AGUEDAL Directeur littéraire : Henri BOSCO. Adresse : 14, Avenue de Marrakech — RABAT (Maroc). En raison des grandes difficultés de fabrication qui pèsent sur l'Imprimerie au Maroc, désormais « AGUEDAL », sans renoncer q paraître, ne saurait assurer une publication régulière à dates fixes. De plus, en application du dahir réglementant les périodiques, « AGUEDAL », en cours de publication, n'a plus été autorisé à paraître que 4 fois par an. Il n'accepte donc plus d'abonnements, à partir de la présente livraison (1-2:1944). Celle-ci sera cependant distribuée aux abonnés anciens. Dorénavant « AGUEDAL » se vendra au Numéro. TOMBEAU DE MAX JACOB SOMMAIRE i n. PORTRAIT, PAR PICASSO Henri Bosco .. Liminaire. Michel Levanti La vie et l'œuvre de Max Jacob. André Gide Max Jacob. Paul Claudel Lettre à Max Jacob. Max JACOB Méditations Religieuses. TEMOIGNAGES Marcel béalu Témoignage. Qenri Bosco Souvenirs Napolitains. Daniel-Bops • Témoignage. Jean Grenier Max Jacob. Paul Petit Réponse à Max Jacob. Jean de Saint Chamant et J. SoULIÉ Soirée avec Max Jacob. Max JACOB Vieux Monde Brisé. Crucifixion. Portrait par lui-même. Charles C Ma dernière rencontre avec Max Jacob. HOMMAGES Natalie CliffORD-BarnEY Hommage de l'Amaxone. Francis Carco Hommage. Georges ChaRENSOL Max peintre. Charles Albert Cingria Image de Max Jacob. Jean Cocteau Signe à Max. Joseph Delteil Max est un dieu... Max-Pol Fouciiet Rencontre. Roger LanneS Hommage à Max Jacob. Julien Lanoe Le message de Morwen le Gaélique. Henri-Philippe Livet Hommage à Max Jacob. Alain MESSIAEN Le Solitaire de St. Benott-sur-Loire. Gertrude Stein Eternité du poète. Jean Valmy-BaysSE Souvenirs sur Max Jacob. Morwen Le GAELIQUE Poèmes. POEME Maurice Fombeure . . Rencontres avec Max Jacob. Michel Manoll La part de Dieu. André de Richaud Hommage à Max Jacob. Saint Pol Roux La Complainte de Morwen Le Gaélique. André Salmon Itinéraire de Paris à St-Benoît. René villard Max Jacob le Jongleur de Notre-Dame. Max JACOB Poèmes. Lettres. BIBLIOGRAPHIE UED Directeur littéraire : Henri BOSCO. Adresse : 14, Avenue de Marrakech — RABAT (Maroc). AVERTISSEMENT Ce numéro spécial consacré à la mémoire du poète. Max Jacob, prêt en Mai 1944, n'a pu sortir des presses que plusieurs mois plus tard. Ce retard est dû aux. très grandes difficultés de fabrication qui pèsent sur l'imprimerie au Maroc. S'il enlève',-à cet hommage en l'honneur du poète assassiné, sa va¬ leur d'actualité, du moins le témoignage reste de la douleur et.de l'in¬ dignation qu'ont éprouvées quelques amis de Max Jacob à la nouvelle de sa mort. C'est pourquoi nous avons respecté la disposition primitive qui garde à ce « Tombeau » du poète son caractère de double commémora¬ tion, où, à l'admiration pour le vivant se mêle la piété pour le mort. Tous droits' de reproduction réservés J A C O PAR PICASSO Ce laurier qui pare ma tête tu le mérites mieux que moi Picasso, mon ami, mon maître roi des peintres, peintre des rois Max Jacob L. 1.minai re Max Jacob est mort le 7 mars de cette année. Nous l'avons appris par la Radio, le 22. Sans détails, sauf un : mort à Paris. Or, Max Jacob, depuis longtemps, vivait à Saint-Benoît-sur-Loire : refuge, retraite pieuse, qu'il ne quittait" plus. Nous le savions. En ces jours douloureux, toutes les craintes sont permises. Cette mort « à Paris » nous surprit et nous tourmenta. Hélas ! nos craintes étaient jus¬ tifiées. Nous venons de l'apprendre, ce soir. Voici les faits. C'est' en février, au matin, que la Gestapo a arrêté Max Jacob, à Saint-Benoît-sur-Loire. Il habitait chez la veuve d'un médecin. Sans lui laisser le .temps de prendre un seul vêtement chaud, on l'a emmené. Vêtu d'un vieux complet noir, élimé, on l'a conduit de Saint-Benoît jusqu'à Drancy, dans 1^ Seine. Etape longue, dure, surtout en plein hiver. A Drancy se trouve un camp de concentration. Max Jacob y est mort deux semaines plus tard, probablement d'une con¬ gestion pulmonaire. On l'a laissé agoniser, sans soins, pen¬ dant huit jours, dans l^nfirmerie de ce camp. Après quoi on l'a jeté dans la fosse commune. C'est une semaine plus tard seulement que Béalu, Coc¬ teau, Salmon ont appris la mort de leur ami. Ils ont pu obtenir de l'exhumer et de mettre son corps dans une bière. Nous tenons ces renseignements d'un évadé qui vient d'arriver au Maroc, un homme digne de foi. Max Jacob était un vieillard de 68 ans, doux, inoffen¬ sif. A Saint-Benoît, il menait une vie de travail et de piété. Levé à l'aube, il assistait à la première messe dans l'abba¬ tiale. Ensuite, il s'appliquait à la méditation. Sa mati¬ née était consacrée au travail : vers, prose, peinture. Car, étant pauvre, il vivait de sa peinture. Le soir, il faisait - un chemin de croix. Il inscrivait quotidiennement ses pensées religieuses : recueil de proses souvent admirables. Depuis quatre ans, il n'avait pas quitté l'ombre de la basilique. Il avait la hantise de la persécution. S'il ne se cachait pas, du moins vivait-il retiré. On l'a arraché de sa retraite et on l'a fait mourir loin de l'église, longtemps tutélaire, près de la¬ quelle il souhaitait achever sa vie. Peut-être pourra-t-on y ramener son corps, un jour, * ** Parmi nous ici, au Maroc, Max Jacob compte de fidèles amis. Notre première pensée fut d'honorer son Ombre d'un « Hommage ». Il en existait un, tout composé déjà, celui qu'en mai 1939 publia « Aguedal ». Textes nombreux, témoignages d'admiration et d'amitié, poèmes,' proses, pages inédites. Quelques noms illustres. C'est donc cet « Hommage » que nous avons repris et que nous offrons aujourd'hui à la mémoire du poète. Ainsi, les dons apportés au vivant composent le « TOMBEAU DE MAX JACOB ». Nous y avons ajouté : De Max Jacob lui-même : trois poésies, Crucifixion, Le mariage, La fille du cultivateur,'Dix lettres à J. D. (inédites) de Saint-Pol-Roux : La complainte de Morwen le Gaélique (qui remplace un poème plus court : « Marché Quotidien »). de Pablo Picasso : un portrait blu poète. Max Jacob, Saint-Pol-Roux, deux voix posthumes, deux poètes martyrs. Sur terre, ils s'aimaient. Ecoutons leurs voix. Celle du premier mort, de Saint-Pol-Roux, qui chante : « Homme du ciel et diable ancien, ô mon doux frère solitaire Max Jacob, plane à jamais dessus des bonhommes de terre, auprès du pigeon blanc qui porte en roucoulant un bout d'herbe en son bec, — chance et bonheur avec ! ». Et maintenant, celle du second mort, du pauvre^ Max Jacob, martyrisé : « Dressez la croix debout. C'est le signe de la Pensée de la souffrance abondante et généreuse, c'est le signe du- pardon, c'est le signe du don et du martyr... En bas de la croix on prépare les simples funérailles... » Henri Bosco. 31 Mai 1944 La V le et l'OE uvre Je M ax Jacob Il est rare que la vie d"un poète n'ajoute, pas quelques pages à son œuvre. De Max Jacob on pourrait dire que son œuvre ajoute quelques pages à sa vie : c'est une constatation assez imposante lorsqu'il s'agit d'un poète pour permettre d'insister sur sa personnalité.' La vie de Max Jacob est devenue une légende que lui-même dore ou ternit au caprice conscient ou inconscient de sa mémoire. Mais de toute façon, cette vie n'est pas un ruban, continu ou discontinu, ni une ficelle qui s'étragle elle-même pour faire un nœud lisse qui n'écorche pas la main quand on la déroule. C'est une vie coupée au couteau en trois blocs pleins et durs, dilatés à éclater : avant la conversion ; pendant la conver¬ sion ; après la conversion. Avant sa conversion au catholicisme, Max Jacob vécut cette bohème éblouissante qui le fait paraître comme .un premier rôle dans les souve¬ nirs de Francis Carco. Parti de Quimper où il est né, et où il avait passé son enfance, il vient à Paris pour vivre de leçons de piano, puis de cri¬ tiques d'art. D'employé dans une maison de commerce, il devient appren¬ ti menuisier, puis clerc d'avoué ; il écrit des contes pour enfants —- et demeure toujours aussi misérable. En 1905, avec Pablo Picasso et André Salmon, il fait la connaissance de Guillaume Apollinaire ; il écrit, il va dans le monde et jouit d'une situation matérielle supportable. Un court poème symbolise cette époque où il va de métier en métier pour vivre et attendre' : M'as-tu connu marchand d'journaux, " A Barbes ou sous le métro ? ^ Pour, insister vers l'Institut. Il me faudrait de la vertu. Mes romans n'ont ni rang, ni ronds. 8 Et je n'ai pas cle caractère, M'as-tu connu marchand de marrons Au coin de la rue Coquilière ? Tablier rendu l'autre est vert... En 1909 il a une apparition qu'il raconte lui-même : Je suis revenu de la Bibliothèque Nationale ; j'ai déposé ma serviette ; j'ai cherché mes pantoufles et quand j'ai relevé la tête, il y avait quelqu'un sur le mur ! Il y avait quelqu'un sur la tapisserie rouge. Ma chair est tom¬ bée par terre ! J'ai été déshabillé par la foudre ! Oh ! impérissable secon¬ de ! Oh ! vérité ! vérité larmes de la vérité ! joie de la vérité ! inoublia¬ ble vérité ! Le Corps Céleste est sur le mur de la pauvre chambre ! Pour- qiioj, Seigneur ? Oh ! pardonnez-moi ! Il est dans un paysage, un. paysage, que j'ai dessiné jadis, mais Lui ! quelle beauté ! élégance et douceur ! Ses épaules, sa démarche ! Il a une robe de soie jaune et des parements bleus. Il se retourne et je vois celte jace paisible et rayonnante- Max Jacob accepte totalement cette vérité révélée et demande son bap¬ tême qu'il devra attendre six ans, pendant lesquels il pleure, prie et étudie les Saintes Ecritures. Je dis pareilles aux fleurettes sont les femmes en ce monde rond col, bonne odeur, couleurs, fossettes... Mis en tisane c'est un poison. Quand je devins idiot et fou par amour et pendant six ans six ans je cherchais dans la foule l'aide et la fin de mes tourments je la trouvai dansant et hors d'atteinte et j'en, perdis l'espérance et l'empreinte. Las maintenant : « confiteor ! » adieu poèmes je m'ébranche Au cloître, au fond du corridor j'aperçois la Divine Marie Plus arbre que fleur et l'infini trésor Plus que trésor, la Vierge ^est ma patrie mon bourg natal et le but de ma mort. En 1921. il se.retire à Saint-Benoît-sur-Loire pour y vivre connue il sait vivre, d'une vie unique, il prie et médite, il écrit, dessine et peint, s'entre¬ tient avec la mercière et le garagiste, donnant à chacun des avis de sour¬ cier qui trouvent la parole irremplaçable. Oraison et méditation ! Il est 9 toujours capable d'éblouir, il sait aimer et sait.qu'on .l'aime ; il est tou¬ jours disponible comme s'il en était au commencement. Une vie pareille, lorsqu'on n'est pas celui qui l'a vécue (et encore !) nous laisse perplexe. L'œuvre ne peut, à première vue point nous laisser autrement. Au lieu de pénétrer dans cette œuvre volontairement, laissons- nous inviter par le poète à la mystification bien trouble qu'il nous propose au début de son recueil Le Laboratoire Central. « Il se peut qu'un rêve étrange Vous ait occupée ce soir Vous avez cru voir un ange Et c'était votre miroir Que la muse du mensonge Apporte au bout de vos doigts Ce dédain qui n'est- qu'un songe Du berger plus fier qu'un roi. » Il est évident qu'avec de tels projets on peut gagner beaucoup, mai* perdre'le ciel. Alors ? Alors dans son Art Poétique Max Jacob dit autre chose qui ne contredit pas le précédent poème : « L'art est un mensonge, mais an bon artiste n'est pas menteur ». Nous voilà, ainsi, mystifiés à fond, heureux sans doute de l'être si bien, mais il n'est pas possible cependant que Max Jacob s'en contente. Mystifier quelqu'un et bien le faire, c'est déjà charmant. Etre le mystifié soi-même et le mystificateur, c'est un miracle de trinité moins un. Mais que cela ne devienne qu'un motif pour dire autre chose, c'est un moyen fort louable puisqu'il nous comble avant la fin. Oui, la fantaisie de Max Jacob fait partie de son art, mais elle ne per¬ met pas de croire à un optimisme dont on le loue trop souvent. Par exem¬ ple, Joseph Delteil a écrit : « ...quand on arrive de Musset et de Baudelaire et de Maldoror, terribles poètes, Max est oasis. Max l'optimiste. Max le divin donne envie de vivre... » Je ne vois pas Max Jacob si optimiste ou peut-être, si... comme le'Mon- sieur qui figure à la quatrième page des journaux la réclame souriante de la poudre de Kock, tandis qu'à coups de marteau on lui enfonce un coin dans le crâne. C'est que les pirouettes du poète font oublier d'où elles le font partir et où elles le font retomber, que ce soit du cirque aux vanités, au bain de l'enfer. 10 « Je craque de discordes militaires .avec moi-même Mes années sont des guerres de nation Le bruit de mes années ce sont des bruits d'avions. Noir et noirs souvenirs qui parcourez mes grottes M'es- anjiées ont gardé l'empreinte de vos bottes. Je trempe mon roseau dans le sang, de mon cœur. » Quand on écrit cela on est sans en avoir l'air beaucoup moins drôle qu'en demandant un saule posthume au cimetière. Que Max Jacob est un grand lyrique, on comprendra que je puisse l'af¬ firmer en citant le poème suivant : COULEUR DE L'AUBE Eveillez-vous ! Sortez des brouillards de l'aurore Corbeaux, qui secouez les draps noirs du sommeil De là ténèbre vainc atteignez les bosphores retardes par le rêvé alourdi des tunnels. Votre appel coléreux est ie cri de la terre. Elle espérait le jour vous dites : « Aujourd'hui ! » Les nuages d'argent reconnaissent les pierres : C'est la Pâque éternelle du jour avec la nuit. Sur le coteau crayeux s'ouvrit une paupière : les restes d'un déluge, ô Gorbeau de Noé ? Im fenêtre de l'Homme et son regard noyé ! Et les bœufs condamnés à supporter naguère les temples des dieux morts, l'étable du Vivant s'approchèrent de l'ombre et de l'onde plus claire et burent l'eau courante en lui montrant les dents. Puis la terre eut un cri comme on arrache un ongle : de l'ombre s'apeuraient des triangles d'oiseaux : la terre préparait ses diurnes hécatombes : la naissance et la mort sortirent des roseaux. Immobile et muet comme un. bastion de guerre je suis percé des jours au cadran des saisons. Tous les matins pour moi sont des aubes d'hiver et la mort s'est déjà courbée sur ma maison Mais ne faisons pas de Max Jacob un poète trop terrible. Il est à l'ori¬ gine d'une fantaisie enchantée d'anges, cassée de musiques qui se battent, décorée de modern-style : on sait que cette fantaisie a servi, encore, assez tard, pour qu'on ne se souvienne plus que Max Jacob l'avait inventée. « Les trois dames qui jouent du bugle Tard dans leur salle de bain Ont pour maître un certain mufle Qui n'est là que le malin. » Lyrique ou fantasque, Max Jacob créateur s'est gardé des excès que ses successeurs se sont permis. Max Jacob est de ce.ux qui ont des bijoux et portent le brillant côté paume. Il existe dans l'œuvre poétique de ce poète, une partie tellement sépa¬ rée de celle dont nous venons de parler qu'il l'a signée du nom de Mor- wen le Gaélique. C'est une poésie qui dépasse le folklore en lui emprun¬ tant sa forme et touche à une fraîcheur qui ne peut passer. Plus d'ombres grotesques ni d'enseignes qui s'affacent ; le dessin est sur la peau fait d écorchures salées et les rondes réelles se chantent dans la rue. Voici un des nombreux Noëls de Monven : L'œuvre antérieure de Max Jacob prouve que cette poésie n'est pas d'ins¬ piration directe, mais le résultat de témoignages et de fictions où l'observa¬ tion tient une grande place comme dans son œuvre en prose. 13 En effet, dans le roman psychologique Max Jacob tient une dés premiè¬ res places de la littérature. En le lisant, certains ont pensé à Balzac — non —- chez Balzac, c'est surtout le milieu qui est le signe psychologique. — Tandis que chez Max Jacob, la voix et l'expression (syntaxe et choix des mots dans les conversations et dans les lettres) deviennent des signes psy¬ chologiques presque exclusifs. Et c'est pour cette raison que l'on a tenté des rapprochements plus'fondés entre l'œuvre de Max Jacob et celle de Marcel Proust. Tout d'abord indiquons une différence essentielle : Max Jacob est l'homme qui boit le coup avec le chauffeur, tandis que Marcel Proust est celui qui lui donne le pourboire formidable. D'autre part chez le. second, l'observation est faite pour servir le roman, tandis que chez le premier, i'observation est tout le rornan : il en résulte que l'on peut discuter Proust, tandis qu'on accepte Le Cabinet Noir, qu'on l'aimé ou qu'on ne l'aime pas. Pourtant Max Jacob s'est servi lui aussi de la précision de son obser¬ vation dans un autre but. Avec des détails parfaitement choisis, exprimés avec des mots dont chacun sort du laboratoire, il a fait naître des monde- qui dormaient dans le hasard. Ils sortent des cartes comme des réussitès rigoureuses et ce qui s'y passe est vrai comme un produit chimique : cela fume, éclaire, éclate, voisine, réagit, etc..., et toujours le jeu recommence sans qu'on ne vole personne : ' ** Fausses nouvelles. Fosses nouvelles A une représentation de « Pour la Couronne », à l'Opéra, quand Des- démohe chante « Mon père est à Goritz et mon cœur à Paris », on a enten¬ du un coup de feu dans une loge de cinquième galerie, puis un second aux fauteuils et instantanément des échelles de cordes se sont déroulées ; un homme a voulu descendre des combles : une balle l'a arrêté à hauteur du balcon. Tous les spectateurs étaient armés et il s'est trouvé que la salle n'était pleine que de... et de... Alors, il y a eu des assassinats du voisin, des jets de pétrole enflammé. Il y a eu des sièges de loges, le siège de la scène, le siège d'un strapontin et cette bataille a duré dix-huit jours-, On a peut-être ravitaillé les deux camps, je ne sais, mais ce que je sais fort bien, c'est que les journalistes sont venus pour un si horrible spectacle, que l'un d'eux étant souffrant, y a envoyé Madame sa mère et que celle- ci. a été beaucoup intéressée par le sang-froid d'un jeune gentilhomme fran¬ çais qui a tenu dix-huit jours dans une avant-scène sans rien prendre qu'un 14 peu de bouillon. Cet épisode de la guerre des Balcons a beaucoup fait pour les engagements volontaires en province. Et je sais, au bord de ma rivière, sous mes arbres, trois frères en uniformes tout neufs qui se sont embrassés. les yeux secs, tandis que leurs familles cherchaient des tricots dans les armoires des mansardes ». Les poèmes en prose du Cornet à Dés ont eu "comme toute l'œuvre poé- tique de Max Jacob une fortune considérable : je. veux parler de ceux qui l'ont imité. Froidement, il n'y aurait qu'un regret à exprimer : l'œuvre du précurseur n'a pas été surpassée : et l'influence ne se vérifie pas par l'imitation. Ceci grandit encore l'importance toujours neuve de Max Jacob qui vient récemment de publier quelques Ballades qui prouvent qu'il n'a pas fini de créer et d'étonner. Mais cette importance est souterraine. Dans la géologie contemporaine il fallait une exploration pour que l'on s'aperçoi¬ ve qu'il y a le « gouffre Max Jacob » : avec ses visions, ses mirages, ses étranglement, avec ses théâtres à coulisses transparentes, avec son eau claire, et partout surtout, ce relief toujours jeune. Michel Levàn-ti. Casablanca, avril .1939. 