i LE NOUVEL ORDRE ECONOMIQUE ET LA FORMATION DES IMMIGRES par Michel ORIOL Texte complémentaire au rapport final de l'étude effectuée par 11IDERIC-CAFRI pour le compte du Conseil Régional Provence-Côte d'Azur: "Eléments pour la définition d'une stratégie régionale de formation des milieux immigrés" B U. NICE 099 0000130 C. 113+ B.& Février 197^ SOMMAIRE 1 - SITUATION GLOBALE 1 - 5 2 - LES ASPECTS CULTURELS DU NOUVEL ORDRE ECONOMIQUE , , 5 - 11 2.1. La notion de "self-reliance" (Compter sur ses propres forces) 6 - 7 2.2. Le transfert de technologie 7-8 2.3. La participation au développement 8-9 2.4. La spécificité culturelle des voies de développement 9 - 11 3 - LA FORMATION DES TRAVAILLEURS IMMIGRES A LA LUMIERE DE LA NOTION DU "NOUVEL ORDRE ECONOMIQUE 11 - 16 3.1. "Self-reliance" (Compter sur ses propres forces) 11 - 1? 3.2. Transfert de technologies 13 - 13 3.3. Participation 13 - 15 3.4. Spécificités 15 - 16 4 - CONCLUSION ET TABLEAU SYNOPTIQUE 16 - 17 LE NOUVEL ORDRE ECONOMIQUE ET LA FORMATION DES IMMIGRES 1 - SITUATION GLOBALE. Depuis deux ans, la nécessité de s'acheminer vers un nouvel ordre économique mondial est reconnue de façon prati¬ quement universelle. Ce thème est au centre de tous les grands débats internationaux, et a fourni l'essentiel de l'ordre du jour de ses instances principales (Assemblées Générales des Nations Unies, Conférences de la CNUCED, de l'ONUDI, Conférences sur l'alimentation, réunions des pays exportateurs de matières premières et des pays membres de l'OPEP, Conférence Nord-Sud). Dans ses aspects les plus généraux, cette nouvelle orien¬ tation revient à contester radicalement la possibilité de réduire les inégalités et d'assurer le développement ("le nouveau nom de la paix") en faisant confiance au jeu officiel des mécanismes de marché qui contribuent au contraire à ren¬ forcer les pays dominants, le "libéralisme" ne servant le plus souvent qu'à déguiser des rapports de force. En d'autres termes, cela revient à poser que les initia¬ tives volontaristes doivent désormais l'emporter sur les mécanismes institués dans les relations économiques interna¬ tionales, si l'on n'accepte pas que les bénéfices du progrès technico-scientifique échappent partiellement ou totalement à une partie, croissante et déjà largement majoritaire, de 1'humanité. Qu'il y ait dans ces proclamations le risque de se con¬ tenter de conjurer oar une rhétorique égalitaire les menaces de remise en question des rapports de force actuels, c'est assez clair. Les discours et les résolutions n'aboutissent - 2 - qu'assez rarement à des décisions ayant une portée effective (1). Il est clair que corriger un système établi par un volon¬ tarisme, c'est aller vers des actions plus difficiles à con¬ cevoir, à faire accepter et à développer. Mais, inversement, le nouvel ordre économique a plus de chances d'ouvrir des orientations nouvelles dans les secteurs d'activité les plus directement influençables par la ré¬ flexion collective et les débats d'ordre idéologique. Aussi peut-on s'attendre à ce que l'éducation et la formation des adultes trouvent dans ce nouveau climat de discussions et d'échanges des chances de réformes profondes, même s'il est vrai qu'elles ne sont pas au centre du problème des déséqui¬ libres internationaux. On lit notamment dans le "Rapport Dag Hammarskjôld 1975" préparé à l'occasion de la septième session extraordinaire de l'Assemblée Générale des Nations Unies (2), "la réglemen¬ tation et la planification concertées de la période de tran¬ sition entre l'ordre actuel et le nouvel ordre découlent aussi de la nécessité d'écarger un certain nombre de dangers qui menacent les pays du Tiers Monde. Une démarche sélective s'impose. Elle aurait pour but : - de procéder à la localisation de nouvelles industries dans les pays du Tiers Monde de façon rationnelle sur le plan économique... Ces transferts pourraient prévoir : (1) Rappelons que le pourcentage du PNB consacré à l'as¬ sistance internationale dans les pays occidentaux est en décroissance, au mépris des résolutions que ces mêmes pays approuvent dans les instances internationales. Dans le cadre de l'OCDE, seule la Suède se conforme au taux de 0,7% préco¬ nisé par l'ONU, la Belgique, le Canada, le Danemark, l'Aus¬ tralie, la Norvège, la France et les Pays-Bas transfèrent entre 0,4% et 0,62% du PNB, la Grande-Bretagne et l'Alle¬ magne 0,38% et tous les autres Etats, y compris les USA, le Japon, la Suisse, moins de 0,30%. Au même