EXPOSITION COLONIALE INTERNATIONALE DE PARIS 1931 LES ARMÉES FRANÇAISES I)'OBTKE-MER .^rrf.'vmfirvn,. ilÉSl Ui»îuti,W SERVICE LE SERVICE DE LA REMONTE AUX COLONIES « 'M' •'•n.fH-' PARIS IMPRIMERIE. NATIONALE MDCCCCXIXI ASE 17749 . LES ARMÉES FRANÇAISES D'OUTRE-MER COLLECTION ÉDITÉE k L'OCCASION DE L'EXPOSITION COLONIALE INTERNATIONALE DE PARIS DE 1931 I. Histoire militaire des colonies, pays de protectorat et pays sous mandat. 1. Conquête et pacification de l'Algérie. а. L'armée française en Tunisie. 3. La pacification du Maroc. 4. Histoire des Troupes du Levant. 5. Histoire militaire de l'Indo-Chine. б. Histoire militaire de l'Afrique Occidentale française (A. 0. F.). 7. Histoire militaire de l'Afrique Équatoriale française (A. E. F.). 8. Histoire militaire de Madagascar. 9. La conquête du Cameroun et du Togo. II. Les armes et les services dans la. conquête, la pacification et la mise en valeur des colonies. 1. Les troupes coloniales pendant la guerre de 1914-1918. 2. La cavalerie aux colonies. 3. Le génie aux colonies. 4. L'artillerie aux colonies. 5. Le train des équipages aux colonies. 6. Le service de santé aux colonies. 7. Le service de l'intendance aux colonies. 8. La carte de l'empire colonial français. 9. Le service vétérinaire et le service de la remonte aux colonies. 10. Les uniformes des troupes de la marine, coloniales et nord-africaines. 111. Artisans de l'œuvre coloniale. 1. Les grands soldats coloniaux. 2. Les contingents coloniaux. J. 32796-31. ■ E iSHBRPi - ■ 1SH ^ "V ^ x" «- - „' ;• v ' - - ^ t- "' r ' trf , y •» v y .• S ■ ■ ■ t®' ' ■ ~7:~ ' "' m ■ K H • ■ 1 -, ' " 7&ÏM . - . ,. . -, - -_' ■ ■ ■ ■ ■ . ■ ■ . ■.':.■■■.■■ .. ■ ■. . ■■■■■.■■ LE SERVICE VÉTÉRINAIRE ET LE SERVICE DE LA REMONTE AUX COLONIES EXPOSITION COLONIALE INTERNATIONALE DE PARIS 1931 LES ARMÉES FRANÇAISES D'OUTRE-MER ô LE SERVICE VÉTÉRINAIRE ET LE SERVICE DE LA REMONTE AUX COLONIES PARIS IMPRIMERIE NATIONALE MDCCCCXXXI PREMIÈRE PARTIE LE SERVICE VÉTÉRINAIRE AUX COLONIES «Les vétérinaires ont prouvé, en chargeant et le sabre à la main chaque fois que l'occasion «•s'en est présentée, qu'ils sont des cavaliers n-et des combattants ff ff trOn leur demandait indistinctement de soi- ttgner des hommes ou des animaux, de porter ttdes ordres sous le feu ou d'assurer le ravi¬ taillement des troupes d'assaut, de comman- ttder un convoi de porteurs ou un convoi d'éva- crcuation de malades, d'être officier topographe trou professeur d'agriculture ff r> Général MORDACQ. L'HISTORIQUE DU SERVICE VÉTÉRINAIRE AUX COLONIES a été rédigé par : L'INSPECTION DU SERVICE VÉTÉRINAIRE DE L'ARMÉE. A collaboré en outre à sa rédaction définitive et à sa présentation : M. le lieutenant-colonel de Mierry, du Service historique de l'Armée. AYANT-PROPOS L'histoire de la colonisation française dans les différentes parties du monde, de son extension et de ses progrès, a donné lieu à des travaux considérables et à de très nombreuses publications. Les mé¬ thodes qui ont été employées tour à tour dans les colonies de peuple¬ ment, de commerce, d'exploitation, ou dans les colonies mixtes comme l'Afrique du Nord, ont été longuement étudiées. De même, la meilleure politique à suivre vis-à-vis des indigènes, assujettissement, autonomie ou assimilation, a fait l'objet de nombreuses controverses. Il ne saurait être question ici de répéter ou même de résumer tout ce qui a été dit sur ces divers sujets. Mais comme les auteurs ont célébré les mérites respectifs des explorateurs, des militaires, des négociants, des médecins, des missionnaires, qui ont tous payé de leurs personnes, il est juste d'attirer l'attention sur le rôle des vétérinaires militaires qui ont été, eux aussi, les ouvriers de la première heure et ont mérité, par les services rendus, le nom qui leur a été donné de bons pion¬ niers de la colonisation. Grâce à leurs connaissances variées, qui s'étendent du domaine de la pathologie à celui de la zootechnie et à celui de l'hygiène, les vétérinaires sont des collaborateurs précieux dans l'œuvre civilisa¬ trice. Si certaines colonies, en effet, sont particulièrement connues par la richesse de leur sous-sol, si d'autres doivent leur fortune à une production agricole plus ou moins spécialisée, dans presque toutes se trouve une ressource appréciée des habitants, l'élevage des ani¬ maux domestiques. VIII LES ARMÉES FRANÇAISES D'OUTRE-MER. Qu'il s'agisse du cheval, de l'âne, du mulet, du dromadaire, uti¬ lisés comme moyen de transport, du bœuf ou du mouton dont la viande est la base de l'alimentation, le troupeau de bétail constitue souvent l'unique fortune de l'indigène. En traitant les malades, en mettant par des vaccinations les trou¬ peaux à l'abri des maladies contagieuses qui trop fréquemment les déciment, les vétérinaires rendent de grands services à l'indigène; ils gagnent sa confiance et accroissent l'influence française dans les régions dissidentes ou insoumises. Les étapes parcourues dans chaque colonie, depuis l'arrivée des troupes françaises, ont eu une durée variable suivant les pays, les difficultés rencontrées et les moyens employés; mais elles peuvent en principe se ramener à trois : i° La période de conquête, d'occupation militaire, de pacifica¬ tion; 2° La période d'administration militaire ; 3° La période d'administration civile. C'est surtout au cours des deux premières périodes que le rôle des vétérinaires militaires a de l'importance. * * * Période de conquête, d'occupation militaire, de pacification. — Toute action économique, toute pénétration commerciale, en un mot tout progrès est impossible tant que la sécurité n'est pas assurée, et elle ne peut l'être, surtout au début, que par l'action militaire. Des effectifs plus ou moins importants entrent en jeu, pour lesquels il faut prévoir un nombre considérable d'animaux de selle, de bât et de trait. Le ravitaillement en vivres et en munitions est presque toujours difficile à assurer, sous un climat souvent meurtrier, dans des pays pauvres en routes et en moyens de communication. Il est AVANT-PROPOS. IX par suite de la plus haute importance de conserver les animaux utilisés ; leur remplacement, à des milliers de kilomètres de la métro¬ pole, est sinon impossible, du moins très lent et onéreux. Au début de toute colonisation, pendant la période militaire pro¬ prement dite, les vétérinaires surveillent l'état sanitaire des effectifs confiés à leurs soins, dépistent les maladies spéciales aux régions traversées, traitent les malades, proposent et appliquent les mesures propres à les protéger contre les affections contagieuses, enfin guident le commandement pour l'exploitation rationnelle des res¬ sources alimentaires dans les territoires occupés. Partageant les dangers communs, combattant à l'occasion, le vétérinaire, pendant cette période, profite des accalmies et de ses rares loisirs pour faire de la prospection, étudier la faune et la flore des pays parcourus. Il ne perd pas de vue que selon le mot de Lyautey, la route n'est pas seulement la «ligne d'opérations » ou la «route d'invasion », mais la voie de pénétration commerciale du lendemain. La plaine n'est pas uniquement un point de ravitaillement militaire, c'est aussi un centre futur de ressources et de cultures. L'alimentation des hommes et des animaux de la colonne retient particulièrement l'attention du vétérinaire. Son sens clinique lui permet d'observer les maladies inconnues dans la métropole, et dont il faudra déterminer la cause et découvrir le traitement. Enfin les vétérinaires militaires ont mis leur rôle professionnel au service de l'action politique qui prépare la pénétration pacifique. Dans certaines colonies on a pu faire, de l'occupation militaire, une «organisation qui marcher et recourir à l'action combinée de la politique et de la force. Pour «détruire les ferments de révolte, pour apaiser les inimitiés engendrées par l'action de la force, il faut calmer la méfiance instinc¬ tive qui reste dans les esprits, aller à la population indigène. Il faut prendre la défense de ses intérêts, et comme elle attache un grand prix aux animaux qui constituent souvent son unique fortune, le vétérinaire a une influence des plus appréciables. En protégeant les troupeaux contre les maladies épidémiques, en écartant soigneuse¬ ment toute mesure vexatoire, en instituant des consultations gra- i LES ARMÉES FRANÇAISES D'OUTRE-MER. tiiites et en distribuant quelques médicaments, le vétérinaire constitue un excellent missionnaire de la pacification. Parlant des médecins, le maréchal Lyautey a écrit autrefois : « Donnez-moi un médecin et je vous rendrai un bataillon». Il en est de même des vétérinaires. * * * Période d'administration militaire. — Cette période transitoire prépare celle de l'administration civile, définitive, qui ne peut donner son rendement sans une sécurité complète. Dans certains pays neufs, le rôle de l'armée n'est pas terminé lorsque la conquête est finie; les bienfaits apportés n'apparaissent pas du premier coup aux races autochtones. Les vétérinaires militaires peuvent alors utiliser leurs connais¬ sances variées, mettre à profit leur goût de la recherche scientifique et entreprendre des études de longue haleine sur la pathologie, l'hygiène ou la zootechnie. Tout en assurant le service de leur unité, ils cherchent à protéger les animaux contre les maladies locales généralement mal connues. C'est ainsi qu'ils sont amenés à observer les maladies spéciales aux colonies, infectieuses ou parasitaires, à entreprendre à leur sujet des recherches de laboratoire, à déterminer les agents qui les pro¬ voquent, à préciser leur évolution, et enfin à expérimenter le meilleur traitement préventif et curatif. Les questions relatives à l'alimention de l'homme et des animaux leur offrent aussi un vaste champ d'action. Dans tous les pays chauds, un manque absolu d'hygiène préside à l'abat, à la préparation, à l'habillage des animaux de boucherie, ainsi qu'aux manipulations de la viande. L'absence d'inspection est la règle; tous les animaux sains ou malades sont consommés et, de ce fait, la population est exposée à un danger permanent. Protéger les indigènes et les colons contre ce danger est un des buts poursuivis par le service vétérinaire. Provoquer la création d'abattoirs, faire accepter et appliquer les règlements relatifs à l'in¬ spection sanitaire des denrées alimentaires, surveiller les tueries AVANT-PROPOS. XI particulières, enfin éliminer rigoureusement de la consommation toutes les viandes dangereuses ou malsaines, tels sont les services que les vétérinaires rendent à la colonie. En ce qui concerne l'alimentation des animaux, leur rôle n'est pas moins important. L'insouciance des indigènes est telle qu'aucune réserve n'est prévue pour les périodes de sécheresse; la disette qui en résulte entraîne une diminution sensible de la valeur du cheptel et souvent même des pertes considérables. Là encore, les vétérinaires peuvent intervenir utilement. L'étude des plantes fourragères qui croissent dans le pays, la sélection des meilleures, l'amélioration des cultures locales, la création de prairies artificielles, l'emploi des divers procédés de conservation, l'utilisation des denrées, caroubes, paddy, maïs, comme produits de substitution, ont été réalisés sur les conseils des vétérinaires militaires dans plusieurs colonies et ont permis d'apprécier les résultats très favorables de leur action. Au point de vue zootechnique, leur influence n'est pas moins heu¬ reuse. L'élevage, qui a une importance considérable, n'est le plus sou¬ vent soumis de la part des indigènes à aucune règle. Les reproducteurs ne sont l'objet d'aucun choix; les accouplements ont lieu au hasard, au pâturage; les femelles sont abattues sans tenir compte de l'âge, etc.; d'où la nécessité d'intervenir, d'étudier les aptitudes des races locales, leurs caractéristiques, leurs affinités. L'intensification de la production animale, l'obtention des produits de qualité, demandés par les exportateurs et les industriels euro¬ péens (viande, laine, peaux), montrent aux indigènes et aux colons, directement intéressés, les avantages rapidement réalisés par l'emploi des méthodes scientifiques. Un des moyens les plus puissants, dont disposent les vétérinaires militaires pour faciliter la pénétration de l'influence française dans les régions réfractaires, consiste à organiser sur place, au cours de consultations gratuites, le traitement des animaux malades par les méthodes thérapeutiques modernes, à pratiquer les opérations faciles (castrations, cautérisations), qui contrastent avec les procédés pri¬ mitifs ou simplistes employés par les indigènes, et qui frappent leur imagination. XII LES ARMÉES FRANÇAISES D'OUTRE-MER. Au cours de ces tournées sanitaires dont le but, toujours profes¬ sionnel, est souvent doublé d'une action politique, les vétérinaires donnent les premiers conseils relatifs à la prophylaxie des maladies contagieuses. Sachant combien il est difficile de rassembler les trou¬ peaux nomades, et de faire appliquer les prescriptions d'une loi sanitaire dont le côté vexatoire apparaît toujours plus nettement que les avantages, ils prennent toutes les mesures en leur pouvoir pour enrayer les épizooties. Les indigènes ne tardent pas à remarquer que les animaux vaccinés ne meurent plus; leur confiance est gagnée. Pour faire face à ces tâches multiples, le personnel vétérinaire militaire européen, mis à la disposition des colonies, est toujours insuf¬ fisant. C'est pourquoi, en Afrique occidentale comme à Madagascar et au Tonkin, des écoles ont été créées, où des indigènes choisis reçoivent une instruction spéciale, qui leur permet de devenir des vaccinateurs et des auxiliaires précieux. Les vétérinaires militaires participent à l'enseignement donné dans ces écoles, et ajoutent jainsi à leurs tâches multiples un rôle d'instruc¬ teur. Il n'est pas le moins important, car, en dehors des services pro¬ fessionnels pour lesquels ils sont formés, les vaccinateurs indigènes, soigneusement sélectionnés, peuvent être auprès de leurs compa¬ triotes les propagateurs des idées et de l'influence françaises. * * * Période d'administration civile. — Lorsque la colonie est définitive¬ ment conquise, que la sécurité est assurée, et que les populations, accoutumées peu à peu au nouveau régime, apprécient chaque jour davantage la civilisation, l'administration militaire cède la place à l'administration civile. Les vétérinaires militaires reprennent leur rôle primitif et se con¬ sacrent presque uniquement au service de leur unité. Ils continuent des recherches, afin de restreindre le domaine de l'inconnu; ils s'intéressent toujours aux maladies spéciales contre lesquelles ils ont à lutter; ils participent à l'enseignement donné dans les écoles vétérinaires indigènes, mais ils cessent d'appartenir, sauf dans quel- AVANT-PROPOS. XXI ques cas particuliers, au service zootechnique et de l'élevage qui fonctionne actuellement dans toutes les possessions d'outre-mer. Si leur tâche est réduite, ils ne considèrent cependant pas leur rôle comme terminé. Fidèles à la tradition laissée par leurs prédécesseurs, ils continuent à s'intéresser à toutes les questions qui peuvent servir les intérêts français et la colonisation. En dehors même du terrain professionnel, ils dirigent leur activité, selon leurs aptitudes spéciales, leurs goûts personnels ou leurs travaux antérieurs, vers les sciences les plus variées : minéralogie, botanique, parasitologie, pathologie com¬ parée. Leurs études ont souvent abouti à des résultats importants. Une des colonies françaises doit sa prospérité et sa principale source de richesse à la découverte d'un vétérinaire militaire. CHAPITRE PREMIER. ALGÉRIE. Il y a peu de documents précis sur le rôle des vétérinaires militaires pendant la période qui s'étend de la prise d'Alger (i83o) à la soumission d'Abd-el-Kader (18/17). Pendant ces dix-sept années, ils ont suivi les déplacements incessants des unités auxquelles ils comptaient, jouant, suivant les circonstances, le rôle de praticien et celui de combattant. L'hostilité des populations, la lutte contre le climat et les maladies, l'instabilité et l'insécurité, ne permettaient d'ailleurs pas d'entreprendre des recherches scientifiques, ni de procéder à l'étude approfondie des ressources du pays. Cependant, le Ministre de la Guerre ayant décidé en i832 que l'armée d'Afrique se remonterait sur place, deux régiments de chasseurs furent composés en partie de chevaux barbes amenés par leurs cavaliers. Les vétérinaires furent ainsi conduits à étudier les qualités et les conditions d'utilisation des animaux de cette race, qui devaient dans la suite rendre tant de services. A partir de i85o, les recherches et les travaux se succédèrent, en vue de faciliter la colonisation. Les uns avaient trait à la lutte contre les mala¬ dies, les autres à la zootechnie et à l'élevage. * ... * * . Lutte contre les maladies. — Pendant les campagnes d'Algérie, les vété¬ rinaires militaires ont eu à lutter contre les maladies qu'ils étaient déjà accoutumés à combattre en France, comme la morve, et aussi contre des affections qu'ils observaient pour la première fois, ou tout au moins qu'ils rencontraient avec une fréquence particulière, telles la lymphangite épizootique ou farcin d'Afrique, et la dourine. Leur premier but fut de surveiller l'état sanitaire des animaux de l'armée SERVICE VÉTÉRINAIRE. 1 2 LES ARMÉES FRANÇAISES D'OUTRE-MER. et de les protéger, dans la mesure du possible, contre les dangers de con¬ tagion auxquels ils étaient exposés. La liste de leurs travaux montre leur activité; mais, pour les apprécier à leur juste valeur, il faut tenir compte de ce que, pendant les vingt premières années de la conquête, les vétérinaires militaires disposaient uniquement de leurs connaissances et de leur sens clinique. Pasteur n'avait pas fait ses mémorables découvertes; la cause intime des maladies infectieuses était inconnue, et les moyens de diagnostic précis utilisés aujourd'hui n'exis¬ taient pas. Le mérite des vétérinaires à surmonter d'innombrables diffi¬ cultés n'en paraît que plus grand. Leurs premiers efforts furent dirigés contre la morve, qui causait des pertes considérables. En l'absence de tout traitement, la lutte contre cette maladie reposait uniquement sur le diagnostic précoce et l'abatage des malades. Mais la morve était souvent confondue avec le farcin d'Afrique; sa contagiosité donnait lieu elle-même à de nombreuses controverses, et la malléine, qui permet aujourd'hui de reconnaître les animaux atteints de morve latente, à défaut de tout signe clinique, ne devait être découverte que bien plus tard. La dispersion des effectifs, leurs déplacements fréquents, le contact avec les animaux indigènes, le séjour dans des abris contaminés, augmentaient les chances de contagion et compliquaient la tâche des vétérinaires. Une activité incessante finit cependant par avoir raison de toutes les difficultés. En i846, le nombre des animaux atteints de morve était de 2.0A6 (environ le 1/10 de l'effectif), soit 98,65 pour 1.000. En i85o, la proportion tombait à 29,25 pour 1.000, en i85A à 23,35, en i85q à 15,67, et en 1861 à 9,67. A cette date, le nombre des animaux morveux était encore de 83, dont 36 atteints de morve aiguë. Mais la progression ne cessa de décroître, et, en 1878, l'armée d'Afrique ne comptait plus que 2 3 cas de morve. ' La lymphangite épizooti'que, connue aussi sous les noms de farcin d'Afrique, farcin volant, farcin curable (par opposition à la morve incurable), bou sebha des Arabes, a été particulièrement étudiée par les vétérinaires mili¬ taires qui ont servi en Algérie. Peu après la conquête, la plupart d'entre eux avaient constaté, sur les chevaux et mulets de l'armée, un farcin chronique curable, mais pour Bonzon, Decroix, Tixier, Delamotte (1879), cette affection n'était qu'une, forme particulière, atténuée, de la diathèse morvo-farcineuse. Plus tard, LE SERVICE VÉTÉRINAIRE AUX COLONIES. — CHAPITRE I". 3 Chauvrat, Biaise, Adrian et bien d'autres, consacrèrent de nombreux travaux à l'étude de cette maladie. Cependant, la différenciation entre la morve proprement dite et la lymphangite épizootique ou farcin d'Afrique, ne devait être définitivement établie que par la découverte des germes pathogènes qui les déterminent. Malgré cette découverte déjà lointaine, permettant le diagnostic précis de la maladie et l'application des mesures à lui opposer, la lymphangite épizootique a toujours figuré sur les statistiques et causé une importante morbidité. Cela s'explique par sa forme chronique et envahissante, ainsi que par sa résistance aux différents traitements employés pour la combattre. Les vétérinaires militaires n'en ont pas moins fait preuve d'une louable émulation dans la recherche d'une thérapeutique spécifique. Il serait difficile d'énumérer tous ceux qui ont successivement préconisé, avec des résultats plus ou moins favorables, les interventions chirurgicales, la cau¬ térisation, la vaccinothérapie, l'autopyothérapie, l'emploi de certains médicaments comme l'iodure de potassium ou le novarsenohenzol, et plus récemment le hiiodure de mercure. Si aucun de ces traitements ne permet encore d'éliminer définitivement des effectifs la lymphangite épi¬ zootique, du moins les tentatives et les recherches faites marquent un pro¬ grès incontestable. La durée de cette redoutable maladie a été considéra¬ blement raccourcie et la guérison assurée dans la proportion de 9 sur 10. Peu de temps après leur arrivée en Algérie, les vétérinaires militaires eurent l'occasion d'observer sur les étalons et les juments poulinières une maladie à peu près inconnue en France à cette époque, et d'autant plus redoutable qu'étant transmise par les reproducteurs, elle était de nature à compromettre l'élevage dans la colonie. Ils ne tardèrent pas à entreprendre l'étude de cette maladie, désignée depuis lors sous le nom de domine. Dès 18A7, Signol publia une note sur la paraplégie épizootique des juments qui, dans la province de Constantine, avait provoqué la mort de 600 animaux de la tribu des Righas. Viardot, en i865, exposa ses considé¬ rations sur la « maladie du coït». Merche, Laguerrière, Sipière en 1876, Biaise en 1881, firent connaître leurs observations cliniques et propo¬ sèrent des mesures prophylactiques. Ce fut en 1899 seulement que Buffard, en collaboration avec le médecin militaire Schneider, établit que la dourine est causée par un trypanosome, entrevu par Rouget en 189A. Il réussit à transmettre la maladie à des ani¬ maux d'expérience et établit que le baudet constitue le réservoir du virus h LES ARMÉES FRANÇAISES D'OUTRE-MER. dont il est porteur, sans présenter des symptômes appréciables. Cette impor¬ tante découverte n'a pas amené la disparition de la maladie, mais elle en a Tendu possible le diagnostic rapide par la recherche de l'agent causal, et elle a facilité l'élimination des reproducteurs atteints. Elle a été le point de départ de nombreux travaux, soit sur la recherche d'une méthode nou¬ velle permettant de dépister les malades dès les premiers signes (Soldini), soit sur l'application de méthodes thérapeutiques (chimiothérapie) capables d'assurer la guérison (Marchai, Darmagnac, Monod). Les trois maladies : morve, lymphangite épizootique et dourine, domi¬ nèrent la pathologie des équidés en Algérie pendant les cinquante pre¬ mières années de la conquête, et les vétérinaires militaires ont tout d'abord dirigé contre elles leurs efforts. Là ne s'est pas bornée leur activité. En 1867, Lescot étudiait l'influence du climat de l'Algérie sur la préser¬ vation et le développement de la phtisie pulmonaire. En 1873, Thomas étudiait une maladie tcbou fridad qui sévit sur les chèvres. L'année sui¬ vante, Chardin publiait un travail sur la cachexie aqueuse et la bronchite vermineuse des moutons et des chèvres. Souvigny faisait connaître ses observations sur les sangsues qui infestent les eaux d'abreuvement. Wald- teuffel signalait un nouveau procédé de clavelisation (1898). Plus tard, Chauvrat, Rennes, Swezyck, Roger, Greffulhe étudiaient une trypanosomiase, le mal de la Zousfana-Debab. Enfin, plus récemment, de belles recher¬ ches ont été faites sur les piroplasmoses. Plantureux signale un nouveau procédé de diagnostic des trypanosomiases (formol-gélification), et, après de longues et minutieuses expériences, arrive à découvrir une méthode de vaccination des animaux contre la rage, qui est actuellement utilisée avec avantage en Algérie. L'histoire des maladies observées et étudiées en Algérie depuis le début de l'occupation française montre le rôle considérable joué par les vétéri- rinaires militaires. Qu'il s'agisse de l'étiologie, de l'étude clinique, ou de la mise au point des traitements prophylactiques ou curatifs, la seule lecture des titres de leurs travaux, qu'il n'est pas possible d'énumérer ici, témoigne de leur part prépondérante dans les progrès réalisés. * * * Zootechnie et élevage. — Dès les premières années de la conquête, les vétérinaires militaires furent appelés à répondre à des questions posées LE SERVICE VÉTÉRINAIRE AUX COLONIES. — CHAPITRE I". 5 par la Commission ministérielle d'hygiène. La collection du Recueil de mémoires et observations sur l'hygiène et la médecine vétérinaire militaire renferme l'analyse des nombreux rapports qu'ils ont fournis sur les sujets les plus variés : topographie médicale des garnisons et cantonnements, écuries, infirmeries, alimentation des chevaux, régime du vert, eaux et modes d'abreuvement, espèces chevalines, modes de ferrure, repro¬ duction et élevage, etc. Ces travaux forment la matière de plusieurs volumes. Ils montrent les services rendus par les vétérinaires militaires dans l'exploitation des res¬ sources de l'Algérie et dans l'amélioration de ces ressources. En ce qui concerne la production chevaline, il faut signaler particuliè¬ rement les travaux de Bernis, Souvigny, Delamotte, d'Hers, Villain, Voyer, Chevalier, Guillebut, Poncet, Biaise, Pomaret, insérés dans les mémoires de la Commission d'hygiène hippique. En 1867, Walembert, Vallon, Tourtot publient leurs observations sur le cheval d'Oran; en 188A, Salle étudie la question chevaline en Algérie, et particulièrement la race barbe; en 1891, la production chevaline de la province d'Alger est étudiée par Biaise, Cavalin, Bourdat et Halma; celle de la province de Constantine par Cazalas, Chauvrat, Brandis, Rouleux. Les ressources de la province d'Oran font l'objet des travaux de Jousseaume, Pomaret, Gervais, Rousseau, Lenoir. Enfin, l'ouvrage d'Aureggio étudie les chevaux du nord de l'Afrique (i893). Le rôle des remontes militaires et le fonctionnement des dépôts de remonte en Algérie sont retracés dans la seconde partie de ce volume. Chacun des dépôts de remonte a toujours compris des vétérinaires mili¬ taires, qui ont contribué à leur développement. Le vétérinaire Pomaret, en particulier, a consacré vingt années de sa carrière militaire à la jumen- terie de Tiaret et y a rendu les services les plus distingués. Les vétérinaires militaires n'ont pas limité leurs études zootechniques au cheval et au mulet. Désireux de développer toutes les richesses de la colonie, ils se rendirent compte de l'importance du mouton pour la popu¬ lation indigène, qui en tire sa nourriture et son vêtement. Les immenses étendues de hauts plateaux et la lisière de la zone saharienne offraient aux troupeaux des ressources presque inépuisables. En i852, le vétérinaire principal Bernis évaluait à 10 millions de têtes l'effectif ovin des trois départements. SERVICE VÉTÉRINAIRE. 6 LES ARMÉES FRANÇAISES D'OUTRE-MER. Des efforts sérieux ont été faits pour l'amélioration de la race et pour le développement du cheptel. Parmi les vétérinaires militaires qui s'atta¬ chèrent à cette question, il faut mentionner particulièrement Bernis et Durand. Bernis, dans un rapport de 1852, exposa la méthode à suivre : « Donner aux moutons des abris contre la pluie et le froid, ne pas les par¬ quer dans la boue, leur fournir de l'eau en quantité suffisante ainsi que de bons pâturages, castrer les mâles avant l'âge adulte et par les procédés chirurgicaux en rapport avec la science actuelle, faire adopter pour la tonte la tondeuse européenne au lieu de l'horrible faucille arabe». Durand, envoyé en mission dans le sud en 1856, pour s'occuper de l'amélioration de la race berbère, y passa plusieurs années, allant de tribu en tribu, apprenant la langue, partageant la nourriture et la tente des pas¬ teurs indigènes. Fondateur de la bergerie de Ben Chicao, il en fit le centre de ses opérations et de son enseignement. Avec l'aide d'opérateurs formés par lui, il se rendait dans les centres où se trouvaient réunis des milliers de béliers, pratiquait la castration et ne conservait comme géniteurs que les plus beaux sujets. Les tentatives d'amélioration de la race n'ont pas toujours été très heu¬ reuses, et les essais de croisement avec le mérinos de Rambouillet ou de la Crau se sont traduits par des échecs. C'est la sélection des reproducteurs, par la castration des mauvais béliers, qui permet d'obtenir les meilleurs résultats, ainsi que l'a prouvé l'expérience faite en 1868, dans la région de Djelfa, sur l'ordre du général Margueritte. L'élevage du mouton est, pour l'Algérie, une source de revenus consi¬ dérables. Les statistiques récentes indiquent un total voisin de huit mil¬ lions de moutons1. En étudiant les maladies spéciales à ces animaux (clavelée, cachexie aqueuse, bronchite vermineuse), et en appliquant les meilleures méthodes pour améliorer la race et accroître le rendement en viande et en laine, les vétérinaires militaires ont rendu de précieux services à la colonie. L'élevage des bovins a été l'objet de moins de sollicitude. Il n'est cepen¬ dant pas négligeable, puisque le cheptel, qui dépassait un million de têtes en 1916, présente encore un gros effectif: 873.000 en 1925, et 85o.ooo d'après les dernières statistiques. 