classe fut un critère de choix décisif (1) . La description de quelques "scènes" de la vie de la classe est suivie des appréciations portées, selon la nomenclature du dossier scolaire, sur chaque élève maghrébin. Accompagnés des opinions et remarques exprimées par les enseignants, ces éléments permettent de cerner partiellement certaines des "ambiances scolaires" que connaissent ces élèves étrangers. L'analyse du cadre de la scolarisation développée dans la par¬ tie suivante s'appuie sur ces éléments. (1) Nous remercions les enseignants qui ont bien voulu collabo¬ rer à cette investigation. - 47 - 2.2.1. Situation_l__j__une_classe_de_cours_grêgaratoire La classe de cours préparatoire première année (1) appar¬ tient à l'école des garçons. Une institutrice y enseigne. La classe compte 24 élèves dont 8 étrangers : 4 Algériens, 2 Marocains et 2 Tunisiens. 2.2.1.1. La classe D'emblée la distribution des élèves dans la classe surprend : six élèves maghrébins occupent l'une des trois rangées de tables, celle de droite. Les deux autres maghré¬ bins partagent chacun une table avec un Français dans chacune des autres rangées ainsi que l'indique le schéma de la classe reproduit ci-après. £>»,«■& a u Mon 1er Tu Ail Ahmed Abddaxii Tu A'a Alg focer rtwsïapha Ma Waflj 1) $ah tî* A'? Alg . Aliénai ; Maraca'a lu : Tûnô'Cn C'est le matin. La classe est au travail. Les élèves s'exer- (1) Premier niveau de l'école obligatoire en France. - 48 - cent à la lecture. Seuls les six maghrébins de la rangée de droite jouent avec de la pâte à modeler. Souvent, après avoir réalisé une forme, de leur place, ils montrent l'objet à la maîtresse qui exprime son appréciation par un sourire, un si¬ gne de tête,ou oralement : "C'est bien". La consigne était de réaliser des lettres "e" avec la pâte à modeler. Un seul d'entre eux s'y est astreint. L'"exercice" prend fin sur un ordre de l'institutrice : "vous là-bas, ran¬ gez la pâte à modeler". Les exercices de lecture venaient de s'achever pour les autres élèves. Suivent les exercices d'écriture. Après avoir reçu des di¬ rectives les élèves prennent leur cahier et, à l'exception des six maghrébins, travaillent. Alors que la classe doit écrire et compléter des phrases, l'institutrice les envoie l'un après l'autre au tableau et leur demande d'y écrire des "é". Quand Nacer éprouve des difficultés à écrire la lettre "é", les cinq autres élèves le rejoignent et, avec l'autori¬ sation de la maîtresse, viennent à son aide et écrivent au tableau, tour à tour. L'institutrice : "Saîah tient sa craie comme un poignard". Un élève français : "Tous ils veulent faire le "e", c'est facile à faire". - 49 - De retour à leur place, il leur est demandé de repérer cette même lettre, puis d'autres dans le livre de lecture. Saïah s'essaie à entourer des "i" avec un crayon sans mine... C'est tout ce dont il dispose. Un incident éclate : Saïah, soupçonné de vol par Ali, ac¬ cepte silencieux et passif la fouille de la maîtresse. On ne trouve rien sur lui. L'incident est clos. Pendant ce temps, le reste de la classe travaille dans le calme. L'institutrice n'intervient que fort peu pour vérifier et corriger le travail des six maghrébins. Elle ne manifeste que peu d'intérêt envers leur travail scolaire; il semble avoir pour fonction principale de les occuper... Changement d'activité : des cartons portant mention des jours de la semaine sont distribués dans la classe avec pour consigne, par exemple, de composer la semaine en alignant dans l'ordre les jours sur la table. Le groupe des six élèves ne reçoit dans un premier temps aucun carton. Puis tout en justifiant cette exclusion "eux, ils ne savent pas lire !" l'institutrice leur distribue des cartons et leur donne pour consigne de les ordonner. Les six élèves semblent très émus et très satisfaits de participer au travail commun de la clas¬ se.. Leur participation est toute formelle. Incapables d'iden¬ tifier les cartons, il leur est impossible de suivre les con¬ signes de l'institutrice; elle se désintéresse d'eux et tra¬ vaille avec le reste de la classe. Laissés à eux-mêmes les - 50 - six élèves abandonnent vite leurs cartons pour discuter entre eux et suivre avec passivité l'activité de la classe. : maîtresse inscrit au tableau des exercices de calcul et questionne la classe. Toute la classe participe. Ali et Mustapha, du groupe des six, donnent des solutions justes. Saïah et Abdallah bien qu'ayant perdu le fil de l'activité commune lèvent systématiquement et auto¬ matiquement le doigt avec l'ensemble de la classe. Alors que des incitations à suivre l'activité commune sont fréquemment adressées à la classe, aucune n'est émise en direction des six. Ils se désintéressent rapidement du travail de la classe. Maintenus dans les limites permises par des remarques ironi¬ ques de la maîtresse : "Alors, Ahmed, tu ne t'ennuies pas trop, tu t'amuses bien, ça va oui ?", ils se divertissent. Çhangement_dj_açtivitê : Il s'agit de distinguer et de co¬ lorier des ensembles sur un cahier d'exercices programmés. "Saîah n'a plus rien pour colorier, car il a tout détruit. Tant pis pour lui, il avait tout au début de l'année", cons¬ tate l'institutrice. Saîah ne réagit pas à ces propos, penché sur son cahier comme tous les élèves, y compris ses voisins du groupe des six, il est dans la posture de l'élève au tra¬ vail, mais dépourvu de crayons à colorier il remplit de chif¬ fres, au hasard de son inspiration, les espaces à colorier. Son voisin Abdallah, dans une même posture, tourne, lui, les pages de son cahier. L'après-midi débute par un exercice de - 51 lecture suivie. Les six élèves maghrébins n'y participent pas. Ils s'occupent avec des puzzles. Abdelaziz qui n'appartient pas au groupe des six -il a un Français pour voisin- lit avec beaucoup de difficultés. Pendant que l'un après l'autre, les élèves lisent, l'ins¬ titutrice distribue une feuille de papier à chacun des six et leur demande de dessiner un château-fort. : Les élèves, sous la dictée, écri¬ vent sur leur ardoise des mots appris à l'occasion de la lec¬ ture. L'institutrice demande aux élèves du groupe des six de sortir leur ardoise. Deux d'entre eux seulement en possèdent une; elle leur permet de continuer à dessiner. Alors qu'un élève se rapproche du groupe pour lire un mot sur le tableau latéral, ils sollicitent tous, en levant le doigt l'interrogation".? de la maîtresse. Celle-ci répond à Saïah : "Tu ne sais pas lire 'chez', ne nous fais pas perdre notre temps". Une querelle éclate entre Abdelaziz et son voisin français "Si tu viens aux V. (1), tu reçois un coup de couteau". Sur un regard de la maîtresse, la querelle cesse. (1) V. : nom du groupe d'immeubles habités par les familles maghrébines. - 52 - Pendant que continue la dictée l'institutrice demande aux six de lui apporter leurs cahiers. Elle y trace des modèles de lettres à recopier. Mustapha termine rapidement cet exercice. Saïah et Abdallah traînent, observent la classe. A la fin de la dictée, l'enseignante contrôle deux cahiers parmi les six. Ç^§S2§îB§2t_d_|_activité : Les élèves ont à construire chacun un château-fort en carton. Il leur faut tracer puis découper les morceaux à assembler par collage . Des feuilles cartonnées sont distribuées à toute la classe. Les élèves entreprennent de confectionner le toît des tours. Le manque de matériel pose problème aux six maghrébins. Abdallah n'a pas de ciseaux et ne peut avancer son travail. Nacer a prêté les siens à Saïah; personne n'en prête à Abdallah qui attend. Enfin Abdel- aziz, qui n'appartient pas au groupe , lui prête les siens. Ahmed, lui non plus, n'avait pas de ciseaux ce n'est qu' après intervention de l'institutrice qu'ils lui furent prêtés par un élève français. Après la récréation le découpage continue. Alors que quel- ques élèves français félicitent Saïah pour ses découpages, un autre élève français commente : " C'est normal, il était déjà là l'an dernier". Saïah devient l'expert en tours de son groupe. Le manque de ciseaux pose à nouveau problème; quand l'ins¬ titutrice demande à Ahmed : "Alors, àhmed, pas de colle ni de ciseaux un élève français enchaîne : "Alors il vient à l'école pour quoi faire ?". Ahmed ne répond pas. - 53 - Abdallah et Saïah sont à nouveau sans colle ni ciseaux. L'institutrice intervient pour que les "gentils" acceptent de prêter leur matériel. Abdallah et Saïah attendent tou¬ jours. Enfin après de nombreux appels Abdelaziz, extérieur au groupe, prête ses ciseaux à Abdallah. "Moi, elle m'a dit 'très bien'", répète Abdelaziz à ses voisins alors qu'il revient à sa place après avoir montré à la maîtresse comment il avait collé les fenêtres des tours. Saïah en prenant Mustapha par le cou s'essaie à le con¬ vaincre de lui prêter ses ciseaux. Mustapha le repousse bru¬ talement. Sur l'intervention de l'institutrice Abdallah ac¬ cepte enfin de prêter son pot de colle à Saïah. Un conflit éclate entre Abdallah et un élève français. Abdelaziz prend la défense du premier. Abdelaziz a un statut particulier tant auprès des Français -c'est un bon élève, il n'est pas regroupé avec les six- qu'auprès du groupe des six maghrébins qui s'adressent à lui lorsqu'ils n'ont pas compris les consignes de la maîtresse. Abdelaziz parle quelque fois en arabe avec Abdallah. Le groupe des six parle parfois en arabe mais, le plus souvent, même entre eux, ilsparlent en français. Ali, Ahmed, Nacer, trois Algériens, tournés vers l'observa¬ teur, récitent une contine en arabe. La classe prend fin. - 54 - Monder, élève tunisien, qui comme Abdelaziz, a échappé au regroupement avec les six et a pour voisin un élève fran¬ çais ne s'est en rien distingué des élèves français et n'a eu, pendant la classe, aucun échange avec les élèves maghré¬ bins . 2.2.1.2. Appréciations portées par l'institutrice sur chacun des élèves maghrébins. Ces appréciations ont été recueillies en fin d'année sco¬ laire. Leur présentation correspond à la disposition des élè¬ ves dans la classe. Le groupe des 'feix" est présenté en pre¬ mier. 1) Ali (Algérien) (retard scolaire : aucun) : redoublera le cours préparatoire» Français Calcul Expression orale : parle un opérations peu nul Expression écrite: sait co- problèmes : pier nul Lecture : nul Orthographe : nul Travail manuel Dessin est appliqué, soigneux. Observations : Appliqué; enfant calme; a "décroché" par rap¬ port aux autres élèves depuis Pâques. Sera limité. Apprendra à lire l'année prochaine, mais limité. Avenir scolaire très limité. Ils plafonnent tous à un moment ou à un autre. Il ne s'en sortira pas au secondaire. Il est pourtant en France depuis longtemps. - 55 - 2) Ahmed (Algérien) : redoublera le cours préparatoire (retard scolaire : aucun). Français Calcul Expression orale : très bon, Opérations : nul parle beaucoup. Ses parents lui ont interdit de parler arabe. Problèmes : nul N'a pas suivi les cours d'arabe. Expression écrite : très mauvaise Lecture-Orthographe : nul Observations : Problèmes de comportement : "enquiquineur", a toujours quelque chose à dire; par contre pas bête alors que les autres arabes ne sont pas doués. Avenir scolaire : s'il peut tripler le cours préparatoire, peut échapper à la classe de perfectionnement. Il possède des qualités d'intelligence rares chez les autres. 