moment, les pays de l'OPEP ont consacré de 8 à 10% de leur PNB à l'assistance internationale. (2) Le rapport a été publié en français sous le titre "Que faire", et en anglais sous le titre "What now ?" par la Fondation Dag Hammarskjôld (Ovre Hottgatan 2, 752 20 UPPSALA, Suède). - 3 - - des programmes de formation, dans tous les pays qui emploient des travailleurs immigrés, en fonction des besoins du pays d'origine en matière de qualification et d'emploi" (p.105) (souligné oar nous). Sans mettre aussi précisément en exergue la relation entre le nouvel ordre économique et la formation des immigrés, les rapports adoptés en Septembre dernier à Linz, lors du Congrès de l'Association Européenne des Instituts de Forma¬ tion en vue du Développement, s'inspirent également d'une orientation nouvelle : l'accent n'est plus mis sur la diffu¬ sion des techniques élaborées dans les pays du centre, mais sur la nécessaire décentration des buts d'une telle forma¬ tion et des institutions qui s'en chargent. La déclaration de Persépolis, adoptée à l'issue de la réunion qui a rassemblé un groupe d'experts internationaux à l'occasion du dixième anniversaire du Programme Mondial d'Alphabétisation Fonctionnelle (3-8 Septembre 1975) est une autre illustration de ce cours nouveau. Elle s'ouvre par les phrases suivantes : "Le nombre des analphabètes ne cesse de croître. Il reflète l'échec de politiques de développement indifférentes à l'homme et à la satisfaction de ses besoins essentiels... Des succès ont été remportés lorsque l'alphabétisation a procédé d'une volonté de répondre aux besoins fondamentaux de l'homme, depuis les nécessités immédiates de la vie jus¬ qu'au besoin de participation effective aux mutations de la société". Les implications de tout ce courant d'idées sont assez claires en ce qui concerne le nroblème de la formation des immigrés en vue de leur retour éventuel au pays d'origine. On ne peut que regretter que les autorités gouvernementales n'aient pas publiquement assuré la relation qu'on est néces¬ sairement conduit à instaurer en ce domaine entre le problème des marchandises et de la monnaie et le problème des hommes (3) . Mais la remise en question qu'il convient d'accomplir sans tarder ne saurait se limiter aux programmes conçus en vue du retour des immigrés, dont le démarrage lent et diffi¬ cile s'explique précisément car le décalage, sinon le conflit, entre les intérêts économiques prépondérants dans le "Nord" et dans le "Sud". D'une part, en effet, il est actuellement impossible de faire des prévisions tant soit peu précises sur le nombre et le statut des travailleurs immigrés, qui, à terme, retourne¬ ront dans leur pays d'origine. Il est clair que la France va s'orienter de plus en plus nettement vers une politique assi- milationniste pour pallier la chute du taux de natalité ; mais la crise structurelle de l'économie capitaliste ne fa¬ cilitera pas cette politique, que bien d'autres facteurs (recrudescence des idéologies fascisantes, mobilisation de l'identité culturelle des groupes minoritaires) peuvent al¬ térer ou compromettre. D'autre part, le nouveau cadre économique implique des changements d'ensemble dans le rapport de force entre le "Nord" et le "Sud" : les pays naguère colonisés seront amenés à promouvoir la dignité de leur image culturelle bien au-delà des limites de la stricte appartenance nationale. Dans le cadre du séminaire organisé par le réseau interuniversitaire de formation à Alger en Avril 1975, les responsables algé¬ riens ont clairement laissé à entendre que la promotion col¬ lective de la communauté d'origine algérienne en France constituait à leurs yeux une préoccupation plus marquante que l'éventuelle réinsertion dans l'économie nationale des travailleurs immigrés ; notamment, lorsqu'il constatent que (3) La conférence prononcée par le Président Giscard d'Estaing à l'Ecole Polytechnique le 28/10/1975 ne fait aucune mention des dimensions culturelles du nouvel ordre économique. Les mesures envisagées par le Secrétariat d'Etat à l'Immigra¬ tion ne font référence pour l'essentiel, qu'à la conjoncture nationale, et non au déséquilibre des structures interna¬ tionales. - 5 - les adolescents d'origine nord-africaine qui ont pu effec¬ tuer dans le système français une scolarisation d'une durée normale se retrouvent néanmoins massivement orientées vers les filières les plus dépréciées, ils s'inquiètent de ce que l'on pourrait appeler la persistance de "l'ancien ordre culturel" (4). On peut, en résumé, s'attendre à ce que, dans le domaine de la formation et de l'éducation, il y ait une interrelation de plus en plus permanente entre des questions posées, dans les pays en voie de développement, par les objectifs relatifs à un nouveau type de croissance et celles que soulèvent, dans les pays développés, la préparation au retour des tra¬ vailleurs immigrés ou leur accès au même type de dignité et de responsabilité que celui que revendique leur pays d'origine dans le domaine des raoDorts internationaux. 