NOËL VESPER FIGURES DE LA VOIE SACRÉE • -IN OFFICINA • SANC TANDRE ANA PARIS LIBRAIRIE DE FRANCE 110, Boulevard St-Germain, 110 MCMXXXI DU MEME AUTEUR Anticipation à une Morale du Risque. — L'Inquiétude Démocratique. — L'Intempérance Théologique■ — La Barque des Saintes. — L'Impasse Métaphysique. — Le Sens et l'Esprit de la Terre. — Nos Poètes. — Les Protestants. — Perspectives. — Psychologie de l'Absolu. 4 ÂoEL VESPER FIGURES DE LA VOIE SACRÉE • IN OFF1CINA • SANCXANDKEANA PARIS LIBRAIRIE DE FRANCE 110, Boulevard St-Germain, 110 MCMXXXI 092 2148690 IL A ÉTÉ TIRÉ DE CET OUVRAGE: 10 EXEMPLAIRES SUR ARCHES, NUMÉROTÉS DE 1 à 10, ET 500 EXEMPLAIRES SUR ALFAX NAVARRE, NUMÉROTÉS DE 11 à 510. Exemplaire N° 19 Pi iVfT 42a>- 2 S ihZ - tf- A l'amitié de Lourmarin à nos Ombres Immortelles. N. V. DÉDICACE LAURIERS FUNEBRES Lauriers funèbres, non point vous dont les lances portent des roses! Lauriers funèbres, non point ceux de l'Eurotas, ni du Lycée! Lauriers funèbres, ni de gloire, ni de puissance, ou d'artifice! Lauriers sombres du Styx! Lauriers cendreux des bords où vont [/es Ombres; Je vous dévoue un front sans honneurs de poète, Lauriers, et puis [le cœur d'un amant sans plaisirs! EURYDICE I Pour te garder, te prendre au soir impatient De t'entraîner déjà vers l'âge qui menace, Est-il quelque projet que ton amant ne fasse, Ira-t-il conjurer les astres d'Orient? Ou comme le tenta le poète de Thrace Dans le funèbre écho de Cerbère aboyant, Descendrai-je vers l'ombre et le passé fuyant T'arracher, Eurydice, à l'Achéron vorace? Hélas ! il n'est plus rien qui sauve, en un tel jour Où se trouvent liés la Parque avec l'Amour, Ce que tu m'as donné de puissant et de tendre; L'une épuise le cœur et l'autre le désir... Si déjà nous tremblons aux bords du souvenir, Comment survivrons-nous à cette double cendre? — 13 — EURYDICE II « Ah ! de ces tristes bords où le jour est en fuite, Ces rives où tu vois des noirs cyprès la suite Gémissante, et les fûts d'un temple — cet enclos Garde, vide et jaloux, ce qui n'est pas éclos —, J'appelle Orphée.. Orphée! O rives plus parfaites, Mes bras veulent étreindre et mon cœur peut brûler, J'ai frémissant en moi tout l'être à t'immoler. J'arrache mon corps vierge à sa gangue éternelle, Je rassemble mes sens, et mon âme rebelle Je la fixe, la règle, et prépare en secret Le délire ! Demain tout montera d'un jet ! Oui, du sein de Pluton je jaillis dans mes voiles, Molles vapeurs, jusqu'à l'enceinte des étoiles, Pour m'y confondre en vain, si dans l'instant du vol Ta main, ta voix, ton chant ne m'arrêtent au sol! Ose ! C'est l'Eurydice à l'espérant visage, Cette ombre qui bondit du funèbre rivage ! Garde que je ne passe au travers de tes doigts, Chanteur, ou souffle, ou nue, et scande bien ta voix, — 14 — Dis r exacte prière et le rire efficace Qu'ils me retiennent ! Là ! Là même ! Face à face ! Oh ! si tu ne sens pas, toi formé pour l'appel, Pour susciter le fond de l'Erèbe mortel; Que tu ne diras rien qui vraiment ne réponde A ce cri de mon âme errante sous le monde, Rien qui ne soit mon vœu de clarté, les soleils Ras du sol de l'automne, et les canaux vermeils ! — J'imagine d'abord ces lumières mourantes, Mais je puis, si tu veux, lever comme des plantes Mes deux mains vers un ciel plus frais et vigoureux. Les zéphyrs, je les sens, qui poussent devant eux Des lambeaux du matin; je savoure, ô merveille, Que je sois dans l'air pur où pour moi tout s'éveille, Ce jeune corps trempé de joie et de désir ! Que vais-je souhaiter ? Je pourrais tout choisir ! Viens toi seul ! Est-ce toi dont il faut la venue Pour relier