LA MARGINALISATION DE L'ENFANT ETRANGER PAR L'ECOLE DU PAYS DE RESIDENCE Communication de Michel ORIOL Colloque du Centre Européen Culturel de Delphes 30/9 - 3/10/80 S-3 1 Gunnar MYRDAL,dans son fameux ouvrage "An American dilerama" mon trait que l'une des faiblesses essentielles de la socié¬ té américaine résidait dans la contradiction profonde entre j d'une part,1*idéologie égalitariste qui a présidé à la créa¬ tion et au développement des Etats Unis et,d'autre part les inégalités liées structurellement à la société à l'économie libérale. On sait que depuis que cette analyse a été effectuée, en dépit de luttes mémorables et de changements non négligeables, la contradiction qui marque ainsi la société américaine ne s'est pas résolue, au point môme qu'on assiste à un renouveau des thèses eugéniques qui avaient pris naissance au début du XX ôme siècle et qui impliquent l'inégalité biologique des races. Il faut bien convenir que ce problème et les évolutions aux¬ quelles il donne lieu a maintenant un siège en Europe dans la / ligne des séquelles des immigrations massives des années 60. Non seulement les phénomènes de discrimination frappent les immigrés et leurs enfants, inégalement sans doute mais géné¬ ralement dans tous les pays industriels qui ont fait appel à eux, mais encore voit-on apparaître l'écho dee thèses racis¬ tes qui exercent une influence néfaste sur les idéologies po¬ pulaires américaines. Dans leurs formes les plus extrêmes,ces thèses relatives à l'inégalité des aptituflés selon les origines raciales et cul¬ turelles ne soulèvent point de mystère. Platon, au IV° livre de la République expliquait déjà que pour faire admettre 2 l'inégalité sociale, il fallait fabriquer des mythes sur l'iné¬ galité des origines des hommes; les uns provenant de métaux purs et lo» autres do matériaux sans noblesse qui les dénl- gnaient par là môme à tins ne demeurer que laboureurs ou artisans. Ba±Hfc Aujourd'hui il est clair que les logiques so¬ ciales actuellement dominantes conduisent à assigner aux en¬ fants de travailleuss immigrés la place que leurs parents ont exercée dans l'appareil de production, quand taLen même ceux ci sont arrivés illettrés, ignorants de la langue du pays de résidence, incapables souvent de s'adapter à la civilisation urbaine qu'ils découvraient, et ceux-là, au contraire, arrivés jeunes ou nés dans les pays industriels, ont fréquenté pendant des années l'école dont ils ont assez largement Maîtrisé la langue et les outils intèllectuels. On conçoit que toute idéo¬ logie qui permet, même arbitrairement, de justifier l'inégalité, va être reprise et développée pour faire admettre une opéra¬ tion discriminante qui ne trouve aucune justification ration¬ nelle et morale. Mais ce qui est plus préoccppant, c'est qu* indépendamment de ces pratiques racistes et de ces idéologies fascisqntes, on assiste à un fonctionnement des institutions que l'on peut qualifier de naraal^ l'école, la crèche, les lieux du travail social, etc. telles qu'elles aboutissent/ln' 1ïli?nôr cette place inférieure et nécessaire au développement de l'éco¬ nomie moderne,qiand bien même les acteurs sociaux de cette opération de discrimination ne sont pas eux mêmes du tout ad¬ versaires des principes fondamentaux de 1'égalitarisme démo¬ cratique. Et ajoutons que par là on va bien au-delà de la discrimination. Il s'agit d'une opération encore jius drastique qui coupe les jeunes gens et les jeunes filles d'origine étran¬ gère des jeunes appartenant â la classe ouvrière mais nés dans la communauté nationale ou culturelle du pays de résidence pour les conduire à des statuts et des pratiques marginales. C'est ce point surtout que je voudrais brièvement aborder. Les travaux qui ont été conduits à 1'IDERIC^ Université de Nice, notamment ceux que Jean-Pierre ZIROTTI a effectués qur les procédures d'orientation à l'entrée de l'enseignement secondaire, confirment ce que l'on savait déjà des analogies entre le sort scoààire de l'enfant étranger et le sort sco¬ laire de l'enfant français d'origine ftfcxaxgftxB populaire telles' que les traaaux bien connus de BOURDIEU-PA88ERON7BAUDELOTT è-, k 14 " t»*..., C rvr ESTABLET ont 1-ac-gement diffueées. En particulier, les deux phénomènestqui se renforcent mutuellement du retard scolaire et de l'orientation vers les filières les moins nobles, ou pour parler cnflment, les filiôres"dêpotoireS, sont incontesta¬ blement des phénomènes généraux. Mais, même en se contentant deschiffres dont on dispose au niveau global, il est déjà re¬ marquable d'observer que les différences des groupes, en ce qui concerne ces deux phénomènes, varient significativement selon les groupes culturel&.j j Je ne peux pas dire la citoyen¬ neté puisque par exemple la différence entre les Algériens et les enfants issus dos** communautés de harkis n'est pas très grande et qu'elle n'est pas toujours, paradoxalement, en faveur des enfants à qui l'on a donné la citoyenneté française. Elle j 5, \ n , \ t * n'est pas non plus fonction de la différence culturelle puis- 4 qu'en général les Pottugals sont beaucoup plus retardés et beaucoup plus discriminés «Justement que las Algériens./ Il est donc incontestable que, sans que ce soit une fonction simple de la durée de séjour, l'appartenance culturelle induit des effets importants dans la scolarifeétion. Et c'est pour entrepris mieux les comprendre que Jean-Pierre ZIROTTI a aeeompii une analyse très fine des procédures d'orientation. Bien entendu cela ne permet pas de mettre en évidence,puisquéil s'agit tire $ de procédôaes formellestles attitudes particulières des ensei- r çfknts. Mais si les résultats ont été significatif s ,c * est pré¬ cisément que c'est l'appareil dans ses règles qui semble en ! cause et non point les attitudes idéologiques de tel ou tel enseignant. En effet on observe que 1 performances égales, en constituant des échantillons de français d'origine populaire et des étrangers, â performances égales donc, les chances d'otientation vers les filières nobles sont inférieures pour las enfants d'originesétrangère à ce qu'elles sont pour les enfants d'origine française. Et si l'on poursuit l'analyse des raisons de ce phénomène, en se livrant à ce qu'en termes ">\f tof *•" \ * * vV' ^ / d'une façon tout & -fatfe—indépendante d'aptitudes( pour autant qu'on puisse les mesurer)et de capacités/ pour autant que l'école les reconnaisse^ que les enfants d'orighe étrangère se retrouvent exclus de la possibilité de promotion sociale. Jf Il est donc certain qee;ai il n'y a pas quantitativement pour 1'instant/Hêîinquance lââêâii^e des communautés étrangères dans la jeunesse, qualitativement la délinquance a une tout autre signification^ Précisément parce qu'elle peut être sur- déterminée symboliquement comme l'expression d'identité. Mais, inversement, il est certain que cette expression d'identité peut aussi se retrouver, et chez les quelques enfants étrangers qui arrivent à franchir toutes les barrières^et chez ceux qui, en dépit de leur exclusion scolaire, arrivent à maîtriser des sf\ instruments d'expression. Bt'çài peut donc d'attendre, et ce fait commence à apparaître en France, à ce que des inteèlec- tuels organiques puissent organiser 1 ' expression^d^M complexe de cette identité^qui est à la fois une idebtité ouvrière, à 8 à la fois une identité ethnique et 5 la fois peut être une nouvelle forme d'identité universelle qui transcende les différences que nous figeons eu ) dtipdf.hu i en dépit do l'inter¬ nationalisation