MARIE TA Y Abrégé d'Histoire de Provence DES ORIGINES AU TRAITE D'UNION Préface d'Émile RIPERT Professeur de Langue et Littérature Provençales à l'Université d'Aix-Marseiile. EDITIONS DE LA REVUE « LE FEU )) AIX- EN-PROVENCE 1925 MARIE TA Y &H"E J1 o i Abrégé d'H istoire de Provence DES ORIGINES AU TRAITE D'UNION Préface d'Emile RIPERT Professeur de Langues et Littérature Provençales i l'Université d'Aix-Marseilie. BU LETTRES 092 2148549 Ji EDITIONS DE LA REVUE « LE FEL » AIX-EN-PROVENCE 1925 PRÉFACE « Empéri fantasii de la Prouvènço Qù'emé toun noum soulet fai gau au mounde...» Ainsi chante Mistral dans son Poème du Rhône, — Oui, si cet Empire a fantastique », imaginaire, fait en effet la joie du monde par tout ce que ce nom de Provence évoque de lumière, de poésie et de chanson, il est bien loin de faire au même degré la joie des historiens, tant il présente, du temps des Grecs à nos jours, un mélange confus de faits, d'as¬ pirations, de sentiments différents et parfois contra¬ dictoires. Nulle matière n'est plus « ondoyante et diverse », pour parler comme Montaigne, que l'his¬ toire de Provence. C'est' pourquoi nous n'en trou¬ vons aucun résumé clair, commode et sûr. Sans doute les gros ouvrages d'érudition ne man¬ quent point, de César de Nostre-Dame à MM. Bourrilly et Busquet, ni les travaux de détail, dont la momenclature serait infinie. II suffirait de feuil¬ leter, pour s'en convaincre, les tables de tous les recueils de sociétés savantes, de tous les mémoires de nos Académies locales. Mais c'est précisément la difficulté de dominer cette immense bibliographie et de résumer en deux ou trois cents pages tout ce — VI — qu'il faut connaître d'essentiel sur l'histoire de ce pays tourmenté. Nul qui l'ait peut-être été davantage, nul où se soient succédé plus de races, fondues, absorbées ra¬ pidement par l'ardeur violente de cette terre, qui pa¬ raît caressante, mais dont les douceurs elles-mêmes épuisent vite les peuples qui s'y complaisent. Et de la sorte cette histoire est celle d'une continuelle dé¬ sillusion. Ici les Grecs ont failli établir une civilisa¬ tion durable et douce, pacifique et harmonieuse ; elle est tombée sous les coups des Romains. Les Romains ont organisé ce pays pour quatre siècles de bonne administration et de grandes constructions, et les Barbares ont ruiné l'édifice majestueux de la Paix romaine. Au milieu du chaos féodal s'esquis¬ se le rêve d'un Etat indépendant, dont l'indépen¬ dance ne peut subsister' ; un instant on peut penser que la théocratie papale pourra le dominer, et les Papes s'en vont. Des deux souverains qui sont res¬ tés les plus populaires l'un, la Reine Jeanne, ne fait que passer et meurt assassinée, l'autre, le Roi René, léguant la Provence à la France, enchaîne définitivement sa destinée particulière à celle d'une autre nation, à laquelle elle s'incorpore peu à peu. Tragique histoire d'un pays que l'on dit insou¬ ciant et gai ; une mélancolie en pèse encore sur lui, celle d'une destinée avortée, dont le seul témoignage reste une langue, longtemps dédaignée, mais qui, malgré ses efforts de renaissance, n'a point comme — tii — soutien la nationalité indépendante que seule assure la vie totale d'un langage. (( Je ne vois partout que ruines... » disait Michelet, parcourant la Provence, en songeant au passé, et Taine y voyait le fantôme d'une. Italie qui n'avait pas réussi. De telles vues étaient plus justes en leur temps qu'elles ne le sont aujourd'hui ; le percement du canal de Suez, la mise en valeur de l'Afrique du Nord ont fait de la Provence le centre géographi¬ que des terres françaises, dont Marseille est le nœud vital. Une nouvelle et magnifique destinée attend ainsi notre pays, qui est aussi le rendez-vous de toutes les élégances et de toutes les intelligences internationales. De ces nouvelles destinées Mlle Marie Tay ne nous dit rien, puisqu'elle arrête son récit au moment où la Provence perd son indépendance en s'unissant à la France, sans doute (( comme un principal à un autre principal )), selon la déclaration de 1486, mais en fait de façon beaucoup plus étroite et subordonnée. Il faut louer Mlle Marie Tay, dont nous con¬ naissions déjà de belles études sur Marthe d'Orai¬ son et sur la Reine Jeanne, deux figures bien diffé¬ rentes — d'avoir eu ce rare courage de résumer en ces pages l'essentiel de l'histoire de Provence. Gr⬠ce à elle une lacune des bibliothèques méridionales est heureusement comblée et nos éducateurs n'au¬ ront plus d'excuse, s'ils s'obstinent à apprendre l'his- — vni — toire de la Chine ou de l'Australie aux enfants qu'ils laissent dans l'ignorance de ce qui s'est passé chez eux. Quand l'histoire de Provence pénétrera enfin officiellement dans les écoles, elle pourra y être guidée par Mlle Marie Tay, et tous les bons Pro¬ vençaux seront alors unanimes à l'en remercier et à l'en féliciter, comme j'ai l'honneur de le faire ici... Emile RlPERT. Chapitre P'r PRÉHISTOIRE DE LA PROVENCE La configuration de cette province et son climat tempéré n'ont point toujours été tels cpie de nos jours. A l'époque tertiaire (1) un prolongement de la chaîne de l'Estérel rattachait le département du Var à la Corse et presque toute la Provence était couverte par les eaux. La race humaine fit son apparition dès les temps quaternaires à l'époque que les savants ont appelée chéléenne (2), et, dans notre contrée, au pied du Mont Ventoux. Le provençal primitif se servait de silex ; il était dolichocéphale et résidait sur les plateaux ou le long des fleuves. A cause de la dou¬ ceur de la température, il se passait sans doute de vêtements. La faune de cette époque était constituée par l'etephas meridionalis, l'Hippopotamus major, le Rhinocéros merckii, etc. La flore offrait: le pin de Montpellier, le laurier des Canaries, l'arbre de Judée, etc. L'extension glaciaire se produisit ensuite et cou¬ vrit les monts des Basses-Alpes, du Var, des Alpes- Maritimes. L'homme, alors, dut se vêtir de peaux de bêtes et se retirer dans des cavernes; le renne fut sa providence ; sa science de la rie fit des pro- (1) Troisième période géologique. (2) Nom donné par la station de Cùeiliès, en Seine-et-Marne où furent découverts en Gaule, les premiers vestiges Humains. 2 grès; il se servit de pierres à feu. La Baumo dei Peyrards (1) renferme des vestiges : grattoirs, hachettes, pointes de flèches de cette époque dite moustérienne (2). Ce fut l'époque de l'apparition en Provence du cheval sauvage, du cerf, du lapin. La race Ibère (3) s'est fixée, au temps solu¬ tréens (4), dans nos contrées; ses habitats ont été constatés au cap Roux, à Nice, aux Baoussé-Roussé de Grimaldi. En ce même endroit, l'on a découvert à la fin du siècle dernier, des squelettes qui prou¬ vent que l'on inhumait souvent les cadavres au lieu où ils venaient de rendre le dernier soupir ; ils étaient parés de leurs armes, de leurs colliers, de leurs bracelets en os ou en coquillages marins. On répandait sur ces cadavres une couche de fer oligiste réduit en poudre et les vivants continuaient d'habiter avec les morts. A la période glaciaire succéda une période plus tempérée ; le climat de la Provence devint plus chaud ; ses habitants revinrent donc vers les riva¬ ges de la Méditerranée et vers le bord des fleuves où leurs prédécesseurs avaient vécu. L'invasion indo-européenne amena les Ligures Av^°°c sur littoral méditerranéen, vingt siècles avant l'ère chrétienne. Ce fut l'époque de la pierre polie. Dès lors furent habités dans notre contrée : Gra- veson, Arles, les Baux, les grottes de Calés à Lama- non, celles de Gémenos et de Lascours, les Baumes de Saint-Cyr. Les pierres levées entre Vauvenar- gues et Aix, le dolmen de Draguignan, l'enceinte de Pontevès, le tumulus du Rouët, la grotte du (1) près de Cadenet (Vaucluse). (2) Tire son nom de la station de Moustiers (Dordogne). (3) Cette opinion est fort controversée. (4) De la station de Solutré, en SaOne-et-Loire. — 3 — Verdon, Moustiers Ste-Marie, et d'autres et d'au¬ tres, sont tous des monuments de cette époque, ainsi que ceux des Alpes-Maritimes qu'il serait trop long d'énumérer. Les Ligures avaient refoulé les Ibères au-delà du Rhône ou s'étaient fondus avec eux. Nombreux sont les oppida ligures qui couronnent,encore main¬ tenant, des élévations de terrains en Provence, tous en pierres sèches, camps retranchés et fortifica¬ tions défendues par des escarpements, tels ceux des Baumes de Venise, le Castellar près de Cade- net, le Castelleras, près de Monnieux (1) en Vau- cluse. Dans le département des Bouches-du-Rhône, on compte une vingtaine d'oppida ligures, dont les plus célèbres sont: le Pain de Munition, qui, entre Puyloubier et Pourrières, domine la vallée de l'Arc ; l'Olympe, dans la même région ; le Castel- las de Roquefavour, le Camp d'Entremont, près la ville d'Aix, les Cauvins et-le Jas d'Amont, camps retranchés dans le terroir de Rognes ; la Caronte, les grottes de Calés, les Baux, Gordes, etc. Dans le Var, il y en eut presque autant. On en compte une quarantaine dans les Alpes-Maritimes, à cause sans doute de la région montagneuse plus étendue en cette partie de la Provence, où les Camps retran¬ chés commandaient des hauteurs et des défilés. Dans toutes ces enceintes fortifiées, on a retrouvé de grossières poteries de l'époque préhistorique. iooo L'âge de bronze commence, en Provence, à l'ar- av. j-c riv^e des navigateurs phéniciens qui importèrent ce métal. Aux environs d'Arles, dans les grottes des Fées et du Castellet ainsi que sur d'autres points de la province, de beaux vestiges de cette époque ont été mis au jour. Grâce aux souvenirs préhistoriques éparpillés (1) Commune du canton de Sault. _ 4 — sur le sol, la science a pu reconstituer des bribes de la vie à une époque aussi reculée. Désormais les documents écrits vont apporter leurs innombrables preuves à l'histoire, dans laquelle la Provence est appelée à remplir un rôle important. Chapitre II FONDATION DE MARSEILLE Le» Phéniciens Les Phéniciens avaient échelonné leurs comp- en Provence t0jrs sur ]a cô£e qe ia mer Sarclonie (1). Pour divers motifs l'existence de ces établisse¬ ments était devenue précaire. Des navigateurs ioniens, qui avaient constaté ce fait, furent en même temps frappés de la ressemblance qu'offrait le rivage ligure avec celui de Phocée, leur propre patrie. Or, en cette Phocée se mouvait une population prolifique. L'on y décida donc qu'un certain nom¬ bre de jeunes gens (ce qu'on appelait un ver sacrum, un printemps sacré) s'expatrierait et irait fonder une nouvelle colonie. Les comptoirs phéni¬ ciens sur le rivage ligure furent tout indiqués pour cette fondation. L'Etat équipa ces jeunes hommes en vivres et en armes ; il leur permit de soustraire le feu sacré au Prytanée de leur mère-patrie et d'emporter des stèles de leurs divinités. Montés sur leur penté- conters, navires armés à 50 rames, les émigrants longèrent prudemment les côtes, car ils ne pou- (1) L'un des noms que la mer Méditérannée a portés dans l'antiquité. — 5 —- vaient affronter la haute mer. Ils virent Rome naissante et, cinglant toujours vers l'Occident, arrivèrent devant un golfe abrité par un hémi¬ cycle de collines, site merveilleux où ils crurent retrouver cette Phocée qu'ils venaient de quitter. Mariage de Protis (1), leur chef, le connaissait déjà, sans Protis doute, et ce fut là qu'ils abordèrent. Ces parages et e ypt». gtaient habités par la tribu des Salyes Segobrigii, race mixte issue des Ibéro-Ligues. Son roi Nanos s'apprêtait à donner sa fille Gyptis en mariage et celle-ci devait, suivant la coutume ibérienne, choi¬ sir son époux, en lui tendant une coupe remplie d'eau. Fût-ce l'oracle ou l'intuition qui guida Protis chez Nanos, au moment où tous les pré¬ tendants à la main de Gyptis étaient assis à la table du banquet ? Les vieux auteurs ne nous initient point à ces détails, ils mentionnent seule¬ ment le choix du bel étranger. La jeune tille, sé¬ duite par l'aspect de l'arrivant qui, avec son son ex¬ térieur agréable, dut lui apparaître comme un jeune Dieu «ne regarde pas les autres convives,» et tend la coupe à celui dont la vue venait de produi¬ re sur elle une si vive impression (2). 600 ans Les nouveaux venus conclurent un pacte avec av. j.-c. je roj cjes Segobrigii, qui leur permjt de s'établir sur le rivage, à l'endroit qui leur convenait. Ils se fixèrent donc sur la butte des Carmes, sur celle des Moulins et de Saint-Laurent, appelant la cité nouvelle : Massalia, à cause probablement d'un groupe de Salyes qui l'habitait déjà, et ils épou¬ sèrent des femmes indigènes. Tout de suite ces étrangers s'imposèrent par leur civilisation, par (1) Protis et d'après Justin, Samos, autre cher phocéen. Plu- tarque parle d'Euxène, père de Protis. (2) Tel est du moins le récit légendaire. leur esprit aventureux et colonisateur. Les Sego- brigii essayèrent plus tard de les attaquer, mais ce fut sans succès. Les Ligures avaient apporté sur le littoral mé¬ diterranéen la connaissance de la pierre polie, et les Phéniciens, celle du bronze ; cependant ces derniers étaient surtout des trafiquants, préoc¬ cupés seulement de leurs intérêts matériels. Avec plus de bien-être, puisqu'ils importaient le figuier, le noyer, le cerisier, l'olivier et la vigne cultivée (1), les Phocéens avaient un idéal plus haut. Ils étaient religieux, et leur premier acte, dès que la cons¬ truction de leur ville l'eut permis, fut d'élever un temple à leurs dieux. La seule femme qui avait émigré avec eux, Aristarché devint la prêtresse de leur déesse Artémis (2). Là ne se bornèrent point leurs apports : ils inaugurèrent l'emploi des mon¬ naies dans les transactions que les Ibéro-ligures avaient jusqu'ici faites par troc. 2130 monnaies de cette époque ont été découvertes à Auriol, village voisin de Marseille (en 1867). Les Massaliotes enseignèrent à leurs alliés Sego- brigii l'art de la navigation. Ils longèrent les côtes d'Ibérie (3) et dépassèrent même les colonnes d'Hercule. Poussant jusqu'au pays des Tartes- siens, avec lesquels ils se lièrent d'amitié, ils con¬ nurent les riches plaines du Guadalquivir, la Bétique des Anciens. Ils s'emparèrent des établis¬ sements phéniciens disséminés sur les côtes de la (1) Seule était connue la vigne a l'état sauvage; les Plio- céens apprirent aux indigènes à la tailler et a la cultiver. (2) Les -41 stèles apportées par eux de la mère-patrie, turent placées, présume-t_on dans le pronaos d'Artémis. (3) C. Jullian dont l'autorité ne saurait être contestée, croit que les Phocéens ont visité Cadix et la vallée du Guadalquivir avant de se fixer sur la côte ligure. mer Sardonie, puis fondèrent Beaucaire, Agde, Narbonne, Pyrène (1). Chez les Ibères, ils enlevè¬ rent Rosas aux Carthaginois, ainsi que les îles Baléares. Let Mais ce dernier exploit provoqua la revanche Carthaginois des Carthaginois qui attaquèrent Massalia et s'en à Massiiia. rendirent maîtres 542 ans avant Jésus- Provence la Provence et pour l'Empire. Euric, roi des 480 Wisigoths, homme d'un rare génie et d'un grand courage, avait conquis la Gaule. Alarmés, les Pro¬ vençaux députèrent, auprès de lui, quatre de leurs évêques à l'éloquent langage et au puissant crédit. Cette députation retarda de quelque temps l'inva¬ sion de la province ; après la mort de l'empereur Népos, Euric s'empara de Marseille et d'Arles. La rupture fut alors consommée : la Provence, ratta¬ chée la première, parmi les provinces gauloises, à l'Empire romain avait résisté la dernière et passait sous la domination Wisigothe. Possesseur d'Etats considérables, Euric voulut laisser un témoignage documentaire et durable de sa puissance : il codi¬ fia les lois wisigothes (1) qui étaient très sévères pour les mœurs ; elles régirent les provençaux jusqu'au règne du grand Théodoric. Ce ne fut pas seulement notre pays qui changea de maître. L'événement prenait des proportions et une importance capitales. L'Empire romain, dont la puissance était devenue si précaire, avait cessé d'exister en 476. Dans l'espace de 21 ans, neuf empereurs s'étaient succédé. Un nouveau peuple, Chute de l'Empire • Romain, (1) Déjà Théodore le jeune avait chargé huit jurisconsultes de rédiger un ensemble de lois choisies dans les constitutions des empereurs chrétiens; ce fut l'origine du code Théodosien. — 26 — les Hérules, avait surgi des forêts de Germanie, comme pour mettre fin à l'empire d'Occident. Des », assauts si répétés devaient produire l'inévitable écroulement. Odoacre, chef des Hérules (1), dépo¬ sa le dernier fantôme d'empereur : Romulus Augustule. La frêle barrière que de temps à autre, un vaillant général romain élevait devant les bar¬ bares fut ainsi détruite et rien ne s'opposa plus à v leur établissement définitif en Gaule, en Italie, en Espagne. Un traité solennel fut signé entre le chef des Wisigoths et celui des Burgondes pour fixer au Midi les limites des possessions des premiers, :t et à l'est celles des seconds. 4g6 Euric était mort à Arles, son fils Alaric II lui succéda ; moins heureux que son père, il perdit une partie de la Basse-Provence, en guerroyant contre Gondebaud, roi des Burgondes. Dans les lambeaux de l'Empire romain les peuples qui ne possédaient pas encore de royaume surent s'en V tailler un. Tels les Francs, cantonnés au nord de la Gaule ; les Francs, ambitieux et braves, portant bien leur nom et dignes de posséder la dure terre des Gaules, qui devait, sous leur domination, deve- ; nir la douce France. ijK- Les Francs. Clovis, leur chef, après avoir reçu le baptême des mains de Saint-Rémy, se montra animé d'un grand zèle pour sa foi religieuse. A ce zèle se mê¬ lait sans doute une arrière-pensée de conquête. Bref, il voulut combattre l'arianisme que profes¬ saient les Wisigoths et il les défit à Vouillé. Leur roi, Alaric II, ayant trouvé la mort sur le champ (1) Le royaume des Hérûlès ne dura pas même un .siècle; 11 fut détruit en 493 par Théodoric, et ces peuples furent réunis aux Ostrog-otlis. — 27 — de bataille, ses soldats s'enfuirent désemparés. Clovis les poursuivit jusqu'à Carcassonne qu'il assiégea. 508 Le roi des Francs s'était allié avec celui des Burgondes, qui de son côté attaquait Arles et appe¬ lait Clovis à son aide. Arles, la ville romaine, la ville de prédilection de Constantin, avait vu défer¬ ler sous ses murs le flot sans cesse renouvelé des barbares : Vandales, Wisigoths, Burgondes, puis les Francs ; mais ceux-ci sont en avance de près d'un siècle ; ce ne seront que les petits-fils de Clovis qui chasseront définitivement les Wisigoths de la Provence. Pour l'heure, les habitants d'Arles, se défendent vigoureusement avec intelligence. Munis de puissants leviers, ils enlèvent les ponts volants et les bateaux de leurs ennemis. Pendant deux ans ils prolongent une lutte qui use les Francs et les décourage. Puis, ayant appelé à leur aide les Ostrogoths d'Italie, ceux-ci se portent au secours de leurs frères de nationalité qui dégagent Arles et obligent les Francs à en lever le siège. Chapitre VI DOMINATION DES OSTROGOTHS ET DES FRANCS. Les Burgondes qui, nous l'avons dit, faisaient cause commune avec les Francs dans la dernière guerre, perdirent leurs possessions de Provence. En l'an 520, ils cédèrent-Apt, Orange, Carpentras, Vaison et Cavaillon à Théodoric qui devint, de ce fait, maître de toute la Provence. De plus, il régna sur les Wisigoths, en Septimanie, au nom de son petit-fils, Amalaric. Ces peuples, sous son règne, jouirent enfin d'une tranquilité qu'ils ne connais¬ saient plus depuis de longues années ; ils purent alors guérir les maux que leur avaient fait tant de précédentes guerres. Siège de la Théodoric remit à Arles (1) le siège de la Préfec- Préfecture ture des Gaules. Il s'associa comme secrétaire le cé- îétabiiàAriej lèbre Cassiodore et nomma Gemellus vicaire des Gaules. Il lui disait à cette occasion: « Nous t'en¬ voyons comme vicaire de nos préfets; que cette province accablée trouve en toi un juge dans lequel elle reconnaisse l'envoyé du prince de Rome... Fais qu'elle s'estime heureuse d'avoir été vaincue et n'éprouve plus rien de pareil à ce qu'elle a souf¬ fert, avant de retrouver Rome ». Aux Provençaux, il écrivait : « Maintenant qu'avec l'aide de Dieu, vous avez recouvré votre liberté, revêtez, avec la toge, des mœurs dignes d'elle... Etalez avec sécu¬ rité les richesses de vos familles, et produisez au grand jour les trésors depuis longtemps ensevelis.» «ègne du Cette lettre devait gagner tous les cœurs au nou- grand veau chef des Provençaux.' Il désirait que l'auto- Théodoric. ry.