la terre à ma forme inconnue, Car nous nous observons, elle et moi, tout d'abord, Sans oser prononcer quel en sera le sort. On dirait, à nos yeux hostiles d'étrangères, Qu'elle craint mon pays qui n'eut pas ses lumières, Et je redoute un piège enroulé sous ses fleurs, Si tu ne fais entrer dans l'orbe des Neuf Sœurs Dansantes, dans le chœur des saisons inégales, Bien détachée enfin de ses sphères fatales, Eurydice ! Eurydice, où suspendu le ciel — 15 — Sur l'ombre est bourdonnant comme un essaim de miel. Et, toi-même, chanteur, suspendu sur ton rêve ! Mais ce n'est pas en vain que la mystique sève Bruit à ton oreille et tourne en ton cerveau Comme un moût écumant dans le bois d'un vaisseau, O prêtre de Bacchus, roi des antres, Orphée ! Le jour vient à travers la terre dégrafée, Les myrtes éternels, tremblent découronnés De leur cendre, les flots par eux-mêmes bornés Se figent, et l'Enfer retenu sur sa pente Fléchit, tel que l'on voit annoncer la tourmente Un peuplier tordu d'un vent soudain et court, Quand bergers et troupeaux se hâtent. Vers le jour, Vers le gouffre nouveau de clarté que tu creuses, Se presse un peuple obscur des âmes malheureuses, Mais ce peuple invisible est celui-là qui met Entre nous deux, Orphée, un tumulte secret. C'est bien ! Tu dis le nom : Eurydice ! Et je monte ! Oui, je voile mon front, pudeur, charmante honte ! Bien plus, en me guidant au jour, tu ne dois pas Me regarder encore et me tendre les bras. Quel désir qui n'ait point épuisé sa matière ! Et qui pourra mener son oeuvre tout entière S'il n'est d'abord son maître et s'il n'a dessiné — 16 - D'un trait qui le limite un cœur discipliné? Quel dompteur du Hadès affirmera sa gloire, Dis-le, s'il craint de vaincre au sein de la victoire? Peut-il, ce grand Orphée aux enfers descendu, Redouter que le ciel ne lui soit pas rendu ? Ou qu'avant d'arriver à la limpide porte Eurydice reprenne une face de morte? L'aurâ-t-il jamais vue et sous les voiles clos Quel être tire-t-il des gouffres du Chaos? Quelle fureur démente insultera la tête Qui doit dans le Strymon rouler pâle et défaite? Comment la sauverais-je?... En abordant le jour, Moi seule je pourrais lui retenir l'amour, Bacchantes !... Or, voici, deuil, tourbillon, vertige, Je tombe, fleur dolente et frappée à sa tige. Quelle nuit me reprend où je lui tends les mains, Infortunée ! Adieu, toi dont les désirs vains, Dont les pleurs, dont les cris vont poursuivre Eurydice ! Une seconde fois tu me perds et je glisse, Fumée insaisissable, ombre parmi les morts ! C'est toi dont le regard me rejette aux noirs bords ! Qu'as-tu fait! Quelle erreur... Déjà l'Hèbre farouche A glacé mon nom même arrêté sur ta bouche. Oui, maintenant adieu ! Mon bonheur avorté Va jeter ton malheur à quelle extrémité ! Ah ! si... » — 17 - Ses yeux flottants disent encore : Orphée ! Et lui, crie : Eurydice ! et sa voix étouffée Par une épaisse nuit lui revient. Quels seront Les brins du laurier noir détachés de son front Dans l'orageux courant ? Déjà, formes rapides, S'échappent des Enfers les tristes Euménides, Elles vont rassembler pour un festin sacré, Les bacchiques fureurs sur son corps démembré, Vers les neiges du Tanaïs et du Pangée. Là, même morte, hélas ! sanglante et naufragée, Sa tête redira, pleine d'ombre et d'horreur, Eurydice, et l'amour, et sa vaine douleur ! — 18 III L'ADOLESCENT ...Il a dressé le bois des cyprès ténébreux, Il voit passer le vol des colombes furtives, Et les couples d'amants s'effacer sur les rives, Les monts céruléens vont déclinant loin d'eux. Silencieux bosquets du songe et d'Aphrodite, Quel