15 M ax Jacob Cuverville. 2 avril 1938. Il n'est sans doute pas, de nos jours, d'auteur plus dé¬ concertant que Max Jacob. Il semble ne se prendre jamais au sérieux, comme Henri Heine ; et le rire, le sourire du moins, est toujours chez lui voisin des pleurs. On dirait, par moments, qu'il se moque un peu du lecteur. Mais je sais un moyen de ne jamais être sa dupe : c'est de l'aimer. Alors tout s'éclaircit soudain, et ce qui paraissait feinte d'abord, devient pudeur et tendresse. C'est aussi qu'il ne laisse jamais le mot déborder l'émotion, la pensée ; sa phrase les revêt étroitement et sans aucun effet de draperie. D'où chez lui cette qualité si rare du style, qu'il appelle : la densité. Quand il parle au nom de fantoches imaginaires, il devient prolixe ; il le fait avec une habileté consommée, où se joue son extraordinaire don de sympathie ; malgré quoi, dans son Filibut ou son Bouchaballe, je me perds et le perds un peu. Mais ses poèmes, prose ou vers, mais son Tartufe, je les lis,-les relis, ainsi qu'il dit qu'il le désire : « non pas long¬ temps mais souvent » — pour y trouver sans cesse aliment à des joies nouvelles ; et pas seulement à des joies. Parfois, souvent, d'un coup d'archet, il écarte de nous des voiles, et l'on ne sait plus trop en face de quoi l'on se trouve, si c'est de soi-même ou de Dieu. « Le mystère est dans cette vie, la réalité dans l'autre ; si vous m'aimez, si vous m'aimez, je vous ferai voir la réalité », dit-il. C'est pourquoi j'aime Max Jacob. André Gide. 16 Paul Claudel ne pouvait pas s'écarter d'un hommage rendu à Max, Jacob. Quand celui-ci a publié ses Morceaux Choisis, il lui écrivit ces lignes, qu'il nous autorise à publier. Paris, le 13 janvier 1937. Merci, cher Max Jacob, d'avoir superposé cette pastille d'encens à ce brasier de beaux poèmes et de chairs humaines que vous m'avez envoyé. J'ai respiré le tout avec délices dans ce mélange d'attendrissement et d'exhilaration que procure à la fois aux yeux et aux narines cette émanation puissante de fantaisie, d'amour et de fumée. Vous avez à la fois les dons d'un poète et les grâces d'un chrétien, rien nulle part d'artificiel et de méchant, mais partout ces belles vertus qu'on appelle l'humilité et 4a charité, celle-ci dans son double sens. Affectueusement et fraternellement vôtre. Paul Claudel. 17 jM-éditations Religieuses Je ne puis pas plus désapprouver la publication de mes méditations chrétiennes que blâmer mes amis de les avoir recueillies ou conservées. Elles n'ont jamais été écrites que pour fixer un instant mes idées par la plume% mais si elles peuvent, paraît-il, intéresser un cercle de familiers, ce cer¬ cle peut aussi s'élargir : j'autorise donc volontiers les ré¬ dacteurs d'Aguedal à faire connaître les quelques médita¬ tions qu'ils possèdent fit je les remercie. Max Jacob. LA CREATION Mon Dieu vous dominez au-dessus des hommes et au-dessus des choses et des mondes créés allumés vivants détruits et me voici moi porteur d'une biographie comme un couloir étroit. J'ai commencé on ne sait d'où et tout d'un coup j'étais là. Est-ce que l'Océan a re¬ mué parce que j'étais là ? est-ce que dans la grosse bitume univer¬ selle quelque chose s'est aperçu de l'accouchée et de l'enfdnçon ? Et lorsque l'enfant grandit est-ce qu'il était autre chose qu'une par¬ ticule d'un banc d'école ? Depuis le commencement tout tournait et tout a continué de tourner sans que je participe à rien. J'aurais pu disparaître alors et je puis disparaître encore. Comme on s'est passé de moi, on s'en passera demain sans un regret. Dieu sait que le don de la vie est le seul don qui compte ; il al donné la vie aux généra¬ tions que nous sommes, chacun use sa vie sans souci du prochain, mais quelle importance avons-nous pour le monde ; notre vie est pour nous seuls ou presque car les plus grands ne font que ce que Dieu aurait pu faire faire par un autre : tout n'est que du travail 18 qu'on s'impose. La vie compte pour soi et nos devoirs ne sont que vis-à-vis de Dieu, à cause de Dieu, marionnette au bout du fil de Dieu qui ignore l'autre marionnette et n'est bien sûre que de son fil. Pourtant marionnette qui sait ce qu'elle dit, ce qu'elle fait, et qui la tient, marionnette inutile1 mais respectable puisque Dieu a donné sa vie, sa chair et son sang pour elle. Pourquoi sailis-tu ce sang dont tu ne sais rien sinon son origine merveilleuse, cette chair qui est pareille à Celle de Dieu pourquoi la salis-tu ? On t'a mené dans le domaine pour y attendre la mort et voilà cé que tu y fais, tu casses tout, tu t'abîmes, tu manges, bois et fumes. Bran que balaie le Temps : qui te donne le droit de ne rien écouter que ta chair ? qui t'amène à la confusion ? ta chair. On t'avertit bien des fois et tu n'a ni raison ni volonté : le court es¬ pace de ton temps tu le passes à le gâcher, tu ne réfléchis pas à ton devoir sur terre qui est d'obéir à ton créateur. 19 BUT POUR LEQUEL NOUS SOMMES CREES Dieu m'a mis au monde non pour Lui mais pour moi et comme je disais hier parce que rien ne iui a semblé plus précieux que la vie, il nous a fait don de la vie, et parce que ce don est précieux il a com ¬ biné la seconde vie pour les morts. Ayant dû instituer la mort il a institué l'autre vie, nous donnant comme but de mé/iter celle-ci. L'instinct de conservation terrestre, de progéniture, est un signe de ce que nous devons avoir d'essentiel après car c'est le dernier que nous conservions et le plus fort alors vous voyez bien que c'est le principal et si c'est le principal, c'est qu'il y a une signification et la signification c'est la force du principe de vie tant au point de vue terrestre qu'au point de vue céleste. Comment est-ce que nous au¬ rons le principe de la vie éternelle ? C'est en suivant les ordres de celui qui tient les fils. Ces ordres sont peu nombreux et très faciles à se procurer. Dieu! nous a dit qu'il faut le suivre et l'imiter et il ne nous demande pas plus que nous pouvons. Il nous a donné les facul¬ tés nécessaires à la connaissance, à la contemplation, à l'oraison, le jugement, les sens, et il attend de nous que nous en fassions bon usage. Si nous étions des êtres raisonnables nous nous conduirions selon la volonté de Dieu puisque nous ignorons et que Lui sait et que s'il sait il ne nous donne que des ordres raisonnables. Mais nous avons la bêtise d'écouter la nature et le démon et d'oublier ce que Dieu veut de nous comme le père de ses enfants. J'ai passé ma vie à contrecarrer Dieu. Quand ai-je fait une ac¬ tion qui eût Dieu1 pour but ? bien rarement ou bien si je l'ai faite, c'est sans songer au but éternel. Ma vie est bâtie loin de Dieu tout en paraissant bâtie près de Lui. Aujourd'hui au moins lève-toi et regarde ce salmigondis de folies qui constitue ton existence ivre, livresque, sensuelle et orgueilleuse et demande toi ce que cela consti¬ tue au point de vue du but de la vie. 20 9 m Incliné sur l'infini des mondes, le Seigneur surveille leur nais¬ sance et leur vie et leur mort. Incliné sur l'infini des mondes, l'Uni¬ que surveille la rame des générations, il les attend et les fait dispa¬ raître. Au-dessous des mondes est la ténèbre. O région des ténèbres ! là.Dieu ne regarde pas et là il n'envoie aucune grâce de secours ; les maladies y sont quintuplées et décuplées et multipliées. Nous som¬ mes les souffrants, les éclopés, les poursuivis, les secoués, nos crampes ne nous donnent pas de repos. Comment celui qui croit ne songe-t-il pas à l'enfer ? quelle gravité que l'issue d'une vie et si nous devons passer l'éternité dans la crampe et la rage de dents est-ce qu'il ne vaudrait pas mieux ne pas être né ? Pourtant nous risquons à chaque instant ce destin, le destin de notre éternité. Pesez ce mot d'éternité car il n'y en a pas un plus lourd. Terreur du mot éternité. Ce n'est pas une colique d'un jour, ni d'un mois, ni d'un an, ni d'une vie entière. Et comme l'on plaint le malade qui a souffert toute sa vie. Ce n'est pas une colique intolérable d'une vie, c'est une colique de plusieurs vies, d'un siècle, de plusieurs siècles ! de toujours. Pour une minute de joie, pour une vie de joie (et quelle vie de déceptions et de châtiments terrestres) je risque la soif et la faim, l'agonie sans fin, la faibles.se, la brûlure vive, les supplices tels que brodequins, eau, scie, la noyade, l'odeur écœurante. Quoi ! y a-t-il un crime qui mérite de tels châtiments sur terre ? mais nous 21 ne connaissons pas la valeur de nos péchés, nous ne connaissons pas la valeur de notre volonté appliquée au bien et la valeur de nos efforts, par conséquent la culpabilité de notre omission. Toi qui connais tant de souffrances, tu veux t'exposer à pire. Toi qui connais la loi de Dieu ne crois tu pas à son schéol. Toi qui connais cette parole : mon iota ne passera pas, veux-tu braver la loi de Dieu par le pire des sacrilèges, « l'abus des sacrements ». Mon Dieu, voyez quel homme faible : chaque jour je vouç demande les dons du Saint Esprit et c'est la force contre ma vanité de vieil homme, que je dois vous demander. Je vous demande plus particulièrement aujourd'hui de me protéger. A genoux je vous le demande au nom du Père, au nom du Fils, au nom du Paradis, au nom des souffrances du Christ. ) 22 Dieu a quitté, son monde à Lui, le ciel où il habite depuis tant d'années et de siècles, l'éternité c'est-à-dire toujours. Il a pris le corps d'un tout petit nourrisson même avant la naissance et il a grandi comme un ordinaire homme prêchant la loi chrétienne. Dieu a mis les soldats et les juges à ses trousses. Le voilà arrêté tout Dieu qu'il était dans le jardin des Oliviers, arrêté, lié avec des cordes et traîné qu'il le veuille ou non jusqu'aux juges. Comme il l'a dit il était venu pour être tué, dès lors pourquoi se défendre. On peut l'insulter le battre, il est venu pour souffrir, pour être saigné. Il est l'agneau parce que l'agneau est sans défense et il pourra dire Tout est ac¬ compli car l'agneau a été prophétisé comme agneau ne serait-ce que par le fait qu'on a mangé l'agneau chez les Juifs à Pâques depuis Moïse. Agneau tu seras battu, agneau tu seras abattu. Et tu crou¬ leras pattes aux genoux sous le bois d'injustice. Que diras-tu à la Sainte Mère dessous le bois de justice ? tu lui! diras ce qu'elle sait : l'agneau ne se plaint pas d'être l'agneau., L-'agneau regarde la mère et leur douleur et leur affection se mettent dans leurs yeux. Quelle douleur est-ce ? ils sont dieux, ils savent, ils souffrent, ils se taisent, ils souffrent. Voilà les Dieux. 11 confie sa croix à un homme pour bien souligner que cette dou¬ leur n'est pas pour lui seul mais pour chacun des autres, et qu'il est un exemple et il permet que Sainte Véroniqiue ait pitié de Lui pour que chacun de nous ait pitié de la croix des autres. Quel; bonheur à la destinée de Véronique, avoir rencontré Dieu sur son chemin et avoir été sensible à sa vue. Reconnaître Dieu cela s'appelle la Foi : donnez-nous la Foi, augmentez notre Foi ; mais que cette Foi suffise non ! certes, il faut nous reconnaître indigne, il faut craindre les châtiments pour n'avoir pas vécu d'accord avec notre Foi. O mon Dieu ! j'ai donné mon temps et mon corps aux horreurs alors que vous donnez votre temps et votre corps au sacrifice. Déshabillez-vous malgré votre souffrance, écorchez-vous en tirant votre robe, si vous ne l'enlevez pas c'est nous qui l'enlèverons, ce sera-pi re. Sa peau vient avec la robe, agneau écorché, agneau mou¬ rant. L'agneau ne sera pas rôti par l'enfer. Clouez lui les pattes, ar¬ rachez, lui le sang et les muscles, les os ne seront pas rompus pour qu'il puisse ressusciter. Telle est la Loi. Il est bien attaché ? dressez la croix debout. C'est le Signe de la Pensée de la souffrance abon¬ dante et généreuse, c'est le Signe du pardon, c'est le signe du don et du martyr. Jésus saura souffrir avec dignité et sans se plaindre et il illuminera le monde avec les sept paroles. En bas de la croix on piépare les simples funérailles, la nature prend part aux funérailles par une lumière crépusculaire. Le corps est lavé pendant l'éclipsé, parfumé dans la demi nuit. Le chagrin les a tués, les parents et les amis et moi, l'humanité, je dois pleurer toute ma vie la mort réelle de Dieu, mort sainte et pas ingrate. Je dois m'enterrer dans le sépul¬ cre avec lui et pleurer autour du sépulcre en attendant la résurrec¬ tion. 24 ETERNITE Les mondes vivant mourant Les générations comme des bancs d'écolier Dieu présidant depuis toujours . les univers et les microbes. Pas de temps ni d'espace. Nous sommes confits en illusion ; la vie est un clin d'œiî pour le Dieu d'Eternité. Dieu dit ; Employez ce clin d'oeil selon mes ordres. Si vous refusez je vous abandonne dans un trou noir. Si vous vous appliquez à me connaître je vous fais com¬ plice de mon éternité, vous devenez presque Dieux vous-mêmes. Voilà posés le Paradis et l'Enfer. PARADIS. — La nature humaine ne compte pas, quelque chose baigne dans un océan univers délivré de la maladie et de l'inhar- monie. Le plus petit du Paradis est plus grand que le plus grand des hommes dit l'Evangile à propos de Saint Jean. Une tradition occul¬ tiste dit qu'il y a des génies qui en remuant un doigt pourraient empêcher l'univers de tourner. Plus de tentation. ENFER. — J'ai été brûlé à la poitrine par l'alcool. J'ai été brûlé par une soupe bouillante. On pourrait souffrir comme ça, c'est le toujours qui est terrible. On ne pourra pas se tuer. Et tout ça pour de petites jouissances dé quelques heures. Ne pas désespérer. C'est un crime et un doute de la bonté de Dieu. Dieu nous allège mille fois des difficultés aussitôt que nous avançons une fois vers lui. 25 PARADIS Le Paradis est peut-être très voisin de nous. C'est un univers différent du nôtre et où nous nous dégageons des liens^et des lour¬ deurs de la chair, nous y volons en esprit et en pensée, notre intel¬ ligence dégagée de la matière devinera, saura, connaîtra. Nous se¬ rons omniprésents, nous converserons entre nous sans paroles et nous n'aurons rien à cacher. Est-ce que cela ne mérite pas un effort que cette vie du pur esprit ? La grâce de Dieu nous peut donner idée de ce que sera, cet univers de grâce éternelle, ce bain, d'air de grâce, cette agitation douce dans une atmosphère de grâce de Dieu. La possession de Dieu et Dieu nous possédant. La terre n'offre pas le Paradis : nous ne savons que par instant ce que c'est que le bonheur. Est-ce que je me rends compte de ce que je perds quand je cours après mes sottises habi¬ tuelles ? Il serait temps de renoncer sérieusement aux occasions du péché. — Vous ne voulez pas de moi ce matin. — C'est comme si la double croix était une brouette. Est-ce que la recherche même du Beau n'est pas vanité et orgueil et un bou¬ che-paradis. Max Jacob. 26 émoienaçes J'ai connu Max Jacob au bord d'un étang. Nous marchions dans un sentier de limon bordé de roseaux secs qui cassaient comme des stalactites de gel. Baisser ou lever les yeux, c'était voir les nuages reflétés par l'eau sur laquelle passaient des sarcelles. On ne pouvait éviter de voir le ciel. On marchait en plein ciel, mais sur un isthme de terre grasse collant aux pas comme de la boue. J'ai revu bien des fois Max Jacob. Je le revois souvent. Un Max Jacob dépouillé de sa légende, débarrassé de son masque qui est multiple. Dans Saint-Benoît lavé par toute une nuit de la pous¬ sière des autos qui défilèrent, hier dimanche, devant sa tour romane, dans Saint-Benoît qui a retrouvé sa fraîcheur et son calme, nous allons chaque semaine surprendre sa solitude, l'arracher pour quelques instants à ses méditations et à ses prières. ^ Des rangées de livres, des gouaches piquées sur les murs^ blanchis, une grande planche posée sur des tréteaux servant de table, près de la fenêtre. Les dessins de la semaine sont là. Sur un chevalet, un paysage extraordinaire aux tons de cuivre, que nous avions vu la semaine précédente d'un vert terne mêlé de gris et de rose. ^ — Ah mon cher ! la peinture ! me dit Max Jacob, quel tracas ! Je n'en dors plus, je me lève la nuit pour chan- * * * 27 ger ce gris, ajouter ce rouge, allonger cette ligne... C'est à devenir fou. Nous lui demandons de nous lire ses derniers poèmes. Puis nous partons avec lui vers Orléans, vers Sully-sur- Loire, vers Gien, ou vers la Sologne qui est à deux pas. Au restaurant Feuillanbois, à Châteauneuf-sur-Loire, on connaît bien notre ami : . — Bonjour Maître. — Mais enfin, pourquoi m'appelle-t-on Maître, me dit Max, quand nous sommes à table, je ne suis pas un Maître, est-ce que j'ai l'air d'un Maître ? C'est insupportable ! Un Maître, c'est celui qui enseigne, pour enseigner il faut savoir... moi je cherche... : Je raconterai un jour tous ses propos. Les propos d'un homme qui, non seulement a choisi et vécu le jeu le plus dangereux de l'aventure poétique, mais qui n'a jamais cessé d'être dominé par l'angoisse. ! <3j§> Envolez-moi au-dessus des chandelles noires de la terre, au-dessus des cornes venimeuses de la terre. Il n'y a de paix qu'au-dessus des serpents de la terre, La terre est une grande bouche souillée, ses hoquets,, ses rires à gorge déployée, sa toux, son haleine, ses ronflements quand elle dort me triturent l'âme... (1) — On a toujours dit de moi que je ne suis pas sérieux, me disait-il un jour ; or, pas un seul mfst capable de couper les ponts comme j'ai fait trois fois dans ma vie*et d'accepter le martyre et la misère comme j'ai fait, comme je fais ! Ils sont sérieux eux, mais ce n'est pas la même chose... Etre sérieux et se prendre au sérieux sont en effet deux choses. Max Jacob ne s'est jamais pris au sérieux. André Gide l'avait bien compris qui écrivait déjà dans ses Feuillets: Je crois que l'on se surfait étrangement aujourd'hui l'importance de certaines figures qu'on, ne connaîtra presque plus dans dix ans ; et que, par contre, certains ne sont pas du tout mis à leur place — comme ce délicieux Max Jacob, si modeste et si retiré qu'il semble ne pas se douter lui-même de son importance, de sorte qu'il ne parvient pas à se prendre (1) Sacrifice Impérial (H. C.) 28 au sérieux, même quand il prie. Sa Défense de Tartuffe me paraît être un des livres les plus significatifs de notre époque, malgré son étrangeté, et à cause d'elle, un des plus beaux. - ^ * * * Au retour, nous longeons la Loire au clair de lune. Max n'aime pas la Loire et il trouve le clair de lune « un peu chromo ». Mais il contemple.en bordure de la route la che¬ vauchée des « Centaures-verdure ». — Il y a bien des centaures hommes et chevaux, pour¬ quoi n'y aurait-il pas des Centaures-arbres... Saint-Benoît. Nous sommes arrivés. — Déjà !... dira Max qui fait ici son purgatoire. « Du noir ! du noir ! un homme qu'on pousse ! « Du- noir ! du noir ! un homme qui souffre !... L'alignement des troncs sur la place de la Basilique prend, dans l'obscurité, l'allure fantastique d'une armée de monstres immobiles au-dessus desquels s'agite le royaume en effervescence du vent et des feuilles, —r Au revoir ! Au revoir les enfants... à bientôt ! Max claudiquant, Max titubant dans les ténèbres, dis¬ paraît comme aspiré par le gouffre noir et désert qui s'ouvre sous les platanes, repris déjà par tous les fantômes de sa solitude, rendu à la nuit. ...Du noir, du noir un homme qui crie. Croissant de soufre un peu d'espoir ! Encore du noir un homme qui prie. (1) * * * Et c'est seulement en fuyant dans l'étrange tunnel per¬ cé pour nous, à travers la campagne obscure, par les rets (1) Visions Infernales, N.R.F. 29 lumineux des phares que je m'aperçois qu'aujourd'hui en¬ core, j'ai oublié de dire à Max Jacob tout ce que je ne lui ai jamais dit : Comment je découvris, il y a plus de dix ans, le Cornet à Dés à la devanture de chez Stock ; comment ces merveilleux petits poèmes, qui me parurent alors simples annotations pleines de fantaisie, me firent, en les relisant, pénétrer dans le mystérieux domaine de la poésie moderne, où l'on n'avance qu'à tâtons ; comment, bien plus tard, je vins à préférer des trente-cinq volumes de son œuvre, la Défense de Tartuffe.. les Visions Infernales, et ce Sacrifice Impérial, tiré malheu¬ reusement à tout petit nombre, qui résume toute son œuvre. Puis encore, combien il me plaît que l'ignorance absolue du « grand public » — celui des P. Benoit, des Mauriac, des Duhamel — pour cette œuvre dense aux multiples faces en préserve la richesse ; et que nous sommes beaucoup, que nous sommes chaque jour davantage, à nous rendre compte de l'influence, souvent dans les domaines les plus inatten¬ dus, de cette œuvre dont on peut dire (comme l'écrivait ré¬ cemment Léon Guichard à propos d'Eric Satie), qu'elle est d'un précieux secours contre l'emphase,- la routine, la ba¬ nalité, qu'elle est un antidote, un tonique, qu'elle se plaît à élargir le fossé, aime le masque, et multiplie les déguisements. Marcel Béalu. Montargis 1938. 30 SOUVENIRS NAPOLITAINS C'est sur le cours Victor-Emmanuel, à Naples, que j'ai connu Max Jacob. Le tram s'est arrêté devant Rackets hôtel. J'en ai vu jaillir une merveilleuse petite sphère de feu. Cette sphère, à peine tombée sur le trottoir, a bondi et étincelé. Il s'en est détaché un crépitement électrique : cris, lazzi, ricanements, coq-à-l';âne, flèches, fusées, soleils, aurores boréales.. Derrière ce météore un grand garçons sérieux attendait sagement : Jean Grenier. Les gestes, les mots s'envolaient, l'esprit faisait ses cabrioles. Pendant un moment je n'ai plus vu le ciel. Puis, cette extraordinaire pluie de feu est retombée et j'ai aperçu un homme petit, rond, vif, rusé, qui était en train de me dire la bonne aventure. Il me la disait avec une rapidité incroyable : « De l'eau ! De l'eau ! esprit dans les nuées !... » Il avait le chef couronné d'un vaste canotier de paille blonde où un chapelier délicat, de Caserte ou de Métaponte, avait noué un ruban blanc et rose. Le Vésuve fumait. — Carte postale des plus banales ! s'écriait la voix pétulante. Le golfe est un bol de lait bleu. La ville, carton rose. Tout çà c'est de la pose. Parlez-moi de Douarnenez, Concarneau, Audierne ! Ici, décor. Pas de tendresse. J'expie... D'ailleurs c'est tout naturel : je suis un pêcheur. Connaissez- vous le Padre mystérieux de Sainte Claire ? Il a du cœur. Il m'a fait dire mes prières. A cinq heures du matin, j'étais en oraison. C'est un bon moment. On a Dieu pour soi. Le diable dort encore, ou bien il est occupé à fournir de rêves 31 abominables les dormeurs imprudents qui ont osé se glisser dans la nuit, sans prières. Quelle douce saison ! Est-ce que vous respirez cette lymphe ? Ah ! je me damne, je me dam¬ ne !... Allons manger des coquillages ! » Nous allâmes manger des coquillages devant un étalage de nacre, de corail, d'algue et de verre peint. Jamais poète ne fut tellement à son aise devant pareil décor de grotte marine. -— Quand j'étais vendeur, disait-il, chez un grand, né¬ gociant en quincaillerie je vivais dans une mansarde... Elle m'aima... Nous allions boire des champoreaux. Je le regardais dire. A mesure qu'il évoquait ces jours devenus à peu près imaginaires, les mots prenaient vivement l'initiative et dansaient pour leur propre compte tout autour du récit, mais en le suivant du coin de l'œil. En somme, l'histoire tenait bon. Seulement, on voyait tournoyer par¬ dessus, dans le ciel, de petits vols d'oiseaux, des vols spiri¬ tuels, et ils jouaient entre eux dans les nuages. On assistait à l'éclosion de la légende du Très-Benoît Saint homme Max Jacob. Il n'y manquait pas un seul diable, mais il y avait un ange, toujours le même, qui disait des paroles sensées... Matotel. — Je fais le serment d'être toujours bien religieux et bien intelligent autant que Dieu m'en aura donné le pouvoir. L'Ange. — Tout tourne bien ! mais quel mal il nous a donné et depuis tant d'années ! Henri Bosco. 32 • • Max Jacob est de ces gens que les gens sérieux ne veulent pas prendre au sérieux. Les mêmes gens sérieux se refusent à croire qu'un clown c'est aussi un homme et que les clowne¬ ries enferment une part immense d'humanité. La fantaisie en feu d'artifice du Cornet à dés, l'amour du jeu de mots, du calembour (pas sérieux le calembour), et cette noncha- lence supérieure à faire une carrière, toutes sortes de raisons pour que ce poète au cœur pur ne soit pas mis à son rang. Notre société est ainsi faite qu'elle ne pardonne d'écrire qu'à qui réussit, c'est-à-dire, en style commercial, gagne de l'ar¬ gent. Verlaine et Péguy, et Bloy, et maints autres, l'ont appris à leur dépens. Mais dans cette poésie cocasse, dans cette prose acide et spirituelle, il y a peut-être bien plus de réalité humaine que dans maintes thèses de philosophe. Le Cabinet noir m'a tou¬ jours paru une mine énorme de faits, de notations, de ces vices et de ces médiocrités qui sont la trame ordinaire de vies humaines ; ceux-là seuls n'y voient qu'ironie qui croient aussi que Daumier est seulement un ironiste. Et qu'en opé¬ rant en lui cette quotidienne transfusion, dont il a si bien parlé dans la Défense de Tarlufe, la grâce divine ait laissé in¬ tacte son expression, cette poésie à clinquants et à cymbales, soit mis en garde contre la tentation du lyrisme, quelle plus belle preuve demander que la poésie de Max Jacob était vraiment profonde, vraiment humaine, puisque Dieu lui- même a pu y pousser racines ? Daniel-Rops. 33 Max JACOB Combien y a-t-il d'années que j'ai rencontré Max Jacob dans un « salon littéraire » où l'on récitait de ses poèmes ? Environ seize ans. Je m'intéressais alors beaucoup à la per¬ sonnalité des écrivains ; je fus enchanté de connaître l'auteur de Cinématoma, du Cornet à dés, du Cabinet noir et du Laboratoire central, livres originaux, mines de vérités psycho¬ logiques et de sonorités imprévues. Mais à mesure que je connus l'homme, je trouvai qu'il était encore plus intéressant que l'œuvre. Sans doute ai-je passé par toute une gamme de sentiments vis-à-vis de Max Jacob, depuis la sympathie jusqu'à la réserve, la surprise, l'admiration, la reconnaissance, l'amitié. C'est à ce dernier sentiment que je me suis arrêté depuis très longtemps. Mais il est difficile vis-à-vis d'un homme aussi complexe, d'avoir dés sentiments simples. Il déconcerte..., mais c'est aussi qu'il se plaît à déconcerter. Tel que je l'ai vu souvent, il se résignait mal à passer inaperçu. C'est aussi que l'influence conjuguée « Montmartre » et « fin de siècle » l'avait profondément marqué : il a vécu sa jeunesse avec des gens qui étaient persuadés que l'art a sa fin en soi, ce qui est peut-être soutenable, et que l'art a son ex¬ pression dans l'artifice, ce qui l'est moins. De là, même chez des hommes comme Laforgue, Jarry, Apollinaire, ce besoin perpétuel d'être en représentation et de composer un person¬ nage. II faut dire qu'ils y sont arrivés. Jarry, paraît-il, jouait le père Ubu à la perfection tous les jours de sa vie. Qui n'a pas vu Max Jacob vivant, créant ses rôles, assurant autour de lui la distribution des rôles secondaires, et cela parfois d'une manière géniale, ne connaît pas vraiment Max Jacob. Car son œuvre n'en donne qu'une faible idée. Quel dommage que tout cela soit perdu, que le film, que le disque n'en ait rien pu retenir ! Il y a des hommes d'exception — et Max Jacob est de ceux-là — dont il faudrait suivre la vie pas à pas. Les anecdotes, les souvenirs que je pourrais rapporter 34 des journées passées ensemble à Paris, en Italie, en Bretagne seraient bien fades, car il y manquerait l'intonation, les gestes, le cadre et cette étonnante mise en scène qui en, font tout le prix. Et puis, comme c'est difficile de parler véridiquement d'un contemporain et,d'un ami ! On peut être entraîné à vouloir faire trop plaisir à celui dont on parle ou à se faire valoir sans qu'on le veuille, à ses dépens. La matière est riche pourtant avec Max Jacob et l'on n'a pas à craindre d'être pris de court. Il fut, ou il est, un des derniers bohèmes un des premiers poètes cubistes, un peintre original et sen¬ sible, un mystique, un grand pécheur, etc... — mais ce que je préfère en lui, c'est sans doute le peintre des mœurs de la bourgeoisie — le Roi de Boétie, le Cabinet noir par exemple, demeureront, avec l'Art poétique qui montre un Max Jacob moraliste ; ce qui me touche en lui c'est le poète armoricain, Morwen le Gaélique, qui a si bien su retrouver ce mélange d'ironie, de rêve et de tendresse qui est au fond des sentiments bretons. Mais il y a, je crois, à propos de Max Jacob et des multiples êtres, anges et démons, qui s'agitent en lui, un problème central qui se pose pour lui encore plus que pour tout artiste. L'œuvre d'art doit contenir une grande part de conventions, d'apprêts, de décorations, d'ornements qui la rendent désirable et constituent sa beauté. Max Jacob nous dit lui-même dans le bref discours qu'il prononça à une ma¬ nifestation littéraire de l'Exposition qu'il découvrit la beauté en regardant la Vénus de Milo. Et pourquoi ? C'est que « la beauté, c'est l'éloignement de l'œuvre — éloignée de l'artiste, éloignée du public —. Comment concilier cet éloi- gnement de l'œuvre avec la sincérité de l'émotion ? » Et Max Jacob se demande encore comment on peut concilier le men¬ songe nécessaire à l'œuvre avec la vérité nécessaire à l'artiste. Mais il semble qu'il ait bien souvent préféré le mensonge. Rappelons-nous la Défense de Tartufe : plaidoyer en faveur de quelqu'un qu'on ne croit pas et qui ne ment que pour arriver à une beauté supérieure. Rappelons-nous son « Dieu est dupe ». Et pourtant, il est sincère. Seulement, sa sincérité ne rencontre pas toujours son mensonge : ils habitent des plans différents. Mais quand ces plans coïncident, quand la force de l'émotion est encadrée par la très grande technique qu'il possède, son-art n'est plus de l'artifice, il est très grand. Jean Grenier. 35 Y REPONSE A MAX JACOB La poésie c'est la réponse. Un poème est un prétexte à réponse. Sinon ce n'est rien, ou un simple passe-temps d'oisif. La rime, et même le calembour, son parent riche, sont des trucs pour attirer la réponse, pour appâter la Muse. Ce sont presque des pièges. Le vrai poète, Max Jacob par exem¬ ple, s'en sert comme une somnambule des cartes ou un radies¬ thésiste du pendule, parce que c'est commode : mais en eux- mêmes ils ne sont rien. La réponse c'est le mouvement vers nous de cette réalité que nous poursuivons. Aide-toi, le ciel t'aidera. Frappez et on vous ouvrira, etc... La réponse est vieille comme le monde et on la trouve partout. f Argent, gloire, esprit, les sept péchés capitaux, les vertus aussi, 1er neuf Muses — répondent. à ceux qui les aiment. Eros aussi. Narcisse seul ne répond pas : le néant répond à sa place. Dieu répond. On ne peut pas plus imaginer un chrétien sans la grâce qu'un pianiste sans piano. Le diable aussi répond (1) — c'est pourquoi méfions- nous de lui, mes petîtr amis : on peut être inspiré par en haut, mais on peut l'être aussi par en bas (2). * * * Il n'y a pas d'art sans réponse. Une cuisinière ne mérite le nom d'artiste que si elle obtient une réponse. Sinon ce n'est (1) Il vient au moindre signe et sa réponse est le malheur, dit Max Jacob. (2) Il ne suffit pas de se dire, ou même de se croire, surréaliste, pour avoir affaire au surnaturel. Aux antipodes du je des mystiques - réalité personna¬ lisante et lumineuse « qui est en nous plus nous-mêmes que nous », il y a le ce obscur des psychanalistes. Il ne faut pas confondre le désir avec l'amour, ni le « ravissement » des saints avec l'état de transes des détraqués et des spirites. C'est le contraire : là unification et ici dissociation. Leur seul peint commun — lequel est sans doute à l'origine du malentendu qui sert d' <■ art poétique » à certaines écoles littéraires et artistiques contemporaines — est que dans les deux cas léTmoi individuel conscient perd la direction, sinon le contrôle, de son activité. 36 qu'une bonne ou mauvaise — cuisinière. De même un mé¬ decin. De même un équilibriste, ou un général ou un homme d'Etat. Napoléon a obtenu une réponse inouïe — d'ailleurs négative (en fin de compte) (1 ). Le « Miracle de la Marne » aussi a été une réponse. Le destin se laisse forcer. S'il y a dans le monde de moins en moins de réponse c'est que les âmes se rapetissent à vue d'oeil : le but de la civilisation mo¬ derne semble être de réussir à se passer de réponse (2)..C'est pourquoi le Dr. Carrel ne croit pas à la civilisation. Max Jacob non plus. Toute activité peut devenir un art. Quand un équa- risseur est un grand artiste, et qu'il est taoïste par-dessus le marché, le bœuf se découpe tout seul. Il se soulève vers le couteau. Tel Virgile, tel Mozart, tel Claudel — tel leur petit frère Max Jacob — qui ont^à faire face à un tel afflux de réponse que leur tâche est plutôt de lutter contre elle que de la provoquer (3). De même Michel-Ange suspendu au pla¬ fond de la Sixtine, aimanté par son œuvre et comme allaité par elle. Pleut-on même dire qu'il ait la tâche matérielle de la peindre ? Comme le couteau de l'équarisseur et la plume du poète son pinceau marche tout seul (« rien que la petite pression de la main pour gouverner »). * * * Il se peut qu'un rêve étrange Vous ait occupé ce soir. Vous avez cru voir un ange Et c'était votre miroir. Ainsi chante Max Jacob dans un de ses plus beaux lieds, mais il ne faut pas croire les poètes : la réponse n'est pas un miroir, ni un écho. Jamais un écho ne répondra en araméen à une paysanne bavaroise. (1) Positive pourtant, et pleine de sens — belle comme une phrase de Mozart — cette réponse : que Napoléon soit mort le 5 mai, seul jour de l'année où le soleil se couche sous l'Arc de triomphe. La réponse peut d'ailleurs parfois avoir plutôt l'air d'une question, comme dans certains horoscopes de naissances. (2) Quelle réponse splendide pourtant, mais tragique', chez le très moderne Marquis de Champaubert ! (3) Qui expliquera qu'il suffise à un Virgile de dire deux mots, en apparence les plus banals, pour qu'on soit d'emblée immergé dans la poésie - où une Légen¬ des Siècles tout entière n'arrive pas à nous faire entrer jusqu'à la cheville ?_ Par¬ fois chez des poëtes de troisième ordre on trouve de petites réponses, rafraîchis¬ santes, oasis au milieu d'un désert de rocailles en^ carton. De même chez George Sand le miracle tout à coup de ses romans champêtres. 37. Rappelez-vous dans ce film des frères Marx intitulé : « La soupe aux canards », la pantomime sublime de Groucho devant la glace. Quelle émotion quand on s'aperçoit à la fin (par des détails) que ce n'est pas une glace, que l'image qu'on voit de l'autre côté du cadre est celle d'un autre, d'un sosie (qui tient son chapeau derrière le dos) ! (Il y a quelque chose de semblable dans « La femme et son ombre ».). Drôle de monde. Il n'est pas seulement élastique. Il est hanté. * * ❖ Chez Max Jacob, qui est hanté lui aussi, c'est au pluriel qu'il faut parler de la réponse. « Toupie du Très-Haut », mais actionnée par des fouets de sens contraire, quelle variété infinie de ronflements ! Que de réponses ! que de voix alter¬ nativement et parfois simultanément démoniaques et angéli- ques. Essayez de vous y reconnaître. Elles se croisent, se heur¬ tent, interfèrent, jouent avec l'auteur et lui prennent son porte-plume — parfois aussi se livrent des batailles en règle. No mari's land Max Jacob préside à ces jeux et assiste à ces combats plus qu'il ne les dirige. Théâtre en même temps que spectateur d'opérations dont il est l'enjeu, ayant des intelli¬ gences dans les deux camps, il chante, cocasse Homère, sa propre guerre de Troyes. Je craque de discordes militaires avec moi-même ■ / Mes années sont des guerres "de nations Le bruit de mes années ce sont des bruits d'avions Noirs et noirs souvenirs qui parcourez mes grottes Mes années ont gardé l'empreinte de vos bottes. * * * Mon Dieu quelle guerre cruelle ! Tous les coups portent. Des deux côtés le sang qui coule est celui .du poète. La Muse le recueille en de durables coupes. Car la vraie poésie est faite avec du |ang et non ayec du « vernis pour les ongles ». 