3) Nacer (Algérien) : triplera le cours préparatoire (retard scolaire : un an). Français Expression orale : très limité; ne connait que très peu de mots; a une très mauvaise compréhen¬ sion. Expression écrite : écrit très bien; écrivait déjà l'an dernier; n'a pas pro¬ gressé. Lecture : nul Orthographe : nul Observations : Très doux, même amorphe; manque de vitalité. Ne comprend pas bien les consignes. Calcul Travail manuel dessin opérations ^ problèmes j nul pas maladroit, s'en tire assez bien - 56 - Avenir scolaire : classe de perfectionnement. 4) Mustapha (Marocain) : redoublera le cours préparatoire. (retard scolaire : aucun). Français Calcul Travail manuel dessin Expression orale : léger; parle. opérations) _ ., . , ) nul pas excellent Expresszon ecrzte : sait c ^ y . problemes ) écrire. r Lecture : nul, mais a de la mémoire. Observations : Très mignon; très sale; attachant. Devrait réagir l'an prochain; a des moyens que les autres n'ont pas. 5) Abdallah (Marocain) : redoublera le cours préparatoire. (retard scolaire : aucun). Français Calcul Travail manuel dessin Expression orale : très li~ , ,. . mité mais capable de s'ex- opera^zons pliquer. problèmes jnu nul, pataud Expression écrite : n'écrit pas. très bébé. Lecture : nul. Observations : mignon, mais guère intelligent. ( 6) Saïah (Algérien) : triplera le cours préparatoire. (retard scolaire : un an). Français calcul Expression orale : très limité opérations J i nul s problèmes j Expression écrite : a fait des progrè Lecture : cependant néant total - 57 - Observations : Est arrivé en France au cours de l'année précédente. Il ne savait pas un mot de français; il n'avait jamais fréquenté l'école. D'après le père ; c'est un enfant qui même en arabe ne se fait pas comprendre dans sa famille. Il s'est mis à écrire en fin d'année scolaire mais est per¬ turbé par les cours d'arabe : problèmes de latéralisation. Petite teigne; casse-pied; petit sauvage; s'ennuie dans la classe. N'a aucun intérêt. Aucun avenir scolaire. L'an dernier, il avait peur; cette année il s'est intégré à la classe. Il fait de longues phrases incompréhensibles. 7) Abdelaziz (Tunisien) : après avoir triplé son cours pré¬ paratoire il passe en cours élémentaire première année, (sa date de naissance étant inconnue, l'institutrice sup¬ pose qu'il a commencé sa scolarité avec deux années "d'a¬ vance") . (retard scolaire : ?). Françqis Calcul Travail manuel dessin Bon en tout Très bien Très bien manuel¬ lement . Observations : En premier cours préparatoire ne parlait pas le français. Bien que limité par sa connaissance de la lan¬ gue il appartient à la tête de la classe. Des possibilités mais il lui manque un fond de culture, sur¬ tout en vocabulaire. - 58 - Il a de très bonnes performances, s'intéresse à tout et pro¬ gresse. Le fait de bien travailler cette année a modifié son comportement : les autres (maghrébins) l'appellent "le commandant". Lorsqu'il est mis en situation d'échec, il devient violent et frappe. 8) Monder (Tunisien) : a. déjà redoublé le cours préparatoire, passe peut-être en cours élémentaire première année. (retard scolaire : un an). Français Calcul Travail manuel dessin Déchiffre quand il en a nul moyen envie; il connaît la maî¬ trise des sons; il a com¬ mencé à comprendre le mé¬ canisme de la lecture. Expression écrite : copie bien. Orthographe : aucun effort, décroche. Observations : Très peu intelligent; souvent absent; gros flemmard. 2.2.1.3. Opinions et remarques (1) "Ces élèves, d'après le maître tunisien, c'est le des¬ sous du panier". "Nous ne sommes pas favorables aux cours d'arabe qui provo¬ quent des interférences dans l'apprentissage de la lecture (1) Ces propos ont été recueillis au cours des discussions que nous avons eues avec chaque enseignant. Même s'il peut paraître arbitraire de sélectionner quelques phrases en les isolant de leur corpus global, il nous a paru im¬ portant de faire part, même sans rigueur, des éléments permettant d'apprécier les attitudes des enseignants. - 59 - et de l'écriture. Ces cours renforcent la constitution de clans ; c'est très visible en cour de récréation. Monder, depuis qu'il fréquente ce cours, on ne le retient plus ; lorsqu'il manque l'école le matin, il y vient l'après-midi pour les cours d'arabe". "Si j'en ai regroupé six, c'est parce qu'ils n'apprennent pas à lire ; deux sont intégrés et d'ailleurs parce qu'ils sont intégrés sont rejetés par les autres (maghrébins". "On ne peut pas les tester puisqu'ils ne connaissent pas bien le français. De toute façon leur Q.I (quotient intellectuel) est très bas. Je ne dis pas qu'ils sont tous comme ça, il y en a qui sont mignons". 2.2.1.4. De la relëgation comme modèle pédagogique. La ségrégation dans l'espace de six élèves étrangers sur huit est en quelque sorte une expression très fidèle de leur statut dans la classe. Présentée par l'institutrice comme une mesure qui lui a été imposée par leur échec dans l'apprentissage de la lecture, elle exprime physiquement et marque concrètement leur infériorité et leur marginalité. Monder et Abdelaziz, seuls, sont dignes de participer aux activités communes et de partager une table avec un élève français. Ne représentent-ils pas aux yeux des six autres maghrébins un modèle de réussite scolaire, un idéal à atteindre ? La réponse n'est pas unique. Si Abdelaziz, qui, pour les six autres, est tout à la fois défenseur, arbitre - 60 - et relais lorsque les consignes de l'institutrice ne sont pas comprises, a un statut privilégié, ce ne semble pas être le cas de Monder qui n'a eu, au cours de l'observation, aucun échange avec les élèves maghrébins. Cette ségrégation, forme aigiie de l'incapacité pédago¬ gique à prendre en charge ces élèves a valeur de relégation, de rejet de la classe. Le peu d'intérêt porté par l'enseignante à leurs travaux, les tâches dérisoires qui leur sont fixées (confectionner des lettres avec de la pâte à modeler, tracer des lignes d'écriture alors que lisent les autres élèves), l'absence de renforcement positif de leur participation aux ac¬ tivités communes quand ils y sont partiellement associés (exer¬ cices de calcul), sont d'autres formes de cette même relégation. Les modes d'adresse et les remarques de l'enseignante expriment et contribuent à propager, auprès des élèves une image très négative des élèves maghrébins. Remarquer que : "Saïah tient sa craie comme un poignard", de marquer avec une froide neutralité la position originale du groupe des six par des con¬ signes formulées à l'exemple de : "vous là-bas, rangez la pâte à modeler !", justifier leur exclusion d'une activité en les objectivant dans un propos qui s'adresse à la classe (ou aux observateurs) : "Eux, ils ne savent pas lire", ironiser à pro¬ pos du comportement d'élèves exclus du travail commun : "Alors, Ahmed, tu ne t'ennuies pas trop, tu t'amuses bien, ça va oui !", désigner Saïah, sans s'adresser directement à lui, comme res- - 61 - ponsable de son manque de matériel et ne lui proposer aucune aide : "(...) il a tout détruit ; tant pis pour lui...", re¬ jeter, sur un mode dévalorisant, le même élève lorsqu'il sol¬ licite l'interrogation : "tu ne sais pas lire 'chez', ne nous fait pas perdre notre temps !", c'est définir pour la classe et pour les élèves concernés eux-mêmes, ces élèves maghrébins comme constitutifs d'un groupe différent, c'est les rejeter explicitement de certaines des activités et compléter l'image négative, consécutive de la ségrégation dans l'espace et dans les activités, en accréditant auprès de tous les élèves quel¬ ques stéréotypes négatifs. L'élève maghrébin "tient sa craie comme un poignard", c'est donc qu'il sait manipuler le poignard ou pour le moins que son comportement laisse croire qu'il en est capable. Quand bien même l'interprétation serait excessive, l'image n'est pas neutre. Sans s'interroger sur ce qu'elle peut révéler de l'état d'esprit de qui l'a produite, il faut remarquer que dans le contexte précis de la dynamique propre au groupe-classe, elle légitime et renforce, puisqu'elle émane de l'institutrice, personnage central qui détient l'autorité et le savoir, le stéréotype qui décrit les élèves maghrébins, sinon tous "les Arabes" comme agressifs, voire potentiellement dangereux. "Eux ils ne savent pas lire I", l'incompétence réaffirmée à cette occasion n'est pas celle d'individus mais d'un groupe et peut avoir pour effet, sans que la présence de Monder et Abdelaziz, (le premier en est à sa seconde année de C.P, le second à sa troisième année (T'!