£ éclatât au dehors sans insolence, mais en toute liberté. Et ce n'étaient point là de vaines paro¬ les, car Théodoric exempta la Provence d'im¬ pôts et fit nourrir l'armée des Goths par une grande partie des vivres expédiés d'Italie. Il envoyait de l'argent aux Arlésiens pour réparer les murailles de leur ville et pour subvenir aux besoins des malheureux. . (1) De Trèyes où Constantin avait placé la Préfecture des Gau¬ les, elle avait été transférée à Arles vers 392, puis reportée en¬ core a Trêves. L'histoire de la ville d'Arles absorbe, on a pu le remarquer, pendant une longue période d'années, presque toute celle de la Province. Déjà, Honorius avait remis en vigueur l'ancien usage de réunir chaque année, dans la noble cité, les représentants, des sept Provinces, sous la présidence du préfet des Gaules. Comme Constantin, Honorius aimait cette ville, de laquelle il disait: «Elle est dans une situa¬ tion si heureuse, le commerce y est si florissant, et l'affluence des étrangers si considérable qu'on y trouve réunies les productions de toutes les autres contrées. Chaque province a ses fruits particuliers, le sol d'Arles semble les produire tous... Le Rhône et la Méditerranée s'y rencontrent et tous les pays que parcourt le fleuve, tous ceux que baigne la mer semblent être ses voisins et presque la toucher ; on y arrive avec la voile, la rame, les voitures, par terre, par mer, sur le fleuve... » L'on conçoit très bien que Théodoric, dont le cœur était aussi grand que le cerveau, voulût pro¬ téger cette ville qui avait soutenu de si longs et de si nombreux sièges. Mais ses faveurs s'étendirent aussi sur les autres villes. A Marseille, déchue de son antique splendeur, il députa le comte Maraba- dus avec l'ordre de venir en aide aux pauvres et de réprimer l'oppression. Ce roi accordait aux Mar¬ seillais une immunité perpétuelle et il les exemp ■ tait du cens en cette présente année. Il recomman¬ dait à Vandil, gouverneur d'Avignon, que les trou¬ pes ne commissent aucune violence dans la ville, car, disait-il, les soldats y sont envoyés pour la dé¬ fendre et non pour l'opprimer. Il ajoutait, non sans un légitime orgueil, que le bonheur des peuples faisait la gloire des souverains. 526 Amaïasonthe. Le grand roi Théodoric, étant mort à Rome, eut pour successeur, non pas un homme éminent comme lui, mais une femme remarquable : Ama¬ ïasonthe, sa fille qui régna pendant la minorité de son fils Atalaric. Les historiens de Provence la louent pour la perspicacité dont elle fit preuve, en rétrocédant aux Burgondes les villes qu'ils avaient autrefois possédées et qu'ils voulaient re¬ conquérir par les armes. A la prudence de son père Amaïasonthe joignait des qualités d'esprit person¬ nel, elle était pour son temps, fort savante, parlant le grec, le latin et les langues des peuples voisins. Malheureusement,elle eut la faiblesse d'épouser son cousin Théodat, qui lui était très inférieur en intei- 535 ligence et en éducation. Fut-il poussé par un senti¬ ment d'envie? L'histoire est muette là-dessus; ce qui est certain, c'est que Théodat fit étrangler Amaïasonthe dans son bain. Elle n'avait régné que neuf ans sur la Provence et sur l'Italie. Ce crime, d'ailleurs, ne profita guère à Théodat : Au bout d'un an, Vitigès lui succéda. Avec celui-ci s'éteignit la domination Ostrogothe en Provence, domination aussi éphémère que l'avait été celle des Wisigoths. Ceux-ci pourtant se maintinrent en Septimanie jusqu'au VIII0 siècle. Dans la Cité, à Carcassonne, des constructions et en particulier quelques tours, sont des vestiges de l'occupation de cette contrée par les Wisigoths. La Provence La Provence va maintenant appartenir aux Francs, ou, pour parler plus justement, va pas¬ ser sous la domination des Mérovingiens. Mais sous la domination Mérovingiens, ne croyons pas que durant les premières années de cette domination les intérêts des Provençaux soient mieux sauvegardés. Hélas! non. Ce ne se- — 31 — ront encore que des meutres et des actes de ven- en 539 . ^ d'après ccr- geance, bien que la Provence ait passe aux mains '■46 d-s'' -e" ^es Francs sans coup férir. Elle fut cédée, en effet, ! d'arme'" à Théodebert, petit-fils de Clovis, par l'empereur Justinien, en échange du secours que le roi franc apporta pour combattre Vitigès, roi des Ostrogoths. Au milieu de cette époque si confuse, nous ne suivrons pas les descendants de Clovis s'entre- tuant et s'arrachant des uns aux autres, la mal¬ heureuse Provence. Les diocèses d'Aix, de Mar¬ seille et d'Avignon faisaient partie du royaume d'Austrasie, tandis que le diocèse d'Arles dépendait du royaume de Bourgogne. On aura une idée de la précarité des possessions des rois francs, en sachant que Childebert II, pour éviter une guerre avec son oncle Gontran, fut contraint de lui céder la moitié de la ville de Marseille c'est-à-dire, la ville basse (1). |k " Les L'invasion des Lombards ajouta encore à la mi- jLombards en sère de la province. Comme autrefois les Vandales, ils descendirent dans la vallée de la Durance, pillant, rançonnant, ruinant et tuant. Pour mieux réussir dans leur expédition, ils s'étaient divisés en deux bandes, ,,, la première entra dans la vallée de l'Isère et la ■| 5/2 et 5'3 , _ seconde en Provence. D Avignon le flot barbare se dirigea sur Arles qu'il attaqua, puis, traversant la Crau, vint jeter la terreur à Marseille. Les ha¬ bitants d'Aix ne s'en débarrassèrent qu'en leur donnant 22 livres d'argent. Le général Mummo- (1) La ville de Marseille avait frappé de3 tiers de sols d'or à, l'effigie de Childéric. Les monnaies de la Basse-Provence, par conséquent celles d'Arles étaient frappées au coin de Childe_ Sert. — 32 — ? lus, patrice (1) de la province pour le roi Gontran, défit les Lombards, dont le camp était situé près de Riez, et, dit la Chronique de Saint Denys « tant en occit qu'il les mena à souveraine déconfiture ». En 574, les Saxons, alliés des Lombards, étaient descendus à leur tour dans le Midi, au nombre de 200.000. Us devaient partager avec les Lombards la conquête du Nord de l'Italie, mais ils ne purent vivre sur ce sol, alors si peu fertile et ils reprirent le chemin de leur contrée en passant par la Provence ; ce n'étaient donc plus des soldats, mais de mpllieureux affamés, traî¬ nant leurs chariots, leurs femmes et leurs en¬ fants, dévastant les terres pour se sustenter. Au¬ tour d'Avignon ils coupèrent le blé vert, de telle sorte qu'il ne resta pas même la semence aux habitants. A ces maux innombrables s'en joignirent d'autres tout aussi épouvantables : la famine et la peste qui, en un siècle, ravagea quatre fois la Provence, ce qui a fait dire qu'elle avait duré 52 ans. Gré¬ goire de Tours trace un tableau saisissant de ce dernier fléau : des familles entières disparurent ; des maisons devinrent littéralenlent des tombeaux et quantité de villes furent décimées. s , . .. Au sixième siècle, la lèpre fit également La Lèpre . . ' T V . son apparition en Provence. Les villes redigerent des règlements pour se mettre à l'abri de ce mal et contruisirent des léproseries (maladreries) hors (1) Les rois de Bourgogne donnèrent le nom de Patrice a leur représentant en Provence. — 33 — les murs afin d'éviter la contagion. Le pape Etienne accusait les Lombards d'avoir introduit la lèpre en Italie. Chapitre VII LES SARRASINS EN PROVENCE Charie! En 732, après leur sanglante défaite de Poitiers, Cartel pour- des bandes de Sarrasins se répandirent en Pro¬ suit les vence. Ils trouvèrent sans doute, dans ce pays de soleil et de fertilité, une certaine ressemblance avec l'Andalousie, dont ils s'étaient très promp- tement rendus maîtres. C'est aussi sans doute pour cela qu'ils mirent tant de ténacité à s'im¬ planter dans le Midi de la Gaule. Charles Martel les poursuivit jusqu'à Arles, d'où il les délogea. De la tour qui porte son nom (dans les Arènes) il les vit fuir et, rassuré, il remonta vers le Nord. Mais Charles n'avait pas laissé une garnison suf¬ fisante dans les villes reconquises sur les Sarra¬ sins, qui reparurent bientôt. Ce fut alors le désas¬ tre. ! Wgeades Dans la ville d'Aix, il ne resta debout après |Wsin8 jeur passage, qu'une porte des remparts ; Pitton rovence pr^en(j m<5me que ces remparts furent rasés. j36 et 737 Dans tous les cas la Sainte-Chapelle fut respec¬ tée, et l'on suppose que les envahisseurs n'avaient agi ainsi que pour en obtenir des chrétiens le péage. Ils se comportèrent tout autrement auprès des moniales cassianites de Marseille. Celles-ci, au — 34 — nombre de quarante, redoutant de leur part le dernier outrage, se coupèrent le nez. Elles ne furent pas moins impitoyablement massacrées (1). Cinq cents religieux de Lérins payèrent de leur vie la défense de leur monastère. L'île verdoyante au milieu des flots bleus devint un vaste repaire des brigands durant quatre années. La partie de la ville d'Arles, située en delà du fleuve, fut dé¬ truite. Les beaux monuments romains qui avaient échappé à la fureur des Goth, n'échappèrent point à celle des Sarrasins, et si les Arènes ne dispa¬ rurent pas à cette époque, c'est qu'elles servirent de forteresse aux Arlésiens. Cimiez, fut, au dire des historiens, « ensevelie sous ses ruines ». Il est probable qu'aucun village ne put se soustraire à la violence dévastau'icn. des Maures. La plupart des villages étaient bâtis dans la plaine en des lieux qu^ leur fertilité désignait aux habitations et aux agglomérations des hom¬ mes. Les Provençaux les abandonnèrent et se re¬ tirèrent sur les hauteurs où du moins, ils pou¬ vaient s'abriter derrière des tours et des remparts. On ne peut énumérer les maux que causèrent ces pilleurs. , Charles Martel, instruit de ces méfaits, envoya Charles , . % Martel revient son frère naturel Childebrand, en eclaireur, près en Provence. d'Avignon, où les Sarrazins s'étaient enfer¬ més; puis il vint lui-même investir la ville. Quand elle se rendit, il fit passer les ennemis au fil de l'épée et livra la malheureuse cité au pillage. Il chassa également les Sarrasins d'Aix, d'Arles et de Marseille. Comme ils étaient encouragés dans (1) Appelées de ce Tait : leis Denarrados. — 35 — leur résistance par le patrice Mauronte, gouver¬ neur, ils s'en allèrent pour reparaître peu après. 738 et 739 Une deuxième fois Childebrand prit le chemin de la Provence et pour mieux se débarrasser des envahisseurs, Charles revint à la rescousse, aidé, cette fois, par Luitprand, roi des Lombards ; celui-ci attaqua Mauronte dans les Alpes, pendant que Charles Martel et Childebrand les combat¬ taient dans la Basse-Provence. Ceux qui purent passer entre les deux armées s'enfuirent en Lan¬ guedoc ; les autres gagnèrent leur flotte mouillée près de Séon. Le rocher, qui s'élève au-dessus de cette plage, porte le nom moqueur de « Saut de Maroc » pour rappeler leur départ précipité. Une fois de plus la Provence parut sauvée. Le VIIIe siècle s'écoula, en effet, sans que de nouvelles in¬ cursions se produisissent. Mais en 813 les Maures opérèrent une descente dans la ville de Nice et ses environs, commettant les actes de brigandage dont 813 ils étaient coutumiers. Ving-cinq ans passèrent là- dessus. Puis leurs brigantins reparurent en nombre dans le port de Marseille. Ils renouvelè¬ rent leurs déprédations et leurs massacres. Moins leurs entreprises réussissaient, plus ils s'y achar¬ naient. Quatre fois au cours du IXe s iècle, ils abordèrent tantôt à Marseille, tantôt en Camargue. La mort de Rotland, archevêque d'Arles, eut lieu lors de la dernière incursion des Sarrasins dans l'île, où le prélat se trouvait en ce moment. Afin de toucher la rançon de Rotland comme prison¬ nier, ils le revêtirennt de ses habits pontificaux, l'assirent sur un siège et le déposèrent sur la rive du Rhône. C'est là que les Artésiens vinrent le chercher. Quelle ne fut pas leur stupéfaction, lorsqu'ils ne trouvèrent qu'un cadavre et qu'ils se — 36 — virent joués par les fils du Prophète ! Ce fut là pourtant le dernier exploit des Sarrasins. Souvenir. Des souvenirs de ce séjour existent encore en laissé, par les Provence (1).A Nîmes, ce sont les traces de l'incen- Sarranns. anumé dans les Arènes pour les en déloger. Près d'Arles, c'est la montagne de Corde — en souvenir de Cordoue — ailleurs, c'est le val des Maures, la Font Mauresque, etc. Ceux qui ne 973 furent pas écrasés au Fraxinet demeurèrent sur la côte où ils s'étaient cramponnés; mais ils furent privés de la liberté et employés comme serfs. On dut aux Arabes la célèbre école de médecine de Salernes qu'ils avaient fondée; on leur dut aussi l'art d'exploiter l'écorce du chêne-liège et d'extraire la résine du pin maritime. Ils nous laissèrent les grandes tuiles plates , dites sarrasi- nes et, dit-on, le tambourin. Ils prirent aux Pro¬ vençaux le caban provençal, qui, des maures, est resté aux espagnols. D'autres envahisseurs avaient essayé de s'im¬ planter en Provence; les Normands, qui, au cours du IXe siècle, avaient pillé Paris, et un grand nom¬ bre de villes de l'ouest, abordèrent en Camargue en 859. Les Provençaux appelèrent à leur aide Charles le Chauve, à qui la Provence échut dans le partage fait par Louis le Débonnaire. Les Sarrasins n'avaient été chassés définitive¬ ment de la Provence, c'est-à-dire du Fraxinet (2), leur dernier boulevard, qu'en 973. L'intervention (1) Outre la cliaîne des Maures qui leur servit pendant si longtemps de repaire et à laquelle ils ont légué leur nom (départ, du Var.) (2) Aujourd'hui la Gar.de-Freinet, dans la Chaîne des Mau¬ res (dép. du Var). — 37 — d'un chef fut nécessaire pour mener à bonne fin pareille entreprise, car une action isolée des habi¬ tants des villages du littoral n'y eût suffi. Guillau¬ me, appelé le libérateur, fut ce chef insigne. Il était fils de Boson II, comte bénéficiaire d'Arles. Il nous faut remonter de quelques années le cours de l'histoire pour éclairer notre sujet. Chapitre VIII LES BOSONS 3o.od, toi Le roi de France, Charles le Chauve, n'était d'Arles, pas de taille à régir plusieurs royaumes. Il aban¬ donna celui de Provence à son beau-frère, Boson, qui, du reste, l'avait sollicité. Un concile, tenu au château de Mantaille, en Dauphiné le proclama roi (1). L'ambition de Boson dut être alors satis¬ faite, car son royaume allait de la Méditerranée aux diocèses de Mâcon, de la Bresse, de la Fran¬ che-Comté et de Lausanne. Comme la ville d'Arles exerçait toujours son prestige séculaire, le nouveau souverain prit le titre de roi d'Arles, et le premier fit battre monnaie à son coin. De plus, le pape, qui à cette époque exerçait un omnipotent pouvoir, le favorisait, et il écrivait à Charles le Gros (2) : « J'ai adopté Boson pour mon fils, et j'excommunie quiconque osera l'atta¬ quer ». De ses privautés pontificales et de l'étendue de sa puissance, Boson ne jouit que huit • années ; il mourut à Vienne, en 887. Hermen- (1) Le 15 octobre 879. (2) Roi rte Germanie. — 38 — garde, sa veuve, fut régente et son fils Louis, cou¬ ronné au concile de Valence, en 890. Après la mort de Charlemiagne, et durant une soixantaine d'années, ses descendants se parent du titre d'empereur, titre et hérédité qui les écrasent; ils ne savent s'élever à la hauteur des circons¬ tances. Ces descendants sont Lothaire, Charles le Chauve, Louis l'Aveugle, et alors qu'il eût fallu une tête et un bras pour bouter les Sarrasins hors de Provence on avait comme roi Conrad le bien nommé Pacifique. Puis comme si refouler les inva¬ sions sarrasines n'eût pas suffi à occuper leur humeur guerrière, les empereurs et les rois de Provence convoitèrent la couronne d'Italie et délaissèrent quelquefois le royaume de Provence; ce qui accrut le malaise économique et le désarroi général. Louis Le roi Louis, fils de Boson et petit-fils par sa l'Aveugle mère de l'empereur Louis II, prétendit avoir, de ce dernier chef, des droits sur l'Italie. Au mois de février 901, il se fait couronner empereur à Rome, couronnement funeste. Trompé par la perfidie de son rival Bérenger, il licencia une partie de ses troupes; ses gardes achetés l'abandonnèrent. Louis ainsi désarmé fut attaqué par Bérenger, cerné dans une église où ce malheureux avait le droit de se croire en sûreté, et étant tombé entre les mains de son ennemi, celui-ci eut la cruauté de lui faire crever les yeux. Sous le nom de Louis l'Aveu¬ gle il ne régna pas moins de 27 ans avec Hugues, comte d'Arles, comme maire du palais. Ici se place une nouvelle usurpation, Hugues, qui avait d'abord exercé la régence du royaume, se — 39 — fit proclamer roi à Pavie (ou a Milan), en présence des seigneurs et des évêques. Bientôt après, l'Italie suffit sans doute à Hugues puisqu'il céda à Rodolphe II, roi de la Bourgogne transjurane, ses Etats de Provence. Cependant Louis l'Aveugle avait laissé un fils, Charles Constantin, connu seu¬ lement dans l'histoire comme duc de Vienne. Boson h et Quant à Boson II, il était comte bénéficiaire d'Ar- Guiiiaume les, en 948. Mais il n'avait de commun que le 'le Libérateur. nom avec Boson 1" et son seul mérite fut d'être le père de Guillaume le Libérateur, appelé aussi Guillaume le Grand. Avec ce chef le pays commen¬ ça enfin à prospérer. Sur la côte, qui avait vu de si nombreux retours des Maures, et où ceux-ci avaient commis de si furieuses déprédations, les villes et les bourgs se relevèrent de leurs ruines ; tel fut le cas de Toulon, de Fréjus, du bourg de Saint-Tropez. Partout les maisons se reconstrui¬ sirent, quoique grossièrement. On était trop pauvre pour faire mieux. Les cheminées n'existaient guère que dans les châteaux. Ailleurs la fumée s'échap¬ pait par une ouverture faite dans la muraille, lorsqu'elle ne sortait pas par une haute fenêtre. La vie en [ Provence au | Xe siècle. La vie privée était encore à peu près pareille à celle cjue la domination romaine avait étalié chez les Gaulois et que les Francs avaient adoptée avec quelques modifications. Au VI0 siècle la langue usuelle était le latin, tel qu'on le parlait à peu de chose près en Italie. Dans les églises d'Arles le peuple comprenait les psaumes et les hymnes que l'on chantait en grec. Mais les mots que les Goths, les Bourguignons et les Francs introduisirent dans la langue latine et dans la langue grecque