EXCLU DU PRÊT Avril 1977 COLLOQUE INTERNATIONAL SUR LA SITUATION ACTUELLE ET L'AVENIR DE L'ANTHROPOLOGIE EN FRANCE ANTHROPOLOGIE ET CHANGEMENT DES FORMES SOCIALES TRADITIONNELLES Rapport sur les travailleurs immigrés du Tiers-Monde en pays industrialisés, par MICHEL ORIOL 1. Un retard à constater et un manque à combler. Un constat s'impose d'emblée : le discours de l'anthropologie française sur les communautés immigrées est singulièrement mince. Il suffit d'en référer d'un côté à d'autres pays d'immigration, j'entends les pays anglo-saxons j d'autre part, il n'est que de comparer, sur ce thème»la bibliographie des titres d'économie, de sociologie, de démographie, voire de psychologie sociale à ce qui ressort communément de l'anthropologie. 1.1. Dès 197la revue "Urban Anthropology" symbolise et exprime un effort systématique d'application des méthodes de l'anthropologie aux communautés urbaines ; lorsqu'il s'étend aux villes américaines et britanniques, il tend à promouvoir des études très spécifiques des modes d'organisation des groupes immigrés. Ce n'est pas qu'on les ait jusque-là ignorés. Mais ils ne formaient - et ils ne forment encore dans la plupart des études françaises - qu'un chapitre dans le cadre de tableaux qui juxtaposent des thèmes plutôt qu'ils ne combinent ou ne confrontent des disciplines : l'emploi, le logement, la famille, B U. NICE llllllllillll 099 0000163 C. ^2% Bv2 2 le loisir, la relation au pays d'origine, etc... Ces rubriques font référence plus aux catégories de la gestion politique de la communauté immigrée par l'Etat où il réside qu'à des concepts anthropologiques tels qu'ils ont pu être proposés, dans des cadres doctrinaux divers, pour rendre intelligibles les structures et les changements relatifs à des formations sociales foncièrement différentes de la nôtre. La littérature française - et, généralement, celle de l'Europe continentale - est souvent abondante et de bonne qualité lors¬ qu'elle est proprement politique et sociale, et vise à infor¬ mer, organiser, défendre, proposer. Mais l'étude de la circu¬ lation des biens non marchands, de la dynamique des rôles familiaux, de l'évolution des symbolismes religieux, demeure embryonnaire. Le décalage apparent, comme il arrive souvent en sciences sociales, ne se situe donc pas entre Amérique et Europe, mais entre les pays anglo-saxons et les autres. Il s'explique, en première analyse, assez facilement : dans des conditions où prédominent des courants d'immigration, où la perspective du retour au pays d'origine est pratiquement exclue, où la recon¬ naissance du pluralisme culturel est déjà ancienne, le recours à l'anthropologie a pu progressivement être légitimé sans obs¬ tacles majeurs (l). (l) Il ne faut pas, bien entendu, confondre cette légitimité sociale du recours à l'anthropologie avec une validation d'ordre proprement épistémologique. Elle peut correspondre à la reprise, "naïve" et acritique, des traditions anthropologiques héritées des époques de domination coloniale : "Anthropologists are in— creasingly developing an interest in cities due to the fact that the peoples we have traditionnally studied are migrating to urban areas, especially in Latin America and Africa" (Urban Anthropo- logy, IV, 4. Winter 1975, p. 333). Cette façon très "écologique" de définir le terrain d'études en fonction des mouvements de la population visée (le gibier ?) ne va pas sans de considérables difficultés lorsque celle-ci ne fait que rejoindre des "minorités" dès longtemps implantées et structurées (Chicanos, Noirs...). Si, par exemple, on invite l'anthropologue désireux d'étudier les • • . /.. 3 1.2. Inversement, l'Europe continentale a centré ses intérêts sur les facteurs économiques des processus de migra¬ tion et sur les relations des travailleurs au marché de l'em¬ ploi. Si l'on considère le champ d'ensemble des sciences sociales, il est plus adéquat de parler d'une perspective différente, plutôt que d'un retard. Conçues en fonction de situations de migrations différentes, les études, de part et d'autre, n'analysent pas les mêmes types de faits. Attentive aux conditions du maintien des spécificités, l'anthropologie anglo-saxonne prend malaisément en compte les déterminants d'ordre global : s'inspirant souvent de la théorie des réseaux de Barnes, elle tend au psychologisme, en réduisant, par exem¬ ple, le salariat à n'être qu'une dimension parmi d'autres d'un statut spécifique. Mais, inversement, tout se passe de notre côté, comme si l'intégration à la classe ouvrière était l'équi¬ valent parfait d'une assimilation culturelle, la seule question pertinente qui resterait en suspens étant celle de la mobilité géographique. 