visage doré par de suprêmes feux A paru fugitif sous les saules herbeux Que son cœur tout son sang à son front précipite? Ou bien évanouie en l'onde murmurante C'est là qu'a pu vaguer son rêve d'une amante, Pressant une beauté qui ne se fixe pas; / — 19 — S'il se jette à serrer la virginale écorce De l'aube au fût d'argent, il sent encore, hélas ! Quelle fuite est l'amour dont il n'a que l'amorce. — 20 — IV DIONYSOS Si l'orbe où je m'inscris, noir et dernier soleil, Domine seulement les funèbres prairies, Que je semble régner sur les âmes flétries, Poudres d'astres, débris ternes du jour vermeil, Je porte cependant la couronne des ailes Et le thyrse, et je suis l'Hadès et l'Osiris. Regarde bien le feu dont je brille, surpris De mon nom jaillissant du cœur des étincelles. Dis : c'est l'âme de Zeus, la même dont le char Flamboyant d'Apollon disperse les pétales, Les épis de la flamme et les chants des cigales; — 21 — Et la même, ô lumière, où brûle le regard Innocent de Psyché, triste de Perséphone, Fait tourner sur les morts sa mobile couronne ! — 22 — V A L'OMBRE DE ROBERT LAURENT-VIBERT Le sombre laurier des oracles Sur l'étain noircissant de l'eau, Le cyprès dans la brume vague, Sur le toit obscur de l'enclos, L'olivier, dont l'argent s'égoutte Sur l'ombelle de la ciguë, Et signe unique de la route Sur l'eau dansante de la nuit, Une femme, comme le cygne Dont la blancheur s'évanouit, — 23 — Ah ! cher Eudule, au vol des ombres Les jours sont mesurés des dieux; Une douceur dissout le monde Sous l'œil des Mânes soucieux ! VI A HENRI BOSCO, POÈTE Vieux mur latin paré d'olives; La charrue a tranché le sol, Là-bas s'égoutte au fond du val La source vive. Un temple antique. Rien n'est plus Que des assises sous le lierre ! Colonne claire de Vernègue Au bois touffu, Où dure encor Diane Immortelle, Ce beau verger plus que vous meurt. Sur la montagne une vapeur Immense ondule. Un hiver grisonnant et bleu, Sur le troupeau mené du pâtre, Fait flotter les douceurs de l'âtre Et de l'étable. Que dis-tu, Placide, en ce jour De cette brume ainsi mouillée, Grelotte-t-il sous la feuillée Un pauvre amour ? * i VII A GEORGES REMOND, VOYAGEUR II nous faut un César pour des loisirs tranquilles : L'hiver, Sylvain, gronde sur nous ! Récite-moi les vers sacrés de la Sybille, Pendant qu'écume le vin doux, Un brin de laurier noir trempe sur une table Dans un étain souvent poli Par la rustique main d'une Hébé charitable... Ton gobelet l'a-t-elle empli? Désarmons, désarmons les antiques menaces ! Laissons, Sylvain, la part des Dieux ! Les astres sont plus froids cette nuit dans l'espace, Que nos charbons en luisent mieux ! — 27 — # | I i H II M i -J f j i i Les roses reviendront fleurir avec le prince. Alors, Sylvain, est-ce prédit? L'empire, c'est la paix pour la vieille province Gagnons, Sylvain, gagnons le lit, 28 — VIII A HENRI PACON, ARCHITECTE Le chêne et la maison dans le soir assemblés Tous deux semblent pencher vers la basse prairie, Eraste, les beaux jours seront-ils consolés De fuir déjà glissants sur leur pente fleurie? Si tout s'incline, hélas ! et le premier notre âge, Eraste, prolongeons le reflet éternel, Voici que sur ton cœur se mire un beau visage, Visiteur de la source et voyageur du ciel ! Edifie, un instant qui ne mourra jamais, Le songe qui convient à cette heure dorée, A ce premier cristal la pierre aux murs épais Succédera dressant ta demeure sacrée. — 29 — IX ALLÉGORIES Celle que j'aime est douce, elle a tant espéré. Ses yeux sont deux ruisseaux clairs parmi les prairies Et comme s'ils roulaient de fines pierreries, Pleins de feux