2 - LES ASPECTS CULTURELS DU NOUVEL ORDRE ECONOMIQUE. Comme je l'énonçais précédemment, le Président Giscard d'Estaing n'a fourni à l'opinion française qu'une définition du nouvel ordre économique réduite à ses aspects économiques (4) Dans un rapport antérieur qui vient d'être réédité (Les effets de la formation sur les travailleurs immigrés), l'équipe de 1'IDERIC-CAFRI soulignait que, pour la plupart des immigrés, l'accès à la formation était institué, en fait, en termes si restrictifs qu'il ne permettait pas de s'intro¬ duire sur le marché du travail,dans les conditions - si dé¬ fectueuses et pénibles qu'elles soient - que connaît la clas¬ se ouvrière d'origine française ou européenne. En d'autres termes, ils se trouvent, de fait, exclus des règles du jeu (inégal) entre employeurs et salariés par des mécanismes de dissuasion, qu'ils acceptent de moins en moins d'intérioriser. On retrouve des mécanismes analogues dans le secteur de l'éducation. Mais les risques qu'ils impliquent sont plus élevés. L'adulte, même s'il n'accède que de façon encore limitée à l'expérience syndicale, bénéficie des régulations et des solidarités dans le cadre de sa communauté. L'adoles¬ cent est conduit, parce qu'il éprouve très tôt qu'il "n'est pas dans le coup", à n'intérioriser aucune règle, fût-elle élémentaire, de la conduite sociale. Un appareil scolaire où persiste la domination culturelle peut véritablement être considéré comme un lieu d'apprentissage de la délin¬ quance . - 6 - et monétaires et tronquée de toute affirmation de la néces¬ sité de rééquilibrer aussi très concrètement les échanges culturels (y compris dans leur dimension technico-scienti- fique). Lorsque, à la fin de son propos, il rappelait qu'il "faut respecter la libre détermination des nations", cela demeurait une affirmation de pur principe, parce qu'il ne 1'assortissait pas de l'examen des conditions effectives de l'exercice de cette liberté. Les différents documents inter¬ nationaux mentionnés plus haut ont pourtant contribué à les formuler (5) en des termes généraux qu'on peut rassembler sous quatre rubriques principales : 2.1. "Self-reliance" (Compter sur ses propres forces) 2.2. Nécessité d'organiser les transferts de technologie 2.3. Assurer la participation des travailleurs aux chan¬ gements visés 2.4. Maintenir la spécificité culturelle des voies de développement 2.1. La notion de "self-reliance" (Compter sur ses propres forces). Elle fait référence à la préférence systématique à ac¬ corder à tout facteur endogène du développement par rapport à ce qu'on peut attendre de l'échange international. Cela correspond à l'effort pour optimiser l'usage des ressources locales, en particulier les ressources humaines, la créativité, en même temps que pour rompre avec des dé¬ pendances qui offrent les occasions renouvelées du chantage politique et de la surexploitation économique. Elle n'in¬ terdit toutefois nullement la coopération. (5) Voir le rapport Dag Hammarskjôld 1975 : "Le principe de l'égalité des nations, qui s'est peu à peu imposé, est largement mystificateur car, dans la pratique, les nations ne détiennent pas le même pouvoir ... L'égalité formelle entre partenaires inégaux se traduit par une domination des plus forts sur les plus faibles". - 7 - Elle est susceptible de s'affirmer à différents niveaux d'organisation : local, national, régional (au sens interna¬ tional du mot). 