38 « Je trempe mon roseau dans le sang de mon cœur » déclame le Pénitent en Maillot Rose avec une voix ambiguë — une voix de fausset inouïe —• qui dit vrai mais qu'on ne croit guère et d'autant moins que Saint Matorel (pudeur suprême) semble parfois chercher à se faire prendre pour Tartufe (1). Comme si Tartufe pouvait être poète ! Comme si Tartufe pouvait se croire Tartufe ! Non, Tartufe se croit la sincérité même, il l'affiche sans cesse et, parfaitement ex¬ térieur à lui-même, sa conviction se forme à mesure qu'il l'exprime. Max Jacob n'est pas tel. Il ne cache pas sous une affectation littéraire de sincérité un manque de franchise fondamental. Ce serait plutôt le contraire. Je n'en veux pour preuve que ce titre justement — la Défense de Tartufe — qu'il a donné au récit de sa conversion. * * * Ce que j'àppelle la réponse, Max Jacob l'appelle Van¬ neau de Saturne. Paul Petit. (1) Mais on dit justement que c'est Tartufe qui voudrait bien passer pour Saint Matorel ! 39 UNE SOIREE AVEC MAX Si drôles que soient tous les récits que l'on peut jaire de sa vie merveilleuse, c'est le côté émouvant de Max qui m'a toujours■ attiré, derrière sa fantaisie, sa verve éblouissante, sa mystification fabuleuse. Je sais tout ça, comme tout le monde, mais je sais aussi que c'est une âme déchirée qui ne s'est jamais arrêtée de souffrir... Hôtel Nollet, 8 heures. Le poète Michel Griitli, Suisse à la chevelure albinos, prend congé. Nul mieux que Max ne sait montrer de grâce à un visiteur qui s'en va. Son visage se fond en tendresses, il s'incline ; des paroles de miel coulent de ses lèvres ; son crâne penché fait songer à quelque chanoine en dévotion, D'une voix grave, il dit encore : « A bientôt ! ». La porte se referme et aussitôt sa figure s'éclaire. Max a retrouvé sa jeunesse. Le buste émergeant de derrière un rideau, tel un régis¬ seur de théâtre affairé, Max Jacob rajuste sa toilette. Il aban¬ donne ses chaussons rouges, puis il se passe au cou une cra¬ vate d'un bleu tendre. « Nous dînons ensemble, bien entendu », lance Max, et nous voilà partis pour la place des Batignolles, au Restaurant des Marronniers, où le poète a ses habitudes. * * * Un restaurant classique, petit bourgeois, garni de plan¬ tes vertes et de vases de cuivre. Après avoir suspendu avec soin son pardessus à la patère, Max s'assied, laissant paraître 40 un contentement sans mélange. « Alors ?... » fait-il. Made¬ moiselle Mélanie s'empresse, offrant la carte et murmure « C'est Vendredi ! » puis, d'une voix plus forte : « Nous avons de la daurade ». Max jette un regard circulaire, un regard de peintre et de psychologue. Que peuvent présenter d'extraordinaire à ses yeux les visages de ces deux dîneurs assis face à face ? Dé¬ trompez-vous, ce ne sont pas leurs physionomies que Max observe. « Regarde-les, me dit-il, comme regarderait on pein¬ tre... Il y a entre les objets un vide où nous pouvons voir, si nous y prêtons attention, des figures : ce sont les formes spatiales... » Et il dessine du doigt le contour mouvant de l'image circonscrite entre les deux profils. Le dîner s'achève. Mélanie reparaît avec la gelée de groseille où Max retrouve son enfance, cependant qu'attirée par la faconde de l'illustre client la patronne, le cuisinier sous son bonnet blanc, Emile le plongeur/font cercle derrière lui et l'écoutent, immobiles, médusés par le verbe. De sa savante théorie de l'espace, Max en vient à Apolli¬ naire, « ce cher garçon né sous le signe du Taureau, qui a laissé quelques très bons vers et d'insupportables amis ». De là, sur le fil d'archal, il se laisse glisser à des commentaires de la Kabale et de livres érudits traitant de la magie noire. Sans égard à notre ignorance, il réfute quelque auteur du XlVe siècle avec lequel il semblerait qu'il ait eu personnelle¬ ment maille à partir. Je pense : « Cher Max, que de tem¬ pêtes en ton âme carmélitaine ! ». Il se tait. —- Quand tu mourras, lui dis-je, — car nous mourrons tous, ou presque tous — nous graverons sur ta' tombe ces deux vers d'un autre poète, bien faits pour te plaire : Sont morts les beaux diseurs, mais les voix ont chanté, Sont morts les bâtisseurs, mais le temple est bâti. — Tu es toujours le même !... Au reste, tu me com¬ prends. Sans doute as-tu la grâce, sans le savoir. Comme je le disais à l'autre Jean, non l'Evangéliste, comme toi, mais le Baptiste, je suis sûr que Dieu va au devant de toi ; mais toi, qui est généralement si poli, tu n'as même pas l'air de t'en apercevoir... » * * * Un client morose écoute nos propos d'une oreille atten¬ tive, pris entre le désir de se rapprocher de notre groupe et 41 de terminer la côte de veau panée qu'il dispute à son assiette. Max fait observer qu'il a au cou non une fraise de clown comme on pourrait le croire, mais seulement un faux-col en celluloïd, et : « N'en doutez pas, ajoute-t-il, il ne peut être qu'un receveur principal des Postes et Télégraphes, que le veuvage expose aux dangers de la solitude ». * —- C'est vrai, dit Max, la lutte de classe n'existe que pour ceux qui en vivent... Ainsi, M. Jouhaux !... Je me souviens, c'était un gros garçon aux lèvres fleuries, qui n'avait dans ce temps-dà de révolutionnaire que le bouc hérité de son père, le communard. Il était chômeur, comme je le suis toujours resté ; il a fait son chemin, comme j'ai fait le mien, mais pas dans le même sens, A-t-il eu raison ? C'est son affaire... Ne jugeons pas pour n'être pas jugés. Nous ne sa¬ vons si le corps de Jouhaux ne contient pas une âme en pro¬ portion. (Et toi, Porgès, sceptique, avec ton nez toujours en l'air, tu devrais bien comprendre que tout est possible. Ah ! si tu savais ce que tu perds de ne pas croire au miracle...) Je tirais alors mes humbles ressources de mes fonctions de com¬ mis aux Galeries du Boulevard Barbès. On ne dira jamais assez combien de vertus bourgeoises la France doit à la grande confection. Les miens, à commencer par la tante Delphine, m'ont toujours appris à respecter ces piliers de l'ordre que représentait dans mon enfance le Magasin du Louvre... M. Jouhaux, qui n'avait pas de chaussures à se mettre aux pieds, me rendit le grand service de faire appel à ma charité. J'ajoute qu'impécunieux comme lui, je ne pouvais guère le réconfor¬ ter, sinon de ma sollicitude fraternelle... Les treize sous, qui restaient à M. Jouhaux, lui permirent cependant de m'offrir un café au bar Martin dei la rue Ordener, qu'il fréquentait. « Où vivez-vous ? lui dis-je accoudé au zinc, et M. Jouhaux, consultant son bouc, me répondit : « Nulle part ». « Je vous offre, cher M. Jouhaux, de partager ma chambre ». Il accepta... De là datent mes relations avec le Régent de la Banque de France,. Et depuis, M. Jouhaux, dont l'heureuse fortune tient sans doute à sa sage volonté d'oubli, 42 me fit dire, comme je lui proposais, l'an passé, l'achat d'une gouache représentant, il me souvient, la Captivité de Mar- dochée : « Laissons-là ces vieux souvenirs... » * * * Le plongeur, qui avait reparu dans la salle du restaurant devenue déserte, venait de saisir une perche pour abattre le rideau de fer du café des Marronniers. On entendait sonner 11 heures. Une pluie fine donnait à la place, sous le feu des verts becs de gaz, cet aspect particulier aux peintures poin¬ tillistes dont Max Jacob disait du mal comme d'un procédé auquel il ne croyait plus. La brèche laissée ouverte dans le rideau baissé encadrait l'église aux fines colonnes doriques du Premier Empire. Les arbres, chargés de pluie, accrochaient au bout de leurs branches la lumière ; le reste s'enfonçait dans la nuit. Le silence grandissant faisait songer à quelque coin de cette province chère au cœur de Max Jacob, et où il a choisi de vivre à Paris comme à Saint-Benoît. Car partout où il se trouve, ce qu'a toujours cherché le « beau diseur » n'est rien cl'autre que le silence intérieur, et l'abondance de ses paroles (lequel de ses amis s'en étonnerait ?) n'a souvent d'autre dessein que de nous y convier... * * * « En cette période de carême, ne voudrais-tu pas m'ac¬ compagner à l'Adoration perpétuelle ? Il est bon, qu'après un repas fraternel comme celui-ci, où vous poussez la bonté jusqu'à m'écouter, nous allions nous recueillir un instant devant le Sacré-Cœur. J'en ai tant besoin ! Si vous saviez, mes amis, que je tiens pour une faveur du ciel de vivre au pied de la Sainte Basilique. Tant d'êtres luttent en moi que mon cœur en est déchiré... Et quand je pense que Dieu est mêlé à tout ça !... » Nous voici en plein vent, comme sur une falaise de Bretagne. La Basilique est là, dans le bleu de la nuit, énorme. « Tu vois, me dit Max, ce dôme c'est l'œuf de la fécondité spirituelle. Soyons dignes d'en être issus, comme les poussins du bon Dieu... » Le chemin des adorateurs n'est-il pas la voie étroite des élus ? On longe une barricade, puis l'on passe un pont de 43 bois brimbalant sous les rafales. Une pancarte annonce «En¬ trée des Adorateurs». Dans un préau qu'éclaire la lampe des vierges sages, un être coiffé d'une calotte, qui paraît tenir à la fois du bedeau et du préparateur de physique, prononce : « Messieurs, vos cartes ! » Avec une déférence officielle, Max Jacob soulève son chapeau, abat son monocle et dit d'une voix forte : « Mon¬ sieur mon ami et moi venons pour rendre hommage au Sa¬ cré-Cœur. Faut-il pour cela- des formalités ? Nous sommes de modestes artistes, aimant Dieu, et n'avons d'autre désir que de faire une prière, après dîner, avant de rentrer nous coucher... » — Avez-vous votre décoration ? reprend l'homme dont la figure couperosée apparaît derrière son pupitre, terrible comme celle d'un examinateur. -— Je n'ai d'autre décoration, riposte Max, que celle de la Légion d'Honneur que M. de Monzie, un fort digne hom¬ me, m'a fait remettre voici neuf mois. Quant à mon ami, s'il n'est pas décoré, c'est sans doute à cause d'un oubli de sa part... » - Mais le cerbère est inflexible. Les honneurs du monde, les « grandeurs de chair » n'ont pas pour lui d'importance, et nous sommes d'accord, Max et moi, pour penser que ce préposé hirsute est un triste gardien de l'Arche Sainte. Passant la porte, Max lui lance encore : « Faîtes votre devoir, Monsieur, nous ferons le nôtre ! ». Et nous voici rejetés dans les ténèbres et dans le vent... Jean de Saint-Chamant et Jean Soulié. 44 VIEUX MONDE BRISE.. Sous les eaps du passé, océan sans rivage Je contemple un amour emporté par les vents les troupeaux fugitifs en la nuit de mon âge disparaissent. Mes yeux sont les lampes du temps. Terres mémoriales, mes îles fortunées ! Seigneuriales délices, majestueux repos ! les rapides chevaux de mes vertes années n'ont pas lassé mon cœur du bruit de leurs sabots. J'ai tissé, j'ai tissé de vents et de paroles un voile au long, col gris tenu par les péchés. De mon dernier portail il cache l'Acropole et courbe vers le sol un casque empanaché. As-tu faim de la terre ? rêves-tu de royaumes ? Changerais-tu de peau, de pays, de couleur ? Deux fées se sont penchées pour enlever mon heaume le fer de leur baiser cicatrisa mon cœur. Qu'elle brille, la rouge, avec sa guipure ! Ses serviteurs criaient : « Le vieux monde est brisé ! » Sa licorne au printemps emprunte sa parure. Sa deuxième licorne, les habits de l'été. « Va ! tu sauras bientôt ce que l'âge contemple ! » Me disait l'autre fée nue sous un beau turban Elle était allongée sur les marches d'un temple et me tendait un crâne d'or sur un cacfran. Un triste et calme vent inconnu sous les astres qui n'était pas venu d'horizons cardinaux étendait sur le golfe le jour bas du désastre. Le vieux monde est brisé, préparons les vaisseaux. Max Jàcob. 46 CRUCIFIXION Que la couronne est gênante, derrière la tête et devant elle lui entre dans les tempes et fait couler le sang mon Seigneur ne voit plus clair, le sang recouvre les yeux le sang claque en touchant terre comme pluie tombant des cieux Comme cercles de barrique, tordus lui sont les bras et le corps si magnifique, on croit toujours qu'il tombera. Un seul clou gros comme pomme lui tient les deux jamoes croisées entre les os du pauvre homme une lance est enfoncée. Sur l'herbe est la Vierge-mère accompagnée de Saint-Jean Ils resteront en prières malgré la pluie et le vent Les grandioses funérailles sont pour les riches et les grands les cailloux de la pierraille pour le Roi du Firmament Pleurez donc, étoiles, terres pleurez feuillages, arbrisseau hommes, femmes, animaux votre Dieu est au tombeau Max Jacob 47 MA DERNIERE RENCONTRE AVEC MAX JACOB Ce texte a été rédigé par un évadé de France récemment arrivé au Maroc. Il est la dernière personne qui ait vu Max Jacob à St-Benoît-sur- Loire, trois jours avant, son arrestation. J_e matin du vingt-et-un février 1944, le facteur m'ap¬ porta un mot de Max Jacob : « Je t'espère dès que le vent du Nord aura cessé... ». Il faisait un temps clair et sec, et le gel durcissait la terre. Le vent du Nord n'avait pas cessé de souf¬ fler dans les sapins, pendant la longue nuit froide. C'était le jour du marché à Sully-sur-Loire. Les pataches passaient au trot pesant des chevaux de labour, car les fermiers conti¬ nuent à se rendre au marché du lundi, bien qu'il n'y ait plus rien à y acheter depuis longtemps. Je viens de feuilleter un livre d'un certain Aegerter, sur Guillaume Apollinaire, qui vient de paraître. J'y ai lu quel¬ ques anecdotes sur la naissance du cubisme, sur Picasso, sur Max Jacob qui me paraissent douteuses. Je fourre le livre sous ma grosse veste de drap, je mets des sabots et j'enfour¬ che mon vélo. La Loire est en crue. Elle bouillonne sous les arches du pont de Sully-sur-Loire, et le vent du Nord soulè¬ ve des vagues écumeuses. La basilique de Saint-Benoît-sur- Loire dessine son clocher dans le ciel clair. Paysage ancien, aux couleurs estompées, fait de pierres, d'arbres et d'eau. La petite place est déserte. Je sonne et je lève la tête- vers le premier étage. La fenêtre de la chambre de Max s'ouvre et il se penche : — C'est toi... Oui... Je viens. Il descend, ouvre la porte, presse mes mains dans les siennes : — Tu as froid ! Viens te chauffer. 48 b Il ranime le feu, met une bûche, souffle avec précaution: — C'est à faire le feu qu'on voit l'esprit, disent les paysans. Tu vois que j'ai beaucoup d'esprit. La grande table est couverte de livres, d'esquisses, de crayons et de pastels. Le pot à tabac est vide. J'offre ma blague : . — Ah ! tu me sauves la vie... Je vais fumer ton excel¬ lent tabac d'automne. Tu vas me rouler une cigarette... Chauffe-toi... Tu vois, je suis dans les choses bretonnes. On m'a envoyé à illustrer, pour un riche amateur, un exemplaire des « Chants ~de la Côte ». Tu peux le regarder, c'est très rare, ne l'abîme pas... Ah ! la Bretagne... Nous autres bre¬ tons... (il rit avec malice, prend un fusain, secoue la cendre de sa cigarette au-dessus de l'esquisse, souffle la cendre, chan¬ tonne quelques mesures d'opéra) . — Je viens de recevoir un recueil de poèmes de R. L. C'est très bien, ce qu'il fait. Ce qui m'ennuie, c'est qu'il faut lui répondre. Tu trouves ça bien ? Lis-moi donc quelques pages... la poésie, c'est fait pour être lu. Je lis à voix haute et, peu à peu, je m'anime, je détache un beau vers que Max répète en hochant la tête : « C'est bien... Ça c'est beau... Oui, continue... ». Il considère son esquisse bretonne en sifflotant. Il est vêtu d'une vieille veste noire et d'un pantalon de velours à grosses cotes. Son regard vif et clair s'illumine brusquement quand une belle image surgit dans le texte. — Bon ! Ça, c'est la poésie... Mais les lauréats du prix Goéland ne sont pas poètes. On dirait de la poésie de petit instituteur qui n'a jamais rien lu ni rien vu... Le royaume poétique, où les aveugles sont rois, quand ils ne sont pas des voyants... Décidément, ton tabac est trop fort. C'est bien mauvais, ce qu'ils font tous, en ce moment. Et puis, c'est toujours la même chose. Ce que tu appelles la poésie de mains, à cause du vocabulaire... Mais R. L. est un vrai poète. Nous ferons ensemble la lettre que je dois lui envoyer... Il n'y a pas tellement de papier aujourd'hui et l'on publie beaucoup de choses inutiles. Tu sais que Gallimard va faire paraître les Mémoires de l'Ombre, de Marcel Béalu, dans quelques jours? Maintenant, Béalu a trouvé le ton, l'accent. Il invente. Mais 49 je suis étonné du nombre de jeunes poètes qui n'ont rien à dire, et qui le disent avec les mêmes mots. Mieux vaudrait se taire. J'attends celui qui inventera quelque chose de neuf. Apollinaire, Picasso et quelques autres (dont j'étais) ont trouvé le cubisme, l'écriture automatique. Les surréalistes nous ont pillé, puis ils nous ont renié. C'était normal. Sauf Eluard, je ne vois pas beaucoup de poètes parmi eux. Il y avait Crevel... Nous parlons du douanier Rousseau, des débuts du cubisme, et il me montre des reproductions de statuettes nè¬ gres. — Ils disent, les critiques d'art : « C'est primitif... C'est naïf... » ■ Mais il ne faut pas croire à la naïveté des primitifs. C'est du très grand art. C'est très élaboré, très voulu et plein de science. C'est comme les œuvres de nos prétendus primitifs. Je ne connais rien de plus complexe ni de plus savant... L'esquisse bretonne a pris forme. Max fredonne une valse 1900. Il me prédit la fin de la guerre vers l'an 1970, après des batailles et des famines très longues. — Heureusement, je ne verrai pas tout cela. Je serai mort depuis longtemps. D'ailleurs, je suis vieux, je suis en dehors de la vie. Ouf ! Quel bon débarras ! Le jour baisse. Les ombres envahissent lentement la piè¬ ce. Nous regardons le feu qui rougeoie dans la cheminée. Max parle de ceux qui lui sont chers. Son beau-frère, mort dans un camp de concentration, sa sœur morte, sa belle-sœur folle de chagrin. Il sent peser sur lui la menace de Drancy. Il pourrait fuir en Bretagne, se cacher. Mais il accepte d'avance — com¬ me une pénitence envoyée par le ciel — le sort auquel il pour¬ rait se dérober. Nous nous quittons. La nuit s'est faîte. Max a mis sa grande pèlerine noire, son béret, et il va à l'Angélus. — Au revoir ! Reviens vite ! Je ne le revis jamais. ❖ ❖ * . te jeudi suivant, 24 février, trois policiers allemands venaient arrêter Max à Saint-Benoît. Le froid était rude. Il partit, sans avoir le temps de se-couvrir chaudement. Il passa 50 deux jours à la prison- d'Orléans, puij fut envoyé au camp de Drancy où les prisonniers meurent de faim et de froid. Max fut saisi d'une congestion pulmonaire contre quoi la faiblesse de son cœur ne lui permit pas de lutter. Son corps fut jeté dans une fosse commune où ses amis, Jean Cocteau, Pierre Coll, André Salmon le retrouvèrent. Bientôt, il reposera près de la vieille basilique, au bord de la Loire, où son souvenir demeure vivant parmi nous. Charles C. 51 Hommages Hommage de l'Amazone Tâcher de dire, moi aussi, pourquoi j'aime Max Jacob? D'abord pour ses contrastes : parce que son regard fuit comme une truite, et sait regarder le soleil. Pour ses poèmes, où il offre à Dieu, son suprême ami, toute une intimité. A cause de sa susceptibilité, toujours prête à l'offense, — peau neuve allant au devant de chaque blessure. (Même la possibilité d'une intention cruelle peut le faire souffrir). Il devine les pensées et y répond en rougis¬ sant : on peut lui faire autant de plaisir que de peine : ce qui est doublement généreux de sa part. Il est attentif au point d'éveiller en nous des subtilités semblables aux siennes, et l'on parle, selon lui, afin de mieux l'écouter. Et quand il vient me voir rue Jacob, ma rue a l'air de porter son nom pour, mieux l'accueillir ! Natalie Clifford-Barney. 