éclatants sous l'iris diapré. S'ils posent sur mon front il en est inspiré. Voici le blanc troupeau de mes Allégories Qui m'arrive de loin sur des barques fleuries, Par le brillant canal de son œil assuré. O charme des matins et neuves Bucoliques ! Ses yeux ont tant d'espoir que j'en suis éclairé; Mais les soirs ont jeté leurs lumières obliques... — 30 — Celle que j'aime est douce, elle a déjà pleuré, Car voici que les yeux dont je sais l'énergie Sont las comme des eaux d'ombre et de nostalgie ! — 31 X L'ÉTERNELLE HELENE Je sais que vous venez de plus loin que notre âge, Que vous irez plus loin, que j'étais avec vous Déjà dans le passé comme amant, comme époux, Et que l'éternité s'emploie à mon servage ! La mort n'aura sur nous qu'un fragile avantage : Si vous me précédez, je vous suivrai, jaloux, Et d'autres cieux encor seront nos rendez-vous Jusqu'à notre suprême et divin Atterrage ! Ce que l'esprit unit le corps ne peut dissoudre; Tout peut selon sa loi retourner à la poudre, Notre couple sera l'incessant devenir. — 32 — De monde en monde errants et vainqueurs par l'Idée, Je vous tendrai le pur miroir du souvenir : Votre forme y sera par mon désir gardée ! — 33 — XI ENDYMION Parce que sur mes yeux vous avez mis vos lèvres, Des pleurs délicieux ont coupé mon sommeil. Une secrète joie versait de l'âme pleine Dont 1' eau vive montait en perles à mes cils. Le ciel, le ciel nocturne était baigné de lune, Et de cette blancheur tranquille rafraichis, Ils ont senti, mes yeux, qu'avec cette onde pure Naissait un pur bonheur qui les mouillait ainsi ! XII UN FILS D'ULYSSE J'aurai pour toi des soins merveilleux et charmants; Tu seras une reine à genoux honorée ! J 'aurai toute ma vie à tes jeux consacrée : Pour toi je serai prince et poète et marchand. Je te rapporterai des lointaines contrées Des perles, des parfums et de lourds diamants, Des robes dont moi seul connais le tisserand Et de frais éventails pour les chaudes soirées ! Je trouverai des mots qui chanteront tout seuls La douceur de te voir et l'éclat de ton rire... Je trouverai des mots qui vaudront un empire, — 35 — Et chaque instant vécu près des rouges glaïeuls Ou dans l'enchantement de nos chambres intimes Verra ta royauté conquise sans victimes ! XIII SON IMMORTELLE NOUVEAUTÉ Chaque jour le soleil la renouvelle en moi, La revêtant aussi des beautés de la veille, Chaque jour différente et quand même pareille Comme changent les mots qui m'assurent sa foi ! Mais le premier désir me fait toujours la loi, C'est le charme ancien qui toujours me conseille, Comme en sa ruche vient se rendormir l'abeille, Comme en l'âtre l'hiver le vieillard se tient coi ! S'il faut me réchauffer je ne veux d'autre asile Et de nul autre amour, me serait-il facile, Je ne veux obtenir les plaisirs du dehors; Et de nul autre ciel la fraîcheur ne me tente Que celui que je vois qui toujours me contente, Les plus neuves beautés sont toujours dans son XIV ANDROMAQUE Cœur magnifique, auprès de qui s'appellent à grands cris Les anges ! Ils viennent, s'assemblent, regardent, ravis Qu'on ait surpassé leurs louanges ! De leurs doigts purs, mystérieux, Ils forment ensemble un calice, Puis retournent porter aux cieux Les larmes de ton sacrifice ! — 39 — XV PYLADE Devant la solitude immense de la plaine J'ai senti qu'il fallait à mon cœur isolé La foule où l'homme est pris comme en un champ de Afin que du grand vent l'épi tienne l'haleine. En te voyant, ami, je la vois moins lointaine Celle dont le nom seul m'a déjà consolé, L'amante inoubliable et dont je t'ai parlé Un soir qu'ennoblissait le chant d'une