2.2. Le transfert de technologie. Si l'on prend sérieusement en compte la nécessité de réé¬ quilibrer les structures de production, on ne peut limiter le problème du transfert de technologie à une simple ques¬ tion de restructuration géographique (ce qui n'écarterait ni la tentation d'utiliser le Tiers Monde comme égoût pour "dépolluer" le centre, ni le maintien des dépendances par rapport aux foyers actuels de l'initiative scientifique ou technique). La formation des hommes est essentielle à un authentique transfert de technologie, à la différence d'un simple trans¬ fert de techniques, en particuliers de techniques devenues indésirables au centre. Ce point est énergiquement souligné dans divers documents internationaux : "We are of the view that the transfer of technology, if it is to be effective, has to be more concentrated on the spécifie requirements of the developing countries and more integrated into their internai structures, so as to become self generating ... Indigenous centres are in the best posi¬ tion to adapt technology to local needs and to build up the capacity to utilize local ressources, both human and physical for the development of the society" (6). (6) Towards a new international order, report by a common wealth experts group. Commonwealth Secrétariat (Août 1975). Traduction française : "Nous sommes d'avis qu'un véritable transfert de technologie doit davantage se concentrer sur les besoins spécifiques des pays en voie de développement, et s'intégrer à leurs structures internes, de façon à déclencher un processus autonome ... Des centres situés sur place sont les mieux placés pour adapter la technologie aux besoins lo¬ caux et pour former la capacité d'utiliser les ressources locales, tant humaines que naturelles, pour le développement de la société". - 8 - "Le fond du problème ne réside pas dans l'importation des connaissances des techniques - l'exemple du Japon le montre bien - mais dans l'absence de sélectivité, et, sur¬ tout, dans le paiement de la technologie sans s'être assuré son contrôle, et encore moins sa reproduction et son adap¬ tation" (7). Ces dernières garanties concernent au premier chef les processus d'éducation pour lesquelles s'imposent raccourcis et ajustements : "Comment peut-on».. continuer à parler du problème de transfert de technologie comme s'il s'agissait de prendre par la main des centaines de millions d'habitants du Tiers Monde pour les amener à l'école et attendre qu'ils fassent tout le cycle ? A-t-on pris soin de leur apprendre le schéma électrique du réfrigérateur, du poste récepteur radio ou télé, avant de le leur vendre ?" (8) 2.3. La participation au développement. Les deux conditions précédentes - "self-reliance" et adaptation des technologies - seront réalisées de façon d'autant plus précaire et d'autant moins énergique que la responsabilité des actions de développement demeurera l'apa¬ nage d'une couche plus étroite de cadres fortement influen¬ cés par les modèles culturels étrangers (notamment en matière de consommation). L'accroissement du nombre des agents sociaux en mesure de prendre des initiatives économiques et sociales, l'emprise renforcée des contrôles collectifs sur le fonctionnement global des institutions liées à la production n'apparaissent pas dans le cadre du nouvel ordre économique comme des re¬ vendications purement inspirées par des idéaux et des souhaits. Ces évolutions sont nécessaires à la mise en oeuvre très (7) Rapport Dag Hammarskjôld 1975, p. 102. (8) Habib Boulares, ancien Ministre de l'Information en Tunisie in Agecop Liaison, Bulletin de l'Agence de Coopéra¬ tion Culturelle et Technique, Décembre 1975. - 9 - pratique et très concrète des mesures prises pour atténuer les dépendances actuelles. "Croit-on que lorsqu'on exclut les paysans ou les ou¬ vriers de toute responsabilité dans le système de production, lorsqu'on assujettit la recherche scientifique au profit, lorsqu'on impose des modèles d'éducation destinés à rendre les écoliers ou les étudiants étrangers à leur propre cul¬ ture ou à en faire de simples instruments dans le processus de production... ces nratiques n'atteignent pas au projet de développement, qu'elles ne créent pas une lésion du corps social ?" (9) 2.4. La spécificité culturelle des voies de développe¬ ment. La conception d'un nouvel ordre économique est particu¬ lièrement convaincante dans la dénonciation qu'elle effectue de la possibilité et de la légitimité de l'extension au monde entier des modèles de croissance des pays les plus avancés en matière technique et scientifique. La revendication d'une spécificité des voies de crois¬ sance est donc d'abord la conséquence d'un constat très positif : à supposer même qu'on ferme les yeux sur ses dé¬ fauts les plus manifestes (destruction de l'environnement, maintien des inégalités sociales, développement de l'anomie), on ne peut ignorer que le modèle dominant est si coûteux en capital et en ressources non renouvelables que sa diffusion universelle est inconcevable. "There