- (voir : 2.2.1.2),) n'intervienne pour beaucoup,,de désigner la majorité des élèves maghrébins comme incompétents et par là de leur dénier les capacités de suivre le rythme d'acquisition des savoirs commun à toute classe. Ainsi l'exclusion des six élèves est justifiée aux yeux de tous : ils sont "incapables" de suivre le rythme de travail de la classe et ne peuvent y être assurés au risque de léser les autres élèves : "tu ne sais pas lire (...), ne nous fait pas perdre notre temps !". Affirmation de l'infériorité et légitimation de l'exclusion sont étroitement liées dans ces propos. Ces images négatives sont renforcées par l'énonciation des attributs du "mauvais" élève : il est dissipé et s'amuse "Alors, Ahmed, tu t'ennuies pas trop, tu t'amuses bien !" - alors que la classe travaille ; il est dépourvu, par sa faute de matériel scolaire. "... il a tout détruit, tant pis pour lui...". La tonalité dans laquelle l'institutrice inscrit son rap¬ port à la majorité des élèves maghrébins n'est pas sans effet sur les interactions entre élèves français et étrangers. Elle permet, suscite peut-être, des expressions et des comportements dévalorisants sinon hostiles de la part des Français. Lorsque les six écrivent des "e", un élève français commente "Tous ils veulent faire des "e", c'est facile à faire" ; quand Salah, en travail manuel, après avoir été félicité par l'ins¬ titutrice, l'est par des élèves français, un commentaire fuse : "C'est normal, il était déjà là l'an dernier" ; alors que l'enseignante reproche à Ahmed son manque de matériel, un élève français complète l'intervention : "Alors, il vient La division spatiale de la classe permet aux élèves maghré¬ bins, à l'exception de Monder, de n'entretenir que peu de rap¬ ports avec les Français. A cet égard, leurs comportements os¬ cillent entre l'hostilité et l'évitement avec une prédilection pour ce second pôle. Dans un tel contexte, nous n'avons pu observer aucune collaboration ; de surcroît aucune demande d'aide, de prêt de matériel, d'information n'est émise en direction des Français. Si ces derniers concèdent des prêts c'est sur la demande insistante de l'institutrice ; les informations et les précisions à propos des consignes de l'enseignante sont de¬ mandées à Abdelaziz qui, par sa position, remplit la fonction "d'expert scolaire" du groupe maghrébins ; il n'est fait aucune réponse aux remarques émanant des Français. Si nous avons pu observer quelques brèves querelles, nous n'avons pu définir qui en avait eu l'initiative. Bien que rares, elles sont signi¬ ficatives de la tension qui existe entre les deux groupes : "Si tu viens aux V., tu reçois un coup de couteau" s'écrie Abdelaziz en direction de son voisin Français, se réappropriant ainsi le stéréotype de "l'Arabe au poignard"... à l'école pour quoi faire ?". A ceci s'ajoutent les refus de prêt de matériel et les conflits qui éclatent aussi bien entre Abdelaziz et son voisin français qu'entre des élèves du groupe des six et d'autres élèves français. dv Ce n'est pas pour autant que le groupe étranger connaît une forte solidarité. L'absence totale de consignes de collabora¬ tion, le style pédagogique en oeuvre dans cette classe, placent tous les élèves en position de compétition. Celle-ci est, par exemple, manifeste à 1'occasiondel'intervention du "groupe des six" au tableau : sous le prétexte d'aider Nacer, les élèves 1'écoutent, manifestent leur compétence en direction de l'ins¬ titutrice et attendent une gratification. Elle apparaît encore dans leurs réticences a se prêter du matériel. Ce groupe con¬ naît lui aussi des querelles à l'exemple de l'accusation de vol qu'Ali fait peser sur Saîah. Compétition et conflits in¬ ternes au groupe ne sont cependant pas des obstacles à la ma¬ nifestation d'une certaine solidarité dans les rapports aux autres élèves ainsi qu'en témoigne l'intervention d'Abdelaziz dans un conflit qui oppose un maghrébin à un Français. Passivité, recherche de gratifications et participation for¬ melle sont les caractéristiques principales de la relation des élèves maghrébins à l'institutrice, donc aux activités sco¬ laires. Les traitements dévalorisants dont ils sont l'objet ne suscitent aucune réaction agressive envers celle-ci. Saîah, soupçonné de vol, accepte passivement la fouille, aucun élève ne réagit aux propos de l'institutrice. Ils manifestent tous un vif désir de participer au travail de la classe même si, conséquence de leur exclusion, cette participation est souvent formelle et consiste à adopter la posture de l'élève au travail, - 65 - (mais à tourner les pages du cahier d'exercice sans en ef¬ fectuer aucun), à lever le doigt sans être jamais interrogé. Dans les rares cas ou ils furent réellement associés aux ac¬ tivités communes, à l'occasion des exercices de calcul et du travail manuel, leur participation fut active et ils manifes¬ tèrent une préoccupation des sanctions positives ou négatives de l'institutrice. Aucune référence n'est faite à la culture des éleves maghrébins. Nous n'avons pu observer ni référence positive, ni référence négative à leur appartenance culturelle et natio¬ nale. Les rares et discrets échanges en langue arabe ne pro¬ voquèrent aucune réaction. L'institutrice, se référant aux propos de l'instituteur tunisien (1), est convaincue d'accueillir dans sa classe des élèves d'une extraction sociale plus que médiocre - "ces élèves (...) c'est le dessous du panier" - dont les "capacités intellectuelles" sont faibles. Les appréciations portées sur chaque élève (2.2.1.2.), sont, à cepropos, significatives : " Ils plafonnent tous à un moment ou à un autre", "(...) pas bête alors que les autres Arabes ne sont pas doués" ; "il possède des qualités d'intelligence rares chez les autres [maghrébins]" ; "(...) a des moyens que les autres (maghrébins ] n'ont pas". Cette perception est réaffirmée dans une formulation syn¬ thétique et contradictoire, (voir 2.2.1.3) lorsqu'après avoir (1) Il assure dans l'établissement l'enseignement de l'arabe aux élèves tunisiens. énoncé l'impossibilité de "tester" ces élèves "parce qu'ils ne connaissent pas bien le français", elle assure que "leur Q.I [quotient intellectuel] est très bas", mais "qu'ils ne sont pas tous comme ça, il y en a qui sont mignons [sic]". Récuser le recours aux tests mais affirmer l'infériorité des quotients intellectuels - qui ne peuvent être établis que par le recours aux tests - des élèves maghrébins, pour enfin nuancer le propos en reconnaissant que "certains sont mignons" est significatif de la contradiction dans laquelle s'inscrit le discours de cette enseignante. Sommairement informée des r critiques émises envers l'utilisation de certains tests avec les élèves étrangers et soucieuse, pour ne pas prononcer 1'indicible, de ne pas généraliser un diagnostic d'infériorité intellectuelle à tous les maghrébins, elle n' en affirme pas moins cette infériorité. Le procédé qui atténue le propos - "certains sont mignons" - n'équivaut pas à la reconnaissance de capacités préalablement déniées. Le discours et les appré¬ ciations de cette enseignante apportent une justification à des pratiques pédagogiques aberrantes. La ségrégation dans l'es¬ pace et l'exclusion des principales activités de la classe ne peut reposer sur le seul constat de l'échec de l'apprentis¬ sage de la lecture ("si j'en ai regroupé six, c'est parce qu'ils n'apprennent pas à lire"). Il faut pour dégager l'en¬ seignante et l'institution scolaire de toute responsabilité dans cet échec et justifier cette ségrégation, en rejeter l'origine sur le caractère limité des "capacités intellectuelle^' - 67 - de ces élèves. A contrario, dès lors qu'il ne s'agit plus de rendre compte d'une certaine situation scolaire, mais d'apprécier chacun des élèves (voir 2.2.1.2), trois d'entre eux, Ahmed, Mustapha et Abdelaziz ("pas bête", "a des moyens", "des possibilités") se voient attribuer des capacités pour le moins normales. Remarquons enfin, que les six élèves "regroupés" ne passe¬ ront pas dans la classe supérieure. Deux d'entre eux vont rester à ce niveau pour la troisième année consécutive ; Nacer qui est dans cette position est menacé d'une orientation ul¬ térieure vers la classe de perfectionnement. Les deux élèves non "tegroupés" - ils savent lire - passent dans la classe supérieure (le C.E]^) , mais Abdelaziz a fréquenté le cours pré¬ paratoire pendant trois ans et Monder pendant deux ans. Tous les élèves maghrébins de la classe acquièrent donc, dès le début de la scolarité obligatoire un retard scolaire qui s'éche lonne de 1 à 3 ans. Si c'est le résultat le plus aisément saisissable des conditions dans lesquelles ils sont scolarisés, il importera, cependant de s'interroger sur les conséquences tant sur le développement de la personnalité, que sur le rap¬ port à l'école et ultérieurement sur le rapport à la société, des caractéristiques, particulièrement dévalorisantes du procès sus de mise en situation d'échec scolaire observé dans cette classe. - 68 - 2.2.2. Situation_2_2_une_classe_de_cours_moY§n_deuxième année. Cette classe de cours moyen deuxième année (niveau le plus élevé de l'enseignement élémentaire) rassemble sept élèves étrangers : deux Algériens, un Tunisien, deux Marocains, un Italien, un Portugais. L'élève italien et son compagnon por¬ tugais, tant selon les affirmations de l'enseignant que selon nos observations, ne se distinguent en rien des élèves fran¬ çais si ce n'est que Gil, le Portugais, est le "meilleur élè¬ ve" de la classe. 2.2.2.1. La classe. La répartition des élèves dans la classe attire l'at¬ tention. Comme l'indique le plan, ci-dessous, ils sont tous les cinq regroupés au fond de la salle. bureau 2ooh*r Al, Tu Al, AacW Hassan Ha Ma (\\Q : Alq*nen Ma : Marocain Tu : Tunisien - 69 - A l'exception de Zouhir, toute la classe participe à la cor¬ rection collective d'une dictée. Kader se montre même très actif, il n'hésite pas à inventer des règles pour expliquer le redoublement des consonnes : "il faut toujours deux 't' devant 'a'". Ç]}aD2SÏÏÊ2t_dj_activité : La classe fait de l'arithmétique. Hassan, après d'autres élèves français, est appelé au tableau Alors qu'il travaille à un exercice le maître lui demande d'écrire le chiffre 7. Il veut voir si "les Arabes" l'écri¬ vent ? ou 7. Spontanément Hassan écrit la date en arabe. La classe s'exclame; certains élèves français estiment que c' est une écriture difficile; l'un remarque qu'"ils écrivent de droite à gauche"; "comme les Chinois" dit l'autre. La classe doit effectuer des exercices d'arithmétique au brouillon. Zouhir est sans cahier de brouillon. Il désigne un élève français en affirmant qu'il le lui a pris. Une dis¬ pute éclate. Hassan s'en mêle et invite à se battre un élève français qui, mezzo voce, l'a traité de "sale bicot". Hassan se montre très agressif. Le maître calme les protagonistes et fournit quelques feuilles de papier à Zouhir. Les exercices au tableau reprennent. Les élèves maghrébins à l'exception de Zouhir, insistent avec force pour être dési- - 70 - gnés. Le maître choisit un élève français. Hassan s'exprime violemment en arabe (est-ce une insulte ?), puis en français: "Toujours les Français". Mohamed proteste lui aussi, gestuel- lement. Le maître n'intervient pas. Après la récréation, la classe est en effervescence. Un projecteur de diapositives et un écran blanc ont été instal¬ lés. Un professeur de l'enseignement secondaire, qui a long¬ temps enseigné au Maroc, a été invité par l'instituteur. Il va projeter et commenter des diapositives qu'il a prises au Maroc. Les premières images montrent des villes, des immeubles, des bâtiments officiels. Les élèves manifestent leur étonne- ment de constater que "c'est comme ici!". En contraste avec l'agitation de la classe, les élèves maghrébins sont immo¬ biles et silencieux. De temps à autre, ils échangent quelques mots à voix basse. Lorsqu'apparaissent sur l'écran des images relatives au monde rural, en dépit des commentaires du présentateur qui essaie de rendre compte des différences de mode de vie, de développement économique, la classe s'esclaffe. L'habitat rural traditionnel, des enfants pieds nus, une vieille femme en haillons provoquent les rires et les moqueries. Les deux enseignants tentent de modérer la classe. Rien n'y fait. Tout -71- est prétexte à dénigrement. Les élèves maghrébins se sont fi¬ gés. Ils sont ignorés par la classe. La projection est écour- tée. 2.2.2.2. Appréciations portées par l'instituteur sur chacun des élèves maghrébins (en fin d'année scolaire). 