fontaine. Je te disais : « Elle est cette lampe qui luit : Plus étroite elle fait me paraître la nuit ; Sa couche qui me prend ne me perd qu'à l'aurore, XVI LES SAISONS La grâce des saisons est de force diverse, Mais leurs biens différents peuvent tout sur mon cœur. Je reçois du printemps le trait fleuri, vainqueur; Un chant d'amour éclate à l'endroit qu'il me perce ! L'Eté m'enveloppant d'une brûlante averse Je ne vois plus le ciel, je ne sens que l'ardeur Jusqu'au soir que ce feu se transforme en odeur Et dans tout un jardin l'infini me disperse ! L Automne, autant changé de fruits que de nuages, Me dit de récolter avant que les orages Ne dépouillent mon arbre aux jets un peu moins verts; — 42 — Mais dans la saison rude, en ta chambre chauffée, Simple vêtue, encor que la tête coiffée, Je te caresse mieux et polis mieux mon vers ! XVII ELECTRE Vous avez tout du ciel, l'ardeur et le sourire, Mais je tremble en vos bras et j'ai peur près de vous, Car le temps est sur nous d'un menaçant empire Et tout amour naissant éveille son courroux ! Que nous goûtions un jour de lumière tranquille Quand la barque peut suivre un courant enchanté, Derrière nous l'orage est déjà sur la ville Et r an ne garde pas plus que nous son été ! Les mauvais jours viendront, les frimas, les détresses, Surtout la solitude et la glace du cœur !... Or, moi, je ne veux pas que passent vos caresses, Amour, je ne veux pas que le temps soit vainqueur ! — 44 — Alors pour conjurer le sort inéluctable Je cherche vainement le geste surhumain; Mais je tombe en vos bras comme un dieu misérable Qui n'a qu'un paradis et le perdra demain ! — 45 — XVIII SAPHO Rien ne te donne mieux que l'instant qui te perd; Cette heure qui n'est plus appartient à mon rêve, Tu la jetas comme une fleur dessus la grève Mais elle avait fleuri sur ton sein entr'ouvert. Et vainement le soir voulut être désert, Ma peine me devint clémente et la nuit brève; Comme la blanche lune à l'horizon se lève L'espoir perçait un ciel de nuages couvert. Car mon cœur qui rôdait jusqu'alors sur tes traces, Dans l'attente qu'un soir d'errer tu ne te lasses, Nostalgique soudain d'amour et de repos, — 46 — A trouvé cette fleur qui roulait sur le sable... O parfum si puissant que, pâle, les yeux clos, Je la crus cette odeur de ton corps qui m'accable ! — 47 XIX LA TÊTE D'ORPHEE Si je me livre encore à tes sauvages ondes, Désespérant amour, C'est que tout le destin de mon âme remonte Se mêler à son cours. Ah! je sais ta fureur, et quels débris tu roules Arrachés de mon cœur... Les plaines où déjà tu t'es tracé la route J'en connais le désert, les sables et l'horreur. Et cependant, Amour, je recommence encore La course aventureuse où je tente la mort, Car le tragique goût de défier le sort C est d'éprouver son cœur et la force nerveuse Dont s'anime le corps. — 48 — f XX ŒDIPE Lumière de mes jours, je vous ai donc perdue ! Tout un écroulement de ténèbres s'est fait. Je tremble l'œil béant au seuil de l'étendue : Je tends mes mains ! Je tends mon être stupéfait 1 Que l'Hadès est profond ! Solitude inouïe ! Comment vivre à présent qu'Antigone n'est plus ! Sur moi le malheur tombe, infernale pluie ! Je mourrai donc : ces maux par les Dieux sont voulus ! f Souvenirs! Tout flattait, charmes incomparables, Un sentiment joyeux, mais encore étonné, Qui pour nous attendait ces larmes délectables Du plaisir quand le corps innocent s'est donné ! — 49 — i ! 