> - SE EXPOSITION COLONIALE INTERNATIONALE PARIS 1931 OCHÏNE FRANÇAISE I : ^ X- ■ÊÊj; SECTION GÉNÉRALE AÉRONAUTIQUE MILITAIRE tite HISTORIQUE DE L'AERONAUTIQUE D'INDOCHINE < 2e PARTIE > IMPRIMERIE MAC - DIÎS'H - TU LE-VAN-TAN SucC 136, Rue du Coton. — HANOI — 1931 — M INTRODUCTION =£2c/e ce y/e/c/ /czs'ze ed/ /ac- i-e/cz-//czz e/ed ezsen-ewzen/d ysssc c?t/ d se/?sé /ce- c/sby/cs zè/~/c?-*z> c/se ^^ey^//ac-/zes Cbs^cs.'so?Z7Scz, /es 6' Qd/^œ-'sd JjpJsO. IzsC ssszazyse c/es / (^//scz-e/sy'z-c/e/e, eric-t/ e?z /ze'zod es /ce-y^Zosz/ee'se aie <*~é>/se?se, -js es ySsrsdysss//e/es sne???,cs'se e/es ded ccs?7icsScsc/ed rs zsc'às/éct. 2-ds yssss dsse'e /ces -Seys/ess/ /esssS cs-Sc/ecsi' e/ /ce-c a/ee/cers/ /e Secs/ a/e /eseid ssed /éd. (1) Se reporter à l'Historique de l'Aéronautique d'Indochine (Hanoi — IDEO-1930) : r!ft§#î CENTRE DE DOCUMENTATION ET DE RECHERCHES SUR L'ASIE DU SUD-EST ET LE MONDE INDONESIEN BIBLIOTHEQUE IVse Moî Chapitre I ORGANISATION DE L'INFRASTRUCTURE (Janvier 1930) Dès Janvier 1930, les ayions Bréguet de l'Aéronautique d Indochine sont définitivement remplacés par des Potez 25 A2 Coloniaux, appareils rapides et de grande vitesse d'atterrissage. Nombre d'aérodromes, aménagés au moment où les avions de naguère n'exigeaient pas des terrains importants pour l'atterris¬ sage, sont de médiocres dimensions. Corollaire de l'évolution du matériel aéronautique, la nouvelle mise en service d'avions puissants nécessite la réorganisation de l'infrastructure aérienne sur des bases différentes. 11 devient nécessaire de modifier le réseau aéronautique en créant de nouveaux champs d'atterrissage ou en agrandissant ceux qui existent. Pénétré de cette idée, le Gouverneur Général décide la création d'un bureau civil de la Navigation Aérienne, chargé d'aménager les routes de l'air et de remettre en question les programmes d'infrastructure antérieurs, en tournant parfois le dos au passé, par exemple en déclassant les terrains non susceptibles d'amélioration (terrains mal dégagés, régulièrement inondés, non susceptibles d'agrandissement ou trop éloignés des lieux habités). Afin d'éviter que les propositions de l'aviation militaire et celles de l'aviation civile soient contradictoires dans leurs conclusions et paralysent ainsi leur propre action, le bureau de la Navigation Aérienne travaille de concert avec l'Aéronautique Militaire, à _ 4 — laquelle il demande l'exécution des reconnaissances de terrains, soit par avion si les aérodromes déjà existent, soit par voie de terre pour les champs d'atterrissage à l'étude. La liaison étroite des deux services, civil et militaire, leur évite de se contrarier sur les formules de l'aviatidn, et de dépenser les efforts sur plusieurs terrains en dualité. Elle leur permet de parler la même langue et de s'acheminer directement à des actes. Enfin, tous les tracés de lignes aériennes en Indochine sont reconnus et étudiés du point de vue technique, par des officiers aviateurs, en particulier, par M. Borzecki, ancien Pilote observa¬ teur de guerre. D'autre part, le Lieutenant de Vaisseau Menés exécute plusieurs reconnaissances de plans d'eau sur les points sensibles du terri¬ toire (Itinéraire du Mékong, côtes du Cambodge et du Golfe de Siam, littoral de la Mer de Chine, etc. . .) Programme d'infrastructure aérienne (.Janvier 1930) Le programme d'infrastructure aérienne élaboré, en Janvier 1930, d'un commun accord par les Chefs des aviations civile et militaire, vise à réaliser : 1° — Les liaisons intérieures entre les principaux centres du territoire ; 2° — La liaison de la Colonie avec les territoires extérieurs, la Métropole en particulier; 3°— La protection du pays indochinois. Le tableau, qui suit, énonce les éléments fondamentaux du programme adopté dès Janvier 1930 : — 5 — OBJET LIGNES AÉRIENNES PRINCIPAUX TERRAINS OBSERVATIONS Bachmai, Thanhoa, Vinh, Dorac, A. — Réseau Hanoi - Saigon Ron, Donghoi, Ilué, Tourane, intérieur. Par 'a côte Quinhon, Nhatrang, Phanthiêt, Giaray- Voclat, Bienhoà. Hanoi - Saigon Bachmai, Vinli, Thakhek, Savanna- par le Mékong kl.iet' , Pakse> kllong> Kratle' ^ ° Bienhoa. Vientiane, Bandon, Ban - Thouei, Vinh-Vientiane Paksane, Ban-Nan-Nhang, Kam- keut, Laksao, Napé, Voibo, Vinh. Bienhoà, Soai-Rieng, Kompong - Saigon-Sisophon J^bec, Preyveng Pnompenh, lvompong-Chnang, Pursat, Battam- bang, Sisophon. | Le Bourget, Rome, Athènes, Alep, B. — Liaison c r 1 1 • Bassorah, Bender-Abbas, Karachi, avec l'extérieur Fra"ce I"dochine Allahabad, Calcutta, Bangkok, Rangoon, Vinh, Hanoi. Soit : Bachmai, Tai-Ping, Canton , , , . . et Hongkong. Indochine-Chine gQjt . gachmai, Laokay, Mongtzeu, Yunnanfou. rerrains - frontières C. - Protec- (BWhes des centres Mon#a Langson, Thatkhé, Caobang, tien du terri- notaires defensifs gagiang, Laokay, Laichâu. tojre- de la région fron- " tière). „ . . ,. Ouang-yên, Kep ha, Backan, Nguven- Terrains de repli ~ b;ng/Sonia, Diên-Biên-Phu. " Chapitre II RECONNAISSANCE DU MÉKONG W {Janvier 1931) Le 5 Janvier 1930, le Lieutenant de Vaisseau Menes, pilotant un hydravion F. B. A. 17 à moteur Hispano 180 H. P., décolle de Saigon avec le second-maître mécanicien Baguet afin d'exécuter une reconnaissance complète du cours du Mékong de Pnom-Penh à Luang-Prabang. L'appareil utilisé, précédemment embarqué sur le croiseur Tourviele, a déjà effectué de nombreux vols aux Antilles, en Australie, en Nouvelle Calédonie et aux Nouvelles Hébrides. Après avoir survolé Mytho et Vinh-Long, l'hydravion amerrit dans le Tonlé-Sap, à Pnom-Penh, devant la Résidence Supérieure du Cambodge. L'arrivée de l'aviateur coïncide avec la célébration des fêtes anniversaires du Roi et ajoute encore à l'éclat des magnifiques cérémonies officielles qui se succèdent pendant trois jours. Le 7 Janvier, l'avion décolle en direction de Kompong Cham. Laissant à sa gauche les ruines d'Angkor, le pilote survole les larges plans d'eau, que forme le Mékong en amont de Pnom- Penh, et amerrit à Kratié où il est chaleureusement accueilli par le Résident de France. Le 8 Janvier, l'hydravion fait route vers le Nord. Aux roches et aux bancs de sable du Mékong succèdent des rapides et, à partir de Sambor, une multitude d'îles. Le fleuve coule avec impétuosité entre les bouquets d'arbustes à demi submergés, dans les nombreux canaux que creusent les eaux entre les blocs rocheux. Le pilote dépasse les rapides de Sambor et de Préapatang, qu'explora au XIXe siècle un autre marin, Doudart de Lagrée, et amerrit à 7h30 à Stung-Treng, dans le large confluent du Mékong (1) Cf. Revue des Forces Aériennes Septembre 1930. — 7 - et du Sékong. Les habitants sortent en foule des habitations cambodgiennes qui bordent la rive ; étonnés et ravis ils admirent, pour la première fois, un appareil volant. L'hydravion prend de nouveau le départ et survole la « forêt inondée » que constitue le fleuve disparu sous les arbres et divisé en une multitude de bras où les eaux se jettent avec violence, dans un dédale d'arbres et de rochers. A la forêt inondée, succèdent les cataractes de Khône, imposantes chutes d'eau dont la hauteur (plus de 15m) surprit jadis le Lieutenant de Vaisseau Françis Garnier. A 500m d'altitude, le pilote survole les cataractes qu'une écume blanchâtre dénonce à l'observateur aérien, partagé entre la contemplation de ce magnifique spectacle et la hantise d'un amerrissage éventuel sur ces eaux inhospitalières. L'avion dépasse l'île de Khong et côtoie maintenant un fleuve calme où des chapelets d'îlots, recouverts de verdure, font suite à de larges bancs de sable. Sur la rive gauche, des collines de hauteur moyenne font pressentir au pilote le plateau des Bolovens ; la montagne se précise et dessine l'avant-garde de la Chaîne annamitique. A 10h20, l'aviateur survole le poste de Bassac, franchit à basse altitude un imposant massif montagneux à cheval sur le fleuve et amerrit à Paksé devant une population indigène enthou¬ siaste qui, alertée par le bruit du moteur, trouve, dans la venue de l'avion, prétexte à importantes réjouissances. Le 9 Janvier, après un chaleureux accueil du Commissaire du Gouvernement de Paksé, l'équipage décolle en direction de Savannakhet. Le vent souffle du Nord-Est en rafales violentes; le froid s'accentue rendant très pénible la manœuvre de l'appareil. L'hydra¬ vion survole les rapides de Kemmarat où, dit De Carné, « le fleuve mugit et bouillonne creusant dans la roche un véritable gouffre dont une sonde filée n'atteint pas le fond à 100m. Les eaux jaunissantes se tordent dans un étroit défilé et se brisent contre les rochers avec un épouvantable fracas, en formant des tourbillons qu'aucune barque n'ose affronter. Les hommes ont fui les rives ; les grands arbres de la forêt se penchent des — 8 — deux côtés sur l'abîme, où souvent leur poids les entraîne ; l'aviateur n'aperçoit ni village, ni même une case isolée. Quelques pêcheurs audacieux se sont fait un gîte dans les anfractuosités des rochers : ces malheureux ont à peine le temps de fuir aux premières pluies, tant est grande la rapidité avec laquelle montent les eaux du fleuve, dont les crues normales dépassent 15 mètres. Sous l'œil du navigateur aérien, les rapides succèdent aux rapides et les roches encombrent le lit du fleuve, imprimant à la contrée survolée un caractère sauvage et impressionnant. Sous l'effet de remous plus violents les difficultés du pilotage augmentent. L'appareil prend des positions invraisemblables très difficiles à rétablir. Le pilote abandonne alors la route du fleuve pour couper directement au-dessus de la forêt siamoise et gagner rapidement Kemmarat. Au-dessus de cette ville, l'hydravion est pris dans une zone tourbillonnaire et exécute des bonds désordonnés ; le pilotage devient par instants impossible; deux fois le palonnier échappe à l'aviateur qui reprend avec peine le contrôle de l'appareil. Après escale à Savannakhet, l'équipage prend le départ en direction de Thakhek qu'il survole une heure plus tard. La température s'abaisse encore ; insuffisamment protégé, le pilote souffre vivement du froid. Sur la rive gauche du fleuve, la Chaîne annamitique se dessine à l'horizon, majestueuse et imposante. L'appareil amerrit à Paksane, à 9h15, face au village laotien caché sous les arbres et mouille dans la «Nam Sane » petite rivière, au cours très sinueux, où l'hydravion trouve un abri pour la nuit. Le père Borriol, des missions catholiques, et un prospecteur anglais, M. Tyson, offrent aux aviateurs une généreuse hospitalité, agrémentée de « riz gluant » à défaut de pain, aliment inconnu à Paksane. Le 11 Janvier, l'hydravion décolle en direction de Vientiane. A quelques kilomètres de Paksane, après deux tentatives pour franchir un banc de brume, l'aviateur se résout à amerrir* sage pré¬ caution car la brume recouvre entièrement le pays. - 9 - La région paraît déserte ; cependant, quelques minutes après l'amerrissage, l'équipage a la surprise de voir apparaître des indi¬ gènes. D'abord timides, ils n'osent avancer ; puis, sans doute ras¬ surés par les gestes amicaux de « l'homme oiseau», les plus hardis s approchent de l'appareil. Peu à peu le pilote est entouré d'indi¬ gènes fort étonnés et prodigieusement amusés par l'hydravion. A force de patience et de démonstrations, le pilote et le méca¬ nicien peuvent se faire aider par eux pour déséchouer l'hydravion, s'épargnant ainsi le bain de pieds, traditionnel en pareil cas. L'avion reprend son vol à 9h50. La visibilité bien que médiocre permet d'apercevoir le fleuve. Le paysage est monotone; les forêts succèdent aux rizières ; à 10h30, les habitations indigènes apparais¬ sent plus nombreuses au centre d'une nature plus clémente que les régions jusqu'alors survolées. A llhlO, l'hydravion dépasse Nong Kay, ville siamoise impor¬ tante, rivale de Vientiane. Après avoir coupé la boucle, que forme le fleuve en remontant brusquement au Nord, l'équipage amerrit devant Vientiane à llh30. Le représentant du Résident Supérieur au Laos et le Commissaire du Gouvernement attendent les aviateurs à leur débarquement. Une foule considérable assiste du haut de la berge à l'arrivée de l'hydra¬ vion et aux lentes manœuvres d'échouage, malaisées à exécuter parmi les bancs de sable qui encombrent le fleuve. Le 14 Janvier, lé Chef de mission décide de gagner Paklay. A cette période de l'année la brume empêche tout vol pendant la matinée. Au départ, par un soleil brûlant, une atmosphère sur¬ chauffée, l'appareil vient s'échouer en pleine vitesse sur un banc de sable, à 150m du fleuve. Avec l'aide des indigènes réquisitionnés immédiatement par S. E. Tiao-Petsaraii, Directeur des Affaires indigènes au Laos, l'appareil reprend contact avec l'eau sans dom¬ mage pour la coque. Enfin à 15hl0, le pilote réussit à décoller. A 40 kms de Vientiane, l'avion qui suit le Mékong, quitte brus¬ quement et définitivement la plaine pour entrer dans une région hérissée de montagnes, entre lesquelles le fleuve coule dans un chenal étroit. Le's eaux, qui précédemment s'écoulaient paisibles, accélèrent leur course et roulent impétueuses au milieu d'aiguilles rocheuses. Le lit du fleuve, réduit parfois à 40 ou 50m, présente — 10- des surfaces inégales et tourmentées, aux abords colorés curieu¬ sement par les blocs calcaires. A 15'ii55, l'avion survole la ville de Xieng-Khan (Siam) située sur la rive droite. Le fleuve, après un coude très brusque, revêt un caractère plus paisible. Quelques roches apparaissent encore mais le courant est moins violent. Le fleuve décrit alors une série de courbes très accentuées, comparables aux lacets que dessine la Seine entre Paris et Rouen. Malheureusement, les cartes, que possède l'aviateur, sont peu précises et l'équipage constate une erreur sur sa position. 11 estime avoir dépassé Paklay. La nuit qui arrive et l'essence qui s'épuise décident le chef de mission à amerrir devant un petit village laotien aperçu sur la rive droite. A la vue de l'appareil tous les indigènes s'enfuient dans la forêt et, malgré les appels et les gestes du pilote, se refusent à approcher. « Tout fuit, et, sans s'armer d'un courage inutile, Dans le buisson voisin, chacun cherche un asile.» Il n'est que de chercher une escale plus hospitalière Dans un violent courant, l'hydravion décolle au milieu des brousses submergées et des îlots à fleur d'eau et amerrit peu après devant une « bonzerie ». Là, un indigène plus confiant déclare sans hésitation que Paklay se trouve au Nord. L'hydravion décolle donc à nouveau et quelques minutes plus tard le pilote aperçoit, à travers un étroit couloir, les deux feux qui indiquent le plan d'eau de Paklay. L'hydravion prend contact avec l'eau dans une cuvette longue de 400m et large de 20 à 30m, pendant que les derniers rayons du soleil disparaissent derrière la forêt. Un courant violent, des roches à fleur d'eau, visibles seule¬ ment par les remous, rendent très difficiles les manœuvres à l'eau. Après une dizaine de minutes d'hydroplanage, l'hydravion accoste enfin la berge, accueilli par les applaudissements de trois colons français, seuls européens qui résident à Paklay. Toute la popula¬ tion indigène est massée sur la rive et, pour la première fois, admire avec des cris de joie un appareil volant. La brume retient l'hydravion à Paklay jusqu'au 15 Janvier. Dans l'après-midi le pilote décolle et fait route vers Luang-Prabang. Des remous particulièrement violents rendent le parcours pénible. — 11 — Le fleuve se rétrécit entre les montagnes et présente une succes¬ sion de rapides, bordés de murailles rocheuses très hautes, que recouvrent d'épaisses forêts. Les eaux se précipitent au milieu des blocs pierreux qu'elles inondent d'écume jaunâtre. Ces nouveaux rapides paraissent encore plus dangereux que ceux de Kemmarat. Ils s'étagent sur une longueur de 150 Kms environ, entre Paklay et Tha-Dua, rendant pratiquement tout amerrissage impossible. De loin en loin, quelques paillotes et des « rays », seules ma¬ nifestations de l'activité humaine, viennent rompre la solitude et l'isolement de cette contrée sauvage. A faible distance des derniers rapides de Tha-Dua, l'hydravion dépasse le monument élevé sur la rive gauche à la mémoire du Général deBEYUE et de ses compagnons, disparus le 10 Juillet 1910, avec le « Lagrandjère» dans les rapides de Tha-Dua. L'hydravion poursuit sa route aventureuse. Les montagnes s'espacent, les mouvements de terrain devien¬ nent plus amples, les villages laotiens plus nombreux, quelques rizières apparaissent ; le lit du fleuve s'élargit en nappes plus calmes et l'aviateur aperçoit au loin Luang-Prabang, la « cité du silence », la « ville au mille pagodes » que domine majestueusement le«Pou-Si» au toit doré. A 17h20, l'hydravion amerrit devant le palais royal sur un magnifique plan d'eau parfaitement balisé par les soins du Commissaire du Gouvernement. Le représentant de la France, entouré de toute la colonie française et de la plus grande partie de la population indigène, attendent l'aviateur sur la berge et lui réservent un accueil enthou¬ siaste. Dans une allocution émue, le Chef de la Province rappelle que, le 1er Septembre 1895, la canonnière Lagrandière commandée par le Lieutenant de Vaisseau Simon, saluait la cité de Luang- Prabang après avoir surmonté des difficultés inouïes au cours d'une aventureuse et périlleuse navigation ; trente cinq ans plus tard, un hydravion de la Marine française, amerrit pour la première fois devant la ville, donnant tout son prix à cette terre devenue nôtre. Le lendemain S. M. Sisavang Vong, roi de Luang-Prabang accorde aux aviateurs une audience particulière ; il s'intéresse à leur mission et les félicite chaleureusement. L'arrivée de l'avion coïncide avec la célébration des réjouissan¬ ces organisées pour un « Bonn » de la Reine Mère et ajoute encore à l'éclat des cérémonies. Le plafond bas retarde toujours le départ de l'hydravion qui ne quitte Luang-Prabang que le 18 Janvier, à 11 h 05. Quelques bouchons de brume plus tenaces masquent encore la route de l'ap¬ pareil . Peu après Tira Dua, au-dessus des rapides les plus dangereux, l'hydravion, sous l'effet d'un courant aérien, perd 250m d'altitude en quelques instants. Le pilote agit vainement sur les commandes de profondeur et sur le régime du moteur sans parvenir à enrayer la descente. Brusquement, alors que tout espoir commençait à abandonner l'aviateur, l'appareil reprend de lui-même son vol horizontal. A 13h35, l'hydravion amerrit à Palday ; le lendemain à 12h, l'appareil se pose à Vientiane. Par les moyens actuels (pirogues ordinaires) le trajet Vientiane-Luang-Prabang et retour demande 35 jours d'absence ; l'hydravion avait permis d'accomplir ce voyage en 5 jours dont 3 jours d'arrêt à Luang-Prabang. Le 20 Janvier, à 7 heures, l'aviateur quitte Vientiane pour Paksane d'où, après s'être ravitaillé, il rallie Thakhek à 10h55, puis Savannakhet à 15h50. De Savannakhet, le pilote décolle le 21 Janvier à 6 heures par un ciel maussade, un plafond bas et une visibilité mauvaise ; l'aviateur survole à nouveau les dangereux rapides de Kemmarat, l'oreillle attentive au moindre bruit anormal du moteur. A 8h55, l'hydravion fait escale à Paksé ; puis, à Sh05, il fait route vers Stung-Treng. Les rapides de Khône et la «forêt inondée » sont survolés sans incident et, à 10h55, l'équipage arrive à Stung-Treng. L'équipage quitte Stung-Treng, le 23 Janvier, au lever du jour, par un temps bouché. De violents remous rompent fréquemment l'équilibre de l'appareil. A 7h30, après avoir survolé les rapides de Sambor, l'aviateur amerrit devant Kratié, puis, à 9h35, devant Pnom-Penli. Aidé par La baie de Phan-Thiet - 13 - le personnel de la Compagnie Aérienne Française, l'équipage quitte à 12h la capitale du Cambodge. Le manque d'essence oblige l'hydravion à amerrir à Mytho à 14h35. Après s'être ravitaillé, l'appareil fait route pour Saigon à 15M0 et amerrit à 16h30 dans la capitale de Cochinchine. 