1/ &zrg oej uvo La catégorisation des étrangers dans le cadre de l'évaluation des politiques sociales locales Le nombre des étrangers et leur pourcentage par rapport aux nationaux sont parmi les éléments descriptifs les plus fré¬ quemment et les plus spontanément mis en avant quand il s'agit de présenter les "quartiers à problèmes". La majorité des acteurs sociaux et politiques concernés s'accordent pour conférer à ces informations une fonction d'in¬ dicateur dont le sens n'a pas besoin d'être explicité, tant il est supposé aller de soi. Si l'on essaie de dévoiler cet impli¬ cite et de reconstituer le champ des significations diverses attachéespar les acteurs â cet "indicateur", il semble qu'on peut y repérer unedouble polarité. A un pôle la nécessité de la connaissance des populations étrangères est posée dans le cadre d'un diagnostic de problèmes sociaux. A l'autre pôle ce sont des significations appartenant à l'ordre du politique qui prédominent. C'est dans le cadre de cette variabilité des dispositions des acteurs quant aux significations attachées à l'appréhension de la présence étrangère qu'il faut situer la question du savoir sur ^es populations, et celle de la constitution et de la produc¬ tion de ce savoir dans le cadre d'une évaluation des politiques sociales locales. Analysons brièvement les deux pôles de signification ou les deux cadres d'interprétation : . Cadre social : il faut connaître et affiner la connaissance des populations étrangères (connaissance qui inclut classification et dénombrement appropriés sans s'y réduire...) parce que ces populations ou certaines d'entre elles connaissent ou posent B U. NICE llllilllllllll C 099 0000061 2 des problèmes sociaux spécifiques qu'il faut identifier et suivre. - Problèmes d'insertion (sur le marché du travail, à l'école, dans le logement etc...) - Problèmes de cohabitation (exclusions et rejets dus à diver¬ ses causes; inadéquation des modes de vie aux normes dominan¬ tes; problèmes posés par le maintien de l'identité culturelle.. est . Cadre politique : La présence étrangère/, dans l'absolu, une donnée à mesurer et à contrôler (à doser, réduire, etc...) en dehors de toute référence à un problème social ou culturel précis. Dans cette optique la population étrangère est perçue sous un seul attribut totalisateur et d'essence politique, son altérité par rapport à la population des nationaux. La croissance de cette population est donc plus ou moins confusément ressentie comme montée d'une altérité menaçant l'intégrité du "corps" national. Cette perception de l'étranger comme "autre" politi¬ que est à distinguer de la sensibilité à "la différence" (cultu¬ elle relie, sociale...) est, au contraire, occultation des traits réels, sociaux, par lesquels des étrangers, notamment, diffé¬ rent entre eux, C'est une opération symbolique d'indifférencia¬ tion. Tout étranger réel voit ainsi son image sociale concrète supplantée par la figure-limite de l'étranger comme "autre". L'exigence qui est la contrepartie de (qui a partie liée avec) cette représentation de l'étranger est celle de son assimila¬ tion, au sens de sa disparition comme "autre" (conversion ou rituel symbolique total plus qu'acquisition de traits semblables) D'où la tendance des acteurs de ce pôle de classer plus ou moins implicitement et tacitement les populations étrangères entre po¬ pulations assimilables et populations mal assimilables, et à classer dans cette dernière catégorie les populations (Maghré¬ bins, Africains) dont les traits ethniques ou culturels, quelles que soient leurs dispositions, laissent peu espérer leur invisi- bilisation comme "autres". Cette représentation politique de l'étranger et les attentes 3 qu'elle structure, n'existe si bien chez les acteurs sociaux ou politiques (et souvent dans la conscience du même acteur...) que parce qu'elle est présente, au moins de manière latente chez tous les sujets nationaux, notamment les cohabitants di¬ rects des immigrés, chacun d'entre eux pouvant se sentir à un moment ou à un autre, et légitimement, "comptable" des étran¬ gers de son espace proche. Elle entre donc parmi les facteurs qui contribuent à accroître les difficultés de cohabitation pour ces derniers. Le savoir constitué pour identifier les problèmes sociaux spé¬ cifiques de ces populations, et, à la limite,tout savoir sur ces populations pose le problème de son utilisation., de son ap¬ propriation, par des acteurs se situant dans le cadre interpré¬ tatif et sémantique appartenant à l'ordre du politique tel que nous l'avons décrit. Dans ce cadre, la délimitation même d'un champ de connaissance et d'investigation portant sur les populations étrangères ris¬ que d'apparaître avant tout comme la confirmation scientifique de cette différence d'essence que la perception spontanée tend à attribuer à ces populations,ou,tout au moins,à celles d'en¬ tre elles qui sont jugées inaptes à l'assimilation, au sens où nous avons entendu c§ terme. De même l'identification des pro¬ blèmes de ces populations renforce leur désignation comme "grou¬ pes à problèmes" ces problèmes auraient-ils pour origine l'atti¬ tude de ceux qui les désignent ainsi. De ce point de vue la démande de connaissance sur ces populations se confond avec la demande de leur dénombrement. Cette présence doit être mesurée comme on prend la mesure d'un problème... Pour prévenir les effets pervers - "politiques" - de la produc¬ tion du savoir social sur les étrangers, doit-on prendre le par¬ ti de minimiser leur présence par cette sorte de langage codé qui consiste à ne prendre en compte que certains attributs so- -v de ces populations ciaux/("la nombreuse population de jeunes de ces quartiers ; "la taille exceptionnelle des familles"...)