is a pressing need to establish built in proces¬ ses and international mechanisms to bring about a more rapid accumulation of capital - including human skills and organi- zation - within the poor societies, relative both to the hitherto distressingly slow historical process in these countries and to the hitherto relentlessly speedier process (9) Rapport Dag Hammarskjôld 1975, p. 27. - 10 - of capital formation and technological advance within the already wealthy societies" (10). La résolution adoptée par l'Assemblée Générale de 1'ONU le 1/5/1974 a souligné en plusieurs endroits cet impératif. Au moins deux des principes qu'elle énonce y font référence : "d) droit pour chaque pays d'adopter le système écono¬ mique et social qu'il juge être le mieux adapté à son propre développement et de ne souffrir en conséquence d'aucune dis¬ crimination ; p) ... promotion du transfert des techniques et création d'une structure technologique autochtone dans l'intérêt des pays en voie de développement, sous une forme et selon des modalités qui conviennent à leur économie". Ces voies spécifiques impliquent une priorité aux acti¬ vités comportant une faible intensité de capital ("labour intensive technologies"). La formation des hommes vient ainsi, de nouveau, se présenter comme un facteur très important de l'établissement du nouvel ordre. Comme il a été énoncé plus haut, les efforts requis ne seront consentis que dans les conditions d'une participation effective des travailleurs au développement. Or, les voies du consensus et de l'organisation populaire sont fortement dépendantes des traditions culturelles. "La lutte pour la réalisation de l'identité culturelle, souvent par le biais d'un processus de libération culturelle intégré dans un processus global de développement, est particulièrement importante ... C'est dans la culture que résident les nouvelles (10) Towards a new international order. p.28. Traduction : "Le besoin est pressant de mettre en oeuvre des processus endogènes et des mécanismes internationaux pour conduire à une accumulation plus rapide du capital - y compris des ressources et de l'organisation sociales - au sein des sociétés pauvres en regard d'une part, de la lenteur jusqu'ici désespérante des processus historiques dans ce pays, et, d'autre part, de la vitesse implacablement supérieure du processus de formation de capital et des progrès de la technologie au sein des sociétés déjà opulentes". conceptions des objectifs du développement" (11). 3 - LA FORMATION DES TRAVAILLEURS IMMIGRES A LA LUMIERE DE LA NOTION DU "NOUVEL ORDRE ECONOMIQUE". Les quatre principes directeurs que nous venons d'ana¬ lyser ont déjà commencé à orienter les critiques de l'état actuel des choses et à inspirer des projets dans le secteur de la formation des travailleurs immigrés. Il nous incombe de développer ces vues, critiques ou positives, pour mettre les actions au niveau des grands débats internationaux. 3.1. "Self-reliance" (Compter sur ses propres forces). La déclaration adoptée à l'issue du symposium interna¬ tional pour l'alphabétisation (Persépolis) oppose nettement deux effets radicalement différents des actions de formation "L'expérience a montré que l'alphabétisation peut entraîner l'aliénation de l'individu en l'intégrant à un ordre établi sans lui. Elle peut l'intégrer, sans sa participation, à un modèle étranger du développement, ou, au contraire, donner des possibilités d'épanouissement à sa conscience critique et à son imagination créatrice". Force est de constater que, dans l'état actuel des choses, la plupart des actions de formation ne font que ten¬ dre à renforcer une attitude de docilité, qui est le produit "normal" de l'expérience du chantier et de l'usine (12). La dépendance règle : (11) Rapport présenté par M. Johan Galtung (Université d'Oslo) au nom du Groupe de travail présidé par M. Ismaël Sabri Abdallah (Directeur de l'Institut de Planification du Caire) au Colloque organisé à Alger (24, 27 Juin 1975) par le Centre International pour le Développement. (12) Voir le rapport publié par l'équipe de 1'IDERIC- CAFRI sur "Les effets de la formation sur les travailleurs immigrés" qui insiste sur le caractère essentiel de l'inté¬ riorisation des règles des institutions dominantes (Nou¬ velle édition 1976). - 12 - - les finalités et les contenus, régis par le marché de la société d'accueil, - les modalités d'organisation, - les relations pédagogiques. Les révisions à venir, liées ou non