11 n'est de meilleur exemple que celui qui se dégage des faits. Par les propres moyens du bord, sans ravitaillement spécial, sans aucune préparation d'étape, un hydravion avait parcouru 4.700km au-dessus du Mékong, en 18 jours d'absence et 45 heures de vol effectif. Chapitre III OCCUPATION DU CAMP DE TONG (Avril 1930) Le groupe d'escadrilles du Tonkin comprenant les escadrilles n° 1, 3 et 4, constitué sous les ordres du Commandant Aviateur Mathis en Août 1929, doit, suivant les instructions du département, se partager en deux fractions : 1° — Escadrille n° 1 : basée sur Bach-Mai. 2° — Etat-Major du Groupe et Escadrilles 3 et 4 : basés surTong. Le personnel s'emploie activement à aménager les bâtiments du nouveau centre de Tong, qu'occupe seulement, en Juillet 1929, un faible détachement de tirailleurs indigènes, commandés par un sous-officier européen. En Mars 1930, la progression des travaux permet à une escadrille de gagner Tong, et, le 1er Avril, l'Escadrille n° 4 se transporte sur le nouvel aérodrome. Livrés à eux-mêmes, avec des moyens réduits, dans des conditions matérielles difficiles, les aviateurs doivent surmonter de rudes épreuves pour organiser, au cœur de l'été, la vie normale d'une unité aéronautique et préparer la venue de l'Escadrille n° 3. Le personnel trace des routes, édifie des baraquements, plante des arbres, aménage les locaux techniques et le terrain d'atterrissage. L'aspect du camp s'améliore rapidement et, le 1er Septembre, l'Etaf- Major de Groupe ainsi que l'Escadrille n° 3 rallient définitivement le centre de Tong. Chapitre IV INSPECTION AÉRIENNE DU LIEUTENANT-COLONEL COMMANDANT L'AÉRONAUTIQUE (Avril 1930) Le 23 Avril 1930, le Lieutenant-Colonel De Prémorel, Com¬ mandant l'Aéronautique d'Indochine, se rend à Saigon, par la voie des airs, pour inspecter le centre aéronautique de Cochinchine. Après avoir franchi les rizières inondées du delta, l'avion aborde la côte de la Mer de Chine, jalonnée, de distance en distance, par la petite plage de sable fin de Samson, à l'Est de Thanh-Hoa, le Cap Falaise, la plage de Cua-Lo, étincelante sous le soleil tropical, et la citadelle de Dong-Hoi. Moins de quatre heures après le départ de l'aérodrome de Bach-Mai, le pilote atteint Hué, après avoir survolé Ba-Vinh, le pittoresque avant-port, où sampans et jonques ventrues accostent au ras des maisons chinoises. Avant d'atterrir sur le terrain de Hué, l'avion franchit les collines verdoyantes qui s'étagent en amphithéâtre derrière l'antique capitale d'Annam. Dans un lointain bleuâtre, les cimes déchiquetées alternent avec des pitons et des aiguilles, qui poussent, en dernier contrefort jusqu'à la ville,la célèbre montagne du Roi, dominée par la citadelle. Près de la Rivière des Parfums, bordée de paillotes, les touffes de bambous s'égaient de place en place de grands lilas du Japon chargés de fleurs. Dans le jardin du Roi, appuyé aux remparts, de vastes étangs, couverts de nénuphars, font suite à des terrasses aux murs plaqués de faïences polychromes où pariétaires et lianes s'accrochent aux griffes du dragon impérial. C'est sous la splendeur d'un soleil brûlant « l'attrait des vieux cloîtres tachés de mousse » qu'a chantés le poète. — 16 — Après avoir rendu visite au Résident Supérieur en Annam, l'équipage décolle de Hué à destination de Tourane où il atterrit une demi-heure plus tard. Dans la rade, où une mer houleuse se brise contre les derniers rochers, les barques de pêcheurs indigènes s'agitent, continuellement soulevées par les vagues ainsi que des jouets d'enfants. Refuge précieux dans l'inhospitalière côte d'Annam, à qui la légende angoissante a fait donner le nom de « Côte de Fer », la rade de Tourane, française depuis l'expédition de l'amiral Riguault de Genouilly G), offre aux navires un refuge sûr. Après s'être ravitaillé en essence, le pilote quitte Tourane pour achever le voyage. Les montagnes se rapprochent de la mer et hérissent la côte d'éperons rocheux et d'aiguilles redoutables, à peine visibles à fleur d'eau. De multiples échancrures dans l'escarpement dénudé constituent autant de baies paisibles où jonques de pêches et chaloupes chinoises se réfugient près des paillotes baignées par la marée. Le Cap Vareîla, le port de Oui-Nhon, la baie de Nha-Trang puis le Cap Padaran défilent sous les yeux de l'aviateur qui, à Phan-Thiêt, infléchit sa marche vers l'Ouest pour atteindre enfin la Rivière de Saigon, dont les terres amphibies se dissimulent sous de multiples bouquets de palétuviers. De l'autre côté de la ville, au delà de la plaine des tombeaux, à l'entrée de l'arroyo de Choîon, se presse, sous l'avion, toute une flottille pittoresque : chaloupes, jonques, chalands et sampans annamites. A six heures du soir, l'équipage atterrit sur l'aérodrome de Bienhoà, ayant accompli en 9 heures de vol effectif ie trajet Hanoi - Bienhoà. Le 29 Avril, le Chef démission rallie le Centre de Bach-Mai, après une nouvelle escale à Tourane. (1) Historiquement parlant, la Baie de Tourane a été cédée à la France dès 1787, à la suite du traité conclu entre Louis XVI et le fils de Gia-Long. Mais l'inimitié de l'empereur Tu-Duc provoqua, au milieu du XIX0 siècle, l'envoi d'une escadre française qui s'empara de Tourane. Chapitre V VOYAGE AÉRIEN HANOI-CANTON ( Mai 1930) Le 21 Mai 1930, à sept heures, un groupe de trois avions Potez, sous les ordres du Commandant Mathis, décolle du terrain de Bach- Mai en direction de Canton (t). Les trois avions survolent successivement le delta marécageux du Fleuve Rouge, le centre minier de Dong-Trieu, les houillères de Hongay et la légendaire Baie d'Along, chapelet d'îlots rocheux percés de grottes, entre lesquels les jonques à voile glissent gra¬ cieuses dans un décor fantastique, digne repaire des célèbres «Pavillons Noirs». A 8 h 50, les équipages reconnaissent Port Wallut et les îles de Château Renaud, le long d'une côte semée de récifs et si merveilleusement découpée qu'elle semble suivant l'expression d'E. Reclus « un énorme ruban de dentelle prodigieuse ». La petite ville de Moncay, dernier centre tonkinois près de la ville chinoise de Ton-Hin-Hai, est survolée à neuf heures. A Mon¬ cay, ville française depuis 1886, grâce à l'héroïsme des marins de la canonnière « La Massue », le Lieutenant-Colonel, Commandant le territoire, a fait hisser, en l'honneur des aviateurs, le pavillon tricolore. Pittoresque à l'extrême, cet ancien refuge de pirates pré¬ sente aujourd'hui au voyageur son groupe d'habitations paisibles aux gouttières en tête de dragon et aux terrasses garnies de pots de fleurs. (1) Équipages : Commandant Mathis, Capitaine Bousquet, Lieutenant Perreau, Lieutenant Durand, Sous-lieutenant Terrassier, Adjudant Féliu. — 18 — Au delà, c'est le Kouang-Tong 0), c'est la Chine «la Chine fabuleuse, dit Gille Nigaud, dont on conte les histoires terribles; récits de meurtres, actes de piraterie, supplices et exécutions capitales où l'exécuteur des hautes œuvres, bandit de la veille, le dispute en férocité au criminel qu'il est chargé de « décoller ». A deux milles au nord de Moncay, la densité des nuages va croissant ; seules quelques petites trouées permettent aux observa¬ teurs d'apercevoir la côte et d'identifier la presqu'île chinoise de Pakhoi. A quelque distance de Pakhoi, les conditions atmosphéri¬ ques deviennent nettement défavorables, contraignant les pilotes à varier constamment de direction pour contourner de nombreux grains. Les équipages coupent à dix heures la presqu'île de Lei-Tchéou. Malgré la pluie tenace, les aviateurs cherchent le petit territoire de Kouang-Tchéou-Wan, dont Fort-Bayard garde le détroit, coin de France avancé au cœur du pays chinois. La pluie tombe sans discontinuer sur une mer aux flots gris que les pilotes se bornent à entrevoir à travers une bruine opiniâtre. Le delta du Si-Kiang apparaît enfin avec son labyrinthe de petites rivières. La pluie masque le sol et oblige les équipages à poursuivre jusqu'à Hongkong, dont le port est survolé à 12 heures. Longeant ensuite la voie ferrée à basse altitude,les avions accentuent dans la pluie leur course vers Canton qu'ils atteignent à 12h45. Sous l'œil de l'observateur aérien, « la ville chinoise, dit Gille Nicaud, s'élargit confuse, autour de l'extraordinaire cité bâtie sur un fleuve, vraie ville flottante où des milliers de jonques et de sampans sont groupés et séparés par de véritables rues d'eau dont la plus impor¬ tante est la Rivière des Perles ou « Tchou-Kiang». Les avions errent un moment avant de découvrir l'aérodrome dans un îlot à proximité de la ville. A 13 h 45, deux appareils atterrissent sans encombre. Le troi¬ sième pilote, n'a pu atteindre le terme du voyage. Dévié de sa route par un violent orage, ayant épuisé en 7 h 35 de vol l'es¬ sence en réserve, l'aviateur a capoté dans une rizière inondée à (1) Le « Kouang-Tong » a donné son nom à la capitale «Canton». — 19 — 50 km s de Macao (1). Réduite à deux équipages, la mission aérienne est accueillie sur l'aérodrome de Canton par les autorités chinoises et le Con¬ sul de France. Reçus à la salle d'honneur de l'aviation cantonnaise, les avia¬ teurs français sont chaleureusement félicités par les pilotes chinois qui les saluent cérémonieusement par la kyrielle des révérences traditionnelles au pays asiatique. Plusieurs réceptions, organisées par le Gouvernement chinois et les membres de la Colonie française, permettent à nos équi¬ pages de mieux apprécier l'effort de nos nationaux en terre étrangère. Les membres de la mission aérienne — dont les aviateurs de Canton qualifient hautement le geste sportif—sont également reçus avec aménité par les notabilités cantonnaises. Les pilotes français visitent ensuite la cité chinoise gardée, de place en place, par des soldats armés jusques aux dents. Ils admirent les jonques chinoises, " bateaux-demeures " qui sur la rivière glissent paresseusement. En compagnie des aviateurs chinois, ils déambulent dans les rues étroites et sinueuses, entre des files de boutiques, où se trafiquent, de chaque côté de la rue, de magnifiques soieries, des pagodons en argent ciselé, des panneaux brodés, des objets d'art en jade et en ivoire. Les aviateurs font de nombreuses emplettes que les mécani¬ ciens réussiront, grâce à des trésors d'ingéniosité, à caser dans les appareils. (1) Le pilote fut secouru par le Commandant Cabral de l'aviation portu¬ gaise et par les autres aviateurs du centre de Macao, qui. sous un soleil accablant, aidèrent les aviateurs français à démonter l'appareil et ieur prêtèrent constamment un appui fraternel. Cet incident permit à nos camarades de visiter la ville qui, entourée de collines et de forêts, s'élève en amphithéâtre sur la rade. Pittoresque à l'ex¬ trême, la petite cité portugaise retient le voyageur. Ses habitations peintes en jaune, rouge, vert, ou bleu lui valent l'aspect d'une cité d'Estrémadure. La magnifique cathédrale de St Joseph se dresse près de la grotte de Camoens, où le grand poète portugais, exilé de Lisbonne, composa les « Lusiades ». La concession elle-même n'a qu'une superficie de 13 km2. Elle fut accordée dès 1537 à des commerçants portugais qui érigèrent, à la limite du territoire, une curieuse porte frontière, gardée militairement aujourd'hui encore. — 20 — Le lendemain, les membres de la mission aérienne achèvent de visiter la ville en chaise à porteurs. « D'occasion, dit Gille Nicaud, passe un personnage officiel en pousse-pousse, au milieu d'une escorte de soldats. Les roulements de tam-tam s'ajoutent au son retentissant des gongs de cuivre dans un vacarme indescriptible ». Le 22 Mai, un grand dîner est offert aux aviateurs par les autorités chinoises. Le chef delà Marine, l'Amiral Chang-Chak et les commandants des divisions, les Généraux Luc-van-Hoi & Ton- yun-Ky, célèbrent le voyage par voie des airs et s'intéressent particulièrement aux caractéristiques des avions français. Les nids d'hirondelle succèdent aux canards laqués et aux ailerons de requins ; d'innombrables petits plats défilent, coupés de cognac et de vins chinois, cependant que nos camarades en¬ vient la dextérité de leurs hôtes, qui se servent avec adresse de leurs baguettes en ivoire. A l'issue du repas, le Général Chang-mai-Shun et le Maire Hun- van-Hoi font l'éloge des voyageurs aériens et, après une prome¬ nade interminable à travers les rues encombrées de Canton, les équipages regagnent leur chambre pour goûter un repos bien gagné. Le surlendemain, le Général G. Wang, grand ami de la France, convie nos camarades en réunion privée et leur exprime la joie profonde qu'il éprouve à voir briller dans le ciel chinois les co¬ cardes symboliques du pays de France, de la nation généreuse à laquelle il a donné son affection. Le 23 Mai, le Lieutenant de Vaisseau De Boysson, Comman¬ dant la canonnière "la Vigilante", réunit à son bord aviateurs et marins, qui fêtent, en de joyeuses agapes, leur beau voyage au pays jaune. Au pays sans fin de la Chine inconnue, l'étroit navire au pavillon tricolore revêt l'aspect d'un petit coin de France hospitalier dont les voyageurs aériens goûtent fort la familiale intimité et la chaude sympathie. Le lendemain, les autorités chinoises sont conviées à l'aéro¬ drome par le Commandant de la mission aérienne pour assister à une démonstration en vol des appareils français. Les Potez survolent la ville pendant la matinée, emmenant — 21 — plusieurs passagers de marque : le Général Wang, le beau-frère et la belle-sœur du Maréchal Fou-hen-Shu, etc... Les aviateurs chinois décollent ensuite et exécutent quelques vols acrobatiques au-dessus du camp d'aviation. Dans la soirée, les mécaniciens revisent les appareils et, le lendemain 26 Mai, les deux équipages, leur mission achevée, décollent de Canton en direction de Hanoi. Le premier avion rallie sans incident le terrain de Bach-Mai, après escale à Tai-Ping. Moins heureux, le Chef de mission, qui pilote le second appareil, est contraint, par une panne de magnéto, à se poser à 110 kms de Canton, dans un cimetière de la province de Tai-Shun. Un plan inférieur de l'aéronef se brise à la suite de l'atterrissage. Les Chinois du pays accourent en foule et entourent l'avion. Grande est la curiosité des indigènes qui, pour la première fois, aperçoivent une machine volante. Soucieux d'obtenir du secours et de renseigner l'autorité supérieure, les aviateurs, ignorant par ailleurs la langue du pays, essaient par gestes de se faire comprendre des paysans chinois. Enfin prévenu le Gouvernement de la province chinoise donne des instructions pour la garde de l'appareil. Averti de l'incident, le Lieutenant de Vaisseau, Commandant la "Vigilante", mouille à Macao, fait embarquer un plan et une magnéto prélevés sur l'avion accidenté le 21 Mai, et rallie la région de Tai-Shun où s'est posé l'avion du Chef de mission. Après plusieurs jours de travail sous un soleil ardent, les aviateurs, avec des moyens de fortune, remettent leur appareil en état. Le 3 Juin, l'avion décolle et rallie le terrain de Bach-Mai, après une brève escale à Tai-Ping, apportant à Hanoi le courrier du territoire français de Fort-Bayard. Malgré les deux incidents qui entravèrent la mission aérienne, il faut voir en ce voyage, exécuté dans des conditions difficiles, - 22 — (circonstances atmosphériques défavorables, absence sur le trajet de terrains balisés, etc...) une démonstration non négligeable de la valeur du matériel français, servi par d'habiles équipages. Des manifestations aéronautiques à l'étranger, en territoire chinois en particulier, peuvent non seulement servir notre industrie aéronautique, mais encore seconder la politique de nos représen¬ tants, souligner l'effort de nos nationaux et donner ainsi à l'œuvre française en terre asiatique toute sa signification. « Des raids d'avions en Chine, a écrit un de nos ambassadeurs d'Extrême-Oriont, servent mieux la France que l'envoi de quelques croiseurs. Nos compatriotes installés en territoire céleste, ne peuvent qu'en retirer un bénéfice moral certain auprès des Gou¬ vernements locaux, des indigènes et des colonies étrangères ». Chapitre VI LIAISONS RADIOTÉLÉGRAPHIQUES (Juin 1930) Dans] un pays comme l'Indochine, où les variations brutales des éléments atmosphériques (typhons, orages, etc...) constituent des obstacles importants aux manifestations aéronautiques, les divers postes météorologiques doivent être reliés aux escadrilles par des moyens de transmissions rapides. Dès 1930, le service radio- télégraphique de l'aviation indochinoise assure régulièrement des liaisons radiotélégraphiques, d'une part,entre les trois grands centres aéronautiques, Tong, Bach-Mai et Bienhoà, d'autre part, entre Bach- Mai et les postes frontières, enfin, entre Bach-Mai et Phu-Liên, siège de l'Observatoire central de l'Indochine. Les transmissions se font soit à des heures fixes, réparties à longueur de journée, soit par priorité en cas d'urgence, et permettent ainsi d'assurer, à tout vo¬ yage aérien, « une protection météorologique » indispensable. Chapitre Y1I INSPECTION DU GÉNÉRAL VALLIER COMMANDANT LA DIVISION DE COCHINCHINE-CAMBODGE (.Août 1930) En Août 1930, le Général Commandant la Division de Cochin- chine-Cambodge, se rend à Ban-Méthuot par la voie des airs, pour inspecter les compagnies de montagnards moïs, créées en Avril 1928. L'avion du Général est piloté par le Commandant de l'aviation de Cochinchine, qu'escortent deux autres appareils du Centre de Bienhoà (1). Les avions décollent de Bienhoà, le 8 Août à six heures. A une allure moyenne de 180 kms - heure, favorisés par un fort