1 La diminution du cheptel a suivi la diminution des terrains de parcours, transforme's en terres labourables. LE SERVICE VÉTÉRINAIRE AUX COLONIES. — CHAPITRE I". 7 Au cours de ces dernières années, des recherches ont été faites par les vétérinaires algériens, parmi lesquels le vétérinaire militaire Plantureux, en vue de combattre une maladie qui cause des pertes sérieuses, la piro- plasmose. Leurs expériences sur la prophylaxie et le traitement de cette maladie ont abouti à des résultats pleins de promesses. Depuis i83o, plusieurs vétérinaires de l'armée d'Afrique ont publié des rapports et des monographies documentés sur les dromadaires, qui sont très nombreux dans certaines régions de l'Algérie (200.000 en¬ viron) et où leurs services sont particulièrement appréciés. Parmi ces tra¬ vaux, il convient de citer celui de Flaubert en i85i et celui d'Imbert qui servait dans les cercles de Médéa, Boghar et Laghouat. Ayant étudié ces régions au point de vue climatique, faune et flore, Imbert s'est attaché à préciser l'alimentation, les soins hygiéniques, l'habitat, la détermination de l'âge, les races, la reproduction et l'utilisation du dromadaire. Vallon, en 1856, alors qu'il était vétérinaire en premier au haras de Mostaganem, a écrit un important mémoire sur l'histoire naturelle de cet animal; mais ce n'est qu'en 1887 que furent créés les convois de chameaux de l'État dans le Sud Algérien. Les commissions d'achat étaient constituées par un chef de bureau arabe, président, un capitaine du train, un vétérinaire, et, à titre consultatif, deux caïds. En qualité de vétérinaire de Méchéria, M. Monod fut appelé à faire partie des premières commissions. Il résuma ses observations dans un travail important divisé en plusieurs chapitres : I. Extérieur, formes, attitudes, allures; II. Age, robes, signalement; III. Entretien, hygiène, harnachement; IV. Patholog ie. Dès les premières années de la conquête, comme dans la suite, le chameau rendit à l'armée d'Afrique des services considérables. En 18M, par ordre du général Bugeaud, deux équipages de dromadaires furent organisés et placés sous la conduite de soldats français. En 1852, lors de l'expédi¬ tion de Laghouat, le convoi de chameaux comprenait â.5oo à 5.000 têtes. De pareilles colonnes ont été utilisées dans l'Èxtrême-Sud-Oranais en 190 7, au moment des opérations qui furent effectuées dans le Tafdalet. De tout temps, le chameau a été le seul moyen de transport utilisable dans le Sahara; son emploi a été largement pratiqué par l'administration s LES ARMÉES FRANÇAISES D'OUTRE-MER. militaire pour le ravitaillement en vivres et en munitions des postes de l'extrême sud. La sobriété et la rusticité de cet animal sont légendaires. Ce qui est moins connu, ce sont les maladies qui le frappent, sa sensibilité vis à vis de certaines influences, et aussi les soins hygiéniques dont il doit être entouré pour le maintenir en bon état. Les vétérinaires militaires étaient particulièrement indiqués pour en faire l'étude. Leurs travaux ont rendu possible une meilleure utilisation de ces animaux et ont évité des pertes. Aussi, à l'heure actuelle, leurs con¬ seils sont-ils suivis dans les compagnies de méharistes, chargées d'assurer la police du désert. Indépendamment des questions de pathologie, de zootechnie et d'éle¬ vage, à l'étude desquelles les vétérinaires militaires ont apporté une contri¬ bution qui se traduit par des conséquences pratiques d'une haute portée, d'autres sujets, intéressant l'économie générale de la colonie, ont retenu leur attention. C'est ainsi que Durand, directeur des bergeries nationales, préconisa en 187A l'emploi d'appareils de barrage mobiles appelés cypriotes, qui rendirent de grands services contre l'invasion des sauterelles. En 1877, Delamotte publia un travail sur le caroubier. Il donna des con¬ seils pour la plantation et le greffage de cet arbre, dont les fruits contribuent à assurer la nourriture des animaux en été et en automne, pendant la période de disette. Actuellement, les caroubes figurent comme denrée de substitution dans la ration des chevaux de l'armée. Chevalier fit une étude d'ensemble sur la configuration du sol de l'Algérie, son agriculture et ses produits. Yiardot, en 1856, signala les avantages qui résulteraient de la culture de l'avoine dans la province d'Alger; ses indications ne tardèrent pas à être suivies. Paté, en 1862, fit une étude sur les foins de la région de Sétif. Ainsi, tout en sauvegardant l'état sanitaire des effectifs de l'armée et en luttant efficacement contre les maladies, en contribuant à conserver et a améliorer le cheptel, les vétérinaires militaires ont cherché à accroître les ressources de l'Algérie. Ils ont contribué au développement économique de cette magnifique colonie. CHAPITRE II. TUNISIE. La colonisation en Tunisie est illustrée par la découverte, d'une impor¬ tance capitale, de gisements de phosphates dans le Sud-Tunisien; cette découverte est due au vétérinaire militaire Philippe Thomas. Au moment de l'établissement définitif du protectorat français, la Tunisie se présentait comme un vaste pays dépeuplé, en grande partie dénudé et aride. Seule, une mer riche en éléments exploitables, la baignant sur i.5oo kilomètres de côtes, offrait à la pêche et à l'industrie du sel, des aménagements relativement faciles. Cependant, des ruines romaines nombreuses, de vieux oliviers solitaires, témoins séculaires d'une forêt disparue, attestaient une ère de prospérité passée. Une mission scientifique, décidée par Jules Ferry, ministre de l'Instruc¬ tion publique, et dirigée par M. Cosson, membre de l'Institut, parcourut le pays en vue de rechercher, parmi les richesses naturelles de la Régence, celles qui, rationnellement exploitées, pourraient en assurer la vie et le développement. Par son séjour en Algérie en tant que vétérinaire de l'Armée, par la connaissance de la langue arabe qu'il y avait acquise, par ses remarquables études de paléontologie et d'anthropologie, Philippe Thomas s'était préparé à la mission géologique qui lui fut confiée. Il se rendit d'abord sur les hauts plateaux du sud de la Tunisie, et y découvrit le gisement de phosphates du Djebel Seldja qu'il explora com¬ plètement. Continuant ses recherches, il reconnut la couche phosphatifère sur les deux versants de la chaîne de Gafsa et la suivit sur un parcours de 80 kilomètres. Il signala ensuite les gisements du Djebel Schib, Rosfa, Berda, Kelchem, Artsouma; enfin, par les indications précises qu'il donna aux géologues et aux prospecteurs marchant sur ses traces, il amena la découverte des gisements de Tébessa, dans le département de Constantine. Philippe Thomas ne tira aucun bénéfice personnel de sa découverte, 10 LES ARMÉES FRANÇAISES D'OUTRE-MER. et c'est avec le désintéressement le plus absolu qu'il documenta tous ceux que la question phosphatière put intéresser. Homme de sens pratique, il poussa à l'exploitation de la nouvelle richesse. Il appela sur elle l'attention du monde industriel et agricole. De nouveaux gisements de phosphate, de fer, de zinc, de cuivre, de man¬ ganèse, furent successivement découverts. La Tunisie apparut comme l'une des régions minières les plus riches du monde. La découverte de Philippe Thomas avait décidé de son avenir. En quelques années, les travaux publics construisirent î.Aoo kilomètres de chemin de fer et 3.ioo kilomètres de routes. En 1910, 2.11 A permis de recherches furent accordés, A concessions de phosphates mises en exploi¬ tation, Ai mines concédées. En 1895, le commerce s'élevait au chiffre de 85 millions, dont 563.ooo francs pour le minerai. En 1908, il était de 217 millions, dont 9A pour l'exportation des phosphates et du minerai. Au 3i décembre 1908, les divers produits des mines et des phosphates jetés sur le marché mondial atteignaient une valeur de 160 millions, dont 108 pour les seuls phosphates. Actuellement, c'est par millions de tonnes que les phosphates tunisiens sont exportés. Des régions désertes se sont peuplées. Une ère de paix, de travail, de bien-être, est ouverte à l'indigène. Le 29 mai 1913, M. Alapetite, Résident de France en Tunisie, en inau¬ gurant le monument élevé à Tunis à la mémoire de Philippe Thomas, lui rendait hommage en ces termes : «Ce n'est pas seulement à Metlaoui et à Sfax, que la mémoire de Philippe Thomas sera honorée; c'est dans toute la Régence transformée par l'essor économique, qui, après des hésitations inévitables, a succédé à sa décou¬ verte. «La Tunisie tout entière est aujourd'hui debout avec sa capitale pour exalter le savant sûr de sa méthode, au coup d'oeil vraiment génial, grâce à qui l'occupation française, au lieu de suivre pas à pas la lente pénétra¬ tion de la charrue, a pu procéder par de véritables bonds et étonner par la hardiesse de ses efforts et par la rapidité des résultats qu'elle a obtenus ... w * * * Les vétérinaires militaires affectés à la division d'occupation se sont intéressés à toutes les questions d'élevage, de pathologie et d'hygiène LE SERVICE VÉTÉRINAIRE AUX COLONIES. — CHAPITRE II. 11 alimentaire, qui présentent en Tunisie soit un caractère particulier, soit un intérêt pratique. En matière d'élevage, ce qui frappait, au moment de l'établissement du Protectorat, c'étaient, comme au Maroc, le manque de méthode et l'impré¬ voyance des éleveurs indigènes. L'irrégularité de l'alimentation des ani¬ maux suivant la saison, l'insuffisance des abris, le défaut d'aménagement des points d'eau, causaient des pertes considérables, que les pouvoirs publics cherchèrent à restreindre par des mesures appropriées. Les plus importantes furent la création d'une Direction de l'élevage et l'organisation d'un centre important dans un domaine de 5.ooo hectares (Sidi Tabet), où furent entretenus un certain nombre de reproducteurs de choix, pur sang anglais, anglo-arahe, anglo-normand, taureaux charolais et béliers mérinos. Les tentatives de sélection et de croisement furent encouragées par des primes et des subventions. Un laboratoire de recherches fut créé pour l'étude des maladies contagieuses et de leur prophylaxie; un service vété¬ rinaire de colonisation fut institué. En 188Ù, le Service des Haras et Remontes fut organisé, et un dépôt de remonte et d'étalons créé à Tunis. En 1905, ce dépôt fut transféré à Téhourba. A côté de cette organisation fonctionnait, à Sidi Tabet, la jumenterie et le haras du comte de Sancy, qui furent achetés, en 1913, par le gouver¬ nement tunisien pour la Direction de l'Agriculture. Une nouvelle jumenterie a été créée tout récemment à Elba Ksou uniquement en vue de la production du cheval barbe. Un autre élevage, particulièrement prospère depuis quelques années, est celui du mulet. L'élevage du mulet étant rémunérateur, en raison des prix de vente actuels, le nombre des éleveurs a augmenté d'une façon sensible et la pro¬ duction s'est accrue dans la même proportion; elle permet non seulement de faire face aux besoins des troupes d'occupation et du pays, mais aussi de répondre, dans une certaine mesure, aux demandes des exportateurs. L'élevage du cheval et du mulet n'est pas le seul qui ait retenu l'atten¬ tion des vétérinaires zootechniciens. De nombreuses tentatives de croise¬ ment ont été faites dans le but d'améliorer la race bovine locale; ces essais ont été en général peu encourageants. Le climat, l'alimentation défectueuse '12 LES ARMÉES FRANÇAISES D'OUTRE-MER. n'ont pas permis la conservation des races pures importées, et les défauts de la race indigène n'ont pas été sensiblement modifiés. Le croisement le plus en vogue depuis la guerre est celui de la race tuni¬ sienne et du zébu. Il a été tenté surtout pour obtenir des animaux résistant aux maladies provoquées par les parasites du sang, car les zébus sont géné¬ ralement réfractaires à la piroplasmose sous toutes ses formes (piroplas- mose vraie, theileriose, anaplasmose, babesiellose). Les produits obtenus sont des animaux de travail remarquables, malgré leur caractère peu docile; leur aptitude laitière est suffisante et leur rendement pour la boucherie amélioré. Les croisements essayés avec des races européennes ont donné, par contre, des produits très sensibles aux effets meurtriers de la piroplas¬ mose; ils ne peuvent réussir qu'avec une bonne alimentation, et sont par là très onéreux. L'élevage du mouton est également important, moins cependant qu'en Algérie. On rencontre en Tunisie une grande diversité de races; la plus répandue est la race barbarine à grosse queue, concurrencée maintenant par les croisements arabes-mérinos à queue fine, d'origine algérienne. * * * Le bétail tunisien se met rapidement en état d'engi'aissement, mais il souffre des mauvaises conditions hygiéniques et de l'insuffisance de la nourriture pendant les périodes de sécheresse. Il devient alors sujet aux maladies contagieuses et parasitaires. C'est ce qui explique la grande fréquence des affections parasitaires constatée chez l'homme en Tunisie, et dont l'origine alimentaire est incon¬ testable. Les vétérinaires ont par suite le devoir d'éliminer, par une inspec¬ tion sévère, les viandes dangereuses qui propagent ces affections. Parmi ces maladies, il en est deux qui méritent une mention spéciale : la ladrerie bovine et l'échinococcose, dont l'extension est favorisée par la promiscuité dans laquelle vivent l'homme et les animaux, non seulement dans les douars et sous la tente, mais aussi dans les habitations urbaines. Une statistique, portant uniquement sur les animaux abattus à Sousse, Sfax et Gabès, pendant un trimestre, a montré que âo p. 100 étaient atteints d'échinococcose. Cette proportion indique suffisamment le danger LE SERVICE VÉTÉRINAIRE AUX COLONIES. — CHAPITRE II. 13 permanent auquel la population militaire et civile est exposée, et les services quotidiens rendus par les vétérinaires chargés de l'inspection des viandes. * * * Comme en Algérie, et plus tard au Maroc, les vétérinaires militaires arrivés en Tunisie avec les troupes d'occupation ont eu immédiatement à lutter contre les maladies contagieuses qui frappaient leurs effectifs. Ces maladies étant les mêmes que celles qui ont été signalées à l'occasion des services rendus à la colonisation par les vétérinaires militaires en Algérie, il semble superflu de les énumérer à nouveau. Il faut citer cependant l'étude expérimentale, faite récemment à Sfax, à l'occasion d'une épizootie de piroplasmose équine. Les onze vétérinaires militaires, actuellement répartis sur tout le terri¬ toire de la Tunisie, contribuent en tant que pathologistes, zootechni¬ ciens et hygiénistes, au développement de la prospérité du Protectorat. CHAPITRE III. MAROC. Absorbés durant les premières années de l'occupation par leurs obliga¬ tions militaires, les vétérinaires des Troupes d'occupation du Maroc se sont attachés, dans la suite, à l'étude des maladies nouvelles contre les¬ quelles ils avaient à lutter et aux questions d'élevage. Le travail qu'ils ont effectué est d'autant plus méritoire, qu'il y a vingt- cinq ans la pacification était à peine ébauchée; l'installation matérielle rudimentaire rendait la recherche scientifique presque impossible, et les moyens d'investigation étaient pour ainsi dire inexistants. En 1913 fut créé le Service zootechnique et des épizooties, devenu dans la suite le Service de l'élevage. Il était chargé de la surveillance de l'état sanitaire des animaux et de l'application des méthodes zootechniques. Placé sous l'autorité du vétérinaire colonel, directeur du service vété¬ rinaire des Troupes d'occupation du Maroc, il comprenait un vétérinaire militaire chargé du laboratoire de bactériologie vétérinaire et des vétérinaires inspecteurs, civils ou militaires, chargés d'assurer le service zootechnique et des épizooties dans une circonscription déterminée, et tenus d'effectuer des tournées dans les foires et marchés des centres ruraux. Quatre postes furent d'abord créés à Settat, Kénitra, Mechra-bel-Siri et Meknès. Sous la haute direction du maréchal Lyautey, le vétérinaire colonel Monod, secondé par des collaborateurs d'élite, entreprit une œuvre dont on peut maintenant apprécier l'importance et les résultats. Un service gratuit de consultations indigènes vétérinaires fut organisé, soit dans les infirmeries vétérinaires indigènes, soit par les groupes vétérinaires mobiles. Pendant de nombreuses années, les groupes vétérinaires mobiles de Fez et de Marrakech parcoururent les tribus à la limite de la dissidence et facilitèrent grandement la pénétration pacifique. Ils sont aujourd'hui LE SERVICE VÉTÉRINAIRE AUX COLONIES. — CHAPITRE III. 15 supprimés; mais les consultations gratuites continuent d'être assurées par neuf vétérinaires militaires à Taza, Ouezzan, Témara, Agadir, Kasbah- Tadla, Khénifra, Missour, Midelt et Bou-Denib. Pour apprécier l'importance de l'action vétérinaire dans l'ensemble du Protectorat, il suffit de l'étudier avec quelque détail dans le cadre d'une circonscription. FONCTIONNEMENT DU SERVICE VÉTÉRINAIRE DANS UNE CIRCONSCRIPTION. Après l'arrêt des opérations militaires et la stabilisation du front de dissidence, la circonscription est délimitée, explorée et mise en relations avec les circonscriptions voisines. Un programme est établi qui comprend en principe : L'étude du milieu; Les recherches zootechniques; Le fonctionnement des consultations indigènes et des hospitalisations gratuites; L'organisation des tournées sanitaires et de vaccinations; L'installation d'abattoirs et la surveillance de l'hygiène alimentaire par une inspection régulière des viandes; Accessoirement des études locales de toutes les questions se rappor¬ tant à l'hygiène générale, à la pathologie et aux sciences diverses. Pour rendre possible l'exécution de ce vaste programme, une liaison est établie avec le Directeur du service de l'élevage du Maroc, le Labora¬ toire de Recherches de Casablanca et les laboratoires de France, les centres d'études zootechniques, le Commandement territorial, le Service des ren¬ seignements et ses interprètes, les colons, les autorités indigènes (pacha, caïds, cheiks, notables). Des locaux spéciaux (infirmerie, pharmacie) sont construits et aménagés. Un infirmier indigène, intelligent et dévoué à la cause française, est choisi. 16 LES ARMÉES FRANÇAISES D'OUTRE-MER. Des organisations diverses, bergeries, stations de monte ... sont créées au fur et à mesure des nécessités et mettent sous les yeux des indigènes des réalisations qui leur apportent des avantages matériels certains. L'application et la réussite de ce programme sont particulièrement fécondes en résultats dans les régions de l'extrême sud, toutes voisines de la dissidence, où les populations ignorent les idées, les intentions et les progrès que les méthodes françaises peuvent leur procurer. Le milieu et ses améliorations. — Les différentes zones d'une circon¬ scription se distinguent par la nature'du sol, les cours d'eau, le climat, la végétation qui commande l'alimentation, les coutumes des habitants. Le régime des pluies et des vents a souvent rendu difficiles les amélio¬ rations à apporter aux ressources fourragères. Divers essais d'introduction de plantes fourragères, effectués au jardin expérimental du Service des renseignements, chez les colons européens et dans le et bled n, ont permis de noter la résistance et la valeur produc¬ trice de certaines espèces. En 1913, les troupes d'occupation du Maroc recevaient leurs fourrages de France. Rendu à Fez, le foin revenait plus cher que le sucre. Les vété¬ rinaires militaires se sont efforcés de démontrer que les effectifs pouvaient être nourris avec les denrées fourragères du pays. A leur instigation, dans certaines régions, les unités entreprirent la récolte des fourrages et réalisèrent ainsi des économies considérables. L'exploitation immédiate, au moment favorable, des denrées fourragères est un côté intéresssant du problème; un autre, non moins intéressant, est d'assurer la conservation des denrées pour les périodes de disette. Deux procédés ont été préconisés par les vétérinaires militaires. Le premier consiste à ménager des réserves sur pied, qui sont progressivement utilisées pendant la saison estivale. Le second consiste à emmeuler ou ensiler des stocks. La première tentative d'ensilage de fourrages verts a été faite à Settat en 1916 par un vétérinaire; bien que probante, elle n'a pas été poursuivie. Ce procédé, quand il sera appliqué d'une façon systé¬ matique, et que son emploi sera généralisé, évitera au cheptel marocain bien des hécatombes. L'abreuvement du bétail constitue, avec la disette fourragère, le prin¬ cipal obstacle à l'élevage. C'est pourquoi les vétérinaires militaires ont cherché à résoudre le problème en multipliant les points d'eau. En de LE SERVICE VÉTÉRINAIRE AUX COLONIES. — CHAPITRE III. 17 nombreux endroits, sur leurs renseignements, des sources ont été captées et des abreuvoirs aménagés. La nécessité d'habitations closes pour le bétail ne se fait guère sentir au Maroc. Il est cependant indispensable de protéger les animaux contre les intempéries. Dans certaines régions, à défaut de hangars, on a eu recours à des plantations d'arbres à feuilles persistantes (eucalyptus, caroubiers, acacias, oliviers) qui protègent partiellement les troupeaux contre la grosse pluie en hiver, et contre le soleil pendant l'été. Le cheptel et son améliokation. — Le service de l'élevage s'est efforcé d'apporter au cheptel les améliorations possibles, d'après les désirs expri¬ més par le commerce local et par la métropole. Les méthodes zootechniques employées ont eu pour objet, en tenant compte du climat, du sol et des habitudes musulmanes : D'étudier sur place les races indigènes de la circonscription, d'apprécier leurs caractères et leurs affinités ; De sélectionner les mâles par la castration des sujets défectueux, qui deviennent meilleurs pour la boucherie; De sélectionner les femelles, en interdisant les abatages de brebis et de génisses dont l'âge et la conformation répondaient aux caractéristiques recherchées ou à développer; De régler les saillies, afin d'obtenir des naissances au moment le plus favorable à l'alimentation des mères et des jeunes; De créer des centres d'élevage modèles, bergeries officielles du Protectorat ou bergeries de sociétés indigènes de prévoyance, destinées les unes et les autres aux croisements des souches locales avec des géniteurs im¬ portés; De donner des conseils aux indigènes pour l'exploitation rationnelle de leurs troupeaux : gardiennage, alimentation, abreuvement, tonte des moutons, préparation pour la boucherie, conservation des peaux, etc. Les races locales et leurs croisements ont fait l'objet de recherches approfondies. Leurs affinités, leur valeur commerciale, les possibilités d'amélioration, ont retenu l'attention du service vétérinaire. Les décisions prises et les conclusions adoptées ont été le résultat d'examens très com¬ plets des sujets, soit au parcours (rusticité, aptitude laitière), soit en ber- SEnVICE TÉTÉKINAIRE» 3 18 LES ARMÉES FRANÇAISES D'OUTRE-MER. gerie (faculté d'engraissement), soit à l'abattoir (poids, conformation, rendement), et d'études scientifiques sur la toison (poids, rendement en lavé; proportion de jarre; qualité des mèches et des brins; longueur, ondulations, diamètre, élasticité, résistance, constitution histologique). La castration des mâles par la méthode Burdizzo (méthode non san¬ glante seule compatible avec la loi coranique) a été commencée dans le Tadla en 192/1 avec 5.ooo interventions. L'année suivante, la campagne, minutieusement préparée par l'inspection locale de l'élevage et par l'ad¬ ministration centrale du Protectorat, a particulièrement bien réussi; plus de do.000 animaux furent opérés. Outre les arguments exposés aux indigènes, à chaque occasion, par le vétérinaire, la Direction du Ser¬ vice envoya sur les souks un conférencier coreligionnaire chargé d'une propagande active. L'institution de crcentres de rassemblement d'animaux à castrer », évitant de longs déplacements aux troupeaux, fit disparaître les hésitations des plus timorés, déjà séduits cependant par les ventes rémunératrices de l'année précédente. Pour la sélection des femelles, les indigènes furent instruits des avan¬ tages de la pureté des robes (uniquement blanches), et des hases fran¬ çaises d'appréciation des laines, différentes des idées locales. De même, pour la boucherie, on leur indiqua la conformation recherchée par les exportateurs, la valeur relative des divers morceaux, tous renseignements ignorés des Marocains, en raison de leur façon spéciale de débiter, de cuire et de consommer la viande. L'application de ces mesures a déjà donné des résultats très encoura¬ geants. Une autre tentative faite par les vétérinaires mérite d'être signalée, la création à Meknès, en 1915, d'un élevage d'autruches. L'autrucherie de Meknès comprit d'abord 3i têtes. Deux ans après, en 1917, le troupeau était passé à 78. Un second centre d'élevage fut alors constitué à Marrakech. La qualité des plumes obtenues était sensiblement comparable à celle des autruches du Cap; mais, la vente des plumes étant devenue difficile et peu rémunératrice, l'élevage de l'autruche a été à peu près abandonné. S'il y a encore un parc d'autruches à Meknès et un autre à Marrakech, ils servent principalement d'attraction pour les touristes. Soins aux animaux malades, lutte contre les maladies contagieuses. — Dans une circonscription vétérinaire, les soins aux animaux malades, apparte- LE SERVICE VÉTÉRINAIRE AUX COLONIES. — CHAPITRE III. 19 nant à la population indigène, sont assurés par le service des consultations et hospitalisations gratuites. Les Marocains, parfois même des régions dissidentes, y conduisent leurs animaux en grand nombre. Indépendamment des résultats thérapeutiques obtenus, ces consulta¬ tions permettent de rester en relations avec les habitants et de leur faire apprécier de plus en plus les avantages de la civilisation. Aux traitements empiriques mis en œuvre par les bergers ou les «bi- tards», qui consistent presque uniquement dans l'emploi de produits variés : goudron, huile, cendres, plantes diverses, ou de cautérisations multiples placées au hasard, le sercice vétérinaire oppose, indépendamment des méthodes prophylactiques, les procédés curatifs les plus modernes. Approvisionnée en médicaments et en matériel chirurgical, sérums et vaccins, toute station vétérinaire peut lutter efficacement contre les maladies qui sévissent dans les troupeaux. Les méthodes thérapeutiques suscitent toujours, chez les indigènes, une vive curiosité, particulièrement les interventions chirurgicales, les injections intra-veineuses et l'emploi de l'autocautère. La surveillance de l'état sanitaire d'une région est assurée par des tournées périodiques dans les tribus et par des visites spéciales en cas d'épizooties déclarées ou de mortalité anormale. Le vétérinaire s'efforce de dépister, dès leur apparition, les foyers de maladies contagieuses; il les combat sans délai avec les moyens scientifiques dont il dispose, la vaccination et la sérumisation, qui frappent l'esprit des indigènes. Comme le médecin, dont l'action est comparable, le vétérinaire mili¬ taire conserve un souvenir agréable de ces tournées, qui marquent dans l'esprit de l'homme du «bled» le pouvoir supérieur du «Français». Dans la suite, il constate maintes fois la reconnaissance et l'admiration de ces gens simples, dont le dévouement et la fidélité restent un gage des ser¬ vices rendus. Il sait combien l'autorité française bénéficie de ces résultats, surtout dans les zones récemment pacifiées ou dans les tribus insoumises. Les tournées servent également à donner aux indigènes des conseils pour la lutte contre les diverses maladies, l'hygiène et l'alimentation des animaux, l'allaitement des jeunes, les croisements, les qualités à rechercher dans la laine comme dans la viande, les procédés modernes de tonte. A côté de la pathologie classique, les vétérinaires militaires ont parfois l'occasion d'étudier des maladies nouvelles ou mal connues, et de leur 2 A 20 LES ARMÉES FRANÇAISES D'OUTRE-MER. trouver un traitement prophylactique et curatif. C'est ainsi que l'anémie infectieuse du cheval, les intoxications alimentaires, le parasitisme intes¬ tinal des différentes espèces, les hlastomycoses de l'âne et du cheval, la variole du porc, ont fait l'ohjet de travaux importants. Quelques chiffres, relatifs aux consultations indigènes données dans la circonscription vétérinaire du Tadla, montrent les progrès réalisés. En mars 192Ù, il y eut 3ù consultations indigènes, ig5 en décembre de la même année, 317 en décembre 1925. Pendant l'année 192Ù, 2.818 malades furent examinés, formant, en raison de soins renouvelés, un total de 7.685 consultants. En 192A également, â.Soo séro-vaccina- tions anticlaveleuses furent pratiquées. En 192 5, le chiffre atteignit 7.65o. Abattoirs et inspection des viandes. — Le rôle des vétérinaires militaires en matière d'inspection des viandes est très délicat aux colonies, car la mesure en apparence la plus anodine, dictée par des principes d'hygiène élémentaires, se heurte aux coutumes locales. Au Maroc, dans chaque village, les bouchers constituent une corporation obéissant à un chef (amin), qui s'occupe uniquement de l'achat des ani¬ maux destinés à la consommation, des manipulations et de la vente de la viande. Les boucheries occupent un quartier ou une rue et sont installées d'une façon très rudimentaire. Elles sont même parfois exposées en plein air, au soleil, et envahies par les mouches et les poussières. L'aménagement consiste le plus souvent en une ou deux planches placées sur un trépied. Les opérations d'abattoir ne sont l'objet d'aucun soin. Saignés par égorgement, habillés, vidés, les moutons sont transportés à dos d'homme ou d'animal pour être débités à la boucherie. La viande, coupée dans tous les sens, sans aucun respect des catégo¬ ries, est vendue soit au poids, soit plus souvent au paquet comprenant un certain nombre de morceaux. Ainsi s'explique l'insouciance des indi¬ gènes à l'égard de la production des animaux, de bonne ou mauvaise conformation. Le service vétérinaire local, appliquant le plan d'ensemble établi pour tout le Protectorat par le Directeur de l'Elevage, a réussi à organiser une inspection des viandes et des installations d'abattoirs, même dans les centres peu importants. Quand on connaît la vie dans les régions éloignées de la côte, où la civilisation est encore retardataire, on se rend compte du progrès réalisé. LE SERVICE VÉTÉRINAIRE AUX COLONIES. — CHAPITRE III. 21 En même temps que la salubrité des viandes, le vétérinaire surveille l'application des différents dahirs réglementant les abatages. Il paraît inutile d'insister sur l'importance et la nécessité d'une inspec¬ tion sévère en ce qui concerne les maladies transmissibles à l'homme : tœnia contracté par la consommation de viande ladre fréquemment ren¬ contrée, kyste hydatique dont l'hôte vecteur est le chien, alimenté au moyen d'organes parasites librement mis en circulation. Le chiffre des saisies effectuées prouve d'ailleurs l'utilité de cette inspection. Le voisinage ou la coexistence de la tuerie militaire avec l'abattoir est d'un exemple salutaire. Les indigènes voient les méthodes de travail et de préparation des viandes; ils se rendent compte des manipulations soi¬ gnées dont elles sont l'objet, et l'emploi de la voiture constitue en parti¬ culier une excellente leçon de choses. Etudes locales diverses. — Les vétérinaires militaires emploient leurs loisirs à des études locales se rapportant à l'hygiène générale, à la patho¬ logie, aux sciences diverses (minéralogie, flore, faune). L'investigation minéralogique dans la région du Tadla a fait découvrir un prolongement du gisement phosphatier exploité à Kourigha, des éléments calciques divers, et de beaux quartz. L'étude de la flore a permis de constituer un herbier avec les principales espèces de la région. Des recherches complémentaires ont eu pour objet de déterminer les plantes nuisibles et vénéneuses et d'évaluer leur toxicité suivant les terrains, tous renseignements à préciser, en raison de la mor¬ bidité et de la mortalité constatées parfois sur les troupeaux, sans cause nettement établie. La faune venimeuse a fait l'objet de nombreux travaux en collaboration avec le laboratoire d'herpétologie du Muséum d'histoire naturelle de Paris. Ces travaux étaient nécessaires : Au point de vue zoologique pur, pour la détermination des espèces dangereuses, surtout parmi les insectes, arachnides, myriapodes, ser¬ pents; Au point de vue biologique, pour la recherche de la nocivité exacte de ces hôtes et pour l'organisation de la lutte antiparasitaire ou antiveni¬ meuse; Au point de vue de la colonisation, pour la destruction de certaines légendes jetant l'inquiétude chez les protégés. SERVICE VÉTÉRINAIRE. 