des échanges culturels, économiques, etc. Aussi, après avoir étudié en premier lieu ce qui nous sem¬ blait méthodologiquement aller de soi la façon dont sont trai¬ tés les enfants d'immigrés attendons-nous beaucoup de la recherche où nous nous engageons en coopération internationale au niveau européen sir la façon dont l'identité des adolescents de la deuxième génération se structure dans le3 divers S*r de l'expérience sociale et sur la façon dont cette expression d'identité est susceptible de modifier quelque chose de notre histoire commune, cette histoire que beaucoup trop parmi nous ne reconnaissent pas encore comme une histoire commune. Mais, sans attendre davantage, il est clair que l'on peut essayer de développer beaucoup plus qu'on rje le fait aujour- d'hui le pluralisme à 1 ' école* "dtaatttft'rtMMrt en modifiant profon¬ dément les connotations culturelles des textes, des travaux que l'on soumet aux enfants^ Jl y a quelques années par ex. nous n'avons pas trouve dans les livres de lecture des écoles \ de Nice la moindre référence à des enfants étrangers.) D'autre VA.» ' <*l fft part, il est certain' que surt—la connaissance de l'expression dans la langue d'origine, un effort considérable est à accom¬ plir qui n'est pas simplement résolu par le recours à l'appren¬ tissage officiel de la langue nationale. Ce qui est en cause 9 c'est la norme institutionnelle et il faut qu'aussi bien que dans l'énoncé du problème d'arithmétique que dans la présen¬ tation non dogmatique de la norme orthographique ^la différence cesse d'apparaître comme un stigmate et puisse être^par 1'en- possible d'information et d'échanges positifs et stimulants. Nous ne pensons pas que le développement du pluralisme sco¬ laire ira sans conflit^ Mais c'est précisément parce que comme les autres lieux bureaucratisés, l'école se dévitalise que les anfant3 sont tentés d'aller chercher ailleurs parfois,hélas totalement » / de façon/incontrôlée la craie vie. ri jjh.o* v * »-W Ouvrages de référence ABOU SADA (G.), GALLOO (F.), JACOB (R.), TRICART (J.P.) La condition de la deuxième génération des immigrés. Rapport de Recherche - CRESGE. Lille, 197(>, 159 p. BAUDELOT (C.), ESTABLET (R.) L'Ecole capitaliste en France. Par\s : Ed. Maspéro (Coll. Cahiers Libres 213-214), 1971, 340 p. L'Ecole primaire divise... Paris : Ed. Maspéro, 1975, 119 p BOUDON (R.) L'analyse mathématique des faits sociaux. Paris: Pion, 1967, 462 p. L'inégalité des chances. Paris : A. Colin, 1973, 237 p. BOURDIEU (P.), PASSERON (J.C.) La reproduction. Paris : Ed. de Minuit, 1970, 279 p. Les héritiers. Paris : Ed. de Minuit, 1964, 179 p. 10 CHAZALETTE (A.) La deuniôme génération d'immigrants dans la région Rhflne-Alpes (Jeunes Algériens et Portugais). Groupe de Sociologie Urbaine. Lyon, 1977, 148 p. C.R.E.D.I.F. "Scolarisation de3 enfants étrangers". Enseignement public France métropolitaine. Statistiques 1976/1977. Décembre 1977, n° 34. DANNEQUIN (C.), HARDY (H.), PLATONE (F.) "Le concept de handicap linguistique : Examen critique". In C.R.E.S.A.S. n° 12, 1975. I.N.R.D.P. Paris. LAWLER (J.) Intelligence - Génétique - Racisme. Le quotient intellec¬ tuel est-il héréditaire ? Paris T~Ed. Sociales, 1978, 132 p7 MACMANARA (J.) The effects of instruction in a weaker language. Journal of Social Issues. Vol. XXIII, n° 2, 1967. ORIOL (M.) "Transposition et rupture des structures familiales dans les communautés immigrées". Document pour leSéminaire de 3e cycle ; Université de Nice : IDERIC, 1977, 5 p. "Les cultures en mouvement : propos épistémologiques à l'écoute des communautés immigrées ? In Pluriel, n° 14, 1978, pp. 13-27. WILLIS (P.E.) Learnlng to labour. How working class kinds get working class jobs. Westmead, Farnborough (G.B.), 6©ed, 1980, 204 p.