1) Kader (Algérien)(retard scolaire : un an) : redoublera le cours moyen deuxième année. Français Calcul Travail manuel Education dessin physique Expression orale : Opérations : Bien faible bien bien Expression écrite : problèmes : Bien faible Lecture : Bien Orthographe : Bien Grammaire : Bien Observations .'"Existence de contacts avec la famille, notam- ment avec le père en dehors de l'école. Il suit un peu la sco¬ larité . De bonnes capacités qui justifient 1« 2 redoublement (c'est une chance supplémentaire). Pas de problèmes de comportement, il est bien accepté par la classe". Avenir scolaire : Il peut obtenir soi î brevet (B.E.P.C.) (1) (1) B.E.P.C. : Brevet d'Etudes du Premier Cycle (de l'enseigne¬ ment secondaire). - 72 - 2) Zouhir (Tunisien) (retard scolaire : un an). Français Calcul Travail manuel Education Dessin phy sique Expression orale : Faible Opérations : Faible Brouillon Moyen Expression écrite: Très faible Problèmes : Faible Leoture : Faible Orthographe : Faible Grammaire : Faible Observations : Paresseux. Capacités 1 imitées. Peu d'extério- risation; ne se livre pas. Aucun contact avec la famille. C.P.P.N. Avenir scolaire : très sombre : (classe pré-professionnelle de niveau (1)). 3) Mohamed (Algérien) : a déjà redoublé le cours moyen deu- xième année; passe en classe de sixième, (retard scolaire : deux ans). Français Calcul Travail manuel Education Dessin phy sique Expression orale : moyen; problèmes de vocabulaire. Expression écrite: Faible; problèmes de style, d'ortho¬ graphe; n'a jamais d'idées; sec. Opérations : Faible Problèmes : Faible Bien Très Très bien bien Lecture : Moyen-fai¬ ble, des difficultés de compréhension. Orthographe : Faible. Grammaire : Moyen. (1) C.P.P.N. : Classe pré-professionnelle de niveau (a remplacé la classe de transition,avec la classe préparatoire de l'ap¬ prentissage, constituent la filière la plus dévalorisée du premier cycle de l'enseignement secondaire). - 73 - Observations : Paresseux; peu d'intérêt pour l'école, se lais¬ se aller. Très gentil. A toujours été élu capitaine de l'équi¬ pe de "foot"; tous veulent jouer avec lui au "foot". Très bien accepté par les élèves. Contacts avec la famille hors de l'école mais elle ne porte que peu d'intérêt à sa scolarité. Avenir scolaire : très sombre; pas de problème de délinquance à redouter; il est quand même limité. 4) Kassan (Marocain): a fait toute sa scolarité élémentaire en trois ans (C.P. - C.E.l. - C.M.l. - C.M.2.); passe en classe de sixième, (retard scolaire : 3 ans) . Français Calcul Travail manuel Education Dessin physique Expression orale : Opérations : m°yen Bon, parfois Bon Bien Expression écrite: Problèmes : Faible Brillant Lecture : Moyen Grammaire : Bon. Observations : Elève intelligent. A progressé tout au long de l'année. Il est orgueilleux. Content de lui du point de vue de son travail scolaire. A travaillé par orgueil. Très bagar- reur; très agressif; respecté par la classe; violent. Reven- dique le fait d'être arabe. Ses soeurs, au C.E.S. (1), refu¬ sent de parler français. Avenir scolaire : Il doit pouvoir "arriver", peut-être pas jusqu'au B.E.P.C. (1) C.E.S. : Collège d'Enseignement Secondaire. - 74 - 5) Rachid (Marocain) : passe en classe de sixième (retard scolaire : 2 ans). Français Calcul Travail manuel Dessin Education physique Bon Moyen Bon Bon Observations : Pas sérieux. De bonnes possibilités mais sou¬ vent absent; gâche ses chances. Très gentil, très bien accep¬ té par ses camarades. Sa famille se désintéresse de sa scola¬ rité : elle n'a pas déposé de dossier de demande de bourse. Avenir scolaire : pourrait obtenir le B.E.P.C. mais il manque d1 intérêt. Selon le maître les élèves maghrébins ont pris l'initia¬ tive de se regrouper au fond de la classe. Il estime avoir, dans l'ensemble, de bons rapports avec ces élèves et leurs parents. Il les a aidés à développer des activités sportives dans leur quartier. Il fait, en cas de problème, fonction d'intermédiaire entre les familles et l'école. Il perçoit le rejet dont ils sont l'objet. Il essaie d'améliorer leur in¬ sertion par le moyen des activités sportives. "Tes Arabes" est une expression fréquemment employée par ses collègues lorsqu'ils s'adressent à lui à propos des élèves maghrébins. 2.2.2.3. Opinions et remarques 2.2.2.4 Les limites de la bienveillance. Le regroupement des élèves maghrébins au fond de la salle n'est pas ici le fait de l'instituteur. Ces élèves expriment ainsi leur connaissance du milieu scolaire et leur connaissance de la position qui est la leur dans cet établissement. Plus même, ils transcrivent dans l'espace l'infériorité de leur statut et la ségrégation sociale dont ils font quotidiennement l'expé¬ rience. RegroMpés dans l'habitat;: ils se rassemblent en cours de récréation et se rapprochent, si l'enseignant n'en a pas pris l'initiative ou, au con¬ traire, s'il ne s'y oppose pas, dans la salle de classe. La dynamique de cette classe révèle cependant que la ségrégation dans l'espace n'est pas nécessairement liée à une ségrégation dans les activités. A l'exception de Zouhir, les élèves maghrébins participent à part entière au travail commun. Il n'en demeure pas moins qu'une certaine tension régit les rapports entre Français et étrangers. S'écrier "toujours les Français !" lorsque l'instituteur désigne un élève français à l'occasion d'un exercice atteste tout à la fois de l'intériorisation de la coupure de la classe en deux groupes et de la rivalité qui les opposent. La nature de cette rivalité s'exprime à l'occa¬ sion des querelles qui éclatent entre les élèves des deux groupes ; à l'exemple du cas observé, les insultes racistes des uns - "sale bicot" ! - et la violence des autres - Hassan en l'occurence pour qui, dans une situation de domination et d'intériorisation scolaire, la violence physique est la seule réponse pos¬ sible - sont des indices de l'antagonisme qui les séparent. La cause principale de cet antagonisme se manifeste avec éclat à l'oc¬ casion de la projection de diapositives sur le Maroc. Le comportement des éleves français exprime sans ambiguïté le rejet de la différence culturelle et le statut d'infériorité dans lequel ils tiennent tout signe culturel émanant des sociétés du Maghreb et par là les individus appartenant à ces sociétés. Les élèves maghrébins, silencieux pendant la projection, ne s'y trompent pas. Le double objectif poursuivi par les deux enseignants, à savoir : valoriser a l'occasion de cette projection et des commentaires qui l'accom- - 76 - pagnaient, les élèves maghrébins en donnant des interprétations positives des différences par rapport à la société française, tant pour le type de société que pour le mode de vie, présentées par les photographies et mo¬ difier la perception dévalorisante qu'en ont les élèves français, n'a pu être atteint. Le caractère ponctuel et quelque peu artificiel de cette intervention, par rapport à la logique des rapports sociaux en oeuvre aussi bien à l'in¬ térieur qu'à l'extérieur de l'école, ne pouvait que la détourner de ses objec tifs en donnant aux élèves français l'occasion de manifester un rejet déva¬ lorisant. Il est certain, ainsi que le montre leur comportement, que les élèves maghrébins étaient plus sensibles aux rires et moqueries qu'ort suscité des images à l'égard desquelles ils ont parfois eux-mêmes une attitude am- bigiie, qu'aux commentaires valorisant de l'enseignant. A l'inverse, l'expression d'une compétence culturelle cultivée - lors¬ que Hassan écrit en arabe la date au tableau - dans le cadre d'une activité "normale" de la classe et sur la demande de l'instituteur qui veut savoir si "les Arabes" écrivent ou "7", n'a pas suscité de remarques ouvertement dévalorisantes. Il est difficile de distinguer ce qui du contexte précis de l'attitude de l'enseignant ou du comportement d'Hassan, dont l'instituteur dit (voir 2.2.2.2) qu'il "revendique le fait d'être Arabe", qu'il est "intel¬ ligent" (...) très bagarreur, très agressif", a déterminé l'attitude de la classe. L'intégration des élèves maghrébins aux activités de la classe ne si¬ gnifie pas leur intégration à la classe sur un pied d'égalité. Hassan peut revendiquer son appartenance culturelle parce qu'il a de bonnes performances et parce qu'il s'impose par la violence. En conséquence, le maître le décrit comme orgeuilleux et violent. Kader, Mohamed et Rachid qui, toujours selon les appréciations du maître,, soit ne posent pas de problèmes de comportement" soit sont "très gentils", sont tous trois "très bien acceptés par la classe". Mohamed réalise au mieux, le modèle de l'étranger bien accepté : "(...) peu d'intérêt pour l'école (...) très gentil. A toujours été élu capitaine de l'équipe de'ïoot". Tous veulent jouer avec lui au "foot"'. Violence ou soumission, telle est l'alternative pour ces élèves. Mais le choix de l'un ou l'autre terme paraît être lié à la qualité des per¬ formances scolaires comme si n'être point infériorisé par l'échec scolaire était une condition nécessaire à la revendication et à l'affirmation de l'appartenance culturelle et nationale. Favoriser les contacts entre éleves maghrébins et français, dans l'école et hors de l'école, par le moyen des activités sportives, ainsi que l'entreprend cet enseignant ne suffit pas pour modifier le statut des groupes en présence. Cette pratique a toutefois pour effet d'établir par son intermédiaire un contact entre les familles qu'il côtoie dans le cadre des activités para-scolaires et l'école. A l'exception de la séance de projection, rien dans l'activité de la classe, ni dans les supports pédagogiques, ne fait explicitement référence à des modèles culturels différents. - 78 - 2.2.3. §ituation_3_j__Une_classe_de_cours_gréparatoire- La classe de cours préparatoire, cours élémentaire premiè¬ re année, rassemble des élèves qui sont à l'un ou l'autre de ces deux niveaux. Elle compte huit élèves maghrébins : un Algérien, trois Tunisiens, quatre Marocains. 