22 LES ARMÉES FRANÇAISES D'OUTRE-MER. Ces recherches ont montré que les accidents provoqués par les scorpions, peuvent être combattus avec succès par le chloral en lavements, et que les galéodes si redoutées sont en réalité inoffensives. GROUPE VÉTÉRINAIRE MOBILE. Les vétérinaires militaires n'ont pas seulement rendu des services d'ordre professionnel. Ils ont aussi joué parfois un rôle politique, moins connu, qui a facilité la pénétration pacifique. Telle a été l'action des groupes vété¬ rinaires mobiles dans les régions de Fez et de Marrakech. Dans le Sud-Marocain, par suite de l'étendue de la région, du grand Atlas qui la traverse, de la puissance féodale des grands caïds, et de la réduction des effectifs nécessités par la guerre, les méthodes de force ne pouvaient être employées. Seule, une politique habile pouvait maintenir dans la tranquillité une partie aussi vaste du Maroc. C'est à cette politique que fut associée l'action du groupe vétérinaire mobile, créé en raison de l'importance de l'élevage sud-marocain et des résultats rapides à en attendre. Ce groupe vétérinaire, analogue au groupe sanitaire mobile, compor¬ tait comme personnel deux infirmiers et deux muletiers marocains, comme matériel quatre cantines médicales et deux tentes chargées sur mulets de bât. Pendant les déplacements, le groupe comprenait, outre le vétérinaire chef et son personnel, un mokhazeni (soldat indigène irrégulier) à cheval, détaché par le Service des renseignements, et une ordonnance des troupes d'Afrique à cheval. Les muletiers et les infirmiers n'étaient pas armés. Seul le mokhazeni possédait une carabine, qu'il portait sur son burnous bleu comme insigne de l'autorité. C'était un cortège pacifique, d'où toute allure militaire était bannie. Les tournées du groupe vétérinaire étaient organisées d'accord avec le Service des renseignements et quelquefois sur son initiative. Les grandes lignes de l'itinéraire étaient communiquées à l'avance aux caïds intéressés, qui prévenaient à leur tour leurs khalifats (lieutenants- représentants). Parfois les caïds déléguaient un de leurs hommes au groupe vétérinaire, surtout dans les zones d'insécurité, pour présenter la caravane aux populations et leur demander de lui faire bon accueil; mais l'esprit LE SERVICE VÉTÉRINAIRE AUX COLONIES. — CHAPITRE III. 23 d'indépendance des tribus ne permettait pas toujours à ce représentant de faire écouter la parole du maître. Les tournées avaient une durée variable, d'environ quinze à vingt jours. Elles se répétaient chaque mois, l'intervalle entre chaque voyage étant utilisé pour le réapprovisionnement des cantines et le repos du personnel et des animaux. Ce repos permettait également de rédiger un rapport sur les résultats de la tournée, les observations faites, et de rendre compte au chef du Bureau des renseignements intéressé, des événements susceptibles de retenir son attention. Les déplacements avaient lieu soit en zone administrée, où l'impôt est perçu, soit en zone d'influence politique. Dans la première, il s'agissait de confirmer la confiance de l'indigène, de l'attacher par les services rendus, en un mot de favoriser indirectement les relations du commandement et des administrés. En zone d'influence politique, il s'agissait de montrer le vrai visage du conquérant redouté, son esprit pacificateur et ses bonnes intentions, de détruire les légendes entretenues par les chefs peu favo¬ rables à la cause française. Les premières entrevues ont eu un caractère très variable, neutre ou dépourvu d'aménité, jamais franchement hostile. Les Marocains obser¬ vaient généralement sans parler, mais lorsque l'un d'eux plus hardi de¬ mandait une consultation, tous se précipitaient pour essayer les pouvoirs guérisseurs du rrroumin. C'est ainsi qu'une partie du fief Glaoua (Telouet, à plus de 100 kilo¬ mètres de Marrakech, au sud de l'Atlas) a été en 1926 visitée successive¬ ment par le groupe sanitaire mobile et par le groupe vétérinaire mobile, bien avant qu'un officier français ait pu se risquer dans la région. Il en est résulté, qu'après une préparation politique de plusieurs années, une colonne militaire a, sans combat, installé un poste à Telouet. Dans certaines tribus, le groupe vétérinaire mobile a été accueilli im¬ médiatement d'une façon très cordiale, et son passage a donné lieu à des réjouissances. Les consultations gratuites, les soins donnés aux animaux, l'exécution de petites interventions chirurgicales (comme la castration des mulets), la distribution de quelques médicaments d'usage courant, frappaient les indigènes par les avantages qu'ils en retiraient, leur démontraient la supé¬ riorité de nos méthodes et achevaient de les gagner à notre cause. Les progrès de la pacification ont diminué l'importance du rôle poli- 24 LES ARMÉES FRANÇAISES D'OUTRE-MER. tique du groupe vétérinaire mobile, au profit de son rôle zootechnique. Il s'est consacré dans la suite plus spécialement aux questions d'élevage et à la lutte contre les maladies contagieuses. LABORATOIRE DE BACTÉRIOLOGIE VÉTÉRINAIRE. Créé en 1912 à Casablanca, le laboratoire de bactériologie vétérinaire a rendu les plus grands services. Doté, au début, d'une installation très modeste et de crédits insuffisants, il ne tarda pas, grâce à la création du laboratoire de l'élevage, à disposer de moyens plus importants. C'est dans ce laboratoire militaire et ce laboratoire de l'élevage, placés sous l'unique direction d'un vétérinaire militaire, M. Velu, que furent entrepris toute une série de travaux ayant pour but : L'étude complète des maladies épizootiques au Maroc; La préparation et l'expédition des sérums et des vaccins destinés à les combattre; La propagation des connaissances acquises. L'énumération des recherches effectuées dans ces laboratoires et des résultats obtenus au cours des quinze dernières années, suffit, à montrer l'activité scientifique de ceux qui se sont consacrés à l'étude de la patho¬ logie vétérinaire marocaine. Ces recherches ont porté : Sur les affections parasitaires du sang (trypanosomiases, piroplasmoses , spirilloses, filarioses équines); Sur les affections à virus filtrants (anémie pernicieuse des équidés, variole des porcelets, rage); Sur les affections microbiennes les plus répandues (charbon bactéri- dien, affections pyogènes, pasteurelloses); Sur les maladies parasitaires (strongylose, echinococcose); Sur les intoxications alimentaires (férulisme); LE SERVICE VÉTÉRINAIRE AUX COLONIES. — CHAPITRE III. 25 Sur la zootechnie (études sur les laines et l'élevage du mouton, les effets de la greffe testiculaire); Sur l'hygiène vétérinaire (alimentation du bétail, bains parasiticides); Sur la thérapeutique (emploi des arsenicaux dans les trypanosomiases, 309 Fourneau, pyothérapie). Toutes ces recherches, qui ont abouti à des acquisitions intéressantes et à des progrès certains, ont fait l'objet de communications aux sociétés savantes et valu de nombreuses récompenses à leurs auteurs. Le laboratoire de bactériologie de Casablanca prépare les vaccins et les sérums utilisés au Maroc dans la lutte contre les différentes maladies épizootiques, en particulier le vaccin contre le charbon bactérien, employé en un temps, suivant une méthode qui présente des avantages considé¬ rables et dont l'emploi tend à se généraliser. Pour permettre d'apprécier l'importance de la production du labora¬ toire, il suffit d'indiquer les chiffres relatifs aux vaccinations pratiquées depuis 1921. Leur progression est significative. CHARBON CHARBON BACTÉRIDIEN. SYMPTOMATIQUE. CLAVELKE. 1921 19.1A2 io.io5 h 1922 69.575 15.975 4.4oo 1923 70.875 3o.o45 i5.ioo 1925 102.525 36.182 76.300 1926 155.900 6A.96A 67.^00 1927 113.663 49.885 49.600 Dans cette statistique ne figurent pas les vaccinations pratiquées contre les pasteurelloses, les maladies à staphylocoques, le choléra et la diphtérie aviaires, les affections à Preisz-Nocard, etc. Plusieurs ouvrages didactiques, traitant des maladies rencontrées au Maroc, et facilitant l'adaptation des vétérinaires militaires appelés à servir dans ce pays, ont été publiés : Notes de Pathologie vétérinaire marocaine, 1915 (2 3o pages) [Direction de l'agri¬ culture, Rabat]. Les Piroplasmes et les Piroplasmoses, 1923 (286 pages) [Librairie Larose]. L'anémie infectieuse des équidés au Maroc, 1923 (102 pages) [Revue vétérinaire mi¬ litaire]. 26 LES ARMÉES FRANÇAISES D'OUTRE-MER. Eléments pratiques de pathologie vétérinaire exotique, 192U (Librairie Larose). L'Echinococcose du Maroc, 1925 (Éditions de pathologie comparée). Les Blastomycoses animales au Maroc, 1925 (Direction de l'agriculture, Rabat). Les Maladies épizootiques au Maroc, li° édit., 1929 (Direction de l'agriculture, Rabat). Les Laines et l'élevage du mouton au Maroc, 1925 (Direction de l'agriculture, Rabat). L'Alimentation et les aliments du bétail au Maroc, 1980 (Direction de l'agriculture, Rabat). Les Parasites externes du bétail; rôle pathogène ; destruction, 1980 (Direction de l'agri¬ culture, Rabat). CHAPITRE IV. LEVANT. Le mandat confié à la France par la Société des Nations est de date trop récente pour qu'il soit possible de porter une appréciation sur l'action de la puissance mandataire. Certains résultats ne peuvent se manifester qu'à longue échéance. On peut néanmoins se rendre compte, dès maintenant, de l'effort fourni par les vétérinaires militaires des troupes d'occupation et des difficultés qu'ils ont eu à surmonter pour assurer la surveillance sanitaire des effec¬ tifs. En août 1918, le nombre des animaux des troupes françaises était de 2.278; en juin 1919, il était de A.768, puis il s'est élevé progressive¬ ment à 7.000 en 1919 après l'occupation de Damas, et à i2.5oo après l'arrivée de la division de Cilicie, venue d'Orient. Le territoire occupé par l'Armée du Levant mesurait alors 500 à 600 ki¬ lomètres du nord au sud et, suivant la région, 180 à 500 kilomètres de l'ouest à l'est. L'état sanitaire des animaux laissait à lésirer par suite d'épizooties de gale et de nombreux cas de morve. La multiplicité des détachements, le grand nombre de colonnes destinées à assurer la sécurité du pays, la rareté des moyens de communication, rendaient la tâche des vétérinaires extrêmement difficile. En 1920, l'Armée du Levant comprend 28 vétérinaires pour 2 3.ooo animaux. A la fin de 1921, par suite de l'évacuation de la Cilicie et de la dissolution d'une division, les effectifs sont progressivement réduits. Depuis cette date, certains événements, comme la révolte du Djebel Druse en 1925, ont nécessité des opérations militaires, des dépla¬ cements de troupes et la formation de groupements importants. L'énumération de toutes les colonnes qui ont eu pour mission de par¬ courir le pays afin d'y maintenir l'ordre, permettrait d'apprécier les efforts 28 LES ARMÉES FRANÇAISES D'OUTRE-MER. considérables fournis par les troupes, et les fatigues qu'elles ont dû surmonter. Elle permettrait aussi de se rendre compte des précieux ser¬ vices que rendaient les animaux de selle et de bât, en l'absence de tout moyen de transport, et de l'importance que présentait leur maintien en bonne santé. Avant de consacrer une partie de leur activité aux questions intéressant les populations syriennes, les vétérinaires militaires durent protéger les effectifs contre certaines maladies fréquentes et redoutables, comme le charbon bactéridien et la morve. La loi sanitaire turque, copiée sur la législation française, n'avait jamais été sérieusement appliquée en Syrie, et, à la fin de la guerre, aucune mesure n'étant prise contre la propagation des maladies contagieuses, les unités françaises ont rencontré un peu partout de nombreux foyers de contagion. La fièvre charbonneuse, endémique dans le pays, devait fatalement occasionner des pertes sévères. La cavalerie anglaise lui avait déjà payé un lourd tribut. En 1919, 25,10 p. 100 des animaux succombèrent à cette maladie, dont 1A7 en deux mois au dépôt de remonte de Bey¬ routh. Malgré la vaccination pastorienne, les pertes oscillèrent de A,5o à A,10 pour 1.000 pendant la période 1920-1923. Ce fut en 192A, par suite de la vaccination systématique de tous les animaux de l'armée par la nouvelle méthode intradermique, que la mortalité tomba brusquement, résultat important au point de vue scientifique et économique, et surtout au point de vue militaire, car, en 1920, tout foyer de charbon bactédirien entraînait l'immobilisation pendant un mois des unités atteintes. Le deuxième danger qui menaçait la cavalerie était la morve, maladie très fréquente en Syrie. Au début de 1920, sur 572 animaux, 5g furent abattus pour morve. En 1929, trois cas seulement ont été observés, sur un effectif moyen de 7.000 chevaux ou mulets. Ces chiffres prouvent l'efficacité de la surveil¬ lance exercée. Là gale, les lymphangites contagieuses, apportées principalement par les troupes venant de l'Armée d'Orient, ont causé au début une mortalité assez importante, qui est allée ensuite en décroissant. LE SERVICE VÉTÉRINAIRE AUX COLONIES. — CHAPITRE IV. 29 L'état sanitaire des animaux de l'Armée du Levant a été constamment amélioré par la pacification progressive du pays, qui a diminué le nombre des colonnes, les déplacements d'animaux et par suite les chances de conta¬ gion, par l'organisation du service vétérinaire en secteurs, avec infirme¬ ries fixes et dépôts de chevaux malades transformés en hôpitaux vétéri¬ naires, par la mise en œuvre de moyens de traitement rationnels, dans des installations suffisantes pour faire face à tous les besoins. Tout en luttant contre les maladies contagieuses, les vétérinaires mili¬ taires ont fait œuvre d'hygiénistes, en organisant l'inspection des denrées alimentaires, que les affections parasitaires rendent particulièrement importante. Leurs travaux sur l'élevage, le charbon hactéridien, la piroplasmose, la cysticercose bovine et le téniasis humain en Syrie, ont été publiés par différentes revues. Parmi les recherches auxquelles ils se sont livrés, il en est une qui mé¬ rite une mention spéciale en raison de ses conséquences particulièrement heureuses. C'est celle du vétérinaire commandant Mangin qui, en 1923, a découvert une nouvelle méthode de traitement, simple, économique et efficace, pour combattre le Bouton d'Alep. * * * Les vétérinaires militaires se sont livrés, dès leur arrivée en Syrie, à des enquêtes qui ont montré la nécessité d'une action méthodique et éner¬ gique. L'organisation de la lutte contre les maladies épizootiques, qui déci¬ maient le cheptel, était dictée à la fois par le souci de protéger les effectifs, et par le désir d'améliorer les conditions de l'élevage, en supprimant une de ses principales causes d'échec. Il était nécessaire pour cela de mettre sur pied une organisation capable de prescrire et de faire appliquer les mesures prophylactiques nécessaires. Le 3i août 1921, le Haut-Commissaire créa un Service de police sani¬ taire et de zootechnie, en Syrie et Cilicie. Neuf vétérinaires militaires furent désignés, soit comme conseillers techniques, soit comme vétérinaires sanitaires, pour intervenir sur l'ensemble du territoire occupé et y propager les méthodes médicales modernes. 30 LES ARMÉES FRANÇAISES D'OUTRE-MER. Ils s'attachèrent tout d'abord à dissiper la méfiance et organisèrent l'assistance gratuite dans tous les centres importants. Ils gagnèrent à leur cause et firent enrôler dans le service sanitaire les vétérinaires syriens, diplômés pour la plupart de l'école de Constantinople, que leur connaissance de la langue et des coutumes locales rendaient particulière¬ ment précieux. Malheureusement, le territoire à surveiller était immense et la menace permanente aux frontières indécises et mal gardées du nord et de l'est. Le personnel spécialisé était trop réduit pour faire face à tous les besoins, et la transhumance des troupeaux multipliait les chances de contagion. Il fut nécessaire de former des agents sanitaires. Il fallut aussi recourir au Service des renseignements et au Service des douanes, qui fort obli¬ geamment prêtèrent leur concours. C'est ainsi que l'Inspecteur des douanes prescrivit à tous les bureaux-frontières de terre de renseigner sans retard les vétérinaires militaires conseillers techniques de Deir-ez-Zor, Alep, et Damas, sur toute mortalité anormale constatée dans les troupeaux sou¬ mis au dédouanement, et d'arrêter ces troupeaux en attendant l'inter¬ vention du Service de police sanitaire. Un dépôt central de sérums et vaccins fut créé à Beyrouth. Utilisé par l'Etat du Grand Liban, il servit en outre à ravitailler les dépôts annexes de Damas et Alep, et permit aux vétérinaires militaires, conseillers tech¬ niques des différents Etats, d'avoir immédiatement à leur disposition les moyens d'action pour enrayer les maladies dès leur apparition. Telle est, en résumé, l'histoire de la création de ce service de police sanitaire qui comprend actuellement 18 vétérinaires (sanitaires, muni¬ cipaux ou de la douane) et 11 agents sanitaires. Afin d'assurer l'avenir, des jeunes gens ayant reçu une bonne instruction sont, après examen, envoyés gratuitement dans les écoles vétérinaires françaises. Cette organisation a déjà fait ses preuves, comme le montre l'amélio¬ ration constante de l'état sanitaire en Syrie. La pathologie vétérinaire de ce pays ne présente aucune particularité saillante ; on y retrouve les mêmes maladies qu'en Afrique du Nord, plus la peste bovine. A Ici Jîèvre charbonneuse, on a opposé la destruction des cadavres, la créa¬ tion des cimetières d'animaux et surtout la vaccination, dont le succcès, grâce à la simplification de la méthode qui ne nécessite plus qu'une inter¬ vention, va grandissant d'année en année. LE SERVICE VÉTÉRINAIRE AUX COLONIES. — CHAPITRE IV. 31 La peste bovine constitue une menace permanente en raison de son endémicité dans les pays voisins, la Turquie et la Perse. La dernière épizoôtie, observée en 1923, fut apportée par des buffles provenant de la Perse par Mossoul. Elle s'étendit progressivement, gagna Alep en 19 2 4, Antioche en 1925 et l'Etat de Syrie en 1926, où, dans le seul mois de juillet, elle causa 1.087 Pertes- La nécessité d'une surveillance rigoureuse et permanente des frontières a été une fois de plus démontrée. Contre la morve, la tuberculose, la clavelée, la fièvre aphteuse, les mesures les plus efficaces ont été prises. Les piroplasmoses ont été aussi signalées et combattues. Quant à la dourine qui existe un peu partout, il est très par¬ ticulièrement difficile de la découvrir, en raison de la facilité avec laquelle les animaux reproducteurs échappent à tout contrôle. Pour pouvoir dépister plus facilement les maladies, on a créé des dis¬ pensaires, où consultations et soins sont donnés gratuitement aux animaux malades. Seuls les propriétaires aisés sont tenus à payer les médicaments. Ces dispensaires connaissent depuis quelques années une faveur crois¬ sante. Ils permettent d'exercer une surveillance effective sur les animaux, et de faire l'éducation des habitants qui ne restent pas indifférents aux avan¬ tages acquis par les méthodes employées. Des lazarets fonctionnent comme locaux d'isolement pour les animaux contagieux, et comme locaux de quarantaine pour les animaux importés. Ces lazarets ont rendu les plus grands services, en particulier contre la peste bovine, la morve et la rage. Enfin, une société, fondée à Damas en 1918, assure, en liaison étroite avec le service vétérinaire, la protection des animaux contre les brutalités et les mauvais traitements. ❖ * * Au point de vue zootechnique, les vétérinaires militaires ont étudié les diverses races rencontrées en Syrie. Comme au Maroc, ils en ont pré¬ conisé l'amélioration par la sélection. Le service des remontes a créé des haras, où des étalons de pur sang arabe, particulièrement choisis, sont mis à la disposition des éleveurs syriens. Dès 192^, un projet de Stud Book de la race arabe pure a été présenté. En ce qui concerne l'espèce bovine, le nombre des vaches laitières étant insuffisant, un arrêté a interdit leur exportation. 32 LES ARMÉES FRANÇAISES D'OUTRE-MER. En 1926, un programme d'amélioration du mouton et de la chèvre a été établi. Des reproducteurs de choix (béliers, mérinos de Boukkara, mérinos de la Crau, taureaux hollandais) ont été achetés à l'étranger, et on peut espérer que leurs produits constitueront un gros progrès par rapport aux animaux du cheptel syrien actuel. Cependant l'amélioration en matière d'élevage est une œuvre de longue haleine qui, en Syrie, se heurte à plusieurs difficultés. Le pays n'est pas encore équipé pour assurer les conditions d'hygiène et d'alimentation rationnelle que réclament les sujets améliorés. Certains préjugés et des pratiques superstitieuses jouissent encore d'un grand crédit parmi les éleveurs et les pasteurs. Enfin les Syriens montrent en général peu d'enthousiasme pour des méthodes qui ne se traduisent pas par des résultats rémunérateurs immédiats. * * * En ce qui concerne l'hygiène alimentaire, les vétérinaires militaires ont obtenu des résultats plus tangibles. Grâce à eux, la plupart des villes possèdent aujourd'hui un abattoir qui permet de procéder aux opérations d'abatage et d'habillage dans des conditions d'hygiène presque satisfai¬ santes. Le transport de la viande à dos d'homme, qui était encore la règle en 192 5, a été remplacé dans les grandes villes par l'utilisation de voitures automobiles aménagées. Des amendes sont infligées aux bouchers et char¬ cutiers qui ne protègent pas, à l'étal, les viandes contre les souillures extérieures. L'inspection est régulièrement assurée, et, dans un pays où le téniasis humain est particulièrement fréquent, cette inspection présente une importance sur laquelle il est superflu d'insister. Une instruction sur l'inspection des viandes et des diverses denrées alimentaires, a été largement répandue. A Damas et à Alep, le vétérinaiïe inspecteur fait bénéficier de sa compétence spéciale la commission d'hy¬ giène municipale dont il est membre. Enfin, dans les petits centres, et dans les régions où les agglomérations sont rares et éloignées les unes des autres, les vétérinaires, trop peu nom¬ breux, sont remplacés pour le service d'inspection par les médecins LE SERVICE VÉTÉRINAIRE AUX COLONIES. — CHAPITRE IV. 33 des casas, qui ont acquis les connaissances nécessaires dans des cours créés à leur intention. * * * L'action des vétérinaires militaires en Syrie a été facilitée par le labo¬ ratoire de bactériologie, créé à Beyrouth à la fin de 1920. Ce laboratoire rendit d'abord des services comme organe de diagnostic. Des prélèvements pathologiques, effectués par les vétérinaires militaires dispersés dans toute la Syrie, lui étaient transmis par les voies les plus rapides, chaque fois qu'une affection à allure contagieuse était observée. Le diagnostic étant établi, les mesures prophylactiques étaient prises dans le plus bref délai, grâce à l'envoi immédiat des sérums et vaccins nécessaires. Ainsi, de 1920 à 1922, de nombreux foyers de charbon bactéridien ont ont été dépistés et combattus dès leur apparition. C'est à l'Armée du Levant que fut tentée pour la première fois, sur des effectifs importants, la vaccination par la voie intra-dermique. L'emploi de cette méthode, encore simplifiée depuis lors, a amené la disparition presque complète du charbon bactéridien. Le laboratoire a fonctionné également comme centre de recherches. Malgré une installation sommaire, des études y ont été entreprises pour lutter efficacement contre certaines maladies, comme la pleuro-pneumonie de la chèvre, la septicémie hémorragique du mouton et la variole. Sous la direction d'un spécialiste, le laboratoire est appelé à rendre, dans l'avenir, les plus grands services. SERVICE VÉTÉRINAIRE. 