1.3. Ainsi schématiquement présentée, cette antinomie permet de saisir les enjeux du développement d'une étude an¬ thropologique des communautés immigrées en France. Ils sont modestes dans leur portée immédiate, et très importants à terme, en contribuant à la reconsidération critique de la di¬ vision académique des sciences sociales, et de leur rôle socio-politique. D'abord, il convient de souligner que l'anthropologie ne peut venir dans le champ des migrations que pour affiner le traitement de variables dépendantes. Récession, crises et po- (...) Sikhs à Los Angelès à adhérer à leur communauté religieuse (Urban Anthropology, III, 1, Spring 1974)f on ne précise pas ce qu'il doit faire pour y étudier les groupes noirs ou chicanos ... 4 litiqu.es d'emploi, peuvent être légitimement abstraits de toute considération anthropologique parce que les stratégies de l'économie marchande sont effectivement indifférentes à la spécificité concrète des cultures. En d'autres termes, l'an¬ thropologie des communautés immigrées doit être assumée comme une analyse des modalités historiques de la domination de certaines formations sociales par d'autres. Mais les leçons, rétrospectives et prospectives, à atten¬ dre de cette analyse, sont loin d'être insignifiantes. Jusqu'à quel point, dans le passé, n'avons-nous pas illé¬ gitimement défini les cultures par des traits intrinsèques, en négligeant les systèmes de relations interculturelles (notam¬ ment les dominations) sans lesquelles ces traits étaient scien¬ tifiquement inintelligibles ? Les confusions du débat relatif à l'identité culturelle illustrent, certes, la difficulté à passer de l'idéologie à la science, mais aussi l'emprise de modèles substantialistes et normatifs (2). Comme peuvent l'illustrer également les "réveils" des na¬ tionalismes dominés, on ne saurait trop s'émanciper du schéma selon lequel l'anthropologie permettrait de définir des cul- (2) Maxime Rodinson souligne énergiquement ce point dans sa préface à l'étude qu'Ahsène Zehraoui a consacré aux "Travailleurs algériens en France". Mais lui-même, extrapolant quelque peu les conclusions de Zehraoui, écrit : "L'aisance (relative) développe l'affirmation de la spécificité, tandis que la misère a tendance à pulvériser les groupes de type ethnique". Or, Carole E. Hill propose la conclusion inverse à propos des groupes immigrés à Atlanta (Urban Anthropology, IV, 4, Winter 1975* p. 339): "This process of deemphasizing ethnicity happens more often as the socio-economic status of the people rises". A notre sens, ceci illustre bien le défi que représente la discordance profonde entre deux "approches" insuffisamment cons¬ cientes des limites que leur imposent les conditions où elles se sont élaborées. On ne voit guère comment sortir de ces contra¬ dictions sans dialectiser des notions comme "spécificité", "eth- nicité", et même "groupe", en les resituant dans des systèmes de relations objectivement reconstruits. 5 tures dont on mesurerait ensuite aomment les politiques les respectent ou les aliènent, les expriment ou les trahissent. Les conditions de gestion de l'identité - par les pouvoirs et les institutions extérieurs ou intérieurs au groupe - font partie de sa définition même. L'application de l'anthropologie aux communautés immigrées ne va donc pas sans des interroga¬ tions fondamentales sur le rôle "acculturant" de nos usines, de nos écoles, de nos hôpitaux... (3). Ici se retrouve, au bout du compte, la confrontation avec l'analyse et la prévision économiques en des termes très dif¬ férents de l'anthropologie économique déjà constituée, parce qu'il s'agit des formations sociales à venir. L'internationalisation du marché conjugue une uniformisa¬ tion croissante des aspects culturels de la vie quotidienne des pays industrialisés avec la détérioration rapide de leurs rela¬ tions avec les pays soumis aux néo-impérialismes. Les communautés immigrées se trouveront placées à la ren¬ contre des logiques, de plus en plus difficilement compatibles, de la gestion des biens et de la gestion des identités. Leurs formes de mobilisation collective seront essentielles pour la compréhension historique de la crise de 1'Etat-nation dans les pays économiquement développés. Il semble qu'il y ait là suffi¬ samment à faire pour que l'anthropologie ne s'enferme pas au musée. (3) Les contributions apportées ou inspirées par P. Bourdieu montrent des voies par où s'engager dans l'exploration de ces terres mal connues - parce qu'elles possèdent la fausse évidence de la familiarité. 