aux formations en vue d'un retour éventuel, seront, dans ces conditions, dif¬ ficiles et progressives. La relation pédagogique est, à condition de s'en donner les moyens, le terme le plus directement modifiable. La dé¬ pendance peut, à ce niveau, notablement décroître si l'on recourt, chaque fois que c'est possible, à des formateurs appartenant à la même communauté que le formé. "Ces derniers (les alphabétiseurs) ne doivent pas être constitués en un corps professionnel spécialisé et permanent, mais recrutés le plus près possible de la population à alphabétiser et issus du même milieu socio-professionnel ou d'un milieu proche, afin de favoriser le dialogue". Cette recommandation de la déclaration de Persépolis ne peut ici être suivie à la lettre : dans un contexte très institutionnalisé, c'est, au contraire, en permettant un accès à la professionnalisa- tion en tant que formateurs que les immigrés peuvent cesser de retrouver dans la relation pédagogique l'image indéfini¬ ment répétée de leur incapacité d'être autonomes. En matière organisationnelle, on peut souligner que la "self-reliance" implique que les moyens utilisés pour former soient suffisamment simples pour être contrôlés et réappropriés "Il convient de proscrire tout emploi des moyens audio¬ visuels qui aurait pour effet de faire obstacle à une parti¬ cipation active et au dialogue humain... L'alphabétisation devrait inciter ceux à qui elle s'adresse à acquérir un large éventail de compétences dans tous les domaines de la communication". On écartera donc tout matériel onéreux dont il est exclu que l'immigré trouve à bon compte l'équivalent une fois re¬ gagnée sa patrie, ou même sa communauté d'exil. Mais, à l'inverse, il peut être essentiel que l'immigré apprenne, - 13 - par exemple, la photographie ou le cinéma, au même titre que l'usage des machines ou de l'écriture : il doit découvrir que sont à sa portée des produits et, surtout, des produc¬ tions que sa subordination culturelle l'amène à croire inacessibles. La finalité des contenus et des programmes, enfin, rejoint la question du transfert et de la réappropriation des tech¬ niques . 3.2. Transfert de technologies. Il est impossible, pour des raisons assez évidentes, de tenir compte, dans la formation des immigrés, de la recomman¬ dation inscrite dans la déclaration de Persépolis : "Les structures plus favorables seraient ... celles qui, au plan professionnel, assurent aux collectivités un réel pouvoir de contrôle sur les technologies qu'elles veulent utiliser". A défaut d'un tel pouvoir, les actions de formation peuvent comporter : - un apprentissage plus intensif des ajustements et de l'entretien des instruments et machines dont l'usage est enseigné (des programmes trop formalisés découragent l'in¬ géniosité dont beaucoup d'immigrés font preuve dans l'as¬ similation de nos habitudes techniques). - une initiation prioritaire aux technologies douces à mesure que leur mise au point et leur diffusion facilitent leur adaptation à des environnements divers (la région Provence-Côte d'Azur peut sur certains points prétendre constituer un véritable banc d'essai, en raison de ses particularités à la fois écologiques et culturelles). 3.3. Participation. On lit dans la déclaration de Persépolis : - 14 - "L'alphabétisation est efficace dans la mesure où ceux à qui elle s'adresse, en particulier les femmes et les caté¬ gories les plus déshéritées (telles que les travailleurs migrants) en éprouvent la nécessité pour satisfaire leurs exigences les plus profondes, notamment leur besoin de par¬ ticipation aux décisions de la communauté dont ils sont membres. L'alphabétisation est donc inséparable de cette parti¬ cipation qui en est à la fois le but et la condition... Une mobilisation profonde des ressources humaines implique l'a¬ dhésion des alphabétisés comme des alphabétiseurs... Cette mobilisation sera d'autant plus efficace qu'elle fera une place plus grande aux initiatives des populations visées et à la concertation avec elles, au lieu de s'en tenir à des décisions bureaucratiques imposées en dehors et d'en haut" (termes soulignés par nous). Ici encore, appliquer des recommandations aux travail¬ leurs immigrés ne va pas de soi. Les modalités d'adminis¬ tration, de financement, de gestion des programmes actuels sont fortement ancrés dans nos propres traditions bureau¬ cratiques . Il convient donc de multiplier les actions organisées au plus près des communautés, en faisant définir par