3 CHAPITRE Y. INDO-CHINE. Comme dans toutes les colonies, le service vétérinaire a été exclusivement assuré en Indo-Chine, pendant la période de conquête et d'organisation, par les vétérinaires militaires. Jusqu'en 1913, il y a été dirigé par le vété¬ rinaire principal Lepinte, qui remplissait les fonctions de chef du service vétérinaire, zootechnique et des épizooties, à la Direction de l'agriculture, des forêts et du commerce. Au début de l'occupation de l'Indo-Chine, le corps d'occupation ren¬ contra de grandes difficultés pour se remonter en bons chevaux; l'élevage du cheval n'avait jamais été sérieusement pratiqué dans cette colonie. Il fallut s'adresser aux provinces chinoises limitrophes et aux pays voisins : Birmanie, Philippines, îles Néerlandaises. Pour créer sur place les res¬ sources absentes ou insuffisantes, le service vétérinaire étudia les mesures propres à encourager l'élevage. A côté de la pénurie de chevaux, l'Indo-Chine nourrit un grand nombre d'animaux domestiques; le bétail est un des facteurs importants de son évolution économique. La valeur du cheptel indo-chinois, l'aide précieuse qu'il apporte à l'homme pour la mise en valeur des terres cultivées, son utilisation dans les transports à travers un pays où la traction mécanique est limitée, enfin la ressource qu'il constitue au point de vue de l'alimen¬ tation, ont donné aux services vétérinaires un rôle et une importance de plus en plus appréciés. * * * Elevage. — Les vétérinaires militaires eurent d'abord à faire face aux besoins de l'armée. Les nombreuses colonnes militaires parcourant le pays, l'augmentation des effectifs et de la population européenne, le ser¬ vice plus pénible auquel les chevaux indigènes étaient assujettis par suite de leur utilisation aux allures vives et de l'accroissement du poids des cavaliers, provoquèrent une usure rapide. Il s'ensuivit une forte dispro¬ portion entre la production et la consommation. Wmïi LE SERVICE VÉTÉRINAIRE AUX COLONIES. — CHAPITRE V. 35 Sur la proposition du vétérinaire principal Lepinte, un haras de perfec¬ tionnement fut créé à Hanoï en 1891, dans l'ancienne citadelle où 8 0 hec¬ tares furent convertis en prairies. Ces prairies fournirent le foin nécessaire non seulement aux animaux des haras, mais aussi aux chevaux et mulets de toute la garnison d'Hanoï, qui, jusqu'à cette époque, avaient été ali¬ mentés, à grands frais, avec du foin pressé venu de France. L'exemple fut suivi. A partir de 1893, plusieurs colons cultivèrent cette denrée alimen¬ taire et obtinrent des marchés pour la fourniture de l'armée. Un Conseil des Haras fut créé en 1892, et devint peu après le Conseil Supérieur de l'Agriculture. Le Chef du service vétérinaire de l'armée, qui en était membre, y fut plus particulièrement chargé de la partie tech¬ nique, direction de l'élevage, surveillance et entretien des étalons, inspec¬ tion permanente des jumenteries. En 19où, un Conseil de perfectionnement de l'élevage fut institué et chargé de donner son avis sur les remontes des services civils et mili¬ taires, les établissements zootechniques, les mesures propres à l'amélio¬ ration et à la protection de l'élevage (sélection, alimentation, hygiène, salubrité, primes). Enfin, en 1905, la loi réglementant les courses fut appliquée en Indo- Chine. L'histoire de l'élevage en Indo-Chine comprend deux périodes. La pre¬ mière, qui s'étend de 1892 à 1901, est une période de tâtonnements, d'essais ou d'éducation. En 1901, le service vétérinaire, zootechnique et des épizooties est organisé sur ses bases actuelles, avec un personnel réduit. De 1901 à 1906, les leçons antérieures commencent à porter des fruits. Enfin, à partir de 1906, début de la seconde période, la pro¬ duction s'intensifie et aboutit à l'élevage tel qu'il est aujourd'hui pra¬ tiqué. Dans un pays dont la superficie est égale a une fois et demie celle de la France, et dont la population est d'environ 16 millions d'habitants, le cheptel compte actuellement environ : Bœufs et buffles 3.5oo.ooo Porcs 5.000.000 Chevaux 10A.000 Chèvres 5o.ooo Moutons à.ooo Eléphants domestiques i.5oo 3 A 36 LES ARMÉES FRANÇAISES D'OUTRE-MER. Les troupes de l'Indo-Chine se remontent en chevaux annamites et métis, en mulets français, algériens et chinois, utilisés pour la selle, le bât et le trait. En outre, on a essayé d'utiliser les bovidés du pays pour la trac¬ tion des pièces d'artillerie, caissons et voitures. Les bovidés ont l'avantage de résister au surra, auquel les chevaux sont très sensibles, mais ils peuvent en transporter le virus et être ainsi un danger pour les chevaux. Aussi les effectifs mixtes sont-ils peu à recommander. L'élevage des bovidés et des buffles a, en Indo-Chine, une grande impor¬ tance. Les bœufs assurent, avec le porc, l'alimentation en viande de la population. La valeur des animaux de boucherie abattus unique¬ ment au Cambodge, pendant l'année 1928-1929, a atteint un total de là.800.000 francs; près de 3.000 tonnes de peaux ont été exportées. Les buffles sont presque exclusivement employés aux travaux des rizières, et assurent les transports dans la plus grande partie du pays. Malheureusement, l'élevage de ces deux espèces animales est grave¬ ment compromis par deux maladies qui existent à l'état endémique, la peste bovine et le barbone. * * * Service des épizooties. — Les rapports établis par le vétérinaire chef du service du Corps expéditionnaire, en 1885, 1886 et 1887, signalaient, qu'indépendamment des affections communes à tous les pays, on observait au Tonkin des gales tartares très tenaces, des affections particulières dési¬ gnées sous les noms d'anémie, fièvre paludéenne, accès pernicieux, hépa¬ tite, et le typhus équin. Des découvertes ultérieures permirent d'établir que la plupart de ces affections se rattachaient au surra, dont le vétérinaire militaire Blanchard trouva l'hématozoaire sur des mulets importés. Deux autres vétérinaires, MM. Carougeau à Nha-Trang et Blin au Tonkin, retrouvèrent le parasite dans le sang des malades. De nombreuses recherches et essais de traitement furent effectués par les vétérinaires, en vue de lutter contre le surra qui constitue, princi¬ palement dans le Laos, un véritable danger pour l'élevage du cheval. Le 2o5 Bayer, le 809 Fourneau, seuls ou associés aux arsenicaux, peu¬ vent amener la guérison. Comme ces médicaments mettent les animaux à LE SERVICE VÉTÉRINAIRE AUX COLONIES. — CHAPITRE V. 37 l'abri de l'infection pendant trois mois, ils peuvent être utilisés à titre préventif; les étalons envoyés dans les stations de monte bénéficient de cette méthode de traitement. Tandis que les chevaux sont atteints par le surra, les bovidés, eux, sont exposés à la peste bovine, qui provoque les épizooties les plus meurtrières. Les mouvements de bétail, permanents ou intermittents, à l'intérieur de l'Union, favorisent dans une large mesure la contagion. Pour le Tonkin seulement, 6.267 Pei>tes ont été signalées en 1927- 1928. En 1928-1929, 26.976 sérothérapies, séro-infections ou vacci¬ nations ont été pratiquées. En 1928-1929, la peste bovine a causé au Cambodge pour à. 119.600 francs de pertes. Si le surra et la peste bovine dominent par leur importance la pathologie vétérinaire en Indo-Chine, il existe cependant d'autres maladies, comme le larbone des buffles, qui nécessitent l'invervention des vétérinaires. Les traitements modernes et les vaccinations permettent à l'heure actuelle de les combattre avec succès. Une affection, qui a été autrefois très fréquemment observée sur les che¬ vaux et mulets de la Cochinchine et du Tonkin, paraît avoir disparu aujour¬ d'hui; c'est Yostêomàlacie, signalée également à Madagascar. L'étiologie a donné lieu à de nombreuses recherches et ne semble pas avoir été complè¬ tement élucidée. On s'accorde néanmoins à reconnaître que la disparition de la maladie est due à l'amélioration de l'hygiène et de l'alimentation des animaux. La rage, la morve, le charbon bactéridien, les piroplasmoses, la dourine, les maladies parasitaires observées en Indo-Chine, ne méritent pas une mention spéciale; elles se présentent avec les mêmes caractères que par¬ tout ailleurs. Toutes ces maladies, par les mesures prophylactiques ou curatives qu'elles nécessitent, par les pertes qu'elles provoquent ou les dangers qu'elles font courir quand elles sont transmissibïes à l'homme, justifient ample¬ ment la création du Service des Epizooties, qui a été classé à juste titre parmi les Services d'expansion économique de la colonie. Inspection des denrées alimentaires. — Une autre attribution importante des vétérinaires est l'inspection des denrées alimentaires. De grands progrès ont été réalisés au point de vue des abattoirs et, dans SERVICE VÉTÉRINAIRE, «38 LES ARMÉES FRANÇAISES D'OUTRÉ-MER. toutes les villes importantes, des installations ont été créées qui répondent aux exigences de l'hygiène et de la salubrité publiques. L'inspection porte principalement sur les bœufs, les buffles et les porcs. Pendant les deux dernières années, 87.^20 bœufs, 37.127 buffles et li0 3.ââ2 porcs ont été examinés dans les abattoirs du Tonkin et de l'Annam. Le nombre des saisies démontre l'utilité de l'inspection. 83.o56 foies, 57.389 poumons, 6.011 reins et 2.588 langues ont dû être retirés de la consommation. La tuberculose est rarement rencontrée sur les bovidés en Indo-Chine, mais, comme dans toutes les colonies, les maladies parasitaires sont extrê¬ mement fréquentes. * * * Rôle social des vétérinaires. — Les vétérinaires jouent, en Indo-Chine, le rôle d'éducateurs vis-à-vis des colons qu'ils font bénéficier de leurs connaissances techniques, comme aussi vis-à-vis des indigènes auxquels ils enseignent, soit directement, soit par l'intermédiaire des vétérinaires de l'École d'Hanoï et d'aides-vaccinateurs, les méthodes qui permettent de conserver et d'augmenter le cheptel, source de richessefpour la colonie. Ils collaborent au fonctionnement des Instituts Pasteur de Saïgon et de Nha-Trang, où sont effectuées des recherches sur la pathologie des grands animaux, et où sont préparés les sérums et vaccins destinés à combattre les maladies infectieuses les plus redoutables (peste bovine, barbone, charbon...). . Plusieurs d'entre eux, notamment Bourges et Pradet, ont publié des observations sur l'élevage au Tonkin. Quinze thèses de doctorat vétéri¬ naire ont été consacrées aux travaux des vétérinaires de l'Indo-Chine. COCHINCHINE. En 1859, l'amiral Rigault de Genouilly s'empara de Saïgon, et une gar¬ nison franco-espagnole occupa la ville; mais ce fut seulement en 1900 que la Cochinchine entra dans l'Union indo-chinoise. Pendant quarante ans, elle fut donc une colonie indépendante; c'est pourquoi une mention spé¬ ciale lui a été réservée dans cette étude. LE SERVICE VÉTÉRINAIRE AUX COLONIES. — CHAPITRE V. 39 En 1860, le corps expéditionnaire comprenait en tout 272 chevaux et un vétérinaire. Peu après, pour assurer la remonte, des achats furent faits •à Canton et en Ëgypte; le nombre des vétérinaires militaires fut porté à trois. En 187/t, le traité de Saïgon donna la Cochinchine à la France avec ses limites actuelles, et, à partir de cette date, l'influence française put s'exercer avec activité. Cependant, dès 186A, M. Germain, vétérinaire en 2e de l'artillerie de marine, fut chargé de créer à Saïgon un jardin botanique et zoologique. Il s'agissait non seulement d'organiser une pépinière d'arbres pour orner et ombrager les rues de la ville, de réunir une collection complète de plantes et d'animaux des tropiques, mais encore de doter les jardins zoologiques de France de certaines espèces qui leur avaient manqué depuis longtemps ou n'y avaient fait que de courtes apparitions; enfin, de fournir au Jardin d'acclimatation de Paris des oiseaux utiles dont l'acclimatement pouvait être tenté. Le terrain choisi était un véritable marécage; il fut rapidement trans¬ formé et aménagé, et, dès i865, Germain recevait des félicitations de l'amiral gouverneur. L'œuvre, poursuivie depuis lors avec persévérance, a pleinement atteint ses buts. Actuellement le jardin botanique et zoolo¬ gique de Saïgon est le plus joli jardin public d'Extrême-Orient; il assure l'expédition de nombreux plants en France et à l'étranger. Dès le début de l'occupation, les vétérinaires militaires participèrent aux travaux du ccComité agricole et industriel», créé pour étudier les questions relatives à l'agriculture, à l'élevage et à l'industrie. Jusqu'alors, l'élevage du cheval n'existait pas en Cochinchine; les che¬ vaux utilisés provenaient du Cambodge ou du Laos, ils étaient uniquement employés au service de selle des troupes annamites ou des riches habitants du pays. De petite taille (1 m. 20), ils se distinguaient par leur résistance à la fatigue, leur sobriété et leur rusticité. En i865, eurent lieu les premières courses, qui comprenaient des épreuves variées : courses de bœufs trotteurs attelés par couple, courses de mulets montés, courses de chevaux annamites montés par des indigènes en costume national, courses de chevaux manillais, javanais, cantonnais et annamites. L'année suivante, la première exposition agricole réunit des animaux de toutes les espèces et permit de se rendre compte des améliorations qui s'im¬ posaient. Une commission fut chargée d'étudier en particulier les moyens 3 c 40 LES ARMÉES FRANÇAISES D'OUTRE-MER. susceptibles d'accroître le rendement et la qualité des animaux destinés à l'alimentation publique. Les questions relatives à l'alimentation, à l'hygiène, au transport des animaux de boucherie firent, de la part des vétérinaires militaires, l'objet de propositions qui furent acceptées et progressivement appliquées. En 1867, la création d'un abattoir à Saïgon fut décidée et l'inspectio" des viandes réglementée d'après les mêmes principes qu'en France. Les fraudes furent réprimées. En 1871, un Conseil d'hygiène publique et de salubrité fut créé, dont les vétérinaires militaires firent partie. Des mesures furent prises pour éliminer de la consommation la viande des animaux malades et interdire l'abat des femelles aptes à la reproduction. La race bovine de Cochinchine est très mauvaise laitière. L'administra¬ tion mit en adjudication, pour la première fois en 187/1, la fourniture du lait aux malades de l'hôpital. Le haras s'engagea à fournir 5o litres par jour. Afin d'encourager l'élevage du cheval et d'améliorer la race indigène, un établissement hippique fut fondé sous la ^direction d'un vétérinaire militaire. Des étalons sélectionnés et des reproducteurs des différentes espèces furent mis à la disposition des éleveurs, auxquels des conseils furent donnés pour l'entretien des juments poulinières. Les vétérinaires militaires ne se consacrèrent pas seulement aux questions d'hygiène alimentaire et d'élevage; ils étudièrent aussi les maladies conta¬ gieuses ou parasitaires qui frappent le cheptel. Les épizooties observées en 1872 sur les buffles, en 1876 et 1877 sur les bovins, donnèrent lieu à des travaux importants. Il fut établi que la fièvre aphteuse avait été ame¬ née par des bœufs du Cambodge destinés à la boucherie. Des mesures sanitaires furent prises pour éviter l'extension de la maladie. Une affection, la cachexie osseuse, signalée sur les chevaux importés en Cochinchine, fut imputée à l'insuffisance des phosphates alimentaires. Il s'agissait de l'ostéomalacie, si fréquente è Madagascar. La création à Saïgon, en 1890, d'un Institut microbiologique a permis des recherches très complètes sur la pathologie des animaux. Les vétérinaires militaires se sont également livrés à des études intéres¬ santes au point de vue économique : emploi, comme matière tinctoriale, du sampan, de l'indigo et du gambier;'étude de la chenille du riz; exposé des essais de culture avec diverses graines de France, particulièrement avec la pomme de terre; travaux sur la gutta-percha, sur l'ostréiculture, etc. LE SERVICE VÉTÉRINAIRE AUX COLONIES. — CHAPITRE V. il Province de l'Indo-Chine française depuis 1900, la Cochinchine est aujourd'hui l'une des contrées les plus riches du monde. Saïgonest devenu une grande ville, la «Perle de l'Orienta, dont le jardin botanique est le plus bel ornement. En raison de l'extension prise par les cultures riches (rizières et plan¬ tations), l'élevage a conservé une importance secondaire, et, comme autre¬ fois, on continue à importer des chevaux, des buffles et des bœufs. Les bœufs coureurs ont disparu. L'élevage du cheval est localisé dans la province de Baria. La jumenterie de Poulo Condore a été créée pour avoir des reproducteurs de pure race indigène; elle possédait en 1929 un étalon et cinq juments de sang pur annamite. Dans l'arrondissement de Giadinh, l'élevage du cheval est uniquement pratiqué en vue des courses. Pour donner satisfaction aux éleveurs, le haras de Tan-Son-Nhut a dû orienter le métissage dans ce but spécial. D'ailleurs, un arrêté du gouverneur général en date du 31 août 1928a pres¬ crit que les haras et stations de monte de Cochinchine ne devront plus compter, au ier janvier 1980, que des étalons de pur sang arabe ou syrien et de pur sang anglo-arabe, en vue de l'obtention de produits ayant au moins 2 5 p. 100 de sang indigène, et au plus 75 p. 100 de sang étranger. Actuellement les chevaux métis ont une taille qui varie de 1 m. 36 à 1 m. A3. Ils sont forts, vigoureux, et font de bonnes montures d'officiers. Quant au cheval annamite de race pure, il est plus grand qu'autrefois, mesure quelquefois 1 m. 27, et peut porter un cavalier européen. Indépendamment des chevaux, le haras de Tan-Son-Nhut possède un troupeau d'une quarantaine de bêtes de la race hindoue du Sind, importées en vue de l'amélioration de la production laitière. Particulièrement adaptée au climat de la Cochinchine, cette race a une tendance très marquée à se répandre. Actuellement les services vétérinaires de la Cochinchine fonctionnent dans les mêmes conditions que ceux du Tonkin. Les maladies contagieuses qui sont observées : surra, barbone, peste bovine, sont combattues par les mêmes méthodes; les mesures sanitaires sont identiques, et tous les vétérinaires de l'Union indo-chinoise, par leurs travaux et leurs recherches, poursuivent le même but : conserver et améliorer le cheptel, une des ri¬ chesses de la colonie, et assurer l'hygiène alimentaire par une surveillance vigilante, dans l'intérêt de tous. CHAPITRE VI. MADAGASCAB. L'étendue des pâturages naturels, l'exubérance de la végétation four¬ ragère à la saison des pluies, sembleraient au premier abord assurer, à Madagascar, un développement considérable de la densité animale. Mais si les pâturages sont exceptionnellement abondants entre le mois de novembre et le mois d'avril, ils se réduisent, le reste de l'année, et parti¬ culièrement d'août à novembre, à des parcours sans valeur, à des steppes couvertes de plantes desséchées. La nature prévoyante a permis l'acclimatement à la colonie de deux espèces domestiques, dont la constitution permet une résistance physio¬ logique aux disettes de la saison sèche, le bœuf zébu à bosse et le mouton à queue grasse. La bosse de l'un, la queue grasse de l'autre, constituent des réserves alimentaires, permettant à ces animaux de résister à l'insuffi¬ sance fourragère. La civilisation européenne a introduit d'autres espèces, porcine, cheva¬ line, asine, OAÛne à laine; mais le zébu et le mouton à queue grasse restent ceux dont l'élevage est le plus facile et qui se prêtent le mieux aux exigences locales. * * * Les premiers techniciens qui s'efforcèrent d'améliorer les races auto¬ chtones furent les vétérinaires militaires. Avant l'occupation française, la pathologie animale était inconnue à Madagascar. Les sorciers, dont l'influence est encore grande aujourd'hui, enseignaient que toute mortalité anormale du hétail et en particulier du « dieu bœuf n était due à des maléfices, que seuls des sacrifices pouvaient conjurer. Pendant la durée de la campagne de 1895-1896 et les années qui »! - LE SERVICE VÉTÉRINAIRE AUX COLONIES. — CHAPITRE VI. A3 suivirent, les 17 vétérinaires, venus avec le corps d'occupation, furent entièrement absorbés par leurs devoirs militaires et les soins à donner aux animaux des colonnes et des compagnies de conducteurs. Leur intervention dans l'élevage fut nécessairement très limitée. Avec la pacification et l'accroissement de la population européenne, fonctionnaires ou commerçants des différentes villes, la nécessité se fit sentir de leur confier l'inspection des viandes. Ils furent également chargés de la surveillance sanitaire des principaux ports, soit pour empêcher l'introduction de maladies dont le cheptel malgache était supposé indemne, soit pour assurer au départ l'inspection du bétail exporté sur Maurice, la Réunion, l'Afrique du Sud. De 1895 à 1900, les vétérinaires militaires, parcourant l'île comme de véritables explorateurs, multiplièrent leurs observations cliniques et rassemblèrent les premiers éléments de la pathologie spéciale à la colonie. C'est à eux que sont dues la connaissance complète des maladies du cheptel et les bases d'un élevage rationnel. Il est impossible de citer tous ceux qui ont apporté leur tribut à cette œuvre de colonisation, mais, en raison de leurs travaux importants, il semble équitable de mentionner particu¬ lièrement MM. Rey, Grandmougin, Schoumacher, Tatin, Dufour, Ganeval, Geoffroy, Schuler, Seguin, Tissié. Jusqu'en 1903, les vétérinaires militaires se consacrèrent à la recherche, au diagnostic et au traitement des différentes maladies, contagieuses ou autres, qui frappaient les effectifs du corps d'occupation, ou qui compro¬ mettaient l'existence du cheptel indigène. Pour déterminer avec exactitude les régions infectées et entreprendre la lutte contre les maladies signalées, une organisation sanitaire officielle devint nécessaire. Elle fut créée en 1903 par le général Galliéni, gouver¬ neur général. L'île fut divisée en dix circonscriptions sanitaires, à la tête de chacune desquelles était placé un vétérinaire. L'organisation fut complétée par un décret établissant la liste des maladies réputées contagieuses à Mada¬ gascar et déterminant les mesures à prendre dans chaque cas. Le service vétérinaire ne devait comprendre, en principe, que des vétérinaires civils, fonctionnaires stables, susceptibles de s'attacher défini¬ tivement à la colonie et d'y acquérir l'expérience pratique nécessaire. Mais un article prévoyait judicieusement l'utilisation des vétérinaires militaires dans des fonctions hors cadre. Jusqu'à la Grande Guerre, le recrutement étant resté déficitaire, les techniciens de l'armée furent en LES ARMÉES FRANÇAISES D'OUTRE-MER. fait les créateurs de l'organisation actuelle et les artisans principaux de la lutte contre les maladies épizootiques. * * * Les vétérinaires militaires et l'élevage du bétail malgache. — Madagascar peut être considérée comme une terre de prédilection pour l'élevage des bovidés. C'est le pays du monde où le nombre de bœufs est le plus élevé par rapport à la population humaine. Le recensement le plus récent, certainement incomplet puisqu'il est basé sur la déclaration de l'indigène en vue de l'application de l'impôt, permet d'estimer à 10 millions de têtes l'importance actuelle du cheptel. Depuis l'occupation française, la progression a été régulière et constante, elle n'a marqué de régression qu'entre 1921 et 192 A à cause des héca¬ tombes provoquées par la hausse des cuirs. Le Malgache est essentiellement pasteur; il révère, dit-on, le bœuf à l'égal d'un dieu; il l'associe à tous les événements importants de sa vie, naissance, mariage, funérailles. La possession de beaux troupeaux est cà Madagascar le principal signe de la richesse. On a écrit que l'éleirage du zébu est pour le Malgache une industrie nationale; le terme industrie ne paraît pas traduire exactement la situa¬ tion, car, selon sa propre expression, l'indigène laisse ses bœufs repousser comme du rizu. Aucun soin ne préside à leur entretien. L'élevage se pratique à l'état de nature, au grand air, sans abris, sans autre surveillance que celle destinée à empêcher leg vols, d'ailleurs fréquents. La reproduction se fait au hasard des rencontres. Les mâles étant castrés trop tard, le nombre de taureaux est trop élevé, et le taureau choisi par ses qualités comme chef du troupeau n'est pas le seul procréateur. Dans ces conditions, la race bovine malgache est parfaitement acclimatée à l'île, elle est un peu dégénérée dans sa taille, retardée dans son évolu¬ tion et défectueuse dans sa conformation. Dès leur naissance, les veaux sont soumis aux intempéries, et un grand nombre succombent. Gomme la vache malgache ne donne guère plus de deux litres de lait par jour, les jeunes sont obligés de recourir de bonne heure au pâturage; ils se développent lentement. Dans certaines régions la crois¬ sance est encore retardée par l'arrêt de la végétation en période sèche, LE SERVICE VÉTÉRINAIRE AUX COLONIES. — CHAPITRE VI. 7.5 de sorte que deux années du zébu malgache équivalent à une année des bovidés européens. Le zébu n'est adulte qu'à 6 ou 7 ans. Son poids moyen à cet âge atteint 3Ao à 35o kilogrammes; à A et 5 ans, il est de 270 kilogrammes. La finesse de son squelette, sa facilité d'engraissement et la bonne qualité de sa chair musculaire en font un animal de boucherie réputé. Les hœufs élevés uniquement au pâturage donnent un rendement de 52 à 5A p. 100 et fournissent une viande de conserve de première qualité; les bœufs de fosse atteignent un rendement de 60 à 65 p. 100 et peuvent fournir une excellente viande congelée. L'élevage se pratique partout, mais les zones les plus peuplées sont celles de l'ouest et du centre-ouest des Hauts-Plateaux. La race est à peu près uniforme dans toute l'île; cependant, l'influence du sol, du climat et des pâturages permet de distinguer plusieurs variétés, dont la conforma¬ tion et les aptitudes sont assez différentes. Comme dans tous les pays, l'espèce bovine est exploitée, à Madagascar, pour le travail, la production laitière et la boucherie. Depuis des temps reculés, les troupeaux indigènes sont utilisés au piétinage des rizières. Ce travail, qui dure plusieurs semaines, est particu¬ lièrement pénible. Il épuise considérablement les animaux et provoque même un dépérissement que l'abondance fourragère consécutive permet heureusement de combattre. Après l'occupation française et l'extension du réseau routier, les besoins des transports commerciaux ont fait utiliser le zébu comme animal de trait, à la charrette, et de plus en plus pour le labour des rizières à la charrue. Enfin le zébu est employé comme porteur, soit à la selle, soit au bissac. C'est le crcheval bœuf». La vache autochtone étant une très médiocre laitière, l'exploitation du lait ne peut être envisagée. Néanmoins certaines conditions favorables et la pratique courante de la traite dans les zones du sud et du sud-ouest ont permis d'obtenir par jour, pour certaines vaches, 2 à 3 litres d'un lait particulièrement riche en beurre. L'extension que l'industrie laitière •a prise depuis quelques années est due au développement du métissage. L'élevage du zébu à Madagascar est pratiqué principalement en vue de la boucherie. Le Malgache est très amateur de viande et la quantité d'animaux consommés est en progression croissante. De 200.000 têtes avant la guerre, le nombre de bœufs abattus est passé officiellement à 46 LES ARMÉES FRANÇAISES D'OUTRE-MER. 800.000; en réalité, il doit dépasser un million, car le nombre de cuirs exportés en 1928 a été de 1.060.000. La production est largement supérieure aux besoins de la consommation locale, et on chercha tout d'abord des débouchés pour les animaux vivants. Quelques tentatives furent faites, de 1902 à 190A, avant la reconstitution en Afrique du Sud du cheptel décimé par la guerre anglo- boer; plus de 20.000 têtes furent ainsi exportées. Par suite de la tubercu¬ lose et de difficultés diverses, cette exportation fut rapidement abandonnée. De 1910 à 1913, des expéditions eurent lieu sur Marseille; mais la longueur du voyage, les frais élevés de transport, les difficultés d'alimenta¬ tion à bord d'animaux à demi sauvages, ne permirent pas de les étendre. Actuellement, seules les îles voisines de Maurice et de la Réunion sont tributaires de Madagascar. On pensa alors à l'utilisation d'excédents par l'usinage sur place, sous forme de conserves ou de viande congelée. La guerre ayant accru dans des proportions considérables les besoins de la métropole, six usines de conserves s'installèrent à Madagascar en vue de l'exploitation intensive du cheptel bovin. Les abatages atteignirent jusqu'à 136.275 têtes en 1917. En 1928, ils n'étaient plus que de 69.539. Ces usines font encore chaque année une campagne de fabrication pour satisfaire aux adjudications de l'armée, et deux d'entre elles ont complété leurs installations en vue de la préparation intensive du bœuf congelé. Leur fonctionnement, joint à l'augmentation de la consommation locale, suffit à utiliser l'excès de production de la population bovine. Aujourd'hui, le cheptel est stationnaire et même en légère régression. Avant l'occupation française, le commerce des cuirs étant inexistant, les Malgaches mangeaient la peau avec la viande. Les temps ont bien changé; les cuirs ont atteint une valeur parfois supérieure à celle de la viande, de sorte qu'en 1922, 1923 et 192à, par exemple, les indigènes laissaient une partie de la viande adhérente à la peau, pour en accroître le poids. La hausse du prix des cuirs a été à certains moments si accentuée qu'elle a provoqué de véritables hécatombes et causé un réel danger pour la conservation du cheptel. L'élevage du bœuf occupant, à Madagascar, une place prépondérante, il était indiqué, d'une part de l'améliorer afin d'accroître sa valeur, d'autre part de le protéger. LE SERVICE VÉTÉRINAIRE AUX COLONIES. — CHAPITRE VI. 47 Les mesures à prendre étaient d'ordre administratif et d'ordre technique. Dans leur élaboration, comme dans leur application, les vétérinaires militaires ont joué un rôle essentiel. Pour aboutir rapidement à des résultats tangibles, ils ont préconisé la sélection des reproducteurs par la castration des jeunes mâles défec¬ tueux, les soins aux produits, l'abatage des vaches âgées, la séparation des animaux suivant les sexes et les âges, la multiplication des points d'abreuvement, la réglementation des feux de brousse qui activent la repousse de l'herbe. Ils ont amené progressivement l'indigène à changer de méthode par l'appât du gain, et à pratiquer des croisements continus avec des animaux améliorés d'Europe. La précocité des métis permet, d'ailleurs, le renou¬ vellement plus rapide du cheptel. Les expériences faites dans les environs des grandes villes, où se trouve déjà une population métis laitière de plus de 10.000 têtes, ont montré l'influence bienfaisante du croisement des géniteurs d'Europe; mais l'importation de ces reproducteurs est rendue onéreuse par les frais de transport et les déchets de l'acclimatement. Comme l'importance du trou¬ peau à améliorer nécessite un nombre considérable de géniteurs, on a envisagé la procréation sur place, dans des établissements spécialisés, d'animaux de race pure. C'est ainsi que cinq fermes zootechniques vétérinaires ont été fondées ou sont en voie d'organisation, à Mahafaly, Maroharivo, Iboaka, Antsirabé et Kianjasoa. Elles seront les pépinières où les éleveurs viendront puiser, selon leurs besoins, les reproducteurs des différentes espèces. Les types principaux de bovins qui ont été le plus importés jusqu'ici appartiennent aux races normande et limousine ; des essais ont été égale¬ ment tentés avec les Charollais, Salers, Schwitz et Montbéliards. * * * Les véte'rinaires militaires et l'élevage du cheval. — Le cheval ne fut introduit à Madagascar qu'en 181/1 ou 1815. Utilisé exclusivement pour la parade, il fut rare, et le premier recensement effectué en 1896 en Imerina, centre presque unique d'élevage, révéla un total de 365 chevaux seulement, dont plus de moitié provenait de réformes du corps expédition¬ naire. hS LES ARMÉES FRANÇAISES D'OUTRE-MER. Le général Galliéni créa les haras et les remontes; il importa des pou¬ linières destinées à être revendues aux éleveurs indigènes; il organisa des jumenteries officielles, qui fournirent des montures aux cadres des corps d'occupation et assurèrent les transports sur le réseau routier en voie de création. Ainsi fut organisée, en 1900, la ferme hippique de l'Iboaka, dirigée par le vétérinaire militaire Tatin. 