2.2.3.1. La classe. La salle de classe est divisée en deux zones déterminées par la disposition des tables. L'une accueille les élèves du niveau CEI, l'autre les élèves du cours préparatoire. Les élèves maghrébins sont dispersés dans chacun des groupes. Ma Kilid Ma Kjîr Fiouu Tu Tu (A) Mi AbdelU HP fia % novrid Tu A/$ : Alty'ri^ Ma : rtâroc&jn- Tu : Tun'Siéa. Le conseiller pédagogique vient faire une leçon dans la classe. Après avoir fait entendre de la musique aux élèves - 79 - il leur demande ce que cet air évoque pour eux. Quelques élè¬ ves français lèvent le doigt, aucun maghrébin. Après avoir expliqué la correspondance qui peut être faite entre un air de musique et des images le conseiller demande à chacun de dessiner ce que la musique lui suggère. Les élèves se mettent à dessiner. Mohamed (A) refuse de dessiner, en réponse aux questions du conseiller, il affirme ne pas avoir entendu la musique. Il s'agite, se déplace dans la classe. La maîtresse fait com¬ prendre au conseiller qu'il n'obtiendra rien de lui. Radouane a fait un dessin original. Le conseiller lui de¬ mande de le présenter à la classe. Il le fait avec beaucoup de gêne. Des élèves français ricanent. Le dessin est tracé au crayon gris; il ne comporte pas de couleur. Le conseiller fé¬ licite Radouane. Les ricanements cessent. Sur l'incitation du conseiller quelques rares questions sont posées à Radouane au sujet de son dessin. A l'exception de Mohamed (A), tous les élèves maghrébins ont participé à l'exercice. Mais, bien qu'ils soient disper¬ sés dans la salle, ils échangent beaucoup plus spontanément paroles et objets entre eux qu'avec les élèves français. On perçoit l'existence du groupe qu'ils constituent dans cette classe. De même, l'observation de quelques comportements agrès - 80 - sifs -bousculades, refus violent de prêts de matériel- atteste de la tension qui existe entre élèves français et maghrébins. 2.2.3.2. Appréciations portées par l'institutrice sur chaque élève maghrébin (en fin d'année sco¬ laire) Elèves du cours élémentaire première année (CEI) 1) Abdellatif (Marocain) : passe en cours élémentaire deu¬ xième année (retard scolaire : un an) Français Calcul Travail manuel Dessin Expression orale /Moyen Moyen Bien Expression écrite:Faible Lecture : Moyen Orthographe : Moyen Grammaire : Bien Observations : Elève moyen en tout; a fait des progrès. Il est le plus sérieux des maghrébins. Elève qui s'applique : il apprend ses leçons; il est le seul des maghrébins à faire ses devoirs. Il a bien tenu son cahier de récitation. C'est un bon élève, assez discipliné. Il a horreur de tout effort physique, refuse les jeux et leçons de gymnastique, mais il joue en récréation. Avenir scolaire : il pourra suivre normalement. 2) Kalid (Marocain): passe en cours élémentaire deuxième an¬ née (retard scolaire : 2 ans) au bénéfice de l'âge. - 81 - Français Expression orale : Faible Expression écrite : Faible Lecture : Moyen Orthographe .-Très Bien Grammaire : Faible Calcul Faible; connaît les tables de multiplication mais difficultés d1 application. Travail manuel Dessin Brouillon, sale, incapable de sui¬ vre les lignes du cahier. Observations : Il a bien commencé l'année mais a connu une rupture en cours d'année. Il refuse de travailler. Son frère qui est en C.E.2 est excellent. Il est agité. Il a déchiré son cahier de contrôle parce qu'il avait des notes faibles et peur de son père. Les parents espèrent la réussite scolai¬ re mais n'ont aucun contact avec la maîtresse. Kalid pose quelques problèmes parce qu'il est en contact avec d'autres maghrébins. Avenir scolaire : S'il marche bien en C.E.2 il aura une sco¬ larité normale, sinon il faudra l'orienter en technique dès le début de l'enseignement secondaire. 3) Mohamed (Marocain) ; est orienté en classe de perfection¬ nement (retard scolaire : 2 ans). Français Expression orale: nul Expression écrite :nul seule activité : copie Calcul Opérations : sait faire les additions Travail manuel Dessin Faible Problèmes nul Lecture très faible Orthographe et grammaire: nul. - 82 - Observations : Devrait déjà être en classe de perfectionne¬ ment mais refus des parents pour cause de mixité. Avec Mohamed, il a perturbé la classe pendant toute l'année. Avenir scolaire : Elève âgé qui suivra pendant longtemps la classe de perfectionnement sans possibilité de revenir en classe normale. 4) Radouane (Algérien) : passe en cours élémentaire deuxième année au bénéfice de l'âge (retard scolaire : 2 ans). Français Calcul Travail manuel Dessin Expression orale : Moyen ǧ.tëïÈ^ons ' Se débrouille Expression écrite: Absolu- très bien ment nul Problèmes : nul Lecture: Moyen Orthographe : Nul Grammaire :Nul, pas d'ef¬ fort, manque d'intérêt. Observations : Sans progrès; aucun intérêt pour la classez- brouillon; cahiers mal tenus. Enfant très perturbé. Mauvais esprit. Jaloux de ses camarades (enfant brimé par ses parents). Il attaque systématiquement en récréation l'élève qui a le mieux travaillé, qui a été complimenté. A eu de grosses dif¬ ficultés à apprendre à lire; a redoublé le cours préparatoire. Avenir scolaire : Il aura des difficultés à arriver jusqu'au cours moyen. Il passe au C.E.2 au bénéfice de l'âge. Il a une possibilité de réussir dans ce qui est manuel, dans le tech¬ nique. - 83 - 5) Kaîr (Marocain) : passe en cours élémentaire deuxième an¬ née au bénéfice de l'âge (retard scolaire : 2 ans). Français Expression orale : moyen Expression écrite faible Calcul Opérations moyen Problèmes faible Travail manuel Dessin bien Lecture assez faible Orthographe : assez faible Grammaire : très moyen Observations : Moins de possibilité que Kalid et moins d'in¬ térêt. Assez agité et paresseux. Avenir scolaire : s'il continue comme ça, il arrivera au cours moyen au bénéfice de l'âge. Il a de bonnes mains et dessine bien; il est doué pour les activités manuelles. Elèves du cours préparatoire 6) Mohamed (Tunisien) : redouble le cours préparatoire ou passe en classe de perfectionnement, (retard scolaire : un an) . Français Calcul Nul; n'a jamais écrit; pas de Nul; connaît quelques cahier; connaît quelques voyelles. nombres. Observations : Enfant ayant quand même des possibilités mais il est impossible de s'en occuper dans le contexte de la clas¬ se. Il est rejeté par sa famille. Il pose des problèmes de discipline. Avenir scolaire : classe de perfectionnement dont il sera dif¬ ficile de le faire sortir. - 84 - 7) Faouzi (Tunisien) : passe en cours élémentaire première année (retard scolaire : aucun). Français Expression orale : bien Expression écrite: bien Lecture : bien, moyen Orthographe : faible Grammaire : faible Calcul Travail manuel Dessin très bien; aidé par son "père à la maison; il fait déjà les soustrac¬ tions et compte au delà de 100 bien Observations : Tunisien qui n'habite pas à V. (1). Son père, artisan, a des contacts avec l'école. Faouzi est arrivé en France à la fin du mois de décembre; pendant le second tri¬ mestre il a vu et écouté, au cours du troisième trimestre il s'est mis à lire spontanément. Il a appris à liœà peu près seul; peut-être avec l'aide d'un oncle. Il écrit bien, est propre, soigné. Il fait des efforts et a une grande mémoire. Avenir scolaire : S'il continue comme cela il peut avoir une scolarité normale, même dans le secondaire. 8) Mourad (Tunisien) ; triple le cours préparatoire, (retard scolaire : 1 an). Calcul Français Expression orale : très Opérations : con¬ naît les nombres; nul faible Expression écrite: nul Lecture : connaît les voyelles et les conson¬ nes mais ne sait pas lire. Orthographe : nul Grammaire : nul Problèmes : nul Travail manuel dessin très moyen (1) Ensemble d'immeubles habités par la très grande majorité des élèves maghrébins. - 85 - Observations : Il a un gros problème de langue qui ne s'est que peu amélioré. Il parle rarement. L'an dernier, son frère qui était dans la même classe, s'occupait de lui, traduisait... Il triple son C.P. car il est encore récupérable : en faisant des progrès en français il pourra encore apprendre à lire. C'est un élève agité qui n'a pas beaucoup d'intérêt pour la classe. Avenir scolaire : s'il apprend à lire il évitera la classe de perfectionnement. 2.2.3.3. Opinions et remarques L'institutrice affirme avoir volontairement dispersé les élèves maghrébins dans la classe pour favoriser leur insertion en évitant qu'ils ne forment un groupe fermé. Elle révèle que la présence des enfants maghrébins lui pose de tels problèmes qu'elle souhaiterait en être débarrassée. Elle regrette d'en être arrivée là; en début d'année (nouvel¬ lement nommée dans cet établissement) elle n'avait aucune hos¬ tilité envers ces élèves. Maintenant il lui faut reconnaître que , "parfois, ils sont sales, sentent mauvais au point d'in¬ commoder leurs voisins, et sont chapardeurs". Elle "en a ras le bol" et apprécie le fait de quitter cette école à la fin de l'année scolaire. "Ils posent trop de problèmes ; problèmes de langue, problèmes de comportement. Les élèves français eux- mêmes posant déjà des problèmes, on préfère résoudre ceux des - 86 - nôtres d'abord. En plus, la conception que les maghrébins ont de la femme rend difficile leurs rapports à la maîtresse." "Enthousiaste et pleine de bonne volonté au début de l'année, je me suis découragée. Je ne sais pas ce que pourrait être la solution. Les garçons maghrébins sont très agressifs. Il y a sans cesse des batailles rangées entre Français et étrangers. Ils sont très renfermés, ne se confient pas". Au cours de la discussion qui suivit l'intervention du con¬ seiller pédagogique celui-ci expliqua à l'institutrice, qui se plaignait des rapports difficiles qu'elle entretenait avec les élèves maghrébins, que la cause en était leur conception des rôles féminins et masculins. Il affirme, de plus, que la sévérité de leurs parents, qui n'hésitaient pas à les frapper violemment, rendait dérisoires les menaces de la maîtresse. Il expliqua que ces élèves constituaient, dans la classe, un groupe fermé sur lui-même qui exerçait une pression dévalori¬ sante sur les élèves portant intérêt aux activités scolaires. - 87 - 2.2.3.4. De la "sympathie" au rejet : une rencontre révélatrice. La dispersion des élèves étrangers dans la classe est le fait de l'institutrice. Cette disposition n'entrave cependant pas les relations préférentielles que les maghrébins entretiennent entre eux. Les diverses interactions qui mettent les élèves en contact tant à l'occasion des