6 2. Des obstacles à ne pas sous-estimer. Quelque amendement que l'on apporte à ce programme, il faut convenir que les premiers pas pour le développer seront coûteux et difficiles. Les obstacles sont de trois ordres : idéologique, méthodologique, épistémologique. 2.1. Certaines résistances idéologiques sont prévisibles et explicables - ce qui ne signifie pas qu'elles soient d'au¬ tant plus faciles à surmonter. L'exploitation, la formation et l'assistance paternalistes déguisent sous la revendication de pragmatisme à court terme, le refus d'admettre que l'immigré soit, ou puisse être autre que ce qu'on lui dit de faire. Mais, à cette version à peine modifiée du discours de la gestion co¬ loniale, s'oppose un autre discours du refus de la spécificité : c'est celui d'un marxisme sommaire pour qui l'anthropologie, en soulignant les diversités culturelles au sein de la classe ouvrière, nuit à son indispensable unité. Le malheur veut que ce discours soit particulièrement inintelligible, dans son uni¬ versalité abstraite, à ceux qu'il prétend défendre (4). (4) Ces notations rapides ne prétendent pas faire l'écono¬ mie de l'indispensable approfondissement du débat sur les rela¬ tions entre appartenance de classe et appartenance culturelle. Il ne s'agit ici que de signaler des résistances, dont malheu¬ reusement l'effet peut être considérable sur le blocage de la recherche. S'il m'est permis d'évoquer un incident où j'ai été personnellement impliqué, je rapporterais que le directeur d'une association de formation très paternaliste s'est exclamé, à la Préfecture de Marseille en Avril 1976, à la lecture d'un pro¬ gramme de recherches portant notamment sur l'évolution de l'iden¬ tité des adolescents nord-africains : "Il suffit de lire le titre de ces études pour voir qu'elles ne servent à rien". Ce propos a reçu l'appui des représentants du patronat, et de cer¬ tains membres de l'administration... Pour illustrer, à l'inverse, une démarche exemplaire, on rappellera l'article de Dany Gisler dans "Les Temps Modernes", où elle montre comment des militants ont appris progressivement à reconnaître la spécificité et la légitimité des formes d'or¬ ganisation sociale - gérontocratiques - d'un groupe de travail¬ leurs d'Afrique Noire. Ce texte est d'ailleurs l'une des très rares contributions à l'analyse ethnologique de ces communautés en France. (Les Temps Modernes. n° 320, Mars 1973j pp. 1603/1651). 7 De ce point de vue, on ne saurait sous-estimer le fait que le discours sur l'identité est désormais socialement et politiquement recevable. Il incombe, au moins partiellement, S 0 aux anthropologues d'éviter qu'il ne dévoie complètement. 2.2. Mais s'il ouvre la possibilité d'une pratique scien¬ tifique, encore faut-il que celle-ci se fonde méthodologiquement par l'adéquation à son objet. Forte est ici la tentation de se contenter d'appliquer aux immigrés les instruments dont l'usage est familier aux praticiens de la sociologie, notamment l'interview individuelle et le ques¬ tionnaire. Or, il s'agit là de l'un des points où la revendica¬ tion de la spécificité de l'anthropologie est le mieux fondé : que signifie l'interview dans des groupes où l'échange symbo¬ lique est la norme de la communication, où la notion même d'opi¬ nion individuelle, telle qu'elle est consacrée dans nos Etats par le vote et l'isoloir n'a guère de signification, où la ri¬ chesse rhétorique des stratégies de réponse ne se conforme pas aux dénotations digestibles par l'ordinateur ? Les pires arte¬ facts ont été produits par ces instruments insoucieux des formes spécifiques de l'expression et de la communication collectives. Notamment, le dualisme sommaire entre "tradition" et "modernité" qui domine la sociologie américaine depuis D. Lerner y trouve des confirmations irréfutables : les instruments de vérification présupposent que le répondant entre dans l'idéologie qui sous- tend les questions du sociologue.