2 5 juments arabes ou barbes, 5o ânesses, 5 baudets et 2 étalons provenant d'Algérie furent acclimatés progressi¬ vement et alimentés grâce aux ressources fourragères d'une exploitation agricole attenante à la ferme. En 1902, ko juments et 2 étalons abyssins vinrent s'ajouter au premier lot. Plus tard des reproducteurs bretons furent importés, en vue de créer le cheval d'agriculture et de répondre à de nouveaux besoins. Le nombre actuel des chevaux, malgré l'absence de tout recensement sérieux, peut être évalué à 2.500. L'élevage marque une régression due à l'utilisation croissante de l'automobile, à la réduction des effectifs mili¬ taires et au peu de faveur que rencontre auprès de l'indigène le cheval de trait. L'éleveur malgache, trouvant de moins en moins de débouchés rému¬ nérateurs, abandonne le cheval. Le nombre des juments poulinières pré¬ sentées aux étalons de l'administration va en décroissant. Seul le cheval de course reste en faveur, à cause de ses succès possibles sur les hippo¬ dromes et de son prix de vente élevé. , L'élevage de l'âne et du mulet est extrêmement réduit, malgré les services que ces animaux rustiques pourraient rendre à Madagascar. * * * Les vétérinaires militaires et l'élevage du porc, du mouton, de la chèvre. — L'introduction du porc dans l'île est de date relativement ancienne; mais son élevage est resté longtemps cantonné aux Hauts-Plateaux, chez les peuplades d'origine non mulsumane. Partout ailleurs cette espèce était tcfadyfl, selon l'expression indigène, c'est-à-dire interdite, sous peine des plus grandes calamités. Les pratiques religieuses proscrivant non seulement la consommation mais l'élevage du porc, la production est restée limitée aux provinces centrales. Le chiffre total du cheptel porcin doit être voisin d'un demi-million de têtes. Le jour où les prêtres musulmans et les sorciers auront renoncé LE SERVICE VÉTÉRINAIRE AUX COLONIES. — CHAPITRE VI. 49 à son interdiction, Madagascar pourra devenir un des plus gros produc¬ teurs du monde, car l'île présente des conditions très favorables au déve¬ loppement de l'espèce porcine. Le porc malgache appartient à la race d'Afrique ou Méditerranéenne. Il est élevé en liberté d'une façon tout à fait primitive, sans abri ni nour¬ riture spéciale, consommant tous les détritus, ce qui entraîne une fréquence exceptionnelle de la ladrerie. Les services techniques ont cherché à améliorer la race locale par des croisements avec des Yorkshire, des Berkshire noirs et des Graonnais importés; les résultats ont été remjarquahles. Des industries se sont créées en vue d'exploiter les saindoux, salaisons et conserves. L'exportation des produits préparés, de même que la consommation locale des produits usinés, se traduisent par des chiffres élevés. La production du mouton est, comme partout, subordonnée à l'influence du climat. C'est ce qui explique la superficie relativement réduite de la zone favorable au développement de l'espèce ovine à Madagascar. Le développement de l'agriculture entraîne encore une diminution des espaces libres, de sorte que le recensement de 1928 accuse seulement un chiffre de 1A2.A80 têtes, très inférieur à celui des statistiques anciennes. Le mouton de Madagascar à queue grasse ne porte aucune toison com¬ merciale et sa chair est peu appréciée. Aussi les vétérinaires ont-ils conseillé de l'améliorer, non par la sélection, mais par la voie du croisement. Les fermes zootechniques ont reçu des géniteurs mérinos de Provence, de Rambouillet ou du Sud-Africain. La Chambre de commerce de Tourcoing a procédé à des essais d'acclimatement direct, dans quelques points choisis, de troupeaux de mérinos purs à laine fine; les résultats ont été peu encou¬ rageants. Le service vétérinaire, de son côté, a cherché, en particulier dans la ber¬ gerie d'Anbovombé, à implanter par croisement continu le mouton mérinos de Camargue, dont la laine peut, dans l'avenir, fournir un appoint à l'ex¬ portation. L'élevage de la chèvre est encore plus réduit que celui du mouton. On en trouve environ 200.000, dont 1A0.000 dans une seule province qui était restée longtemps inexplorée. Les races caprines malgaches ne sont utilisées ni pour le lait ni pour la toison, mais uniquement pour la boucherie. SERVICE VÉTÉRINAIRE. 4 50 LES ARMÉES FRANÇAISES D'OUTRE-MER. Le Gouvernement a tenté d'intensifier l'élevage et de l'orienter vers une spéculation productive, le mohair. Dans ce but, un lot d'angoras du type sud-africain a été importé à la ferme de Tuléar et, après un acclima¬ tement facile, a donné d'excellents résultats. Plus récemment, en vue de la production laitière, le service vétérinaire a introduit dans la zone des Hauts-Plateaux un petit troupeau de chèvres alpines. Toutes les espèces de hasse-cour habituellement élevées en Europe se rencontrent également à Madagascar. C'est par millions de têtes qu'on pourrait les compter; elles constituent une ressource alimentaire impor¬ tante pour les habitants. La colonie a également introduit dans sa ferme de Tuléar quelques couples de l'autruche du Cap en 1903, et deux couples de l'autruche de l'Ouganda en 1918. Les vétérinaires furent chargés de leur élevage à l'autrucherie officielle de Befanamy. Des tentatives d'incubation artificielle furent faites avec des résultats peu encourageants. L'incubation naturelle se montra très supé¬ rieure et le troupeau fut rapidement porté à 600 têtes; il atteignit son maximum, 1.200 têtes, au début de la guerre, et on se proposait de l'essaimer à d'autres régions propices, lorsque vint la mévente complète des plumes. Depuis lors, cet élevage n'a cessé de péricliter. Il ne compte plus actuel¬ lement que 3oo têtes, et l'autrucherie de Befanamy se contente de faire une ou deux couvées par an, uniquement pour maintenir l'effectif des oiseaux. * * * Les véte'rinaires militaires et la lutte contre les maladies. — Au début de la conquête et pendant les années qui la suivirent immédiatement, les vétérinaires militaires se trouvèrent dans l'obligation de combattre les maladies qui frappaient les animaux du corps d'occupation. Au premier rang de ces maladies il faut placer la morve, introduite par des mulets débarqués en mai 1895, et qui ne tarda pas à faire de sérieux ravages, puisqu'en 1896 le chiffre des pertes s'éleva à i35. La surveil¬ lance des effectifs et les mesures sanitaires judicieusement prises parèrent LE SERVICE VÉTÉRINAIRE AUX COLONIES. — CHAPITRE VI. 51 au danger. En 1899, la morve pouvait être considérée comme définiti¬ vement éteinte, et, sauf deux cas observés en 190A, aucune contagion nouvelle n'a été observée jusqu'en 1980. En 1898, Rey diagnostiqua l'existence d'une autre affection qui devait gêner considérablement le développement de l'élevage du cheval tout à son début, et grever les budgets militaires par l'obligation de réformes prématurées, Yostéomalacie. Il ne fut pas possible de déterminer si la maladie avait été introduite par le premier étalon australien qui en fut atteint, ou si elle préexistait sur le petit cheptel équin de l'île. Jusqu'ici, les savantes recherches de laboratoire, notamment celles de M. Carougeau, n'ont pas réussi à préciser la nature intime de l'affection. Elles s'accordent néanmoins à reconnaître que c'est une maladie par carence, caractérisée par une déminéralisation progressive du tissu osseux, aboutissant à la cachexie et à la mort. De nombreuses théories, chimique, glandulaire ou endocrinienne, nerveuse, microbienne, vermineuse, ont été émises pour expliquer son origine. Celle qui rallie à l'heure actuelle le plus grand nombre de suffrages est la théorie alimentaire. Rey, Grandmougin, Dufour, Geoffroy, Tissié ont démontré que le principal facteur pathogénique devait être recherché dans la nature des aliments locaux et leur pauvreté en sels de chaux et en vitamines. Les observations faites à Diégo, sur les animaux de la garnison, ont la valeur de véritables expériences. Jusqu'en 1907, la ration étant unique¬ ment composée de foin, avoine et orge, venant de France, pas un cas d'ostéomalacie ne fut constaté. De 1907 à 1925, le nombre d'animaux atteints augmenta ou diminua suivant la quantité de paddy introduit dans la ration. En 1925, la suppression du paddy amena la disparition de l'ostéomalacie. Les chevaux de l'armée réformés et mis au pâturage guérirent et reprirent un service actif. De 1898 à 191 A, l'ostéomalacie a causé de grosses pertes dans les effectifs militaires et les haras coloniaux, beaucoup moins dans l'élevage indigène (à peine 1 p. 100). Actuellement, grâce à l'emploi de mesures prophylactiques basées sur la suppression de la carence alimentaire incri¬ minée, l'adoption d'un régime de résistance, l'alimentation herbacée verte aussi fréquente et aussi prolongée que possible, le travail modéré, grâce aussi peut-être à l'acclimatement des descendants des chevaux importés, à l'utilisation comme géniteurs des anglo-arabes qui ont montré 4 A 52 LES ARMÉES FRANÇAISES D'OUTRE-MER. une résistance supérieure à celle des reproducteurs des autres races, l'ostéo- malacie a cessé d'être un sujet de préoccupation pour les vétérinaires militaires. D'autres maladies contagieuses ont été observées à Madagascar sur les mulets du corps d'occupation, notamment la lymphangite épizootique, une autre maladie voisine des lymphangites spécifiques que M. Carougeau a identifiée comme étant une sporotrichose, et surtout la lymphangite ulcéreuse qui présente dans la colonie une fréquence et une gravité inquié¬ tantes. Des nombreuses observations faites par Geoffroy, il résulte que cette maladie est généralement transmise par les tiques. C'est pourquoi l'élevage du cheval ne s'étend pas aux régions à bœufs, qui sont porteurs de ces parasites. Les méfaits des tiques sont tels qu'à l'heure actuelle tout cheval ou mulet mis en liberté dans les pâturages du bœuf est fatalement voué à la lymphangite ulcéreuse. Les unités militaires de Tananarive ont subi et subissent encore de gros déboires du fait de cette affection, quand elles mettent leurs animaux au régime du vert par la consommation directe à la prairie. Les prospecteurs, les commerçants, les fonctionnaires doivent renoncer à parcourir à cheval les régions à bœufs, et le service de transports en com¬ mun, qui est actuellement le seul débouché important de la population chevaline parce qu'il utilise des chars à bancs attelés de chevaux, est considérablement gêné par la courte durée d'utilisation de ses animaux; après 8 mois ou 1 an environ, ils meurent de lymphangite ulcéreuse. Pour protéger le cheptel bovin contre les deux principaux dangers qui le menacent, les vétérinaires militaires ont eu à lutter contre le charbon bactéridien et la tuberculose. Pendant plusieurs années, à cause de la défiance des indigènes et de la difficulté de pratiquer des autopsies ou des examens microscopiques, le charbon bactéridien fut simplement soupçonné. Ganeval en 1902 à Fort-Dauphin, et Grandmougin à Tuléar en igo3, qui seuls possédaient un microscope, confirmèrent définitivement l'existence de cette grave maladie par la découverte de la hactéridie. Dès lors, au cours de leurs tournées, les vétérinaires s'efforcèrent de connaître les centres où la maladie faisait périodiquement son apparition. Ils constatèrent ainsi que LE SERVICE VÉTÉRINAIRE AUX COLONIES. — CHAPITRE VI. 53 Madagascar était un champ crmauditw, où le charbon régnait à l'état endé¬ mique et causait chaque année la mort de plus de 60.000 têtes. La révélation de ces hécatombes décida l'autorité supérieure à prescrire les mesures de protection nécessaires. Il ne pouvait être question d'appliquer intégralement la loi sanitaire française; les Malgaches n'eussent jamais consenti à enfouir les cadavres, puisque pour eux la seule consolation de voir mourir leurs bœufs est dans la possibilité de les manger. On eut recours à la vaccination. L'Institut Pasteur de Tananarive, créé en 1898, reçut de Paris le vaccin nécessaire. L'utilisation de ce vaccin, d'après les règles admises à cette époque, se heurta à des difficultés consi¬ dérables. Elle exigeait deux inoculations à huit ou dix jours d'intervalle, et il était pratiquement impossible de rassembler deux fois des troupeaux vivant dans la brousse à l'état demi-sauvage. Ce fut alors que le vétérinaire en premier Grandmougin, se basant sur la résistance du bœuf à l'infection charbonneuse par le tissu sous-cutané, tenta et réussit l'inoculation directe et unique du deuxième vaccin. Ce vaccin, préparé à Tananarive, fut utilisé concurremment avec le vaccin Chauveau. Des accidents survinrent, imputables soit au vaccin lui-même, soit à son emploi en milieu contaminé; l'impression produite sur les indi¬ gènes, déjà réfractaires à la vaccination, risquait, malgré les indemnités accordées, de compromettre la méthode, lorsque M. Grandmougin conseilla la vaccination à la base de la queue. L'emploi de ce procédé, qui supprime presque complètement les accidents post-vaccinaux, est maintenant géné¬ ralisé. Enfin, pour accroître la rapidité des interventions, Geoffroy imagina d'utiliser des couloirs étroits, où les animaux sont amenés et où on les vaccine de l'extérieur sans risque d'accidents. Les vétérinaires, ne pouvant malgré toute leur activité pratiquer des millions de vaccinations, ont été autorisés à dresser des vaccinateurs indi¬ gènes. Pour des raisons budgétaires, le recrutement de ce personnel a été jusqu'ici trop restreint. En 1980, la colonie n'en compte encore que 36, chiffre manifestement insuffisant pour un cheptel bovin dépassant 8 mil¬ lions de têtes. Par contre, la fabrication du vaccin a été intensifiée. Elle était au début de quelques dizaines de mille doses; en 1980 elle a atteint le chiffre de i.36i.ooo. En augmentant le nombre des vaccinateurs, en obtenant que, sous SERVICE VETERINAIRE, 54 LES ARMÉES FRANÇAISES D'OUTRE-MER. peine de sanctions, les animaux soient rassemblés en temps utile, dans des parcs suffisants avec des couloirs aménagés, le nombre des pertes sera limité rapidement, et les économies dont bénéficiera la colonie se chiffreront par des millions. En 1901, Schoumacher, envoyé en mission à l'occasion d'une épidémie sévissant sur le bétail importé de l'intérieur vers la côte est, reconnut sur de nombreux cadavres les lésions caractéristiques de la tuberculose bovine. A cette époque, l'affection paraissait localisée au sud de l'île. En 1901-1902, lors des exportations de bovidés en Afrique du Sud, pendant la guerre anglo-boer, les autorités sanitaires de Durban et Lou- renço-Marquez signalèrent de nombreux cas d'infection tuberculeuse. La tuberculinisation, faite à Fort-Dauphin, montra que 5o p. 100 des bovidés étaient atteints et Geoffroy faisait la même constatation à Tuléar sur des animaux en parfait état d'embonpoint. Malgré les difficultés que présentaient l'injection de tuberculine et les prises de température répétées chez des animaux à demi sauvages, les observations faites simultanément par des vétérinaires militaires dans différentes régions, montrèrent que le cheptel bovin de toute la partie méridionale de Madagascar était gravement infecté. L'interdiction de franchir une frontière théorique, tracée entre la partie contaminée et la partie saine de l'île, n'empêcha pas la maladie de se propager. A l'heure actuelle, la tuberculose est rencontrée, à des degrés différents, dans toutes les régions. Elle constitue un danger sérieux pour l'élevage, à cause de la mortalité qu'elle provoque pendant les périodes de disette. Elle est donc à combattre par tous les moyens possibles. Le parcage, c'est-à-dire le rassemblement dans des enclos, pour la nuit, de troupeaux plus ou moins importants, est une cause de diffusion de la maladie; mais les raisons qui le justifient, et qui varient suivant les régions (récoltes du fumier, traite des vaches en vue du lait, ou même protection des troupeaux contre les vols) ne permettent pas d'espérer leur suppres¬ sion. La mise en fosse des animaux destinés à l'engraissement les place dans des conditions d'hygiène nettement défavorables, car aucune désinfection n'est jamais pratiquée. Le piétinage des rizières, travail très pénible, provoque un dépérisse¬ ment rapide des animaux et les met en état de moindre résistance contre la contagion. LE SERVICE VÉTÉRINAIRE AUX COLONIES. — CHAPITRE VI. 55 La période de disette, en saison sèche, entraîne un amaigrissement et une prédisposition à la maladie. Elle ne pourrait être combattue que par la multiplication des points d'eau, l'amélioration des pâturages et la consti¬ tution de réserves fourragères; ces remèdes se heurtent actuellement à des difficultés presque insurmontables. Par ailleurs, la tuberculinisation de tout le cheptel bovin est pratique¬ ment irréalisable. Même si elle ne l'était pas, il serait impossible d'ob¬ tenir l'abatage massif des millions d'animaux qui se révéleraient conta¬ minés. - Enfin, en l'absence d'une vaccination efficace, la diffusion des bacilles tuberculeux s'opère avec une rapidité qui désarme toute thérapeutique. Seules, l'amélioration de l'hygiène des animaux, la suppression des causes de contagion, l'éducation des indigènes, paraissent les moyens les plus efficaces pour combattre cette redoutable maladie. La consommation, après stérilisation à l'abattoir, des viandes saisies serait en outre suscep¬ tible de diminuer, aux yeux des indigènes, l'importance des pertes subies. A côté des maladies graves, il en est d'autres, moins importantes, qui ont retenu également l'attention des vétérinaires. Les piroplàsmoses et anaplasmoses, soupçonnées pendant longtemps, ont été identifiées en 1907 par M. Carougeau, après examen microscopique du sang des bovidés malades. En 1912 les reproducteurs, importés d'Europe à grands frais, succombèrent de piroplasmose aiguë dans la proportion de 80 p. 100. Il était d'ailleurs à prévoir que Madagascar ne resterait pas indemne de ces maladies, à cause du pullulement des tiques, vecteurs de l'agent pathogène. Par des mesures appropriées, feux de brousse, bains parasiticides, etc., les vétérinaires s'efforcent de combattre le mal. De nombreuses recherches et expériences ont aussi montré l'existence, sur les moutons et les chèvres, d'une maladie connue en Afrique du Sud sous le nom de Heart Wâter, et qui provoque de nombreuses pertes chez les animaux reproducteurs importés de France, comme chez les sujets autochtones. D'après M. Geoffroy, le virus, transmis par les tiques, serait conservé par le bœuf qui est beaucoup moins sensible à la maladie. Enfin, les maladies parasitaires tiennent une place importante dans la pathologie vétérinaire de l'île. La mortalité élevée des veaux, principalement pendant la saison chaude, •est imputée en grande partie à Yascaruliose. 56 LES ARMÉES FRANÇAISES D'OUTRE-MER. Dans une proportion variant de îoà 20 p. 100 suivant les régions, les porcs sont atteints de ladrerie. La viande des animaux malades fait courir à la population un danger qu'elle ne paraît d'ailleurs pas redouter à cause du préjugé déclarant le ténia nécessaire à la vie. Le mode d'élevage des porcs rend extrêmement difficile la prophylaxie de la maladie. La ladrerie du bœuf, quoique beaucoup plus rare, a été également observée. Les vétérinaires militaires luttent contre les maladies parasitaires trans- missibles à l'homme, par le service de l'inspection des viandes, dont l'orga¬ nisation s'étend progressivement à toutes les régions de l'île. CHAPITRE VII. AFRIQUE OCCIDENTALE FRANÇAISE. Les premiers vétérinaires militaires, en Afrique Occidentale, apparte¬ naient à l'escadron de spahis sénégalais. Ils étaient tout naturellement chargés de donner leurs soins aux animaux de cette unité. Par la suite, les fonctions qu'ils eurent à exercer furent nombreuses. ^Affectés suivant les besoins, soit à des troupes montées, soit aux compagnies de conducteurs, soit à des convois de colonnes, soit aux jar¬ dins d'essais et aux services des études agricoles, zootechniques ou commer¬ ciales, on leur demandait indistinctement de soigner des hommes ou des animaux, de porter des ordres sous le feu ou d'assurer le ravitaillement des troupes d'assaut, de commander un convoi de porteurs ou un convoi d'évacuation de malades, d'être officier topographe, photographe des colonnes, ou professeur d'agricultures. (Général Mordacq.) Ce témoignage montre la multiplicité des services rendus par les vété¬ rinaires, comme militaires et comme techniciens, et la haute estime en laquelle ils étaient tenus. De 1878, date de leur arrivée, jusqu'en 1918, date de la création du cadre des vétérinaires coloniaux, les vétérinaires militaires furent les seuls vétérinaires présents en Afrique Occidentale. A eux revient incontes¬ tablement le mérite des recherches et des études sur les espèces, les races, l'élevage et les maladies observées dans les différentes colonies, Mauritanie, Sénégal, Soudan, Haute Volta, Niger, Dahomey, Côte d'Ivoire et Guinée. Malgré le climat meurtrier, les difficultés matérielles, l'insuffisance des moyens mis à leur disposition, malgré leurs fonctions militaires propre¬ ment dites, pénibles et absorbantes, ils ont entrepris une série de travaux 58 LES ARMÉES FRANÇAISES D'OUTRE-MER. dans le but d'inventorier les ressources de l'A. 0. F. et de montrer le parti qu'on en pouvait tirer par une exploitation rationnelle. En 19 0-4, pour coordonner les efforts dans les différentes colonies, le Gouverneur général créa un Service zootechnique, dépendant du Service de l'agriculture. Ce nouveau service détachait, dans chaque colonie du groupe de l'A. 0. F., un vétérinaire militaire hors cadres, qui, sous l'auto¬ rité du Lieutenant-Gouverneur et du chef du Service de l'agriculture local, était chargé des questions relatives à l'élevage et à la police sanitaire des animaux. Un vétérinaire en premier, M. Pierre, inspirateur du projet, était attaché à l'Inspection de l'agriculture à Dakar ; il avait pour mission de coordonner les études d'ensemble et d'en centraliser les résultats. Il était également chargé de l'inspection technique des vétérinaires locaux, recrutés parmi les vétérinaires militaires hors cadres ayant fait un ou plu¬ sieurs séjours en A. 0. F. et qui dans la suite pourraient être remplacés par des vétérinaires civils contractuels. Le Service zootechnique fut rendu autonome en 1909 et fonctionna jusqu'en 1918 dans les conditions indiquées. A cette époque, le Gouver¬ neur général créa un cadre de vétérinaires coloniaux pour le gouvernement général de l'A. 0. F.; leur statut était analogue à celui du personnel des différents services. En 19 2 U, les vétérinaires coloniaux furent classés comme fonctionnaires du Ministère des Colonies. Pour remédier au manque de personnel médical européen, médecins et vétérinaires, une école de médecine fut créée à Dakar en 1918, avec une section vétérinaire. Celle-ci se chargea de former, ap ès quatre années d'études, des vétérinaires auxiliaires indigènes qui seraient adjoints aux vétérinaires européens et pourraient éventuellement les remplacer. Deux vétérinaires militaires participèrent à l'enseignement théorique et pratique donné dans cette section, qui en ig2d fut transportée à Bamako. Ainsi, après avoir pendant longtemps assuré à eux seuls toutes les charges, les vétérinaires militaires ont été progressivement remplacés en A. 0. F. par des vétérinaires civils. Quelques-uns seulement collaborent encore à l'œuvre commune et poursuivent les efforts de leurs prédécesseurs dont le rôle, pendant près de quarante années de colonisation, mérite d'être signalé. Il n'est pas possible de citer toutes les études, toutes les recherches, ni tous les travaux accomplis par les vétérinaires militaires qui ont servi en A. 0. F. depuis 1878. Ils se divisent en deux groupes; l'un a trait à LE SERVICE VÉTÉRINAIRE AUX COLONIES. — CHAPITRE VIL 59 l'élevage, l'autre concerne les maladies des différentes espèces animales et les moyens de les combattre ou de les prévenir. * * * Élevage. — L'Afrique française, forêt équatoriale à part, tire la plus grande partie de ses ressources de l'élevage. Au Sénégal, au Soudan, dans la Haute Volta, au Niger et dans la Haute Guinée, les bœufs, chevaux, dromadaires, moutons et chèvres, sont élevés en troupeaux considérables, qui parcourent les vastes étendues de la steppe africaine. L'étude zootechnique et économique du cheptel fut une des premières préoccupations des vétérinaires militaires, et les monographies ou descrip¬ tions qu'ils ont publiées montrent leur intérêt pour cette question. C'est ainsi que Pierre et Monteil ont écrit : L'élevage au Soudan, Pierre : L'élevage en Afrique Occidentale française, Bourgès : Les animaux domestiques au Soudan, Pécaud : L'élevage au Dahomey, Lagaillarde : Le troupeau séné¬ galais, Malfroy : La monographie du Cercle de Niamey, Monod : une Etude générale sur les chevaux du Soudan français. Ces travaux attirèrent l'attention de l'Administration et du Commande¬ ment, dont les préoccupations étaient dirigées surtout vers l'action mili¬ taire; ils leur montrèrent les avantages que la colonie pouvait retirer des observations faites par les vétérinaires militaires et l'importance du chep¬ tel dans les richesses de la Colonie. Après l'organisation du service zootechnique, les efforts éparpillés furent concentrés vers l'étude des questions d'élevage et des mesures à prendre contre les maladies. D'autres questions, importantes pour l'avenir économique de la colonie ou pour le bien-être des habitants, furent aussi l'objet d'études approfon¬ dies et donnèrent lieu à des judicieuses réglementations. Les exportations, particulièrement importantes au Sénégal, au Soudan, au Dahomey et en Guinée, furent surveillées. De même, l'inspection des abattoirs et des marchés fut organisée pour assurer une parfaite hygiène de l'alimenta¬ tion. Dans l'accomplissement de leurs tâches multiples, les vétérinaires mili¬ taires furent amenés à visiter souvent les centres d'élevage et à entrer en relations avec les indigènes, dont il fallait gagner la confiance. 60 LES ARMÉES FRANÇAISES D'OUTRE-MER. Avec persévérance et habileté, en ménageant les susceptibilités, il s'agis¬ sait de leur faire comprendre les défectuosités des méthodes pratiquées. Il fallait tout d'abord faire appel à l'intelligence des chefs, des notables, les gagner à l'idée d'entraîner la population dans la voie du progrès. Ce n'était point aisé, car le noir renonce difficilement aux errements ancestraux, surtout en matière d'élevage, et les trois quarts des animaux appartenaient aux Peuls, aux Foulbé, ou aux Foulas, populations tradi- tionnalistes par excellence. Il fallut étudier les coutumes locales afin de ne pas les heurter de front, déterminer les conditions de la production zootechnique, les modifica¬ tions pratiques à y introduire, pour arriver à une exploitation rationnelle des animaux domestiques, en tenant compte des difficultés inhérentes au sol et au climat. Les espèces les plus intéressantes par le nombre et la qualité sont les équidés, les bovidés et les ovins. Toutes les colonies du groupe de l'Afrique Occidentale française ne sont pas également favorisées sous le rapport de l'élevage. Le régime des animaux étant uniquement le pâturage, l'ali¬ mentation du bétail dépend des variations climatiques. En outre, dans certaines régions, l'élevage est rendu impossible par la présence des trypa- nosomiases. La population chevaline de l'Afrique Occidentale française est com¬ posée d'un mélange, en proportions très variées, de deux types naturels, l'un d'importation, le barbe, l'autre autochtone vraisemblablement, cheval du Macina, cheval M'Bayard. C'est une population métisse tren variation désordonnées. Il est généralement admis que les équidés du Soudan et du Sénégal ne peuvent suffire à la remonte des troupes d'occupation. Depuis 1900, le nombre des chevaux a diminué, par suite de la réduction des débouchés. Un des derniers recensements a donné les chiffres suivants : Sénégal 18.000 Haut-Sénégal, Niger 6A.000 Guinée A.000 Autres colonies 3o.ooo Total 116.000 LE SERVICE VÉTÉRINAIRE AUX COLONIES. — CHAPITRE VIL 61 Actuellement les troupes montées sont peu nombreuses, les chemins de fer sont multipliés, les grands chefs qui possédaient une nombreuse cavalerie ont disparu, et les indigènes, n'ayant rien à craindre pour leur sécurité, n'utilisent plus le cheval qui était leur arme défensive. En général, les chevaux soudanais ou sénégalais sont trop petits (1 m.35 à 1 m. A 5); mais ils présentent des qualités de vigueur et d'endurance qui rendent leur utilisation précieuse. Les premières tentatives d'amélioration de la race datent de 1895. Le général de Trentinian créa six dépôts d'étalons à Kayes, Nioro, Ségou, Saraféré et Bandiagara, destinés à étendre leur influence à tous les centres de production et à faire pénétrer jusque dans la boucle du Niger les types les plus beaux de la race. Cet effort fut stérile; il n'avait pas été tenu un compte suffisant de l'esprit de défiance et de prévention dont l'indigène est imbu. La présence des Européens dans les établissements hippiques, la réglementation, les papiers administratifs dont les noirs ont une cc horreur instinctive r>, l'annonce même de primes, qui leur paraissaient d'autant plus suspectes qu'elles étaient plus alléchantes, empêchaient les indigènes d'amener leurs juments. L'expérience faite a du reste montré que la création des haras en A. 0. F. ne devait pas être poursuivie, parce qu'elle était trop onéreuse, et parce que les bons reproducteurs ne suffisent pas à améliorer une race. Il y a des conditions économiques et climatériques dont il faut tenir compte; il y a surtout une régularité de l'alimentation sans laquelle rien n'est possible. Il faudra sans doute beaucoup de temps pour amener le noir à constituer des réserves en vue de la mauvaise saison ou de mauvaises récoltes. C'est là que réside la principale difficulté à surmonter. S'il est indiqué de réformer les coutumes locales dans ce qu'elles ont de défectueux pour la reproduction, s'il faut préconiser la sélection des géni¬ teurs, il faut avant tout prévoir la subsistance des produits par une alimen¬ tation régulière et suffisante. La population bovine de l'Afrique Occidentale française a été évaluée à 7 millions 800.000 têtes : Sénégal. . 