les — 40 - altérèrent profondémnt toutes deux. La culture des lettres à cette époque s'était réfugiée dans les monastères, si nombreux sur notre sol. Les Proven¬ çaux allaient étudier le droit romain (alors la règle commune) à Pise. Les moines et les Juifs exerçaient la médecine. Le peuple, dit-on, s'éclairait avec des branches de sapin. Il semble pourtant qu'en Provence, on se soit toujours servi de la lampe romaine, lou ca- len, puisque l'huile faisait partie des exportations de Marseille et de Grasse. A cette denrée l'on joi¬ gnait du sel, de la cire, du vin, des fruits. Sous Charlemagne, le commerce s'était ranimé dans notre contrée. La fabrication du savon enrichissait Marseille, qui entretenait des relations avec l'Allemagne; des entrepôts de savon se trouvaient à Lyon. Plusieurs fois par an des compagnies de Marseillais et de Lyonnais se rendaient à Alexandrie pour y chercher du papyrus, des par¬ fums de l'Arabie et des épiceries de l'Inde; de Chypre l'on apportait, toujours à Marseille, de la laine, du maroquin, de la soie crue et ouvrée. Gênes la fournissait de chanvre, de fromage, de figues, de châtaignes, de cercles et de douves pour les tonneaux, ainsi que de légumes. Au Xe et au XI0 siècles par suite de la rareté de l'argent, tout était d'un bon marché exceptionnel : un cheval valait 20 sous (20 sous melgoriens, c'est- à-dire 20 francs de notre monnaie d'avant-guerre) un bœuf valait 5 sous. Les dots des femmes s'acquittaient avec du bétail, et les achats de terre ne se faisaient pas autrement. Guillaume le Libérateur mourut à Avignon en 992, sous l'habit monacal et son corps fut inhumé à Sarrians (Vaucluse). Il laissait un' fds, — 41 — Guillaume I, qui, étant encore mineur, partagea le pouvoir suprême avec Rotbold, son oncle pa¬ ternel. D'ailleurs l'empereur Conrad avait nommé !oos Guillaume et Rotbold, tous deux comtes de Pro¬ vence. A la mort de Rothold, survenue en 1008, Guillaume assuma seul la dignité souveraine. L'an mille, où, d'après les croyances populaires, le monde devait finir, l'an mille étant passé sans qu'aucune catastrophe se fût produite, une ère de relâchement dans les mœurs fit place aux craintes que l'on avait éprouvées et aux pénitences prati¬ quées pour s'amender. Le clergé lui-même se relâcha de la discipline ecclésiastique; des pas¬ teurs simoniaques dilapidaient les revenus des églises: Hugues, archevêque d'Embrun, et Liber, évêque de Gap, furent excommuniés par le concile de Lyon. « Il ne resta pas même une poule dans l'évêché de Sisteron », dit une chronique du temps. Un changement notable s'opéra alors dans le costume. La manière de se vêtir des Gaulois et des Romains avait été remplacée par celle des Francs. Mais à la fin du X° siècle, plus exactement lorsque le roi Robert épousa Constance, fille de Guillaume Taillefer, comte de Toulouse, les Pro¬ vençaux devinrent plus recherchés Mans leurs vêtements. Jusqu'ici, comme leurs aïeux les Gaulois, ils laissaient croître leur barbe et leurs cheveux. Dès lors ils rasèrent leur visage et leur occiput. La braie celtique fit place à une culotte moulant les formes; sur la veste, également juste, flottait un surtout doublé de peaux. Les nobles couvraient leur tête d'un chapeau ; les bourgeois d'un capuchon et les vilains allaient tête nue, ou bien elle était couverte d'un capuchon comme — 42 — celle d'un bourgeois. Des bottes ou des guêtres complétaient la toilette de nos ancêtres du X" siè¬ cle. Celle des paysans et des paysannes différait peu des costumes conservés jusqu'à la Révolution. Sur leur veste, les hommes portaient une cami¬ sole, et les femmes sur leur gonelle (jupe) arbo¬ raient une veste qui leur descendait jusqu'à mi-jambes. Dans la lignée de Boson II, une suite de souve¬ rains effacés succède à Guillaume le Grand. Parmi eux émergent deux femmes dont le nom mérite d'être sauvé de l'oubli. Adélaïde et Gerberge, exercèrent la régence en commun avec une grande sagesse et un parfait accord, chose d'autant plus remarquable qu'elles étaient belle-mère et belle- fille. Très habilement, elles détachèrent leur petit 1032 royaume de la Bourgogne transjurane. Un peu de lumière, un peu de netteté se dessinent enfin après l'époque confuse, où le suzerain est tantôt le roi de France et tantôt celui d'Allemagne. Partage de Mais à peine vivait-elle de sa vie propre qu'un la Provence. paiqage déchira l'unité de la province. En 1054, 1054 Geoffroi Ier, comte d'Arles, est spécialement comité de Provence, tandis que ses neveux fils de Guil¬ laume Bertrand Ier, sont comtes de Forcalquier. Puis les descendants de la fille de Rothald, Ednie, qui avait épousé Guillaume Taillefer, comte de Toulouse, ayant réclamé leurs droits sur la Pro¬ vence, un troisième domaine comtal fut créé en leur faveur, comprenant Avignon, Cavaillon, Ve- nasque, Vaison, etc. Naturellement, ce fiartage amena des conflits. Au XIe siècle rien de grand ne s'accomplit ; des luttes mesquines, de petits intérêts s'agitent et — 43 — affaiblissent le pouvoir en le divisant. Ce furent souvent des rivalités entre les seigneurs et entre les villes. Comme il n'y avait pas en haut de l'Etat, de main assez ferme pour maintenir l'autorité et assurer l'obéissance, chacun cherchait à se ren¬ dre fort et indépendant. Chacun se mêlait même d'être notaire et datait les actes comme bon lui semblait : de l'an de l'Incarnation ou de la Passion de N.S.J.C. quelquefois même des deux ensemble, ce qui est assez curieux, d'après de Haitze (1). Cet historien ajoute que « les hommes se faisaient justice eux-mtêmes; on pouvait bien dire alors qu'ils vivaient en brutes et qu'on était toujours en pays ennemi » (2). La lutte se circonscrit entre Arles et Vienne au sujet de la Primatie ; Vienne prétendait être la capitale de la Provence, parce que Boson et Louis l'Aveugle avaient choisi cette ville pour l'habiter de préférence à d'autres. L'ancienne famille d'Avignon est chassée de cette cité par les comtes de Toulouse, qui prennent le titre de marquis de Provence. A côté des trois souverains provençaux se posa in féodal important, la maison des Baux, à laquelle Etiennette, tille de Gilbert, comte de Provence ap¬ portait en dot par son mariage avec Raymond des Baux (3) des terres appelées Baucenques. Non seulement ces terres, mais la ville des Tours d'Aix, le bourg de Trinquetaille, etc, ainsi qu'un pré- (1) Histoire d'Aix. (2) On lit dans une charte rte Montmajour qu'il n'y avait, de Donne justice nulle part. (3) Les descendants de Raymond de Baux et d'Etiennette ont possédé la Principauté d'Orange dès 1162. Cette Principauté avait été créée par Ciiarlemagne en 790. — 44 — tendu droit au comté de Provence. D'où devaient naître encore dans l'avenir des luttes funestes. Cependant le bien sortit de l'excès du mal. Les villes importantes s'érigent en municipalités : c'est la commune vis-à-vis- des féodaux ; ce sont les droits des petits en face des grands, et des exigences que montrent parfois injustement ces derniers. Chapitre IX LES COMMUNES Devant l'irrésistible poussée des féodaux, les peuples sentirent la nécessité de se grouper, de faire bloc pour résister à leurs empiétements. Ce fut un mouvement merveilleux qui porta les villes et villages de Provence à nommer des dé¬ fenseurs-de la cité et- des responsables de l'ordre public, les consuls, faisant revivre l'ancienne appellation romaine. La plupart des villes, telles que Marseille et Arles, n'avaient jamais perdu les privilèges et bienfaits de l'administration romai¬ ne; ni les Ostrogoths, ni les Francs, ni les rois de la première race n'y portèrent une grave atteinte. Seulement le désarroi causé par les invasions sarrasines et l'anarchie des Xe et XI0 siècles ne pouvaient être que préjudiciables aux constitu¬ tions municipales. Enfin devant le péril de l'inté¬ rieur chacun se ressaisit, chacun apporta son concours à l'admirable édifice du Moyen-Age. République Entrons dans l'une de ces cités, à Arles, par d'Arles. eXemple, où, avec l'ordre, palpite la vie. Les arche- — 45 — vêques en sont les seigneurs temporels et l'on tâche (sans toutefois y parvenir toujours) de vivre en bonne harmonie evec eux. L'archevêque d'ailleurs, devait, d'après une ordonnance de Frédéric Barberousse, approuver l'élection des. consuls, lorsqu'il ne les nommait pas lui-même. Une charte du G.allia-Christiana, en 1178, indique pour cette ville douze consuls ; quatre milites, quatre burgenses, deux marchands et deux repré¬ sentants des gens de la campagne. La population était divisée en nobles et non-nobles ; au-dessous des nobles (milites) étaient les burgenses, les bourgeois, descendants des propriétaires d'alleux ; les mercatores (marchands) qui jouissaient pres¬ que des mêmes droits que les bourgeois. Parmi ceux-ci se recrutaient les notaires, les avocats, les prud'hommes. Au XIIIe siècle, l'on compte à Arles 33 corpora¬ tions de métiers, qui, pour la première fois, font acte politique, se groupent pour se défendre. L'ar¬ chevêque s'appuyait sur eux lorsque parfois les milites et les bourgeois voulaient l'expulser de la ville, et au contraire, il s'appuyait sur les milites pour résister au Comte ou à l'Empereur. L'Arche¬ vêque possédait la juridiction sur les Juifs, dont la colonie, exploitant des terres, existait déjà du temps de Saint-Césaire. Ils devaient, entr'autres choses, fournir à la ville cent ânes chargés de pierres pour l'entretien du Pont de Crau (1). En retour l'archevêque les protégeait contre les vexations des populations chrétiennes. Les Juifs eurent plus tard trois recteurs, élevés au rang de (1) Le; cimetière des juil's, le mont Jusioû, dont l'appellation subsiste encore, se trouvait à Arles du coté de Mouleyres, et a Marseille, sur la colline St-Cbarles. — 46 — consuls. Fait assez curieux, l'archevêque ordonnait à ces recteurs de punir même les infractions à la loi de Moïse. Des jardins et des prairies verdoyaient au midi d'Arles, dès 923: Les mariniers habitaient les bords du Rhône et comme aujourd'hui le quartier de la Roquette. Les Assemblées du Conseil public se tenaient dans le palais. C'était encore une- belle époque pour Arles, que celle où d'habiles archi¬ tectes et des sculpteurs, vrais artistes, élevaient le portail de Saint-Trophime et son cloître ; où la république d'Arles signait des traités d'alliance avec Gênes et Pise. C'est sans doute à ce moment qu'elle prit le titre de République, titre plutôt no¬ minal qu'effectif, comme l'avait été autrefois celui de Royaume d'Arles. Enfin cette ville était si puissante qu'elle put prêter à Alphonse II d'Ara¬ gon, 46.000 sous ; en échange le roi-comte lui abandonnait le monopole du sel et du vermillon. En 1167, Alphonse 1er permettait à l'archevêque d'Arles de faire amener les eaux de la Durance par Salon. République Mais la république de Marseille était encore plus de Matseiile. démocratique ; il suffisait d'être natif de la ville basse et de jouir des droits civils pour faire partie de l'assemblée souveraine du peuple, réunie en par¬ lement dans le cimetière des Accoules. Ce parle¬ ment avait le droit de faire la paix ou la guerre et de trancher les affaires importantes. En 1128 Marseille a déjà ses consuls. N'oublions pas tou¬ tefois que sous les Ostrogoths l'administration municipale de cette ville n'avait pas été modifiée ; mais au XIIIe siècle, après les bouleversements précédents, il fallut se reconstituer. Le prestige de Marseille était notoirë au Moyen-Age. Elle fournit aux Croisés des troupes et des navires. Chaque étranger payait en entrant dans la ville un droit de douze deniers, ce qui était pour elle une source de richesses. Elle traitait d'égale à égale avec Pise et Gênes ; les Marseillais du reste étaient tous des hommes libres (1), et les vicomtes de Marseille y résidaient comme gouverneurs remplaçant le souverain. Au moment des invasions, la population s'était groupée autour de Saint-Laurent, chaque corps de métier étant cantonné dans une rue : il y avait par exemple la rue des Drapiers, des Bouttiers, des Chaudronniers, des Cardeurs, etc... Dans le traité qui fut signé en 1218, entre la Confrérie du Saint-Esprit (2) et la ville de Nice, Marseille possédait le Conseil des cent chefs de métiers, élus annuellement ; six d'entr'eux nommés chaque dimanche intervenaient auprès des consuls ou des podestats, si les circonstances l'exigeaient, pour garantir leur indépendance et prendre une grande part à la vie municipale. Quand aux Podestats, introduits en 1226 à Arles, à Avignon à Marseille, ils se trouvaient hiérarchiquement au-dessus des Consuls. On les choisissait d'une ville voisine et quelquefois même en Italie, afin d'éviter les népotisme et pour qu'ils eussent plus d'indépendance que les consuls dans la répression des abus. La forme des constitutions municipales de Marseille ressemblait fort à un gouvernement ré¬ publicain. Ainsi le bailli du Vicomte ne pouvait (1) S'il existait encore quelques serfs, c'étaient des descendants ■des Sarrasins. (2) Association plutôt politique que religieuse. — 48 — s'ingérer dans le gouvernement de la ville et de son terroir ; cela appartenait aux seuls officiers municipaux ; ceux-ci créaient les notaires et les magistrats. La ville inférieure dépendait des vi¬ comtes ; la ville haute, des évêques auxquels les Empereurs avaient accordé des doits régaliens (1). Les statuts portaient sur tous les sujets ; la po¬ lice, les bonnes mœurs, l'hygiène de la rue, les fraudes non-seulement des marchands, mais aussi des apothicaires et des médecins, des vendeurs de fruits et de poissons. Les ventes, les loyers, les obligations des curateurs, les soins des pupilles, les dettes, les mariages, les dots, les testaments l'intérêt de l'argent, etc, tout était réglé minu¬ tieusement. A Marseille plusieurs articles concer¬ nent la navigation et à Arles, le soin de préserver la Camargue des inondations, d'augmenter les troupeaux, d'utiliser la fertilité du territoire. Des chartes du XII° siècle mentionnent des écoles de grammaire et de rhétorique à Marseille et à Arles. Commune La ville de Nice avait essayé de se soustraire à de Nice. ja suzeraineté des comtes de Provence; c'est dire si les pouvoirs des consuls étaient étendus. Ces ma¬ gistrats prétendaient même au droit de juger les procès ecclésiastiques, ce qui était sans doute abusif. Commune La fierté des habitants d'Avignon éclate dans d-Avignon. un traité d'alliance de 1208, dans lequel ils décla¬ rent que ce n'était pas aux Comtes qu'ils devaient (1) Ainsi qu'aux archevêques d'Arles. l'état florissant de leur ville, mais à Dieu et à leur activité. L'évêque Geoffroi avait fait rédiger les Lois du Consulat vers le milieu du XIIe siècle. Avi¬ gnon renfermait déjà plusieurs palais dans son enceinte. Le pont de Saint-Bénézet, construit sur le Rhône par le berger Benoît ou Bénézet, fonda¬ teur des Frères Pontifes, date de cette époque remarquable. Commune *jes Consuls de Grasse, précurseurs du droit di- deGrasse, vin, se disaient consuls «par la grâce de Dieu». Ils avaient même dressé des statuts pour arrêter les entreprises des comtes. En 1179 ils signèrent une alliance avec la République de Pise ; la commune de Grasse pouvait seule prélever un droit sur les marchandises des Pisans. Dix-sept ans plus tard, c'est avec Gênes que Grasse passe un traité com¬ mercial plusieurs fois renouvelé et confirmé jus¬ qu'en 1420. Au XIIe siècle cette ville rivalisait avec Marseille pour l'exportation de ses cuirs re¬ nommés, de ses huiles épurées, de ses savons dont elle approvisionnait non seulement la France, mais aussi l'Espagne et l'Italie. | Communes Lorsque Tarascon s'érigea en commune un diffé- : de Tamscon rend s'éleva entre nobles et roturiers ; les premiers j etd'Apt, prétendaient jouir dans l'administration consulai¬ re, d'une autorité plus étendue que les seconds. Sans l'intervention du suzerain les habitants se mirent d'accord en 1199 ; ce qui prouve qu'eux- mêmes s'étaient donné leurs consuls. Il en avait été ainsi pour la ville d'Apt dont les statuts rédi¬ gés par les habitants étaient un « monument ho¬ norable de leur liberté et de l'indépendance de leur municipalité ». 4 — 50 — Embrun avait ses consuls dès 1127 ; Sisteron et Gap peu à près. Commune La ville d'Aix, ayant été ruinée, comme on l'a d An VUj par jes Sarrasins, ne recouvra plus son administration comme colonie romaine. Raymond- Bérenger 1" en fit la capitale de la Provence ; mais il n'apporta aucune amélioration, c'est-à-dire que les habitants, avec la permission de l'officier royal, se réunissaient en assemblées générales pour traiter de leurs intérêts communs. Ce ne fut qu'en 1290 que Charles II accorda à la ville d'Aix la faculté de se pourvoir d'un conseil de ville. Commune. Un officier royal, qui prenait le titre de Bailli à de Toulon et Toulon, présidait également aux assemblées géné- de Mano.que. raies> oa se discutaient toutes les questions d'ordre et d'intérêts publics. Les nobles deAment être en parlamento ». Trois nobles seulement sont adjoints à leurs concitoyens dans les règlements faits en 1289, au sujet de la dévastation des fruits. Mêmes libertés concernant la ville de Manosque où le Conseil, composé des 60 habitants pouvait se réu¬ nir, quand les affaires de la Compnunauté l'exi¬ geaient. Commune Les statuts de la ville de Salon, particulièrement de Salon, curieux, ne contiennent pas moins de 90 articles, ne laissant aucun délit impuni, touchant à tous les sujets et les réglant dans le moindre détail. Enfin, de la plus grande ville à la plus petite, toutes en Provence, à partir du XIIe siècle, eurent leur auto¬ nomie, soit qu'elles fussent bourgeoisies, comme Castellane et Sault, municipes ou communes, telles — 51 — que Saignon, Trets, Rognes, etc... En nommer une seule, c'est les nommer toutes. Aussi est-ce jus¬ tement que le Parlement de Provence pouvait dire: « Chaque communauté, parmi nous, est une famille qui se gouverne elle-même, qui s'impose ses lois, qui veille à ses intérêts. » Chapitre X LES PROVENÇAUX AUX CROISADES LES COMTES DE BARCELONE COMTES DE PROVENCE Les chrétiens qui, au XP siècle, se rendaient en Palestine pour visiter les Lieux Saints, tom¬ bés au pouvoir des musulmans, étaient sans cesse molestés par eux. Emu de cette situation qui em¬ pirait de plus en plus, le pape Urbain II prêcha, dans toute la France, une croisade en faveur de la délivrance du tombeau du Christ. Il promettait d'étendre sa protection sur les biens de ceux qui iraient combattre les infidèles en Terre Sainte. Le 5 Juillet 1096 il arrivait à Nîmes où fut tenu un nouveau concile. Avignon, Cavaillon, Api, Arles entendirent sa voix, qui entraînait les chré¬ tiens à s'enrôler pour la Croisade. Un grand nom¬ bre de seigneurs provençaux se firent inscrire et préparèrent leur départ. A leur tête fut placé Adhémar de Monteil, évèque du Puy, qui avait porté l'épée avant la crosse. A cause de « son ex¬ périence et de ses richesses » Raymond de St- Gilles, possesseur d'une partie de la Provence et — 52 — ayant guerroyé contre les Sarrasins d'Espagne, fut désigné comme le chef des troupes du Midi de la France. Ces troupes comprenaient 100.000 croisés, recrutés dépuis les Alpes jusqu'aux Py¬ rénées, mais comprises exclusivement sous le nom de Provençaux. Il n'entre pas dans notre sujet de les suivre dans leur pénible et longue marche à travers le Midi de l'Europe, et