? Cette déconstructio: 4 de totalités sociales - objectives et subjectives - n'apporte rien de bon. Masquer la présence ethnique c'est se placer sur le même terrain que ceux qui la redoutent et anticiper de ma¬ nière volontariste sur 1'"assimilation" de cette présence, en donnant à ce terme le même sens irréel que ceux-là. Il faut, au contaire, construire une connaissance sociale com¬ plète de ces populations c'est-à-dire une connaissance qui in¬ clue, notamment, les effets sociaux de l'appartenance ethnique et de la perception essentialiste dont sont communément l'ob¬ jet ceux qu'elle concerne et qui suscite l'exigence obsession¬ nelle de leur dénombrement. C'est pourquoi nous paraissons répondre à cette exigence et nous conformer à sa logique en identifiant de façon précise les étrangers. Pour nous, distinguer les étrangers par origine nationale ou ethnique, ce n'est pas référer à leurs "natures" différentes, c'est tenir compte des traitements sociaux diffé¬ rentiels qu'ils doivent à la naturalisation de leurs différen¬ ces . Enfin le savoir social sur les étrangers et sa produc¬ tion doit permettre de prévenir certains effets pervers des usa- ges sociaux des catégories statistiques. On constate, en effet, que la catégorie étranger manipulée in¬ trinsèquement et en dehors de tout contexte statistique ou ju¬ ridique précis charrie un contenu sémantique, rien moins que neutre, qui renvoie d'emblée à la figure limite de l'étranger, 1'"autre" politique, 1'inassimilable. Si bien que toute production de chiffre concernant les étrangers, présente au moins une ambiguïté, parfois entretenue à des fins intéressées par les politiques : s'agit-il parmi les étrangers de ceux qui sont acceptés ("assimilables") ou de ceux qui le sont moins ? s'agit-il ou non de populations "à problèmes" ? L'identification précise par origine ethnique et nationale des étrangers et la production sociale de ces informations permet 5 de dissiper cette ambiguïté et de dêconstruire cet amalgame. Cette démarche encourt le reproche de paraître entériner "scien¬ tifiquement" le fait qu'il y a étranger et étranger. Mais encore une fois ce fait est un fait social qu'il est néfaste de mas¬ quer, ce sont les fondements cognitifs et idéologiques de la discrimination qu'il faut supprimer, non l'enregistrement de ses effets. A cet égard la pyramide des âges de la Corse (voir notre précé¬ dent papier) si elle est parlante et techniquement utile, est aussi un exemple frappant du problème que pose la production et l'usage social dans ce domaine d'une information statistique réputée neutre et objective. La zone hachurée qui déforme et grossit la pyramide des autochtones amalgame tous les étrangers c'est-à-dire : - Les membres de la légion étrangère (10% du total des étran¬ gers) -• Les Italiens, désormais unanimement acceptés et dont l'immi- gration est souh#*tée comme enrichissement démographique (voir taux des mariages mixtes) et dont certains comptent parmi les plus grosses fortunes de l'île. - enfin les Maghrébiqs (des Marocains pour la plupart), popula¬ tion composée aux 2/3 de travailleurs en situation de célibat (environ 10.000, souvent enrégimentés dans les grandes exploi¬ tations viticoles de la plaine orientale) et dans laquelle on a du mal à voir se profiler la menace de submersion des po¬ pulations locales par un peuplement d'allogènes, que craignent cerains milieux politiques ou qu'expriment certains média. Cet éclatement de la population étrangère en groupes qui n'ont à peu près rien de commun et surtout pas le traitement social què leur réserve la population d'accueil, n'empêche pas la Corse de.tse proclamer avec un brin de dérision "1ère région française au palmarès de l'accueil des étrangers" (revue de 1'I.N.S.E.E.) tandis que les attentats contre des Maghrébins de l'Eté 1982 (23 dont 3 meurtres) étaient couramment "expliqués" par le nom¬ bre excessif des "étrangers". 6 Une pyramide des âges enregistrant l'apport démographique des étrangers, devrait donc, selon nous, décomposer (déconstruire., «fette catégorie e^s'ajustant aux classifications sociales domi nantes, et faire figurer l'app«?itrt spécifique de chaque popula¬ tion étrangère selon son origine nationale. Une telle présen¬ tation aurait le mérite de poser en des termes clairs la ques¬ tion "propriétés de peuplement" des populations étrangères. Victor BORGOGNO 1er Juin 1985