1.000.000 Haut-Sénégal-Niger 3.000.000 Guinée 800.000 Autres colonies 3.000.000 62 LES ARMÉES FRANÇAISES D'OUTRE-MER. Bien que les recensements soient extrêmement difficiles et très incom¬ plets, ces chiffres montrent que le cheptel, eu égard à la population ter¬ ritoriale, constitue une partie très importante de la fortune publique. Les transactions commerciales auxquelles il donne lieu, soit par l'exporta¬ tion des animaux vivants, soit par celle des différents produits et en par¬ ticulier des peaux, ont marqué une progression continue, de sorte que l'élevage des bovidés est un des éléments les plus intéressants de la produc¬ tion économique de l'A. 0. F. L'élevage permet de compter annuellement sur 5oo.ooo animaux de boucherie, et comme la consommation locale n'en absorbe guère que la moitié, 2 5o.ooo restent disponibles pour l'exportation. On peut même prévoir que dans un avenir prochain l'A. 0. F. s'inscrira au nombre des pourvoyeurs de viande du marché mondial. Pour conserver et même accroître cette source de richesse, les vétérinaires militaires ont, de très bonne heure, envisagé l'amélioration des races et des conditions d'élevage, et organisé la lutte contre les grandes épizooties qui causent des pertes considérables. La population bovine de l'Afrique Occidentale française comprend deux groupes distincts, les bovidés zébus ou bœufs à bosse, et les bovidés taurins ou bœufs sans bosse, auxquels s'ajoutent les métis. Les bovidés zébus comportent trois variétés : i° La variété peule ou «gobran, rencontrée dans quelques provinces du Sénégal; c'est un grand bœuf, rustique, à engraissement facile, pesant 3oo a 6oo kilogrammes, avec un rendement moyen de A8 p. 100; 2° La variété maure, qui occupe le Sahel et la Mauritanie, est inférieure à la précédente, d'un poids de 3oo à 5oo kilogrammes, avec un rende¬ ment moyen de A5 p. 100; 3° La variété nigérienne, qui occupe tout le Macina et le nord de la boucle du Niger. Ces bœufs sont également intéressants comme porteurs et comme animaux de boucherie. D'un poids de 3oo à 6oo kilogrammes, ils donnent un rendement moyen de A8 p. î oo. Les bovidés taurins sont représentés par la race N'Damti et le croisement de cette dernière avec le zébu. La race N'Dama est de trop petite taille et d'un poids insuffisant (i5o kilogrammes) pour assurer un commerce d'exportation sous forme de viande. ; PLANCHE XI. Laboratoire improvisé de diagnostic et de recherches en A. 0. F. LE SERVICE VÉTÉRINAIRE AUX COLONIES. — CHAPITRE VIL 63 Au hasard des accouplements, il s'est produit un type remarquable, le métis du zébu et de la race N'Dama, qui pèse couramment Aoo kilo¬ grammes, fournit une viande excellente, se montre très apte au travail et très résistant. Les méthodes d'élevage ne varient guère chez les populations, qu'elles soient pastorales (Peuls, Touareg, Maures) ou agricoles (Bambaras, Malinkè, Foulas, Serères). D'une manière générale, l'élevage pastoral, qui comprend les sept huitièmes de la population totale des bovidés et des ovidés, est très développé. Pour encourager l'élevage, il faut lui créer des débouchés et améliorer la race. La création de débouchés sera facilitée par la multiplication des marchés et des concours régionaux, ainsi que par l'organisation rationnelle de l'exportation. Celle-ci comporte : 1 ° L'achat du bétail et son transport au lieu d'embarquement; 2° Le transport des animaux par mer et le moyen de leur rendre moins pénible la traversée; 3° Le parti à tirer des animaux à leur débarquement. Pour obtenir l'amélioration des races, sans heurter trop brusquement les coutumes locales, les vétérinaires ont conseillé : i° La sélection des variétés locales, résistantes, adaptées au climat, évitant les déceptions causées par les reproducteurs européens; 2° La création de fermes d'élevage, où seront conservés, pour être mis à la disposition des éleveurs, les animaux reproducteurs sélectionnés. La Guinée et la Côte d'Ivoire ont créé les fermes modèles de Mamou et de Bouaké, qui permettent aux indigènes de constater les avantages de nos méthodes et les bénéfices rapides qu'ils en peuvent retirer; 3° La castration obligatoire de tous les mâles à conformation défec¬ tueuse, ce qui entraînera la diminution du nombre des taureaux dans le troupeau, et l'amélioration des animaux castrés au point de vue de la boucherie; A0 La création de réserves fourragères. — En A. 0. F. où les saisons sont très marquées, l'irrégularité de l'alimentation constitue un gros ob¬ stacle à l'amélioration du cheptel. Chaque année, à l'époque de sécheresse, 64 LES ARMÉES FRANÇAISES D'OUTRE-MER. les animaux passent d'une abondance relative à la disette presque com¬ plète. Il y a le plus grand intérêt à faire constituer dans chaque village des réserves de fourrage en rapport avec la population bovine, à créer des prairies et à utiliser les feuilles et pailles provenant de diverses cultures (mil, maïs, arachides, niébé). Le maïs, le téosinte, la luzerne, ainsi que la culture de la patate et du manioc, peuvent permettre de remédier aux incon¬ vénients de la saison sèche; 5° L'aménagement des routes caravanières. — Pour faciliter les dépla¬ cements des troupeaux et leur éviter toute fatigue inutile, il est nécessaire d'organiser les voies les plus courtes et les plus saines et d'y aménager des parcs et des puits; 6° L'installation de points d'eau. — Un des reproches adressés au bétail africain est son défaut de précocité. La lenteur de son accroissement, dans certaines régions du territoire, provient de la sécheresse estivale, qui, malgré le régime de la transhumance, détermine une mortalité consi¬ dérable sur les jeunes. Il faut créer des points d'eau. Au Sénégal et en Mauritanie, des efforts sérieux ont été faits pour résoudre ce problème capital, et l'expérience montre que chaque puits creusé devient un centre de production du bétail; 7° L'organisation de concours régionaux et l'attribution de primes, qui provoqueront chez les indigènes une émulation heureuse et permet¬ tront le choix des taureaux améliorateurs; 8° Enfin l'organisation de l'assistance médicale et de l'action sanitaire. Les ovidés représentent la plus grande partie du cheptel dans le nord, Mauritanie, Sahel, Sahara Soudanais : Sénégal.... 200.000 Haut-Sénégal-Niger 2.5oo.ooo Guinée 800.000 Autres colonies 1.000.000 Total 4.5oo.ooo Les moutons et les chèvres (ces dernières seraient au nombre de cinq millions) forment la base de l'alimentation en viande pour les indigènes sédentaires, et en lait pour les tribus nomades. LE SERVICE VÉTÉRINAIRE AUX COLONIES. — CHAPITRE VIL 65- Les moutons, à part la petite race du Fouta-Djallon, sont hauts sur pattes et généralement maigres; mais ils prennent facilement la graisse et donnent dans ces conditions une chair excellente. Les races ovines de l'Afrique Occidentale française sont très recom- mandables, et il n'y a pas lieu de Içur en substituer d'autres. Les efforts doivent tendre à les améliorer par des reproducteurs soigneusement choisis, par la castration des mâles et par la constitution de réserves fourra¬ gères. De toutes les races que possède l'Afrique Occidentale française, il en est une remarquable par la qualité de sa laine. Elle est connue sous le nom de race du Macina et se trouve dans la vallée du Niger. En raison de son importance numérique (950.000 têtes), le commerce de laine consti¬ tue un des éléments de la richesse du pays. Pour le développer, la bergerie de Goubo près de Niafunké a été créée en 1907. Dans cet établissement, on produit des béliers de choix et on enseigne aux indigènes la tonte ainsi que la manière de présenter les toisons d'une façon avantageuse. Deux méthodes s'offraient, le métissage et la sélection. C'est la pre¬ mière qui fut choisie. Des reproducteurs furent importés, beaucoup succom¬ bèrent et cette tentative d'amélioration se termina par un échec. Depuis, de nouveaux essais ont été tentés, en particulier à l'annexe d'el Oualadji, avec des géniteurs mérinos algériens qui permettent d'escompter des résul¬ tats favorables. Cependant le métissage ne doit pas faire exclure la sélec¬ tion, c'est-à-dire le choix des bons reproducteurs et l'élimination des mauvais. * * * Lutte contre les maladies épizootiques. — Trois maladies dominent la pathologie vétérinaire en Afrique Occidentale française. Ce sont la peste bovine, la péripneumonie et les trypanosomiases. La peste bovine sévit à l'état endémique en A. 0. F. depuis 1915, et cause une très forte mortalité. Les pertes qu'elle occasionne chaque année s'élèvent à plusieurs millions. La gêne apportée à l'exportation par les mesures de police sanitaire ont une fâcheuse répercussion sur le commerce général et par suite sur la richesse de la colonie. La première épizootie connue sévit entre 1891 et 1893. La mortalité atteignit jusqu'à 98 p. 100 et le cheptel bovin du Niger fut à peu près anéanti. 11 était entièrement reconstitué lorsque la peste bovine réapparut SERVICE VÉTÉRINAIRE. 5 66 LES ARMÉES FRANÇAISES D'OUTRE-MER. en janvier igi5 et s'étendit progressivement jusqu'en 1917. Enfin, une nouvelle épizootie fut observée en 1919-1920 et, depuis cette époque, des foyers sont constatés qui semblent démontrer la persistance de la maladie sous la forme endémique. Toutes ces épizooties présentent un. caractère commun. Elles viennent de l'est et s'étendent progressivement vers l'ouest. Elles se propagent plus ou moins rapidement du Tchad vers le Niger. Du cercle de Niamey elles diffusent ensuite au Dahomey, en Haute Yolta, au Soudan, puis gagnent la Guinée, la Côte d'Ivoire, le Sénégal et la Mauritanie. Pendant de nombreuses années, les vétérinaires militaires du service zootechnique ont lutté contre la peste bovine avec des moyens insuffisants. Ils n'avaient à leur disposition que les mesures de police sanitaire, diffi¬ cilement applicables et donnant, des résultats incertains. S'il est relative¬ ment aisé, même avec ces seules mesures sanitaires, d'enrayer les épizoo¬ ties locales et de circonscrire des foyers infectieux peu importants, il n'en est pas de même lorsqu'il s'agit d'une épizootie envahissante. Les cor¬ dons sanitaires sont débordés, la virulence et la contagiosité plus grandes, la morbidité et la mortalité beaucoup plus élevées. Actuellement, pour faire disparaître complètement la peste bovine en Afrique Occidentale française, les vétérinaires opèrent avec méthode et coordonnent leurs efforts. Leurs nombreuses recherches ont abouti à une vaccination efficace, basée sur l'utilisation d'un sérum provenant d'ani¬ maux guéris et hyperimmunisés. Les laboratoires de Saint-Louis, de Bamako et de Niamey sont outillés pour fournir très rapidement le sérum nécessaire. Des travaux récents permettent d'espérer, dans un avenir prochain, la vaccination des animaux par un procédé encore plus simple et plus rapide (vaccins formolés). Les épizooties de peste bovine seront combattues avec d'autant plus de facilité que les premiers cas seront signalés plus tôt. Un service de rensei¬ gnements est donc à prévoir. L'établissement de cordons sanitaires, et de barrages obtenus par la vaccination rapide des troupeaux exposés à la contagion, permettra d'arrêter la maladie dans sa marche envahissante. En A. 0. F. les difficultés s'opposant à l'obtention de résultats rapides sont nombreuses. Elles viennent de l'immensité des territoires contaminés, de la pénurie d'agents techniques, des conditions particulières de l'élevage, de l'indocilité des animaux vivant à l'état demi-sauvage, du déplacement continuel des troupeaux à la recherche des pâturages et des points d'eau, de l'absence de voies de communication et de moyens de locomotion LE SERVICE VÉTÉRINAIRE AUX COLONIES. — CHAPITRE VIL 67 rapides. Mais l'importance du but à atteindre doit provoquer les efforts capables de surmonter les difficultés. La péripneumonie est une des maladies les plus anciennement connues de l'Afrique; elle est aussi l'une des plus meurtrières, car elle revient périodiquement dans les mêmes régions, et dans certaines, comme le Niger et le Tchad, elle existe presque en permanence. Tous les vétérinaires militaires de l'Afrique Occidentale française ont eu à la combattre, et ils ont employé la méthode de vaccination classique qui consiste à inoculer le virus prélevé sur un animal malade, aussitôt après sa mort. L'application de cette méthode rencontre des difficultés, non à cause de sa technique très simple, mais en raison de la multiplicité des foyers de contagion, de l'étendue des espaces à parcourir, de l'insuffisance du per¬ sonnel, de l'importance numérique des troupeaux à vacciner et aussi de l'effet moral produit sur les indigènes par certains échecs. Pour faire accepter la vaccination, les vétérinaires ont dû s'armer de diplomatie, de prudence et de patience. Quelques essais pratiqués dans les troupeaux contaminés ont montré l'efficacité de la méthode et dissipé la méfiance. Malheureusement elle cause parfois une mortalité assez élevée (1 o à 12 p. 1 oo) et le procédé classique de vaccination à la queue a le gros inconvénient de provoquer assez fréquemment la chute du bouquet caudal, accident d'autant plus regrettable qu'il prive les animaux de leur principal moyen de défense contre les mouches. Aussi, les vétérinaires militaires ont-ils à peu près partout adopté le procédé indigène, dont on connaît mal l'origine, et qui consiste à insérer le virus sur le chanfrein. La mortalité est moins élevée, et l'accident signalé n'est plus à redouter. Quand la péripneumonie présente une forme épizootique, les vétérinaires organisent la lutte, non seulement en multipliant les vaccinations, grâce à la collaboration des vaccinateurs indigènes initiés, mais en prescrivant et en faisant appliquer les mesures sanitaires qui ont pour but de limiter et de circonscrire les foyers de contagion. Les maladies à trypctnosomes sont de beaucoup les plus répandues en Afrique Occidentale française; elles provoquent des pertes considérables et rendent des régions entières impropres à tout élevage. Les vétérinaires militaires ont les premiers découvert les parasites du 5 a «8 LES ARMÉES FRANÇAISES D'OUTRE-MER. sang qui les déterminent, et fait une étude complète du mode de trans¬ mission, des symptômes, de l'évolution, du traitement. Parmi ceux qui se sont particulièrement consacrés à cet important chapitre de pathologie coloniale, il convient de citer Cazalbou, Pécaud et Teppaz. Leurs travaux ont montré que les trypanosomiases, causées par des parasites du genre trypanosome, différentes suivant les espèces animales envisagées, affectent tous les animaux domestiques, ainsi que les animaux sauvages qui peuvent remplir le rôle de réservoir à virus. Les recherches ont établi que la plupart des trypanosomiases proviennent des trypanosomes Dimorphon, Cazalboui et Pécaudi et sont transmises par des insectes piqueurs, notamment par la mouche tsé-tsé (du genre glossine) qui vit dans les régions humides. Ces maladies ont été observées dans le Niger (souma, baleri), en Mauri¬ tanie (m'hori, surra), au Sénégal, en Guinée, au Dahomey. Elles sont moins graves pendant la saison sèche que pendant la saison des pluies; les races locales présentent une résistance plus marquée que les animaux européens importés, et c'est un facteur dont il importe de tenir compte dans l'amélioration de l'élevage. L'émigration du bétail sur les hauteurs, pendant la saison humide, réduit d'une façon sensible les ravages des trypanosomiases. Dans les zones montagneuses ou sablonneuses, à végétation rabougrie, les glossines n'existent pas ou sont infiniment plus rares que dans les vallées à hautes futaies et dans les plaines basses à fourrés épais, où les mouches s'abritent plus volontiers. Les rivières elles-mêmes des régions élevées, à rives peu ombragées, conviennent mal à la tsé-tsé. Mais, pendant la saison sèche, l'indigène est obligé de rechercher les grandes vallées à fond humide. Dans l'impossibilité de protéger d'une façon absolument efficace les animaux contre les atteintes des insectes qui transmettent les trypano¬ somiases, les vétérinaires militaires ont dirigé leurs efforts vers la découverte d'un traitement préventif et curatif. La chimiothérapie a donné d'excellents résultats, et ce sont les associations atoxyî-orpiment-émétique qui ont pro¬ duit les meilleurs effets. Des médicaments employés depuis peu, comme le ao5 Bayer, la tryparsamide, le naganol, permettent d'espérer que la lutte contre les trypanosomiases animales et contre la trypanosomiase humaine (maladie du sommeil) sera marquée, dans un avenir prochain, par des progrès considérables. Les vétérinaires.militaires, ayant servi en A. 0. F. depuis 1880, ont laissé de nombreux travaux, non seulement sur les trois grandes maladies exa- PLANCHE XIII. La promenade des malades. LE SERVICE VÉTÉRINAIRE AUX COLONIES. — CHAPITRE VII. 69 minées plus haut, mais encore sur d'autres affections microbiennes, para¬ sitaires ou de cause encore indéterminée. La pathologie vétérinaire de l'A. 0. F. s'est ainsi progressivement enrichie de toutes les études et observations faites par ces chercheurs laborieux, infatigables et modestes, dont tous les noms ne peuvent être cités, mais parmi lesquels il convient de retenir Koerper, Bourges, Pierre, Dupuy, Pesas, Sarrazin, Lenoir, Griffault, Cazalbou, Monod, Wilbert, Pécaud, Teppaz, Choteau. Leurs mérites ont été appréciés de la façon suivante par le générai Mordacq : ce Les vétérinaires soudanais, mis les premiers en présence des maladies inconnues qui sévissent si cruellement sur les animaux du pays, en ont inlassablement cherché les origines. Leurs rapports nous les ont fait connaître. Il ne m'appartient pas de juger leurs travaux; mais j'ai le devoir de les citer et de faire ressortir les conditions défavorables dans lesquelles se trouvaient leurs auteurs pour les exécuter. Sans laboratoire, sans instru¬ ments et sans médicaments, ayant à supporter la dépression physique et intellectuelle que le climat cause à tous les Européens, ils n'ont pu faire pénétrer quelques rayons lumineux dans le ténébreux ensemble des mala¬ dies tropicales, qu'à force de patientes, laborieuses et intelligentes re¬ cherches. ccSi le faisceau de ces rayons n'a pas dissipé toutes les incertitudes, il permet cependant aux nouveaux venus de reconnaître, le plus souvent, les affections qui s'offrent à leurs investigations, -n * * * Pastoria. — L'étude du rôle des vétérinaires militaires en Afrique Occi¬ dentale française et l'énumération des services qu'ils ont rendus à la Colonie et à la science seraient incomplètes, si on passait sous silence la création en Guinée d'un laboratoire de recherches, filiale de l'Institut Pasteur de Paris, et qui, en souvenir du grand savant, a pris le nom de Pastoria. L'importance des inoculations expérimentales dans l'étude des mala¬ dies infectieuses a amené les laboratoires, et en particulier l'Institut Pasteur de Paris, à se procurer des animaux sensibles aux différents agents patho¬ gènes. Les singes anthropoïdes sont susceptibles de contracter un certain SERVICE VÉTÉRINAIRE. 70 LES ARMÉES FRANÇAISES D'OUTRE-MER. nombre de maladies, auxquelles la plupart des autres espèces animales sont réfractaires. Comme les singes importés en Europe succombent rapidement à cause du climat, des fatigues du voyage ou de la captivité, le professeur Calmette imagina de créer, dans une colonie appropriée, un centre de recrutement et d'élevage de ces singes, à côté d'un laboratoire chargé de les utiliser. Après entente avec le Gouverneur général de l'A. 0. F., le laboratoire de Kindia fut créé en 1922 sous la direction du vétérinaire commandant Wilbert, secondé depuis par le vétérinaire capitaine Delorme. Il avait pour objet : ; i ° La préparation et la délivrance des vaccins et des sérums préventifs ou thérapeutiques pour les maladies épizootiques (charbon bactéridien, péripneumonie des bovidés, peste bovine); 20 L'étude des maladies virulentes ou parasitaires qui sévissent sur les animaux domestiques en Afrique Occidentale et Ëquatoriale, ainsi que la recherche des méthodes prophylactiques ou thérapeutiques capables de combattre ou d'empêcher la propagation de ces maladies; 3° L'élevage de jeunes chimpanzés et des diverses espèces de singes susceptibles d'être utilisés soit sur place, soit dans les laboratoires d'Europe et de l'Afrique du Nord, pour l'étude des maladies humaines non trans- missibles à d'autres animaux. j ; f . '* • ,".V ' Grâce à la subvention annuelle accordée par le Gouvernement de l'Afrique Occidentale française, aux crédits alloués par le Ministre de l'Instruc¬ tion publique et par l'Académie des Sciences, un laboratoire d'études et de recherches a pu être établi au cœur de la brousse africaine et doté de tous les moyens modernes d'action et de travail. Dès bâtiments définitifs ou provisoires ont été construits; ce sont les singeries, la bouverie, les abris pour petits animaux, les magasins de vivres, d'outillage et de matériel, les ateliers, le garage. Trois kilomètres de routes empierrées sillonnent la concession; 18 hectares, sur les 35 que comporte le domaine, ont été mis en culture et produisent les fruits et les légumes (bananes, ananas, patates, manioc, riz) destinés à l'alimen¬ tation des animaux. De nombreux arbres fruitiers sont plantés chaque année. Un jardin d'essai est aménagé pour la culture des plantes de brousse recherchées par les singes. Les eaux de ruissellement du plateau sont PLANCHE XIV. Installation d'isolement des singes. Indigène chargée dos soins. LE SERVICE VÉTÉRINAIRE AUX COLONIES. — CHAPITRE VIL 71 recueillies et canalisées; l'électricité est installée; un appareil Sigrun four¬ nit la glace. Le laboratoire est largement pourvu de tout le matériel indispensable. Un troupeau de 15 bœufs assure la production du sérum antiseptique. Des animaux sauvages sont conservés pour l'expérimentation, et des études sont faites sur les serpents venimeux de la région. De nombreuses espèces de singes sont entretenues à l'Institut Pasteur de Kindia; leur recrutement est assuré par des achats aux chasseurs indigènes. L'activité du laboratoire de Pastoria s'exerce dans les services pratiques et dans les travaux de recherches. Les services pratiques comportent la préparation et la délivrance de yaccins et de sérums thérapeutiques, humains et vétérinaires. L'Institut Pasteur de Kindia assure le service de la vaccine en Guinée et délivre annuel¬ lement Aoo.ooo doses. Il prépare les cultures pures pour la vaccination de la péripneumonie. De 1923 à 1927, il a pratiqué A.g35 analyses microbiologiques pour le Service de santé ou le Service vétérinaire. Centre de recherches biologiques sur les singes anthropoïdes, l'Institut Pasteur de Kindia a commencé ses travaux par l'étude de la physiologie et de la pathologie simiennes. C'est ainsi qu'il a établi que les singes en captivité succombent presque toujours à des infections intestinales (dysem terie bacillaire et amibienne, infestations parasitaires massives). Les premiers essais de vaccination contre la tuberculose par le B. C. G. ont été faits à Kindia. Ils ont nettement démontré l'inocuité et l'effica¬ cité de cette méthode, dont l'application à l'homme se répand de plus en plus. L'étude expérimentale du cancer .se poursuit, ainsi que les recherches sur le paludisme, les spirochétoses, les pneumococcies. De nombreux tra¬ vaux ont déjà été publiés sur ces questions. L'installation matérielle de l'établissement demande encore des améliora¬ tions, mais, dès maintenant, l'Institut Pasteur de Kindia répond à son but. Seul, avec de maigres ressources, un vétérinaire militaire, tour à tour ingénieur, électricien, architecte, a réussi à édifier dans la brousse un labo¬ ratoire de premier ordre. La construction d'une «Maison des hôtes « permettra d'accueillir les savants désireux d'utiliser sur place des moyens de travail incomparables et contribuera encore à accroître le rayonnement mondial de ce centre scientifique. CHAPITRE VIII. AFRIQUE ÉQUATORIALE FRANÇAISE. Après l'exploration des régions du Congo et de la Sanga par de Brazza (1878-1885), et la délimitation des zones d'influence des différentes nations européennes, il y eut une véritable poussée vers le centre africain. La création, vers 1900, de l'escadron de cavalerie du Chari, amena dans cette région le premier vétérinaire militaire. La région du Tchad est de beaucoup la plus riche de l'A. E. F. en ani¬ maux domestiques. C'est avant tout un pays d'élevage, dont le cheptel comprend environ un million de bovins, plus de deux millions d'ovins et de caprins, des chevaux et des dromadaires. Le sol fécond, la végétation abondante permettent, pendant presque toute l'année, aux animaux de consommer des fourrages verts. C'est ce qui explique leur grand nombre et leur maintien en bon état. Le bœuf du Tchad est grand, 1 m. 55, et sa robe ressemble à celle des Nivernais; il est utilisé comme porteur. La vache fournit le lait, qui, avec le mil, constitue l'alimentation de base des indigènes. Le bœuf du Kanem est plus petit, 1 m. Ao, moins développé à cause d'une alimentation moins abondante et moins régulière. Il est également utilisé comme porteur. La femelle est une laitière médiocre. Les bœufs du Bahr-el-Ghazal se distinguent des précédents par une apparence de force plus grande et un meilleur état. La transhumance leur permet d'aller chercher l'alimentation qui leur est nécessaire. Leur taille est d'environ 1 m. Ao. Les chevaux du Tchad ont une origine controversée et constituent une race peu homogène, même dans une seule région. Le vétérinaire Pécaud les a, néanmoins, groupés en trois types : i° Un cheval à profd de tête entièrement busqué, de grande taille (1 m. A8 à 1 m. 55), de robe foncée. C'est le type Dongola. LE SERVICE VÉTÉRINAIRE AUX COLONIES. — CHAPITRE VIII. 73 2° Un cheval plus petit (1 m. 42 à 1 m. 46), à profil de tête droit ou dont le front seul est busqué, se rapprochant du type barbe modifié, et parfois plus ou moins mélangé de syrien. C'est le cheval du type barbe- arabe, ou cheval du Kanem, parce que c'est là qu'on le trouve. 3° Un poney à tête forte, connu sous le nom de poney du Logone, de cheval Sara ou Kirdi. Il mesure î m. 10 à î m. 2 5 et fait preuve d'une résistance remarquable. L'élevage n'est soumis à aucune règle; l'alimentation varie suivant la région; le plus grand nombre de chevaux vivent au pâturage, mais quand les ressources le permettent, on donne du mil aux chevaux qui travaillent. Ceux du régiment de tirailleurs du Tchad reçoivent 4 kilogrammes de mil par jour, de la paille et 2 o grammes de sel. Les soins hygiéniques sont à peu près inconnus; les chevaux ne sont abri¬ tés que pendant la saison des pluies; le pansage est ignoré. D'une façon générale, les chevaux du Tchad sont doux, sobres et rus¬ tiques. Ils ne sont utilisés, en dehors des voyages, que pour la chasse et la fantasia. Le pas et le galop sont les seules allures demandées; le trot est inconnu. Les chevaux, même ceux des troupes montées, ne sont pas ferrés. Le cheval du Tchad vit, en moyenne, huit ans. Les vétérinaires militaires ont étudié et préconisé les moyens suscep¬ tibles d'améliorer l'élevage; le choix des géniteurs doit être mis au pre¬ mier plan. Ils ont aussi cherché à identifier les maladies qu'ils ont eu l'occasion d'observer. Ce sont celles qui ont été décrites pour les animaux de l'Afrique Occidentale : péripneumonie, peste bovine, trypanosomiases, lymphangite épizootique, piroplasmoses. Des chevaux du régiment stationné dans le Ouadaï ont présenté des signes d'ostéomalacie. Cette maladie, signalée au Congo belge, au Came¬ roun, au Soudan français, comme en Indo-Chine et à Madagascar, n'a jamais été constatée au Tchad sur des chevaux indigènes. Enfin, la morve n'a encore jamais fait son apparition dans la colonie. LE LIVRE D'OR DES VETERINAIRES MILITAIRES AUX COLONIES. En passant en revue, dans les chapitres précédents, les services rendus par les vété¬ rinaires militaires dans les différentes colonies, il n'a pas été question du lourd tribut qu'ils ont payé aux combats, au climat et aux maladies. Mais puisqu'une profession s'honore en honorant les siens, il convient d'évoquer la mémoire de ceux qui sont tombés sur l'immense champ de bataille colonial, ou dont les actes de bravoure et de dévouement ont fait l'objet de citations élogieuses. CAMPAGNES D'ALGÉRIE. Tués à Vennemi : Chémery (1839). Peiffer ( 1846, tué dans une charge contre les Arabes). Lopré. Montmarqué (tué en Kabylie, 18 71 ). Morts : Uffoltz. Lagré. Dispaux. Larmé. Racine. Linel, mort de la morve. CAMPAGNE DE TUNISIE. Imberton. Thibaut. Boeschlin. Chiniard. Vergez. Oeuillet. CAMPAGNES DU SÉNÉGAL, DU SOUDAN ET DE L'AFRIQUE ÉQUATORIALE. Tués à Vennemi : Aouchen, tué au cours d'une charge avec les spahis (1881). Lenoir, massacré avec la colonne Bonnier (189A). Boiron, tué à N'Guigmi dans un combat contre les Touareg. 