ensuite en Palestine. Le récit de la Croisade a été fait par un contemporain, le chanoine Albert d'Aix. Nous dirons seulement qu'à la suite de Raymond de Saint-Gilles les Provençaux contribuèrent à la victoire de Dorylée et à la prise du camp de Soli¬ man. Raymond ayant été blessé, ils passèrent sous la conduite de l'évèque du Puy et s'empa¬ rèrent alors d'Antioche. L'on dit que lors du sac de Jérusalem, ils furent impitoyables et ne firent pas de quartier. Peut-être se souvenaient-ils des récits de leurs pères sur les ravages que les Sar¬ rasins avaient exercés en Provence. Nos compatriotes possédaient, paraît-il, la spé¬ cialité de se procurer des vivres en temps de di¬ sette et leur industrie sur ce point fut très appré¬ ciée. Seulement ils dépassèrent le but et méritè¬ rent le surnon peu glorieux de « premiers maraudeurs de la chrétienté ». Enfin, ce qui n'était pas du tout blâmable, c'était leur extraor¬ dinaire frugalité. Raymond ternit son triomphe par sa rivalité avec Godefroy de Rouillon, ainsi qu'avec d'autres chefs des croisés. Les rivaux avaient beau s'em¬ brasser en signe de réconciliation devant leurs troupes ; à la première occasion, les discordes recommençaient de plus belle. Le comte de Saint- Gilles avait fait le vœu de ne plus retourner dans — 53 — sa patrie; il se retira d'abord auprès d'Alexis, empereur de Constantinoble qui lui accorda la principauté de Laodicée. Mais Raymond prit en¬ suite le titre de comte de Tripoli, car il avait tou¬ jours ambitionné la possession d'une principauté en Syrie. Il périt l'an 1105, le 28 février dans l'in¬ cendie du château de Mont-Pélerin. Son fils, Alphonse Jourdain, qûi était né en Palestine (1) retourna en France et son frère aîné Bertrand prit la place de leur père en Syrie. Avantages Tes expéditions outre-mer avaient singulière- commerciaux ment accru le commerce dans la région provença- es mua es ^ j^es Marseillais prêtèrent une aide sérieuse aux Croisés; ils secoururent le roi Baudoin III et lui firent présent de 3.000 besants sarrasins pour protéger Ascalon et Jaffa. Comme récompense de cet éminent service, Baudoin accorda aux Mar¬ seillais des lettres patentes, leur donnant dans la ville de Jérusalem une maison appelé Rama, avec toutes les richesses et les bestiaux qu'elles renfermait. Déjà, Foulques, roi de Jérusalem, leur avait octroyé le privilège d'avoir. dans cette ville, et dans toutes les autres de son royaume, une église, un four à cuire le pain, et une rue où les Marseillais vivaient sous leurs propres lois (2). A son tour Foulques III et sa femme Mélisende ajoutèrent aux précédentes concessions une rente annuelle à perpétuité de 400 bezants sarrasins, payable tous les trois mois. (1) Baptisé dans les eaux du Jourdain, d'où son nom. (2) Le va et vient dos pèlerins et des commerçants enrichit Marseille. Chaque passager payait 12 deniers a la commune. — 54 — iPCroi.ade, Très nombreux encore furent les Provençaux qui prirent part à la deuxième croisade avec Alphonse Jourdain. Celui-ci s'embarqua en août 1147 sur l'un des navires de la flotte, qu'il avait fait équiper à la Tour de Bouc. Des habitants des Alpes provençales partirent à la suite du marquis de Montferrat. Un provençal, Guillaume de Por¬ celet, s'illustra en Terre Sainte en sauvant la vie du roi d'Angleterre, surpris à la chasse par une troupe de Sarrasins. « Je suis le roi, sauvez ma vie », s'écria Porcelet ; aussitôt les ennemis l'en¬ tourent et l'emmènent prisonnier. Le roi donna dix puissants satrapes pour obtenir la liberté de Guillaume. Géraid Les Provençaux du reste étaient à l'honneur en Tenque fonde Palestine, depuis que Gérard Tenque, originaire l'ordre des (je ja vjpe l'idole des Provençaux, rien n'est changé en Provence. La lutte se poursuivait âprement, misé¬ rablement, entre Charles de Duras et Louis d'An¬ jou (1). Ce dernier, désigné par le testament de la reine de Naples comme son succsseur à ce trône et au comté de Provence, avait passé les Alpes, avec ijne armée forte de 30.000 chevaux. Amé VI de Sa¬ voie avec 1.500 lances s'était joint à lui. Mais Charles de Duras, toujours rusé, ayant adopté la tàctSque de refuser tout combat et de fatiguer son ennemi en se dérobant, l'armée, réduite à l'inac¬ tion, était bientôt démoralisée. Assaillie par diver- sesemaladies et par la famine, privée de solde, cette tafiH&niiiesàEmée fut, peu à peu, réduite à une poi- gft'ée dg^diglpts et son chef lui-même. Louis d'An- j.qu,ienrproig.:q un chagrin profond, rendait le der- 1384 nier soupir à Bari, le 21 septembre 1384. (l'ioffi ua sb sliovL Mon Tous.jjgi ^ule-fir^ français et provençaux sont de Louis uHqpjjpiça, à,,çmç^igjper ce fait, qu'il ne laissait d Aniou cy^jmg jîoupe ^'argent et une cotte d'armes de toile peinte,' fait' d'autant plus significatif que Louis avait volé l'e if tr é s of! s fâma s s é s avec tant de soins par le feu roi de France,Charles le Sage. Celui-ci se mé¬ fiait de son frère, le duc d'Anjou; aussi l'avait-il écarté du gouvernement de son royaume. On sait (1) Frère du roi de France, Charles V. 8 — 115 — que ce prince s'était emparé du pouvoir, afin sans doute de s'emparer aussi des trésors contenus dans les coffres de l'Etat. Les talents militaires dont on le qualifiait furent éclipsés par sa mauvaise foi et son ambition. Jeune encore, il avait donné la me¬ sure de ses défauts, en s'échappant d'Angleterre, où il était retenu comme otage depuis la bataille de Poitiers. Plus tard, gouverneur du Languedoc, Louis d'Anjou avait exaspéré les populations par son despotisme et Charles V lui retira ce gouver¬ nement. D'après ces précédents, il est facile de supposer que sa mort ne prit point pour les Provençaux les proportions d'une catastrophe. Cependant, par une de ses dispositions testamentaires, Louis avait en¬ joint à ses héritiers d'indemniser les peuples de Provence et du Languedoc des hostilités et des im¬ pôts vexatoires qu'il ne leur avait pas ménagés. La clause principale de son testament concernait l'ad¬ ministration de ses Etats. Vu le jeune âge de Louis II, son fils aîné, cette administration était confiée à sa veuve, Marie de Blois. Cette femme, qui héritait d'une responsabilité si lourde, devait se montrer à la hauteur de sa tâche. Fille de Charles de Blois et de Jeanne de Penthièvre, elle était née au milieu des intrigues fomentées par la succession au duché de Bretagne. Plus qu'une autre, elle était donc apte à gouverner et à ramener à son fils les partis qui se disputaient les royaumes de Naples et de Provence. Marie La succession qui venait d'échoir à Marie de de Bioii. Blois était, en effet, excessivement écrasante; qu'on en juge : le royaume de Naples, cette éternelle chi¬ mère, restait toujours à conquérir; là,quelques vil- — 116 — les seulement étaient soumises à la maison d'An¬ jou. En Provence, où Louis avait fait des mécon¬ tents en réunissant au domaine des terres données par ses prédécesseurs à la noblesse ; en Provence, un parti s'était formé sous le titre d'Union d'Aix. Ce parti, à l'exception de Marseille, d'Arles et de quelques autres villes moins importantes, ne recon¬ naissait pas la souveraineté de Marie de Blois et avait juré fidélité à Charles de Duras, en attendant de s'inféoder à la France. A ces deux courants de rivalité qui creusaient plus, profonde la lutte, se joignait, pour la reine régente, un autre inconvé¬ nient : le manque de numéraire. Comme dédommagement à cet état de guerre et de révolte, on ne put offrir à la reine, au début de sa régence, que des cérémonies de parade. La pre¬ mière eut lieu au cours des funérailles de Louis d'Anjou, manifestation que rendirent plus impo¬ santes la majesté de la mort et les conséquenecs du serment religieux. Ce fut le seul beau geste de cette armée, condamnée à l'inaction, après comme avant la mort de Louis; mais, à ce moment, elle oubliait les énervants délais pour remplir le devoir d'hom¬ mage envers son jeune souverain. Les chevaliers proclamèrent Louis II leur roi,jurant de n'en recon¬ naître point d'autre, fût-ce au péril de leur vie et de celle de leur famille. Enthousiasmées par ce serment et par la mise en scène au milieu de laquelle il avait été prononcé, les troupes françaises furent conduites devant Bar- lette, où Charles de Duras s'était enfermé. Ran¬ gées en bataille sous les murs de la vilie, elles pré¬ sentèrent le combat à l'usurpateur et, trépignant d'impatience, elles criaient: «Vive le roi Louis et meure le traître Charles ». Mais celui-ci, toujours — 117 — félon, ne sortit pas de la ville. La fatalité qui avait pesé sur cette expédition, dès ses débuts, ne ces¬ sait de la poursuivre. Une fois encore, le découra¬ gement s'empara des partisans de Louis d'Anjou, qui se dispersèrent. Ceux qui reprirent la route de France, dit Juvénal des Ursius « tant nobles que non nobles, retournèrent en grande partie à pied et étoit grande pitié de les voir. » Les prince. La seconde cérémonie de parade eut lieu quel- d'Aniou ques années plus tard, lorsque les deux fils de Ma- armé. rie de Blois furent armés chevaliers par Charles chevaliers, yj. ej|e attira à Saint-Denis les principaux sei¬ gneurs de France, d'Angleterre et d'Allemagne; des festins et des tournois y succédèrent; l'on célébra ensuite une « pompe funèbre )> en l'honneur de Du- guesclin et, du deuil, passant à la joie, ces solenni¬ tés furent clôturées par l'entrée dans Paris de la reine Ysabeau, quoique mariée à Charles VI depuis quatre ans. Les rues furent tendues de tapisseries de Flandre/des théâtres dressés sur le passage de la reine et le bon peuple de Paris s'esbaudit à la re¬ présentation des « mystères >> et des amusements qui lui furent prodigués en cette mémorable jour¬ née. Puis la cour de France se transporta en Avi¬ gnon, où eut lieu le couronnement de Louis II, roi de Naples et de Sicile. Or le roi avait dix ans. Reçu en plein Consistoire, il fit hommage à Clément VII 1385 de son royaume de Naples, sous le bon plaisir de sa mère, qui reçut en même temps confirmation de la régence. On voit que la reine régente avait bien employé son temps. Louis Ier meurt en sep¬ tembre 1384, et, quelques mois après, son fds, armé chevalier, acclamé comme roi reçoit l'in¬ vestiture de son royaume par le Souverain Pontife. — 118 — N'omettons pas ce détail pratique: Marie de Blois avaij obtenu du roi de France des subsides pour passer en Italie. Ainsi, elle peut lever des troupes outre celles que les villes de Provence devaient lui fournir.Les Etats Généraux assemblés dans Apt, au mois de mai 1385, réglèrent un accord. Les députés des trois ordres promirent de reconnaître la reine et le roi Louis, si, à leur tour, ceux-ci certifiaient de ne jamais conclure d'alliance avec Charles de Duras, meurtrier de la reine Jeanne; ils stipulaient de plus que, soumis à la domination de là maison d'Anjou, les Provençaux seraient déliés de leur serment de fidélité et se choisiraient tel souverain qui leur plai¬ rait, dans le cas où les princes angevins feraient dé¬ faut à ce traité. Ils réclamaient, en outre, que les rois de Provence n'aliénassent jamais le domaine de la couronne et que toutes les libertés, franchises et coutumes accordées par leurs prédécesseurs fus¬ sent garanties, etc., etc... Nos pères traitaient pres¬ que d'égal à égal avec leurs rois et l'on. se figure aisément la surprise de la reine régente à l'énoncé de ces réclamations. Le piquant, c'est qu'elle les accepta d'emblée, comprenant que toute opposition serait inutile. Louis il Une trentaine de seigneurs seulement allèrent, à r«oit ia suite de cet accord, prêter serment de fidélité au i hommage rQ^ toujours en Avignon. On remarqua que Fran¬ çois de Bouliers, seigneur de Cental, prêta hom¬ mage à la manière usitée en Provence. Le roi et la reine étant assis, il se mit à genoux devant eux, baisa la reine à la bouche et prit ensuite le pied du roi, qu'il baisa; le roi, pour lui rendre son baiser, l'embrassa aussi sur la bouche. Ce n'était là Qu'une — 119 — minime compensation aux déboires qui attendaient la reine. L'enthousiaste réception des villes d'Arles et de Marseille ne pouvait lui faire oublier que d'autres villes de Provence n'avaient consenti à lui ouvrir leurs portes. Telle fut l'attitude de Taras- con, de Salon, d'Aix, etc... Voici comment, d'après Jehan Lefèvre, se passaient ordinairement les cho¬ ses, lorsque le cortège royal traversait les villes qui avaient opté pour Charles de Duras, «7 septembre 1385, jeudy VII" jour. Madame disna aux Corde- liers dehors Sallon, je entre dedans la ville au pas¬ ser devant Alençon (1), qui est pleinement rebelle. Nul ne yssit, ne me fist signe, mais feurent aux bar¬ rières ». Cette obstination dans la révolte eut pourtant un terme. La reine, très insinuante, avait gagné à sa cause quelques seigneurs. La mort violente et pré¬ maturée de Charles de Duras lui amena les der¬ niers opposants. Enuée de Le parti de l'«Union d'Aix» se soumet enfin in- M>rie tégralement à la reine régente et celle-ci fait son en- Tld trdans "a capitale de la Provence. Citons encore j°aL à ce sujet Jehan Lefèvre : «...Le 21 octobre, Ma¬ dame partit de Saint-Cannat,vint à Nostre-Dame de Consolation, près de Aix. Là, descendirent le roy et et la reine. Les syndics et conseils d'Aix requirent que le roy et Madame jurassent observer les choses traistées. Ils le jurèrent sur les évangiles; puis on cria «Vive le Roy». Marie, très magnanime, voulut bien reconnaître que les habitants de sa bonne ville d'Aix ne s'étaient point rendus coupables de rébel¬ lion en prenant les armes contre elle et contre (1) Sans doute Lançon. — 120 — Louis II. Elle rendit à la cité toutes ses anciennes prérogatives, car les cours souveraines avaient été transportées à Marseille, et, le 27 du même mois, le jeune monarque « fut reçu comme chanoine » (en vertu du privilège comtal), à Saint-Sauveur. Couronne- Pour affermir le pouvoir de Louis II, il ne lui ment de manquait plus, semblait-il, que d'être couronné Lou» il. comje ,je Provence. Cette cérémonie eut lieu en Avignon, le jour de la Toussaint, en présence du 1888 roi de France,- des frères du roi, des ducs de Bar et de Pierre de Navarre. La reine régente dut alors s'imaginer que la paix rêvée pouvait luire désor- Raymond mais sur son peuple de Provence.Ce fut tout le con- doTurenne. traire qui se produisit et les plus mauvais jours de l'histoire provençale allaient se lever. En face, de l'autorité et de la puissance royale se dressa bien¬ tôt une autre puissance, autrement redoutable, un bandit de haute volée, qui jeta l'épouvante et la dé¬ solation dans tout le comté. Nous avons nommé Raymond de Turenne, le seul parmi les barons pro¬ vençaux qui ne voulut pas se soumettre à Marie de Blois. Campé dans ses retranchements des Baux.de Roquemartine et de Lamanon, comme en des nids d'aigle, il n'en sort que pour piller et détruire. Il n'est hordes de barbares qui n'aient commis autant de déprédations, autant de méfaits et de vio¬ lence que ce bandit de haute volée. Plusieurs fois excommunié, plusieurs fois banni du terroir et se jouant des foudres de l'Eglise comme des expul¬ sions, reparaissant plus audacieux que jamais, en¬ levant gens et bêtes, violentant les femmes, rasant les monastères, incendiant les manoirs, détruisant les récoltes et ne laissant de son passage que la terre maltraitée et des ruines amoncelées. « Ils — 121 — comptent, disait Raymond (en parlant du Pape et des cardinaux) me lasser par leurs excommunica¬ tions, ils se trompent ; ils ne réussiront pas mieux à lever des troupes, en promettant des indulgences; j'aurai plus de gendarmes pour mille florins qu'ils n'auraient pour toutes absolutions qu'ils pourraient faire donner en sept ans. » Et Froissard, qui rapporte le propos, ajoute judicieusement * « Car les gendarmes ne vivent pas de pardons, fors au dé¬ troit de la mort. » La reine, cependant, prit des mesures énergiques pour arrêter ce nouveau fléau de Dieu; elle défen¬ dit à ses sujets de fournir aucune espèce de provi¬ sions au bandit, sous peine de punition corporelle et de confiscation de terres. Elle mit à prix la tête de Raymond et, par trois fois, les Etats Généraux furent convoqués pour délibérer sur les mesures à prendre contre cet ennemi public. Le 15 août 1390, la première délibération porte la levée à 300 lances de trois chevaux chacune, une lance, un page et un valet armés de cottes et de toutes pièces, de jacques (1) et de capellines (2), aux gages de 16 livres par mois; de 4.000 arlalétriers, montés sur deux che¬ vaux et gagés à 12 livres par mois; de 3>>0 hommes de pied à 6 florins le mois. Un impôt extraordi¬ naire fut perçu non seulement sur les laïques, mais sur les cardinaux et même sur le Pape, c'est-à- dire sur leurs possessions en Provence. Cet impôt frappait aussi tous les fruits, toutes les marchandises et les produits qui sortaient de la province; fut également frappé d'impôt le sel mau- (1) Justaucorps de peau de cerf ou de Pufle, ordinairement «ouvert de laisch.es, minces lames de fer superposées et res¬ semblant à des écailles de poisson. (2) Casque de fer, de diverses formes. — 122 — dit (1) et excommunié de Fos et d'Istres. On or¬ donna aux seigneurs de n'exiger aucun péage pen¬ dant la guerre et finalement on appelle les étran¬ gers à la rescousse pour chasser l'ennemi. Mais, malheur sans pareil, l'ennemi travaille pour son propre compte et il faut débourser 809.400 livres pour faire restituer à ces chefs de bande les ch⬠teaux dont ils s'étaient emparés. Portrait de Le récit de ces quelques années est, comme tant Raymond de précédents, absolument chaotique. La figure qui deTurenne. domine toutes les autres : papes, reine et barons. c'est celle de ce fier mécréant, Raymond de Tu- renne, dont, en un style pittoresque, Nostradamus trace ainsi le portrait : « Ce fléau de Provence, ce got et cruel Attile estoit de taille pleine et quarrée, plus tost grand que petit, avoit les membres forts et robustes, la teste grosse et ronde, le visage plein et gras, le teint couleur de miel et tirant sur le ba- zané, avoit le poil crespu et noir, les sourcils et les yeux de mesme, à l'entredeux des sourcis ayant la chair surenflée, ce qui faisoit deux plis en se ren- freignant; avoirt le nez tirant sur l'aquilin, les lèvres grasses et rouges, avec un peu de moustache noire et rouallée sur les deux gonds, au bout de l'arc de la bouche; le reste du visage et du menton sans poil au demeurant. » Aux incursions sans cesse renouvelées de Ray¬ mond de Turenne et de ses bandits, il faut ajouter les fréquentes pirateries qui s'exerçaient sur les côtes et l'on aura une idée du trouble et de la déso¬ lation qui régnaient en Provence. La reine Marie, pour y obvier, accorda aux Marseillais le droit de (1) Appelé maudit parce qu'il était défendu d'en user. — 123 — faire la guerre à ceux qu'ils jugeraient être des ennemis de l'Etat, sans attendre les ordres de haut lieu. Et un historien ajoute : le droit de faire la guerre était alors aussi naturel que la nécessité de se défendre dans un bois, lorsqu'on est attaqué par des brigands. Mais dans l'histoire des peuples, comme dans celle des individus,il semble parfois que le malheur appelle le malheur ; il y eut, en 1397, un horrible tremblement de terre; la peste noire ravagea éga¬ lement la Provence ; on vit aussitôt des théories de pénitents parcourir les rues des