4 Souviens-toi ! Souviens-toi ! O Lumière ! Lumière ! Eclaire le passé car le présent nous fuit ! Je vous revois, rayon sous la noire paupière, Grands yeux de qui l'absence a fait toute la nuit ! Je vous revois ! Aux bords languissants du Gallique, Je gémis, je déplore un mal envenimé; Si le soleil couchant dresse encor son portique, Vaut-il un seul des jours où nous avons aimé? Que m'accablent alors de flammes et de cendre Ces yeux qui m'étaient seuls lumière et mouvement ! Qu'au moins leur dernier feu me fasse enfin descendre Consumé de regrets au Tartare dormant ! XXI NARCISSE Ah! Pourrais-je d'un nom le révéler qui j'aime! Cherchez-en le secret aux bords d'une fontaine. Un étrange Bacchus dans un désordre extrême Y sourit douloureux et chantent trois Silènes ! XXII LE SOMMEIL Voici que telle nuit descend sur toi, mon âme ! Voici, telle douleur vient incliner ton front ! Voici tant de regrets, tant d'espoirs qui s'en vont, Que le dégoût de vivre emplit la vie et brame... La vaste horreur des jours dont m'attriste la flamme, Cette ombre sur la mer de mon amour profond; Et cette vanité des choses dont le fond Echappe taciturne au verbe qui l'acclame! Voici que tout cela clôt mon œil à demi, Que le pâle sommeil, comme un dernier ami, Vient s'offrir dans le soir éloigné de l'aurore. — 52 — XXIII ANTIGONE h Mon cœur est terrassé sous les coups de la mort; Etends sur lui tes grandes ailes, ô mon ange ! La divine pitié c'est de couvrir les corps, Navrés ou moribonds ou maculés de fange ! 3- Je ne veux maintenant de ton lucide amour Que ce silence sur moi-même, Où je baigne en tes yeux, mais les yeux clos au jour ; Où je respire encor, mais déjà sans haleine ! — 54 — XXIV A TRAVERS LE VOILE Tu déchires d'un mot le souvenir d'un soir Tendu comme un beau voile autour de ma pensée. Mais en vain, car les trous de l'étoffe blessée Sont des jours à travers lesquels je sais te voir. Ainsi tu ne peux plus déjouer mon espoir; Tu ne peux, même alors que l'étreinte est lassée, Même quand tu défends ta bouche caressée, Proscrire un tel amour s'il renonce à t'avoir. Alors n'écarte plus ton âme de mon âme, Laisse-toi pénétrer de l'immortelle flamme Sans craindre que nos corps n'en détournent l'ardeur, Tu peux tout sur moi-même et rien sur ma tendresse; Veux-tu me refuser la fleur de ta jeunesse, J aurai du moins senti le parfum de ton cœur ! XXV ARIANE Non, le gouffre grondant, laborieux Labyrinthe, Mon cœur douteux et dur tu ne le connais pas ! Quel fil pourra guider, mal convaincus, tes pas ! Et quand te voudras-tu dégager de l'étreinte? Ariane,ô puissant prestige de la mer, Odeur des îles et des crêtes qu'environne La rapide trirème, et la vague d'automne Qu'en feras-tu glissante?... Hélas! l'amour te perd! Ne revois pas le jour ! Ne conduis pas aux rives ! Reste à jamais liée à notre double nuit ! Pour retenir mes yeux dont l'éveil déjà fuit, Que nos ombres jamais ne semblent fugitives ! — 57 — Ne dis pas que Thésée ou veut vivre ou mourir ! Qu'en sait-il, s'il n'est pas en toi d'autre espérance Ni de ciel, ni de flots, ni de vents, ni cadence De rames ; vainement Athènes peut fleurir ! Il se déplie en moi, plus perfide, un dédale Que tu ne vaincrais pas, où tu m'égarerais, Si tu tends devant toi les funestes attraits D'une route inconnue à tes espoirs fatale. N'éveille pas des yeux curieux de lumière, Pour révéler au cœur son secret mal éclos ; Quel beau sacre étonnant de prince et de héros Si de tes bras je fuis, ô folle conseillère ! Dans le sein florissant de la noire complice, La nuit, où le Taureau monstrueux est maté, Ebaucher un seul pas hors du temps arrêté, C'est toi-même indiquer qu'il faut qu'on te trahisse. Alors tu t'écrieras sur une roche obscure, Au battement de l'eau mugissante à tes pieds, Sur ton