76 LES ARMÉES FRANÇAISES D'OUTRE-MER. Falgeras, à Bamako (1885). Sarciron, à Kita (1886). Petot, à Badoubé. Raffin, à Kayes (1892). Petit, à Saint-Louis (1892). Duplat, à Tombouctou (1895). Morts: Amiet, en Mauritanie. Lavaux, au Tchad. Buisson, au Tchad. IIarlay. JuGNAN. PoNARl). CAMPAGNES D'INDOCHINE. Maurel. Fraisse, Saigon ( 1899). Birou, mort du charbon à Yung-Tsoun. Blin, Institut Pasteur de Nha-Trang (1902). Pesas, Institut Pasteur de Nha-Trang. Tissier, Lao-Kay (1902). Lutaud, Hanoï (1908). Berque, Tonkin (1908). Favede, Tonkin. CAMPAGNE DE CHINE. Kreutzinger. CAMPAGNE DE MADAGASCAR. Jacquin, à Suberhieville (189a). Bergocgnan, à Nossi-bé. Puisségcr. Thollois. Dufour. LEVANT. Pierre. | Lestoquard. Parmi les glorieux faits d'armes à l'actif de vétérinaires militaires, il faut citer ceux do : Vallon, cité à l'ordre de l'armée pour sa belle conduite au combat de Taguin (i843); cité à l'ordre de l'armée pour sa belle conduite au combat de Oued-Mellah; cité à l'ordre de l'armée et décoré de la Légion d'honneur (bataille de l'Isly). Serves, Légion d'honneur pour brillant fait d'armes au siège de Lagbouat (i852). Girard, cité à l'ordre de l'armée, blessé à la prise de Bougie. Charvet, remarqué dans une expédition commandée par le duc d'Aumale. LE LIVRE D'OR DES VÉTÉRINAIRES MILITAIRES AUX COLONIES. 77 Benjamin, remarqué pendant l'expédition d'Oran. Decroix, soutient contre quatre arabes un combat qui se termine par la mort de ses adversaires. Aumignon, cité pour sa belle conduite devant l'ennemi. Lagardère, Légion d'honneur pour sa conduite brillante à la bataille de l'Isly. AFRIQUE OCCIDENTALE FRANÇAISE. Sarrazin, sauve le lieutenant Baratier entre Bafoulabé et Nioro. Hue, sauve le sous-lieutenant Marchand à l'assaut de Koundian. Bossu, Scheiameur, Dupuis, Poinsignon, Dupuy, reçoivent la Légion d'honneur pour faits de guerre et services exceptionnels. Boit est également décoré après avoir reçu une grave blessure au combat de Timmimoun. Cette liste, sans doute incomplète, montre que les vétérinaires militaires ont contribué, soit comme combattants, soit comme techniciens, dans la mesure de leurs forces et de leurs connaissances, et jusqu'au sacrifice de leur vie, au développement du magnifique domaine colonial français. 11 est juste que ceux qui ont été les victimes du devoir ou de la science reçoivent ici un hommage d'admiration et de gratitude. . ; I 1 . àJ[K • r>u, ' ■. : :.: .. - : . . ' '. ■ ■ ■; ■' ■ . il ■' l J lit i\lï" ! . L .-■> ■ - • • j;.' < - ' ■ w I 'cl ? -r-5 ' • ; l'-v-s , » i« t= ' i % :Vs iï'f - • . - WS&mBÊmm «sti® ■HSii H DEUXIÈME PARTIE LE SERVICE DE LA REMONTE AUX COLONIES L'HISTORIQUE DE LA REMONTE AUX COLONIES a été rédigé par : MM. le général Joannabd, inspecteur de la Remonte. le colonel de Laclos, directeur des établissements hippiques d'Algérie-Tunisie, le lieutenant-colonel Cristiani, directeur des établissements hippiques du Maroc, le capitaine Rigon, directeur du service des remontes des troupes du Levant, le lieutenant Cudel, commandant le dépôt de remonte d'Hanoï. A collaboré en outre à sa rédaction définitive et à sa présentation : M. le lieutenant-colonel de Mierrv, du Service historique de l'Année. CHAPITRE PREMIER. ALGÉRIE-TUNISIE. Dans l'Afrique du Nord, c'est-à-dire dans le pays qui, comprenant la Tunisie, l'Algérie et le Maroc, s'étend du golfe de Gabès à l'Océan Atlan¬ tique et de la Méditerranée au Sahara, on ne trouve qu'une seule race locale, la race barbe. C'est une race de chevaux essentiellement de selle, indis¬ pensables pour les déplacements faciles et rapides dans des pays où les voies de communication étaient, avant la conquête française, inexistantes ou précaires, chevaux accessoirement de trait léger, pour les labours su¬ perficiels, en collaboration avec le mulet ou le chameau. La race barbe fut, de tout temps, particulièrement réputée. Son type, tout en étant très caractéristique, ne présente pas cependant une rigoureuse uniformité. Entre les chevaux de l'Algérie, de la Tunisie, du Maroc, il y a des différences de modèle et de taille, conséquence des différences de climat, de sol, de conditions d'élevage. Même à l'intérieur de ces trois pays, chaque région particulière imprime à ses chevaux un cachet souvent assez spécial. Dans toute l'Afrique du Nord, l'élevage du harbe se trouve, à de rares exceptions près, exclusivement entre les mains des indigènes. Le colon européen n'a pas un besoin personnel du barbe; il emploie des automobiles pour se déplacer, et des machines, des mulets ou des chevaux de gros trait pour cultiver ses terres. L'indigène, au contraire, bien qu'il mène de nos jours une existence pacifique, a conservé les goûts et les traditions de ses ancêtres, pour lesquels le barbe fut de tout temps un compagnon indispensable. Le cheval reste pour lui un moyen de transport en même temps qu'un animal de trait léger. Il garde les juments, qu'il livre soit au baudet pour faire des mulets dont la vente est particulièrement rémunératrice, soit à l'étalon de nos établissements hippiques. Il en résulte que les bonnes régions d'élevage sont celles où l'indigène SERVICE VÉTÉRINAIRE. 6 82 LES ARMÉES FRANÇAISES D'OUTRE-MER. peut élever dans des conditions suffisamment favorables. On peut donc écarter à priori les régions ou trop montagneuses, car là le cheval a cédé le pas au mulet, ou trop désertiques, comme celles de l'extrême Sud, dans lesquelles domine le chameau, ou livrées plus particulièrement, comme celles du Tell, à la culture intensive entre les mains des Européens. Les meilleures régions d'élevage de l'Afrique du Nord se trouvent dans la bande longitudinale formée par la partie centrale, celle des Hauts Pla¬ teaux, délimitée au nord par l'Atlas Tellien, au sud par l'Atlas Saharien. Dans le département d'Oran, l'extension de la viticulture a exercé une influence fâcheuse sur l'élevage du cheval. Néanmoins ce département fournit encore de remarquables troupiers, qui sont peut-être de tous les barbes ceux paraissant avoir conservé le mieux le type véritable de la race. Le département de Gonstantine est le plus riche en chevaux. Tout l'éle¬ vage est concentré dans la bande de territoire limitée au nord par la ligne Bordj Bou Arréridj, Sétif, Constantine, Guelma, Souk Ahras, et au sud par l'Atlas Saharien. Dans le département d'Alger, les meilleures régions d'élevage se trouvent sur les Hauts Plateaux qui produisent d'excellents chevaux, en général de taille moyenne, assez distingués, bien charpentés et bien membrés. La Tunisie est encore, au point de vue de son élevage, à un niveau un peu inférieur à celui de l'Algérie. LES ÉTABLISSEMENTS HIPPIQUES D'ALGÉRIE ET DE TUNISIE. Le 11 février i832, dix-sept mois après l'entrée des troupes françaises à Alger, le Ministre de la Guerre décide que l'Armée d'Afrique devra doré¬ navant se remonter en chevaux du pays. Mais les luttes acharnées de la conquête amènent une grande consommation de chevaux, sans que les nouvelles conditions d'existence des tribus permettent de les remplacer rapidement, en nombre suffisant. Pour remédier à cette situation trois dépôts d'étalons sont créés : le premier, dans la province d'Alger, par le maréchal Bugeaud, à Boufarik d'abord, puis à Coléa; le deuxième, qui fut en même temps un haras, à Mostaganem, par le général de Lamori- cière, commandant en chef la province d'Oran; le troisième à l'Allelik, près de Bône, par le maréchal Randon, commandant en chef( la province de Constantine. LE SERVICE DE LA REMONTE AUX COLONIES. — CHAPITRE I". 83 Le 22 mars 18 5 2, ie premier règlement sur le service des remontes en Algérie prescrit la création d'un dépôt de remonte par province, ayant comme annexe un dépôt d'étalons. A la fin de 1855, les établissements hippiques d'Algérie deviennent dépôts de remonte et d'étalons, acheminement à la fusion complète des deux services. Le règlement du k décembre 1855, dû au maréchal Randon, alors gouverneur général, institue à côté des étalons impériaux des étalons de tribus, placés sous la surveillance, la direction et le contrôle des offi¬ ciers des établissements hippiques. Ces étalons, qui rendirent de grands services au temps où les établisse¬ ments hippiques d'Algérie ne possédaient pas encore le nombre de sujets suffisant, disparurent après la guerre de 1870. En 1873, les établissements hippiques passèrent sous l'autorité du général commandant la cavalerie d'Algérie, puis en 1881 sous celle du général inspecteur permanent des Remontes, devenu depuis général inspecteur de la Remonte. En 188Û, le Service des Haras et des Remontes fut organisé en Tunisie sur les mêmes bases que celui qui fonctionnait déjà depuis longtemps en Algérie. Le fusionnement de tous les établissements hippiques de l'Afrique du Nord s'opéra alors sous le commandement d'un colonel. Actuellement, l'Algérie possède un dépôt de remonte et d'étalons par département; à chacun de ces dépôts sont rattachés un ou plusieurs éta¬ blissements subordonnés, succursales ou annexes. La Tunisie possède un dépôt, sans succursale. Une compagnie de cavaliers de Remonte est affectée à chaque dépôt pour assurer le service intérieur. En outre, il existe à Tiaret une jumenterie chargée de produire les éta¬ lons de pur sang arabe nécessaires au service. Les emplacements des divers établissements sont donnés par le tableau suivant : DÉPARTEMENT OD DIVISION TERRITORIALE. DÉPÔTS. PORTION CENTRALE. SDCCURSALES. ANNEXE. JUMENTERIE. COMPAGNIES DE REMONTE. Alger. Blida. Miliana. Mustapha-Alger. n 1™. Oran. Mostaganem. Oran. n Tiaret. 2°. Coiis tan line. Constantine. Sétif. u n 3 e. Tunisie. Tébourba. u a u 6 a 84 LES ARMÉES FRANÇAISES D'OUTRE-MER. Le rôle des dépôts de remonte et d'étalons est double/Avec le concours de leur succursale, ils achètent les chevaux de selle et les mulets nécessaires aux unités stationnées en Algérie, en Tunisie et dans certains autres pays (Métropole et Levant). En outre, ils entretiennent les reproducteurs des¬ tinés à faire la monte sur toute l'étendue de leurs territoires respectifs et assurent les opérations relatives à ce service spécial. L'annexe de Mustapha possède des étalons, mais ne concourt pas au service des achats. Inversement la jumenterie de Tiaret concourt aux achats, mais ne possède pas d'étalons pour le service de la monte dans le pays. Le Service des Haras. — Encourager et faciliter l'élevage du cheval barhe tout en fournissant gratuitement des étalons aux éleveurs, orienter l'élevage vers une production toujours meilleure en recrutant des étalons de choix et en surveillant les accouplements, tels sont les deux huts que le service des établissements hippiques d'Algérie-Tunisie a poursuivis dès le début et qu'il poursuit encore de nos jours. L'étalon de croisement le plus employé fut toujours le pur sang arabe, améliorateur par excellence, qui possède en outre l'avantage de provenir d'un pays où le climat et les conditions d'existence sont sensiblement ana¬ logues à celles de l'Afrique du Nord. A côté de l'étalon arabe, on trouve l'arabe-barhe issu, comme son 110m l'indique, d'un ou plusieurs croisements entre les deux races. D'une façon générale, il a plus de distinction, plus d'influx nerveux que le barbe; mais il hérite souvent de certains défauts de l'arabe. On le chosit parmi ceux chez lesquels le type barbe est resté prédominant. Enfin, il y a l'étalon barbe proprement dit, qui devient, du reste, de plus en plus rare. Les juments, suivant leur modèle et leur sang, sont livrées à l'un ou à l'autre de ces étalons. Le chiffre normal des reproducteurs affectés à chaque dépôt d'Algérie est de 2Ù0; il est de 120 pour le dépôt de Tunis. Sauf quelques rares sujets, subsistant encore d'achats faits en Orient il y a un certain nombre d'années, les étalons de pur sang arabe des dépôts proviennent de la jumenterie de Tiaret. Les étalons barbes ou arabes- barbes sont achetés par les comités d'achat des établissements dans leurs circonscriptions respectives, au cours de leur campagne d'achat, annuelle. Le nombre des reproducteurs à acheter est fixé chaque année par le Ministre. On élimine un nombre égal d'étalons; ceux qui ne sont plus en âge ou en ALGÉRIE. PLANCHE XV. Jument barbe, h ans, Poulinière barbe, h ans, de la région de Barika (circonscription de Sélif). de la région de Boghari (circonscription de Blida). Gebali. P. S. arabe, né à la jumenterie de Tiaret en 1927, par Rayak et Nouacba. Barbe de Laghouat, de l'élevage du Kheliia Djelloul. Oflert à M. Doumergue, Président de la République, lors de son voyage en Algérie en ig3o. Boulaïd. 8 ans, 1 m. h7, étalon barbe de la succursale d'Oran. Rivoire. - i LE SERVICE DE LA REMONTE AUX COLONIES. — CHAPITRE I". 85 état de rendre des services dans l'armée sont réformés, les autres sont envoyés dans les régiments. La saison de monte commence à partir du 15 janvier, à des dates qui varient un peu pour les diverses stations suivant les conditions clima- tériques de chaque région. Elle finit dans la première quinzaine de juin. Les étalons sont amenés dans les stations et en reviennent soit par la route, soit par voie ferrée. Les établissements hippiques d'Algérie-Tunisie assurent actuellement le service de îM stations, dont 2 3 pour la Tunisie. La répartition de ces stations sur le territoire est effectuée de manière à réduire au minimum les déplacements des éleveurs. La répartition des géniteurs entre les stations est faite quantitativement, de façon à pouvoir assurer les besoins normaux des stations, et qualitative¬ ment, de façon à affecter à chaque région les étalons qui lui conviennent "le mieux. Les opérations de la monte ont lieu le matin après la promenade des étalons. Le rôle des chefs de station consiste à éliminer les juments défec¬ tueuses, à choisir les étalons qui conviennent aux autres, à prendre le signa¬ lement des juments saillies et à faire les inscriptions sur les divers registres de la station. Ainsi, le rôle de chef de station nécessite, en plus de connaissances techniques suffisantes, un certain nombre de qualités : jugement, initiative, autorité, calme, méthode. Le nombre maximum de juments à affecter à chaque étalon au cours d'une saison varie avec l'âge de l'étalon : environ 5o à 6o pour ceux de sept ans et au-dessus, Ao pour ceux de six ans, 2 5 pour ceux de cinq ans, i o à i 5 pour ceux de quatre ans. Quand il y a aflluence de juments, certains étalons désignés à l'avance par les commandants d'établissements font une deuxième saillie dans l'après-midi. Les juments déjà saillies par un baudet sont refusées, à cause de la dou- rine, terrible maladie vénérienne particulière à l'Afrique du Nord. La dourine, quand elle n'est pas soignée, est assez rapidement mortelle chez la jument et le cheval; elle ne l'est malheureusement pas pour le baudet, qui devient le propagateur par excellence de la maladie. Un arrêté du Gou¬ vernement général de l'Algérie a bien prescrit que les baudets autorisés à faire la monte seront visités périodiquement par les vétérinaires sani¬ taires et que toute jument saillie par un baudet sera marquée d'un signe spécial ( 1 coupé dans le poil aux ciseaux). Mais beaucoup de baudets se SEIIV1CE VÉTÉRINAIRE. 6 B 86 LES ARMÉES FRANÇAISES D'OUTRE-MER. livrent à la monte clandestine, et davantage encore de juments saillies ne sont pas marquées. Il en résulte que tous les ans, quelques étalons sont atteints de dourine malgré toutes les précautions prises. En dehors des étalons de la Guerre il existe, en Algérie comme en France, des étalons approuvés ou autorisés. L'approbation ou l'autorisation est donnée, pour une année et pour un département déterminé, par le Gouvernement général, sur les propo¬ sitions du colonel directeur des établissements hippiques de l'Àlgérie- Tunisie. Les produits des étalons approuvés ou autorisés ont droit à un certi¬ ficat d'origine de couleur rose ou verte du même modèle que ceux usités dans la Métropole. Ces certificats étaient, jusqu'en 1929, établis par les intéressés eux-mêmes, mais, afin de leur conférer un caractère indiscutable d'exactitude et d'authenticité, l'arrêté du 28 novembre 1928 du Gou¬ verneur général de l'Algérie a prescrit que dorénavant les certificats de naissance seraient établis et signés par les commandants de dépôt, après que ceux-ci auraient vu les produits sous la mère. Le nombre des étalons approuvés ou autorisés pour l'année 1980 en Algérie s'est élevé à 93, dont 73 approuvés et 2 o autorisés. Ils comprenaient i3 pur sang anglais, 32 demi-sang trotteurs, A8 étalons de trait. Le nombre des juments saillies est très loin généralement d'être en pro¬ portion avec celui des étalons; parmi les pur sang et les trotteurs, beau¬ coup ne font aucune saillie, soit qu'aucune jument ne leur soit présentée, soit que leurs propriétaires préfèrent les utiliser dans les courses du printemps; les étalons de trait, eux, ont une clientèle plus nombreuse, mais cependant, parmi ceux qui sont approuvés, il y en a toujours un nombre appréciable qui n'arrive pas au quorum des juments nécessaires pour toucher leur prime entière, voire même une fraction de leur prime. La Jumenterie de Tiaret. — La jumenterie de Tiaret, située à 6 kilomètres de cette ville, a été créée en 1877 en vue de fournir aux dépôts de remonte et d'étalons d'Algérie et de Tunisie : i° Des reproducteurs de pur sang arabe, destinés à améliorer la race locale par le croisement; 20 Des reproducteurs de race barbe, améliorée soit par sélection, soit par le croisement avec le sang oriental. LE SERVICE DE LA REMONTE AUX COLONIES. — CHAPITRE I". 87 Sa superficie actuelle est de 200 hectares; elle permet d'avoir des pad¬ docks d'un nombre et d'une étendue suffisants, des parcours pour le travail des produits et quelques prairies dont le foin entre pour une pro¬ portion importante dans la nourriture des animaux. Une piste de courses est tracée à l'intérieur de ces prairies; c'est là que se donnent les épreuves annuelles des poulains et pouliches de trois ans de la jumenterie. L'effectif des poulinières est passé successivement de2oàdoeni893; à Ù5 en 1900; à 55, dont ko de race arabe et 15 de race barbe ou arabe- barbe, en 190Ù; à 65 en 1905. Ce dernier effectif n'a plus varié depuis, mais, en 19 2 2 ,' le Ministre décida que toutes les juments poulinières seraient de race arabe. L'effectif des étalons est de quatre, tous de pur sang arabe comme les poulinières. Ces étalons sont toujours des importés, afin de ne pas se heurter à des questions d'imbreeding parfois gênantes et pour ne pas risquer de voir, par suite de l'influence du terroir, la race s'éloigner trop sensiblement des caractéristiques fondamentales de l'arabe oriental. Les 65 poulinières actuelles sont toutes, sauf deux, nées à la jumenterie. Elles forment un remarquable ensemble. Les produits sont conservés à la jumenterie jusqu'au mois de juin de l'année où ils ont pris trois ans. Ils commencent à deux ans l'entraînement progressif qui leur permet de prendre part, en fin de leur séjour à la jumenterie, à des épreuves de 2.000 mètres courues sur l'hippodrome de l'établissement, par lots séparés pour les poulains et les pouliches. Après ces courses, les poulains sont répartis entre les quatre dépôts d'Algérie et de Tunisie, les meilleurs comme étalons de façon à commencer la monte l'année suivante, les autres pour y attendre d'être livrés aux régiments à quatre ans, à moins que suffisamment améliorés à ce moment, ils ne soient à leur tour jugés dignes d'être étalons. En 1980, ik poulains ont été classés dans le premier lot, 11 dans le second. Quant aux pouliches, on sélectionne parmi elles le nombre nécessaire destiné à remplacer les poulinières à éliminer; les autres sont vendues à l'amiable aux éleveurs qui en font la demande. Il y en a une dizaine en moyenne à céder ainsi tous les ans; la plupart sont achetées par des éle¬ veurs européens d'Algérie. La jumenterie fonctionne également comme établissement acheteur pour le compte du dépôt de Mostaganem. Elle se trouve d'ailleurs dans une excellente région d'élevage. 6 G 88 LES ARMÉES FRANÇAISES D'OUTRE-MER. Service des achats. — Les commandes annuelles confiées aux établissements hippiques d'Algérie-Tunisie portent sur des chevaux et sur des mulets. Les achats de chevaux sont destinés à assurer le renouvellement annuel des étalons de service, la remonte des corps de cavalerie stationnés en Algérie-Tunisie et celle de certains régiments stationnés à l'extérieur (France et Levant). Les achats de mulets sont destinés à toutes les formations de l'Algérie et de la Tunisie. Chaque dépôt remonte en principe, avec l'aide de sa succursale, les unités stationnées sur son territoire. Cependant la commande des trois régiments de Tunisie, trop nombreuse pour être effectuée par le seul dépôt de Tébourha, est en partie confiée aux trois dépôts d'Algérie, de même que celle des régiments stationnés à l'extérieur du territoire. La plus grande partie de la commande de mulets est assurée par le dépôt de Constantine, beaucoup plus riche que les autres à ce point de vue spécial. L'âge des animaux d'achat est compris entre !x et 8 ans inclus. La taille minima est fixée à : 1 m. d8 pour les chevaux de tête, 1 m. A 7 pour les «troupe chasseurs d'Afrique», 1 m. /13 pour les «troupe spahis», 1 m. A2 pour les mulets de bât. La campagne d'achats se poursuit en deux périodes. L'une, celle du printemps, va de fin février à fin juin ; elle est de beaucoup laplusfructueuse, car c'est à ce moment que les indigènes vendent le plus volontiers. La deu¬ xième période, celle d'automne, commence en septembre et coïncide avec les concours de primes; chaque concours est toujours suivi d'une séance d'achats. Les achats se font soit au siège de chaque établissement acheteur, soit dans les divers centres de la circonscription qui en dépend. Les tournées sont annoncées par voie d'affiches imprimées en français et en arabe, et apposées par les soins des maires ou administrateurs. Les animaux sont essayés montés, aux trois allures, avant d'être achetés. Les mulets sont également essayés aux trois allures, sous deux cavaliers. Concours de primes. — Tous les ans, ont lieu des concours de primes destinés à récompenser les plus belles poulinières et les meilleurs produits de race barbe, arabe, ou arabe-barbe. Leur nombre est actuellement de 79, dont 19 pour le département d'Alger, 26 pour celui d'Oran, 21 pour celui de Constantine et 13 pour la Tunisie. Les subventions allouées à ces concours proviennent, pour l'Algérie, LE SERVICE DE LA REMONTE AUX COLONIES. — CHAPITRE I". 89 du Ministre de la Guerre, du Gouvernement général, des Conseils géné¬ raux et des communes. Ces diverses subventions ont formé en 1929 un total de 3 17A00 francs pour l'ensemble de l'Algérie. En Tunisie, le gouvernement tunisien seul fournit une subvention. En 1929, la somme allouée a été de 55.^75 francs. Les primes, variant de 5o à 3oo francs, sont accordées aux poulains et pouliches de 2 ou 3 ans, aux juments de k ans primées à 3 ans et saillies dans l'année par un étalon des établissements hippiques, aux poulinières suitées de produits issus d'étalons de la Guerre ou d'étalons approuvés, aux produits d'étalons de trait. Le système employé consiste à faire de nombreux concours, afin d'éviter aux éleveurs des déplacements longs et onéreux, et à donner de nombreuses primes d'importance modeste, afin d'attirer et de récompenser le plus d'éleveurs possible. En 1929, 7-838 animaux ont été présentés aux primes; sur ce nombre, 3.63/i ont été primés, ce qui représente une moyenne d'environ 100 francs par tête. Courses de la Guerre. — Le principe fondamental qui présida à l'orga¬ nisation des sociétés de courses en Algérie fut l'amélioration du cheval barbe ou arabe-barbe. Ce principe était excellent; l'application en fut désastreuse, à cause des fraudes nombreuses consistant à faire courir avec des papiers de barbe ou d'arabe-barbe des anglo-arabes, voire des pur sang anglais. Ces fraudes étaient difficiles à réprimer, car, par exemple, une bonne moitié des chevaux barbes est de robe grise, et tous les chevaux gris ont à peu près le même signalement. Désarmée, la Société d'Encoura¬ gement d'Algérie, qui régit toutes les sociétés de courses de ce pays, finit par se désintéresser des chevaux de la race locale et par s'occuper exclusive¬ ment des pur sang anglais et des trotteurs, pour lesquels elle calqua ses règlements sur ceux des grandes sociétés françaises. Les barbes et leurs dérivés se virent dès lors relégués dans les courses dites «hors code 11 ou courses « plates libres 11, pour lesquelles les sociétés de courses, ont toute latitude d'établir les conditions à leur convenance. En fait, seides sont intéressantes les courses données dans quelques localités du Sud, telles que Géryville et Méchéria en Oranie, où ne courent que des chevaux des tribus du pays, et les courses appelées ce courses de la Guerre ». 90 LES ARMÉES FRANÇAISES D'OUTRE-MER. Les courses de la Guerre ont été instituées en 1901. Leur but est de maintenir chez les tribus cavalières du centre et du sud des Hauts-Plateaux le goût d'un sport qui a toujours été en honneur chez elles, de mettre en relief la qualité de certains chevaux aux yeux des commandants d'établis¬ sement, toujours en quête d'étalons de choix. Elles sont réservées exclu¬ sivement à des poulains entiers ou pouliches de trois ans de race barbe ou arabe-barbe, de bonne conformation, exempts de tares, appartenant à des indigènes domiciliés dans la commune. La distance est de 1.5 0 o mètres. Les sujets engagés sont montés en selle arabe par les indigènes n'exerçant pas la profession de jockeys. Avant la course, le jury examine les animaux engagés et élimine ceux d'un modèle insuffisant ou tarés, et même ceux dont le modèle dénote, malgré les papiers, des origines douteuses. Il y a actuellement en Algérie 2 A localités où ont lieu des courses de la Guerre. En 1929, 392 poulains et pouliches ont été admis à courir. La subvention annuelle accordée à ces courses est aujourd'hui de A6.000 francs. Enfin, au nombre des encouragements à l'élevage, figurent les ce taoulas », ou courses de longue distance, de Géryville et de Méchéria. Ces épreuves classiques, contrôlées officiellement par les officiers des Affaires indigènes, se courent sur 20 kilomètres et sont toujours gagnées en moins de 3 5 mi¬ nutes. Elles sont exécutées sur un parcours aller et retour de 10 kilomètres en ligne droite, dont le terrain est loin d'être plat et uni. Les concurrents viennent parfois de 20 à 3o kilomètres à la ronde pour prendre part à la course et, celle-ci une fois courue, ils repartent directement pour rejoindre leur douar. En Tunisie, les courses de la Guerre n'existent pas; mais certaines sociétés de courses font un effort heureux en faveur des chevaux du pays. Stud-Book. — A la suite des essais de croisements de toute espèce pra¬ tiqués sur la race du pays, un Stud-Book de la race barbe pure fut institué en 1886. Les inscriptions sont proposées au Gouvernement général par le Direc¬ teur des établissements hippiques de l'Algérie-Tunisie. Elles ne compor¬ tent plus, parmi les mâles, que les étalons des établissements hippiques et, parmi les femelles, les plus belles des jeunes poulinières présentées aux primes. Les uns et les autres sont d'origine barbe ou arabe-barbe; LE SERVICE DE LA REMONTE AUX COLONIES. — CHAPITRE I". 91 quelques-uns sont sans papiers, à condition qu'ils présentent sans ambi¬ guïté les caractères distinctifs de la race. En Tunisie, un Stud-Book analogue a été créé en 1896. La façon de procéder est la même qu'en Algérie. La marque du Stud-Book algérien consiste en un croissant entourant une étoile marqué au fer rouge sur le côté gauche de l'encolure; celle du Stud-Book tunisien comporte un croissant avec deux étoiles. CHAPITRE II. MAROC. Tout en ayant une étroite parenté avec le cheval barbe d'Algérie, le barbe marocain était, au moment de l'occupation du Maroc, bien différent du premier. La comparaison était naturellement en faveur du barbe d'Algérie, plus métissé d'arabe, mieux soigné que le barbe marocain, et qui portait la trace des efforts d'amélioration déjà faits par les établisse¬ ments hippiques d'Algérie. LES ÉTABLISSEMENTS HIPPIQUES DU MAROC. Le général Lyautey, nommé le 28 avril 1912 Commissaire général de France au Maroc, se rendit compte bientôt de la difficulté d'assurer, avec les seules ressources de l'Algérie et de la Tunisie, la remonte des troupes auxiliaires marocaines, en chevaux et mulets. Voyant, d'autre part, l'in¬ térêt économique et politique d'un appel aux ressources de l'élevage local et de l'orientation de cet élevage vers la production du cheval de guerre nord-africain, il proposa au Ministre de la Guerre, le 18 juillet 1912, la création d'établissements hippiques. Ces établissements s'occu¬ peraient de toutes les questions relatives à l'élevage; ils assureraient, d'abord la remonte des troupes auxiliaires marocaines, et, plus tard, celle de toutes les troupes du Maroc. Le 5 septembre, un projet d'organisation du service des Remontes et Haras marocains fut adressé au Ministre. Il envisageait : i° Une direction, confiée à un officier supérieur, ou à un capitaine de cavalerie, secondé par un officier comptable. 20 Une ferme hippique près de Rabat, ayant pour but de produire des géniteurs de choix, d'étudier les meilleurs procédés d'élevage, d'en faire LE SERVICE DE LA REMONTE AUX COLONIES. — CHAPITRE II. 93 profiter les indigènes et les colons, et de leur éviter ainsi les tâtonnements et les expériences coûteuses. 