13 juillet 1938. 52 Nous devons tous beaucoup à Max Jacob : il nous a éveillés au sentiment secret des êtres et des choses et préser¬ vés de bien des confusions. Sans lui, la Poésie aurait fini par se disperser. Il a rompu avec les maîtres qui encombraient le Temple : il a rétabli le divin dans le commerce avec les Muses et j'ai la certitude qu'avant bientôt la place à laquelle il a droit ne lui sera plus contestée par personne... même ou plutôt par ceux de ses imitateurs qui tentèrent de la lui ravir. Francis Carco. 53 \ ■ MAX PEINTRE Si l'on eût dit, il y a une trentaine d'années aux fami¬ liers du « bateau-lavoir », que Max Jacob prendrait un jour place dans l'histoire de l'art contemporain, on les eût beau¬ coup surpris. Max se livrait alors à maintes besognes : d'a¬ bord, il y avait la poésie, puis les conseils aux ménagères du quartier, quelques consultations astrologiques, enfin la con¬ fection au moyen d'allumettes trempées dans du marc de café et. de la cendre de cigarettes, de compositions où l'on pouvait reconnaître la scène du Bossu, que l'auteur avait vue la veille sur la scène du théâtre de la place Dancourt — qui ne s'appelait pas encore l'Atelier. Le temps a passé et Max en somme n'a guère changé : il est toujours poète — un grand poète ; il prodigue main¬ tenant ses conseils aux dames de Saint-Benoît-sur-Loire ; il fait de temps en temps l'horoscope d'un de ses amis, et il peint. Du moins, il en était ainsi quand il habitait rue Nol- let et l'on put croire à ce moment que son activité de peintre allait l'emporter sur toute autre. Alors, je ne pénétrais jamais dans sa chambre sans me dire que Max peintre n'était pas moins important que Max poète, ce qui surprendra beau¬ coup de ceux qui l'admirent et sans doute lui-même. Ses œuvres sont belles, émouvantes, d'une subtilité de couleur qui révèlent le peintre authentique. S'il n'était pas né poète, il fut devenu un grand artiste ; peut-être même, sans trop l'avoir cherché l'est-il naturellement. D'ailleurs, pour avoir travaillé tard il n'en a pas moins beaucoup travaillé ; ses gouaches sont plus et mieux que des dessins d'écrivains, elles valent par elle-mêmes et je ne les admirerais pas moins si j'ignorais leur auteur. Je suis certain qu'entre Utrillo et Rouault, Max Jacob a sa place marquée aujourd'hui parmi les peintres inspirés. G. Charensol. 54 IMAGE DE MAX JACOB Vous me demandez quelques lignes sur Max Jacob. Il m'est bien facile de vous les reproduire, car, bien que ne les ayant plus — les ayant esquissées, puis perdues, tant l'été fut fertile en perturbations et déplacements subits et néces¬ saires — elles sont si présentes à ma mémoire (vous savez que dans ce cas, ma mémoire c'est mon cœur) que je les puis reconstituer tout de suite. C'est l'écrivain que j'admire immensément, sinon le plus, dans notre époque, et il le sait et tout le monde le sait; mais je tiens une fois de plus à dire pourquoi : car il n'y a pas que moi qui l'admire, et il y a une façon élogieuse, ad- mirative de se tromper, et tout de suite alors je tiens à mar¬ quer une distance. Oui, il y a des gens qui admirent Max Jacob de ce fait qu'étant légers eux-mêmes et sûrs de leur trouvaille, ils le prennent pour un auteur léger. Certes, Max est léger, mais comme la grâce qui est d'un poids de pêche et d'étoiles — je pense à une baleine — incommensurable. Aussi ce qu'ils ont lu, dont ils se déclarent enchantés, devant prendre place à côté de ce qu'ils liront de vraiment léger au point de vue synonyme de la sottise qu'ils incarnent, n'a-t-il rien à voir avec l'impressionnant total de perfection et de grand art d'en haut et d'en bas et de partout que représente Max Jacob. Quelqu'un de pourtant intelligent, quoique d'officiel, me disait : Quelle insanité ! J'aime beaucoup Courteline, et tout le monde l'aime et Max Jacob aussi certainement, mais quel¬ le idée de faire de tels rapprochements ! Vraiment les éditeurs, il faudra qu'ils déchantent de ce genre qu'ils ont tous adopté de dire qu'ils veulent surtout faire du commerce, c'est à savoir vendre et vendre le plus pos¬ sible, conformément au goût du public. Si le public veut de 55 l'excrément, ils feraient beaucoup mieux de se faire vidan¬ geurs de propos délibéré. Il y a toujours, dans le choix de chaque carrière un désintéressement qui donne à songer. Tel se fait parquetier, tel argentier, tel pâtissier qui a un four pour des repas en ville. C'est par appétence spéciale — ou entre une poésie — qu'ils font cela en très grande part. Que l'on n'aille pas alors nous raconter que les éditeurs n'ont que ce but de vendre de l'excrément dans l'existence. Ce qui me plaît, quand je parle de Max Jacob, c'est d'avoir à faire à des gens dont le jugement est surtout ex¬ trêmement sévère. Non d'une sévérité qui se voit : d'une sévérité qu'une race de chair et de bienséance ainsi qu'une véritable soif de grand art motive. Il y a ainsi des gens en France, et plus qu'on ne croit. J'ai un ami, par exemple, de cette sorte, qui fait trembler tout le monde. Eh bien pour lui —- et on ne l'aurait jamais cru parce qu'il ne rit jamais — Max est le sommet indépassable. Ce qu'il y a d'ennuyeux, peut-être, c'est le peu d'accès qu'il a en Amérique ; mais ce qu'il y a d'ennuyeux davanta¬ ge, c'est l'Amérique elle-même, dans son incapacité native à apprécier un chef-d'œuvre français en dehors de l'officialité ou d'une truculence de mauvais aloi. Ce qui a l'air d'une naïveté — mais ce n'en est pas une — et qui me plaît infiniment chez Max, c'est l'attitude de déflagration jusqu'à l'émiettement produite par le mépris qu'il a dès que dans une société, au lieu de parler une langue compréhensible, on se met à parler anglais. Ce fut un sno¬ bisme du XIXe siècle. Il ne peut le tolérer. Il se fait tout petit, se réduit, s'excuse, s'en va, et prive immensément de sa présence. Si bien qu'on se le tient pour dit. On ne recom¬ mence plus ou on recommence moins. Contradictoirement, il adore la littérature anglaise, mais traduite, comme elle aurait toujours dû l'être. Thomas Har¬ dy, Chesterton font ses fortifiants délices. Aussi les russes, les très grands, dont le verbe traverse la langue. Parle-t-on rus¬ se, cependant, en sa présence, il ne décompose pas. Il com¬ prend que c'est une manie et il l'admet. Et puis, les Russes ont de singuliers mérites et ils ne font pas figure de domina¬ teurs du monde avec un genre, le leur, à l'exclusion de tout autre. Et si l'on parle breton ? Peuh ! Il le sait, le breton, mais il n'aime pas le parler avec des amateurs même bretons — 56 et il y en a pas mal. Il aime et comprend surtout infiniment sa terre, ses grandes landes où luisent des toits distancés par des kilomètres de respect de sa définition qu'a une famille ou un être dans ses incendies, ses drames, ses héroïques crimes; comme nous avions vu un jour avec Kit Wood. Nous avions deux voitures. Le ciel était prodigieux de descente large vers la mer. Kid Wood est mort, depuis, effroyablement, la tête broyée par le train sur les rails, en Angleterre. Et il a été pleuré par des gens très simples et qui l'aimaient en Breta¬ gne, car il y avait très peu de distance — les marins se con¬ naissaient dans les eaux — entre son pays sur l'île, je veux dire en Grande-Bretagne, et les premiers territoires sur le continent Je voulais dire autre chose. Il y a des gens qui doivent tout à leur siècle. Ce n'est pas le cas de Max Jacob. C'est son siècle qui lui doit. Beaucoup de ceux dont on parle et dont les propos font époque dans les temps post-Apollinaires sont entièrement formés par lui. Quelle impression produit-il quand on le rencontre ? Celle d'un être plein de majesté. Il n'est ni immense, ni mê¬ me grand — c'est ridicule d'être grand —- et il est fort phy¬ siquement d'une façon qui donne à réfléchir. Mais l'on n'en a pas le temps, tout fasciné que l'on est par l'éclat des propos. On le regarde alors et dans l'âme, et c'est un merveilleux con¬ tact de salubrité. Son œil est agile, du plus étonnant gris-ciel poudreux dont un oiseau surpris dans ses roches pures nous ait proposé la teinte. Son pied est petit, propice à l'escarpin. Sa main est vive, soudaine, potelée comme l'églantine. Aux avant-bras, sous les paumes, l'endrqit où l'os de jointure cu¬ tané interne soutient les muscles fléchisseurs, se discerne un double bracelet magique. Quant aux lignes, celles de la main et des doigts, elles sont extraordinaires, mais il sait mieux dire les nôtres que nous les siennes. Un don que je lui envie entre tous, c'est l'éloquence. Il bavarde avec une foule comme avec un ami, procurant un plaisir intense. C'est là qu'est son mérite extraordinaire ; pro¬ curer plus que du plaisir, du bonheur par la présence et l'art, cet^art sévère. Charles-Albert Cingria. 57 SIGNE A MAX Il existe de Max Jacob un mot admirable : « Il ne faut pas, me disait-il, être connu pour ce que l'on fait ». Un poète est posthume. Il lui est difficile de vivre côte à côte avec son œuvre. En fait, son œuvre le mange et cher¬ che à se débarrasser de lui. Nul mieux que Max n'a su réussir ce miracle : se rendre invisible, tromper l'œuvre à force de transparence et donner en pâture à l'époque un homme de paille qu'elle puisse brûle* sans atteindre le poète. Cher Max — je t'aime dans l'éternité. Jean Cocteau. 58 Max est un dieu en trois personnes : le Père fait le bo¬ niment à Saint-Benoît (il faut bien gagner sa vie, je veux dire son ciel...) Le Fils couve avec amour la jeune poésie. Quant au Saint-Esprit, hé bien, il est langue... Max représente pour moi cette chose unique, incroya¬ ble, cette hérésie (disent les hérétiques) : un poète souriant. Quand on arrive de Musset, et de Baudelaire, et de.Maldo- ror, terribles poètes, Max est oasis. Max l'optimiste, Max le divin donne envie de vivre. Avant tout il m'a fait du bien. Merci, Max ! Et après tout, il est par là de la race des génies à la Mozart, des bons génies, quoi ! Naturellement, la Providence fait moins de pétard que Satan. L'influence de Max sur la Poésie française, influence fine, sûre, « catholique » est une influence invisible, natu¬ rellement... Joseph Delteil. 59 RENCONTRE On veut parler d'un autre, on parle de soi. Je pense à Max Jacob, c'est à moi que je pense. Je m'insurge contre cette impudeur et puis je l'accepte. Après tout, c'est la preu¬ ve même qu'il ne saurait m'être indifférent, qu'il fait au contraire partie de moi. Et sans doute y a-t-il de la joie pour un homme à savoir que son image vit dans le cœur de mil¬ liers d'autres, même déformées, même à l'état de petite flam¬ me vacillante comme celles des églises pauvres... C'était à Paris, vers midi, sur les quais... Toutes les boîtes étaient closes, leurs bouquinistes déjeunant dans les bistrots du trottoir opposé avec les plâtriers pointillés de blanc au visage. Un seul coffre restait ouvert. Je m'en ap¬ prochai, je plongeai mon regard dans l'huître sans grand espoir de découvrir quelque chose qui me plût, mais j'en retirai « Le Laboratoire Central », presque neuf, pour cent sous, que je connaissais mais ne possédais pas. Avant de m'asseoir au square Saint-Julien-lé-Pauvre, dont les pigeons sont si bien élevés que jamais ils ne fientent sur les bancs, je feuilletai le bouquin. Puis je m'installai. D'avoir relu ces vers me donna l'envie d'en écrire. J'en écri¬ vis auxquels je trouvai, je l'avoue, un goût savoureux. Quand je les relus, je m'aperçus qu'ils n'étaient pas de moi, mais terriblement influencés par Max Jacob, terrible¬ ment « jacobiens ». Je m'insurgeai, en commençai d'autres. Hélas ! le diable d'homme me tenait la main, la dirigeait, malgré que j'en eus, sans pourtant lui éviter la maladresse 60 car il n'est pas de si bon maître qui puisse en garantir l'éco¬ lier. Mon papier, je l'appuyais sur le livre acheté. Une sin¬ gulière osmose s'opérait ainsi, contre laquelle je ne protestai bientôt plus, me livrant tout le reste du jour à l'amitié de Jacob, et m'y délectant. Je me souviens de cette journée passée avec lui comme de celle que je vécus à Annecy en compagnie de Laforgue parce que l'automne était là, avec ses bancs mouillés, ses casinos désertés, ses kiosques-sous la bruine et mon début de tuberculose... Ainsi peut-on vivre avec des œuvres. Et c'est bien là le signe de l'œuvre : qu'on puisse vivre avec. Max-Pol Fouchet. 61 \ HOMMAGE A MAX JACOB Si cet homme est mon père, comment le jugerais-je ? Or « tout ce qui est grand est mon père ». C'est l'hon¬ neur que se fait Henri de Montherlant. Ceci est affaire de passion et non de grade. Et je me moque du ridicule d'être certain d'y avoir droit. La grandeur n'est ni la tension, ni la solennité, ni la statue laissée derrière soi, à chaque pas que l'on fait en avant. Je sais à qui je pense. La grandeur peut être exactement le contraire : à sa¬ voir une certaine forme de la faiblesse. Cette faiblesse à laquelle le poète répond par l'achar¬ nement à se livrer : corps, âme et biens. Or, du lyrisme de Max Jacob, de ce lyrisme convoité de toute part, par la terre et par le sang, par le ciel et la priè¬ re, par l'angoisse, le feu, l'ironie, par le sel et par le soufre, par les cris et par les silences, se délivre aujourd'hui une sorte d'unité pathétique. Entre « l'homme de chair et l'homme reflet », ce poète masqué a douté de ses incarnations successives, sachant que chacune d'elles n'était qu'une forme de son insatisfaction profonde. — Max Jacob a aujourd'hui obtenu de lui-même, une austérité et une solitude, qui n'ont d'ailleurs pas fait cesser les poursuites secrètes dont il est l'objet. Mais, il y a concilié densité et instabilité sous le pouvoir d'un ciel moral. Quand je vois Max Jacob, je pense à ces arbres, dont on ne songe pas assez que leurs branches sont aussi des ra¬ cines et qu'elles tiennent à l'air aussi solidement que celles du sol tiennent à la terre. Rocer Lannes. Paris, février 1938. 62 LE MESSAGE DE MORWEN LE GAELIQUE Morwen le Gaélique n'est pas un dédoublement tardif de Max Jacob ; c'est au contraire le Max Jacob d'origine, celui de la Côte qui, après un quart de siècle, surgit impérieu¬ sement pour réclamer les armes forgées par un héroïque aventurier de la Poésie et pour les mettre au service d'une cause éternelle. S'agissait-il seulement d'écrire des chansons populaires bretonnes, fût-ce avec un charmant archaïsme, fût-ce avec une verve pleine de jeunesse ? S'agissait-il de ressusciter une Bretagne engloutie par le temps ou plutôt par la vulgarité des mœurs contemporaines ? N'y avait-il qu'à faire sonner quelque puissante cloche d'Ys ? Il était sans doute à la por¬ tée d'un poète habile et inspiré d'exalter le pittoresque et les coutumes touchantes de l'Armorique. Mais qui pouvait por¬ ter témoignage de ce qu'il y a de meilleur dans l'âme bre¬ tonne : sa gaîté, sa tendresse, sa ferveur et la grande frater¬ nité populaire de cette race de paysans et de pêcheurs ? Qui donc, si ce n'est Max Jacob dans les poèmes de Morven, au style serré, au rythme tendu, qui sont autant de petits dra¬ mes d'un raccourci frémissant ? Quand Picasso vint pour la première fois à Quimper, il ouvrit la fenêtre de sa chambre d'hôtel pour contempler la ville. Il faisait nuit. La fenêtre donnait sur les toits silen¬ cieux qu'enserrait le vaste ciel. Le peintre ne put se détacher de ce spectacle ; il passa la nuit sur le rebord de sa fenêtre. Il sentait une ville écrasée, humiliée, mais dont l'âme vivante parlait au ciel ; en était écoutée. Le contraire d'une ville inerte ou d'une arrogante cité. C'était l'humble humanité quotidienne abandonnée à son destin et la Providence veil» 63 lait sur elle dans l'obscurité. Telle est la véritable poésie de la Bretagne. Les flèches sublimes de ses cathédrales ont beau s'élancer vers le ciel, elles n'auront jamais l'audience qu'ob¬ tiennent ces chapelles de hameaux, assiégées par le lierre, en¬ tourées par des tombeaux, remplies d'ex-votos, béquilles et bateaux suspendus. Les formidables promontoires de granit dont parle Michelet ont beau défier l'Océan, ils ont moins de puissance pour nous émouvoir que ces visages de pêcheurs tous les jours face à face avec le danger et que ces doigts de femmes aux prises avec la misère. Octave Mirbeau disait des gens de mer : « On les a traités de brutes, ces héros. Ah ! vous les verrez, ces brutes magnifiques avec leurs mains cal¬ leuses, leurs yeux pleins d'infini, leurs dos qui font pleurer». La Bretagne est un pays en profondeur. On ne peut pas la juger sur les apparences. L'amour seul en donne la clef. C'est encore, dans notre époque de parole et de fumée, un exemple de la fraternité humaine fondée sur le roc de la FOL Les Bretons sont encore de ces pierres vivantes dont parle Saint Pierre dans son Epître. Tel est le message sans prix de Morwen le Gaélique. Julien Lanoé. 64 HOMMAGE A MAX JACOB La poésie de Max Jacob — l'un des phénomènes de l'époque — est apparue sous le double signe de l'extase sa¬ crée et de la grimace, et n'a pu se tenir en équilibre entre ces deux pôles que par la propulsion même du génie. , Aujourd'hui, nous voyons évoluer l'homme et le poète vers cette transparence où l'eau-forte des. stigmates s'efface devant une lumière révélatrice, où la contorsion recule et dis¬ paraît devant une majesté. Y ■ Il y avait d'exceptionnelles ressources au fond du « Cornet à dés », et le mirage .