amour félon, tes jours sacrifiés, Et tu m'accuseras de la vaine blessure ! Mais moi, je me dirai : « L'imprudente victime. Elle a tout déchainé, le sort, l'onde et les dieux ! » Car tu m'ouvris le seuil propice aux audacieux; Ma voile est sur la mer, mon vol est sur la cime ! — 59 — XXVI DELOS Sainte Délos, ô fontaine de marbre, Bois de lauriers, Lauriers ! Lauriers ! à peine le seul arbre Pour le refuge des ramiers ! Sainte Délos, où la pierre est vivante, Déjà d'un corps, Tel que fleurit la colonne d'acanthe Ou d'Apollon aux cheveux tors ! Sainte Délos, favorable à Latone, Artémis fuit, Pourpre flottante, et soudain tourbillonne L'aboi des meutes dans la nuit ! XXVII PSYCHÉ O Psyché ! ô Psyché I quoi toujours la pareille ! Toujours même labeur d'infatigable abeille ! Toujours la même veille et le même souci! Le même, qui remplit cette lampe d'argile D'une huile vigilante et qui pourra durer Jusqu'à l'aube, où viendra le jour tranquille et vide, Je le sais, ô Psyché, Psyché toujours avide ! Qu'une aurore toujours, hélas ! fera pleurer ! — 61 — XXVIII DELPHES Je nouerai de mes bras tes superbes genoux, Car un jour qu'Apollon, nimbé de cbeveux roux, L'arc en main, assaillit de ses flèches divines Les flancs nus et pressés des tremblantes collines ... .Leur père, le neigeux Parnasse en a pleuré Jadis, et l'on a vu d'un marbre déchiré Jaillir dans une vasque, où l'onde se délie, La Nymphe au corps glacé, l'âme de Castal'ie ... ! Oui, rafraîchi par elle et brûlé par le Dieu, Bien plus ! presque à demi piétiné sous l'essieu Du quadrige flambant qui labourait les cîmes, Expirant, j'arrivai jusqu'aux portes sublimes. Là, les marbres, les dieux, m'ont d'abord consolé; La cendre du guerrier pour sa ville immolé, Les Trésors des cités, les Stades des Collèges, Rendaient pieux les pas des hommes sacrilèges ; — 62 — Là, je respirai l'air héroïque, l'esprit Fixé dans la clarté, hors de ce qui périt ! O colline immortelle où le Dieu fut le pâtre ! Je montais vers le Temple et puis vers le Théâtre. Il est une déesse assise, et de longs plis La drapent, descendant de ses genoux polis ; Je la priai : « Déesse, ô genoux que je serre, Que mes yeux soient voués à la pure lumière ! Ils ont assez pleuré ! Je dois, vous connaissant. A de meilleurs travaux consacrer seul mon sang ! Déesse, animez-moi de courage ! Je pose L'offrande d'un bouquet formé de laurier-rose, Afin, que, si je trouve un beau jour le plaisir, Il vienne de la gloire autant que du désir ! Ne conduisez alors, à mon seuil de poète, Comme une théorie aux jours sacrés de fête, Que les saintes vertus qui portent le froment, L'huile, les fruits, le miel, gaspillés de l'amant ! » — 63 — XXIX L'EROS DES JARDINS Voici les buis amers Courbés sur ton visage, Leur voûte qui t'ombrage Tremble au souffle des mers. De tes dents au passage Mordille leurs brins verts... N'as-tu fait de divers Baisers pareil usage? Sont encor des lauriers Et sont des oliviers, Tous arbres d'amertume ! XXX ORPHÉE Que le scythe Strymon dans une nuit grondante Roule aux pâles Enfers un chef divinisé, Eurydice l'accueille et reçoit d'un baiser Ces restes de l'amant qui déçut son attente. Trop fidèle et trop cher, ah ! combien sanglotante, Au seuil même du jour, oui ! le jour embrasé, Il fallut se déprendre, il fallut apaiser, Quand déjà tu glissais sur la funèbre pente, Par lui ! Par son désir et le bond de sa joie, Le noir Hadès lâchant, ô prodige, sa proie, Il te perdit, belle ombre, et perdit tous les biens; — 66 — XXXI ACTÉON Elle a des yeux blessés de biche sous mes yeux Elle est aussi une biche blessée ! Je la cherche, la prends et la tiens, anxieux Qu 'elle se sente caressée ! Son regard est terrible, et large, et noir de peur ! Il est doré de gratitude. Je sens bien qu'elle emporte un trait vibrant au Pour mourir dans la solitude. Mais sa noble retraite est un nouveau combat Où bientôt le chasseur succombe, Car de son sang versé le prestige m'abat Et de mon arc la flèche tombe. 