vent arrière, les appareils franchissent en vol de groupe le cours supé¬ rieur du haut Donnai ; ils laissent à leur droite le plateau boisé du Lang-Bian, puis infléchissent leur course vers le Nord-Est. A neuf heures, les trois pilotes abordent la forêt clairière, parsemée de villages mois, accrochés comme des nids d'aigles à la montagne, et atterrissent de conserve sur le champ d'aviation aménagé à 2 kms de Ban-Méthuot, en bordure du village de Poun-Pan-Lam. Ce hameau est situé au centre d'une région tourmentée, au cœur d'une forêt à l'épaisse végétation, où le gibier pullule. Les équipages suivent le chemin non empierré, qui mène du terrain d'aviation au centre de Ban-Méthuot. De distance en dis¬ tance, quelques groupes de Moïs déambulent sur le chemin, la hotte au dos: ils descendent de la montagne échanger, contre du sel, de (1) Pilotes : Capitaine Gaulard, Adjudants Prim et Zimmer. Passagers : Général Valuer, Commandant la Division de Cochinchine- Cambodge, Capitaine Pascot de l'Etat-Major du Général, Adjudant Meulien, Mécanicien. — 25 - la verroterie ou du cuivre et harcèlent, de leurs longs bambous, une file de chevaux étiques lourdement chargés. De curieux tom¬ beaux mois, encadrés de statuettes grimaçantes, taillées à la hache par les naturels, bordent le sentier étroit. Les pilotes de Cochinchine qui, la même année, ont poussé jusqu'au Nord, vers Pleiku et Kontum, ont survolé l'immense forêt broussailleuse où les troupes de singes ont élu domicile, à côté de nombreux paons, faisans, coqs sauvages, tigres mêmes qui s'offrent à loisir au fusil du chasseur. Tous ces animaux fuient d'ailleurs en cavalcade au bruit du moteur de l'avion, lorsque l'appareil, en rase mottes, frôle la forêt. Ban-Méthuot, où viennent d'atterrir les équipages de Bienhoà, est la citadelle avancée vers le Sud du primitif paysmoï, aujourd'hui pacifié en partie, dont l'effervescence récente provoqua de sévères répressions de la part de l'aviation en 1924 et 1928. A l'heure actuelle, seuls quelques postes de miliciens ont été installés près des tribus les plus importantes. A 9h30, le Général, chef de la mission aérienne, passe en revue les deux compagnies de tirailleurs « Rhadés », impeccables sous les armes. Les officiers des compagnies inspectées renseignent aimablement les aviateurs sur les nouveaux tirailleurs. De race guerrière, habitués dès le plus jeune âge à manier la lance et l'arba¬ lète, les Moïs des différentes tribus (Sedangs, Rhadés, Banhars, Djarais, Rœmgao, Gœulards, Halaklions, etc...) constituent d'excellents soldats. Par une inspection personnelle,le Général, dont l'arrivée en avion ne laissait pas d'impressionner ces peuplades primitives (D, avait tenu (1) Plus fins, plus élégants, plus clairs de peau que les autres Moïs, les « Sédangs » de Kontum et que les grands chasseurs d'éléphants les « Bdangs » de Bandon, les «Rhadés» sont d'origine Malayo-polynésienne. Ils s'opposent donc au type moï commun, c'est-à-dire au faciès négroïde, qui va du bronze au brun noir. Du point de vue social, les tribus de la région de Ban-Méthuot (village du père Thuot) tiennent à grand honneur les coutumes du matriarcat. Elles ont adopté depuis quelques années une langue écrite, «le rhadé », créé à leur usage par les colons français, qui ont construit par ailleurs un hôpital et de nombreuses routes. Alors que les autres Moïs à l'état de nature, se plaisent dans une nudité complète, les « Rhadés » aborent souvent des bro¬ deries rouge vif fort élégantes et portent turban noir. Hostiles, jusqu'à une époque récente, aux procédés courants d'agriculture, ils épuisent le sol en trois ans, puis émigrent sur une terre vierge. De là, leurs demeures trans¬ portables en bambous, qui rappellent les cabanes roulantes des bergers de France. à marquer tout le prix qu'il faut attacher à l'instruction de ces nouvelles unités, destinées d'ailleurs à former bataillon et à être complétées par une troisième compagnie, recrutée dans les autres tribus moïs moins avancées. Le lendemain 9 Août, les trois appareils regagnent Saigon par la voie des airs et atterrissent à Bienhoà à 10 heures. Grâce à l'avion, deux jours avaient suffi pour effectuer un voyage qui, par les voies normales, aurait exigé une semaine. Chapitre VIII TROUBLES DE VINH ET DE HA-TINH (.Juillet <£- Septembre 1930) Au mois de Juillet 1930, les foyers communistes du centre Annam convient à la grève générale les ouvriers de la région de Vinh. Sur la prière du Résident Supérieur en Annam, le Général Commandant en chef les troupes de l'Indochine, invite le Directeur de l'Aéronautique à envoyer à Vinh une mission d'aviation destinée à survoler les centres d'agitation et à surveiller les rassemblements rebelles. Deux appareils de l'Escadrille n° 4 décollent donc de Tong le 3 Juillet, rallient l'aérodrome de Vinh et effectuent de nom¬ breuses reconnaissances aux environs de la ville. L'intervention de l'aviation ramène rapidement le calme, ras¬ surant nos partisans, inquiétant les éléments insoumis par de véritables « vols d'intimidation », à l'exemple des manifestations préconisées au Maroc par le Général Armengaud pour la pacifi¬ cation de régions troublées. Leur mission achevée, les aviateurs regagnent le terrain de Bach-Mai. La nouvelle de leur départ, diffusée par les agents à la solde de l'étranger, provoque de nouveaux troubles dans la population ouvrière de la province. De nouveau, en Septembre 1930, le Résident de France fait appel à l'aviation : le Commandant de l'Aéronautique décide alors de détacher à Vinh un groupe de trois avions et confie le com¬ mandement de la mission à un officier pilote (f>. (1) Equipages: Lieutenant Durand, Adjudant-Chef Deodati, Adjudant Baury, Adjudant Boyez, Sergent Deloïnca, Sergent Cressaty, Sergent Ormand. - 28 — Les équipages sont armés de mitrailleuses et équipés de lance- bombes gréés de projectiles. Les aviateurs effectuent de nombreuses missions ; des recon¬ naissances sur le Song-Ca ayant pour but soit d'éclairer l'autorité locale sur les intentions des rebelles, soit de préciser un renseignement déjà connu ; des missions de liaison entre les postes de gardes indigènes et les colonnes en mouvement dissé¬ minées dans la province ; des vols ayant pour objet le ravitail¬ lement des postes coupés de leurs communications. Les équipages interviennent même dans la lutte au sol, bom¬ bardent et mitraillent les éléments rebelles, leur infligeant des pertes sévères, en particulier, le 12 Septembre, où une colonne lorte de 4009 rebelles, mitraillée et attaquée avec succès à la bombe, se disperse sur-le-champ. 'M Chapitre IX CRÉATION DUNE ESCADRILLE D'HYDRAVIONS EN COCII INCHINE ( Octobre 1930) Dès le mois de Septembre 1929, le Département avait décidé la création, en Cochinchine, d'une escadrille d'hydravions et envoyé en Indochine un Lieutenant de Vaisseau aviateur du Ministère de la Marine, chargé d'étudier l'installation de la nouvelle unité et de prendre ultérieurement le commandement de l'escadrille après son organisation. A la suite de nombreuses reconnaissances exécutées soit par avion soit par voie de terre, dans la région de Saigon, l'officier pilote en mission, propose, pour la nouvelle base, un emplacement situé au bord du Donnai, à 8 kilomètres de Saigon. A faible distance de la capitale de Cochinchine, peu éloigné du centre d'aviation terrestre de Bienhoà, à une distance suffisante de la mer pour ne pas être exposé au feu d'une force navale ennemie, l'endroit projeté, au bord d'un large plan d'eau dégagé (U, offre de sérieux avantages, qui le font adopter en 1930, par le Conseil de Défense de la Colonie. Quelques mois plus tard la large plaine, qui longe le Donnai, permet d'acquérir un aérodrome de grandes dimensions (1500x1500) susceptible d'être utilisé par de puissants avions terrestres. (t) Caractéristiques du plan d'eau du Donnai : Longueur Largeur = Profondeur = Courant = 5.000ra environ 700"' à 1400"' 4 à 16 mètres maximum 2 nœuds 5 Ce plan d'eau important permet aux hydravions d'utiliser, après hydroplanage, un second plan d'eau au Nhabé ; il communique avec la mer soit par la Rivière de Saigon, soit par le Soirap. Une des difficultés importantes de l'entreprise réside dans le manque de stabilité du sol, constitué, dans un temps géologiquement récent, par les alluvions du fleuve. L'air et le soleil ont durci la couche supérieure ; mais la base souterraine demeure molle et fluide, du moins en profondeur. D'où la nécessité d'un remblayage important, à conduire parallèlement au soutènement des terres par l'emploi de bambous et de « caïcongs ». Les travaux sont entrepris activement, sous la direction d'artilleurs coloniaux, qui ont la pratique des constructions spéciales en Indochine. Le plan adopté vise à l'installation d'un port aéro¬ maritime classique, avec slip, appontement, matériel d'accostage, hangars de grandes dimensions, ateliers et bâtiments industriels, citernes, logements, etc..., que desserviront de larges routes empierrées, des canalisations électriques et aquifères, sans excepter les réseaux modernes de transmission (T. S. F., Télé¬ phone, etc ..). Chaque jour, dès l'aube, les visages des ouvriers indigènes s'inclinent vers la terre qu'attaque un soleil impitoyable : la pioche tranche le sol, aménage les chaussées et les premiers bâtiments se montent. Le 1er Octobre 1930, le Lieutenant de Vaisseau Menés prend le Commandement de l'unité aéro-maritime. A cette date, le personnel de l'escadrille d'hydravions se résume à quelques membres dont 1 officier, 1 second-maître, et quelques matelots mécaniciens. Quant au matériel, il se réduit alors à deux hydravions : un F. B. A. moteur Hispano 180 CV et un Cams 37 Lia, moteur Lorraine 450 CV. Dès l'achèvement des constructions, l'escadrille aéro-maritime sera dotée de l'effectif complet (D et pourra remplir effectivement sa mission : coopérer à l'organisation de la défense de l'Indochine, exécuter les voyages que nécessiteront, d'une part notre propagande aéronautique en Extrême-Orient, d'autre part la liaison aérienne entre la colonie elle-même et les pays voisins. (1) 4 Officiels subalternes, 35 Sous-officiers, 25 quartiers-maîtres ou marins européens, 118 marins indigènes. Chapitre X ARRIVÉE A HANOI DE MRS BRUCE (No vembre 1930) Une aviatrice anglaise Mrs. Victor Bruce, après quelques semaines d'apprentissage au pilotage dans une école anglaise, entreprend le tour du monde. Le pilote féminin est seul à bord d'un petit avion de tourisme « Moth » 120 C.V. Mrs. Bruce arrive à Hanoi le 3 Novembre, venant de Thakhek, après avoir fait escale aux Indes, en Birmanie et au Siam. L'aviatrice a déjà essayé, le 2 Novembre, de gagner Hanoi, mais n'a pu franchir la Chaîne Annamitique complètement dissimulée par les nuages. Elle s'est donc posée sur un plateau désert en pleine brousse, dans la région de Napé, à quelques kilomètres du cours encaissé du Nam-Phao. Le lendemain, elle réussit à repartir sans aucune aide et s'envole en direction de Hanoi. Peu après son départ, elle rencontre une épaisse barrière de nuages qui obstrue le passage de la chaîne montagneuse. Mrs Bruce poursuit néanmoins, mais son appareil s'embarque dans de violents courants accompagnés de grains dangereux; ne voyant plus le sol, navigant à l'estime, elle subit ainsi,pendant trois heures,une épreuve très pénible. Au moment où l'aviatrice se croit perdue au large en Mer de Chine, une éclaircie lui permet d'apercevoir une ligne de chemin de fer qu'elle suit jusqu'à Hanoi. Elle atterrit, à 16 h 30, sur le terrain de Bach-Mai. Les aviateurs du Tonkin font à Mrs. Bruce une chaleureuse réception. Dans une brève allocution, le Lieutenant-Colonel de Prémorel, Commandant l'Aéronautique, exprime à l'intrépide aviatrice les sentiments d'admiration des pilotes d'Indochine. Le surlendemain Mrs. Bruce reprend son voyage vers Hong¬ kong, Shanghai et le Japon, où elle devait arriver le 15 Novembre. Chapitre XI PARIS-SAIGON ET RETOUR PAR UNE AVIATRICE FRANÇAISE (Novembre 1930) En Novembre 1930, l'aviatrice française Maryse Hilz exécute en douze étapes, le voyage Paris-Saigon et retour, sur un avion Moth, équipé d'un moteur de 100 C.V. D'après les prévisions de l'Office National Météorologique, Maryse Hilz fixe son départ au 12 Novembre. Elle survole succes¬ sivement, Marseille, l'Europe Centrale, Belgrade, puis Constanti- nople, la ville sainte. Le fait vaut d'être retenu : au crépuscule de l'an 1930, une jeune fille domine en avion les mosquées et les minarets de Stam¬ boul qui, hier encore, avant la dictature de Mustapha Kemal, ignoraient jusqu'au visage de la femme, condamnée à la claustration ou aux travaux inférieurs. Belle revanche du progrès et bien digne d'être attachée à un nom français ! L'avion ne s'attarde pas sur le classique Bosphore. La mer de Marmara est vite franchie et Maryse Hilz dépasse Angora pour survoler, à l'aide du seul compas, la plaine désertique, sans aucun repère planimétrique. « Le trajet, dit Gille Nicaud, est long, pénible, monotone. Au désert inhospitalier succèdent les monts dénudés du Taurus cilicien, où aucune tente ne se dresse, où l'herbe même ne peut croître, ce qui faisait dire à Ouinte-Curse : «Les vapeurs dévorantes de cette brûlante contrée y font périr les animaux; sous ce ciel rigoureux, la terre et l'air semblent en ébuilition comme dans une fournaise ». M ais la jeune fille, à Pâme forte, poursuit sa course sans répit, et, quelques heures plus tard, après avoir franchi le Golfe d'Alexandrette, elle atteint Alep, la vieille citadelle de Séleucus, ambitieux lieutenant du grand Alexandre. Le lendemain, Maryse Hilz décolle à destination de Bagdad ; elle suit la vallée de l'Euphrate. qu'elle coupe bientôt pour aborder le Tigre. Elle survole la Mésopotamie, la terre légendaire chantée par le Psalmiste, qui jadis prononça l'anathème contre Ninive et Babylone. L'air surchauffé soutient mal le fragile avion de tourisme dont l'équilibre est rompu brutalement par de violents remous, qu'ac¬ compagne une véritable tempête de sable. Maryse hilz poursuit néanmoins et atteint Bagdad, puis Ka¬ rachi ; elle coupe les interminables marécages du Chott-el-Arab, véritable mer intérieure, discontinue et compartimentée, qui, en cas de panne, n'offrirait aucun secours à un appareil démuni de flotteurs. L'aviatrice franchit enfin le Golfe Persique et atterrit à Bouchir. Après un court repos, elle décolle et survole les énor¬ mes berges du Golfe Persique. De place en place, sur l'immense steppe sablonneuse, quelques palmiers se dressent intrépides, loin de toute habitation, car l'homme a fui cette terre maudite. Maryse hilz ne se décourage pas et poursuit jusqu'à Bender Abbas où la chaleur devient accablante. Très lasse, la jeune fille pique sur le détroit d'Ormuz. Sous l'œil du pilote, les chaînes verti¬ cales et désolées du Mékran baignent leurs flancs abrupts dans la Mer d'Oman. Au cœur de la journée, l'aviatrice laisse à sa gauche les derniers contreforts du Baloutchistan et, sous une chaleur d'étuve, atterrit à Karachi, dont les maisons blanches flambent sous l'âpre soleil. Maryse hilz longe le lendemain la voie ferrée de Karachi ; elle franchit le désert de Thar puis dépasse le château mogol d'Adj- mir "la mystérieuse". C'est ensuite Jaipur, aux habitats de granit rose, Amber aux toits dorés, Agra enfin dont la blanche citadelle protège une mosquée en grès rouge. - 34 — " Là, dit Gille Nicaud. sous une dalle de marbre incrustée de pierres précieuses dort Adjaman-Benou, femme bien aimée de l'empereur mogol Djahan. " Symboles de deux époques, la princesse Adjaman et l'aviatrice Maryse hilz s'opposeront dans la légende. L'une fut glorifiée pour avoir aimé ; la seconde sera proposée à l'admiration humaine pour avoir victorieusement lutté. Après le départ d'Agra, le petit avion survole la ville sainte d'Allahabad au bord du Gange sacré. Puis c'est l'immense delta du Gange et Calcutta, capitale du Bengale. Le lendemain, Maryse hilz survole Akyab et infléchit sa course au-dessus de la sauvage forêt tropicale où serpents et félins abon¬ dent. Bientôt apparaît Rangoon, véritable cité des Mille et une Nuits, au sein d'une végétation luxuriante. Après avoir survolé, pendant plus de trois heures, la sylve vierge aux arbres géants, l'aviatrice atteint enfin la voie ferrée siamoise et, une heure plus tard, atterrit à Bangkok. De là, après quelques heures de repos, elle gagne, le 4 Décembre, le terrain de Bienhoà, escortée par deux avions militaires de l'Escadrille de Cochinchine. Il semble inutile de traduire l'enthousiasme des habitants de Saigon à l'arrivée de la jeune Française, qui rallia ensuite Paris, le 2 Avril, sur le même appareil. Ce beau voyage, commenté par la France entière, inscrivait Maryse iiilz au palmarès des grands aviateurs. Chapitre XII VOYAGE SAIGON - BANGKOK ( 1'-'' Décembre 1930) Le 1er Décembre 1930, le Gouverneur Général Pasouier rallie la Métropole, par la voie des airs, à bord de l'avion de Lalouette et Goulette. Deux appareils de l'Escadrille n° 2 (1) sont désignés pour es¬ corter, de Saigon à Bangkok, l'avion du Gouverneur Général. Sur le terrain de Bienhoà, l'avion Farman du pilote Lalouette fait face aux Potez militaires, rangés en ligne en l'honneur du Gouverneur Général. Les automobiles officielles arrivent sur le terrain : dans un claquement sec, les tirailleurs annamites présentent les armes et le Gouverneur pénètre dans l'avion qui doit le ramener en France. Un bref essai des moteurs sur cales et les trois avions décollent en vol de groupe. Dans une large évolution au-dessus de l'aérodrome, les cocardes tricolores se détachent sur le ciel qui flambe et les appareils disparaissent à l'Ouest en direction de Bangkok, pre¬ mière escale du Farman. Les équipages survolent la marécageuse « plaine des Joncs » puis dépassent la Pagode Royale de Pnom-Penh, au confluent du Mékong et de la rivière du Tonlé-Sap. Ils obliquent ensuite vers le Nord-Ouest et suivent le rivage du Tonlé-Sap, lac immense aux villages flottants et aux berges voilées de lianes. (1 ) Pilotes : Capitaine Gaueard, Sergent Busca. Passagers : Capitaine François de l'Etat-Major du Général Commandant la Division Cochinchine-Cambodge, Adjudant Meulien, Mécanicien. - 36 — De frêles cabanes sur pilotis se groupent le long du lac. Là cherchent asile, au crépuscule, les indigènes qui, le long du jour, se livrent à la pêche sur de frêles sampans. Pursat, Battambang, puis Sisophon, dernière ville cambod¬ gienne, sont dépassées par les avions à une allure moyenne de 170 kms — heure. Cette course rapide ne permet pas aux voyageurs aériens d'infléchir leur marche vers Angkor, chef d'oeuvre de la statuaire bouddhique, capitale des anciens rois kmers, ville