cités, les hom¬ mes vêtus d'un sac, les femmes arborant sur la tête une croix d'étoffe rouge, tenant par la main des enfants et se prosternant la face contre terre, en criant: miséricorde et paix ou psalmodiant le Sta- bat Mater. Dès que le fléau eut cessé ses ravages, Raymond reprit ses courses dévastatrices ; les. Etats, réunis à Aix, délibérèrent de faire le siège des places occupées par les troupes du bandit. On devait, pour la première fois, y introduire l'usage des bombardes dont le poids était de 80 quintaux et qui lançaient des pierres de 300 livres. Mais, fait curieux, les deux partis, effrayés par ces machines de guerre, n'osèrent s'en servir et ils consentirent à signer une trêve de deux ans. Dès lors, le Pape traita amiablement avec Raymond de Turenne, lui faisant compter 30.000 francs. Puis, poursuivi par les troupes du prince de Tarente et abandonné par ses partisans, le bandit se noya accidentellement dans le Rhône. A cette nouvelle, la joie fut géné¬ rale en Provence. Cependant, le sort des armes en Italie n'avait point favorisé Louis II, qui s'y était rendu, en 1390, accompagné par 21 galères.Après avoir battu — 124 — l'armée italienne à Ascoli et détaché plusieurs sei¬ gneurs du parti de Ladislas (l),il n'avait su profiter de ces avantages. De sorte que l'armée provençale repassa encore une fois les Alpes sans obtenir d'au¬ tres résultats que des pertes en hommes et en ar¬ gent. Tel devait être, d'ailleurs, le destin de toutes les expéditions d'Italie. ariage de Mais la pacification de la Provence étant devenue Loui. h. enfin complète, Marie de Blois songea à marier son fils Louis II, qu'elle avait fiancé à Yolande d'Ara¬ gon. Cette princesse, qui, d'après Juvénal des Ursins, « était la plus belle qu'on pût voir », ne possédait pas seulement cette beauté physique dont la réputation s'était étendue aux cours étrangères. Femme d'un rare mérite, elle était digne, par ses qualités intellectuelles et morales, de fixer le choix d'une femme sérieuse, comme l'avait été Marie de Blois, dans toutes les phases d'une régence qui lioo avait duré quinze ans. Les négociations du mariage ayant été traitées rapidement par le comte de Sault, le prince de Tarente, frère de Louis II, se rendit à Perpignan, où la princesse lui fut remise. Impatient de voir celle qui devait partager sa vie et dont le renom de beauté était si grand, Louis se rendit incognito à Montpellier, pour la voir, perdu dans la foule. Aucun récit n'a plus de saveur que ceux de nos chroniqueurs provençaux. « Cependant, dit Gau- fridy, la princesse fut partout reçue en reine. En abordant à Arles, avant que d'entrer dans la ville, elle alla se reposer dans une maison qui lui avait été préparée, près de la porte. Comme elle s'y fut (1) Fils de Charles de Duras. — 125 — reposée quelque temps, elle sortit à pied et alla jus¬ qu'à la porte de la ville, qu'on avait parée de reli¬ ques. Dans sa marche, elle était soutenue, d'un côté, par le prince de Tarente et, de l'autre, par le comte de Pradas, son parent. Après qu'elle eut sa¬ lué les reliques, on la monta sur un grand cour¬ sier. Les sindics la reçurent sous le dais et la con¬ duisirent jusqu'à l'église Saint-Trophime. La prin¬ cesse, ayant à sa droite, le comte de Pradas à pied et, à sa gauche, le prince de Tarente, de même. Aprez que les hymnes d'allégresse furent chantez, la princesse alla à pied au palais de l'Archevêque. Le roi et la reine-mère l'y reçurent avec toutes sor¬ tes d'honneurs et d'extrêmes témoignages de joye. Le lendemain, on fit les épousailles. 'Ce fut Nicolas de Brancas, cardinal d'Albanie, qui les fit, en pré¬ sence de grand nombre de prélats et de toute la no¬ blesse de la province. Ensuite, la reine s'en re¬ tourna au palais. Elle reçut les compliments et les présens des députés des villes, à quoy tout le jour fut employé. Les jours suivants ne furent que ré¬ jouissances publiques... » Les députés de Mar¬ seille, d'Aix, d'Avignon, de Tarascon, offrirent à Yolande « un ameublement qui estait d'or et d'ar¬ gent. » On voudra bien nous pardonner tous ces dé¬ tails, en se souvenant que cette belle mariée était la future mère de notre bon roi René. Le mariage avait eu lieu le 2 décembre 1400 ; Marie de Blois assista encore une fois à l'assem¬ blée des Etats, tenus à Arles. Ensuite, ayant réalisé en Provence tout ce que son peuple attendait d'elle, et tout ce que son fils pouvait lui demander, elle prit le chemin de la capitale de la France ; puis se rendit à Angers, où elle mourut le 2 juin 1404. Pla¬ cée entre la mystérieuse reine Jeanne et le popu- — 126 — laire roi René, la physionomie de Marie de Blois est effacée, et pourtant elle fut à la hauteur de sa tâche, qui fut parfois très ardue. A la mort de Louis I", le comté était divisé et la reine régente le laissait à son fils, admirablement pacifié, avec 200.000 écus dans ses coffres. Au sujet de son gou¬ vernement, l'opinion des auteurs varie; Gaufridy le loue sans restrictions; Papon est plus amer et plus critique. Celui-ci lui reproche la somme exorbi¬ tante qu'elle laissa. On avait incriminé Jeanne Iro pour ses prodigalités, tant le métier de roi et même de reine est difficile ! Modes de Pour situer Marie de Blois et la voir dans le mi- répoque. ]jeu 0,y eqe vé.Cut, ajoutons quelques détails sur les modes de son temps, qui furent déjà excentriques. Au XIIP siècle,les costumes étaient sévères et s'ins¬ piraient des mœurs de l'époque. Au siècle suivant, tout prend une allure opposée et les idées et les choses extérieures. « Les dames et demoiselles, dit Juvénal des Ursins, menaient grands et excessifs états, et cornes merveilleuses hautes et larges, et avaient de chaque côtés, deux oreilles (1) si larges et si grandes que, quand elles voulaient passer l'huis de la porte, elles devaient se tourner de côté et s'abaisser. » Les prédicateurs ne manquèrent pas de s'élever contre ce luxe et cette extravagance.En 1346, les hommes avaient des robes si courtes qu'elles ne leur venaient pas à la ceinture ; elles étaient si étroites qu'il semblait qu'on les écorchait en les enlevant, ils semblaient plutôt être jongleurs qu'autres gens. Le luxe fut si grand en Provence (l) Aussi cette coil'fure s'appelait_elle le « claque-oreilles » quelquefois elle était chargée de perles et de pierres précieuses. — 127 — que les magistrats de la ville d'Aix, en 1411, « por¬ tèrent plainte au roi comme d'une chose qui rui¬ nait les familles. » Aussitôt Louis II leur donna plein pouvoir pour réprimer le luxe dans les deux sexes. Les hommes se conformèrent, disent les mé¬ moires du temps, à cette « réformation », mais les femmes s'y soumirent et non toutes, avec peine. Chapitre XVI YOLANDE D'ARAGON. — René d'Anjou hérite du comté de Provence et du royaume de Naples Régence de Louis II meurt à Angers, le 29 avril 1417, ne Yolande laissant que des fils mineurs et une nouvelle ré- d'Aragon. gence s'ouvre, celle de sa veuve, la chère reine « Yolande » des Provençaux. Dans toute circons¬ tance, soit publique, soit privée, ses hautes qualités s'affirmèrent. Quelques mois après la mort de Louis II, Yolande reçut à Angers les députés des un Etats de Provence, qui lui représentèrent les mê¬ mes doléances qu'à Marie de Blois. Au sujet de la justice, au sujet des exemptions précédemment accordées aux Juifs, au sujet de la diminution des feux et des descentes des officiers royaux qui cons¬ tituaient des charges pour les communautés, les députés firent des réclamations à la reine régente, et celle-ci,en ayant reconnu la justesse, leur accorda tout ce qu'ils demandèrent. Par le même acte, Yolande révoqua « tous les édits par lesquels ses prédécesseurs avaient dérogé aux lois, coutumes et privilèges dont la province était depuis longtemps en possession. » — 128 — Un acte d'une grande importance s'accomplit au début de la régence de la veuve de Louis II. Le comté de Nice, Puget-Théniers, Barcelonnette, qui n'avaient pas voulu reconnaître les accords de la ville d'Aix du 1" octobre 1387, étaient souvent le théâtre d'hostilités, le comté de Nice s'était de lui- même donné au duc de Savoie. Yolande ratifia ce don en le cédant au duc, ainsi que la vallée de Bar¬ celonnette; cette cession était faite au nom de son fils et de tous ses descendants. En échange, le duc de Savoie faisait l'abandon de la somme de 2.000.050 mille livres, que son aïeul Amé VI avait dépensées pour secourir Louis I" d'Anjou, lors de sa malheureuse expédition d'Italie. L'ancienne pro¬ vince des Alpes-Maritimes se trouva séparée pour longtemps de la Provence. Dès que Louis III fut en âge de porter les armes, Louis m ii se rendit en Italie, avec une flotte bien équipée, pour î itahe. apn ^ disputer le trône de Naples à Alphonse d'Aragon, que la reine Jeanne II (1) avait adopté. Sièse de Mais ayant ensuite retiré cette adoption, pour en Marseille par faire bénéficier peu après Louis III, Alphonse, fu- ies Aragonais. rj-euXj voulut se venger sur la ville de Marseille, qui avait soutenu Louis III. Sa flotte vint mouiller au Château-d'If. C'est là qu'il tint son conseil de guerre et résolut de s'emparer du port. La petite garnison du fort Saint-Jean se défendit d'abord vaillamment, puis quand les flammes l'enveloppè¬ rent de toutes parts, elle demanda à capituler. Al¬ phonse accepta sur le champ cette proposition, exi¬ geant seulement que les Marseillais se rendissent (1) Sœur de Laclislas et fille de Cùarles de Duras. Accord avec le Duc de Savoie. 1419 — 129 — aussi; au contraire, ils se battirent avec plus d'acharnement encore. « ...Ce qui fit entrer le roi d'Aragon au feu d'une telle rage qu'il commanda tout outré de forcenerie que la chaîne fût rompue. Cette chaîne de fer, qui fermait le port de Marseille, fut donc enlevée et emportée (1) par les Aragonais, ainsi que la châsse de Saint-Louis, évêque de Tou¬ louse. » Ils ne se contentèrent pas de cela. Entrant dans la ville, ils la réduisirent à un pillage en rè¬ gle, n'épargnant que les églises dans lesquelles les maheureux habitants s'étaient réfugiés ; le plus horrible, ce fut l'incendie qu'ils provoquèrent et qui détruisit 400 maisons. Lorsque, après quatre jours de pillage, les Aragonais se furent retirés, des gens des villages voisins et même, dit-on, quelques habi¬ tants de la cité continuèrent l'oeuvre de destruction et de rapine; ceux-ci, afin de n'être pas reconnus, avaient noirci leur visage et on les appela des Mas¬ caras. Alarmée par le trop grand nombre de coupables qu'il eût fallut châtier, la reine régente accorda un pardon général; elle enjoignit aux déserteurs de la ville d'y rentrer, et, pour faciliter la reprise du commerce, complètement arrêté, elle exempta les habitants d'impôts durant trois ans; elle ordonna également aux créanciers de n'exiger le paiement de leurs créances, qu'après ce même laps de temps. On le voit, sauf des faits de médiocre importance, rien n'illustra (2) en Provence la régence de Yo¬ lande. Son champ d'action fut plus vaste et dès que le pape Martin V eut donné, l'investitude du royau¬ me de Naples à son fils aîné Louis III, la reine de (1) On la volt aujourd'hui dans la cathédrale de Valence. (2) Elle embellit la ville d'Aix qui lui dut la construction de plusieurs fontaines. 9 — 130 — Sicile employa toute son énergie, toute son intelli¬ gence et les élans de son grand cœur à sauver la France, qui se mourait. Chargée de réunir à Blois le parti national, dont elle était l'âme, et voyant que l'argent manquait pour organiser le ravitail¬ lement d'Orléans, elle engagea sa vaisselle et se ruina pour la défense du royaume. Aussi, Charles VII, son gendre, ne l'appelait-il que sa « bonne mère ». La reine Yolande avait eu plusieurs enfants et d'abord celui qui régna sous le nom de Louis III, puis René, ensuite Marie d'Anjou, l'épouse de Charles VII; Yolande et enfin Charles du Maine. René vit le jour au château d'Angers, le 16 janvier 1409. Il eut de nombreux parrains et de nombreu¬ ses marraines (1); on put croire, dans la suite, que chacune de ses marraines, transformée en gra¬ cieuse fée autour de son berceau, avait octroyé à l'enfant des dons éminents. Celui-ci eut surtout l'exemple et les leçons de son admirable mère et il hérita moralement d'elle, puisqu'il mérita le titre de Bon. 24 Octobre Notre futur roi est un si gentil prince que rien U20 de ce qui le touche ne peut nous être indifférent. Nous ne serons donc pas fâchés d'apprendre qu'il porta le nom de comte de Guise, tant que vécut son frère aîné (2) et qu'il partagea tout enfant les jeux de son cousin, le futur Charles VII. Vers l'âge de douze ans, il épousa Isabelle, héri¬ tière de Lorraine. De grandes fêtes eurent lieu à Nancy, à cette occasion. Dès lors, René quitta la tutelle de sa mère pour vivre sous celle de son (1) Tel était l'usage de l'époque. (2) Du moins tant que René ne fut pas duc de Bar. — 131 — beau-père, Charles II. Le jeune prince, à la taille élevée et forte, au visage régulier, à l'air avenant et plein de bonhomie, « charmait les dames qui le voyaient volontiers ». La princesse Isabelle, élevée par une mère dont les qualités rappelaient celles de la reine de Sicile, apprit à devenir une épouse fidèle, à supporter courageusement l'adversité, et à Premières régir un royaume. René fit ses premières armes sur armes de un terrain restreint ; il dut lutter contre son oncle, René' Antoine de Vaudemont, qui lui disputait son duché de Bar, dont il avait hérité. Mais ce qui compte vraiment comme fait d'armes au jeune prince, ce fut sa campagne près de Jeanne d'Arc. Au risque de mécontenter son beau-père, l'allié des Anglais, il emmena un corps de troupes barrisiennes, qu'il présenta à Jeanne, la veille du sacre de Charles VIL II se trouva parmi les chevaliers qui entourè¬ rent l'héroïque jeune fille, atteinte d'une flèche dans un fossé, autour de Paris. Revenu en Lor¬ raine, après la mort de son beau-père, Charles II, René fut acclamé aux cris de «Noël». Mais cette aurore de paix n'était que le prélude de la guerre. Antoine de Vaudemont, soutenu par le duc de Bourgogne dévaste le Berrois. René appela ses troupes sous les armes; à la sanglante bataille de Bulgnéville, emporté par sa furia, il ne remarque pas qu'il est séparé de ses fidèles; il continue à frapper d'estoc et de taille, même après avoir reçu trois blessures, dont une balafre qui rendait son René est f it v*sa§e inoubliable. Obligé de se rendre, l'honneur prisonnier.' était sauf, car il conservait la possession de son duché. Il fut em(mené prisonnier au château de Bracon, puis à Rochefort et enfin conduit à Dijon et étroitement gardé dans la cour du château qu'on appela dès lors tour de Bar. Là, il occupait ses loisirs à exécuter des travaux d'art. Mais un jour il fut distrait de ses travaux par une nouvelle inat¬ tendue. Vidal de Cabannes, gentilhomme provençal venait lui annoncer la mort de son frère Louis III, qui le désignait comme son successeur au royau¬ me de Naples, et au Comté de Provence. Bien plus, la reine de Naples, Jeanne II, l'instituait son héri¬ tier. Aussitôt le nouveau monarque se hâta, par let¬ tres données à Dijon le 4 juin 1435, de nommer sa , femme régente du royaume de Naples et du Comté René appelé ° „ , , , , , aux trônes de de Provence. Cette.regence dura deux ans, pendant Naples et de lesquels la vaillante reine ne cessa de travailler Provence. pour obtenir la mise en liberté de son époux; elle U35 recueillit de profondes sympathies en Provence et en Italie elle déploya toute son habileté à susciter des partisans à la cause d'Anjou, le royaume de Naples étant disputé par Alphonse d'Aragon que la reine Jeanne II avait d'abord nommé son héri¬ tier, puis répudié. Enfin le 28 janvier 1437 René, moyennant une rançon de 400.000 écus d'or et quelques terres en Flandre, cédées à Philippe duc de Bourgogne, re¬ couvrait la liberté. Après un court séjour en Anjou Arrivée du qu'administrait avec une rare compétence la rei- Roi Renéen ne Yolande, le prince arrive à Arles, le 7 décembre Provence. 1437, où les Provençaux le fêtèrent avec tout leur 1437 cœur et leur exubérance qui ne déplut pas au nou¬ veau souverain. La province lui offrit un don gra¬ tuit de 100.000 florins représentant la moitié de sa rançon. A Marseille il reçoit non seulement l'hom¬ mage des consuls, mais aussi de la foule impatiente qui fait irruption dans la salle de l'abbaye St-Vic- tor. Assis sur un trône magnifique, il voit tout un peuple défiler devant lui et lever la main droite en signe d'hommage. — 133 — Chapitre XVII LE BON ROI RENE I ' Nous devons au roi René un des chapitres les plus charmants de notre histoire. Depuis le jour où, suivant la tradition provençale, il fut nommé cha¬ noine du chapitre d'Aix, en la Métropole de St Sau¬ veur, jusqu'au jour où sa dépouille mortelle y res¬ ta provisoirement déposée, iî devint complètement nôtre. Son caractère rond, jovial, tout en dehors, s'adapta merveilleusement au caractère de ses su¬ jets. Autant il fut malheureux, autant ceux-ci l'ai¬ mèrent. Cependant la reine Isabelle pressait le roi de venir en Italie, où son compétiteur mettait en œu¬ vre et la force et la ruse pour rentrer en possession U38 du royaume de Naples. Le pape et les Génois se déclarent en faveur du prince français qui, le 19 mai accosta au pont de la Madeleine, où la reine I E ( Isabelle leurs fils et leur petite belle-fille, Marie de Roi Triple. Bourbon, l'attendaient. Quelques jours après son arrivée, en la fête de l'Ascension, le roi ayant pris place sous le dais, parcourut la ville à cheval. Le nouveau souverain consacra les premiers mois de son séjour à Naples, au règlement des affaires ad¬ ministratives, de la justice et du commerce. Il eut à peine le temps de goûter la joie de posséder en paix cette ville magnifique et de jouir en artiste de la vue de Ce beau golfe. Le roi d'Aragon s'em¬ para dès le mois d'août des places fortes des Abruz- zes, que les Angevins, à la vérité, reprirent bientôt l'une après l'autre. L'hiver se passa ensuite tran- — 134 — quillement, sans escarmouches, et les Napolitains virent que leur roi aimait les tournois et les fêtes. Cependant la bannière d'Aragon flottait toujours sur le Chateau de l'Œuf et sur le Castel Nuovo, menace perpétuelle pour la ville de Naples. Le roi René fit bloquer du côté de la mer ces deux forte¬ resses par des navires génois, ses alliés; ceux-ci emportèrent d'assaut une des grosses tours de la première forteresse; le Castel Nuovo, qui avait te¬ nu encore quelques mois, capitua le 23 août 1439; le lendemain, le château de l'Œuf se rendait éga¬ lement. Bien que la capitale du royaume fut complète¬ ment dégagée, le roi d'Aragon n'avait pas aban¬ donné la partie. Malheureusement, le roi René perdit un précieux appui dans son vieux général Jacques Caldora. Peu à peu, les Aragonais revin¬ rent en force dans la terre de Labour. Antoine Cal¬ dora, fils du précédent occupait les positions des Abruzzes et se trouvant dans une situation pré- Exploit du caire, il manda au roi de Sicile son dénûment, le Roi René, priant de venir lui-même réconforter ses partisans C'est à la suite de cet appel que René accomplit cette invraisemblable équipée, commencée au mi¬ lieu de la nuit avec une poignée d'hommes, la plu¬ part partis à pied, pour suivre sur l'heure, à travers la neige et les montagnes abruptes, celui qui était déjà leur bon roi et traversant à la