à multiples faces de cette In¬ troduction qui reste en tous points, un document admirable sur l'un des tournants de notre art. Mais Ariel bouffon bat¬ tait des ailes comme l'ange, c'est ce qui, par la suite, délivra le poète de son malaise propre et de tant d'étranges compro¬ mis. Le drame et le génie particuliers de-Max Jacob ne sont donc point sensibles à qui ne décèle toutes les nuances d'un art en qui se manifestent les plus étonnantes, et parfois les plus décevantes contradictions : un poème de Max Jacob, c'est à côté de la diaphane et éclatante simplicité du volubilis, l'ironie prolixe, allitérée des vrilles sur la tige grimpante de la fantaisie. Il y a davantage de vraies ressources dans les tentatives actuelles du poète, résultats d'éliminations et de greffes sé¬ vères. L'inspiration munificente et astucieuse, l'ingénuité et l'humour natifs sont devenus choses de Dieu plus que choses de l'homme et montrent ce rare filigrane qui rehausse la pourpre du sang versé au calice de l'Esprit. A tous ces points de vue l'auteur du « Laboratoire Central » devenu pénitent de Saint-Benoît-sur-Loire .reste un exemple de ce que Dieu, par sa grâce et malgré la perver- 65 sité du sphinx humain, peut créer de Réponse, de sublime Logique et de sublime Illogisme, selon le cas, dans l'âme imipense, troublante, désespérante, mais avide, troublée et désespérée du Poète. Ce pantèlement de l'âme que refuse un Valéry, sans aucun doute voué à l'assèchement de l'Arcadie mallarméenne, Max Jacob l'accepte, maintenant hors des malices du jeu] comme l'engrenage où il doit passer tout en¬ tier après quelques signaux d'usage à la terre. Nous garderons de l'œuvre ancienne, du « Cinémato- ma », le souvenir d'un passage étrange dans nos Babels tru¬ quées et retruquées, notant l'acuité de la réplique humaine au pâteux mensonge de Bâal ; nous tirerons br°fit de cette prose agile, sœur de celle de Satie, vouée à l'exploration de savoureuses banalités, des mœurs insipides de province ; nous mettrons en tiroir ces imageries qui bourlinguèrent parfois tant de lieues avant de jeter l'ancre dans des havres de haute suavité ; mais nous réserverons au psalmiste des récents jours une pensée d'alleluias. La communion des saints, belle revanche de la solidarité des pécheurs, voilà l'horizon qui reste suspendu sur la cellule du poète attaché aux travaux d'un agréable désert ; voilà aussi le rouage se¬ cret de notre louange à qui la poésie de Max Jacob apparaît en définitive l'arc-en-ciel breton flottant dans un ciel lavé, pieusement aimanté sur les villages et les ports, le flot de la mer et les landés. « Henri-Philippe Livet. 66 LE SOLITAIRE DE SAINT-BENOIT-SUR-LOIRE Dix ans d'amitié me lient à cet homme extraordinaire, « cousin germain de Notre-Seigneur Jésus-Christ », Max Jacob. Max Jacob ! Un des visages les plus graves de notre époque promise à tous les tremblements de terre et tous les incendies de la Colère Divine, à toutes les joies pour les rares Amis de la Vérité crucifiée. Sans parler de l'œuvre abondante, vaste de ce méconnu, de cet esprit profondément catholique (universel) qui a porté tous les costumes, de la robe du grand seigneur à la robe de bure, on peut dire de lui ce qu'on dit des plus grands : sa vie et sa personne ne se séparent pas de son œuvre. Le Cornet à dés, ce chef-d'œuvre tant démarqué par les esthètes de la copie originale, les personnages de Filibuth et du terrain Bouchaballe, c'est Max Jacob, Saint Matorel, c'est encore lui qui ouvre son cœur avec tous ses sanglots, tous ses sarcasmes, toutes ses implorations, toute sa prière... « Scandale pour les uns, folie pour les autres ». Les amateurs de lieux communs, les « camarades » de la Répu¬ blique des Lettres ont classé définitivement Max — à côté des figures centrales d'Apollinaire et de Picasso — comme un fantaisiste, un feu follet hoffmanesque, un'météore du coq-à-l'âne et de la calembredaine. Pouf nous, nous voyons en Max Jacob un des plus grands poètes catholiques de no¬ tre époque, et nous répéterons après Jacques Maritain, que sa poésie a l'importance des tableaux de Cimabue et de l'An- gelico. Pas d'homme moins littéraire ! 67 Ceux qui savent lire, mon cher Max, connaissent ton vrai visage ! Ceux qui sont des habitués privilégiés du cabaret de la Souffrance, l'épouse-croix de Notre Sauveur, connaissent la grimace d'exil de ton visage, et ces ardentes prières qui sor¬ tent de ton cœur gonflé d'injustice et d'amour... Léon Bloy disait que « la miséricorde n'est rencontra- ble que chez les pauvres ». Depuis des années, tu protèges les humbles et les désespérés. Pas d'âme qui n'ait reçu de toi ou un conseil plein de sagesse ou une parole de bonté, une de ces paroles qui touchent l'âme même du cœur, et redon¬ nent espérance et courage ! Ces chemins de croix que nous avons faits ensemble, ces effusions vers Dieu que nous présentions dans les églises de Paris et d'ailleurs, voilà ton plus beau poème, ta grande richesse, Pauvre plein de foi, d'espérance et de charité ! Tu t'es retiré de l'Enfer de Paris, voué aux malédic¬ tions et aux flammes par les saints et les visionnaires, et tu vis en Dieu Seul chantant à sa gloire des ballades intérieures et terribles qui sont le tamis de toute ta vie passée de souf¬ frances et de contradictions, et peignant les personnages de l'Histoire Eternelle de la Très Sainte Trinité sur la palette de la chair et de l'Esprit... Dans cette campagne exquise où se dresse une Basili¬ que au Cœur percé et. brûlant, tu offres chaque jour l'étable de ton âme à Jésus-Enfant... Les hommes ne t'ont pas compris, mais lorsque le jour des Rétributions sera arrivé, le Grand Jour des Assises de Dieu, tu retrouveras près de Jésus-Christ aux Plaies Rayon¬ nantes, l'Ange portant un calice qui t'est apparu rue Ravi- gnan, et la « Dame parfaite » que tu as honorée dans tes Litanies — qui te feront entrer dans cette Jérusalem Céleste, dont on ne peut rien dire sinon ces mots que balbutiaient les Saints en extase, et qui signifient Joie, Harmonie, Lumière: Tu te reposeras sûrement La veille de ton enterrement ! Alain Messiaen. 68 ETERNITE DU POETE Il y avait un moment amer où l'on dit à Max Jacob : « Vous étiez poète ? ». Max a répondu : « Oui, quand même, moi j'étais poète ». C'était sa modestie qui l'empê¬ chait de dire poète dans le passé, le présent et l'avenir. Enfin, il est poète, il a le cœur d'un poète et il écrit des poèmes, il fait sa peinture mais pas comme un peintre, mais comme un poète. Et il fait; les découvertes de chaque jeune âme qui paraît dans le monde et il fait cette découverte avec son âme de poète. J'ai bien connu Max à cette époque quand le monde était encore jeûne, jusqu'à maintenant quand le monde est vieux, son âme n'était jamais jeune et jamais vieille, car à quoi bon avoir une âme si une âme peut avoir un âge ? Max n'a jamais trouvé nécessaire de se demander pour¬ quoi il parle de lui-même comme un homme vieux et pas, mais il a toujours su qu'une âme n'a pas d'âge et il a tou¬ jours une âme. Bon J C'est ça qui fait un poète. GeRtrude Stein. 69 SOUVENIRS SUR MAX JAGOB Max Jacob... Je le revois au plus lointain de ma jeu¬ nesse, tel qu'il est resté .propre et net dans sa personne com¬ me dans son cœur, avec cet air de prélat gourmand et spi¬ rituel, aux yeux à la fois profonds et malicieux bien ouverts sur le monde, et pleins, nous semblait-il pourtant, d'une ardente vie intérieure. La fin était proche alors du siècle dernier. Il ne s'évadait qu'à peine du Quartier Làtin, logé à son orée, au dernier étage d'un vieil immeuble du Quai aux Fleurs.'Le carrelage de la chambre et de la cuisine était tou¬ jours encaustiqué de frais : on s'y voyait comme dans un miroir et on y patinait comme au Palais de Glace. Et de la fenêtre on avait une belle vue sur la Seine et l'Ile Saint- Louis. — C'est moi qui. fais mon ménage, aimait-il dire en frottant l'une contre l'autre ses mains fines aussi bien entre¬ tenues que le carrelage. / Il y avait au mur quelques tableaux, une ou deux goua¬ ches. Un jour, je dis devant une de ces dernières : — C'est bien. — Elle est de moi, répondit-il modestement. Tu me fais plaisir quand même, reprit-il. J'ai quitté l'Ecole colonia¬ le pour me faire peintre, mais jusqu'ici, je ne suis arrivé qu'à me spécaliser dans la critique d'art. Dans les ateliers on dit que je n'arriverai à rien' en peinture. — Mais on me disait aussi que j'écrivais mal, écrivait- il plus tard. Je lâchais tout pour apprendre à écrire. Je con¬ nus alors une vie de misère, et je fis tous les métiers. 70 Aujourd'hui, le poète a sa cote dans les catalogues de librairie, et, à l'Hôtel des Ventes, le peintre -— car Max a repris ses pinceaux — subit sans sourciller le feu des en¬ chères. Quand je le connus, il se faisait la main dans une revue hebdomadaire, un quelconque moniteur des beaux-arts. Sous les pseudonymes les plus divers, il y affirmait un éclectisme qui le conduisait de l'Académisme le plus pompeux à l'im¬ pressionnisme le plus hardi, et de l'Art décoratif tradition¬ nel à'ce « modéra style » qui était l'art nouveau de 1900. Mais un nom revenait fréquemment dans ses propos: Picasso. Quand il le prononçait, il tournait les yeux vers Mont¬ martre. Mais des intérêts le retenaient encore sur la rive gauche : il devint même à ce moment secrétaire de la rédac¬ tion du Sourire. Les grands dessins à légende promis aux joies de la tri¬ chromie, ne durent pas modifier son sens naturel de l'hu¬ mour : il les recevait et les mettait en pages, c'était tout. En revanche, il n'eût pas hésité à se refuser les lettres de son Cabinet noir, et les commentaires dont il les faisait suivre : il poussait le respect de la consigne jusqu'au sacrifice. « N'oubliez pas, avait dû lui dire son directeur, que nous devons aller au grand public, d'abord ». Au grand public, Max Jacob y allait à sa façon qui n'était pas celle du journal. De chaque métier qu'il était contraint de faire pour vivre, il rapportait un lot nouveau d'observations, tout en se demandant à lui-même : Dis-moi quelle fut la chanson Que chantaient les belles sirènes Pour faire pencher des trirèmes Les Grecs qui lâchaient l'aviron... Saint Matorel lui dévoilait son âme mystique et bur¬ lesque, tandis que dans la nuit où il se complaisait le cerf affamé broutait l'herbe d'enfer ' / 71 / Mais dans le jour revenu il s'armait d'un nouveau sou¬ rire et ses petits yeux regardaient le monde comme un jeu de massacre que son ironie autant que sa fantaisie criblaient de boules imaginaires. La fresque s'ordonnait en conséqûence où il allait, du Terrain Bouchaballe et de Filibath ou la montre en or, au Cabinet noir et au Roi de Béotie, décrire avec la précision du peintre et la Verve de l'écrivain toute une société. Du peintre et de l'écrivain, ai-je dit... Ht du poète. Car le visionnaire est toujours présent dans l'œuvre de Max Jacob. If s'évade du Cornet à dés et du Laboratoire central pour se répandre dans L'Homme de chair et l'Homme reflet ou nous annoncer le dadaïsme par de plaisantes onomatopées ou d'inattendus rapprochements de mots. Le beau ne fait pas rire, a écrit quelque part Sully Prudhomme. Oui, mais Max Jacob a toujours su envelop¬ per de lyrisme la caricature elle-même, et relever de poésie et d'attendrissement jusqu'au comique de certaine laideur. Mais sans oublier sa rencontre avec Guillaume Apolli¬ naire, son émigration à Montmartre, sa conversion, c est le Max Jacob de 1900 que je veux surtout revoir, le créateur de rythmes et d'images insolites, précurseur —- déjà ! — de tout un mouvement dont il sera le dernier à bénéficier, le compagnon mélancolique, et pourtant souriant qui, ayant fait à pied le chemin des tours de Notre-Dame au Pont de Neuilly, sonnait vers les dix heures du soir à ma porte, et disait pour excuser son arrivée tardive et sa lassitude : — Je viens dîner... en voisin. j •- . Y * _ ~ ' vu nos Jean Valmy-Baysse. 72 POEMES DE MORWEN LE GAELIQUE (1) SAINTE MARIE-MADELEINE Il n'y a pas plus mauvaise aux tombeaux du Père Lachaise au Purgatoire à l'Enfer sur la terre ou sur la mer x Que ne fut la Madeleine : paressant matin au soir amoureuse comme chienne négligeant tous ses devoirs. « Pense un peu à ton travail « je te donnerai la schlague « au lieu de colliers et bagues « et de tout ton attirail. « Les fléaux de boulevard « qui tentent les vieux paillards • « on les met à Saint Lazare. » lui dit son frère Lazare. • / , * < A ~ ■ (1) Morwen Le Gaélique est le pseudonyme que prend Max Jacob quand il pense en breton. 73 — Ne frappez pas votre sœur mais attendez le Sauveur Elle sera fleur de mousse parmi les nouvelles pousses, Père et Fils et Saint-Esprit au-dessus du Paradis ! Le Fils descendit sur terre par les ordres de Son Père - « Tes pieds supportent l'haleine « d'une femme au corps pourri » dit leur hôte à Jésus-Christ « son nom est la Miadeleine ». — Que le démon d'enfer tremble « car les péchés sont remis « à celles qui lui ressemblent « quand Dieu les a convertis ». t LA FILLE DU CULTIVATEUR Votre fille est bien trop fine djouscoundio matio pour tirer sur les racines djouscoundio matio et pour piler les genêts djouscoundio la farine au bléi. Envoyez la z'à la ville djouscoundio matio mariée à un sergent de ville djouscoundio matio étudier pour le brevet djouscoundio la farine au bléi — Monsieur que je lui riposte djouscoundio matio l'Administration des Postes djouscoundio matio n'aura pas ma fille aînée djouscoundio la farine au bléi Je n'Ia veux pas guichetière djouscoundio matio un inspecteur par derrière djouscoundio matio parisiens devant son nez djouscoundio la farine au bléi Elle sera propriétaire djouscoundio matio de cent vingt hectares de terre djouscoundio matio d'un mari pour labourer djouscoundio la farine au bléï. Si ma fille est assez fine djouscoundio matio elle se paiera des machines djouscoundio * matio et du phosphate pour l'engrais djouscoundio la farine âu bléi. ET SA MERE EN PRISON Au temps du temps des moines des moines de Crozon \ - j'avais mon fils Antoine, toujours à la maison. L'abbé Saint Polycarpe chantait sur le gazon. « Apprenez-moi la harpe « la harpe et le violon / » — Moines au monastère où donc est mon garçon ? — Parti en Angleterre pour une fondation sur une auge de pierre ! C'est le Roi des Poissons qui tient le reliquaire ét qui fait les répons. La dame des Fontaines en guise d'artimon et les queues des Sirènes y servent d'aviron. — Moines de l'Angleterre rendez-moi mon garçon son frère est à la guerre et sa mère en, prison. / LE MARIAGE Comme blanche bruyère est la jeune fille La fille mariée est une barque qui fait eau ♦ qui fait eau les jours de tempête. Bien bête celle qui promet à un homme qui se promet à un homme. Chapeau sur l'oreille et fleur dans la bouche doux sourire et engagements lorsque l'affection les prend. Lorsque le gars a sa satisfaction un ménage il l'a sur le dos. La nichée veut du pain blanc. Femme, domestique tu seras. Marie lève-toi de là pour changer la litière des bêtes Marie lève-toT de là pour ouvrir la boutique en bas. Au couvent je serai vierge et pour monter à l'Empyrée Dieu me tiendra la courte échelle belle comme fleur de lait. François, voici votre parole ! allez à la Flotte pour la France ou n'importe Pour quelques plaisirs d'amour une vie d'enfants et de désolation ! A la mairie à deux je n'irai pas. Si je suis 'plante d'aubépine C'est l'ombre qui me cueillera. LES YEUX DE GRAND'PERE « Cubisme ou myopie » un critique Le serviteur disait, le petit serviteur : « grand'père, grand'père, vos yeux ne sont pas clair « crochez dur dans mon bras, je ferai le hâleur « agrippez-vous au mur crépi où est le lierre. — Ce n'est pas comme il faut : „ « Laisser un enfant nu se rouler dans l'avoine «-si c'est mon petit-fils, ce n'est pas un pourceau ! » Moi de rire ! un enfant ? — et c'étaient des pivoines « Pourquoi ne pas les mettre en gerbe1 à la chapelle plutôt que de les perdre,ces lys au vent du lof ? — Des lys ? et quels lys donc ? les coiffes de dentelles des filles à genou au pardon de Roscoff. » « Par annonce de mort, j'ai vu des sans-baptême des crânes de foetus ! — Censé, grand'père, censé ! avec vos mains, grand'père, ramassez-les vous-même : c'est devant la maison, la rangée de pensées. \ Morwen le Gaélique P oèmes RENCONTRES AVEC MAX JACOB Premier, je vis Max Jacob A Saint-Benoît sur la Loire, Peignant, rimant, depuis l'aube Jusqu'aux avancées du soir, Mordu, près du portier bègue Par l'envie de voyager, Ailé d' un ange et d'une aigle, Aidé d'un soleil léger. Luise la Loire luisante Parmi les moissons du ciel, Villages au bord des routes Sous la lune de pain bis ; Les carrosses et les fées Passaient en chapeau pointu, Et des trompes étouffées Sonnaient à cor-que-veux-tu. A Poitiers vint me quérir, A Chauvigny nous allâmes Retrouver le souvenir Des guerriers en oriflammes. Nous eûmes d'autres rencontres A Paris (ou bien Paroir) Où chacun toujours se montre Comme devant son miroir : A son avanta-a-ge ! Je le vis — toujours le même — Disert, simple, précieux, Dans le siècle où son tumulte Eloquent, mélodieux, Tantôt pleure puis exulte. Ainsi conjuguant sans cesse La harpe et le mirliton, Il ravissait ma jeunesse^ Couronnée de faux carton. Je n'oublie plus Max Jacob, La joie que j'eus à le voir Peignant, rimant, depuis l'aube, Jusqu'aux avancées du soir. Màuricb 'Fombbur*. 