légendaire où jetaient l'ancre, au XIIIe siècle, les grandes jonques de mer chinoises. Les pilotes suivent donc la voie ferrée siamoise et atterrissent enfin, après un trajet de 800 kms, à Dong-Muong où se trouve l'aérodrome de l'Aviation Militaire siamoise, à 25 kms de Bangkok. La Colonie française et notre attaché militaire au Siam sont venus au terrain porter leurs félicitations au Gouverneur Général, qui, après une heure de repos, donne à son pilote l'ordre de repartir en direction de Rangoon, deuxième étape du voyage. Les membres de la mission militaire reçoivent l'hospitalité à la légation de France et visitent la pittoresque cité siamoise à cheval sur les deux rives du fleuve Ménan, qui, sur une étendue de plus de 30 kms, relie la ville au Golfe du Siam. Le 4 Décembre, les aviateurs déposent une couronne sur la tombe du soldat inconnu siamois, puis décollent de l'aérodrome de Dong-Muong pour rallier le centre de Bienhoà. Les deux appareils décrivent un cercle d'honneur sur la capitale du Siam dont les somptueuses pagodes brillent au soleil. Cernée de murailles crénelées, la vieille ville s'appuie, de distance en distance, sur de hautes tours grises. Les palais royaux élèvent majestueusement leurs dômes et leurs pyramides au-dessus de la luxuriante végétation tropicale. Entourée d'un réseau de nappes limpides, c'est bien la cité noyée « la Venise asiatique » chantée par'le poète, ville royale où vivaient jadis les puissants souverains des légendes sacrées, les princes fastueux, passionnés de jeu, de chevaux et d'apprêts guerriers. L'Avion de Goulette et Lalouette part pour la France emmenant le Gouverneur Général Pasquier Chapitre XIII VOYAGE DE PROPAGANDE AU LAOS (Du 9 au 20 Décembre 1930) A la demande du Résident Supérieur au Laos, trois avions Potez 25 effectuent une tournée de propagande au Laos. Le Résident Supérieur prend passage sur l'avion du Capi¬ taine Picard ; le second appareil transporte S. E. Ti \o Petsarah, Inspecteur des Affaires Indigènes au Laos CL. En 9 jours, les équipages effectuent le voyage Vientiane- Muong-Sing, avec escales à Xieng-Khouang et Luang-Prabang. « Une pareille tournée, dit Mr Bosc, accomplie avec les « moyens de transports dont disposent habituellement les auto- « rités locales, aurait exigé au minimum quarante jours. » Mais l'économie de temps, en l'espèce, est chose secondaire ; les conséquences essentielles d'une manifestation de cette nature se matérialisent dans l'accroissement de notre autorité et de notre prestige sur les populations indigènes qui habitent les parties les plus reculées de nos provinces laotiennes. A chaque escale, en effet, les indigènes en nombre consi¬ dérable se pressent autour du Chef de province et des autorités locales, vivement impressionnés par l'arrivée en bon ordre des trois avions. « Meos, Khas, Pon Eûmes, Laotiens, dit Mr Bosc, confondus dans une multitude, à laquelle la variété des cos¬ tumes ne fait qu'ajouter au pittoresque, expriment bruyamment leur joie et leur enthousiasme : les jeunes fdles laotiennes (1) Equipages: Pilotes: Capitaine Picard; Lieutenant De La Horie ; Adjudant Bauky. Passagers: M1' Bosc; S. E. Tiao Petsaraii; Sergt. Sabatier, Mécanicien. offrent au Résident Supérieur, en guise de bienvenue et suivant les rites, le bâtonnet de cire et les fleurs symboliques ». Au centre de cette foule ardente, le chef de mission s'entre¬ tient avec les autorités laotiennes et les chefs de diverses tribus montagnardes : certains ont marché plusieurs jours pour voir descendre du ciel les personnages dont l'arrivée s'est répandue comme une traînée de poudre. A Luang-Prabang, une très belle réception est faite aux aviateurs. Le roi a envoyé sur le terrain d'aviation ses hauts dignitaires pour souhaiter la bienvenue au chef de mission. Tous les mandarins du Ho-Sanam-Luong sont présents. D'innombrables bouquets de fleurs sont offerts aux aviateurs. Les officiers se rendent alors au Palais où S. M. Sisavang-Vong les accueille avec une grande cordialité, après avoir offert le « Basi » traditionnel et leur remet les insignes de l'Ordre Royal. Le lendemain, plusieurs mandarins, dont le frère du Roi, sollicitent l'autorisation d'effectuer un vol au-dessus de Luang- Prabang. Cette requête est acceptée par le Résident Supérieur, soucieux d'alimenter par des actes la propagande en faveur de l'aviation française. La démonstration se réalise le soir même, en présence de plusieurs milliers de personnes, émerveillées de voir les hauts dignitaires du Royaume survoler en tous sens la vieille capitale du Royaume de Thai. Le 15 Décembre, à deux heures de l'après-midi, la petite escadrille quitte le terrain de Luang-Prabang à destinaticn de Muong-Sing. C'est la partie la plus intéressante du voyage, mais aussi la plus délicate. « La plus intéressante, dit Mr Bosc, parce qu'aucun avion n'a dépassé Luang-Prabang depuis 1925 et que le Résident Supérieur n'a jamais eu l'occasion, depuis cette date, de se rendre à Muong- Sing ; la plus délicate, en raison des difficultés de la route provenant de l'absence complète de terrains de secours entre ces deux points, du relief tourmenté du sol, du manque de repères tels que des routes, de grandes rivières, des pics caractéristiques, etc Il faut couper successivement les vallées du Nam-Xuong, du Nam-Ou, du Nam-Beng et du Nam-Tha, et naviguer à de hautes altitudes pour apercevoir la plaine de Muong-Sing qui se confond à l'horizon avec un chapelet d'autres plaines absolument semblables et se prolonge en territoire chinois. Muong-Sing n'est en effet qu'à 15 kms de la frontière du Yunnan. La moindre dérive, si elle n'est pas immédia¬ tement corrigée, peut entraîner les conséquences les plus fâcheuses. C'est ce qui arriva en 1925. Un pilote du Tonkin, confondant une vallée avec une autre, s'engagea dans une fausse direction, se perdit dans le brouillard et alla s'échouer, réservoir d'essence épuisé, sur un banc de sable de la rivière chinoise de Muong-La, à 100 kms au Nord-Est de Muong-Sing. Epouvantés par la brusque apparition d'un engin, qu'ils n'avaient jamais vu, les habitants du pays, des Hos et des Lus, s'apprêtaient à faire un accueil dépourvu de cor¬ dialité aux deux voyageurs sortis de cette étrange machine. L'in¬ cident aurait pu mal tourner si le passager de l'avion, S. E Tiao Petsarah, n'eut parlé couramment la langue du pays et expliqué les causes de la panne avec les circonstances qui avaient fait échouer l'appareil en pays chinois. Les autorités chinoises, représentées par le délégué à Muong-La du préfet de Sse-Mao et son escorte de 25 soldats, prirent immédia¬ tement les mesures nécessaires pour assurer la protection des visi¬ teurs imprévus. Il est donc malaisé, on le voit, d'aborder en avion la plaine de Muong-Sing, surtout quand d'épais nuages cachent le sol. Néanmoins avec la seule aide du compas (les cartes de la région fourmillent d'erreurs et de lacunes) les trois pilotes arrivent en groupe serré sur le terrain de Muong-Sing, une heure vingt minutes après le départ de Luang-Prabang. Il est difficile de décrire la surprise enthousiaste des quatre mille personnes qui font aux pilotes à leur descente d'avion un accueil délirant. « Au point de vue ethnique, poursuit Mr. Bosc, la région de Muong-Sing et celle des Sib, Song, Pan, Nas voisins sont l'habitat d'une mosaïque de races, très différentes les unes des autres, par les mœurs, la langue, le costume et les traditions. Dans la plaine, les Lus, remuants et querelleurs, constituent l'élément important de la population; ils cultivent les rizières basses et s'adonnent à l'élevage du bétail. Le Laotien de race pure a disparu; il n'est représenté que par des types fortement mélangés de sang chinois et birman: tels les Younes, Tliai Dam, Thai Neua, etc A côté d'eux les Hos, venus du Yunnan et leurs cousins de race, Meos et Yoas, se livrent les premiers au trafic des produits locaux, les autres aux cultures de montagne et à l'élevage du bœuf et du cheval. Les contrebandiers d'opium et les caravaniers se recrutent parmi les Hos lesquels, en temps de trouble, se transforment volontiers en pillards et bandits de grands chemins. » Enfin, pour compléter cette gamme extraordinaire d'échantil¬ lons d'humanité, il n'est que de citer les tribus Khas au nombre d'une vingtaine dont les plus importantes sont celles des Khas Khos au costume si original et les Khas Mous qui fournissent une main d'oeuvre excellente aux exploitations de teck du Nord siamois; les Khas Lanthènes, habitant la région voisine de Muong-Luong Nam-Tha, se distinguent par la finesse de leurs traits qui trahissent une lointaine origine aryenne. Toutes ces peuplades sont représentées dans la foule grouil¬ lante, aux costumes riches en couleurs qui se presse sur le terrain d'aviation, pour assister au spectacle merveilleux et inédit de l'arri¬ vée des « hommes ailés ». Le séjour des aviateurs à Muong-Sing donne lieu à une série de fêtes et de réjouissances où l'élément Lu, fervent de danses, joue le rôle principal. Par une circonstance heureuse, le jour de marché de Muong-Sing coïncide avec le lendemain de l'arrivée des appareils et amène au centre de Muong-Sing, une foule de montagnards qui se transportent sur le terrain pour rendre visite aux grands oiseaux français. « Semblable randonnée, ajoute Mr. Bosc, permet au chef de la mission aérienne de pénétrer avec joie l'esprit de loyalisme des habitants de la région et d'apprécier les sentiments de fidélité dont ils sont animés à l'égard de l'autorité française. Malgré le voisinage immédiat d'une frontière fréquemment violée par les incursions de bandes pirates, nos protégés sentent et apprécient autour d'eux une atmosphère de sécurité à l'abri de laquelle ils peuvent se livrer, sans soucis, ni inquiétudes, à leurs travaux habituels». Il n'est de meilleure leçon que celle qui se dégage des faits. Par leur randonnée au Laos les équipages français venaient de donner aux indigènes une vision concrète de la puissance généreuse, qui assure la sécurité des peuples amis et les préserve des dangers qui naguère menaçaient leurs vies et leurs foyers. Chapitre XIV PREMIÈRE LIAISON AÉRIENNE HANOI -YUNNANFOU ( 19 Décembre 1930) La genèse du voyage aérien Hanoi-Yunnanfou remonte à l'année 1928. L'idée d'envoyer, par la voie des airs, une mission militaire au Yunnan fut alors examinée avec intérêt par le Gouverneur Général de l'Indochine. A l'origine de ce projet, il faut rechercher plusieurs argu¬ ments : d'abord servir hautement notre influence à l'extérieur, en réalisant la première liaison aérienne Hanoi-Yunnanfou ; en second lieu, resserrer les liens entre la Chine et l'Indochine, confirmer par une visite d'amitié les bonnes relations entretenues par le Gou¬ verneur Général avec le Directoire Yunnanais ; enfin faire connaî¬ tre à l'étranger la valeur de notre matériel aérien, en vue d'accroître le champ d'exportation des grandes industries aéronautiques de France. C'est seulement en Juillet 1929, que le Délégué du Ministère des Affaires Etrangères au Yunnan obtint des autorités chinoises locales un agrément de principe au projet caressé par le Lieutenant- Colonel, Directeur de l'Aéronautique d'Indochine. Le voyage ne put néanmoins être réalisé dès cette époque, en raison de certaines difficultés matérielles. Le raid fut de nouveau envisagé en Octobre 1930. Les autorisations nécessaires furent aussitôt demandées. Du côté français, le Département des Colonies fut consulté par le Gouvernement Général, les Départements des Affaires Etrangères et de l'Air, par M. Le Ministre de France en Chine ; ils donnèrent une réponse favorable sous réserve d'une préparation parfaite du voyage et d'une mise au point minutieuse des appareils. Du côté chinois, l'agrément du Gouvernement national de Nankin, approché par M1' Wilden, Ministre de France à Pékin, ne fut accordé que le 13 Décembre. Les conditions posées par Nankin étaient de deux ordres. Au point de vue général, il était convenu, comme il avait été fait lors du raid effectué à Canton en Mai 1939, que les avions ne porteraient ni armement, ni appareils photographiques, ni postes radiotélégraphiques. En outre les autorités chinoises, demandèrent l'assurance que l'escadrille, son raid terminé, retour¬ nerait en Indochine. Cette assurance lui fut donnée sans aucune difficulté. Le 19 Décembre 1930, à llh!5, une escadrille militaire de cinq avions commandée par le Lieutenant-Colonel, Directeur de l'Aéronautique d'Indochine, décolle donc en vol de groupe du terrain de Bach-Mai en direction de Yunnanfou. La présence du Commandant de l'Aéronautique, le nombre d'officiers dans les équipages (U indique l'importance que l'Indo¬ chine attache à cette manifestation. Les avions suivent d'abord l'axe de la voie ferrée Hanoi- Laokay. Cette voie longe constamment le Fleuve Rouge dont la vallée se resserre à mesure qu'on monte vers Laokay. Dans le delta, les figures géométriques des rizières alternent avec des villages, frangés de bambous, qui laissent échapper le contour original d'une pagode. Au bord de prés inondés, des « Nhà- Quê » font osciller la classique «noria à palettes». Des buffles pléthoriques vautrés dans les rizières constituent pour l'aviateur autant de petits points gris se détachant sur un fond éternellement vert. A partir de Viétri, le delta fait place aux premiers contreforts de la haute région du Tonkin, à la montagne hostile. La plaine fertile disparaît. Aux cultures sur les mamelons, succède rapide¬ ment la brousse, après le survol de Phu-Tho. Un drapeau trieo- (1) Lieutenant-Colonel De Premorel Chef de mission, Capitaine Honore, Lieutenants Schunck, Bocjlmer, Paquier, Regnault, Sergents-Chefs Layrolle, Perrier Léon, Perrier Gabriel, Sergents Delonca et Pûmes. colore flotte au-dessus du petit centre de Yen-Bay, siège des ré¬ centes agitations communistes. Le chef de bataillon Elégoet, Commandant le poste, sort à la hâte avec ses officiers, qui accla¬ ment les oiseaux de France. Ceux-ci atteignent à midi le village de Hai-Duong. Sur la voie ferrée qui se rapproche du fleuve, un train monte en serpentant et les voyageurs regardent avec envie l'avion rapide qui les dépasse. Le pilote déroule lentement la carte encadrée de duralumin ; aux pierres noircies s'accrochent maintenant, en bor¬ dure du fleuve, quelques bouquets de chétifs arbustes, ménageant entre eux des cirques étroits. De distance en distance, les îlots sablonneux du Fleuve Rouge offrent à l'aviateur, en cas de panne, un refuge plein d'aléas. A l'Est de la route, les repères planimétriques disparaissent, pres¬ que complètement submergés par la forêt à perte de vue. Parfois émergent quelques blocs calcaires qui ne laissent aucune place pour un terrain d'atterrissage. De rares paillotes, des cases iso¬ lées de bûcherons s'accrochent aux flancs escarpés, et se décèlent par leurs fumées au voyageur aérien. Pilotes et observateurs s'attachent au Fleuve Rouge, dont quelques rares sampans rompent la solitude. Le vrombissement des moteurs attire l'attention des habitants du village isolé de Pho-Lu; les indigènes lèvent le visage vers l'avion et lui adressent des signes. Le fleuve, coupé de rapides, se fraie maintenant avec peine un passage étroit et sinueux entre les rocs et roule des eaux rouges, chargées des sables couleur brique qui lui ont donné son nom. A 13 heures, Laokay, dernière ville tonkinoise, est dépassée par les équipages qui quittent le Fleuve Rouge et infléchissent vers le Nord leur course rapide. A la sortie de Laokay, les avions survolent l'intersection de la voie ferrée avec le " Nam-Ti-Ho ". La frontière chinoise est fran¬ chie. A gauche, disparaît la ville chinoise de Ho-Keou. Au-dessus des berges marécageuses, quelques maisons sur pilotis sont groupées en bordure du fleuve. De nombreuses jonques pansues accostent au ras des berges sablonneuses. Sur le mamelon de FIo-Keou, pro- — 44 — tégeant la ville chinoise, "un fort chinois délabré, à la toiture arrondie, cherche en vain, dit Cordier, à se donner un air terrible". A Ho-Keou, demeure le «Toupan», le mandarin chinois qui a adressé aux aviateurs avant leur ^départ Un grand passe-port, couvert de caractères célestes, sauf-conduit dont la valeur serait problématique en cas de panne dans la montagne où les pirates trouvent asile. Les pilotes coupent le Fleuve Rouge à 90" et inclinent leur marche vers le Nord-Est pour survoler la voie ferrée, en bordure de la rive droite du Nam-Ti-Ho. Le cours d'eau se rétrécit de plus en plus. Sur les pentes riveraines, c'est encore la forêt tropicale, faite de bananiers, de bambous et de lianes, qui s'enchevêtrent dans la brousse. La largeur du torrent diminue davantage : les eaux coulent écumeuses sur un lit pierreux. La falaise se dresse verticale. D'étroits ruisselets coupés de cascades plongent dans la vallée. Les nuages clairsemés forment maintenant de rares taches blanches sur le paysage. Le ciel se dégage peu à peu et devient idéalement pur. Le vol, dans cette atmosphère d'une placidité absolue, devient alors un véritable enchantement. Par contre, le sol chinois présente à l'aviateur une allure tourmentée et un aspect sauvage. L' altimètre marque 3000'". Des sommets très élevés ont en effet succédé aux monts du Haut- Tonlcin. D'énormes masses calcaires tombent en falaises abruptes sur d'étroits torrents; les plateaux rocheux, coupés de failles profondes, se prolongent par des montagnes d'argile schisteuse, aux¬ quelles succèdent de nouveau des poussées calcaires. Le relief devient âpre à l'extrême ; d'autre part, avec l'altitude, la végétation a perdu le caractère tropical qu'elle présentait au Tonkin pour se rapprocher du type des régions tempérées. Les avions abordent alors la région de Amitze et longent toujours le torrent du Nam-Ti-Ho, qui roule des eaux grises dans une gorge sauvage, précipice vertigineux. Sous l'œil de l'observateur aérien, « la voie ferrée, dit Cordier, serpente sous des tunnels, dont le moindre à 400'" de longueur^ - 45 - franchit des viaducs jetés sur les ravins, ou emprunte de fragiles passerelles suspendues au-dessus d'effroyables «Canons». Les avions survolent ensuite le fameux pont métallique en arc jeté sur la gorge sauvage au-dessus du torrent Pei-Ho, qui s'éche¬ lonne en cascades grandioses d'une hauteur de 300m. Puis, c'est la plaine de Montzeu, au centre d'un large cirque de 30kms de diamètre, fond d'un ancien lac desséché. Le premier ter¬ rain d'atterrissage depuis Laokay, se présente enfin aux yeux de l'aviateur. L'aérodrome est d'ailleurs mal entretenu, semé de bosses et d'ornières, et son emploi éventuel a été formellement déconseillé à nos équipages par notre attaché militaire en Chine. Au Nord se dessine le lac