3° Trois dépôts de remonte, placés dans les principales régions d'éle¬ vage, fonctionnant comme dépôts de remonte proprement dits et comme dépôts d'étalons. En attendant l'approbation ministérielle, le général Lyautey lit explorer les différentes régions du Maroc : Rehanma, Doukkala, Tadla, Meknès et Fès. Le 19 septembre, il rendit compte au Ministre de la Guerre de ce qu'il y avait intérêt à faire assurer la monte en février 1913. Dans le' cas où le projet du 5 septembre serait approuvé, il demandait l'achat et l'envoi d'urgence, pour en permettre l'acclimatement dans de bonnes conditions, de cinq anglo-arabes à 5o p. 100 de quatre bretons et de douze barbes, ainsi que l'autorisation d'acquérir quelques étalons de pur sang arabe de Tiaret. Par lettre du 18 octobre, le Ministre annonça l'achat, au compte des troupes auxiliaires marocaines, des étalons demandés. Le 28 octobre 1912, un arrêté du Commissaire général prescrivit la création immédiate de la ferme hippique de Kasbah-Temara et du dépôt d'étalons de Meknès. Cet arrêté fut porté, le 11 novembre 191 2, à la connaissance de S. E. le Grand Vizir Ël-Mokri. En même temps, il était demandé au gouvernement chérifien d'approuver l'occupation des terrains makhzen de Temara et de l'Àguedal de Meknès. Le 8 Medja, le Grand Vizir faisait connaître que S. M. le Sultan approu¬ vait la création du Service des remontes et avait donné l'ordre au caïd des Oudaïas et au pacha de Meknès de prêter leur concours au personnel de ce service. Au total, dans l'année même où le Protectorat français était établi au Maroc, il était créé un dépôt d'étalons, une jumenterie et une ferme hippique à Temara, trois dépôts d'étalons à Settat, Meknès et Mazagan. De plus, Oudjda, au Maroc oriental, possédait un dépôt, indépendant du Maroc occidental. Une instruction ministérielle du 11 mars 191 k sur le Service des remontes et haras au Maroc précisait la situation de ce service. Il était sous les ordres directs du Résident général, commandant en chef les troupes d'occupa¬ tion. Au point de vue technique, il était placé sous la direction du général 94 LES ARMÉES FRANÇAISES D'OUTRE-MER. inspecteur de la remonte, qui donnait les directives concernant les achats d'animaux, le choix des étalons et la marche générale du service. Après diverses modifications, l'organisation des établissements hippi¬ ques du Maroc comprend actuellement : Une direction, à la tête de la quelle est placé un lieutenant-colonel; Deux dépôts de remonte et d'étalons, commandés par un chef d'esca¬ drons : dépôt de Temara avec deux succursales à Meknès et Oudjda, dépôt de Mazagan avec une succursale à Marrakech; Une jumenterie à Meknès, rattachée à la succursale, et destinée à faire naître des reproducteurs arahes-barhes. Elle comprend 3o poulinières. Les produits mâles servent en principe au remplacement des étalons dans les dépôts, les pouliches au remplacement des poulinières de la jumenterie. Service des Haras. — La première année de leur fonctionnement au Maroc, en 1918, les haras ne disposèrent en général que de moyens de fortune. On ne pouvait réaliser autrement l'exécution du projet qui les créait d'urgence. Comme il fallait, avant tout, assurer la saison de monte, on dut, en attendant mieux, se servir largement des ressources trouvées sur place. Le général commandant en chef décida, en conséquence, qu'un certain nombre de chevaux barbes seraient prélevés sur les effectifs montés des troupes d'occupation et mis à la disposition des haras. Chaque escadron de spahis ou de chasseurs d'Afrique réforma, selon son effectif, deux ou trois chevaux, qui, pour une cause accidentelle, étaient devenus moins aptes au service monté, mais qui présentaient des qualités de sang, d'origine et de modèle. La première saison de monte au Maroc commença le 15 février 19*3.a ^ A "côté d'excellents reproducteurs achetés spécialement en France, en Algérie ou en Tunisie, il s'en trouvait un grand nombre d'autres qui n'avaient d'étalons que le nom. Ils furent réformés dès que leur rempla¬ cement devint possible. La décision ministérielle du 28 novembre 1912, qui approuvait la création des haras marocains, n'avait pas fixé, à dessein, les détails d'orga¬ nisation et de fonctionnement du nouveau service. Elle lui permettait de s'adapter aux circonstances et aux besoins. L'organisation des haras prenant corps, une instruction ministérielle MAROC. PLANCHE XVI. Rebih. Arabe barbe, 18 mois, de la succursale de Meknès, par Riou, barbe, et Galopade, P. S. arabe. Guess. Arabe barbe. Étalon au dépôt de Tamara. Jemma. P. S. arabe, 8 ans, par Kioto IV et Loquia, suitée de Seddik par Ravengar, arabe. Bauminet, barbe. Hassim, barbe. 8 ans, par Mustapha et Lalamit. LE SERVICE DE LA REMONTE AUX COLONIES. — CHAPITRE II. 95 du 11 mars 191/1 fixa le nombre des étalons à 300, chiffre suffisant pour satisfaire à la fois aux besoins de l'armée, de la colonisation et des indi¬ gènes; il a été, depuis, légèrement réduit. A partir de 1919, le Service de l'élevage au Maroc a pris à sa charge le renouvellement des étalons bretons. Quatre nouveaux étalons ont été acquis en 1929 par le Protectorat; le nombre de ces géniteurs a été ainsi porté à 12. Il est possible que dans l'avenir ce chiffre soit encore augmenté pour fournir à la colonisation des animaux de culture, car la moto-culture ne convient pas à la propriété de moyenne importance. 8 7 baudets assurent la production mulassière indispensable à la fois à l'armée d'occupation et à l'agriculture. A l'aide de crédits spéciaux fournis par la Direction de l'Agriculture du Protectorat, les étalons bretons et les baudets sont entretenus dans les établissements hippiques du Maroc, et répartis par les soins des comman¬ dants de dépôts dans les différentes stations de monte, suivant les besoins» Le fonctionnement des stations de monte est analogue à celui des stations de monte d'Algérie et de Tunisie. Actuellement 35 stations de monte existent au Maroc. Les saillies sont gratuites comme en Algérie et en Tunisie. Plus de dix mille juments sont saillies chaque année. Orientation donnée à l'élevage. — L'orientation de l'élevage est basée sur la sélection du barbe, dans les douars, et sur une infusion très sur¬ veillée de sang arabe. Au début, nous avions besoin de chevaux, il ne pouvait être question d'imposer une doctrine d'élevage. Il en est résulté, chez l'indigène, et surtout chez l'Européen nouvellement installé au Maroc, des essais de croisement avec des juments insuffisamment améliorées ou sélectionnées, qui n'ont pas donné le type du cheval recherché par les remontes. On a tenté aussi l'utilisation d'étalons de pur sang anglais et de pur sang anglo-arabe; mais, à côté de quelques beaux produits, on a généra¬ lement abouti dans cette voie à de nombreux ratés. Aujourd'hui, l'élevage est orienté vers la production du barbe ou de l'arabe-barbe, véritable cheval de guerre du Maroc, particulièrement adapté aux opérations en pays africain. L'arabe reste, jusqu'à nouvel ordre, l'améliorateur par excellence. Des étalons anglo-arabes existent encore dans les établissements, ils disparaîtront par extinction. 96 LES ARMÉES FRANÇAISES D'OUTRE-MER. En dehors des étalons des établissements hippiques, il existe au Maroc un certain nombre d'étalons approuvés, dont l'emploi est prévu par le dahir (décret) du i3 mai 1922. Bien que ce dahir prévoit de même l'em¬ ploi d'étalons autorisés, aucun propriétaire n'a profité de la faculté d'autorisation. Les autorisations d'emploi de ces catégories d'étalons sont accordées par le Directeur de l'Agriculture, après avis et enquête du chef du service de l'élevage du Maroc, et du Directeur des remontes et haras marocains. Elles sont renouvelables chaque année. Le contrôle de la monte et de la production est fait par les soins des commandants des circonscriptions de remonte. Le nombre des étalons approuvés a varié depuis cinq ans entre 8 et 10. Jumenterie de Meknès. — L'ensemble de la jumenterie du Maroc comprend actuellement un lot de 100.000 juments, qui sont inscrites au Tertib (impôts). Ceci montre l'importance prise par l'élevage indigène dans le Protectorat. La jumenterie d'État, elle, est destinée à produire des géniteurs et des poulinières de choix, d'une origine rigoureusement constatée, et suscep¬ tibles d'améliorer la race barbe. Dès 1912, époque de la création des établissements hippiques du Maroc, la Kasbah de Temara, sur la route de Casablanca à Rabat, à 13 kilomètres de cette dernière ville, fut, en raison de sa situation spéciale et de la sécurité qu'elle offrait, choisie comme emplacement d'un dépôt de remonte et d'étalons et d'une jumenterie. Les premières juments qui y figurèrent furent des juments du pays sélectionnées. La nécessité d'aller vite.au début imposa de subordonner la qualité à la quantité. En 1913, une nouvelle jumenterie fut créée à Meknès, sur un terrain plus riche en calcaire et convenant mieux à l'élevage que celui de Temara. Placée dans le cadre majestueux des prairies de l'Aguedal, traversée par des séguias (canaux), au bord desquels la végétation reste verte toute l'année, cette jumenterie constitue un établissement modèle, digne de son aîné de Tiaret. En 191*4, les juments marocaines de Temara furent toutes remplacées par des juments arabes ou arabes-barbes de Tiaret ou de Sidi-Tabet. Elles furent envoyées à Meknès avec quelques pouliches arabes et arabes-barbes de Tiaret, puis, petit à petit éliminées. Leur présence s'expliquait mal, LE SERVICE DE LA REMONTE AUX COLONIES. — CHAPITRE II. 97 en effet, puisque leurs produits, en raison de leur origine, ne pouvaient être employés comme améliorateurs. En 1913, il ne restait plus, dans les deux jumenteries, que des arabes et des arabes-barbes. Temara se spécialisait dans la production du pur sang avec trente juments, et Meknès dans celle de l'arabe-barbe, tirant plutôt sur le sang arabe, avec vingt juments. Cependant les frais d'entretien de deux jumenteries au Maroc étaient considérables, et ils se justifiaient d'autant moins que l'Algérie fournissait au Maroc des reproducteurs de pur sang arabe. Aussi, le Ministre de la Guerre supprima-t-il en 1927 la jumenterie de Temara, pour ne conserver que celle de Meknès, où on ne fait plus que des produits arabes-barbes. Ainsi la formule est désormais, pour les jumenteries nord-africaines : à Tiaret, le pur sang arabe; à Meknès, l'arabe-barbe. Les produits. — Les mises-bas des juments pleines se produisent géné¬ ralement en janvier, février et mars. Quelle que soit la date de leur naissance, tous les produits sont sevrés le 1er septembre. Cette inégalité dans la durée de l'allaitement entraîne, chez ces produits, une différence de développement qui, grâce aux soins, s'atténue progressivement pour disparaître vers la fin de la seconde année. Jusqu'au mois d'octobre de la seconde année, aucun travail forcé n'est imposé aux jeunes; ils sont laissés en liberté. A ce moment, les poulains et les pouliches de Meknès sont envoyés à Temara. Ils y sont soumis à un entraînement progressif en vue des épreuves de sélection, courues en fin de juin de la troisième année sur l'hippo¬ drome du dépôt. L'entraînement est mené méthodiquement. Comme il n'a pas pour hut de faire des chevaux de course, mais d'activer le déve¬ loppement de futurs étalons et poulinières, et de les mettre en souffle et en muscle, on ne les pousse pas à la limite extrême, ce qui évite des claquages inutiles. t* Les épreuves de sélection représentent, pour tout le personnel des établissements hippiques, la fête annuelle du cheval; elles sont suivies avec intérêt par des personnalités et un public de choix. Dès qu'elles sont terminées, les poulains et les pouliches qui, pour des causes quelconques, ne peuvent être utilisés pour la reproduction sont éliminés. Les pou¬ liches sont vendues aux enchères publiques et les poulains versés dans les régiments de cavalerie. SERVICE VÉTÉRINAIRE. 7 98 LES ARMÉES FRANÇAISES D'OUTRE-MER. Les pouliches choisies comme futures poulinières d'État sont envoyées à la jumenterie de Meknès, les poulains, élèves-étalons, sont répartis dans les dépôts de remonte du Maroc. Service des achats. — Le Service des achats a pour but de pourvoir, les troupes du Maroc des animaux nécessaires en chevaux de selle, de trait dans une certaine mesure, et mulets. Ces animaux sont, autant que pos¬ sible, achetés directement aux éleveurs. Au début de l'occupation du Maroc, les achats étaient faits par les commissions composées de trois officiers, dont un officier de la remonte mobile, et un vétérinaire. Le Service des remontes et haras marocains, nouvellement créé, n'effectuait les achats que pour les troupes auxiliaires marocaines. A partir du ier juillet 1913, tous les achats furent confiés au Service des remontes, sur demandes adressées par le commandement. Des comités régulièrement constitués y procédaient dans chaque région. Les animaux achetés étaient dirigés sur les dépôts de remonte mobiles, qui les répar- tissaient dans les unités des troupes d'occupation. Les animaux destinés aux troupes auxiliaires étaient livrés directement. En octobre 1923, les dépôts de remonte mobiles furent supprimés. Actuellement, chaque dépôt de remonte et chaque succursale consti¬ tuent un comité d'achat qui opère, en principe, pour le compte des corps stationnés dans leur circonscription. La procédure pour les achats est la même qu'en Algérie et en Tunisie. Encouragements à l'e'levage. — Pour encourager l'indigène à la production du cheval, le Service des remontes institua, dès 1913, des concours de primes, et, plus tard, en 1917, des courses dites cc courses de la Guerre a. Les concours de primes et les courses de la Guerre ont pour but prin¬ cipal l'amélioration de la race chevaline indigène par la sélection dans le barbe. Ils sont dotés d'allocations du Ministère de la Guerre et du Protec¬ torat marocain. Les concours de primes sont organisés sur les mêmes bases qu'en Algérie et Tunisie. Ils ont lieu tous les ans, de la fin d'août au milieu d'octobre, à des dates qui coïncident autant que possible avec un Moussen (fête arabe). Les caïds et les autorités locales y assistent. La fête se prolonge quelquefois pendant deux ou trois jours par de grandes fantasias. LE SERVICE DE LA REMONTE AUX COLONIES. — CHAPITRE II. 99 Les courses de la Guerre ont lieu dans les mêmes conditions qu'en Algérie. Très fervents de ces exhibitions, les indigènes y viennent toujours en grand nombre. Une épreuve spéciale a été également instituée au Maroc pour les chevaux indigènes. Analogue à la grande épreuve annuelle de Géryville ou de Méchéria, en Algérie, elle se court tous les ans à Midelt, centre situé au bas des pentes nord de l'Atlas, entre Khenifra et Bou-Denib. C'est une épreuve de fond, sur une distance de 20 à 2 5 kilomètres en terrain varié, de préférence en ligne droite. Elle est dans les traditions instaurées par le Prophète Mahomet lui-même en matière de courses, et obtient, de ce fait, un immense succès auprès des Musulmans. Les chevaux reçoivent un entraînement de quarante jours, selon une méthode simple, à la portée de tous les cavaliers. Le nombre des prix est calculé de façon à récompenser à peu près tous les participants. Ces prix sont fournis par le Protectorat. CHAPITRE III. LEVANT. Généralités sur le cheval arabe-syrien. — La race chevaline arabe pure est connue et réputée depuis un temps immémorial. Son berceau se trouverait dans la moitié la plus septentrionale de l'Arabie, au nord du cDjebel- Chammar». L'arabe pur est un animal de taille assez réduite, mais plein de sang et d'expression, gracieux, puissant dans sa petite taille, remarquablement constitué pour galoper. II a une charpente osseuse développée, des leviers très longs, les articulations larges et près de terre, des canons courts et très fournis. Rustique et trempé, malgré ses tissus extrêmement fins, il supporte admirablement les durs efforts qui lui sont demandés par les bédouins. Cependant la majorité des chevaux rencontrés en Syrie ne sont pas de sang arabe pur. Un petit nombre seulement peut revendiquer l'ascendance d'une des cinq grandes familles de pur sang, à savoir les Seglaoui, Em Argoub, Chouema, Koheila, Hobaïa. Il n'existe pas de Stud-Book de la race arabe. Chaque cheval porte géné¬ ralement, enfermé dans un petit sachet de cuir solidement fixé au harna¬ chement, son état civil ou crhedgetw, certifié sous la foi du serment par un chef de tribu ou un notable important qui le scelle de son cachet. Cette pièce est souvent suspecte et elle ne peut être considérée comme vraie que quand elle est donnée par un grand chef. L'élevage. — Il existe trois genres d'élevages, celui des tribus, celui des villes, celui des provinces. Le premier est de beaucoup le plus important, mais le recensement y est difficile à cause du caractère nomade de certaines tribus. En excluant l'élevage des tribus, on peut admettre que, dans les pays LE SERVICE DE LA REMONTE AUX COLONIES. — CHAPITRE III. 101 sous Mandat français, le nombre approximatif des sujets pour les diffé¬ rentes régions est le suivant : Hama , 5 o o Homs 35o Alep 3oo Damas 3oo Hauran a5o Bekaa a5o Akkar 200 Environs de Kuneitra 100 Quoique assez proches parents, ces chevaux présentent entre eux cer¬ taines particularités d'origine, de type, de modèle, qui les différencient. Du point de vue de la race, ils peuvent être classés en Kadich, Maorouf ou Àssil. Les Kadich n'ont aucune qualité, leur modèle est commun et ils sont utilisés soit au bât., soit au trait léger. Les Maorouf ont un pédigrêe moyen qui ne leur permet de saillir que des juments de leur catégorie. Les Assil, par leur pédigrêe supérieur, constituent «■ l'aristocratie des che¬ vaux ; leurs propriétaires sont fiers de la pureté des origines et les conser¬ vent jalousement. Du point de vue du type et du caractère, on distingue généralement les chevaux syriens en Badaoui et Hadari. Le Badaoui est le produit de l'élevage bédouin et le Hadari est celui de l'élevage des villes et des provinces. Cette distinction n'a du reste pas de caractère scientifique, car si le cheval bédouin est d'un caractère plus doux que l'autre et moins développé, c'est unique¬ ment parce que, mal nourri et mal soigné, il manque de force et de moyens. Enfin, on peut aussi distinguer les chevaux de montagne et les chevaux de plaine. Les uns, à cause du climat frais, sont généralement plus déve¬ loppés et ont plus de taille, tels les chevaux du Hauran et de la Bekaa, d'une partie du Akkar et du Djebel Druze. Les autres, plus nombreux, conservent davantage le type et le caractère du cheval arabe. LES ÉTABLISSEMENTS HIPPIQUES DU LEVANT. Le Service des remontes des troupes du Levant assure les besoins de ces troupes en chevaux et mulets. Il comprend : à Beyrouth, la direction et le dépôt de remonte ayant à leur SERVICE VÉTÉRINAIRE. 102 LES ARMÉES FRANÇAISES D'OUTRE-MER. tête un capitaine; à Alep et à Damas, une annexe de remonte commandée chacune par un adjudant. Service des Haras. — Il existe en Syrie un service des haras des États sous Mandat, qui comporte des stations de monte à Beyrouth, Damas, Alep, Lattaquié et Deraa. Quoique placé sous la haute direction du général commandant la cava¬ lerie des troupes du Levant, et recevant son personnel subalterne de la 7e compagnie de cavaliers de remonte, c'est un service civil, dont le budget est à la charge des États sous Mandat. Tous les étalons ne sont pas des sujets de grand choix; cependant cer¬ tains de leurs produits ont déjà fait preuve de réelles qualités. Les sommes allouées par les Etats sous Mandat ne permettant pas toujours d'acquérir des étalons de premier ordre, la nouvelle Société des courses de Beyrouth a décidé de prélever un pourcentage sur ses bénéfices, pour doter tous les ans les haras d'un ou de deux étalons de valeur. On espère donner ainsi un essor appréciable à l'élevage du cheval arabe. Le Service des achats. — Jusqu'au mois de novembre 1926, la Métropole ravitaillait les troupes du Levant en chevaux français (selle et trait). Ces animaux s'acclimatant et se nourrissant assez difficilement, le Service des remontes de Syrie fut chargé d'acheter un certain nombre de chevaux syriens, principalement pour les officiers d'infanterie, les officiers sans troupe, les cadres de l'artillerie et des troupes auxiliaires. L'Afrique du Nord fournit, d'autre part, les chevaux barbes nécessaires à la remonte des régiments de spahis stationnés au Levant, car les chevaux syriens, de taille plus petite que les barbes, supportent moins bien le harnachement de spahi. Il y aurait, du reste, de grosses difficultés à trouver en Syrie, le nombre de chevaux suffisant pour assurer aux deux régiments du Levant une remonte homogène. Encouragements à l'élevage. — Les courses de Beyrouth, qui ont pris une importance considérable, constituent l'encouragement principal à l'élevage du cheval arabe. Les épreuves, assez richement dotées, sont pour les propriétaires une source de revenus appréciables. En outre, les prix de vente des chevaux sont souvent très rémunérateurs. LE SERVICE DE LA REMONTE AUX COLONIES. — CHAPITRE III. 103 En dehors des courses, il y a encore peu d'encouragement à l'éle¬ vage. Il faut espérer que l'organisation de concours de reproducteurs, les achats d'étalons, la création d'une jumenterie, donneront les mêmes résultats qu'en Afrique du Nord. Ainsi la race syrienne retrouvera la prospérité que les réquisitions de la dernière guerre lui ont fait perdre en grande partie. 7 o CHAPITRE IV. INDO-CHINE. Généralités. — Le cheval indochinois est petit et trapu, sa taille varie de 1 m. i5 à 1 m. 2 5. Il a l'encolure courte, la crinière abondante, la tête expressive mais chargée en ganaches, le naseau peu ouvert. Le garrot est noyé, l'épaule droite, le dessus court, la croupe pointue et abattue. Les membres sont grêles, le genou souvent renvoyé, les jarrets clos et coudés, les pieds excellents. Le modèle s'est amélioré chez quelques sujets, par suite de sélections et de croisements et surtout à cause d'une hygiène et d'une nourriture plus soignées. Le modèle réduit et défectueux de la plupart des chevaux indochinois est dû, en effet, principalement au peu de qualité nutritive des fourrages et au peu de soins que l'indigène apporte à l'élevage. Bien nourri, ce cheval pourrait atteindre une taille voisine de î m. 3o. Malgré son modèle, le cheval indochinois présente de réelles qualités. La principale est la rusticité. Élevé à la dure, mal nourri de paille de riz, de feuilles de bambous et de roseau, sans jamais de grain, buvant l'eau des mares stagnantes, il supporte facilement toutes les privations. Né et élevé dans la montagne, rentré la nuit dans des écuries en planches où il vit avec des buffles et autres animaux, dehors le jour, sur un terrain rocailleux, difficile, dans des pâtures à pentes rapides, il acquiert rapide¬ ment une sûreté de pieds merveilleuse. Sa conformation en fait un excellent porteur. Ses allures normales sont le pas et l'amble; il couvre facilement au pas 7 kilomètres à l'heure, et des étapes journalières de 5o kilomètres sont tout à fait dans ses moyens. Élevage. — C'est dans la haute-région du Tonkin : Moncay, Langson, Caobang, Hajiang, Laobkay, en Annam à Hué, en Conchinchine à Saigon et au Cap Saint-Jacques, que se trouvent les principaux centres d'élevage. PLANCHE XVIII. lïSDOCHINH. Larirelle. Née à Tarbcs, i m. hy, par Glorieux, P. S. A. A, et Fantasia, suilée de Mirliton, par Sloss, P. S. annamite. Poulinières d'importation el poulains de croisement. Jumonterie de Nuoc-IIaï. + 4- 4- +• + 4 + «f» + + +• Sloss. Pur-sang annamite, î m. au, 17 ans.' Alezan brûlé. Etalon à la jumonterie de Nuoc-Haï. Mignon. 17 mois, 1 m. 3o, par Héros, annamite, et Tzigane, demi-sang anglo-arabe. l'élit. Duc. Alezan l'once, 1 m. as. Elevé dans la région de Caobang. LE SERVICE DE LA REMONTE AUX COLONIES. — CHAPITRE IV. 105 L'élevage est fait généralement sans beaucoup de direction ni de soin. Des essais d'amélioration ont été tentés par des particuliers, auxquels le Service zootechnique du Protectorat a fourni des étalons sélectionnés. Mais les indigènes manifestent peu d'empressement à envoyer leurs juments, et ceux qui les envoient n'apportent pas tout le soin désirable à la surveil¬ lance des saillies. Aussi l'amélioration n'est-elle guère sensible. Organisation des Remontes en Indo-Chine. — Le service des remontes en Indo-Chine, placé sous le direction du général commandant l'artillerie, comporte un dépôt de remonte à Hanoï et des commissions d'achat. Le dépôt de remonte d'Hanoï comprend un lieutenant de cavalerie, chef de dépôt, un vétérinaire et du personnel subalterne. Il pourvoit à la remonte des officiers généraux et d'état-major et à celle des officiers sans troupe. Il entretient à cet effet un effectif de 80 chevaux provenant des achats. Service des achats.—Les achats sont effectués par des commissions d'achat. Une commission principale, présidée par un officier supérieur appar¬ tenant à une arme montée, fonctionne à Hanoï. Des commissions d'achat secondaires opèrent dans les régions d'élevage pour le compte des corps de troupe stationnés dans ces régions. En principe, les animaux sont achetés à partir de cinq ans et dirigés directement sur les corps. Jusqu'en 1927, l'armée n'achetait que des chevaux entiers, mais, devant la diminution du cheptel chevalin, on a dû utiliser également des juments. Les remontes achètent en outre un assez grand nombre de mulets. Elles les trouvent particulièrement en Chine, dans les régions du Chan- Toung, du Chan-Si et du Kan-Sou. Elles utilisent pour ces achats des inter¬ médiaires chinois, auxquels l'indigène fait des prix moins élevés qu'aux acheteurs étrangers. Haras.— Le Service zootechnique joue, en Indo-Chine, le rôle des haras en France. Il dépend du Gouvernement général et comprend trois établis¬ sements zootechniques, auxquels sont rattachées des jumenteries : Établissement d'Hanoï, jumenterie de Nuoc-Haï; Établissement d'Hué, jumenterie de Àn-Chi; Établissement de Saïgon, jumenterie de Saigon. 106 LES ARMÉES FRANÇAISES D'OUTRE-MER. Ces établissements zootechniques font naître des poulains issus de pères et mères sélectionnés, soit par amélioration de la nourriture, soit par croisement. Les poulains conservés comme étalons sont répartis dans les jumenteries ou livrés à des éleveurs particuliers. Les pouliches sont toutes livrées à des éleveurs; elles ne paraissent pas sur les hippodromes. Dans l'établissement d'Hanoï un certain nombre de poulains de 3 ans sont livrés à la Société des courses d'Hanoï qui les répartit par voie de tirage au sort entre des propriétaires d'écurie de course. A 8 ans, les pou¬ lains qui ont réussi sont rachetés par le Protectorat comme étalons; les autres, vendus à l'armée, constituent la principale ressource pour la remonte des officiers généraux, d'état-major et de corps de troupe montés. L'action du Service zootechnique se manifeste en outre par la distribu¬ tion de primes à la saillie et par l'organisation de foires et de concours avec primes. Améliorations. — La dégénérescence de la race et son manque de déve¬ loppement étant dus à la qualité médiocre de la nourriture, l'amélioration principale à rechercher est donc du côté de l'alimentation. Des résultats ont été obtenus par quelques éleveurs qui, en amendant le sol, ont réussi à donner à leurs animaux du grain et des fourrages plus nourrissants. Ils ont ainsi produit un cheval indigène plus grand, plus étendu, plus membré et n'ayant rien perdu de ses qualités naturelles. Quant aux animaux de croisement, ceux qui semblent convenir le mieux sont les chevaux arabes qui, par leur rusticité, leur taille, leurs qualités, se rapprochent le plus de la race indochinoise. Certains techniciens ayant longtemps séjourné en Indo-Chine préconisent, pour des raisons d'acclimatement, le croisement inverse, avec des juments importées. Les meilleures, en dehors des juments arabes, paraissent être les juments des Landes ou de la Camargue qui, par leur tempérament, s'apparentent au cheval indochinois. Les autres races, pur sang anglais, anglo-arabe, anglo-normand, sont trop loin de la race indochinoise pour être utilisées avec succès. TABLE DES MATIÈRES. PREMIÈRE PARTIE. Historique du service vétérinaire aux colonies. Pages. Avant-propos vii Chapitre premier. — Algérie 1 Chapitre II. — Tunisie 9 Chapitre III. — Maroc t 4 Chapitre IV. — Levant 27 Chapitre V. — Indo-Chine 34 Chapitre VI. — Madagascar 4 2 Chapitre VII. — Afrique Occidentale française 5 7 Chapitre VIII. — Afrique Équatoriale française 72 Le Livre d'or des vétérinaires militaires aux colonies 76 •t < DEUXIÈME PARTIE. Historique du Service de la Remonte aux colonies. Chapitre premier. — Algérie-Tunisie 81 Chapitre II. — Maroc 9 a Chapitre III. — Levant 100 Chapitre IV. — Indo-Chine io4 \ ■ if. .... i-fft "V* * * * 4 " '* < « . , y . j ; < ;7 ' ; ■ ' ; .. ■. " -- m.'„, ^ ■ - •» * =• * -T- - i . ; .. .. ! ' ... v: j: ; 1 ■. • : *. *■ •«:»»- ' -4'f* • v - . -■ * ---- .... - - ' i - -'iiS hc; "-ri à;/- ■ ' ■ ; -•ii.'iî :i ■ TABLE DES ILLUSTRATIONS. Historique bu service vétérinaire. Pages. Buste de Philippe Thomas 10 Metlaoui 10 Aguedal-Meknès : récolte des foins i4 Région de Meknès : petit abri pour les moutons 18 Opération chirurgicale dans le bled 20 Groupe vétérinaire mobile de Marrakech 22 Cheval annamite, bœuf et buffle du Tonkin 34 Saigon : jardin botanique 38 Madagascar : zébus 42 Récolte du foin à Antsirabé 46 Tuléar : l'autrucherie. 5o Afrique occidentale française :bœufN'Dama 62 Afrique occidentale française : laboratoire de recherches. 62 Dakar : clinique vétérinaire 66 Un abattoir indigène 66 Kindia : l'institut Pasteur 68 Kindia : l'institut Pasteur 70 Historique bu service be la remorte. Chevaux d'Algérie 84 Chevaux du Maroc 9 4 Chevaux du Levant 100 Chevaux d'Indo-Chine io4 LE SERVIE] ■ ET LE " îX'FE MJX COI "