échanges de paroles qu'à l'occasion des prêts de matériel sont marquées par la rareté des échanges entre Français et étrangers. La classe, indépendamment de sa division en deux niveaux (cours préparatoire et cours élémentaire 1ère année) est structurée en deux groupes. Comportements agressifs, refus violents de prêts de matériel, ricanements, par exemple, des élèves français lorsque Radouane à la demande du conseiller pédagogique montre son dessin à la classe témoignent de la tension qui caractérise leurs rapports. Le rapport des élèves maghrébins à l'institutrice s'inscri¬ vent eux aussi dans une tension qui supprime notamment toute par¬ ticipation spontanée aux activités. Si à l'exception de Mohamed (qui "pose des problèmes de discipline) tous se plient aux consi¬ gnes il n'en est cependant aucun, dans le cadre de l'exercice observé, pour lever le doigt, pour commenter le dessin de Radouane (seuls les Français ricanent) et lui poser des questions. Ce type de comportement paraît être une réponse à l'attitude de l'enseignante qui ne cache plus (voir 2.2.3.3.) son désir "d'être débarassée" de ces élèves. Non pas qu'elle formule expli- - 88 - citeruent un tel souhait devant les élèves, mais son abattement, sa froideur et le ton excédé de ses remarques en direction des maghrébins ne peuvent pas ne pas être perçus par ceux-ci. Les propos de l'institutrice (voir 2.2.3.3.), qui évoque l'évolution de son attitude au cours de l'année scolaire, sont significatifs du désarroi que peuvent connaître certains ensei¬ gnants confrontés aux problèmes pédagogiques suscités par la pré¬ sence d'élèves étrangers. De "l'enthousiasme" et de la "bonne volonté" au découragement et au rejet tel est le cheminement de cette institutrice qui, sans préparation, sans information, sans moyens pédagogiques adaptés, a dû faire face à des élèves qui, selon ses propos, posent des "problèmes de langue" et des "problèmes de comportement". L'évolution de son attitude la conduit a attribuer, sans nuance aucune, la responsabilité de ses difficultés pédagogiques aux élèves étrangers. Contredisant son absence d'hostilité du début de l'année scolaire, elle se voit obligée de les reconnaître "parfois sales (...), chapardeurs", "renfermés", "ne se confiant pas". Incompétente face à ces difficultés - "je ne sais pas ce que pourrait être la solution" - elle rejette ces élèves et af¬ firme préférer se consacrer aux problèmes que posent les élèves français ("... ceux des nôtres d'abord"). Les réponses du conseiller pédagogique qui met l'accent sur des caractéristiques culturelles des élèves maghrébins (leur - 89 - conception du rôle féminin) et sur une dynamique qui serait propre à leur groupe (groupe fermé qui incite au désinvestissement sco¬ laire) , ne peuvent, dès lors qu'elles ont pour- objectif de faire porter la responsabilité des difficultés pédagogiques sur ces élèves sans jamais interroger les conditions de leur scolarisation, apporter ni aide, ni conseil à cette enseignante. Que le conseiller pédagogique et l'institutrice attribuent tous deux aux élèves étrangers la responsabilité de leur difficile insertion scolaire et que la seule référence à la culture de ces élèves soit faite sur un mode négatif est caractéristique d'un système de représentation qui les infériorise et dévalorise leur culture. Remarquons toutefois que cette enseignante, dans ses pro¬ pos et dans ses appréciations (voir 2.2.3.2) ne recourt que rarement à l'invocation d'une déficience intellectuelle pour rendre compte des échecs scolaires. Les appréciations portées sur les élèves maghrébins de cette classe montrent que seul Faouzi, en C.P, dont la famille ne cohabite pas avec les autres, et dont le père suit la scolarité, poursuit un cursus scolaire sans redoublement. L'institutrice re¬ marque à son propos, qu'ayant commencé sa scolarité au mois de décembre de l'année scolaire, il a appris à lire avec l'aide de sa famille. Ainsi donc, ne pas poser problème ou plutôt le résoudre seul sans susciter de difficultés dans le fonctionnement de la classe est une condition nécessaire à la scolarité normale d'un - 90 - élève étranger. A contrario, Mourad qui parle mal le français et qui ne sait pas lire est décrit comme "agité", "sans intérêt pour la classe" et connaîtra une orientation en classe de perfection¬ nement s'il n'acquiert pas la maîtrise de la lecture à l'occasion de sa troisième année de cours préparatoire. Mohamed arquant à lui, pour seul horizon scolaire la classe de perfectionnement. Des élèves de CE2 seul Abdellatif, qui n'a qu'une seule année de retard, passe dans la classe supérieure au "bénéfice" de ses "qualités". Kalid, Râdouane et Kaîr "passent au bénéfice de l'âge", ils ont déjà 2 années de retard. Mohamed est orienté vers la classe de perfectionnement. Selon l'enseignante, Kalid est entré en rupture avec l'école et ne pourra connaître une scolarité normale que s'il échappe à l'influence des autres maghrébins... Le profil du bon élève maghrébin est en quelque sorte celui de l'élève qui s'isole de son groupe culturel, qui n'habite pas dans les mêmes immeubles que ses compatriotes et dont les parents pallient les lacunes du système éducatif. - 91 - 2.2.4. Situation_4_j__une_classe_de_cours_élémentaire 2. La classe de cours élémentaire deuxième année appartient à l'école des filles. L'institutrice qui en a la charge ac¬ cueille onze élèves étrangères : cinq Algériennes, une Maro¬ caine, quatre Tunisiennes et une Yougoslave. La classe compte trente-deux élèves. 2.2.4.1. La classe. La distribution des élèves dans la classe a ceci de remar¬ quable qu'aucune élève maghrébine n'a pour voisine une Fran¬ çaise et que les 3/5 des tables qu'elles occupent sont situées au fond de la classe. Sureau fâtï ra AL % Lcila Salûua Tu Tu Tu -Sonia Lcila Dali la Tu Alg Qjl.'U AmcL Alg ru % Alg Aiej : Algérienne /Ma : Marocaine ~fu ■ Turv'siehJie, Il est 8h30. La journée de classe commençe par la leçon - 92 - de lecture.Tour à tour les élèves sont invitées à lire un passage à haute voix. C'est aussi le moyen d'imposer à l'en¬ semble de la classe de suivre la lecture. Les élèves maghré¬ bines sont interrogées à l'égal des autres. A l'exception d'une élève française qui a été incapable de prendre la suite de la lecture -punie, elle doit se tenir debout à côté de sa table, le livre à la main- l'ensemble de la classe participe à l'exercice. Il est demandé à la classe de lire un passage à voix basse. Après cette lecture quelques élèves françaises lèvent sponta¬ nément le doigt. La maîtresse pose des questions relatives au passage lu. De nombreuses élèves lèvent le doigt, c'est le cas aussi des élèves maghrébines. Ceci est suivi d'exercices de conjugaison au passé-composé: toute la classe participe. Le rythme de travail est très sou¬ tenu. L'exercice se poursuit : les élèves doivent écrire les for¬ mes verbales,demandées par l'institutrice, sur leur ardoise et, sur un signe, lever l'ardoise. Dalila a des difficultés car elle n'a pas d'éponge et perd du temps à effacer son ardoise. Amel n'a jamais terminé à temps et fournit des réponses faus¬ ses . Différents exercices se succèdent à une cadence très rapi¬ de. Amel ne suit plus. Sonia de temps à autre ne lève pas son ardoise. Toutes les autres élèves participent très activement. - 93 Au retour de la récréation, le travail reprend avec des exercices d'arithmétique. Les élèves sont invitées à dis¬ poser sur leur table le matériel pédagogique constitué de jetons comportant des inscriptions d'unités, de dizaines, de centaines, etc. Leila et Dalila n'ont plus ce matériel. L'ins titutrice n'y prête pas attention. Elles ne participent pas à l'exercice. Enfin après avoir retrouvé une partie du maté¬ riel, elles participent partiellement au travail de la classe Lorsque les exercices se poursuivent sur ardoise, Leila et Dalila reprennent une participation très active. Dalila n'a plus de craie. Leila, sa voisine, lui offre spontanément la sienne puis s'adresse à une de ses voisines françaises qui en manipule toute une boîte pour en obtenir une. Refus violent de cette élève, sa voisine, française el- le-aussi, s'associe au refus. Leila ne participe plus à la dictée de nombres et contemple la classe. La maîtresse n'in¬ tervient pas. Dans l'après-midi : l'institutrice distribue à chaque élè¬ ve l'énoncé d'un problème. Elles doivent le traiter sur leur cahier de mathématiques. Toute la classe se met au travail. Des élèves se lèvent pour se rendre au bureau de la maîtresse et demander des explications. Ce n'est le cas d'aucune élève maghrébine. Après la récréation débute l'exercice de récitation. Diver¬ ses élèves françaises sont interrogées. La performance de cha¬ cune est appréciée par la maîtresse. Kadhija, seule maghrébi- - 94 ne interrogée, a récité avec quelques erreurs et hésitations. Elle s'assied. L'institutrice n'émet aucune appréciation sur sa performance; elle demande à la classe de passer à la lec¬ ture suivie. C'est l'histoire d'un cirque de "Bohémiens". Une petite fille, Lolita, change d'école à l'occasion de cha¬ que déplacement... Les questions qui suivent la lecture ne mettent l'accent ni sur la diversité culturelle ni sur les situations scolaires que peuvent connaître les élèves "mi¬ grants". Les questions se succèdent avec rapidité. La classe travaille dans l'ordre et rapidement. Les réponses fantaisis¬ tes, ou incorrectement formulées sont dédaignées par la maî¬ tresse qui passe à une autre élève. Ainsi lorsque Dalila, en réponse à une question, propose : "elle sent une petite tache sur sa main", l'institutrice interroge une autre élève : "elle sent du liquide sur sa main", dit-elle, "oui" répond l'enseignante et enchaîne une autre question. Saloua, Zahra et Leila notamment voient leurs réponses être refusées chaque fois qu'elles comportent des erreurs de vocabulaire, de syn¬ taxe ou de grammaire. Mais les erreurs ne sont ni indiquées, ni corrigées, l'institutrice passe à une autre élève. Les élèves françaises ou étrangères ne manifestent jamais ostensiblement leurs sentiments et participent à la classe sous une forme imposée par l'enseignante. L'expression est rarement spontanée. - 95 2.2.4.2. Appréciations portées par l'institutrice sur chaque élève maghrébine (en fin d'année sco¬ laire) (1) 1) Saloua (Tunisienne) : passe au cours moyen première année (retard scolaire : 1 an) Calcul Français Exprèssion orale : Moyen Expression écrite: Faible Lecture: Moyen Orthographe .-Moyen Grammaire .