de Ta-Bouen où canards et sarcelles abondent, base naturelle d'amerrissage. Au-delà de la plaine, c'est l'horizon sauvage d'où émergent des sommets et des crêtes grises qui excèdent 3000m. De maigres herbages, couleur de rouille, s'accrochent aux pentes vertigineuses ; le massif montagneux, dernier contrefort du système thibétain, prolonge ses gigantesques plissements par de sombres murailles granitiques, semées d'éperons rocheux d'où la vie semble bannie. « Somptueuse et grandiose vision, dit Norès, banale pour des oiseaux de proie, mais devant laquelle l'être humain, admis excep¬ tionnellement à contempler pareil spectacle, se sent pénétré d'admiration ». A la gauche des avions, se dessine le centre commerçant de Nin-Tich, avant-garde de la région des Lacs. Puis c'est le petit aérodrome de Po-si. Le grand lac de Fou-Sien-Hou étend ses eaux vertes et paisibles sous les pilotes qui accentuent leur course, à une allure moyenne de 170 luns-heure. Dans ces vallées resserrées, l'aviateur aperçoit parfois quelques hameaux de paysans indigènes, qui tous lèvent la tête au passage des « diables étrangers » venus sur les machines volantes. A la petite station de Yi-Liang, le représentant des intérêts français, alerté par le bruit des moteurs d'avions, sort en courant du poste avec un énorme drapeau tricolore qu'il déploie devant la station. — 46 — Petit geste en vérité, mais qui, replacé dans son cadre naturel au milieu d'un pays étranger, acquiert toute sa valeur. Le pavillon aux 3 couleurs de Yi-Liang et les cocardes des cinq avions de France symbolisent, mieux qu'une longue proposition, la communion de la France généreuse avec ses nationaux isolés en territoire asiatique. A Lang-ïche, les pilotes infléchissent leur route vers le Nord- Ouest et coupent le grand lac d'azur de Yunnanfou, dont l'étendue atteint la superficie du Léman. Sous un ciel idéalement pur, des jonques à voile errent sur les eaux bleuâtres qu'elles égaient de leurs taches claires, décor de Méditerranée en Extrême-Orient. Et, à 800 kms de l'Indochine, l'aviateur retrouve les douces images de la France provençale qui vit, à Istres, les premiers coups d'aile du jeune pilote. Des villages se groupent sur la rive. Le sentiment de tristesse, que donnaient à l'observateur aérien les chaînes désertiques du Yunnan, a disparu. « Sur des lieues et des lieues, dit Cordier, ce ne sont que champs cultivés de riz et de maïs ou bouquets d'arbres fruitiers ». Le nombre des habitants augmente, annonçant les faubourgs d'une importante cité. Appuyée aux collines, se raccordant au lac, accolée au Sichan, la ville de Yunnanfou, dominée par deux hautes tours et entourée d'une longue muraille percée de sept portes, sur¬ plombe la vallée à 1900™ d'altitude. La montre de bord accuse trois heures. Un soleil de feu joue sur le pare-brise, ruisselle en nappes claires sur les ailes verdâtres de l'avion et grille sans pitié le visage des pilotes. Près de la montagne, l'air surchauffé se canalise en violents remous, qui secouent durement les équipages et provoque des chutes brutales en altitude. Aussi le voyageur aérien regarde-t-il avec joie l'aérodrome d'Ou-Kia-Pa où stationne l'Aviation Militaire de Yunnanfou, gage assuré du prochain contact avec la terre ferme. Les cinq équipages décrivent de ccnserve un cercle d'honneur sur la ville et, à 15h30, atterrissent à la suite de l'avion du Chef de mission. On voit que les avions, au lieu de couper directement vers Yunnanfou, avaient adopté l'itinéraire indirect constitué par l'axe principal de la voie ferrée Hanoi-Yunnanfou. Ce trajet, qui ne coïncide pas avec la ligne droite, a par contre l'avantage de permettre à un avion en difficulté d'obtenir rapidement le secours du personnel de la voie ferrée. Cette aide s'avère précieuse dans un pays désertique, infesté par ailleurs de pirates. Pendant tout le trajet, les différents chefs de stations de la Compagnie du Yunnan, échelonnées le long de la ligne, rensei¬ gnèrent par T.S.F. le Gouvernement Général à Hanoi sur la marche des équipages. Le fait vaut d'être souligné. En pays colonial, la voie aérienne est sœur du rail, du moins en l'absence de routes balisées : le succès des moyens aéronautiques est donc lié aux grands axes de pénétration terrestre. Un léger incident marque l'arrivée de la mission aérienne à Yunnanfou. Le télégramme du 19 Décembre, qui annonçait au Consul de France, (ï) le départ des avions et l'heure de ce départ, n'arrive à destination qu'après les équipages eux-mêmes. Aussi ne se trouve-t-il sur le terrain d'Ou-Kia-Pa, distant de la ville de 6kms, ni autorités chinoises, ni membres de la colonie européenne. Néanmoins, comme les avions ont survolé Yunnanfou avant de toucher terre, le Colonel attaché militaire de France, (2) ne tarde pas à arriver ; il s'entend avec les autorités chinoises du centre aéronautique pour que les mesures d'urgence soient prises et les appareils mis à l'abri. Enfin, arrive l'autorisation de gagner la ville que les équipages rallient à 20 heures, après avoir employé une heure et demie pour effectuer en pousse-pousse ce trajet de moins de 6 kms sur une route coupée de fondrières. Dans les faubourgs de la ville, aux voies défoncées par les orages, les coolies se heurtent à des poneys lourdement chargés qui cheminent en file. Des chaises à porteurs, transportant des mandarins, bousculent le passant, repoussé sur les bas côtés de la (1) M. Lkvy. i2) Colonel Ciievet. route où croupit un véritable bourbier. Dans un épouvantable vacarme, les hennissements des petits chevaux se mêlent aux cris rauques des coolies, aux glapissements des vendeurs ambu¬ lants, au « lamento » des musiciens chinois. A la clarté des torches et des falots, des portefaix gesticulent et vocifèrent. Au fond de galetas empuantis, des bruits de bataille montent dans la fraîcheur du soir. Les boutiques des commérçants s'éclairent de la lueur rudimentaire de lampes électriques séniles H). Dans un dédale de ruelles obscures, des escaliers-échelles donnent accès à des réduits délabrés ; des chiens en quête d'une pitance suivent affamés des passants en haillons. Mais, du moins à la lumière du jour, ce n'est pas la misère grelottante et doulou¬ reuse, c'est la guenille pittoresque, la pauvreté des pays ensoleillés. La nuit, par contre, donne aux quartiers les moins pauvres, des allures de « coupe-gorges » et l'aviateur, qui, ce matin, déambulait dans les avenues rectilignes de Hanoi, ne peut se défendre d'un mouvement d'étonnement. A 21 heures, la mission aérienne est reçue chaleureusement par le Consul de France qui, dans une familiale intimité, réunit à dîner les aviateurs et les membres de la Colonie française. Les jours qui suivent sont pour les équipages prétexte à nom¬ breuses réjouissances tant est magnifique la réception enthousiaste de nos nationaux. Les invitations se succèdent sans répit. Le Consul de France, le Colonel attaché militaire, le Médecin Chef de l'hôpital français<2\ le Directeur des Postes chinoises!3), de nationalité française, organisent fêtes sur fêtes. Du côté chinois, Mr. Wan-Yu-Wie, Délégué du Wai-Kiao-Pou, et le Colonel CnANG-Kia-KiA, Commandant l'Aéronautique yunna- naise, convient les aviateurs à deux pittoresques dîners à la chi¬ noise. Les plats se succèdent variés : cochons laqués, nids d'hiron¬ delles, soupe de chrysanthèmes, alternent avec ailerons de requin, vessies de poissons, sapèques en or ou moustaches de dragon. (1) L'Usine électrique de Yunnanfou, installée pour éclairer 50.000 habitants, donne le courant à 20O.OOO foyers : aussi les lampes électriques sont-elles com¬ munément doublées par des lampes à pétrole. (2) Médecin Colonel Mouillac. (3) M. Caudron . CENTRE DE DOCUMENTATION ET RECHERCHES SUR L'ASIE DU SUD ET LE MONDE INDONESIEN BIBLIOTHEQUE — 49 - Ces innombrables petits plats défilent devant les yeux amusés des aviateurs, qui se servent gauchement des baguettes en ivoire et font honneur aux vins généreux de leurs hôtes chinois. A chaque service, un des convives célestes porte un toast. . . au cognac, auquel il serait malséant de ne pas répondre. Ces repas pittoresques s'achèvent donc dans une gaieté inhabituelle dans nos dîners d'occidentaux. A l'issue du repas, Mr Wang, les mains croisées dans les manches de sa longue robe, prononce une allocution élogieuse à l'adresse des voyageurs aériens. Ceux-ci, après une promenade dans les rues peu praticables de Yunnanfou, regagnent l'hôpital français où le Médecin chef de l'hôpital français a réserve à chacun une hospitalité généreuse. Dans une causerie souriante, marquée au coin d'un esprit délicat, le Docteur Mouillac, « San-ko-Chou », disent les Chinois, déroule devant nos aviateurs l'image mystérieuse de la Chine. Il rappelle la figure énergique de l'impératrice Tseu-Hi, la der¬ nière grande souveraine, dont la mort en 1908 devait marquer l'aube des bouleversements actuels. Il fait revivre pour nos cama¬ rades le petit prince héritier, entouré de convoitises, la révolution de 1912, d'où se détache l'apôtre théoricien, le Docteur Sun-Yat- Sen, les dictatures successives des maréchaux Youn-Tche-ICai, et Chang-Kai-Chek, le triomphe du Kuo-Ming-Tang et la défaite de Ïchang-Tso-Lxn, la lutte contre les concessions et l'exterritorialité. Par d'amusants traits vécus, notre hôte dépeint les mœurs chinoises et les coutumes asiatiques. L'horloge de l'hôpital marque deux heures du matin ; mais, retenus par le récit captivant d'un homme qui depuis trente ans vit en Chine, nos jeunes camarades oublient de gagner leur chambre, pour reposer leurs membres las et leurs yeux encore remplis de cette vie nouvelle à leurs esprits d'occidentaux. Le lendemain est jour d'excursion pour les membres de la mission aérienne. Le Colonel, attaché militaire, organise une promenade au Sichan (Montagne de l'Ouest). En joyeuse troupe, les promeneurs franchissent la porte de l'Ouest et embarquent dans une jonque à voile, qui suit un canal bordé de saules, avant de pénétrer dans le lac de Yun¬ nanfou. Le bateau traverse ensuite la partie du lac dite « Mer des herbes », pour accoster enfin dans les rizières, près de la montagne à laquelle on accède par un portique de pierre. Les aviateurs gravissent la pente par une série de marches qui portent le nom d'escalier de l'encens brûlé (L. A droite en montant, une pierre marque les « mille premiers pas » parcourus. Au delà se dresse les pagodes, près du Puits de la Bufflesse, d'où l'on jouit d'un coup d'œil merveilleux sur la plaine de Yunnanfou. Puis c'est la descente de la montagne et le retour dans la ville ; d'étranges véhicules, tirés par des buffles, se traînent dans les ruelles étroites encombrées de sacs et coupées d'ornières, carrioles préhistoriques, que constituent de longues planches, fixées sur des roues plus polygonales que circulaires. Sans souci de l'hygiène, assis sur une partie garnie de fu¬ mier, le conducteur, soumis à des secousses grinçantes, glisse dans les frondrières et escalade les bosses ; parfois, il fait une halte brève, pendant laquelle les buffles harassés lèchent une sorte de boue noire restée au creux du chemin. La charrette grince, gémit, pleure, hurle, domine de ses sons aigus la foule criarde ou les cris des tireurs de pousse-pousse. Contraste étonnant : dans le ciel clair, deux avions Bréguet de l'Aéronau¬ tique chinoise se poursuivent et ronronnent: à côté du véhicule primitif, l'instrument de transport de 1931. Des marchands ambulants glapissent leurs offres. Une caravane de petits chevaux passe sans se presser derrière un convoi de mulets. Des appels rauques s'entremêlent, surmontés parfois par le signal avertisseur d'une automobile Ford (la seule automobile de Yunnanfou), qui s'insinue lentement au milieu de la foule incapable de se garer. Le surlendemain, les aviateurs visitent la ville et font de nom¬ breuses emplettes : colliers de jade, bracelets d'argent, pipes d'ivoire et fourrures, kakémonos et vieux costumes sont transportés sur le terrain d'aviation, sur de petits chevaux dociles. (1) Les pèlerins chinois font brûler des «jossticks » pendant, l'ascension de la montagne. — 51 - Grâce à l'ingéniosité des mécaniciens, tous ces objets disparates sont si judicieusement répartis dans la carlingue, déjà encombrée parle matériel de rechange, qu'il n'y a, à la vérité, aucun espace perdu. Le 22 Décembre, le Lieutenant-colonel, Chef de mission, qu'ac¬ compagnent notre Consul de France à Yunnanfou et le Colonel Chevet attaché militaire, est reçu par le Général Long-Yun, Chef du Gouvernement Chinois. Le président du Directoire Yunnanais s'in¬ quiète des possibilités de nos avions, de leur rayon d'action et de leur vitesse, et surtout de la quantité de bombes que peut emporter un appareil. Il dit ensuite avoir lu dans un journal anglais qu'un procédé nouveau permettait au matériel volant de se rendre invisible et inaudible, et demande des précisions à ce sujet. Deux points retiennent particulièrement l'attention du Général chinois: le rayon d'action et le plafond II demande notamment si les avions sont en mesure de faire le voyage aller et retour Indochine - Yunnanfou sans escale. Afin de rendre à ce voyage son véritable caractère, qui procède exclusivement de sentiments amicaux, le Lieutenant-Colonel De Premorel offre au Général Long-Y un de faire survoler par les avions de France la fête organisée à l'Ecole Militaire, en commé¬ moration de la Révolution Chinoise. C'est ainsi que le 25 Décembre, pendant la revue des troupes chinoises, les équipages français exécutent un imposant vol de groupe sur la ville et décrivent un cercle d'honneur au-dessus de l'Ecole Militaire chinoise. Enthousiasmés par la puissance des avions étrangers, les membres du Directoire Yunnanais demandent à recevoir le baptême de l'air. Successivement le Général Tong-Ki-Lim, Directeur de l'Ecole Militaire, le Général Kao-Yiu-Hoai, Chef d'Etat-Major, le 1er Conseiller Yi exécutent un vol sur Potez et redescendent gagnés à la cause de l'air. Les divers membres de la Colonie française, dont plusieurs jeunes filles, survolent également la ville. Chaleureusement reçus par les autorités chinoises et les membres de la Colonie française, décorés par le Général Kao de la Médaille commémorative de l'Indépendance chinoise, les équi¬ pages regagnent la base de Bach-Mai, le 26 Décembre, après une brève escale sur le terrain chinois de Mongtzeu, dont les trous - 52 - et les bosses nombreuses avaient mal fait augurer l'utilisation éventuelle. Après une nuit de repos à Mongtzeu, l'escadrille repart pour Hanoi au lendemain d'une réception qui, pour improvisée qu'elle fût, ne s'en trouve pas moins très cordiale. Le voyage aérien Hanoi-Yunnanfou, occasion de nombreuses manifestations d'amitié franco-yunnanaise, a contribué à resserrer les liens des deux pays. La mission a mis, d'autre part, en valeur les qualités techniques du matériel, provoquant d'heureuses répercussions dans le domaine commercial. Le petit malentendu signalé plus haut, et à la suite duquel les autorités chinoises virent les avions français survoler la ville de Yunnanfou avant même d'être averties de leur départ, n'eut pas les suites fâcheuses qu'on aurait pu craindre. Le Consul de France intervint en effet personnellement auprès du Gouvernement Chinois pour restituer à l'arrivée soudaine des appareils, leur véritable cause, c'est-à-dire un retard dans les transmissions télégraphiques. Grâce aux explications fournies par notre représentant, le Général Long-Yun se garda d'interpréter le voyage comme un geste d'intimidation et fit aux aviateurs un accueil extrêmement cha¬ leureux. On en trouve le signe dans les invitations dont les membres de la mission furent l'objet. Ceux-ci, sur le terrain d'Oukiapa, rencontrèrent en leui's collègues de l'Aéronautique Yunnanaise de véritables camarades, attentifs à allumer des feux sur le terrain au moment de l'atterrissage pour indiquer par les fumées la direction du vent et à diriger en personne leur personnel chinois, au cours des différentes manœuvres effectuées au sol. D'un autre côté, l'attitude des aviateurs d'Indochine contribua à entretenir, entre les officiers des deux pays, une atmosphère très cordiale. Les pilotes français se prêtèrent de bonne grâce, le 23 Décembre, aux exhibitions qui leur étaient demandées ; ils surent se faire apprécier des élèves de l'Ecole Militaire à qui ils servirent d'instructeurs occasionnels. Le Général Long-Yun semble avoir été spécialement touché de l'empressement - 53 — montré par l'escadrille à accéder à son désir et à retarder son départ pour participer aux fêtes du 25 Décembre. Le soir même de ce jour, avant le dîner offert par le Directeur de l'Aéronautique Yunnanaise, le Général Kao, Chef d'Etat-Major, remercia le Lieutenant-colonel De Premorel d'avoir bien voulu apporter par cette démonstration d'amitié une nouvelle preuve de la sympathie qui unit la province du Yunnan et l'Indochine, et il remit, on l'a vu, à chacun des aviateurs, au nom du Géné¬ ral Long-Yun, la Médaille Commémorative chinoise. Enfin, en quittant Yunnanfou, le Lieutenant-Colonel De Premorel s'offrit à emporter une partie du courrier pour l'Indochine; cet acte de cordialité produisit un excellent effet, et, le jour même, le Directeur des Postes chinoises en saisit sa Direction Géné¬ rale à Shanghai par un rapport extrêmement élogieux. •h- * * Au point de vue commercial, il s'avérait depuis le début de l'année 1929 que nos appareils et notre technique ne marquaient plus de progrès appréciables sur le marché chinois, en face de la place sans cesse croissante que s'y faisaient les aviations étrangères. Le Ministère de l'Air s'en émut, et adressa à l'époque un pressant appel à la Chambre Syndicale des industries aéro¬ nautiques. Le voyage de démonstration, accompli dès 1929 par les aviateurs Arachart et Rignot, fut une première tentative effectuée dans le but de redresser cette situation, d'autres suivirent. Le récent raid de l'Aéronautique d'Indochine peut s'y rattacher et semble avoir pi-oduit uue impression dont on est en droit d'attendre avec confiance les résultats. Les autorités chinoises ont été favorablement impressionnées par les explications qui leur ont été fournies sur le matériel français et les démonstrations qui leur en ont été faites. En particulier au point de vue du plafond, la comparaison avec l'avion Ryan livré au Yunnan, par une socité américaine, n'a pas été à l'avantage de ce dernier appareil. L'élévation du plafond chez les nôtres a profondément frappé le Général Long-Yun, qui n'a pas caché son étonnement en apprenant que les Potez 25 montaient à 7.000'" en 30 minutes et pourraient faire mieux. La question a - 54 - son importance en un pays montagneux