(5) (5) Lorsqu'Andrée Michd, dans son dernier ouvrage : "The moder- nization of North African families in the Paris areay 1974 - Groupes novateurs et valeurs familiales des travailleurs algé¬ riens. Cahiers Internationaux de Sociologie, 55, 1973, situe à l'avance les réponses de ses sujets sur l'axe "modernité-tradition", elle s'interdit, entre autres, de prendre en compte les straté¬ gies pratiques par lesquelles les immigrés inventent des solutions à leur situation contradictoire. Par exemple, dans telle famille algérienne, le frère aîné "se débrouille" pour n'être pas en si¬ tuation publique de désaveu de la conduite de sa soeur, tout en sachant fort bien qu'elle ne se conforme pas, en son absence, à • • • j • . 8 Il semble donc sage, actuellement;, de s'en tenir aux méthodes traditionnelles de l'observation anthropologique, en ne tirant parti du discours, notamment, que s'il est recueilli dans des conditions d'expression culturellement motivantes, c'est-à-dire, en règle générale, lors d'un usage spontané dans la communication de groupe. On pourra objecter que l'observation ne permet pas de répondre aux questions essentielles que pose l'évolution des groupes immigrés provenant du Tiers-Monde. En effet,celle-ci n'exprime pas seulement la migration et la domination cultu¬ relle qui lui est associée, mais aussi l'urbanisation, mais aussi l'intégration à la classe ouvrière et les formes de domination concomitantes. Les bandes d'adolescents nord-afri¬ cains des quartiers Nord de Marseille ne sont pas, a priori, très différentes de celles qui regroupent des Français à Nantes ou des Algériens à Oran. Il est vrai que la rigueur méthodologique réclame des plans d'observation où les membres de ces communautés soient comparés à des ruraux urbanisés au pays d'origine, et à des Européens socialisés au sein de la classe ouvrière. On ne peut que regretter que le coût de cette rigueur soit si rarement connu et que l'internationalisation de la recherche devienne (,..)la norme reconnue par la famille. Aussi contestera-t-on vivement les conclusions qu'elle induit des questionnaires. Il est douteux, selon nous, que les femmes représentent un "groupe novateur" au sens que donnent à ce terme les socio¬ logues américains. Ces remarques critiques ne tendent nulle¬ ment à diminuer le mérite d'Andrée Michel qui fut la première à montrer la complexité de l'évolution des structures fad- liales dans les communautés immigrées en France. Sur 1'ethnocentrisme des outils de la sociologie acadé¬ mique, on pourra se reporter au premier chapitre de la publi¬ cation de l'IDERIC : Les effets de la formation sur les travailleurs immigrés (Nice, 1975)• 9 de plus en plus difficile (6). 2.3. Ces embarras méthodologiques expriment un problème fondamental, dont la difficulté n'est pas étrangère à bien des prudences et des abstentions. Si l'on prend pour référence les schèmes épistémologiques proposés par "l'Anthropologie structurale", la communauté im¬ migrée vient déranger la belle ordonnance des oppositions per¬ tinentes entre disciplines : le marché du travail la voue aux modèles statistiques (d'où la tentation de "sociologiser" son étude), mais, même dans sa mobilité professionnelle, elle utilise les relations de parenté qui relèvent de modèles méca¬ niques, (d'où l'irremplaçable contribution de l'ethnologue) (7) Toutefois, ces relations sont manipulées par les straté¬ gies des dominants et des dominés en fonction de leurs propres modes de gestion de l'identité (8). Nous serions donc plutôt (6) Précisons également que la ségrégation dont l'immigré fait l'objet dans son emploi et sa résidence rend souvent illu¬ soire la recherche des conditions "toutes choses égales d'ail¬ leurs", Lasque nous avons voulu comparer les effets de la formation reçue en F.P.A. sur les immigrés et sur les Français, nous nous sommes heurtés à ce simple obstacle que, statistiquement, ils ne se trouvaient pas en nombre significatif dans les mêmes sections. (7) Ajoutons que, dans le même ouvrage, l'auteur propose une autre distinction, non moins difficile à appliquer à nos popu¬ lations : "Alors que la sociologie s'efforce de faire la science sociale de l'observateur, l'anthropologie cherche, elle, à éla¬ borer la science sociale de l'observé..." Il est vrai que le discours anthropologique dérange sérieusement 1'ethnocentrisme de la sociologie des migrations. Mais l'observé est ici en situation de concurrencer dangereusement l'anthropologie puis¬ qu'il élabore sa propre théorie comparative. (Selon des obser¬ vations de Francine Soubiran, il considère communément que la différence entre le droit français et le droit tunisien est religieuse ; l'un est chrétien, l'autre musulman...). (8) Les critiques que P. Bourdieu a adressées à l'usage d'une conception mécaniste des modèles de parenté s'appliquent clairement aux communautés immigrées. Les stratégies d'alliance, jouant sur deux tableaux, sont même encore plus complexes que celles qui sont décrites dans "l'Esquisse d'une théorie de la Pratique". 