course les grou¬ pements ennemis. On dirait plutôt ici une page d'épopée qu'un récit historique, rien n'y manque: l'intrépidité, la bonne humeur, l'affabilité, la géné¬ rosité du geste. Revoyons par la pensée ces bandits qui, ayant attaqué la petite troupe royale, s'atten¬ daient à être pendus, lorsque le roi, se faisant con¬ naître, les laissa aller, leur disant qu'il était venu ----- 135 — pour sauver ses sujets, non pour les faire mourir. Assistons à cette scène comique, René faisant cuire lui-même ses œufs, repoussant le verre qu'on lui offre, pour ne pas déroger aux coutumes locales, puisque, dans ce pays, on ne se servait que de tas¬ ses de terre. Un moine, qui avait souvent servi de guide à la petite troupe, déclara qu'il eût voulu mourir, après avoir hébergé son souverain. Cette expédition suscita des partisans dévoués au prince angevin, car sa faible escorte s'était accrue d'un millier de lances. Mais la défection d'Antoine Caldora porta un rude coup aux affaires de René dans la péninsule, siège Bientôt, Alphonse d'Aragon obstrua toutes les rou- Napiea. tes de la capitale et la bloqua, s'emparant des vais¬ seaux qui apportaient des vivres à Naples. Dans cette triste situation, l'on vit éclater les qualités de cœur du roi René. Il était de ceux que l'adversité rend encore meilleurs. Partageant toutes les fati¬ gues et les privations des assiégés, il parcourait la ville à toute heure du jour et de la nuit, disant une bonne parole à chacun. Quand la viande de bou¬ cherie fit défaut, on se nourrit des animaux domes¬ tiques et ensuite des « plus vils ». Vint le moment où l'on ne put distribuer que six onces de pain par jour aux hommes de garde, tandis que les autres ne recevaient rien du tout. Dans cette extrême di¬ sette, on n'entendait aucun murmure. Le bon prince était si aimé que lorsque, voulant abréger les souffrances de son peuple, il lui communiqua le projet de traiter avec Alphonse dans des condi¬ tions acceptables, tous en furent affligés. Cela dura 1442 pourtant sept mois, au bout desquels les Arago- nais entrèrent dans la ville par un aqueduc, qui avait servi autrefois aux Goths à s'introduire dans — 136 — Naples. Le roi René fit à ce moment des prodiges; il se battit en désespéré, mais sa cause était per¬ due; le manque de numéraire l'avait empêché de lever de nouvelles troupes. De plus, il n'était qu'un loyal et vaillant chevalier, non un tacticien. Il quitta sa capitale et attendit tout l'été à Florence, espérant que la fortune lui sourirait à nouveau ; d'ailleurs, Sforza tenait toujours pour lui dans les Le Roi René Marches. Enfin, il décida de retourner en Provence, rentre 0ù ies améliorations qu'il allait apporter à l'indus- en Pravence. |rje ej- ^ pextension du commerce pouvaient atté¬ nuer chez lui le chagrin d'avoir perdu sa couronne. Nous retrouvons le bon roi à Aix, partageant son temps entre la peinture et la poésie et l'administra¬ tion de son comté, habitant tantôt le palais comtal qu'il avait fait agrandir, tantôt sa bastide de Gar- dane, où il se livrait au goût particulier qui le por¬ tait à élever des bêtes ovines. Il aimait séjourner à Tarascon, avec sa femme Jeanne de Laval, mais partout s'affirmait son amour pour l'étude ; dans cette ville, il s'enfermait en « un retrait ou escrip- LRUXRUé ^ozre' qu'il avait fait orner de verrières. Et pour se séLrnl reposer du travail intellectuel, il descendait dans sejounm. jardinS achetés en 1478 et 1479. C'est à Taras¬ con qu'eut lieu, en 1449, le tournoi appelé Pas de la Bergère, tournoi fameux qui dura trois jours. Il se rendait aussi à Peyrolles, dont il fit restaurer le château, à celui de Pertuis (1). A Marseille, il pos¬ sédait une maison royale (2), mais il se promenait souvent sans escorte, dirigeant ses pas vers (1) CMteau que le roi René légua a Jeanne de Laval, sa seconde femme. (2) Rue du Palais, d'après A. Fabre, « grand édifice qui avait sa façade principale sur la grève du p.ort et qui visait aussi sur la rue ». Rues de Marseille, I. II, p. 202. _ 137 — l'abbaye de Saint-Victor, auprès de laquelle étaient ses jardins. Il porte une longue robe de couleur fon¬ cée; sa tête, couverte d'un bonnet de velours noir, émerge d'une fourure brune, arrondie en fraise. Il devise familièrement avec les patrons pêcheurs ; il hume avec délices l'air léger de sa Provence et se réchauffe à son gai soleil. Peut-être son imagina¬ tion d'artiste l'emporte-t-elle au loin ■ Peut-être le souverain rêve-t-il à ce beau golfe de Naples, à cette terre lumineuse sur laquelle il a lutté pen¬ dant quatre ans et qu'il a perdue à jamais ? D'autres fois, René se rend à Goult, pour assis¬ ter aux progrès de l'industrie verrière qu'il a créée. Il se plaisait, étant en voyage, à loger chez quelque modeste particulier qu'il appelait son « cher compère » et lui laissait son portrait, crayonné au charbon sur les murs de sa chambre à coucher, ou sur la porte de son logis. Les malheurs n'altérèrent pas la sérénité du bon eurs du A R=né. r°i- Ces malheurs se succédèrent pour lui : il per¬ dit son second fils, puis sa femme, la vaillante Isa¬ belle, qui succomba à une maladie de langueur, en 1453 (1). Sa fille, Marguerite d'Anjou, mariée au roi d'Angleterre, proscrite, abandonnée de tous, pendant que son mari était enfermé dans la tour de Londres, vint se réfugier dans le Barrois et tomba à la charge de son père. Or, les finances de son père étaient souvent peu brillantes et se trouvaient pré¬ cisément, alors dans un état lamentable. Poussé par Charles VII et peut-être aussi dans la secrète pensée de recouvrer son royaume de Naples, René avait tenté une expédition armée en Lombardie ; cette expédition ne lui causa que des ennuis et lui (1) René épousa Jeanne de Laval deux ans plus tard. t — 138 — montra une fois de plus l'égoïsme des ducs ita¬ liens. Comme compensation à cet échec, et par un extraordinaire revirement de la politique, des députés catalans vinrent offrir au comte de Pro¬ vence la couronne d'Aragon. René l'accepta, non pour lui-même, mais pour son fils aîné Jean, qui avait donné de si hautes preuves de valeur durant la conquête du royaume de Sicile. Le prince Jean entra donc en Catalogne avec des troupes proven¬ çales et au moment où son autorité semblait de¬ voir s'affermir et s'étendre en Aragon, il mourut presque subitement, empoisonné, crut-on, par une main criminelle. Ce dernier coup acheva de détacher le roi René des ambitions humaines. Louis XI, son neveu, lui enleva l'Anjou et le Rarrois. On prête à ce sujet le propos suivant au comte de Provence : « ...Le roy de France n'aura point de guerre avec rnoy, car mon âge de 65 ans ne s'adonne plus aux armes et n'en saurait porter le travail.Mais Dieu,qui est vray juge, jugera entre luy et moy. Jà longtems que j'ay proposé de vivre le reste de ma vie en paix et re¬ pos d'esprit, et le feray s'il est possible ». A dater de ce jour, il se cantonne en Provence et y mène la vie d'un bon bourgeois. La reine Jeanne n'était venue qu'une fois en Pro¬ vence; ses sujets l'aimaient comme une princesse lointaine et presque fabuleuse; mais René passa une partie de sa vie dans ce comté, d'abord dans sa maturité, pour y chercher des subsides ; puis dans sa vieillesse, pour y vivre en paix, ainsi qu'il l'avait dit. Aussi fût-il le plus populaire de nos souverains et au rapport d'un vieil historien, les Provençaux l'aimèrent à l'excès. Comme un vrai père de son peuple, le bon roi s'occupa de tout ce qui, dans la — 139 — science agricole et industrielle et dans les relations commerciales pouvait améliorer le sort de ses su¬ jets. On rapporte nombre d'anecdotes sur le bon roi René. Après la perte du royaume de Naples, il com¬ bla de libéralités les seigneurs qui avaient partagé ses peines durant cette rude campagne. « Vous ver¬ rez, disait-il, d'un gentilhomme, qu'à la parfin, il me demandera mon comté de Provence. » Sa géné¬ rosité ne s'étendait pas seulement sur les seigneurs; les pauvres n'étaient point en oubli devant lui et il ne pouvait supporter que l'on pillât le peuple. Il dégrevait les communes, lorsque des gelées tardives compromettaient les récoltes et quand il déchar¬ geait quelque particulier de la taille, c'était au dé¬ triment de son propre trésor. Il réprima les abus et réforma la procédure. Ce qu'il y a de curieux dans notre histoire provinciale, c'est que tous les souverains réformèrent les lois et réprimèrent les abus ; il y a tout lieu de croire que ces abus se glissaient vite dans les rouages administratifs, ce¬ pendant alors peu compliqués. Le budget de René se réduisait à 15.000 florins (1) que ses revenus dépassaient grandement. Sa vie était simple et frugale ; quelques chiffres en don¬ neront un aperçu : 4 pièces de toile bleue pour les rideaux du lit du roi, à raison de 1 fl. 2 gros la pièce. Pour faire un pourpoint au maure, 1 fl. six gros ; Un sac de cuir pour mettre le sucre en poudre, environ 10 sous ; 15 écus (79 r.) de gratification à l'astrologue du roi, pour un voyage à Lambesc, où il a fait le Juge¬ ment de l'année, c'est-à-dire un almanach. .-.aviron -J <0.000 fr. do noire monnaie. — 140 — 1 florin au fol qui a dansé la morisque (1) devant le roi à Orange. La ville d'Arles dépensa seulement 39 fl. 5 gros, 6 deniers (379 fr. 10 sols), pour recevoir René, en 1473. A cette époque, les Etats réglèrent le prix des denrées au cours du siècle précédent, savoir : Les souliers d'hommes faits de cuir et propre¬ ment, 2 sols 6 deniers. Ceux de femmes, 20 den. ; Un quartier de veau gras, 1 livre ; La livre de menon, de chèvre, ou de bouc, 3 oboles. La livre de cochon frais, 2 den. 1 obole. La journée d'un ouvrier pour tailler la vigne, 16 den. ou 13, suivant la saison. Celle d'un faucheur, 2 livres. Un poulet valait depuis 10 deniers jusqu'à 15 ; 2 œufs, 1 denier; une perdrix, 12. Les gages annuels des servantes étaient de 40 flo¬ rins. Le personnel de la maison du roi René, en Pro¬ vence, lui coûtait, pour la nourriture, 2 gros et 2 patats par jour et par tète. Voici de quelle ma¬ nière il transportait sa maison, lorsque, d'Angers, il venait en Provence, et vice-versa. Il faisait diri¬ ger du Maine à la Loire sa flottille jusqu'à Roanne (par voie de terre de Roanne à Lyon). Ce n'était pas un spectacle banal que cette file de barques,sur lesquelles prenaient place son conseil et ses gens, des seigneurs angevins et des chevaliers proven¬ çaux. Ses meubles, sa vaisselle, ses superbes tapis- (1) Dansé, tantôt par plusieurs personnes ensemble et cmel- quefois par des enfants : d'autres fois comme ci-dessus par un seul. Pour faire danser les dames, le roi René payait des « tambourinaires ». — 141 — sériés (1) descendaient le Rhône jusqu'à Taras- con (2). On sait que le roi René institua les jeux de la Fête-Dieu, « pieuse farce qu'il aimait et qui re¬ présentait le Iriomjihe de la religion chrétienne sur le paganisme. » Il fonda l'ordre du Croissant, ordre mi-religieux et mi-charitable, dont la devise était los en croissant, la marque distinctive, un croissant d'or, émaillé sur le bas droit et le nom¬ bre des chevaliers de cinquante. René aimait les grandes et les petites choses, les fleurs, les arbres de ses forêts qu'il faisait entretenir avec grand soin, il se plaisait à faire de longs séjours dans ses bastides d'Aix, de Marseille, de Gardane ; il affec¬ tionnait les bêtes, surtout les « estranges », les oiseaux qui peuplaient ses volières; c'est ainsi qu'il fit avancer la zoologie et la botanique. Mais, ne per¬ dant jamais le point de vue pratique et le bien de ses sujets, il 'favorisa l'agriculture, en encoura¬ geant la plantation des mûriers pour l'élevage des vers à soie et en propageant les raisins muscats. Il donna une grande impulsion à l'orfèvrerie (3) et accorda à tous les marchands de l'univers, à quel¬ que religion qu'ils appartiennent, la libre entrée du port de Marseille, pour y faire du commerce com¬ me bon leur semblerait. La science et les connaissances du roi René (IV II avait en Provence une tapisserie vermeille à dessins noirs et a Angers une chambre rie broderie d'or, des tentu¬ res à fleurs de lis et aux armes d'Anjou et surtout une merveil¬ le de travail appelée l'Apocalypse. (2) Il fallait environ quinze jours pour effectuer ce voyage. (S) H employait pour cet art, des matières premières four¬ nies par les mines des montagnes de Provence et par celles des duchés de Bar et de Lorraine qui lui procuraient de l'or et de. l'argent, du cuivre et de rétain ou encore par les pêche¬ ries de corail des côtes de Provence et d'Italie. — 142 — étaient fort étendues; sa bibliothèque renfermait des livres hébreux, grecs et latins, des livres ita¬ liens et allemands, des livres de droit, de philoso¬ phie, de physique, d'anatomie, etc., etc. Ses prin¬ cipales œuvres sont: le Livre des tournois, l'Abuzé en Cour, le Mortifiement de vaine plaisance, ainsi que des mystères et des rondeaux. Mort du Le bon roi mourut à Aix, le 10 juillet 1480. Les Roi René, regrets qu'il laissait éclatèrent spontanément à sa mort. S'il fut apprécié pendant sa vie, il n'en alla pas toutefois de même après sa disparition. A la demande des Etats, divers statuts qu'il avait pro¬ mulgués furent abolis. Ainsi les tarifs douaniers appliqués sur l'exportation et sur l'importation des laines, des céréales et des peaux furent trouvés plu¬ tôt préjudiciables qu'avantageux au commerce et aussitôt supprimés. Le roi René avait nommé un juge des crimes, c'est-à-dire un fonctionnaire qui exerçait la justice au-dessus du juge Mage et de la Chambre des Comptes; c'était lui qui infligeait des amendes aux délinquants, quels qu'ils fussent, no¬ bles, ecclésiastiques ou marchands, amendes dont le montant entrait dans la cassette du souverain. Il avait également créé l'office de maître des ports et passages, censé pour veiller à la sécurité publi¬ que, en réalité pour contrôler la perception de l'im¬ pôt sur les marchandises et sur les produits, à leur entrée dans le comté et à leur sortie. Les fraudeurs étaient passibles d'une amende ou leurs convois confisqués, toujours au profit du trésor royal. Dans leur première réunion tenue après la mort du roi René, les Etats réclamèrent la suppression du juge des Crimes, du Maître des ports et passa¬ ges, ainsi que celle du Prévôt des Maréchaux et du général des Monnaies, emplois jugés inutiles et oné- — 143 — reux. Les historiens modernes ont reproché à René d'avoir protégé les Juifs et d'avoir été souvent à court d'argent. Cela est vrai, mais pas plus alors qu'aujourd'hui, rien ne se faisait sans argent. Pri¬ sonnier au moment où il était apppelé à ceindre la couronne comtale de Provence, les débuts du règne de René avaient été durs; il eut d'abord à payer une rançon exorbitante et ensuite à entretenir des troupes, afin de disputer à Alphonse d'Aragon le royaume de Naples; s'il n'avait essayé de conqué¬ rir ce royaume, on l'aurait assurément taxé de fai¬ blesse et d'insouciance. On l'a dit dépensier et peu prévoyant. Cela est vrai encore, si on le juge en roi et en administrateur; mais n'était-il pas aussi ar¬ tiste? Enfin, vu à travers ses livres de compte (1), il apparaît comme un prince à expédients. Cepen¬ dant, en plusieurs occasions, il a été précurseur — quand, par exemple — il est libre échangiste. Il a été surtout un émule des princes de la Renais¬ sance. Charles ro* René léguait le comté de Provence à son Ju Maine neveu Charles du Maine. Celui-ci confirma les pri¬ vilèges du pays; puis il consentit, nous venons de le dire, à accomplir les réformes demandées par les Etats et promit « de ne point lever d'impôt » sans le consentement de cette assemblée. A peine Charles fût-il en possession du comté de Provence que René II, duc de Lorraine et de Bar, fit valoir ses droits héréditaires — étant petit- fils du roi René — sur la Provence ; mais le roi de France, à qui devait échoir la succession de Char¬ les du Maine la défendit vivement. Charles prépa- (1) Arcli. des B.-du-Rhône. V. Bourriley et R. Busquet. — 144 — rait une expédition contre le royaume de Naples,. lorsque la mort de sa femme le retint à Marseille. Il languit lui-même quelques mois et s'éteignit le 14 décembre 1481. Mon de Suivant les volontés suprêmes du roi René, le ^Charles comté de Provence revenait à son neveu Louis XI et après lui, à Monsieur le Dauphin et à la cou¬ ronne, avec les clauses expresses, disait Charles dans son testament « de traiter avec bonté ses su¬ jets de Provence et des terres adjacentes (1) ; de leur conserver leurs privilèges, leurs franchises et leurs libertés et de les maintenir dans leurs usages, leurs coutumes et leurs lois, comme il avait fait lui- même, conformément au serment qu'il avait prêté dans l'assemblée des Trois-Etats, après la mort du roi René ». Chapitre XVIII DE L'ORGANISATION CIVILE ET DES INSTITUTIONS PROVENÇALES SoUS la On aurait une idée incomplète de l'ancienne domination Provence, si on ignorait le jeu de ses institutions et romaine son organisation civile. Malgré son aridité, abor¬ dons ce sujet et disons-en en quelques mots, puis¬ qu'il est comme l'ossature de l'histoire. Les anciens peuples qui habitaient notre sol, (1) On entendait par « terres adjacentes » celles qui n'avaient pas été tout d'abord sous la dépendance des souverains, mais rattachées postérieurement à la Provence. Telles étaient Mar¬ seille et son territoire, Arles, Salon, et quelques autres villes qui étaient subordonnées à l'administration de l'intendant sans reconnaître l'autorité des Etats. — 145 lions l'avons dit déjà, vivaient dans un état voisin de la barbarie; ils ne connaissaient guère de lois, mais se conformaient aux habitudes de leurs tri- 1ms. Ils obéissaient, cependant, à un chef et chaque oppidum honorait ses divinités locales. La civilisation est entrée en Provence avec l'ar¬ rivée des Phéniciens à Marseille, puis lorsque les Romains eurent conquis la Gaule, ils s'empressè¬ rent de lui imposer des lois et une organisation po¬ litique calquée sur celle de Rome. Le représentant de l'Empire était dans les pays conquis, un procon¬ sul nommé par le Sénat lui-même; ce proconsul gouvernait la Gaule Narbonnaise; il transmettait les ordres de l'Empereur et écoutait les doléances des citoyens. A leur tour, les délégués des munici- pes et des colonies, en se rendant à Rome, pour assister aux cérémonies du culte des empereurs, exprimaient librement l'opinion de leurs conci¬ toyens sur le gouvernement du proconsul et en fai¬ saient la critique si besoin était. Le proconsul avait la haute main sur les collecteurs d'impôts; impôts fonciers, impôts successoraux et sur la vente des esclaves et leur affranchissement, dont le taux était de 5 o./o. Les droits de douanes, de péage et de tran¬ sit rapportaient énormément à l'Etat. Si César fut le conquérant de la Gaule, Auguste en fut le législateur. C'est lui qui, comprenant que notre province était facilement assimilable, en fit quelques années après la conquête, une province impériale, non occupée par les légions. Deux ma¬ gistrats, les dutimvirs rappelaient dans les colonies et les municipes les conseils de Rome; on appelait édiles ceux qui étaient chargés de la police. Les. uns et les autres étaient nommés par les décurions et quelquefois désignés à ces fonctions par le peu- 10 — 146 — pie lui-même, qui les réclamait par voie de péti¬ tion. Des questeurs administraient les