-Faible Opérations Moyen Problèmes . Faible Travail manuel Dessin Moyen Moyen Education physique Bon Observations : Très discrète, ne réfléchit pas assez. 2) Leila (Tunisienne) : passe au cours moyen première année à l'essai (retard scolaire : 3 ans). Calcul Opérations : Faible Problèmes : Très faible Travail manuel Dessin Moyen Faible Education physique Moyen Français Expression orale : Faible Expression écrite: Faible Lecture: Faible Orthographe .-Faible Grammaire .-Faible Observations : Enfant très endormie. Ne s'intéresse à rien. Ne progresse pas. (1) L'enseignante, dans ses réponses, s'est strictement référée au cadre utilisé pour recueillir les appréciations : le ca¬ nevas d'une page du livret scolaire. Voir en annexe. - 96 - 3) Dalila (Algérienne) : passe au cours moyen première année, (retard scolaire : 3 ans). Calcul Françavs Expression ovale : Moyen Expression écrite : Faible Lecture : Moyen Orthographe .-Faible Grammaire : Moyen Opérations Moyen Problèmes , Moyen Travail manuel Education Dessin Phy sique Faible Faible Faible Observations : Elève renfermée mais travailleuse. Assez bons résultats. 4) Leila D, (Tunisienne):passe au cours moyen première année à l'essai (retard scolaire : 3 ans). Français Expression orale : Faible Expression écrite: Très faible Lecture : Très faible Orthographe : Très faible Grammaire : Très faible Calcul Opérations Moyen Problèmes . Faible Travail manuel Education Dessin phy sique Moyen Faible Bon Observations : Au C.P. pour la lecture et au C.E.2 pour les autres matières. Parle très peu et très mal le français. Nom¬ breuses difficultés. - 97 - 5) Khadija (Marocaine): passe au cours moyen première année, (retard scolaire : 1 an). Français Calcul Opérations Moyen Problèmes . Faible Travail manuel Education Dessin phy sique Expression orale : Faible Moyen Moyen Expression écrite : Problèmes : Faible Faible Lecture : Moyen Orthographe .-Faible Grammaire : Moyen Observations : Caractère êffacé. L'ensemble est faible. Moyen 6) Dalila (Algérienne) : (a quitté l'établissement scolaire) (retard scolaire : aucun). Français Expression orale : Moyen Expression écrite : Faible Lecture : Faible Orthographe .-Faible Grammaire : Faible. Calcul Opérations Moyen Problèmes , Faible Travail manuel Education Dessin phy sique Faible Faible Moyen Observations : Difficultés nombreuses en français. 7) Fatira (Algérienne) : passe au cours moyen première année, (retard scolaire : 4 ans) - 98 - Français Calcul Travail manuel Education Dessin physique Expression orale : Opérations ; Faible Bon Moyen Bon Exprèssion écrite : Problèmes : Moyen Faible Bon Lecture : Moyen Orthographe .'Faible Grammaire : Moyen Observations : Bonne camarade, appliquée. En progrès dans 1'en- semble. 8) Sonia (Tunisienne) : passe au cours moyen première année . (retard scolaire : 2 ans) . Français Calcul Travail manuel Education Dessin physique Expression orale : Opérations ; Moyen Bon Moyen Moyen Exprès sion écrite : Problèmes Moyen Faible Moyen Lecture : Moyen Orthographe .'Moyen Grammaire : Moyen Observations : Gentille et appliquée. De gros progrès • 9) Zohra (Algérienne) : passe au cours moyen première année. (retard scolaire : 2 ans) . Français Calcul Travail manuel Education Dessin physique Expression orale : Opérations * Faible Moyen Moyen Bon - 99 - Expression écrite : Problèmes : Très faible Faible Moyen Lecture : Moyen Orthographe .-Faible Grammaire : Faible Observations : Beaucoup de bonne volonté. Caractère difficile. Encore faible. Doit réviser pendant les vacances. 2.2.4.3. Opinions et remarques. L'institutrice estime que la cause principale des difficul¬ tés scolaires de ces élèves provient de leur mauvaise connais¬ sance de la langue française. Elle s'efforce de traiter toutes les élèves de la même façon. Elle estime que c'est parce qu' elles ont tendance à se regrouper que certaines maghrébines entretiennent des relations difficiles avec les Françaises. 2.2.4.4, Ne pas faire de différences mais refuser la différence. La répartition dans la classe, des élèves maghrébines n'est pas le fait de l'institutrice. EUe attribue à la fermeture du groupe que constituent ces élèves, la responsabilité des relations antagoniques qui opposent certaines aux Françaises. Le style pédagogique de cette enseignante qui impose à sa classe, sur un mode très directif, un rythme de travail rapide, n'accorde que très peu d'initiative aux élèves et restreint les interactions. A l'occasion d'une journée d'observation nous n'avons pu observer qu'un seul échange entre Françaises et étrangères pendant - 100 - la classe. L'extrême rareté des contacts ainsi que leur nature - refus violent de prêt d'une craie à Leila (voir 2.2.4.2) - témoignent du peu d'intégration des élèves maghrébines à la classe. Il est significatif, sur ce point, qu'elles occupent trois des quatre tables situées au fond de la salle. Elles sont cependant très étroitement associées à toutes les activités de la classe et y participent activement. Il advient toutefois que certaines ne puissent suivre le rythme de travail. C'est notamment le cas de Dalila, Amel puis Sonia lors des exercices sur ardoise. Il convient d'examiner le comportement de cette enseignante qui n'intervient ni lorsque ces trois élèves "décrochent" de l'activité commune, ni à l'occasion du refus de prêt d'une craie qu'essuie Leila et qui, par conséquent, cesse son travail, ni, lorsque Leila et Dalila qui ont égaré une partie de leur matériel (des jetons) ne participent d'abord pas puis, que partiellement à l'exercice. Elle ne ralentit pas le ryhme de travail, n'émet aucune incitation à suivre ou reprendre le travail. Pendant les exercices de récitation et de commentaire de la lecture c'est avec une même rigueur qu'elle traite étrangères et Françaises. Elle ne formule que des appréciations positives. Son silence tient lieu de désapprobation et d'insatisfaction. Au plan pédagogique les vertus d'un tel traitement égalitaire ne sont pas assurées. Il n'est pas certain que Dalila perçoive ce qui dif¬ férencie "sentir une petite tache sur sa main" et "sentir du liquide sur sa main". Ne pas expliquer ni corriger l'erreur, avoir les mêmes exigences de maîtrise de l'expression en français à l'égard des élèves pour qui c'est une seconde langue qu'à l'égard des Françaises, c'est placer les élèves maghrébines en situation d'échec scolaire. Affirmer, comme le fait cette enseignante que la mauvaise connaissance de la langue est à l'origine des difficultés sco¬ laires de ces élèves ne la conduit pas- à modifier sa pédagogie ni même à moduler ses exigences. Tout se passe comme si ce groupe minoritaire important (dix élèves sur trente deux) n'était pas pris en considération et que prévalent les intérêts du groupe majoritaire. L'important retard (1) scolaire qui handicape le plus grand nombre des maghrébines, le problème pédagogique qu'elles po¬ sent et la nécessité de conduire les autres élèves au niveau d'en¬ trée dans la classe de cours moyen première année, tout concourt à délaisser des élèves dont l'avenir scolaire est fortement com¬ promis pour se consacrer à "celles qui suivent". Il ne peut dès lors être question, même à l'occasion de la lecture de l'histoire d'un cirque de "Bohémiens", de faire référence à la diversité cul¬ turelle ou à la migration. (1) Retard scolaire et orientation des élèves maghrébins. Saloua 1 an CMi Leila 3 ans CM]. à 1 essai Dalila 3 ans CMi Leila D 3 ans CMx à 1 essai Khadija 1 an CMi Dalila 0 •? Fatima 4 ans CM! Sonia 2 ans CMi Zahra 2 ans CMX - 102 3 Cette enseignante, partiellement consciente des éléments qui entravent l'insertion scolaire de ces élèves et soucieuse de ne manifester aucune discrimination, participe à un processus qui, par l'échec scolaire et la négation culturelle, contribue à leur marginalisation dans l'univers scolaire et ultérieurement, peut- être, dans la société. - 103 2.2.5. Situation_5_j__une_classe_de_cours_élémentaire_l_1 Cette classe de cours élémentaire première année est si¬ tuée dans l'école des garçons. Sur les 26 élèves qui la fré¬ quentent, 9 sont étrangers : 2 sont Algériens, 3 sont Maro¬ cains, 2 sont Tunisiens et 2 sont Italiens. 2.2.5.1. La classe. Les élèves étrangers sont dispersés dans la salle de clas¬ se. Ptotairtd Ma Kaiwl Tu KaU Hdci'n* rf«h»plw Ma A\y. Aliy'rier. Al a : Tu : Tuaki'%P élémentaire 1 avec un fort risque d'être refoulée vers sa classe d'origine. L'avenir scolaire de Djemila (Marocaine) qui n'a appris à lire qu'après trois années de cours préparatoire, est fort compromis ; Djemila (Algérienne) risque la classe de perfection¬ nement ; Khadija sera mise "à l'essai" en cours élémentaire 1 et peut-être réorientée vers la classe d'initiation ; seules Yacota et Nora qui redoublaient le cours préparatoire devraient con naître une scolarité normale. Le bilan, d'un point de vue interne à la logique scolaire, n'est pas très positif. Il demeure cepen¬ dant que cette classe, par les traits positifs de l'insertion sco¬ laire des élèves étrangères qui y est conduite représente une des rares "situations" dans lesquelles les élèves ne sont pas quotidien nement impliquées dans des interactions explicitement infériorisées Ce n'est certes qu'un îlot dans l'établissement scolaire ; les élèves sont et seront confrontées en d'autres lieux, la cour de récréation, la rue, les autres classes, à la réalité de leur sta¬ tut, Cette classe donne l'exemple d'une pédagogie qui, si elle s'enrichissait d'une prise en compte de la pluralité culturelle, assurerait sans discrimination la scolarité des élèves étrangers. - 125" - 2.2.7. Situation_7_2_la cour de récréation. La cour de récréation est un espace important dans l'uni¬ vers scolaire. Cet espace institué de la récréation (1) est l'espace d'un moindre contrôle où les élèves se réapproprient une certaine autonomie. Le maître chargé de la surveillance d'une cour de récréation ne peut tout contrôler et n'inter¬ vient qu'à la demande des élèves ou dans les cas flagrants de violation des règles : franchissement des limites, dégra¬ dations, combats violents, etc. La cour de récréation, comme la rue, mais sur un mode différent puisqu'elle oblige à la fois à la confrontation -il n'est pas de fuite possible- et au respect de certaines règles limitant notamment la violence, est un espace investi par les élèves qui laissent libre cours à leur imaginaire, qui y développent leurs relations selon les logiques qu'eux seuls contrôlent. La nature du lieu et des activités qui s'y exercent im¬ posent des limites à l'observation. Certains comportements qui décrivent les relations entre élèves français et élèves maghrébins sont toutefois suffisamment manifestes pour être aisément observables. 