81 % LA PART DE DIEU Max Jacob innocent et condamné aux galères dans le prétoire rouge où les cinq plaies du Christ servent de piè¬ ces à conviction toutes ses paroles ramassées par les scribes de l'enfer tous ses profils enfermés dans l'armoire aux poisons . les témoins-sont dispersés plus haut que la cime des astres quelques-uns sont lamas dans les cellules de la monta¬ gne ; d'autres se sont repentis dans les monastères de la campagne il en est sur le pont des bateaux en partance d'autres se souviennent de lui dans les ranchs il est comme une luciole dans les chambres sans feu où les doigts gourds cherchent la toison de l'amitié ceux qui sont déjà marqués à l'épaule. et qui se reconnaissent à l'avant-garde du convoi sont à la barre et fixés sur le fléau de la loi \ la balance se mettra en mouvement au premier chant du coq 82 CLAM (Jà\; ' -4- ' ' , ■"! quand la trahison se lèvera avec ses loques Max Jacob montrera ses fers limés en secret par les anges le juge se penchera sur ses empreintes et son visage consumé ira rouler sur les planches le procès se terminera dans l'épouvante quelqu'un dira : « Tous ceux qui vous accusent men¬ tent » les gardiens complices du poète le feront porte-clefs des geôles de la terre. Michel Manoll. as HOMMAGE A MAX JACOB Au fond des chemins arides de l'Eternité pleine d'aimables aux quatre musiques de la fièvre [incendies quand une lueur toute pleine de trous des miroirs brûlants s'élance de ton cœur entr'ouvert Alors, tu entends, Max, l'arbre d'argent noir sans bruit ruisseler de sang .et de divinations chuchotantes de vérités de velours qui caressent la peau et s'effeuillent ensuite dans une brise d'anges mystérieux Une fumée qui va et vient qui glisse entre tes pinceaux et le jour tu dors dans les branches brisées... On entend la main coupée qui doucement fait craquer ses petits soleils sur l'oreiller et ce grand cerisier — tu as seul le droit de le couvrir d'oiseaux — qui penche doucement sur le ruisseau ce grand cerisier, Max, ce ruisseau des veines des années et des grands cristaux parleurs de la Jeunesse. André de Richaud. 84 m LA COMPLAINTE de Morwen Le Gaëlique Gens qui ne savez plus, d'avoir usé vos fronts sur les bancs vermoulus, Ne ternissez d'un ris la grâce bienheureuse du pauvre d'esprit. Il sait la ligne pure, si vous connaissez toutes autres figures ; Il voit l'image de victoire, si vous la captive de la chambre noire ; Il sent l'idée première, si vous la seconde fait votre lumière. L'heure vivante, il veut la vivre, alors que vous vivez la morte au creux des livres. Tout il a désappris afin de mieux apprendre, et vous tout écouté pour ne plus rien entendre. Aussi, lâchant des dents l'os vide des pédants, a-t-il suivi l'école des buissons ardents. De jolie en jolie, le vagabond d'abord éparpilla son double grelot de folie. Cornes à son front rouge, il entrait dans un claque et sortait par un bouge. Avec la boue le potier bleu fabrique un ange, et la svelte beauté ce n'est qu'un jet de fange. -— En effet notre humain un jour pose l'orteil sur le juste chemin des Tacines^prôfondés^ jusqu'au- seuilctu monde. Et, par la sève, le voici qui monte, monte vers le lys suave, à la crête du rêve. Enfin, derrière la corolle, il se trouva devant le fruit de la Parole, 85 Fruit si nu, fruit si pur, enjolivant l'azur de sa chair ingénue. Or, de ce fruit il mit à se nourrir, au point que désormais, il ne pourra mourir. Et vous vivez peut-être, chétifs de la plaine, des morceaux qui tombent de sa bouche pleine. Ensuite, par la rampe d'un rai de soleil, le Gaélique nous revint, tenant son âme mêmement qu'une corbeille. Ecce panis angelorum, Factus cibus viatorum. Mais, pour ainsi ne plus mourir, il a dû se tuer, se tuer aux lois vôtres en train de pourrir Se tuer qu'on vous dit, afin de viergement renaître en la candeur primitive d'un maître. Et, pour ce faire, tout entier notre simple est entré dans la cellule d'un moutier. Un jour plus de vingt moines ont passé, barbe semant des resquiescant in pace. Mais parce qu'il fut un diable auparavant, faut dire aussi qu'a s'est coupé la queue devant la porte du couvent. A s'est coupé la queue qui pendait à son dos, et dehors l'a laissée aux bêtes en cadeau. Elle filait, fila, die s irae dies illa, semblable au serpent long sous le talon de fer en fermoir à l'enfer. Dans son cercueil sept fois plus grand que lui, notre reclus a comme lampe une grand'croîx qui luit Et, sur l'étoile en bois, voilà qu'il reconnaît dans la chair nue celle du fruit de la Parole. Le même fruit avec des mots pour des lèvres d'apôtre, l'un de ces mots disant qu'il faut s'aimer les uns les autres. Barbe semant des resquiescant in pace, un jour plus de vingt moines ont passé... Panis angelicus . Fit panis hominum — « Pour le ressusciter, vieux sonneur sans péché mais avec haricots, verse de ton clocher septante clair» cocoricos ! » 86 -—« Ne pleurez pas Le Gaélique de Quimper, il vit bien davantage, et non pas dans la cage de pissenlit vert. N'a plus de cornes ni de queue, mais a des "ailes neuves qui lui pleuvent blanches des épaules à ses hanches. Vous les vrais morts de ce vivant, laissez au poulailler des vents le coq en bronze du couvent. En vérité, je vous le dis, diable de braise de jadis est ange frais au paradis, Ce paradis comme il s'en trouve, pour chacun de nous, dans les cerveaux jumeaux de nos genoux. Ne mange plus de votre lard et plus ne boit de votre vin, mais sur la nappe de pervenche on s'alimente de divin De même que se tourne un sablier chez les déchaux, son ignorance d'ici-bas devient science de là-haut. Trampant sa plume en le soleil, encrier d'or du ciel, à la manière d'une abeille, il aligne du miel. Il trouve l'encre noire à même le péché de nos parents couchés sans l'écharpe de maire aux flancs de Dieu le Père. Son encre rouge c'est le sang d'Abel, premier mouton du premier loup des hommes, ces premiers pépins de la pomme des pommes. Sa blanche coule de ton sein, blonde Chérie du Saint-Esprit durant que l'âne et que le bœuf soufflent dessus le dauphin neuf. Avec la plume de son aile il tire des étoiles du mystère comme du sol noir avec sa pelle Jacques Bonhomme tire des pommes de terre. Il strophe aussi des arcs en ciel avec des joies de papillons, et des points sur les i sont des chants de grillons. En outre, souvenirs de son passage humain, il sait la flûte des prairies et l'ahan des chemins. Il sourit fraise, il bavarde cerise, il songe en poule dans la crèche, il rêve en alouette dans la brise. Il a des jappements de bon chien quand on entre et des noces de vigne vous cerclant le ventre. A l'aurore, il étend le beurre du soleil sur la prière de pain blanc, 87 Sur la fatigue de pain noir il met la crème de la lune à la tombée du soir. On voit son vieux Bec Braz distribuer sa trogne, et la Marie Kerloch offrir de sa charogne. Il pleure les marins qui vont se faire foutre et chante les bons dieux qui meurent sur la poutre. A le lire, on croirait manger dans une assiette où le peintre a fait cuire quelque historiette. Sûrement qu'il écrit sur la page des cieux : la chanson populaire est un moment de Dieu. » Ramassons donc, mes frères, ses vives chansons, pareilles dans leur barque à ces miracles- de poissons. Ramassons le dimanche et ramassons les dis, elles choient par les trous dorés du paradis. Du paradis perdu — par lui retrouvé, ce jour-là qu'il péchait l'Angélus du matin dans l'eau très sainte Dans l'eau très sainte du Jourdain que la tête coupée mit sur le front de la personne de la Trinité qui s'en ira mourir entre fiel et vinaigre en dieu cloué. O tes mirabilis ! Manducat Dominum Paupet, set vus et humilis. Homme de ciel et diable ancien, ô mon doux frère so¬ litaire, Max Jacob, plane à jamais dessus les bonhommes de terre, auprès du pigeon blanc qui porte en roucoulant un bout d'herbe en son bec, chance et bonheur avec ! Saint-Pol-Roux. Camaret, mars 1928. 88 ITINERAIRE MYSTIQUE DE PARIS A St.-BENOIT-SUR-LOIRE A Max Jacob, hommage du siècle. C'est ce qu'on lit au fronton de mes Archives du Club des Onze. C'est vieux de quinze ans. Dans le même temps, je publiais un Max Jacob poète, peintre, mystique et homme de qualité. Je ne puis que me répéter. Et Max sait qu'il faut un ermitage pour échapper aux servitudes de Paris. Itinéraire mystique de Saint-Benoît-sur-Loire à Paris au printemps : Aux bornes du chemin, les versets de, ton Art poétique. Max Jacob. La verte Loire avec ses sables, Fond de l'eau et Visions infernales. Les merveilles du Cabinet noir dans la besace du fac¬ teur. Madame Gagelin descend chez ses enfants. Au micro, causerie par Mme Lariboisière. Concours hippique, à la gouache, par Max Jacob. Max Jacob lit à distance nos lignes de la main aux paumes des premières feuilles des Champs Elysées. Je rêve d'une Comédie Française affichant enfin, en s'excusant du retard : Trois nouveaux figurants au Théâtre de Nantes, comédie par Max Jacob. A Max Jacob, hommage du siècle. Par le courrier d'Afrique, où sonne une cloche bénédictine au faite des er¬ mitages de sable. Merci, Denoël ; merci, Bosco. André Salmon. 89 A MAX JACOB LE JONGLEUR DE NOTRE-DAME Tu fus un écolier bien sage Jadis à Quimper-Corentin, Et, penchés sur la même page, Nous avons appris le latin. Puis tu partis pour la grand'ville Et pareil à François Villon Tu connus les besognes viles, Le froid, la faim et l'abandon. Tu n'aimais pas les antichambres Où l'on va mendier les faveurs, N'ayant pas le dos qui se cambre Des intrigants et des flatteurs. C'est dans une pauvre mansarde, Sous les toits près de Pwasso, Riche d'espoir, pauvre de hardes, Et méprisé de quelques sots Que sont nés ces poèmes d'âme, La « Côte » et le « Phanérogame » Le « Laboratoire central » Que tu dédias à Notre-Dame, Quand sur le fond d'un mur banal, Tu vis Jésus, comme un fanal. Ton œuvre au temps cruel résiste, Avec tes mains de pur artiste, Tu sais jongler avec les mots, Lançant la rime fantaisiste^ Comme au cirque un équilibriste Lance la boule ou le cerceau ! Ton vers fait parfois comme un saut Périlleux. Et quand à la rime, Elle est un vrai jeu de mime. Mais que tu sais, naïvement. "" Dans tes vers ou dans tes romans, Parler des femmes, des enfants, Ceux de la rue de Ravignan... Des Bretonnes de nos villages, Des animaux, comme des mages, Admis à contempler l'enfant. « Qui dira votre fond, ô bêtes familières ? » Le poème du « Cheval » dédié à Picasso. M'émeut autant qu'une prière : Pauvre jument vivant rue Campagne-Première Rêvant d'herbe au bord d'un ruisseau ! Que tes marines sont exquises, Celles que tu peignis, à Roscoff ou Tréboul... Où M^x, auteur du Roi Kaboul Accusé d'être un peu « maboul » Décrit un port breton comme un beau coin d'Assise « Gardez vos marins en tous lieux, Robe de la Mère de Dieu ! » Sous la voûte des cathédrales, On te voit souvent à genoux, Priant pour les femmes vénales, Pour tous ceux qui sont morts pour nous ( 1 ). Tu dialogues avec la Vierge A qui tu vas brûler un cierge Dans l'église du Sacré-Cœur... Et si ce dialogue interloque Un passant sceptique et moqueur, Tu montres bien que tu t'en moques, Tendant tes « bras vers le Sauveur » (2) (1) Sauvez les âmes de mes amis morts à la guerre (M. Jacob). (2) Le poète a tendu les bras vers le Sauveur (M. J.), Laboratoire Central. 91 Je te vois sous le froc de moine De François, le saint aux oiseaux... Tu en as la figure idoine, Tes bêtes à toi sont les mots Qu'attire, oiseleur, ton pipeau (l)a. Pardonne-moi ces oripeaux Dont, gauchement, je vêts ton âme. Heureux celui qui, d'un seul mot Sut dire ton art et sa flamme. Te saluant d'un nom si beau Max le Jongleur de Notre-Dame ! René Villarb Cl) O rrla rue Ravignan de tes hauteurs- sur tes pipeaux m'ont enseigné l'amour... (M. t.). METEMPSYCHOSE ET SOUVENIRS Depuis tant de siècles, moi qui vis plus souvent dans mes âmes passées... A 1 i—l Il est vrai qu'on ne.devait montrer aucun sentiment en présence du roi Louis. L'allée d'arbres dignes du Poussin à Saint-Cloud1 peut être ou ailleurs... Je revois les deux visages ennemis quand' il m'arriva de casser une porcelaine, une de ces porcelaines que l'on déposait entre les arbres du Poussin sur les talus de sa promenade parce qu'il les aimait. Il m'était interdit même d'avouer ma faute et d'expri¬ mer mon regret. Telle était la grandeur du roi que ce furent les deux ennemis qui furent en disgrâce et non moi. On parle aujourd'hui de l'injustice des despotes et on ignore le secret de leurs affaires. Depuis tant de siècles, moi qui vis plus souvent dans mes âmes passées, je me souviens mieux des figures de mes deux ennemis dans les arbres du Poussin que de celle du roi juste. Max Jac»b 93 PETIT OU GRAND Ces couloirs de palais en des temps de légendes, c'était comme les couloirs interminables des hôpitaux. Avant ma naissance ou des morts, j'ai vécu là, on y parlait tout bas. Les couloirs étaient doubles, celui des seigneurs, celui des petites gens. On les auraient confondus n'étoient certaines décorations les jours de fêtes ; alors les couloirs des seigneurs avaient devant chaque porte des pots de fleurs de la même couleur selon les fériés de l'église : fleurs rouges .es jours de certains martyrs, fleurs blanches pour les vierges ; vert et or le di¬ manche. Je me souviens que je n'ai jamais su dans quel couloir je devais passer : petites gens ou grands. Qui le dira ? j,es rares groupes de moines, de sœurs ou de seigneurs parés, les questionnerai-je ? me Connaissent-ils P et moi-même ? Les parquets sont un rouge lac de glace. Voici les mansardes ! ah oui ! cela est bien pour moi. Max Jacob. 94 BALISTIQUE ET KÀBÀLISTIQUE Jetez à terre les hauts degrés / disparaissez, les plantes riches. J'aspire à l'oignon et au grès : le Soleil luit pour les derviches. Pélican ! dans ma thébaïde faisons des excès de ton sang. Nous invitons les Néréides, les rrfétéores, les ouragans. Mon Dieu, je poursuis ton regard comme on poursuivrait une affaire : où es-tu ? et sous quel hangar ? Dût mon corps en être charnière ! Sa couronne est de vingt-deux lettres Le monde n'est qu'un livre pour Lui Dix grillages cachent Sa Tête Sa baignoire est dix infinis Kabbale / à tes jeux de kabyles non f je ne veux pas être habile mes yeux aux yeux de Jésus-Christ ! Tous mes cris et tous mes écrits au carrefour du Crucifix. Lettres Il est toujours pénible de livrer au public les secrets d'une amitié. Si je me résigne à laisser paraître ces quelques lettres, prises un peu au ha¬ sard, dans une correspondance qui s'échelonne sur une amitié vieille de 20 années, c'est pour que l'on puisse mieux voir et saisir l'âme et le cœur du poète, de l'hommef du chrétien, du mer¬ veilleux épistolier que fut Max Jacob. J. D. Samedi, 26 août 1935. V / Mon cher Jean, La Suisse est d'un vert stupide et sans pensée ; papier découpé. La race est bonne, belle avec infiltration de fils noirs souterrain : chômage dans le fromage, communisme. J'aime Lausanne à cause des écriteaux : Bibliothèque synthétique. Pensionnat mystique (sic). Association scientifi¬ que chrétienne. Sport réformé populaire. Les Jardiniers sportifs chrétiens. Bibliothèque néo-chrétienne. Tout ça est touchant. - Ces gens adorent la France et se plaignent qu'elle ne le sache pas. Ils ont des fruits à faire fumier et ne les mangent guère. Les églises sont décorées de peintures cu¬ bistes de Sévérini et Cingria. J'ai vu le château de Chillon, celui de Gruyè¬ res dans une vallée vert bête. Une dame anglaise disait en contemplant le paysage et en mangeant des framboises à la crème : « J'ai toujours mangé du gruyère avec plaisir, maintenant j'en man¬ gerai avec intérêt ». Tu vois que la Suisse a du bon. 96 J'ai vécu dans des terrasses à jardins .avec des gens qui passent 12 heures à se plaindre des jardiniers, à veiller aux vols de plantes et de grai¬ nes et à gémir sur les domestiques. C'est la vie des gens riches. Mes amis ont inventé le pensionnat pour filles de milliardaires : gé¬ nial ! dortoirs de grand luxe, salons de croquet, tennis en velours de soie, réfectoires à glissières, pianos particuliers, radios perfectionnées, douches en ivoire partout et monte-plats électriques. Tout est chef-d'œuvre : la tenue de la directrice familière ultra distinguée. Elle reçoit les milliardai¬ res en tricotant. Le lac brille au loin sous les arbres séculaires et devant trois châteaux. Vive la pauvreté ! Mes hommages à mon très admiré' et aimé Saint-Pol-Roux que Dieu garde en sérénilé (le seul bien) et à notre Divine. Dis-leur mon amitié fer¬ vente et respectueuse. Dis-la aussi à ma Bretagne qui est unique, à ma lande, à mes hommes, à mes femmes en coiffes, à mes enfants crasseux et forts. Si tu vas à Ploaré vois P.C., on te dira la route. Si tu vas à Quim- per donne de mes nouvelles à mon octogénaire mère que Dieu bénisse. Mon cœur à toi en Dieu. Max Jacob. V P. S. — Va à ma cathédrale et prie pour moi devant N.D. de Lourdes qui est mon coin — à droite en entrant. 97 Le 17 novembre 1935, 8, rue du Parc, Quimper. Mon cher Jean, La province a du bon : on a l'humanité sous le nez. Ça ne sent ni bon ni mauvais, ça sent fort. Les fautes d'interprétation sont la cause de toutes les discordes ; si les gens se comprenaient ils s'apercevraient qu'ils s'en¬ tendraient très bien sur presque tous les points. Les anti-religieux sont seulement des gens qui ne veulent pas mêler le temporel avec le spirituel qui ne les intéresse pas. Les religieux ne demandent qu'à renoncer au tem¬ porel. Personne ne veut s'expliquer. Ma mère dit une parole en manière de plaisanterie : sa t'onne est persuadée qu'on a voulu l'offenser grave¬ ment. Tout le monde veut triompher... triompher de quoi ?... pourquoi ?... Ce qu'il y a de plus comique, c'est l'argent — on voit des vieillards qui pourraient manger leur capital et qui n'en verront pas le bout, se pri¬ ver, économiser... Pour qui. pourquoi ?..-, c'est à rire ! ou pour des héri¬ tiers qui n'ont pas besoin de ça. Ou, si leur3 héritiers en ont besoin, pour¬ quoi ne pas leur donner tout de 'suite ce dont ils ont besoin ? Quand s'ex- pliquera-t-on ? Quand la sagesse dénudera-t-elle au plus petit commun dénominateur les intérêts et le manque d'intérêts ? Je crois qu'il y a progrès de ce côté, au point de vue politique. Quand seront morts tous les gens nés avant la guerre on aura une génération plus nette, plus large, moins mesquinisée. Je t'embrasse énormément. Max Jacob. 