où l'aérodrome lui-même se trouve à près de 2 000m au-dessus du niveau de la mer. C'est ainsi qu'en 1929, au cours des opérations entreprises dans l'Ouest de la province, le Ryan dut renoncer, après trois tentatives infructueuses, à franchir un col élevé ; le Président du Directoire s'enquit des résultats qu'auraient pu obtenir nos Potez dans cette cii-constance. Au départ de l'Escadrille française, ce même Ryan, qui avait pris l'air pour escorter les Potez jusqu'à Amitcheou, ne put les suivre, malgré l'habileté du pilote, et revint presque aussitôt sur le terrain. Le même intérêt pour notre matériel se manifeste chez les élèves de l'Ecole Militaire, parmi lesquels se recruteront les futurs chefs de la province. Au cours de l'instruction qui leur fut faite par nos aviateurs, ils manifestèrent un vif intérêt, demandant des explications, faisant manœuvrer les appareils, s'occupant particulièrement des questions d'armement aérien. Il faut voir un premier résultat de cette propagande dans un mot du Directeur de l'Aéronautique Yunnanaise qui, se plai¬ gnant de n'avoir pas d'observateurs confirmés, exprime le désir d'obtenir l'autorisation de faire instruire au Tonkin quelques officiers, auxquels serait notamment enseignée la technique de la photographie aérienne. A un dernier point de vue, la démonstration aérienne à Yun- nanfou semble avoir eu de très heureux effets, en rehaussant le prestige de notre Aviation à l'étranger. La population chinoise a été fortement impressionnée en voyant survenir, en quelques heures et sans difficulté, cinq appareils puissants montés par des équipages sûrs et expérimentés. La masse du peuple s'en montra vivement frappée. Les milieux officiels ne le furent pas moins. Les questions posées par le Général Long-Yun au Lieutenant-colonel, Chef de mission, montrent assez clairement les réflexions admiratives que lui ins¬ pirait le matériel de la puissante nation amie, matériel adapté aux exigences du progrès, véritable ambassadeur du génie de notre paj^s et de 1 industrie française. Chapitre XV FÊTE AÉRIENNE DE SAIGON (28 Décembre 1930) L'Aéro-Club de Cochinchine organise sur le terrain de Saigon (Tân-Son-Nhut) une manifestation destinée à commémorer le ving- ' tième anniversaire du premier vol, exécuté à Saigon, en 1910, par l'aviateur Van Den Born, qui vient d'être fait chevalier de la Légion d'Honneur. Les hautes autorités civiles et militaires soulignent par leur présence 1 intérêt de cette fête (1). Une foule nombreuse se presse sur le terrain accueillie par la musique du « Waldeck Rousseau ». Sur l'aérodrome, qui flambe au soleil, les élégantes toilettes claires des jeunes filles de Saigon jettent leurs notes gaies. Affairés, les mécaniciens s'empressent auprès des avions dont les pétarades rageuses appellent le pilote pour l'envolée prochaine. Au signal du chef d'escadrille, les oiseaux de bois et d'acier partent pour l'escalade du ciel et un vi-ombissement inégal accom¬ pagne les acrobaties de ces jouets d'un âge nouveau. Européens et indigènes acclament nos aviateurs dont la vir¬ tuosité émerveille chacun. Un imposant vol de groupe de sept avions de l'escadrille de Cochinchine, suivi de plusieurs passages bas, se poursuit par des évolutions serrées au-dessus du terrain. (1) M1' Krautheiaier, Gouverneur de Cochinchine, le général Vallier Commandant la Division de Cochinchine-Cambodge, le général Paulet, Commandant d'Armes du Cap-Saint-Jacques. — 56 — Des descentes en parachutes et des lancements de ballons obtiennent un succès mérité. Le Commandant de l'Aviation terrestre de Cochinchine d) présente en vol l'avionnette Caudron récemment achetée par l'Aéro- Club de Saigon. Le Lieutenant de Vaisseau, Commandant la base Aéro-Mari¬ time (2), évolue ensuite au-dessus de Saigon sur un hydravion de la Marine. Le pilote lance sur la ville plusieurs tracts que s'arrachent les indigènes, puis bombarde avec succès une paillote édifiée au milieu du terrain. Il n'est de meilleure propagande que celle qui s'exprime par des faits ; aussi les avions de la Compagnie Air-Orient donnent- ils le baptême de l'air, jusqu'à la chute du jour, à de nombreux- passagers que ce petit séjour au pays des nuages rallie définiti- ment à la cause aérienne. (1 ) Capitaine Gaulard. (2) Lieutenant de Vaisseau Menés. ri Chapitre XVI VOYAGE BANGKOK-HANOI ET RETOUR (31 Décembre 1930) La genèse de ce récent voyage remonte à quelques années après la guerre. Le 11 Novembre 1922, en effet, la Revue Commémorative de l'Armistice à Hanoi avait été survolée par un groupe de quatre aviateurs siamois, venus de Bangkok par la voie des airs. Cinq ans après, en Novembre 1927,1e Lieutenant-colonel Leblanc Commandant l'Aéronautique d'Indochine, fut chargé par le Gou¬ verneur Général de porter en avion à Bangkok, un message de félicitations au Roi de Siam dont on fêtait alors l'anniversaire. A la fin de 1930, le Prince Purachatra, Ministre de l'Air siamois, avait été envoyé en mission à Saigon. Le 24 Septembre, le prince fut reçu au centre de Bienhoà, où de vives marques de sympathie lui furent témoignées. Ayant en particulier exprimé le désir d'effectuer un vol, le prince Purachatra fut convié à monter à bord d'un avion Potez et à survoler la région. Au retour le Ministre siamois, enchanté de cet essai, qui lui avait permis d'apprécier les qualités de vitesse et de puissance d'un appareil fi ançais moderne, remercia en termes émus le Comman¬ dant de l'Aviation de Cochinchine du chaleureux accueil qui lui avait été réservé. Il exprima le vœu de voir confirmer, par de fréquents voyages aériens, l'amitié franco-siamoise. Enfin, le 1er Décembre 1930, deux avions militaires, escortant le Gouverneur Général, avaient effectué le voyage Saigon-Bangkok (P. Afin de rendre à l'Indochine la visite faite par les aviateurs français, un groupe de trois avions siamois décolle donc de Bangkok, le 31 Décembre 1930, en direction de Hanoi. (t) Voir page 35 (Chapitre xii). Les trois appareils CD sont pilotés par le Commandant Luang- Biiasa, le Capitaine Luang-Saine et le Lieutenant Khun-Lafa. Le passager du premier avion est le Général Piiya- Chalemhakas, Directeur de l'Aéronautique siamoise. La mission, qui avait quitté Bangkok à 8 heures, fait escale au terrain frontière de Lakhone et atterrit à 17 heures à Hanoi, exécutant avec une régularité remarquable un voyage difficile au-dessus de la Chaîne Annamitique cachée par les nuages. A l'atterrissage à Bach-Mai, les officiers aviateurs de Bangkok sont accueillis par le Général de Division (2), Commandant la Place de Hanoi. La troupe en armes rend les honneurs, pendant que la mu¬ sique du 9ème Régiment d'Infanterie Coloniale joue les hymnes nationaux. Après avoir reçu, des mains d'une charmante Française, un énorme bouquet, le Général Phya-Chalemiiakas Chef de la mission aérienne, est conduit à la salle d'honneur de Bach-Mai, près des hangars où dorment les avions siamois harassés par une longue course. Dans une brève allocution, le Lieutenant-Colonel, comman¬ dant l'Aéronautique d'Indochine, exalte les liens d'amitié qui unis¬ sent la France et le Siam; il rappelle que le Général Phya- Chalemhakas et le Capitaine Luang-Saine ont obtenu avant la guerre leur brevet de pilote en France ; il souligne l'œuvre vaillan¬ te accomplie sur le front français par les deux officiers siamois qui spontanément s'engagèrent dans une de nos escadrilles et furent plusieurs fois cités. La soirée s'achève à Hanoi où un dîner intime réunit les avia¬ teurs siamois et français. Déjà accoutumé, par un long séjour en France, aux rites millénaires de l'hospitalité gauloise, éprise de (1) Caractéristiques des appareils siamois. — Marque « Paribatva » type 21 - Moteur Jupiter 420 CV — A démarreur Viet F.120 — Ailes de fabrication anglaise — Fuselage du type Bréguet 14 modifié — Roues Robur — Pneus Pala- dium— Essence: 750 litres répartis en 3 réservoirs — Dans l'ensemble, les appareils siamois sont construits avec des pièces provenant de différents types d'avions français et étrangers : ce matériel dont la vitesse est de 160 kilo¬ mètres — heure environ, démontre la manière ingénieuse, dont l'Aviation mili¬ taire siamoise, a su tirer parti d'un matériel hétéroclite. L'emploi de plusieurs éléments fabriqués en France consacre, de façon indirecte, l'excellence du matériel français. (2) Général Jannot. — 59 - beaux discours et de vins généreux, le Général Phya-Chalemiiakas prononce l'éloge de ses hôtes et fait voir le sens de cette manifes¬ tation aérienne, destinée à consacrer la fraternité de deux peuples. Les jours qui suivent, les officiers étrangers sont l'objet de chaleureuses démonstrations de sympathie, delà part des autorités françaises. Avec leurs camarades de l'Aéronautique d'Indochine, ils visitent la ville de Hanoi dont ils goûtent fort «le petit lac délicieux et intime, fleuri de lotus et de pagodons», les vastes avenues rectili- gnes et ombreuses qui contrastent avec les rues sinueuses de la vieille cité indigène. Le lendemain, on organise en leur honneur une excursion en Baied'Along. Une automobile rapide leur fait franchir le Pont- Doumer dont le Général Phya-Chalemhakas admire l'immense charpente de fer. Une heure plus tard, ils traversent Haiphong d'où une chaloupe les conduit à travers les milliers d'îles et d'îlots rocheux, merveilles de la côte indochinoise. Le 6 Janvier, la mission siamoise rallie l'aérodrome de Bach- Mai pour prendre le départ en direction de Bangkok. Le Général Billotte Commandant en chef et le Résident Supé¬ rieur au Tonkin, M. Tholance ont tenu à accompagner les aviateurs étrangers jusqu'au champ d'atterrissage, afin de cimenter mieux encore l'amitié franco-siamoise. Sur le terrain d'aviation un bataillon rend les honneurs. Et, pendant que les cuivres de l'Infanterie de Marine jouent les hymnes nationaux, les aviateurs de Bangkok décollent, encadrés par les appareils des pilotes d'Indochine que précède l'avion du Comman¬ dant du groupe d'escadrilles de Tong(t). A deux cents mètres d'altitude, tous décrivent, sur l'aérodrome, un large cercle d'honneur. Dans le ciel gris du Tonkin, les oiseaux de Each-Mai voisinent avec les avions siamois; le bruit des moteurs, de types différents, se fond dans le lointain en un sourd ronronne¬ ment. Et, comme pour mieux témoigner de la fraternité des deux escadrilles, les cocardes tricolores des appareils de l'Indochine française rejoignent harmonieusement, sous un plafond de longs nuages sombres, le blason bleu, blanc et rouge des avions siamois. (1) Commandant pilote Mathis. Chapitre XVII L'ANNÉE 1930 Pendant l'année 1930, les registres aériens de l'Aéronautique d'Indochine accusent, pour la première fois, le chiffre de 4.000 heures de vol consacrées à des sorties d'entraînement, des liaisons postales, des exercices avec les autres armes, des missions d'ordre économique et politique, des voyages à l'intérieur et à l'étranger, sans excepter les évacuations sanitaires et les missions proprement militaires. Missions photographiques. De nombreuses missions photographiques sont également exécutées pour les services administratifs de l'Indochine ainsi que pour le Haut Commandement. En fin d'année, la surface cou¬ verte en photographies représente une zone de plus de 500.000 hectares et comprend les régions de Vinh, Thanh-Hoa, Pho-Lu, Haiduong, Moncay, Langson, Prey-Veng et la pointe de Camau. Liaisons postales. Au cours de la même année, les équipages effectuent neuf voyages Hanoi - Saigon et vice versa, assurant simultanément la liaison postale entre les deux capitales indochinoises et permettant de réaliser un gain de quatre jours sur le courrier transporté par voie de terre. Malheureusement en raison des circonstances atmosphériques, nettement défavorables en fin d'année, du moins sur la côte (typhons et crachin), les pilotes ne peuvent assurer régulièrement le transfert du courrier. Quant à la liaison par le Mékong, elle ne peut être entreprise, dans des conditions acceptables de sécurité, en raison du mauvais état actuel des terrains à proximité du fleuve. Le tableau suivant, simple énoncé de faits, résume l'œuvre accomplie, au seul point de vue des liaisons postales, pendant l'année 1930. 4000 3_â_â_Q_ 3j9_Û_Û_ 3JL5JL .uon 5750 a 7 0 0 ■HOO .U5 0 3 A 0 0 3 3 5 0 3 30 0 5?.5Q 3 20 0 315 0 .^<15 0 âÛfijCL 2000 ga&ss 2 S 5 0 2,7 0 0 2_fiJL£L a_5_5_£L 250 0 24 5 Q 2400 ?. a ^ Q g. a o o &25 O 2 20 0 21 5Qj -UJLIL m 19Q0 18 5 0 I 8 0 Q 1 7 5 Q 4 6QQ 4-550 1 500 14 50 14 Q Q 4_i_5JL -1413*15 1445S40 UlÛJL 1 2 50 J166*4S .1655^56 10 50 IQflO iZ5g5~ £4>50 HEURES DE VOL EFFECTUÉES A L'AÉRONAUTIQUE D'INDOCHINE DE 1920 A 1930 1924 — 61 — LIAISON HANOI-SAIGON ET RETOUR Date EXÉCUTION Poids de courrier transporté 2 Mars Aller en 2 jours — Retour en 8 jours, en raison du mauvais temps. (Le courrier a été confié au train à partir de Tourane). 200 legs 12 Avril Aller en 2 jours — Retour en 2 jours 1/2 par suite de mauvais temps. 350 kgs 26 Avril Aller en 1 jour — Retour en 1 jour. 130 kgs 9 Mai Aller en 1 jour — Retour en 1 jour. 150 kgs 21 Juin Aller en 2 jours — Retour en 5 jours, en raison du mauvais temps. (Le courrier a été confié au train à partir de Tourane). 250 kgs 23 Juillet Aller en 2 jours — Retour en 1 jour. 200 kgs 10 Août Aller en 2 jours — Retour en 1 jour. 150 kgs 6 Septembre Aller en 2 jours — Retour en 1 jour. 200 kgs 19 Octobre Aller en 2 jours — Retour en 1 jour. 250 kgs Les voyages aériens s'effectuent en correspondance avec les mouvements des grands paquebots qui transportent Le courrier de France en Indochine et réciproquement. La distance à parcourir de Hanoi à Saigon n'est que de 1.500 kilomètres par la côte et de 1.200 kms par le Mékong. Le trajet pourrait donc être effectué dans la même journée. Néanmoins, un relai est prévu à Tourane afin de ménager le personnel et le matériel. Missions sanitaires. Au cours de l'année 1930, l'avion sanitaire est plusieurs fois mis à contribution. Le 20 Janvier, un officier aviateur gravement blessé est évacué en limousine Bréguet. Le 21 Janvier, le corps d'un sous-officier, grièvement blessé et décédé de ses blessures, est transporté par aérochir Bréguet de Quang-Yên à Hanoi. Le 11 Février, le Commandant du 1er Régiment de Tirailleurs tonkinois, gravement malade, est évacué de Luang-Prabang sur Vientiane, puis sur Hanoi, grâce à un avion Potez 25. Le 13 Décembre, un avion Potez 450 Lorraine transporte de Vientiane à Luang-Prabang un médecin, mandé d'urgence pour procéder à l'amputation du bras d'une femme européenne. Il n'est de meilleure éloquence que celle qui se dégage des faits. En matière d'évacuation sanitaire, avec un bon avion soi¬ gneusement vérifié, monté par un pilote adroit et prudent, ayant déjà voyagé à la colonie, la sécurité est incontestablement plus grande qu'avec les fragiles sampans ou les autos qui roulent sur les routes coloniales défoncées et coupées de bacs. 11 faut donc souligner le rôle de l'aviation sanitaire en Indochine. Lorsqu'un Européen isolé dans la brousse saura, qu'en cas d'accident ou de maladie grave, il peut être transporté rapidement dans une formation sanitaire, son état moral s'en ressentira heureusement. A ce titre, la possibilité de l'évacuation sanitaire par avion est une prime à la colonisation. Chapitre XVIII RECONNAISSANCE AÉRIENNE DE LA BASSE COCHINCHINE ET DU GOLFE DU SIAM (Janvier 1931) Le 5 Janvier 1931, à 7hl5, un hydravion de l'escadrille Aéro- Maritime de Cochinchine (0 décolle de Bienhoà, avec l'ordre de reconnaître les bases d'amerrissage de la Cochinchine et du Golfe du Siam. L'aéronef est un appareil Garas 37 Lia, aménagé en hydra¬ vion après suppression du train d'atterrissage. L'ordre de mission prévoit quatre étapes : de Bienhoà à la pointe de Camau, de l'île de Phu-Quôc à la frontière du Siam, de Kampot à Hatiên, enfin de Rach-Gia à Bienhoà. A 8 heures, l'hydravion survole le sémaphore de Nha-Bé ; à la droite du pilote, s'étend la terre inondée où voisinent les racines enchevêtrées des palétuviers et les bouquets de palmiers d'eau; au milieu des marécages et des rizières, aussi monotones que notre Beauce, se dressent les pilotis de cases en bambou, asiles des pêcheurs indigènes. A 9h3Q, l'équipage dépasse Bac-Liêu, puis survole le con¬ fluent du Rach-Gia et du Cua Dam-Oui, dont les eaux tranquilles se prêteraient facilement à un amerrissage en cas de panne. A llh45, l'hydravion amerrit devant Rach-Gia. Un banc de vase, d une longueur approximative de deux milles marins, empêche le pilote d'atteindre la côte, à laquelle (1) Équipage: Pilote: Lieutenant de Vaisseau Menés. Passager : Lieutenant de Vaisseau Robin, Commandant l'aviso « Alerte ». Mécanicien : Second maître Baguet. - 64 — Y Rach-Gia est relié par un canal trop étroit pour permettre 1 hydroplanage. L'hydravion décolle à nouveau et amerrit une heure plus tard devant Ha-tiên, où des bouquets de bananiers étendent, au-dessus des paillotes indigènes, leurs palmes protectrices. Le lendemain, le pilote prend le départ en direction de Phu-Ouôc. A 8 heures, l'avion survole l'île de la Tortue, puis celle de Poulo-Dama, dans un cadre de cocotiers et de manguiers enguirlandés de lianes. L'hydravion décrit un large cercle au-dessus de l'île de Phu-Ouôc; «c'est là que l'Empereur Gia-Long, dit Pierre Rey, au cours des multiples et douloureuses pérégrinations qui précédèrent son avènement au trône, était venu, vaincu et fugi¬ tif, méditer sur ses destinées futures ; c'est près des ces rochers mouillés par les flôts, sous ces fdaos dont les douces chevelures chantent doucement dans le vent que l'Evêque d'Adran, Monsei- r gneur Pigneau de Béhaine, parlait de la France à son royal élève». A 9h30, le pilote survole la baie de Kompong-Som et, deux heures plus tard, l'hydravion amerrit à Réam. Le 7 Janvier, les aviateurs effectuent, en une heure, le trajet de Réam à Kampot en survolant la côte à basse altitude. A 9h30, après avoir dépassé le massif de l'Eléphant, l'hydravion amerrit à Kampot devant la Résidence. Le 8 Janvier, l'hydravion décolle de Kampot à 6h, survole 1 île du Pic puis l'archipel des Pirates. Bientôt le temps se couvre, contrains le pilote à amerrir à 15 milles du cap de la Table et les aviateurs gagnent la côte en hydroplanant. Après s'être ravitaillé en essence à Rach-Gia, l'équipage décolle à 8h45 et survole la plaine uniforme. Dans le lointain, les villages aux maisons basses s'entourent des tiges élancées des hauts aréquiers ; les troncs noirs des manguiers et les rangées de palétuviers marquent le cours des multiples arroyos qui sillonnent un paysage mélancolique. L'hydravion dépasse Cantho et atteint, vers 9h30, à 30 kms des Jardins fleuris de Sadec, le centre de Vinh-Long sur l'un des