10 portés à voir l'antinomie essentielle qu'il faut assumer du point de vue épistémologique entre l'étude des régularités d'ordre statistique et celles des modes de totalisation sym¬ bolique , 3. Un modèle à proposer. Il n'est cependant pas question de distinguer des régu¬ larités imposées par les dominants aux réactions de totali¬ sation symbolique que leur opposent les dominés. Car chaque système culturel suppose une articulation entre des régula¬ rités et des totalisations : le marché du travail est d'abord le cadre de l'exercice des régularités, tandis que l'école donne priorité à 1'intériorisation progressive d'un cadre symbolique de référence (9). (9) Il ne s'agit pas ici de comparer, comme le fait la dernière brochure du Secrétariat d'Etat aux Travailleurs Immigrés, des degrés de contrainte : "Isolé culturellement, abandonnant la - discipline floue de l'école pour les contraintes de l'usine, le jeune étranger manque de points d'appui" (La nouvelle poli¬ tique d'immigation, 1977). Il s'agit de poser un tout autre problème : comment se fait-il que le jeune immigré aille en finJde compte, selon des déterminations statistiques, assumer les positions économiques que le marché cb l'emploi' lui désigne - c'est-à-dire les postes non qualifiés - alors que l'école exerce directement, en pre¬ mier lieu, la "violence symbolique" (modification de l'image du groupe et de soi-même, apprentissage du prestige attaché aux langues et à leurs différents niveaux, etc...) ? La réinterprétation par les parents musulmans, du pres¬ tige attaché au maître (Cheikh) et à la lecture (Qraïa) ne semble pas étrangère au respect paradoxal que conserve l'ins¬ titution du dominant, lors même qu'elle échoue à satisfaire les aspirations (observations de S. Andizian et JP. Zirotti). MODELE MULTIDIMENSIONNEL DE L'ACCULTURATION < Gestion de l'identité par le dominant Modalités de domination faisant prédominer les prati¬ ques (Régularités) Modèles de domination faisant prédominer les symbo— lismes (Totalités) Gestion de l'identité par le dominé 11 Ainsi, schématiquement, on peut proposer un modèle multidimensionnel de l'acculturation qui combine deux sys¬ tèmes de relations : - la relation dominant/dominé - la relation des régularités pratiques aux totalisations symboliques L'acculturation cesse alors d'être forcément conçue dans le cadre normatif et linéaire de la "modernisation". Elle n'interdit pas de concevoir une autonomie relative des dominés dans la façon dont ils gèrent les relations entre modalités pratiques et symboliques de leur condition, sans que cela signifie a priori qu'ils "préservent" ou "conservent" un 'patrimoine" . Le rôle de "maintien de l'identité" attribué aux femmes peut, par exemple, trouver un sens qui ne renvoit pas forcément à l'image idéologique de "gardienne du foyer". 4. Conclusion. Si anthropologie et prospective peuvent tenter une ren¬ contre aventureuse, on s'efforcera de tirer de ce modèle quel¬ que idée des possibles concernant les générations à venir, que visent des attentes et des craintes qui risquent d'être également aliénante^ A la forte uniformisation des pratiques qui caractérise une société de services, s'oppose le faible pouvoir d'attrac¬ tion des aspects symboliques de la culture dominante ; la crise de l'école s'accentue, la référence à la condition proléta¬ rienne est vécue "en creux", comme manque à consommerpro¬ cessus "d'assimilation" n'est pas, certes, inconcevable, c ' esb- à-dire l'acceptation de la relation dominant/dominé telle qu'elle se joue dans le pays de résidence dans la dynamique des classes. Mais le déséquilibre latent a chance de caracté¬ riser encore longtemps la façon dont ces groupes, plus ou moins éclatés, géreront leur identité. Comme des cristaux en surfusion 12 qu'on ne peut plus du tout distinguer de la masse du liquide, et qu'un apport extérieur de la même nature cristalline fait prendre en un instant, ils peuvent parmi nous, plus que nous, résonner à l'histoire du monde.