finances mu¬ nicipales, inspectées par un curateur étranger à la cité. Telles étaient, dans l'ensemble, les lois qui existaient dans la Narbonnaise, à l'exception, cependant, de Marseille, ville libre (civitas fse- derata) isolée des autres cités et conservant ses traditions grecques. Mais, sous les empereurs, Ar¬ les remplaça Marseille comme port commercial. À Arles fut établi un collège ou corporation d'utricu- laires pour le transport du vin, ainsi qu'à Cavail- lon et à Saint-Gabriel (Ernaginum). Les utriculai- res naviguaient sur les étangs de la région arté¬ sienne; ils effectuaient également le passage du Rhône. A Arles se trouvait aussi le siège des Nau- tes, bateliers, qui descendaient le cours de la Du- rance, de ï'Ardèche et de l'Ouvèze, et qui. au lieu de renfermer le vin dans les outres, le chargeaient dans des barriques; ces nautes étaient, paraît-il, des personnages, car ils occupaient une place d'honneur dans les amphithéâtres. Les corpora¬ tions de bateliers, qui jouissaient du monopole de la navigation, étaient réunies en une seule, celle des naviculaires arlésiens; celle-ci avait ses procura¬ teurs, ses patrons, son bureau, son appariteur. L'annone (nous dirions aujourd'hui la compagnie) se chargeait de faire transporter le blé et l'huile à Rome, qu'un employé des bureaux accompagnait pour surveiller au départ l'exactitude du poids, de la cargaison et la vérifier à son arrivée à Ostie. Les ouvriers des constructions navales, les charpen¬ tiers, les fabricants d'étoffes, de laine, etc., étaient également groupés en corporations. — 147 — Pendant la Cet état de choses subsista, avec des différences féodalité. pjus ou mojns notables, jusqu'à la féodalité. Mais, fait digne de remarque, nos anciennes institutions procédaient d'un idéal démocratique. Les Francs avaient introduit en Provence, comme dans toute la Gaule, le système foncier du franc-alleu, c'est-à- dire de la propriété héréditaire et dont la trans¬ mission était exempte de redevance. Les propriétai¬ res, hommes libres, ne devaient aucun service, mais prêtaient seulement au souverain le serment de fidélité. A cette époque, les chefs de famille se réunis¬ saient pour délibérer entre eux et résoudre toutes les questions qui les intéressaient. Avec la féoda¬ lité, d'autres coutumes s'établissent et font loi, inaugurant un nouveau système politique et social. Presque chaque village eut son seigneur qui Seigneuries s'attribua des droits plus ou moins justifiés: droit d'albergue, qui consistait au cours d'un voyage, à être hébergé par ses vassaux; droit de cavalcade ou chevauchée, que les sujets devaient faire à cheval pour le service du roi ou du seigneur; droits de questes (1) ou quistes, présents faits au seigneur à l'occasion du mariage de ses filles et au départ du seigneur pour la Croisade. Une exception était faite en faveur des chevaliers à condition « qu'ils ne labourent ni ne bêchent et ne conduisent un âne chargé de bois et de fumier », en un mot qu'ils ne fassent œuvre de manant. Le droit de lods et ven¬ tes (2) était perçu par le seigneur à chaque muta- (1)Le tarif de ce droit, ne devait jamais excéder six, ou sous royaux par feu. — La Provence au Moyen-Age, R. Busquet. (2) En vertu d'un usage immémorial ou concédé par le roi. — 148 — tion de propriété et le droit de legde, perçu par le comte de Provence sur les possesseurs des biens emphytéotiques, lorsqu'ils vendaient les grains de leur récolte. Le baiie. En échange, le seigneur devait protection à ses vassaux; il exerçait la justice et s'il ne pouvait ou ne voulait le faire, il déléguait ses pouvoirs à son baile. Lorsque les communes furent organisées, le seigneur se fit représenter aux Assemblées des communautés par son baile qui avait le pas sur les consuls. Ce baile (1) était en petit ce qu'était le grand baile et plus tard le sénéchal vis-à-vis des comtes de Provence, c'est-à-dire leur représentant, qui pouvait user du droit de s'engager au nom du souverain et recevoir également les serments des vassaux. W-Mtge Au-dessous du sénéchal était placé le Juge- Mage ou Juge du Comte. La Cour comtale avait ses juges suppléants, son notaire, son chancelier et ses scribes. De, baillie». Sous le règne de Raymond Bérenger V, des divisions administratives du territoire ou baillies furent organisées, à la tête desquelles, naturelle¬ ment, se trouvait un baile local, un juge, un cla¬ vaire (celui-ci chargé de la perception des redevan¬ ces et en même temps trésorier-payeur). De> A la même époque furent créées les vigueries, où Viaueriea. Ie viguier exerçait la juridiction; ce viguier était (1) Ce terme existe toujours en Provence pour désigner le conducteur des travaux, le surveillant, baile d'un moulin a huile, d'un troupeau, d'une ferme. — 149 — quelquefois au-dessus du baile. Charles Ier d'An¬ jou créa de nouvelles vigueries, parmi les plus im¬ portantes se trouvèrent Aix, Marseille, Arles, Avi¬ gnon, Tarascon, Nice. Le Feu et Le territoire de chaque communauté et de cha- l'affouage- qUe village était réparti en feux. Le feu correspon- ment' dait à 50.000 livres en fonds de terre et, au nombre d'habitants, faisant cuire son pain dans le même four, ou à un groupe de six maisons. Exception était faite pour les biens nobles, pour les biens ecclésiastiques et les terres adjacentes. Pour cette répartition, qu'on appelait ciffouagement, vaste opération et travail minutieux, la Provence était divisée en plusieurs départements, tantôt quatre et tantôt trois. En 1471, les commissaires affouageurs se trouvaient au nombre de douze, trois membres du clergé, trois membres de la noblesse, six du Tiers-Etat et trois notaires. Livres On se régla sur les feux pour fixer l'impôt des terriers. kjens taillables ; les terres, avec leur contenance, les noms et surnoms des propriétaires — sauf les noms des possédants fiefs — furent inscrits dans les livres terriers, rédigés en latin, avant que le mot de cadastre fut employé. Les biens nobles étaient taxés par l'aflorisse- ment, c'est-à-dire qu'un florin cadastral représen¬ tait cinq cents livres de revenu. Le don Lorsque les comtes de Provence, à bout de res- gratuit. sources pécuniaires, s'adressaient à leurs sujets pour combler le déficit du trésor ou pour les expé¬ ditions d'outre-mont, ils convoquaient les Etats qui — 150 — réunissaient les représentants des Trois Etats et leur exposaient leur situation financière. Après dis¬ cussion, les Etats votaient la somme demandée, c'est-à-dire le don gratuit ou « gracieux » et la ré- partissaient sur ceux qui étaient assujettis à l'im¬ pôt, la fixant « à une cotisation de tant de florins, de francs ou de deniers par feu ». Quelquefois, les seigneurs et le clergé furent contraints par le roi à contribuer à certaines dépenses. Ce que l'on peut affirmer, c'est que, dans les circonstances tragiques de l'histoire provençale, ils prirent part aux dons votés par les Etats. D'un autre côté, lors de l'af- fouagement de 1471, l'on décida « que les biens incorporés au patrimoine de l'Eglise seraient à l'avenir soumis aux charges communales (1) ». Le Capage, impôt personnel levé même sur la noblesse et sur chaque chef de famille, était exigé dans les cas extraordinaires, comme en 1397, lors de l'invasion de Raymond de Turenne. Service Sous la domination romaine, tout citoyen était militaire, tenu au service militaire. Sous la première et la seconde race, quand la guerre était défensive, les centeniers y conduisaient cent hommes libres. Plus tard, les centeniers furent remplacés par les chefs des vicairies (2). Enfin, lorsque l'organisation féo¬ dale fut achevée, le seigneur qui devait les caval¬ cades au comte de Provence et' les Communautés, auxquelles incombait la même charge, levaient des troupes pour accompagner le comte à la guerre ; la cavalcade, qui durait ordinairement quarante jours, pouvait être prolongée au-delà. (1) La Provence au Moyen-Age. — V. Bourriley et R. Busquet (2) Le mot viguerie était la corruption de vicaire. — 151 — Les forteresses et les châteaux situés à la fron¬ tière de la province étaient défendus par une garni¬ son; le châtelain ou le capitaine était appointé et les sergents également; ceux-ci recevaient quelque¬ fois en solde dix deniers par jour. Guetteurs sur Contre les invasions des pirates qui s'avançaient le Littoral. pr£s (jgg côtes, des guetteurs veillaient, afin de signaler les navires en vue et allumaient autant de feux qu'ils apercevaient de navires. Depuis un temps immémorial, les côtes étaient gardées par trente-deux postes, de la Turbie aux embouchures du Rhône. Peut-être ce système de préservation remontait-il aux invasions des Sarrasins (1) ? Le. État., Les intérêts des Provençaux devant les Comtes étaient soutenus par les Etats, dont la constitution remontait à la fin du douzième siècle, et qui par¬ ticipaient à l'administration du Comté. Ils étaient la continuation des cours plénières, placées entre le souverain et le peuple, défendant celui-ci contre les empiétements et les abus de celui-là, servant t de trait d'union entre le pouvoir royal et la nation, faisant accepter à cette dernière les demandes quelquefois exigeantes du premier. Le roi convo¬ quait ordinairement les Etats qui se réunissaient tantôt dans une ville de Provence et tantôt dans une autre; cependant, c'est à Aix qu'ils se réunis- j saient le plus souvent. Une représentation des Trois-Ordres formaient la composition des Etats : les deux archevêques d'Aix et d'Arles, les onze évêques du Comté, les pré¬ vôts des chapitres métropolitains et des collégiales, (I) En 1178 les Sarrasins d'Espagne avalent saccagé Toulon. — 152 — etc., siégeaient au titre du clergé. Puis venaient les possédants fiefs et enfin les représentants des com¬ munautés invitées par le sénéchal à envoyer un député à l'assemblée. Une réunion préalable se tenait généralement dans le chef-lieu de circons¬ cription, qui avait le droit d'élire au moins un député. Les délibérations des Etats étaient rédigées en langue provençale; ce qui prouve que, sous les Comtes, cette langue du terroir était non 'Seulement parlée par le peuple, mais par tous les Provençaux, de quelque rang qu'ils fussent. Le roi ou son repré¬ sentant ouvrait la première séance en exposant la situation du Comté, et en faisant connaître la som¬ me qu'il demandait comme don gratuit ; tout cela compris sous le nom de preposta. L'archevêque d'Aix et, à son défaut, l'archevêque d'Arles, prési¬ daient les séances subséquentes. Les députés, après avoir voté le don gratuit, votaient les contributions qui devaient constituer ce don ; ils nommaient les culhidors, joli mot pour désigner ceux dont la charge consistait à recueillir les recettes des impôts dans chaque baillie et dans chaque viguerie ; re¬ cette versée ensuite entre les mains des trésoriers généraux; ceux-ci étaient le plus souvent des bour¬ geois. Les ausidors, auditeurs des comptes, exer¬ çaient un contrôle sur la gestion des trésoriers. Quelquefois, les représentants dés trois ordres se réunissaient en petit comité dans la viguerie et la baillie, pour nommer le culhidor et le trésorier gé¬ néral. Les Etats n'avaient jamais pu obtenir du roi la création, entre les sessions, « d'un organe perma¬ nent à compétence générale » ; en un mot, de « dé¬ fenseurs des privilèges provençaux». Le roi, jaloux de son autorité, disait être lui-même ce défenseur. — 153 — Néanmoins, au XVe siècle, le rôle des Etats con¬ sista particulièrement à s'opposer à la violation des statuts provençaux et à demander au souverain leur modification et une plus libre interprétation du droit privé, qui n'était que la continuation du droit romain. L'action des Etats fut donc très étendue sous les Comtes. Lorsque, à son avènement au comté de Provence, Charles Ier y introduisit des légistes, c'était sur¬ tout afin de percevoir « le montant de la redevance en deniers et en nature » que ses vassaux lui devaient et récupérer celles qui étaient tombées en désuétude. Déjà, Raymond Bérenger V avait réorganisé l'administration du comté; ses résultats furent très importants au point de vue législatif et au point de vue de l'organisation générale. Char¬ les Ier fit faire un pas de plus à la centralisation financière et à l'augmentation des revenus du do¬ maine; l'albergue, sous ce roi, était au taux de douze deniers par feu et la quiste, nous l'avons déjà dit, ne pouvait dépasser six sous royaux (par feu). Les droits de péages rapportaient énormément au domaine, ainsi que le produit de la gabelle. On comptait à cette même époque neuf greniers à sel, dont le rapport net se chiffrait à environ 350.000 fr. Charles I" bénéficia encore du montant des déci¬ mes que le Saint-Siège l'avait autorisé à lever sur le clergé. Ainsi, après lui avoir concédé le royaume de Sicile, le Pape lui fournissait les moyens maté¬ riels d'entrer, en possession de ce royaume, car c'est de la Provence surtout que Charles tira les subsi¬ des pour la conquête de la Sicile. Charles II, pour centraliser les recettes des impôts, créa la Chambre des Comptes et parmi les statuts les plus remarquables qu'il promulgua, il — 154 — Remarquabi e faut citer celui qui protégeait le paysan, en défen- Chl'rk. n ^ant fiue ses outils de travail lui fussent enlevés, ainsi que ses animaux de trait et de labour ; pa¬ reille défense concernait les messagers ; il était interdit de faire pendant la nuit des inventaires et des saisies, « de rien saisir dans la chambre des femmes en couches, de rien prendre des vêtements des femmes et de toucher aux couvertures des lits». En quelques années, la situation du peuple s'était améliorée, puisque ce dernier dispositif ne concer¬ nait, d'après les statuts de Charles Ier, « que les chevaliers, les nobles et leurs femmes » (1). Le Parlement En 1415, Louis II institua un Parlement, dans la deLom.ii. composition duquel six juges avaient le titre de Présidens, pour simplifier l'administration judi¬ ciaire et jugeaient en dernier ressort. Les charges d'avocat et de procureur royal étaient supprimées; on ne laissa subsister que celle d'avocat et de pro¬ cureur royal (ou fiscal), appointé à 500 francs d'or. Le Conseil A la mort de Louis II, son fils, Louis III sup- Eminent. prima ce Parlement et le remplaça par un corps analogue, auquel il donna le nom de Conseil Emi- nent. L'avocat L'avocat des Pauvres apparaît en Provence au de» pauvres XIVe siècle. Cet avocat devait défendre devant tou¬ tes juridictions, même devant le conseil royal, les orphelins, les veuves, les religieux; en un mot, tous ceux qui étaient obligés de recourir à l'assistance judiciaire. (1) R. Busquet. — 155 — Chapitre XIX LE TRAITE D'UNION Voilà donc le grand fait accompli. Depuis Clovis, qui était venu assiéger Arles en 508, tous les rois, de France avaient convoité la Provence. Jean le Bon aurait voulu que l'un de ses fils épousât Jeanne Ire, mais ce projet ne fût point dans les goûts de Jeanne, qui ne partagea la royauté avec aucun prince, après la mort d'André de Hongrie. Pour éviter l'annexion à la France, que Raymond Béren- ger V pressentait avec regret, il songeait à don¬ ner sa fille Sancie en mariage à Raymond VII, comte de Toulouse; les deux comtés auraient alors fait bloc, au Midi, contre la grande nation voisine.. On sait qu'il n'en alla pas ainsi. Philippe le Hardi hérita du comté de Toulouse et Louis XI de celui de Provence. Fatalement, cela devait se produire. Sans doute, les patriotes provençaux le regrettèrent profondément et justement. Pour obtenir quelque faveur méritée ou non, et pour se faire rendre jus¬ tice, ils durent trouver que le roi de France était bien loin et bien haut; mais des souverains comme quelques-uns qu'ils avaient eus, des souverains comme Raymond Bérenger V et René, n'apparais¬ sent-ils pas qu'une fois dans la vie des peuples? Le temps était passé des petites nationalités; il fallait à la France des ports sur la Méditerranée ; il lui fallait cette contrée qui, géographiquement, lui appartenait; il fallait à sa couronne le beau fleuron de Provence. Mistral, avec son grand sens des situa¬ tions historiques, l'a dit heureusement : — 156 — « Franço émé tu meno ta sorre Gandissès-vous ensèn alin vers l'aveni Au grand prefa que vous appello... (1) Tu sies la forto, elo es la bello ! » "Si l'on envisage l'hypothèse d'une Provence iso¬ lée, sous le gouvernement des princes lorrains par exemple, l'on peut se dire qu'à tout instant le moindre fait eût servi de prétexte au roi de France pour l'envahir et, à la fin, se l'approprier. Ce qui eût été pire que la cession de René d'Anjou. Et l'histoire de Provence, proprement dite, de¬ vrait se clore ici, car, comme le fleuve va à la mer et confond ses eaux avec la sienne, ainsi le peuple provençal se confondit avec les autres peuples que la France avait réunis à elle. D'ailleurs, et pour notre dam, les rois de France tendirent de plus en plus à absorber ce qui devait être distinct. Mais cette province possédait une telle vitalité qu'elle lutta toujours pour défendre ses droits méconnus. Et, cependant, les Provençaux avaient éprouvé une si vive affection pour leur bon roi René qu'ils con¬ sidérèrent sa parole comme sacrée et son testament comme intangible. Peu de communautés et peu de seigneurs se rangèrent au parti de René de Lor¬ raine, petit-fils de leur avant-dernier roi, lorsqu'il revendiqua la Provence comme son héritage natu¬ rel; peut-être aussi y discernèrent-ils le sujet de futurs conflits. Du reste, une guerre éclata immé¬ diatement. Yolande, fille de René, prit le titre de reine des Deux-Siciles, comtesse de Provence : son (l) Mirèio Cant XI — 157 — fils René de Lorraine vint en Provence faire valoir ses droits par les armes; ses partisans s'emparèrent d'Apt, de Forcalquier, de Manosque, d'Entreveaux I et de toute la viguerie de Grasse. Louis XI s'émut de cette levée de boucliers ; il fit occuper militai¬ rement la Haute-Provence, démolir des châteaux, destituer des viguiers et des capitaines, et l'on sait que l'astucieux monarque devait toujours avoir le dernier mot. iiamède Le vrai souverain en Provence fut, pendant quel- Forbin. que temps, Palamède de Forbin, qui avait négocié l'union de notre province à la couronne de France. Louis XI le nomma Lieutenant-Général et l'on prétend que, retournant la phrase célèbre de Hugues Capet : « Qui t'a fait comte ? »... Louis XI aurait dit à Palamède: « Vous m'avez fait comte, mais je vous ai fait roi. » Il en avait, en effet, non pas le titre, mais l'omnipotence ; il distribuait les charges et les faveurs à son gré, pardonnait ou pu¬ nissait les crimes, assemblait les Etats et levait de nouveaux impôts. Des jaloux, ou peut-être des sei¬ gneurs irrités par les procédés arbitraires de Pala¬ mède, le desservirent auprès du roi, qui l'appela auprès de lui, afin qu'il rendît compte de sa ges¬ tion; en attendant, le roi le priva de sa charge jus¬ qu'à sa complète justification. L'enquêteur Jean de Baudricourt, gouverneur de Bourgogne, ne put relever contre lui aucun délit; les Marseillais em¬ brassèrent chaleureusement la cause de Forbin et offrirent même de superbes cadeaux à Baudricourt pour prouver en quelle estime ils tenaient Pala¬ mède. Ces cadeaux plaidèrent éloquemment la cause du noble inculpé, auquel le roi de France rendit sa charge, mais amoindrie, et Charles VIII le disgracia complètement. — 158 — Mon de A