2.2.7.1. La cour des garçons. Cette cour est divisée en deux espaces, situés à des ni- (1) "Récréation : délasser par une occupation agréable" - défi¬ nition donnée par : Le Petit Robert-Dictionnaire. Paris, 1972, éd. S.N.L., 1970 p. - 126 - yeaux différents, communiquant par un escalier. Lorsque tou¬ tes les classes sont en récréation, une barrière, placée en haut de l'escalier, interdit toute communication. D'un côté sont rassemblés les élèves les plus jeunes, c'est-à-dire les classes de cours préparatoire (C.P.) et cours élémentaire première année (C.E.I.), de l'autre, les classes de cours élémentaire deuxième année (C.E.2.), de cours moyens première et deuxième année (C.M.l. et C.M.2.). Cette séparation est la conséquence de la violence des rapports entre élèves. Il est frappant de constater qu'aussi bien chez les petits que chez les grands deux "bandes rivales" s'affrontent dans la cour de récréation. Chacun de ces groupes compte de dix à vingt élèves. Chez les "grands" un groupe d'une quinzaine d'élèves fran¬ çais est quasi systématiquement en conflit avec un groupe d'élèves maghrébins qui rassemble presque tous les élèves algériens, marocains et tunisiens. Les groupes se tiennent en des endroits différents et se heurtent dans des raids éclairs; à cette occasion, moqueries, insultes, crachats et bouscula¬ des sont échangés. Les échanges sont brefs; s'ils se prolon¬ gent en "combats individuels" l'instituteur ou l'institutrice qui assure la surveillance intervient et fait cesser l'affron¬ tement. Ces heurts continuels se déroulent dans l'indifférence des autres élèves et des enseignants. - 127 Chez les "petits" c'est un groupe plus restreint d'élè¬ ves français qui se heurte aux élèves maghrébins. Là aussi, cet antagonisme constitue l'une des activités permanentes de la récréation. Les enseignants affirment avoir essayé de mettre fin à ces conflits. Ils reconnaissent n'être parvenus qu'à les li¬ miter dans leur violence. Les interprétations divergent. Pour les uns, le groupe des maghrébins se caractérise par une af¬ firmation de sa supériorité physique; il a l'initiative des comportements agressifs et des formes aiguës qu'ils prennent en cour de récréation. Pour les autres, c'est la seule réac¬ tion possible des élèves maghrébins face au rejet violent que leur manifestent certains élèves français. Exclusion des jeux, insultes à caractère "raciste", violences physiques relèvent de l'expérience scolaire quotidienne que ces garçons maghrébins font des relations de "camaraderie" à l'école. Il semble que les enseignants se rallient à l'opinion de S. Mollo pour qui "les relations de camaraderie à l'école sont placées sous le signe de la rivalité, de la violence et de la moquerie" (1) 2.2.7.2. La cour des filles. Les filles utilisent, toutes, la même cour de récréation. Dans le tumulte des récréations n'apparaît aucune relation antagonique entre des groupes d'élèves françaises et des (1) MOLLO (S.).- L'Ecole dans la Société, op. cit., p. 141. - m groupes d'élèves maghrébines. Toutefois si certaines filles maghrébines partagent les jeux des Françaises, la plupart se rassemblent, bavardent et jouent entre elles. La ségréga¬ tion est nette quand bien même elle n'atteint pas les formes observées chez les garçons. Quelques escarmouches éclatent de temps à autre entre le groupe des élèves maghrébines et quelques élèves françaises sans pour autant dégénérer en ba¬ taille rangée. Le stade des insultes, parfois à caractère "raciste", n'est que très rarement dépassé. - 129 - 2.2.8. La classe de perfectionnement (1). Cette classe compte treize élèves maghrébins, un élève espagnol et ure élève française. C'est la seule classe mixte de l'établissement. Les élèves des autres classes l'appellent "la classe des Arabes". V c( Faible et auquel s'ajoute un handicap linguistique (familial d'origine italienne). Moyennes. Handicap en français parce que portugais. Des difficultés en maths peut être à cause des difficultés de la langue (incompréhension ?) de gros progrès en français. Elève qui ne manque pas d'intelligence, mais défavorisée par son milieu. Pourrait essayer une 6°II. Bonne élève assez intelligente aime faire des recherches malheureusement handicapée en français (nat. portugaise). apte à suivre une classe de 6e sauf en français. Grosses difficultés en français dues à son origine d'enfant immigré. Des difficultés dues à la langue. 12 Annexe 3 LISTE DES APPRECIATIONS SUR LE TRAVAIL DES ELEVES ETRANGERS (*) - Assez paresseux - Elève paresseux, ne pense qu'à l'amusement - A beaucoup de volonté et d'application, pourrait essayer 6° - Très énergique, beaucoup de volonté - Travailleur et sérieux - Fait avec beaucoup de conscience, de sérieux et d'application et à un rythme normal - Elève consciencieux qui a fait d'énormes progrès - Normal et fragilité - Très travailleur (et appliqué) - Paresseux et inconstant - Son travail acharné lui a permis d'obtenir des résultats convenables - Capable d'efforts - Assez bon dans l'ensemble, manque d'énergie - Mou, se laisse vivre, peut mieux faire - Très bon, bien équilibré - Enfant sérieuse et désireuse de bien faire, doit réussir en 60 1 - Excellent en français, bon en math, élève vive et intel¬ ligente - Très sérieux et appliqué, aime le travail scolaire - Ne s'intéresse pas à la classe, travail superficiel, beaucoup d'absences - Bonne volonté, beaucoup de progrès - Elève travailleur mais brouillon, très volontaire doit progresser (*) Liste des appréciations est donnée sans mention des fréquences. 13 - Insignifiant, peu d'efforts et d'intérêt pour le travail scolaire - De la bonne volonté mais résultats insuffisants - A peu près nul, ne participe jamais, même en expression orale - Pourrait mieux faire que ses résultats et doit se discipliner - A de la volonté, a fait des progrès sensibles - Beaucoup de bonne volonté, veut bien faire - Manque de volonté - Très irrégulier, fantasque - Attention irrégulière, chahuteur - Mécanique et insuffisant, par paresse - S'applique, fait de son mieux, le maintien à l'école primaire semble recommandable - Insuffisant, tendance à la paresse - Travail soigné et appliqué, aime l'effort - Essaye de bien faire - Manque de volonté - Insuffisant malgré de la bonne volonté - Peu d'efforts - Insuffisant, il est nécessaire d'obtenir un effort de volonté de sa part - Veut réussir - Travail insuffisant malgré beaucoup de bonne volonté - De gros efforts ont été faits, ped; bien faire 14 - Sérieux et appliqué, beaucoup de bonne volonté - De l'application mais des résultats très faibles - Sérieux, très doué en dessin et manuellement - Fait avec application et à un rythme normal - Sérieux et appliqué, ped: bien faire - Pas toujours appliqué - Appliqué et travailleur - Lent, faible en français (nationalité) - Assez satisfaisant dans l'ensemble, doit être stimulé - Nul, aucun effort de réflexion - A fait quelques efforts et quelques progrès ont été enregistrés - Sérieux, capable d'un effort soutenu, résultats assez satisfaisants - Bien appliqué en math - Insuffisant dans l'ensemble, elle pourrait mieux travailler 15 - Sérieux - Très sérieux dans son travail - Sérieux et appliqué - Irrégulier, peu soigné - Soigné - Sérieux, bons résultats - Sérieux et travailleur - Peu soutenu et superficiel - Appliqué - Peu appliqué - Sérieux et soigné - Sérieux et régulier - Lecture très faible, travail très lent - Manifeste de grandes difficuljités pour le travail écrit en français, nécessite dans ce domaine une aide permanente - Fait avec soin et application à un rythme normal ~ Fait avec une application moyenne à un rythme rapide - Pourrait mieux faire bien que peu doué - Passable, peut faire mieux, dans l'easemble - Insuffisant, pourrait mieux travailler 16 - Soigné et bon - Soigné et régulier - Régulier, sérieux, bons résultats - Assidu, suivi et régulier - Peut mieux faire - Rapide et sérieux XXXXiSXâgXgKXMXëOiXX - Rapide mais peu soigné, très insuffisant - Sérieux mais insuffisant, lacunes importantes dans les matières principales - Travail ne correspond pas à celui d'un CM2 - Assez bien dans l'ensemble, n'étudie pas assez ses leçons - Pourrait mieux faire - Régulier, appliqué mais un peu lent 17 - Faiblesse en français, travail irrégulier - Régulier,(malgré des lacunes) - Un peu irrégulier malheureusement - Irrégulier - Irrëgulier peut être meilleur - Peu de travail dans l'ensemble - Très irrégulier et sans résultats - Travail irrégulier - Irrégulier et insuffisant dans l'ensemble - Travaille très peu - Peu ée travail - Rapide - Aucun travail - Très irrégulier - Irrégulier et insuffisant dans l'ensemble - Insuffisant, déchiffre sans trop comprendre ; les mécanismes opératoires ne sont pas acquis 13 - Bon travail, sauf en ortho - Très bon - Assez bon - Satisfaisant dans l'ensemble, orientation souhaitable en 6° II - Bon en math - A peine moyen, insuffisant - Passable - Moyen (peut mieux faire) - Nul - Bien - Normal - Insuffisant - Satisfaisant - Médiocre - Assez satisfaisant, vient de redoubler le CM 2 - Inexistant - Nul en ortho, mais bon en expression orale - A peine moyen, Fatima a des difficultés en math qu'elle pourra surmonter en travaillant - Satisfaisant, a progressé continuellement - Excellent - Travail très insuffisant - Moyen en français, satisfaisant en math - Satisfaisant mais quelques difficultés en français - Bon travail 19 - Peut être à cause des difficultés de la langue, de gros progrès en français - Passable, je ne pense pas que le doublement du CM 2 lui serait d'un grand profit - Arrivé en cours d'année, a eu des notes faibles le premier mois mais a fait des progrès constants et finit dans les dix premiers. - Plus doué pour la rédaction que pour le calcul, s'ex¬ prime assez bien, résultats moyens, bonne volonté - Retard en langue française - Difficultés en français - Les résultats scolaires sont faibles malgré des aptitudes intellectuelles normales - Passable, vu un milieu familial étranger "dévalorisé" - Résultats insuffisants surtourt en français - Elève appliqué dans son travail mais manque de possi¬ bilités en raison de sa situation d'enfant de travailleur immigré - Insuffisant, difficultés dues à la langue - Très bonne volonté mais d'origine italienne est très handicapé surtout en ortho - Résultats moyens dans l'ensemble, faibles en français en raison du handicap de la langue - Bea^ucoup de bonne volonté mais aucun résultat, Zaici est en France depuis 6 mois. . ..y . » -