69 — XXXII LA PALME DU POETE Quand longtemps le poète a souffert de ses songes Son laurier peut avoir des jets plus vigoureux, Mais ce lustre est puisé dans les sucs ténébreux Près des lieux infernaux consacrés aux mensonges. La frondaison sacrée aux lances courageuses Affronte le soleil de l'immortalité, Sous les feuilles luisant chacune de clarté Le soir venin de l'ombre enfle les tiges creuses. Que ma palme triomphe en un tranquille azur, Que d'un zéphyre doux le beau ciel la balance, Je sens qu'elle a filtré les poisons du silence Et mon cœur la nourrit de son délire impur. — 70 — XXXIII PHŒNIX Vous m'avez tout brûlé je ne suis plus que cendres, Mais je garde l'orgueil d'être ainsi dévasté; Ces poussières du cœur je ne puis les répandre, Ces cendres de l'amour je ne puis les jeter. Mais vous, vous pouvez tout ! Donnez cette rosée ! Offrez-moi ce zéphyre odorant et léger; Tendez ce ciel d'Avril dans une aube apaisée ; Entrez, toute fraîcheur, tout printemps, tout verger, Dans ce désert, ce cœur, cet amour ravagé ! — 71 — XXXIV CYPRES Laissez, je veux marquer d'un signe moins funèbre Que glorieux ce jour Où nous sommes restés en face de l'Erèbe En consultant l'amour. Cyprès où d'un seul cri monte le paysage A l'approche du ciel, Notre cœur exalté sut franchir le passage Qui rend tout éternel. Voici qu'étant liés par nos mains encor froides, L'effroi du tombeau conjuré, Nous t'embrassons, amants que leur amour terrasse> Comme un autel propice, arbre sacré ! — 72 — STELE DE ROBERT LAURENT-V1BERT Le bois est embaumé de ses plantes sauvages, Et la stèle est debout Entre les romarins fleurissants et les sauges, Et du soleil sur nous! Ohl comme elles tournoient alentour les abeilles, Ivres de ce thym doux, Jusques à ce frelon, le compagnon des treilles, Qui se grise de ciel; Et même un lézard coule entre les herbes bleues Vers la pierre funèbre; Puis un cyprès! puis les collines! puis nos dieux! Puis comme un temple ta demeure Dans le dessin des murs, sous la fougue du lierre.. Nous te vouons un nouveau seuil, Robert! c'est le portique immense de la terre Où tu grandis devant nos yeux, Chère Ombre! Fier vivant, hélas! où sont tes flammes Dans cet orbe des cieux? Voici que le soleil a consumé nos âmes Semblable à notre deuil! TABLE DES MATIÈRES DEDICACE : LAURIERS FUNEBRES II I. Eurydice. 1 13 II. Eurydice. II 14 III. L'Adolescent 19 IV. Dionysos 21 V. A l'Ombre de Robert Laurent-Vibert 23 VI. A Henri Bosco, poète 25 VII. A Georges Rémond, voyageur 27 VIII. A Henri Pacon, architecte 29 XIX. Allégories 30 X. L'éternelle Hélène 32 XI. Endymion 34 XII. Un fils d'Ulysse 35 XIII. Son immortelle nouveauté 37 XIV. Andromaque 39 XV. Pylade 40 XVI. Les Saisons 42 XVII. Electre 44 XVIII. Sapho 46 XIX. La tête d'Orphée 48 XX. Œdipe 49 XXI. Narcisse 51 XXII. Le Sommeil 52 XXIII. Antigone 54 XXIV. A travers le voile 55 XXV. Ariane 57 XXVI. Delos 60 XXVII. Psyché 61 XXVIII. Delphes 62 XXIX. L'Eros des jardins 64 XXX. Orphée 66 XXXI. Actéon 68 XXXII. La palme du poète 70 XXXIII. Phoenix 71 XXXIV. Cyprès 72 Stèle de Robert Lavrent-Vibert 73 achevé d'imprimer le 15 janvier 1931 sur les presses de l'imprimerie de compiègne pour la librairie de france . v;;-' • • WÊÊSmÊm il > > l m