l'occasion du mariage du dauphin, qui devait Loms xi. épouser à Amboise Marguerite d'Autriche, Louis XI demanda à l'assemblée des Etats de Provence de nommer des députés pour assister à ce mariage. Les seigneurs d'Entrevennes (1), de Seynes et de Sénas représentèrent la province; Jacques de Can- dolle, la ville de Marseille; Louis Corréis et Rei- naud, celle d'Arles, terre adjacente. Au lieu d'as¬ sister à la cérémonie d'un mariage, les députés assistèrent à une cérémonie funèbre, car Louis XI était mourant lorsque les Provençaux arrivèrent à Amboise. Ils durent, toutefois, prêter serment de fidélité, puisque ceci faisait partie du programme de leur voyage. A la mort de Louis XI, les dernières formalités par lesquelles l'union de la Provence à la couronne n'étaient pas encore remplies. La dame de Beaujeu, régente du royaume, temporisait pendant que le duc de Lorraine allait demander aux Etats-Géné¬ raux assemblés à Tours, l'investiture du comté de Provence. Charles VIII, émancipé, déclarait enfin, en novembre 1485, que « la Provence serait unie à la France, non pas comme une dépendance, mais comme une annexe, comme un principal à un au¬ tre principal », qu'elle conserverait sa constitution particulière et ses privilèges. Cette dernière clause était l'essentielle dans cette alliance et la plus importante aux yeux des Provençaux fort attachés à leurs traditions. Les États En réponse à la mémorable parole royale, les «e donnent Etats de Provence délibérèrent unanimement, au t la. France. mojs d'août 1486, « de se donner d'un cœur franc (l) Papon. — 159 — au roi de France, sous la condition que les coutu¬ mes et libertés seraient maintenues et que le pays, inséparable de la couronne de France, y serait atta¬ ché, non comme un accessoire à un principal, mais comme un principal à un autre principal », et ils supplièrent Sa Majesté de proclamer l'union du comté à la couronne. La réplique ne se fit guère attendre; les lettres datées de Compiègne, le 4 oc¬ tobre 1486, déterminaient en termes satisfaisants et flatteurs pour les Provençaux les conditions de la réunion : « Les avons adjoincts et unys adjoignons et unissons à nous et à ladicte couronne, sans ce que a icelle couronne ne au royaulme ils soient pour ce aucunement subalternez, pour quelque cause ou occasion que ce soit ou puisse estre, ores ne pour le temps advenir, en aulcune manière, ne aussi pour ce aulcunement nuyre ne préjudicier ne desrougner à leurs dits privilléges, libertez, fran¬ chises, conventions, chappitres de paix, lois, cous- tumes, droitz, statutz, polices et manières de vivre esditz pays... » « Le roi de France, disaient entre autres articles, les statuts, règne en Provence en qualité de comte de Provence, et prend ce titre dans tous les actes qui concernent ce pays, à peine, faute de le faire, de nullité de ces actes; mais les actes royaux n'étaient exécutoires en Provence, qu'après avoir été ratifiés et enregistrés par le Conseil royal rési¬ dant en Provence. Les charges et offices adminis¬ tratifs et judiciaires de tout ordre ne pouvaient être exercés en Provence que par des Provençaux. » Cette acceptation solennelle du roi de France avait lieu en présence des ducs d'Orléans et de Bourbon, des comtes de Montpensier et de Vendôme, de plu¬ sieurs évêques, en un mot, de tous les grands de la Cour. — 160 — Les nouveaux souverains ne tinrent pas toujours compte d'un engagement qu'ils eûssent dû considé¬ rer comme sacré, et ils agirent quelquefois envers la Provence comme envers un pays cônquis par les armes (en tâchant, néanmoins, de sauvegarder les apparences, ont remarqué les historiens). Pour l'heure, les annexés ne prévoient pas les empiéte¬ ments du gouvernement royal; ils sont tout à la joie et dans une imposante manifestation de la vo¬ lonté nationale, le 9 avril 1487, ils déclarèrent « au milieu des bénédictions du peuple, confirmer, rati¬ fier et homologuer l'union. » Cet acte était garanti par douze évêques, une soixantaine de seigneurs, vingt-cinq vigueries, bailliages, vallées et commu¬ nautés. Alors seulement, le roi de France put se considérer vraiment comte de Provence et les Pro¬ vençaux vraiment rattachés à la grande nation française. Chapitre XX CE QU'ETAIT LA PROVENCE AU MOMENT DE L'UNION Au moment où la Provence passe de la domina¬ tion des comtes de la maison d'Anjou sous celle des rois de France, elle est, sinon riche, tout au moins dans un état d'assez grande prospérité. C'est alors un pays essentiellement agricole. Des forêts, dans lesquelles dominent le pin, l'yeuse et le chêne kermès, ou avaus, qui produit le vermil¬ lon, couvrent la plus grande paît du sol. Le seigle, le froment, l'avoine, la paumelle, l'orge ondulent au souffle des vents et dressent leurs épis à côté — 161 — des pampres verdoyants de la vigne. Les oli¬ viers couvrent une partie des coteaux et la couleur argentée de leur feuillage apporte une note mélan¬ colique à ce tableau. Les monts de la Haute-Pro¬ vence offrent en été leur fraîcheur et leurs pâtu¬ rages aux troupeaux transhumants, qui y demeurent jusqu'en octobre ; dans cette, région, on élève également des chevaux. Colmars, Monier, Barcelonnette sont les principales stations de nom¬ breuses bergeries. Les premières neiges venues, les troupeaux quittent la montagne, poussés par leurs bergers à l'air sauvage et au visage basané, les chiens vont et viennent autour des bêtes; les ânes- ses portent dans les « ensarri » (le bât) les agneaux nouvellement nés et parfois aussi des enfants, car les femmes accompagnent souvent leurs maris ber¬ gers. Les troupeaux s'échelonnent par les « Car- raires », chemins que les communes doivent entre¬ tenir; au tintement régulier de leurs sonnailles, ils couvrent par jour quatre lieues et arrivent enfin dans la vaste plaine de la Cran et dans l'île de la Camargue, qui commence à Trinquetaille et finit dans les embruns du golfe de Lion. La superficie de la Camargue est de 84.124 hectares ; là, les che¬ vaux de race locale paissent en liberté, à côté des taureaux camarguais. En Provence, la mer ajoute ses dons à ceux de la terre. Sur ses rivages, l'on récolte le corail et le sel. Ce dernier produit est expédié à l'intérieur par des voies tracées à cet effet; tel le chemin salier ou salletier. De nombreuses pêcheries sont établies le long de la côte. Des seigneurs, des communes et des — 162 — particuliers possèdent des bordigues. Là, les pru¬ d'hommes jugent sans appel sur les faits de pêche, ainsi que le roi René l'avait statué en 1452 et en 1477. La pêche du thon,, des mulets, des dorades, de la sardine est abondante Le règne du roi René avait ouvert pour la Pro¬ vence une ère de prospérité. Dès son avènement, il publia un règlement concernant les fossés d'ar¬ rosage; il fit assécher les terrains marécageux tels que les bords de l'Huveaune et du Rhône et garan¬ tir par des digues et des levées les terrains exposés aux inondations. Par son initiative, plusieurs rou¬ tes furent établies à travers la Crau. Grâce au cens, le cultivateur est alors presque l'égal du propriétaire; il jouit de la terre sans con¬ trôle et peut la cultiver lui-même ou la redonner à cens. La redevance qu'il paye au propriétaire est le plus souvent modeste: un dix-huitième, un ving¬ tième, parfois un vingt-neuvième de la récolte. Il arrive même que la rente censuelle se réduit à une poule ! A la vérité, le rendement de la terre était alors minime; dans des terres de fond comme à Gar- dane, dans la bastide du roi René, le blé rendait seulement quatre pour un et l'avoine trois; mais la Provence n'était pas aussi peuplée qu'elle l'est aujourd'hui, et l'on vivait de si peu que, pour incroyable que cela paraisse, dans les bonnes an¬ nées, l'on pouvait encore exporter une partie des produits. Le roi René donnait lui-même l'exemple de la participation à la vie rurale; non seulement, il avait propagé la culture de la vigne et du mûrier, mais il faisait aussi de l'élevage, ayant dans sa bastide de Gardane, 2.468 bêtes à laine et une porcherie très — 163 — fournie. Il encourageait l'élevage par des primes et des exemptions d'impôts, faisait don des terres gastes — incultes — à la ville d'Aix. Chose plus étonnante, devançant son temps, il signait, en 1478, avec le marquis de Saluces, un traité pour le per¬ cement du Viso, et il en voyait commencer les tra¬ vaux; « un souterrain mesurant 72 mètres en lon¬ gueur et 2 mètres 30 en largeur et en élévation, tra¬ versa un des rochers de la montagne », afin de fa¬ voriser l'échange de marchandises et de produits entre le Piémont et la Provence. Le roi René signait également des accords avec, les rois de Tunis et de Bône et envoyait en Tunisie une mission chargée de protéger la sécurité des navigateurs sur les cô¬ tes barbaresques, attendu que la Méditerranée était sans cesse sillonnée par les nefs provençales. Bien que jouant dans la vie économique du pays un rôle plus effacé que l'agriculture, l'industrie avait, à cette même époque, acquis un développe¬ ment nullement négligeable. Depuis les invasions sarrasines, les Provençaux savaient utiliser l'écorce des chênes-lièges et extraire la résine des pins ma¬ ritimes qui croissaient en abondance dans l'inté¬ rieur du pays. Plus tard; une sidérurgie d'une cer¬ taine importance s'était créée; des fourneaux à fer et des martinets, mus par des chutes d'eau,avaient été installés et le grand Palamède de Forbin possé¬ dait, à Barjols, l'un de ces martinets. Les verreries de Marseille acquéraient une telle renommée que le pape Jules II appela, à Rome, deux artistes mar-. seillais, Claude et Guillaume,pour décorer les fenê¬ tres du Vatican. Les verriers de Goult furent tous exemptés d'impôts par le roi René et les autres ha¬ bitants de ce village reçurent un réduction de dix florins sur leur quote-part annuelle. Les savonne- — 164 — ries de Marseille continuèrent à jouir de leur anti¬ que renommée et leurs produits constituèrent un apport sérieux au commerce, dont l'essor était parallèle à celui de l'agriculture et de l'industrie. Les nobles ne craignirent point de s'abaisser en se livrant au négoce; ils devenaient alors nobles mercatores et, à Marseille, armateurs pour la plu¬ part. D'autres s'associaient avec les nourriguiers, qui conduisaient leurs troupeaux dans les monta¬ gnes des Alpes. La société en commandite n'est pas une nouveauté, car elle existait à la fin du XV" siè¬ cle; des nobles confiaient de l'argent à des mar¬ chands et s'unissaient à eux pour le faire prospé¬ rer. Elzéar de Pontevès s'associait avec Jehan Gau¬ tier, chaussetier de Barjols; Fouquet d'Agoult, seigneur de Rognes, avec Pierre Vento, marchand à Marseille. L'origine de quelques familles nobles de cette époque est modeste : les Guiran de la Bril- lanne tenaient boutique d'épicerie; Vincent Bom- par, devenu conseiller du roi et maître national, était le fils de Pierre Bompar, éleveur de bestiaux. Les Deydier de Rians étaient l'un charpentier ou, pour parler lé langage d'alors, fustié à Aix, l'autre travailleur sur bois à Rians. Honoré de Valbelle, le mémorialiste si précis, se qualifiait de maître apo¬ thicaire. D'autres, au contraire, avaient dû se livrer à quelque humble commerce. Les Valayoire de Sisteron dont l'origine remontait aux Croisa¬ des, devinrent marchands de chausses. Louis Bruni de Salon vendait des aromates. Les pauvres étaient en ce temps très pauvres et les soi-disant riches, fort peu riches, puisque au XIV" siècle, des nobles provençaux s'appelaient « nobiles mendicantes », nobles mendiants. Cela correspond d'ailleurs à l'époque des ruines amoncelées par Raymond de — 165 — Turenne, car, Dieu merci, au moment de l'union, on n'en était plus là ; la Provence revivait et l'essor imprimé par le roi René fût allé grandis¬ sant s'il n'eût été momentanément suspendu par les deux invasions des Impériaux. Sans doute, bien des choses laissaient-elles à désirer. L'argent était fort rare et le taux de l'in¬ térêt dépassait 20 o/o par an. Dès le XVe siècle,les Provençaux s'avisèrent cependant de ne pas laisser leur argent entre les mains des Florentins et des Lombards et, à leur tour, devinrent banquiers. Nous avons dit précédemment que la Provence n'était pas très peuplée au XV" siècle.Il faut remon¬ ter jusqu'aux désastreux pillages de Raymond de Turenne, afin d'en trouver la cause, puisque, au XIII" siècle, ce furent des Provençaux qui repeu¬ plèrent quelques villes d'Italie. En compensation, deux cents ans plus tard, des seigneurs provençaux durent appeler à leur tour des paysans transalpins pour repeupler et défricher en Provence : telle la baronne de Cental, qui amena, dans le Lubéron, des Vaudois de sa vicomté de Démont, en Savoie. Gaucher de Brancas fondait le village de Vitrolles (Vaucluse). A la même époque, c'est-à-dire de 1507 à 1521, les Forbin créaient, sur les bords de la Du- rance, La Roque d'Antheron et Saint-Estève-Jan- son. Là, des terres arables et d'une extrême ferti¬ lité, remplaçait bientôt les canniers des îles et les sauvages broussailles des collines des Costes. Les dernières années du XV" siècle furent mar¬ quées, en Provence orientale, par la résurrection ou la création d'un certain nombre de communes.C'est ainsi que l'on vit Saint-Laurent-du-Var, Biot, Car- noules, Pontevès, Vallauris, Saint-Tropez, ruiné une première fois par les Sarrasins, Ollioules, qui — 166 — donna naissance, en 1502, à la petite ville et au port commerçant de Saint-Nazaire (Sanary). Au point de vue intellectuel, un grand progrès s'était accompli. Nombre de communautés possé¬ daient déjà à l'époque de l'union de « petites écoles » créées, on le sait, par Charlemagne. L'ini¬ tiative de la diffusion de l'enseignement vint du clergé, qui se conformait en cela aux canons du Concile d'Arles (813), si célèbre dans les annales des Gaules. Un évêque d'Orange, Monseigneur Dame, se faisait représenter à ce concile, au cours duquel on devait s'occuper de l'éducation des en¬ fants. Chaque évêque devait, d'après les décisions des cardinaux, se considérer comme le protecteur du pauvre et le défenseur du peuple; le 14° canon obligeait chaque pays à nourrir ses pauvres dans les temps calamiteux; le canon suivant établissait jusqu'à l'uniformité et l'exactitude des poids et mesures. Les conciles de Latran et celui de Trente don¬ nèrent des instructions aux recteurs et aux curés pour l'ouverture d'écoles, à l'ombre des églises et des abbayes. Ainsi en fut-il pour celle de Saint-Vic¬ tor. « Cette vieille abbaye avait acquis au près et au loin une telle réputation qu'à partir du XIe siècle, de tous les points du Midi, on s'était adressé aux abbés de cette église pour instruire les intelligen¬ ces (1)... » Puis l'instruction devint le souci des consuls, qui choisissaient le régent de chaque école et fixaient ses gages par contrat ; ils écoutaient les doléances des parents et, en un mot, endossaient la responsabilité de l'école. Ainsi en était-il à Saint- Maximin, en 1427 et au Luc, en 1474. A Manosque, (I) Mgr Cbailta.n. — Studium papal de Trets. au XVe siècle, l'instituteur est un fabricant de tui¬ les. A Barj ois, à cette même époque, l'on stipule dans certains contrats que tels et tels enfants seront placés dans les écoles. Les livres de raison sont, à cet égard, très suggestifs; ils prouvent clai¬ rement que savoir lire, écrire et compter était alors chose courante et le fait de beaucoup. Ce qui pré¬ cède concerne l'instruction primaire; mais l'ins¬ truction sépérieure n'était pas négligée. Louis II, ce prince éclairé, digne fds de Marie de Blois, créa l'Université d'Aix, ville qui, avant 1409, possédait des maîtres en théologie, des docteurs en droit canon et civil. Louis II compléta ce centre d'études; il en fit un Studium générale, que le pape Alexandre V reconnut par une bulle ; toutefois, cette Université ne fut point papale comme tant d'autres, mais resta comtale, puis royale. Le roi René y joignit une chaire d'anatomie. En 1418, les syndics de la ville d'Aix avaient acheté un terrain pour y bâtir les écoles publiques et réuni des ma¬ nuscrits destinés à former une bibliothèque publi¬ que aussi. A Marseille, jusqu'en 1362, « tout citoyen avait le droit, moyennant certaines condi¬ tions de capacité, de tenir des écoles publiques. » Mais à cette époque, l'évêque Guillaume Sudre ré¬ voqua tous les instituteurs laïques et n'accorda qu'au clergé le privilège d'enseigner. Les profes¬ seurs de grammaire, de logique et de belles-lettres furent donc tous des clercs. Plus tard, les consuls marseillais demandèrent au Pape d'obliger le clergé à contribuer aux charges publiques et à fon¬ der dans leur ville une Université. Depuis 1365, florissait à Manosque le Studium Papal, qui y avait été transporté de Trets. — 168 — Par le court exposé qui vient d'être fait de l'état de la Provence au moment de l'union, l'on se rend bien compte de l'importance du concours ma¬ tériel et intellectuel que la province, nouvellement unie à la France allait lui apporter. FIN DE LA PREMIERE PARTIE TABLE DES MATIÈRES TABLE DES MATIÈRES Préface V Le Visage de la Provence Chap! I. — Préhistoire de la Provence..... 1 Chap. II. — Fondation de Marseille. — Les Phocéens en Provence 4 Chap. III. — Domination romaine 10 Chap. IV. — Etablissement du Christia¬ nisme. — Ses résultats. 16 Chap. V. — Les grandes invasions 20 Chap. VI. — Domination des Ostrogoths et dès Francs 27 Chap. VII. — Les Sarrasins en Provence.. . 33 Chap. VIII. — Les Bosons. 37 Chap. IX. — Les Communes 44 Chap. X. — Les Provençaux aux premières Croisades. — Les Comtes de Barcelone, Comtes de Provence 51 Chap. XI. -— Maison de Barcelone-Aragon. Les Provençaux durant la guerre des Albi¬ geois. — Raymond-Bérenger V 62 Chap. XII. — Les Troubadours. — Mariage de Béatrix de Provence 76 Chap. XIII. — La Provence sous la pre¬ mière Maison d'Anjou. — Pétrarque 84 — 172 Chap. XIV. —- La Reine Jeanne 98 Chap. XV. — Régence de Marie de Blois.. . 114 Chap. XVI. — Yolande d'Aragon. —- René d'Anjou hérite du Comté de Provence et du royaume de Naples 127 Chap. XVII. — Le roi René 133 Chap. XVIII. — De l'organisation civile et des Institutions provençales 144 Chap. XIX. — L'Annexion 155 Chap. XX. — Ce qu'était la Provence au moment de l'Annexion 160 Achevé d'imprimer par Mistral, à'Cavaillon, le vingt-un novembre mil neuf cent vingt-cinq, pour la Revue <( Le Feu )) EbS.1. ■ §! m%Si: 30Si kf-SV': ■ 1 i •: !.. ■ 1 fvi m .. . • ■: il Litiilsas de la lent " Lt FEII " Aix-en-Provence Li Mirage, par FARFANTELLO; poèmes proven¬ çaux avec traduction. 1 volume broché, pur fil Lafuma . . 25,00 » alfa, bouffant .... 7.50 Lou Lausiè d Arie, par Joseph- d'ARBAUD; poèmes provençaux avec traduction (nouvelle édition). i volume in-8, réimposé, fil Lafuma 25,00 1 volume in-16 jésus 7,50 La Forêt de Barbarie, roman par Marie-Antoi- -nette BOYER. Edition originale sur alla 5,0(1 Massena et sa famille, par Pierre SAJ30R. 1 fort vol- in-8 raisin, avec 33 grav. hors-texte et 17 tableaux généalogiques. Hollande 100 » Pur fil Lafuma 75 » Registre • 35 » Velin ordinaire 20 » Doit-on admettre !a langue de tVEistral au Bac¬ calauréat, /r Emile RIPERT.enquôle et conclu-j. , sions. 1 volume 5,00 Grammaire Provençale, par Bruno DURAND archi¬ viste-paléographe; Préface de Jules PAYOT, rec¬ teur honoraire de l'Université d'Aix 1 volume cartonné 5,00 Cavaillon. Imprimerie MISTRAL (Téléphone 20)