98 Dimanche, 1er décembre 35, à Quimper, 8, rue du Parc. Cher Jean, La pluie transforme la ville en aquarium. Ce dimanche après-midi les gens qui n'ont pas les moyens d'aller au café ou au cinéma se donnent des rendez-vous sous les portails des maisons. Pour fuir la radio j'ai vou¬ lu sortir malgré l'aquarium. J'ai fait un chemin de croix dans l'église. En sortant je suis entré dans l'auto stationnante ou presque d'un ami. Je ne puis pas aller au café voulant éviter les haines très réelles, les mépris marqués, et les possibles querelles où ma famille se trouverait mêlée à cause du caractère agressif de mon frère. Tu connais assez mon bon sens pour croire que je n'ai pas la moindre paranoïa. Il va y avoir un banquet d'anciens élèves ; si je n'y vais pas j'attise les haines (religieuses, politi¬ ques, envies, mépris, parce que je ne fais pas honneur à la ville), si j'y yais il va falloir tenir tête à une meute de faussetés, de bonhommies fielleu¬ ses et pis ! et pis !... Tout de même j'ai fait mercredi une ballade dans la Bretagne d'hiver. C'est beaucoup plus beau en hiver ; on voit les lignes finement grises des collines ; la mer est blanche et plate et les gens sont dans leur élément. Il y a des fleurs dans les jardins. Des roses que le vent terrible n'effeuille pas. Je t'en enverrais bien si je savais comment les expédier. Supervielle marie sa deuxième fille au château de je ne sais quoi, à un fils de Félix Berteaux. Nous mangeons de fines belles huîtres et des poissons frais admirables. Ma famille se tient sur ses gardes et moi sur les miennes. Les gens du pays sont ironiques. Mais à force de patience et de résignation, je suis dans la paix et au-dessus ou au-dessous de la douleur. Embrassons-nous en Dieu. Inutile de te dire mes actions de grâce et mes prières. Max Jacob. 99 / Qiiimper, 8, rue du Parc, le 31 décembre 35 Mon bon Jean, II y a une éternité que je ne t'ai écrit. Je suis empoisonné de lettres à écrire et à recevoir où les souhaits ne sont que politesses. Dieu merci, tu n es pas des amis dont on doute... tu es comme un miroir ou une feuille d'or. Mes souhaits sont en Dieu pour toi et Lui Seul sait ce dont tu as besoin. Confions-nous à Lui. Plus je regarde ma sombre vie plus je vois bien les chemins qu'il a pris pour me faire finir à bon port. Ceci me don¬ ne la même espérance pour toi : II te guide. Je ne puis que renouveler en Lui mes prières à ton nom. Ici je ne travaille plus, c'est un enlisement. En refusant ,1e souhait que j'avais d'y rester, Dieu a agi pour mon bien. On est bien plus qu'à Paris la proie des oisifs car ils n'ont pas d'autre distraction que celle de vous saisir : bien malin qui peut se dépêtrer du trottoir unique, unique prome¬ nade où ils tendent leurs pièges au solitaire. On n'échappe ni au café, ni aux invitations alors qu'à Paris une excuse polie suffit. Ici, dis-toi malade, on vient te voir avec empressement. Dis-toi en travail, on guette ta sortie pour le tabac ou la poste, et on te ménage avec une politesse féroce, fré¬ quente, etc... « Je ne veux pas te déranger longtemps mais... » Alors c'est fini ! plus de travail depuis quinze jours ! J'ai fait quelques promenades dans ce splendide hiver .notamment dans une tempête le long de la mer et d'une vieille route que longeait la vague d'un côté et d'antiques fermes ébréchées de l'autre. Le tout noir, brumeux, tragique, réel, irréel. Embrassons-nous, souhaitons-nous une vie pieuse, une mort saine et l'éternité bienheureuse. C'est le tout de tout. Max Jacob. 100 Saint-Benoît-sur-Loiie, 18 janvier 1937. Mon cher Jean, Je te remercie de tes bons offices. Je t'envoie les deux livres avec les dédicaces. M.L. est un ami. Hier dimanche soir, dîner de 14 personnes chez le garagiste de Saint- Benoît. Conversation sur les méthodes des voyageurs de commerce, sur la fin du monde, la guerre, la révolution, les anecdotes courantes. Il n'y a plus que chez les campagnards qu'on trouve la haute tenue, la réserve, la discrétion, le bon langage, la prudence et la politesse. Ces gens sont très bien et les duchesses devraient voir ici comment on se tient à table, et ce que c'est qu'une conversation sans brouhaha, sans éclats de rire inutiles et stupides, sans propos inconvenants, ni cigarettes ni saletés dans les assiettes, ni jugements décisifs, ni prétentions, ni médisances, ni calom¬ nies. J'ai été charmé par un ancien forgeron devenu marchand de machi¬ nes agricoles, d'une correction, d'une bonne gnâce parfaites, un peu sor¬ cier (5 décembre). Les femmes sont très laides mais elles se taisent, ce qui est ce qu'elles peuvent faire de mieux. Encore un exemple pour les duches¬ ses. Les jeunes gens se taisent respectueusement et les hommes au moins ne disent pas de bêtises et n'essaient pas de briller. Ah, quel paradis ! Note que ces gens ont avec moi une attitude pleine de tact, ne se moquent pas de ce qu'ils ignorent, n'admirent pas ce qu'ils ne connaissent pas, n'y font aucune allusion, me montrant un très vague respect que je puis attri¬ buer à celui qu'on a pour les cheveux blancs ; ils n'attendent pas que je parle et que je dise des choses très spirituelles, mais au contraire parlent de leurs affaires dont je m'entretiens avec eux. (1) C'est l'idéal. Les dîners de M. le curé sont tout le contraire, pleins d'allusions ridicules à mon tra¬ vail. de traits piquants, de prétentions à l'archéologie, à l'art, de questions P.S. —■ (1) Quelqu'un ayant glissé une histoire légère, chacun a baissé le nez dans son assiette, très gêné, avec un sourire contraint. A Paris on aurait ri à ventre déboutonné. 101 sur mes œuvres, de gémissements sur l'époque qui font penser que l'Eglise n'a pas changé depuis 1820, de flatteries peut-être fielleuses. On étonnerait beaucoup en disant qu'on préfère le dîner du garagiste aux autres dîners. Ils sont plus près du ciel, et les autres de l'enfer. J'ai reçu une lettre de Paul Claudel sur les Morceaux Choisis, qui m'a fait plaisir. Je t'embrasse. Max Jacob. Saint-Benoît-sur-Loire (Loiret) le 9 octobre 1937. Cher Jean, J'envie ton automnale végétation opulente, mais je te plains de perdre le cher M.L. Il se rapproche de moi. Hélas ! c'est en vain puisque des voyages aussi lointains, coûteux et fatigants me sont interdits. SairU-Benoît a repris ses bruines hiverneuses J'aime assez ce pays sous ce triste manteau Loin que l'ennui, tout seul, y fasse les heures creuses il fleurit de la joie sans les « boni menteaux ». Liberté, liberté ah ! que ce mot m'est cher Ecrire, dessiner, prier sans plus attendre des amis en autos, fussent-ils les plus tendres. Flâner sur la levée (comme on dit) de la Loire voir mûrir aux vergers les pommes et les poires le patient laboureur sur la vague marron comme j'ai vu sur la mer mes nautonniers bretons et les patients chevaux, et les rudes charrettes et qui me font penser à la Croix du Sauveur semeur, ah ! lui aussi d'une féconde graine qui devait repousser les orties de la haine. 102 Il me semble que je pourrais continuer ainsi pendant trois cents vers... Je me porte assez bien — merci — et toi ? On vient lundi me chercher de Montargis : le docteur charmant dont je t'ai parlé : il m'offre un beau grenier si je le veux. C'est bien ! mais j'aime Saint-Benoît, sa paix sacramentelle. Puis, vois-tu. qu'aux parents, jemme, enfants je m'attelle/ Il faudrait voir aussi les bourgeois ses amis supporter leur louange et aussi leur mépris. Faire enfin partie de ce Tout Montargis alors qu'on refuse d'être du Tout Paris : ce serait bien étrange et me ressemble peu. Mais non. J'ai refusé et ne m'en repens jroint. Le docteur en mon cœur y gagna plusieurs points. Je t'embrasse et te souhaité une bonne santé que de Casablanca tu sois très enchanté, et de trouver partout des amis si fidèles que je sois auprès d'eux l'âne le plus rebelle. Max Jacob. 1(£ Quimper, 8, rue du Parc, le 17 novembre 1937. Mon cher Jean, Je tecris de Quimper où j'ai été appelé par dépêche. Ma mère s'éteint doucement ! Elle a des éclairs de raison et des propos la plupart du temps confus : « Je n'aurais jamais cru que tu serais si aimable », m'a-t-elle dit. Et une autre fois : « Madame Gagelin ! » (dit gravement), c'est un per¬ sonnage de mes livres qui est son portrait. Ceci est un legs d'un remords pour moi. Terrible hélas ! — Ah ! Ma sœur ne dort plus ni nuit ni jour. Nous attendons la fin qui ,dit-on. s'annonce par l'enflure des membres extrêmes. Elle a une main enflée. Je pleure en cachette car elle "ne se dou¬ te pas de son état : « Est-ce que je vais rester toujours comme ça ? » mais une autre fois : « C'est bien long de mourir ! » Il n'y a pas de co¬ hésion dans ses incertitudes. Nous alternons nos heures de sortie, car elle ne veut pas rester seule. Ma sceur est dévouée bien qu'un peu rude par¬ fois. Mon frère silencieux et angoissé ; le regard de ma mère posé sur lui révèle un immense amour, une confiance sublime. La ville entière s'intéresse à sa santé, c'est un personnage de Quimper, immobile dans sa boutique et qu'on ne verra plus. Je te quitte angoissé, affectueux et reconnaissant. Max Jacob. P. S. — La conférence de Paris aura donné, à ma mère une dernière joie qu'elle a parfaitement ressentie, mais dont elle ne se souvient certes déjà plus. J'ai confiance que Dieu prendra cette âme qui ne croyait pas en lui. la prendra en considération de ses vertus laïques et de mes prières. 104 Saint-Benoît, le 3 décembre 37. Cher Jean, A l'arc du sourire dont les coins sont à Dieu suspendons toute dou¬ leur ! Il est une sphère où douleur et joie se confondent en adoration de Dieu. Si je n'en suis pas encore à ce Paradis, je l'imagine fort bien et j'aspire à cette douleur des saints qui mêlent à leur volupté infinie leur délicieuse commisération pour les terrestres. Je le remercie de ta très belle lettre : les.expressions de l'amitié sont le seul remède à la douleur et ce n'est pas pour rien que le premier geste de la souffrance est d'appuyer sa tête sur l'épaule du voisin. J'ai eu de grandes joies, la découverte de l'amour de toute une ville pour ma pauvre maman dont le cercueil laïc fut accompagné des prières de centaines de pteuses personnes. Remède cer¬ tes ! Je n'oublierai jamais l'ouvrier menuisier qui, venu prendre la mesu¬ re de ce misérable, corps qui n'était qu'un squelette mal recouvert de rides, a fait un signe de croix. Ah ! pourquoi n'ai-je pas eu le courage de ;'era- brasser pour ce signe de croix ? Et cette vieille demoiselle qui s'est tout bonnement agenouillée ! La douleur est bonne, elle fait fondre les cœurs : moi qui n'avais ja¬ mais vu mon frère que lourd, moqueur ou en colère, j'ai senti sa tendresse et sa bonté. « Nous pourrions en ce moment nous disputer pour des inté¬ rêts, je vous remercie de notre union ! » Belle parole qui efface bien des choses. Je t'embrasse en N.S.J.C. le Seul beau, le Seul vrai, le Seul grand, le Seul chevaleresque, généreux. Max Jacob- 105 Saint-Benoît, 6-1-38. Cher Jean, Je suis écrasé deflettres, accaparé par les gens. Je ne peux pas l'écrire longuement, mais je veux t'envoyer mes souhaits, mes remerciements pour ta précieuse fidélité. La nefige ! le froid ! la boue ! le rhume ! l'impossi¬ bilité de rien faire. Les espérances qui meurent aussitôt que nées. La lour¬ deur devant Dieu parce qu'on Le néglige. Quelle fin d'année ! quel début pour l'autre ! l'horrible déclaration japonaise de guerre à toute race blanche. Hélas ! il y a longtemps que je prévoyais cette déclaration ! la terreur dans l'univers et le désordre bientôt. Mon Dieu protégez-nous ! « Vous direz aux montagnes couvrez-nous ! » Ces temps-là sont venus. Puisse l'Europe s'unir au moins devant ces nouvelles invasions... en avions cette fois. Quel bonheur que la pauvre maman ne voie pas ce que nous al¬ lons voir. Quel bonheur que nous ayons pris la meilleure part depuis longtemps et, en fait d'armées, celles du ciel, notre espoir. Espérons ! unissons-nous à Dieu. Max Jacob. 106 Vendredi, 24 février 1939. Cher Jean, Quel pessimisme ! quelle mélancolie ! Je ne reconnais plus" ton ardeur, ton allant, ton activité optimistes. Certes la douleur règne sur le monde : nous le savons. Mais nous savons aussi que cette douleur est la clef du salut. Sans douleurs, nous ne pouvons nous sauver. Alors, au lieu de nous en déso¬ ler, il faut nous réjouir de cette Clef du Paradis qu'est la douleur et. tout en la partageant avec ceux qui souffrent, tout en sachant souffrir aussi profondément que possible nous devons être heureux de souffrir et d'avoir l'occasion de compatir. Souffrons heureusement. Le T.S. Esprit ? évidem¬ ment ! l'inspiration. Mais l'intervention du Saint-Esprit est une récom¬ pense. Je veux dire qu'il n'intervient que pour les moissons quand le champ a été labouré.et ensemencé. Ne nous attendons pas à des miracles avant de les avoir préparés. Je sais que tu as beaucoup souffert, je sais que lu mérites beaucoup. Mais tu n'es peut-être pas encore au point où le Seigneur le veut. On demande beaucoup à celui qui a reçu le plus. En tous cas, si tu es dans un mauvais étal moral, réjouis-toi car c'est d'un excellent présage. Ces jours-ci j'ai cru que je devenais gâteux ou fou, je ne comprenais même plus le journal. Il s'en est suivi de grandes grâces et des progrès. As-tu reçu un paquet de poèmes que tu m'avais demandés ? Je t'embrasse. Max Jacob. 107 BIBLIOGRAPHIE 1904 — Le roi Kabou^e et le marmiton Gauvin, livre de prix pour les écoles. Chez Picard et Kahn. 1904 — Le Géant du Soleil, conte pour les enfants. Librairie Générale. • • 1909 — Saint Matorel, roman — chez Kahnweiler — réédité à la N.R.F. en 1937. 1911 — Les œuvres mystiques et burlesques de frère Matorel, mort au couvent de Barcelone. Illustré par A. Derain. Chez Kahnweiller. 1912 — Le siège de Jérusalem, drame symbolique. Chez Kahnweiler. 1913 — La Côte, chants bretons. Illustré par Pablo Picasso, Chez l'auteur. 1916 — Les Alliés sont en Arménie, poèmes. Hors commerce. 1917 — Le Cornet à dé, poèmes en prose. Chez l'auteur. Edition défini¬ tive, chez Stock en 1923. 1918 — Le Phanérogame, roman. Chez l'auteur. 1919 — La défense de Tartufe, extase, remords, visions, prières, poèmes et méditations d'un juif converti. A la Société Littéraire de 'France. 1920 — Le Cinématoma, fragments des mémoires des autres. A la Sirène, réédité à la N.R.F. en 1929. 1920 — Le livre de l'aimé et de l'ami, de Raymond Lulle, traduit de l'espagnol, par de Barrau et Max Jacob. A la Sirène. 1920 — Matorel en Province, illustré par Depaquit, plaquette de luxe. Chez Vogel. 1921 — Ne coupez pas, Mademoiselle, ou les erreurs des P.T.T., illustré par Juan Gris, plaquette de grand luxe. Galerie Simon. 108 1921 — Le Dos d'Arlequin., fantaisies dramatiques, illustré par l'auteur. Au Sagittaire. 1921 — Le Laboratoire Central, poèmes. Au Sans-Pareil. 1922 — Le roi de Béotie, nouvelles. A la N.R.F. 1922 — Le Cabinet noir, lettres. A la N.R.F. 1922 — Le Terrain Bouchaballe, roman en deux volumes. Chez Emile Paul. 1922 — Art Poétique, chez Emile Paul. 1922 — Le Cabinet noir, lettres avec commentaires. A la N.R.F. 1923 —r Filibuth, ou la montre en or, roman. A la N.R.F. 1923 — La Couronne de Vulcain, fantaisie. Galerie Simon. 1924 — Les Visions infernales, poèmes en prose. A la N.R.F. (Collection: Une œuvre, un portrait). 1924 — L'homme de chair et l'homme reflet, roman. Au Sagittaire. Re¬ pris par la N.R.F. 1924 — Isabelle et Pantalon, opérette avec musique de Roland Manuel (Représentée au Trianon-Lyrique). 1925 — Les Pénitents en maillots roses, poèmes. Au Sagittaire. 1926 — Le Nom, nouvelle. A la Lampe d'Aladin, Liège. 1927 — Fond de l'eau, poèmes. Editions de l'Horloge, Toulouse. Réédité par les Cahiers Libres. 1928 — Visions des souffrances et de la mort de Jésus, fils de Dieu. quarante dessins. Galerie des Quatre-Chemins. 1929 — Sacrifice Impérial, poèmes .(Collection Les Introuvables). Emile Paul. 1930 — Tableau de la Bourgeoisie, illustré par l'auteur. A la N.R.'F. 1931 — Fable sans moralité, avec musique, de H. Bordes. Chez Maurice Sénart. 1932 — Bourgeois de France et d'ailleurs, à la N.R.F. 1932 — Le Bal masqué, avec musique de F. Poulenc. Chez Rouest, Le- rolle et Cie. 1932 — Cinq poèmes, avec musique de F. Poulenc. Chez Rouart, Lerol- le et Cie. i 1934 -— Rivage, poèmes. Les Cahiers Libres. 1937 — Morceaux choisis. A la N.R.F. 109 1938 — Ballades. Chez René Debresse. Au théâtre : Chantage, représenté au Théâtre de l'Atelier (1 acte). Trois nouveaux figurants au théâtres de Nantes, représenté par les soins de M. Pierre Berlin, chez M. Paul Poirei en 1917. Ainsi que L'Enfant de la Maison. Et La Femme fatale. COLLABORATION Sans vouloir citer toutes les revues qui ont publié des œuvres de Max Jacob (elles sont innombrables), nous mentionnons seulement ici quelques revues auxquelles il a bien voulu donner sa précieuse collaboration : La Nouvelle Revue Française, Commerce, Le Roseau d'Or% La Ligne de Cœur. Mesures, Les Feux de Paris, Le journal des Poètes, Aguedal, Le Point, Confluences, Les Nouvelles Lettres, La Revue de Paris, Le, Mercure de France, Fontaine, Les Nouvelles Littéraires, Vogue, Le Pain Blanc. Sic. L'Œuf dur, Action. Le Disque Vert, Le Mail. Ces deux dernières revues lui ont consacré un numéro spécial vers 1920 environ. 110 BANQUE NATIONALE LE COS¥lS¥IEItCE ET L'INBUSTftSE (AFRIQUE) Société anonyme au capital de 200 millions de francs Siège social, 17. Boulevard Baudin, ALGER R. C. Alger 17-436 « L. B F. N° 218 AVIS AUX ACTIONNAIRES Messieurs les actionnaires sont informés que l'Assemblée générale ordinaire de la BANQUE NATIONALE POUR LE COMMERCE ET L'INDUSTRIE (AFRIQUE), qui s'est tenue le 19 avril 1944, a approuvé le bilan qui lui a été présenté ainsi que les comptes arrêtés au 31 Décembre 1943. Elle a également approuvé la répartition du solde bénéficiaire du compte de Profits et Pertes, solde s'élevant à Frs 12.442.918,45, et fixé le dividende de l'exercice à 6 %, soit Frs 30.— brut par action entièrement libérée. Ce dividende sera payable sans frais, sous déduction des impôts, à partir du 31 mai 1944, contre remise du coupon n° 10 pour les titres au porteur et par estampillage du certificat pour les titres nominatifs, dans toutes les Succursales et Agences de la BANQUE NATIONALE POUR LE COMMERCE ET L'INDUSTRIE (AFRIQUE) en Afrique du Nord et au Liban, de la BANQUE NATIONALE POUR LE COMMERCE ET L'INDUSTRIE en Afrique Occidentale Française et aux Antilles Françaises, du CREDIT FONCIER DE MADAGASCAR à Madagascar et à la Réunion et à la BANQUE ROBERT à Orléansville. LE CONSEIL D'ADMINISTRATION. » POUR crivez pour V- " ;-v • ^ v œ«ammmîiïmmsmmm , ■ Sll? ■ ' • î ■' .■■■■".:*■"'■■ ■ , ' ■ •v®SS"te " V' ' •&: ,, . «î m ?» ' "" "V* . . - ' mÈÊgÊ&^$ • • ..- '.. ï--- ' *\V. < .V. ■ &:ït~PÙr • •HP - - . V', •* ■/ - : . . -■" \ > ',. .•'- _ •A--.V.; ht«-± ■:•■ " . ;V:.;...va SA:aaaa .À/: « v- • -, A;y.3-4'/4<4ï. BtfeÉÉ " ' ' • ' Ç.'^v 11 ■ SsIIrîv ">V " AssÉRIg M Sa. ,•■■. • \m $:■ ' V ■ ■ . .■•; : , | - - . -/ . * .' - ' jpj m g»M|M JfeS '^;:-vrî' fîMâr# A.A . , . • . à. ' ■ : : '•: •v ■ - , . Ba-: . 1 •■Vt',^1; &S& a' e£: i ! " IIIÉll1 3 WfiiÊM va.fv-; '-•- "\v >• •<>'l - «■. i mmêm Wl A G U E I ■14» Avenue de Marrakech A L RABAT Ce N° spécial se vend 50 francs