leurs membres les problèmes qu'elles affrontent, et les contri¬ butions qu'un programme spécifique peuvent apporter à leur solution collective. Il ne faut donc pas considérer l'entreprise et les ins¬ titutions spécialisées comme les lieux exclusifs des actions de formation : le cadre de la résidence communautaire, dans le contexte des collectivités locales, doit être favorisé pour toutes les actions destinées à promouvoir la participa¬ tion. Il demeurera que la condition des immigrés permet malai¬ sément de conjuguer le pôle technique et le pôle social, l'accès à l'autonomie par la maîtrise des outils et des machines, et l'accès à l'autonomie par la promotion collec- - 15 - tive des initiatives. On sera donc amené à essayer la fécon¬ dation mutuelle d'expériences qui demeureront initialement distinctes quant à leur cadre institutionnel et à leurs finalités directes. 3.4. Spécificités. Selon la déclaration de Persépolis : "Les modalités de l'alphabétisation doivent s'inspirer des conditions spéci¬ fiques du milieu, ainsi que de la personnalité et de 1'iden- ditê de chaque peuple..." Dans le cas des immigrés, les "conditions spécifiques du milieu" (L'expérience commune de la condition ouvrière) ne s'identifient pas pleinement avec l'affirmation de l'iden¬ tité culturelle. Mais les risques qui demeurent actuellement les plus marquants tiennent à cette méconnaissance de la spécificité culturelle qui provient de l'ancien ordre économique, dont les dominants sont convaincus qu'ils incarnent le seul mo¬ dèle universel à copier. Toutes les études actuelles rela¬ tives à la réinsertion des immigrés montrent qu'ils jouent très souvent un rôle négatif, en introduisant des modèles de consommation et d'entreprise individualistes qui repré¬ sentent un facteur redoutable d'aliénation. Inversement, l'affirmation de la spécificité ne semble constituer un obstacle ni à la formation de la conscience de classe, ni à un processus d'intégration : le changement so¬ cial n'est vécu dans l'anxiété que s'il est éprouvé dans "1'étrangement". On peut donc souhaiter que les formations en vue d'une réinsertion éventuelle soient conçues en fonction de parti¬ cularités culturelles à la fois reconnues et acceptées, mais on peut aussi tendre à écarter les préjugés et les craintes que les réseaux communautaires continuent à inspirer dans le contexte des institutions de formation ou de l'école. Il faut que chacune d'elle instaure des lieux d'expression et - 16 - d'échange des identités culturelles. 4 - CONCLUSION ET TABLEAU SYNOPTIQUE. Deux formules, l'une négative, l'autre positive, de la déclaration de Persépolis tracent le champ des débats à venir et des initiatives à prendre : "Il est vrai que toute structure sociale engendre le mode d'éducation propre à la maintenir et à la reproduire, et que les finalités de l'éducation sont subordonnées aux finalités des groupes dominants : mais il serait faux d'en conclure qu'il n'y a rien à faire à l'intérieur du système existant". "Même si le champ d'application privilégié (de l'alpha¬ bétisation) est représenté par le Tiers Monde, le nouvel ordre international lui confère un caracfèpe d'universalité à travers lequel doit se manifester la solidarité concrète des réactions et la communauté de destin des hommes". La Méditerranée fut un foyer d'idéologies universalistes. Elle peut redevenir un centre privilégié pour l'élaboration d'un nouvel ordre culturel. Aspects culturels essentiels à la conception du nouvel ordre international Obstacles actuels à surmonter en matière de formation des immigrés Projets possibles Compter sur ses propres forces (self-reiiance) Exercice de la domination cul¬ turelle dans î - la finalité dos programmes - leur organisation - la relation pédagogique - Développer des apprentissages transposables, - Utiliser des instruments contrôlables, - Former des formateurs immigrés Transférer des technologies Insertion des travailleurs dans des structures "capital in¬ tensive" Faible qualification visée - Développer l'exercice des ajus¬ tements et entretiens dans l'usage des instruments et des machines - Initier aux technologies douce Développer la participation Organisation bureaucratique Organiser des programmes de formation-animation au sein des communautés Respecter les spécificités Pseudo-universalisme de l'en¬ seignement des sciences et des techniques - Organisation très spécifique des préparations au retour - Utilisation pédagogique des ressources communautaires