bras secondaires du Mékong; la coquette cité de Mytho est r survolée à lOh et à 1 lh 10, l'équipage amerrit à Bienhoà. En 14 heures de vol effectif, les aviateurs avaient parcouru 915 milles marins soit 1.670 kms environ. . j, r.u.v-:"; N © CAMBODGE j Angkor Vat. Chapitre XIX INSPECTION DE LA MISSION PHOTOGRAPHIQUE DU LAOS (.Janvier 1931) Le 6 Janvier 1931, le Chef de Bataillon, Commandant le groupe d'escadrilles du Tonkin, inspecte en avion les équi¬ pages détachés au Laos, pour l'exécution des missions photo¬ graphiques de la région. L'appareil (1) décolle du terrain de Bach-Mai, à 8 heures, en même temps que les avions de la mission siamoise, et les aéronefs volent de conserve jusqu'à Phu-Ly, à une altitude moyenne de 500 m. A quelques kilomètres à l'est de Chiné, l'avion français in¬ fléchit sa course vers la droite, augmente rapidement d'altitude et navigue au compas au-dessus de la mer de nuages. Le pilote survole successivement Napé et Kamkeut, avant de longer le cours sinueux de la Nam-Ka-Dinh, au fond d'une vallée encaissée, qui tranche transversalement des chaînons sau¬ vages. Dans toutes les directions, le massif calcaire s'étend im¬ mense sous l'œil de l'observateur aérien : coupé de pentes abruptes, qui le défendent comme le donjon d'un château fort, au sein d'une nature hostile et tourmentée, il ne ménage au¬ cune place à un champ naturel d'atterrissage. L'avion pique droit vers le Mékong, "Mère des Eaux", au- dessus de forêts épaisses, émaillées, de distance en distance, par des cours d'eau aux allures de torrents. (1) Pilote : Commandant Mathis. Navigateur : Capitaine Auphan. - 66 - L'équipage ne considère pas sans anxiété cette terre inhos¬ pitalière, dépeuplée et dépourvue de ressources, dont les rares repères planimétriques renseignent mal le navigateur même averti. Peu après, l'avion atteint Paksane, puis le Mékong, où quelques bancs de sable, d'une planéïté peu rigoureuse, offrent au pilote un asile plein d'aléas. Les aviateurs longent le grand fleuve, au centre d'un pays accidenté, où seules quelques paillotes, près d'un ray, s'accro¬ chent aux flancs de la montagne. Peu après, le paysage s'élargit : le pilote aperçoit l'agglomé¬ ration de Vientiane, que le toit pointu du That-Luong dénonce de loin à l'observateur aérien et, à 12 b30, l'avion atterrit sur l'aérodrome laotien, où les voyageurs sont l'objet de vives marques de sympathie. Le lendemain, l'avion décolle à 14 h en direction de Luang- Prabang. A 2.500m d'altitude, le pilote longe la pittoresque rivière de la Nam-Gun, dépasse successivement Tourakhon, puis Van-Ving et atteint Luang-Prabang, capitale du Royaume des Millions d'Eléphants et du Parasol Blanc, "ville délicieuse et rustique, dit RoQuebain, précieuse cité de légende où les jeunes filles couvrent leurs seins d'une écharpe vive et piquent dans leurs cheveux les fleurs de l'hibiscus et du frangipanier, où les nuits sont pleines de rires et de chansons, où il faut en¬ core aller, pendant qu'il en est temps, respirer le parfum sin¬ gulier du nonchalant Laos ». Après avoir inspecté les équipages détachés à Luang-Prabang, le Chef de mission est reçu en audience particulière par le fils aîné du Roi de Luang-Prabang. Cédant aux instances, dont le jeune prince se fait l'inter¬ prète, le pilote emmène en avion la Princesse Royale et le Frère du Roi de Luang Prabang : l'appareil fait une courte pro¬ menade au-dessus de la capitale, à la grande joie des Laotiens qui, accourus en foule, contiennent mal leur enthousiasme. Le lendemain, le prince héritier convie les aviateurs à sa table ; à la fin du repas, il exalte l'œuvre aérienne au pays lao¬ tien et décerne aux officiers les insignes de l'Ordre Royal. Le 10 Janvier, l'équipage rejoint la base de Hanoi en 1 h 50 de vol. Le fait vaut d'être souligné ; le trajet Vientiane-Hanoi exige en effet et au minimum dix jours de voyage pénible par les moyens ordinaires. Chapitre XX LIAISON AÉRIENNE SAIGON- LUANG-PRABANG ET RETOUR (Janvier 1931) Le 9 Janvier 1931, deux avions (D du centre de Cochinchine, décollent du terrain de Bienhoà. Après avoir fait escale à Paksé et Vientiane, les appareils atterrissent à Luang-Prabang, la vieille cité laotienne que les toits pointus de ses pagodes, émergeant des bois d'aréquiers, signalent à l'observateur aérien. En sept heures cinquante de vol, les deux pilotes avaient relié Saigon à Luang-Prabang dans la même journée, alors que ce trajet, par les voies normales, exige trente cinq jours de voyage. L'intérêt de cette performance la fait hautement apprécier par le Général Commandant la Division de Cochinchine-Cambodge. Cet Officier général souligne que les deux avions « ont franchi en huit heures de vol la distance de 1600 km s qui sépare Saigon de Luang-Prabang, reliant ainsi pour la première fois l'Extrême-Sud à l'Extrême-Nord de notre Empire Indochinois. « Un pareil exploit, conclut le Général Commandant la place de Saigon, est une démonstration d'énergie et d'audace qu un chef doit toujours admirer parce que la prouesse est en soi admirable et parce qu'elle ouvre la voie aux réalisations non plus seulement sportives mais utiles et pratiques de demain ». Dans ces lignes élogieuses, le Commandant de la Division de Co¬ chinchine-Cambodge se faisait l'interprète des sentiments ressentis (Il Pilotes : Capitaine Gaulard, Sergent Busca. Passaçfers : Adjudant Meulien, Mécanicien. Sergent-Chef Carbonnel, Mécanicien. — 68 - par nos protégés laotiens, lors de la venue des aviateurs de Cochinchine. « L'arrivée des hommes volants fait, en effet, sensation au Laos, dit Mr Norès, parce qu'elle se trouve en corrélation avec une vieille légende du pays d'après laquelle « les deux génies protecteurs Ling-Tong et Sing-Sai ont fait l'ascension du ciel sur un cheval ailé, non sans avoir promis de revenir un jour sur les bords du Mékong ». Aussi y-a-t-il toujours à l'atterrissage des ap¬ pareils une foule nombreuse qui accueille les hommes-oiseaux avec le plus aimable empressement. Le « Mai-Ban » ou chef du village offre au pilote dans une coupe en argent, les présents rituels : des fleurs, une petite bougie de cire et deux ou trois bâtonnets de poudre de santal, le tout accompagné de com¬ pliments de bienvenue. Et pour peu que l'aviateur adresse quel¬ ques paroles cordiales à la population accourue, on lui propose défaire un «Bonn» c'est-à-dire une fête nocturne où l'on cause, chante et boit. Les chants consistent en une joute oratoire en vers improvisés, qui s'engage entre « Phu-Bao » et « Phu-Sao », c'est-à-dire entre jeunes gens et jeunes filles. Ces chants sont accompagnés par le « Khene », sorte de flûte formée de douze roseaux accolés, dont le son très doux rap¬ pelle celui de l'orgue. Au « Boun » succède la cérémonie du « Basi ». Elle est plus ou moins solennelle selon les cas et se résume essentiellement en des vœux formulés par des notabilités (bonzes, mandarins, femmes de distinction...) en faveur d'un personnage à qui l'on offre des fleurs et aux poignets duquel on attache un fil de coton blanc. La coutume veut que, pour ne point paraître faire fi des souhaits qui lui ont été exprimés de la sorte, le bénéficiaire ne brise point le frêle bracelet de coton, qui est un porte-bonheur et qui symbolise les liens de l'amitié ; il doit au contraire le conserver jusqu'à ce qu'il tombe naturellement par l'effet de l'usure. Le chef des bonzes entouré de gentes « Phu-Sao » exprime alors le souhait solennel : « Puissiez-vous, homme-oiseau, vivre très vieux. Que votre tête devienne blanche comme celle de la cigogne et votre peau ridée comme celle de la tortue ». Les fêtes organisées en l'honneur des aviateurs s'achèvent par la visite traditionnelle des deux grandes villes laotiennes : Vientiane et Luang-Prabang. Vientiane, incendiée par les Siamois en 1826, et devenue, au début du XXème siècle, la capitale du Laos français. A Vientiane, les costumes rouges des indigènes, les lances anciennes ornées de niellures d'or et de ciselures d'argent, les ruines pittoresques de la pagode de Pra-Iveo, doublée par la pagode restaurée de Vat-Sisaket, la haute pyramide du That- Luong avec sa triple enceinte, charment les officiers de la mis¬ sion aérienne. Mais la vraie cité laotienne, Luang-Prabang, devait retenir nos camarades aviateurs, vite séduits par le cachet gracieux des gens et des choses. Le palais royal, les vieilles pagodes, le marché pittoresque et animé, la colline de Phu-Si plantée au milieu de la ville, couronnée d'une pagode blanche et d'un élé¬ gant Thap doré, enchantent les pilotes. Aussi quittent-ils à regret cette ville nonchalante, à la vie aimable où «chaque soir, dit Norès, de quart d'heure en quart d'heure, le bonze frappe une note isolée sur le gong de cuivre, note cristalline, qui vibre longuement dans la nuit silencieuse». Chapitre XXI RECONNAISSANCE AÉRIENNE DANS LA RÉGION NORD DU CAMBODGE (.Janvier 1931) Le 19 Janvier 1931, un équipage C) décolle, à 7 h 10, de Bienhoà afin d'étudier la possibilité d'organiser des bases aéro-maritimes dans la région nord du Cambodge. L'appareil utilisé est un hydravion Cams 37 Lia. Le pilote survole le delta où la terre et l'eau se livrent une lutte continuelle. Un fort vent debout contrarie la marche de l'aéronef qui incline sa marche vers l'ouest, entre les deux Vaïco, au milieu des rizières. Au sud, Mytho se cache près du Mékong sous les bouquets de bambous et de cocotiers. L'avion longe le grand fleuve où les voiles de nombreuses embarcations jettent leur note claire ; à bord de jonques pan¬ sues, les bateliers indigènes font de grands gestes vers « l'oi¬ seau de l'homme blanc » qui accentue sa course vers Pnom-Penh. A l'ouest du Mékong, c'est l'immense Plaine des Joncs ; à l'est, des rizières inondées se succèdent indéfiniment. Le pilote atteint Banan et dépasse le bac qu'utilisent, pour traverser le fleuve, les voyageurs de la grande route coloniale de Saigon à Pnom-Penh. A 9h40, l'hydravion survole le large plan d'eau des «Quatre Bras » où s'entrecroisent le Tonlé-Sap, le Sékong et le Tonlé-Ba- (1) Pilote : Lieutenant de Vaisseau Menés. Passager■ : Enseigne de Vaisseau Laisne. Mécanicien : Second-maître Baglet. CAMBODGE— Chute de la Srepok — 71 — Sak. L'appareil décrit un large cercle au-dessus des toits dorés de Pnom-Penh, la capitale cambodgienne, où jadis, dit la légende, une certaine dame Penh, édifia, dans des conditions tragiques, un sanctuaire dédié à Bouddha. Mais il ne faut voir là qu'un mythe, fruit d'une fabuleuse imagination, et répéter avec le poète : « Mystérieuse et sombre histoire, « Qui dormira dans le passé » Escomptant l'amerrissage de l'appareil, une foule nombreuse se presse aux appontements de la Résidence de Pnom-Penh. Mais l'hydravion poursuit en direction de Kompong-Luong, puis de Kompong-Chnang qui est atteint à 10 h 20. Des villages, entièrement perchés sur pilotis, composés de cabanes de bois aux toits très bas, s'accrochent aux berges du Mékong. Sous- l'avion s'étend l'immense Tonlé-Sap, où des îlots sablonneux succèdent à des marécages, peuplés de vastes bancs d'herbes. De nombreux canaux unissent de véritables poches liquides, sur les berges desquelles les indigènes ont groupé leurs nombreuses pêcheries. « L'énorme nappe d'eau, dit Aymonnier, réverbère les rayons solaires avec un éclat que l'œil supporte difficilement et s'étend à perte de vue dans la direction du Sud-Ouest où se dresse dans le lointain la chaîne sombre et dentelée des monts de Pursat ». A 11 h30, l'équipage survole Siem-Réap et les célèbres ruines d'Angkor que découvrit, en 1851, le savant français Henri Mouhot. Sous l'avion se dresse le prodigieux amas de pierres, fruit d'une imagination inépuisable. « De gigantesques corniches, dit Gourdon, alternent avec des frontons démesurés, sous une profusion de fleurons. D'immenses galeries circonscrivent les gradins des pyramides géantes que sont les temples khmers de la statuaire bouddhique ». A 11 h 45, 1 hydravion amerrit au lac du Baray, ayant parcouru une distance de 540 kms, en 4 h 30 de vol. Chaleureusement accueillis par le Résident de Siem-Réap, les aviateurs décollent le lendemain en direction de Kompong- Cham. — 72 — Pendant plus d'un quart d'heure, le pilote survole de nouveau les ruines magnificentes du "Panthéon brahmanique", puis il infléchit sa course en direction de Pursat qu'il atteint à 8 h 30. Après une brève escale à Pnom-Penh, où le mécanicien effectue le ravitaillement en essence, l'appareil atteint Kompong- Cham à 15 h 30. Au milieu des manœuvres d'accostage, l'hydravion aborde une roche sous marine qui provoque dans la coque une voie d'eau importante. L'équipage échoue l'aéronef sur la berge et répare l'hydravion qui, le lendemain, rallie Bienhoà sans incidents. Dix heures de vol avaient suffi pour parcourir une distance de 690 milles soit 1.250 kms. - .. : <*• . \ ■ ? % t ' Chapitre XXII CONVOYAGE D'AVION SANITAIRE DE HANOI A SAIGON (Février 1931) Le 23 Février 1931, malgré des circonstances atmosphériques défavorables, une limousine sanitaire Bréguet 14 T-Bis (U décolle du terrain de Tong, à destination de Bienhoà. Un plafond bas, accompagné de crachin, contraint l'équipage à voler à basse altitude. L'avion longe le Fleuve Rouge jusqu'à Nam-Dinh. L'œil de l'aviateur repose sur la campagne du delta qui s'étend morne et plate : des réseaux de diguettes découpent le terrain en rectangles étroits, et constituent autant de rizières, où l'avion, aux jours d'infortune, capoterait à coup sûr contre les talus. Par contre, les bancs de sable ferme, qui se succèdent sur le Fleuve, permettraient à un appareil en détresse de tenter l'atterrissage. « Face à la grisaille humide du ciel, dit Boissière, le Fleuve majestueux coule lent, rouge d'ocre ou violet au gré des nuages, entre des rives basses ; il roule des flots que la légende dit ensanglantés Jour les veines rompues du céleste Dragon ». Aux environs de Nam-Dinh, où les maisons européennes se groupent sagement près de l'aérodrome, le pilote quitte le Fleuve, qui lui servait de guide, et file rapidement vers la mer, au point où viennent mourir les montagnes calcaires dont l'échiné (1) Equipage: Pilote : Sergent-Chef Ormand. Mécanicien : Adjudant Danh-Hung. - 74 - dure et accidentée sépare le Tonkin de l'Annam ; l'avion survole Phat-Diêm et ses cultures en parcelle allongée qui gagnent peu à peu sur l'eau calme où rien ne remue. A 13 heures, l'aérochir atterrit à Vinh où le mécanicien remet en état l'appareil et vérifie le moteur qui, pendant la première étape, avait donné des signes de fatigue. Le lendemain, l'avion décolle en direction de Tourane et longe le littoral rectiligne et sablonneux, prolongement de nombreuses dunes basses. « C'est, dit Castex, la côte blanche et uniforme sans anfractuosité, sans abri, la terrible Côte de Fer redoutée des pêcheurs annamites ». Le pilote dépasse Hué et sa citadelle à la Vauban édifiée sur les plans des compagnons del'Evêque d'Adran. Dès la porte d'Ahnam, le ciel devient maussade, puis prend bientôt une teinte gris foncé; les mauvais présages s'accumulent et obligent le pilote, attentif aux moindres repères, à voyager près du sol. L'avion survole bientôt le Cap Chu-May et atteint le Col des Nuages où le temps se gâte; le ciel se couvre complètement dans cet étroit paysage qu'il obstrue littéralement, contraignant les aviateurs à gagner la mer. Le fait n'est pas nouveau : « On ne peut pas dire, écrit en effet Paul Doumer, que ce nom de « Col des Nuages » soit mal choisi. Presque continuellement le col est enve¬ loppé de brume et d'énormes vapeurs. Il semble que tous les niLaqes de la région passent par Ici et s'accrochent aux flancs de la montagne ». Le pilote dépasse la région du Col des Nuages et atterrit, à 15 h 30, sur le terrain de Tourane que les sables blancs font pressen¬ tir de très loin au navigateur aérien. Dès l'atterrissage, le mécanicien indigène revise le moteur qui, par des baisses de régime fréquentes, avait inquiété l'équipage, peu avant l'arrivée sur l'aérodrome. Après trois jours de travail pénible, l'appareil décolle en direc¬ tion de Nha-Tranget longe la côte d'Annam. Des baies et des caps escarpés succèdent à des plages sablon¬ neuses; Faïfoo, Tam-Ky et Qui-Nhon défilent avec rapidité sous l'avion, à la limite d'une brousse aux tons sombres, qui s'accroche à des sommets noyés dans les nuages. » - 75 — Nha-Trang, au golfe de nacre sous la tache rouge des flam¬ boyants, apparaît peu après aux voyageurs aériens, qui, après avoir survolé la ville, se posent à 13 h 10 sur l'aérodrome, étroite bande sablonneuse, à un kilomètre du poste, à la limite des terres graniti¬ ques que borde une ceinture de madrépores. Après une brève escale, l'aérochir décolle pour rallier Bienhoà dans la journée. La côte défde, hérissée de péninsules, qui s'effritent en une poussière d'îles. Le pilote longe ensuite la voie ferrée : il atteint bientôt le Cap Padaran et son phare, dans un décor d'une majesté sombre et poignante; il survole la pittoresque tour de Tour- cham, les figuiers et les haies de cactus de la plaine de Phan-Rang, enfin le centre de Phan-Ri, où débarquèrent en 1720 les officiers français de la Galatée. Une demi-heure plus tard, les pêcheries et les sables nus de Phan-Thiêt défilent rapidement sous l'avion. A droite du pilote, la région s'élève graduellement, couverte d'immenses bois de coco¬ tiers qui succèdent à des bambous géants, près des bosquets d'aré¬ quiers aux frondaisons tropicales, merveilleux spectacle d'une nature livrée à elle-même, paysage d'une beauté farouche que les yeux du pilote ébloui ne se lassent pas de contempler. Mais le train de pensées des aviateurs, concentré sur ce mon¬ de étrange et comme irréel, est bientôt détourné par un autre souci; le moteur de l'avion baisse soudain de régime, la température augmente et, quelques minutes plus tard, l'aiguille du thermomètre accuse 115°, pendant qu'une fumée intense se dégage du capot. Anxieux du danger proche, pilote et mécanicien écoutent, l'oreille tendue au bruit du moteur, qui, au moment où l'aérochir aborde une forêt épaisse, s'arrête brutalement. L'hélice en croix, l'équipage en quête d'un endroit pour atterrir, cherche vainement une clairière et, après une rapide descente, l'appareil s'écrase entre deux arbres. Indemnes par bonheur, les aviateurs sortent des débris de la frêle enveloppe de toile et de métal. Dépourvus de toute aide, les deux hommes se décident à gagner, à pied dans la brousse, le point le moins éloigné que la carte indi¬ que habité. Après de longues heures de marche, ils atteignent enfin un groupe de paillotes indigènes, où ils reçoivent une hospitalité rustique, pendant qu'un coureur va donner l'alerte à la ville, dis¬ tante de plusieurs lieues. Chapitre XXIII VOYAGE HANOI — LANG-SON — CAO-BANG ET RETOUR (Mars 1931) Le 10 Mars 1931, un avion décolle du terrain de Tong en direction de Lang-Son CL. D'Hanoi à Phu-Lang-Thuong, l'aviateur survole les rizières monotones, la plaine deltaïque, où les arroyos s'entrecroisent comme les mailles serrées d'un fdet. Vingt minutes plus tard, le pilote dépasse la citadelle en étoile de Bac-Ninh, puis les cheminées des usines de Dap-Cau ; il laisse à sa droite les monts désolés des 99 sommets et survole l'aérodrome de Phu-Lang-Thuong, ancien champ de course, au centre de cette moyenne région, qui, avec ses collines calcaires et ses forêts coupées d'étendues de brousse, dessine l'avant-garde des chaînes du Haut-Tonkin. L'avion longe la voie ferrée qui pénètre en serpentant dans le massif du Cai-Kinh. Sous l'œil de l'observateur aérien, les pierres noircies descendent en parois verticales et ménagent entre elles des cirques étroits sans laisser aucune place à un champ naturel d'atterrissage. Bientôt, l'avion aborde la plaine de Mai-Pha, où le Résident de France a fait aménager un champ d'atterrissage, dans une boucle du Sông Ki-Kong ; l'avion se pose à moins de 2 kms de la ville de Lang-Son, qui, depuis 1885, possède ses lettres d'immortalité. Après une brève escale, les aviateurs, rasant la cime des (1) Pilote : Sergent-Chef Leclercq. Observateur : Lieutenant Shunck. arbres, décollent en direction de Cao-Bang. Ils suivent le cours du Sông Ki-Kong, qui coule sinueux entre des collines de 7 à 800 m, puis atteignent le centre de That-Khé, endormi au fond d'une vallée encaissée, au confluent du Song Ki-Kong et du Song Bac-Khé. L'avion décrit un large cercle au-dessus des maisons blanches du poste de That-Khé et poursuit sa course vers Dong-Khé. La route coloniale défile vertigineusement sous les aviateurs, cachée, de distance en distance, par les branchages épais de la forêt voisine aux lianes retombantes. Une heure plus tard, les voyageurs aperçoivent le centre de Cao-Bang, adossé à la crête montagneuse. Le paysage se précipite sous l'avion qui exécute de grands orbes sur la ville et atterrit dans la presqu'île du Song Bang-Giang, à 1 km du poste. Le pilote décolle peu après pour rallier le bercail de Tong et ses bâtiments aux lignes géométriques, après avoir dépassé Bac-Kan, près des pittoresques lacs Ba-Bé où, dit Girod, « une végétation luxuriante, hérissée d'herbes étranges, revêt pour le spectateur, séduit et retenu, l'image grandiose du Jardin des Hespérides ». Chapitre XXIV MISSION AÉRIENNE AU DESSUS DU MÉKONG (Mars 1931) En Mars 1931, le Général Commandant Supérieur décide de faire inspecter les bâtiments fluviaux jalonnant le Mékong. Cette mission, confiée à un Ingénieur principal de la Marine, s'exécute sur un hydravion piloté par le Lieutenant de Vaisseau, Comman¬ dant l'escadrille aéro-maritime de Cochinchine. L'appareil utilisé, un Cams 37 Lia à moteur Lorraine 450 C.V., décolle, le 11 Mars, de Bienhoà (1). L'avion pique droit sur Kratié. Sous l'œil de l'observateur aérien, le delta s'étend immense ; les arroyos s'enchevêtrent au milieu des palétuviers et des bouquets de palmiers d'eau ; des marécages suc¬ cèdent aux rizières qu'égaient, de distance en distance, de petites îles et des pilotis de cases en bambou où accostent de frêles sampans. L'avion atteint alors la forêt, coupée, ça et là, de cultures de caoutchouc et de terres sablonneuses. La visibilité médiocre rend le vol difficile, le pilote navigue constamment dans les nuages, et perçoit, par quelques intervalles, de rares repères au sol. L'équipage dépasse Kratié, où une foule curieuse se presse sur la rive, longe le Mékong et survole successivement les roches à fleur d'eau de Sambor, puis le poste Stung-Treng, perdu dans un cadre de cocotiers et de bananiers. Il coupe ensuite le confluent de la Srépok, atteint Muong, puis Bassac et amerrit à 9h45, à Paksé, en présence d'une foule d'indigènes dont la joie n'est pas feinte. (1) Équipage: Pilote: Lieutenant de Vaisseau Menés. Passager : Ingénieur principal de la Marine Boutry. Mécanicien : Second-maître Baguet. — 79 — JL . . T Une brève escale permet à l'équipage de se restaurer : le mécanicien effectue un ravitaillement en essence, et, à midi, l'hydravion décolle en direction de Vientiane»- De violents remous rompent brutalement l'équilibre de l'appareil ; secoué comme un esquif sur une mer démontée, il longe le grand fleuve où se prolongent les lianes de la rive et les branches tordues d'arbres géants. L'eau tournoie au milieu des écueils invisibles et écume autour des ilôts buissonneux, dévorés de plantes grimpantes, dans un panache de bambous. Les difficultés du pilotage s'accentuent au-dessus des rapides de Kemmarat, au centre d'une région montagneuse inexplorée, qui se cache sous un voile de nuages. Peu après, Savannakhet est dépassée dans la brume ; puis Thakhek, Ban-Sot et Paksane sont survolées par les aviateurs, qui ne se lassent pas de contempler « ce gigantesque paysage où, dit Francis Garnier, tout respire la force et revêt des proportions écrasantes ». A15 h 35, l'hydravion atteint Vientiane, décrit un large cercle au-dessus de la pagode Sisakhet qui se dresse au sein d'une végétation exubérante et, à 16 heures, l'appareil accoste à la bei'ge, après une longue manœuvre rendue difficile par le vent, le courant et de nombreux bancs de sable. | La foule indigène, aux rires enfantins, s'entasse sur la rive et regarde, avec une admiration naïve, les aviateurs, ces hommes étranges qui descendent du ciel. Le 13 Mars, l'hydravion décolle de Vientiane, à 13 h 45, et fait route vers Luang-Prabang. Le pilote longe le Mékong et aperçoit, une heure plus tard, la ville siamoise de Xieng-khan, poste frontière avancé sur la ï rive droite du Mékong. A 14 heures, l'hydravion dépasse le poste de Paklay. La fumée épaisse des rays, gêne considérablement la navigation. L'équipage > maudit la paresse des indigènes qui, au lieu d'amender le sol par les procédés classiques, préfèrent incendier la forêt ; ainsi, dit, E. M. Durand «dans une terre vierge, fortifiée par la cendre refroidie de la veille, germent les superbes moissons qui épuisent le sol en trois ans ». — 80 - Après le confluent de la Nam-Poun, le pilote, cramponné aux commandes, s'évertue à maintenir l'équilibre de l'avion, au centre d'une fumée épaisse, qui, accompagnée de cendres jusqu'à une altitude moyenne de 1000 m, obscurcit complètement l'atmos¬ phère en produisant de violents remous. Dans un air surchauffé, l'équipage atteint Luang-Prabang, au cœur du mystérieux pays laotien, cité des temps révolus « séparée du reste du monde, dit Meyer, par sa ceinture de montagnes, de cataractes et de forêts ». A 15 h 30, l'hydravion accoste à la berge où la foule nom¬ breuse fête les aviateurs. Des discours sont échangés: on boit à la patrie lointaine et au succès du voyage aérien. Le lendemain, les membres de l'équipage sont présentés au Roi, en audience particulière, par le Commissaire du Gouvernement de Luang-Prabang. Le souverain félicite chaleureusement les aviateurs, s'intéresse à leur voyage et leur demande de nombreuses explications. Le soir, les voyageurs goûtent un repos bien gagné et s'en¬ dorment bientôt en évoquant le temps jadis où, sur les bancs de l'école, ils rêvaient de pays merveilleux et de randonnées prodigieuses. Le 16 Mars, l'hydravion décolle en direction de Bienhoà. Une brume épaisse contraint le pilote à voler à 50 m d'altitude au-dessus du Mékong ; la vallée très encaissée et le cours sinueux du fleuve obligent l'équipage à exécuter des virages très serrés, presque à la verticale, pour éviter les obstacles qui sortent de l'ombre et se dressent brutalement sur la route. Pendant le trajet de Khône à Kratié, les difficultés augmentent car l'hydravion traverse plusieurs zones orageuses, troublées de grains violents. Le 21 Mars, à 10 h 35, l'appareil amerrit à Pnom-Penh et ac¬ coste devant le Palais du Roi. Après une brève escale, utilisée pour le ravitaillement en essence, le pilote décolle, à 12 h 15, survole la Plaine des Joncs et rallie Bienhoà à 15 h 05. Dix jours avaient suffi pour exécuter une mission qui, par les moyens ordinaires, aurait exigé deux mois. GROUPE DE MÉCANICIENS ANNAMITES De mœurs rudes, courageux à la tâche et fort adroit, le méca¬ nicien indigène a le désir d'apprendre et de faire œuvre utile. Sous une chaleur accablante, qui écrase jusqu'à la volonté du mécanicien européen le plus intrépide, l'Annamite revise son mo¬ teur et remet son avion en état, après avoir tenu l'air pendant un voyage de longue durée. Les Commandants des escadrilles d'Indochine ont une véri¬ table affection pour ces petits compagnons respectueux, dévoués, impassibles dans l'adversité et d'une patience à toute épreuve. (Quan Ba Do-Huu-Vi) (Capitaine Aviateur Do-Huu-Vi) « Tôi vira là dân Bhâp vù'a là dân Nam ; «Je suis Français et Annamite : je me bon-phân tôi dô'i vô-i nu'ô'c lai nang ne gâp dois deux fois plus que les autres. » liai ho-n kê khâc. » Chapitre XXV MISSION SANITAIRE {Mars 1931) Le 25 Mars 1931, le Médecin Chef de l'Hôpital de Vientiane demande qu'on lui fasse parvenir d'urgence le sérum nécessaire pour immuniser un enfant atteint de diphtérie. Le trajet Hanoi-Vientiane, par la voie de terre, exige trois jours : aussi le Directeur du Service de Santé fait-il appel à l'aviation. Le lendemain, à 9 h 10, un avion (1) décolle de Tong emportant le sérum réclamé. Malgré des circonstances atmosphériques défavorables, le pilote atteint Vientiane en 4 heures de vol permettant, par une intervention rapide, de sauver une vie humaine. Il n'est que de rappeler, à ce propos, ce qu'écrivait récem¬ ment le Docteur Lacaze, Professeur à la Faculté de Médecine de Paris : « La rapidité a justifié l'attribution à l'aviation sanitaire d'une belle lettre de noblesse ». (t) Équipage: Pilote: Sergent-chef Leclercq. Mécanicien indigène : Tirailleur Nguyen-dinh-Khai. ANNEXE La monographie de l'Aéronautique d'Indochine ( Hanoi i. d. e. o. 1931) consacre une brève chronique au capitaine aviateur Baronna, mort au service de l'Indochine. Il serait aujourd'hui équitable de retracer à grands traits, la vie héroïque du capitaine aviateur Do-Huu-Vi qui offrit sa vie à notre patrie. Pour mieux illustrer la commune histoire de la France géné¬ reuse et de sa lointaine possession d'Extrême Orient, il n'est que de rapprocher le sacrifice de ces deux hommes de cœur; tous deux, en effet, aurait-dit le poète : « Laissent, en expirant, d'immortels héritiers, Jamais l'affreuse nuit ne les prend tout entiers. A défaut d'action, leur grande âme inquiète, De la mort et du temps, entreprend la conquête ». LE CAPITAINE AVIATEUR DO-HUU-VÏ « Il y a des hommes, ravis de fièvres incon¬ nues, poussés irrésistiblement hors d'eux-mêmes par l'amour d'une race étrangère et amie ». (Nietsche) Le foyer II L fm du siècle dernier, vivait en Basse-Cochinchine, un mandarin fin lettré dont grande était la fortune. Ses immenses propriétés englobaient les vertes rizières de tous les paysans d'alentour et l'intendant de ses domaines employait de longs jours à parcourir à cheval les champs de maïs et les forêts de bois précieux, au bord des larges arroyos ombragés de palétuviers. Le mandarin Do-Huu-Phuong, dont la ceinture d'or s'ornait de turquoises, avait quatre enfants. A ceux-ci une vie sans heurts et une existence fastueuse semblaient promises. N'étaient-ils pas les fils de « Ong Ouan Lon», « Monsieur Grand Chef », comme l'ap¬ pelaient tous les indigènes de la province ? Mais le Gouverneur de Saigon s'était concilié l'affection de Do-Huu-Phuong, qui loyalement offrit ses fils à la France, à la généreuse nation d'outre mer. Ils quittèrent donc la terre maternelle, le domaine de la forêt mystérieuse où serpents et félins abondent, le pays élu des pago¬ des, des sampans et des jonques paresseuses, au bord des mares de jade, tapissées de lotus que le vent ride à peine. Après un grand voyage, un « navire à feu », au pavillon tricolore, les porta, à coups rapides d'hélice, sur la côte de Provence, d'où ils gagnèrent Paris, la gj-ande cité, cœur de leur pays d'adoption. Ils furent admis au lycée Janson de Sailly ; un général, ami de leur père, fut leur correspondant. Energiques et laborieux, ce furent de brillants élèves ; l'un devint médecin ; le second, trésorier-payeur ; les deux autres choi¬ sirent la plus belle part : ils furent soldats. Le Capitaine Aviateur Do-Huu-Vi - 85 — J'ai dit que le vieux père avait généreusement « donné » ses fils à la France ; ce don devint bientôt « sacrifice ». Le jeune médecin en effet se dévoua au chevet de ses malades ; il y contracta la fièvre qui l'emporta, au lendemain de son succès au concours d'internat. Quand la nouvelle de l'épreuve lui parvint au pays lointain, le mandarin Do-Muu-Phuong hissa, sur son palais de Cholon, le drapeau aux trois couleurs ; puis, selon le conseil des sages, mé¬ prisant sa douleur avec ostentation, il réunit les notables de la province, les vieillards aux moustaches tombantes et aux visages plissés de rides, et il inscrivit le nom de l'enfant disparu au livre d'or de l'autel des ancêtres. Deux fils avaient choisi le métier de soldat. L'aîné, Do-Huu- Chan, fut reçu à Saint Cyr ; il conquit lepaulette, fut valeureux devant l'ennemi, devint colonel et commanda un régiment au front. Le benjamin, Do-Huu-Vi, gagné à l'année par l'exemple du grand frère, entra à l'Ecole Spéciale Militaire, le 1er Octobre 1904. Cette date n'a pas été oubliée, car le plus jeune fils du mandarin Do-Huu-Phuong devait, par un sort héroïque, précéder ses frères dans l'abnégation. Au cœur de l'année 1890, le Général Bichot, Commandant en Chef les forces de l'Indochine, passe en revue les troupes de Saigon. Les cuivres de l'Infanterie de Marine scandent la fière allure des soldats de France, que suivent à distance, étonnés et ravis, une foule de jeunes Annamites, aux dents noircies de bétel. Sous le portique en marbre d'une somptueuse demeure exo¬ tique, aux toits cerclés de pagodons, un petit garçon indigène, en tunique de soie violette rehaussée de broderies, regarde avec enchantement le défilé des pelotons. Le tambour major et les fifres de la légion précèdent le drapeau triomphant, entre une double haie de marsouins, aux épaulettes jaunes, et de turcos, bleu de ciel, qui, raidis, présentent l'arme. A ce témoignage direct delà puissance française, la foule, qui aime les images, applaudit. Dans un élan, l'enfant aux yeux éblouis s'exclame avec force : « Je veux être soldat ! )) Indulgent, le père, le mandarin Do-Huu-Piiuong sourit : au grand chef oriental, rallié à la France, il ne déplaît pas en effet que son fils revienne un jour en seigneur, à côté des descendants des pre¬ miers conquérants, vainqueurs des pirates. Mais, dans les terres occidentales, l'exercice de l'autorité est, mieux qu'un pouvoir héréditaire, la rançon de longues études et de lourds sacrifices. Trêve donc aux pétards des jours de fête ! Et, sur l'ordre calme et lent du maître de la maison, l'enfant s'incline en fils respectueux et gagne la salle basse où, accroupi sur un tabouret de bois sculpté, près des bâtonnets d'encens et des jarres de nuoc-mam, il écoute avec attention les leçons du vieux maître d'école à lunettes. Sur le classique abécédaire de la librairie française, le doigt du petit garçon hésite au-dessous des caractères illustrés : B, c'est le « Buffle » énorme, au mufle hideux, à l'œil oblique, ou le «Bonze» prêtre mendiant au torse nu, aux traits parcheminés, ou encore le « Bouddha » obèse que redoutent les bambins indociles ; C, c'est tantôt la « Cigale » des chœurs inex¬ tinguibles, tantôt le « Cerf-volant » au bout de la corde invisible, ou encore le « Ciel» à l'âpre soleil qui flambe. L'enfant épelle et les heures passent lentes, rythmées par le gong du bonze qui, à la pagode voisine, prie les Génies délaissés. Devant le grand chef indigène (1), les mandarins, solennels dans (1) Le mandarin IJo-Huu-Phuong, qui s'était lié d'amitié avec le Lieutenant de Vaisseau Francis Garnier, livra, en 1866 plusieurs combats contre les chefs révoltés Ouan Dinh & Quan Vièt. En 1867 il soumit, après une rude campagne, le chef pirate Phan du village de Bentre. Enfin, en 1868, avec l'aide du Lieutenant Jaradel, il se distingua dans la lutte contre le célèbre Nguyên- Trung-Truc. « M. Do-Huu-Phuong, Tông-Dôc de Cholon, écrivait le Président Doumer en 1905, est un de nos serviteurs de la première heure. 11 est connu de tous ceux qui ont vécu en Cochinchine ou qui ont simplement visité le pays. Sa popularité auprès des Européens ne décroîtra pas, car il continue à se montrer aussi accueillant, aussi hospitalier que par le passé, dans sa maison mi-partie française, mi-partie annamite. 11 ressemble d'ailleurs à sa maison, ayant pris le costume français pour les relations extérieures et conservant les moeurs indigènes. Ses fils ont été élevés dans les écoles de la Métropole ; l'aîné a épousé une jeune fille française. Les filles du Tông-Dôc sont restées annamites de vie et de costume ; la plus jeune, qui parlait notre langue à la perfection, était tout à fait charmante ; elle fut choyée de toutes les dames de Saigon. Elle est morte, bien jeune encore, il y a quatre ans, et beaucoup de Français en ont eu un réel chagrin». Do-Huu-PiiuoiSG est mort, le 3 Avril 1S14; il était Commandeur de la Légion d'Honneur. Ses loyaux services lui avaient valu d'être naturalisé français en 1881 ; c'est le premier mandarin annamite qui ait obtenu pareil honneur. — 87 - leurs longues tuniques noires, se courbent jusqu'à terre en salu¬ tations empressées. Ils se succèdent dans le bureau meublé à la française où, pour lutter contre la lourde chaleur, deux silencieux serviteurs jaunes agitent lentement l'immense panka en soie rouge. C'est dans ce coin d'Asie aux rites séculaires, près des man¬ guiers sacrés et des banians protecteurs, que Do-Huu-Vi enfant acquiert les premiers rudiments de la douce langue française. L'école Pour mieux connaître notre ami, il n'est que de le suivre dix ans plus tard, au Lycée Janson de Sailly. L'enfant est devenu jeune homme: avec la France, sa patrie adoptive, c'est tout un monde qui s'est révélé à lui. Les mandarins lettrés avaient formé son âme au culte des ancêtres, à la pratique des préceptes du sage Confucius, au mépris de la souffrance et de la mort. L'enseignement de ses nouveaux maîtres français ne boule¬ verse pas la profonde empreinte des premières années. Le vieux fond héréditaire va seulement se modifier au contact de l'étude des classiques grecs et latins, s'assujettir aux servitudes gauloises, pour aboutir à une heureuse synthèse. Les professeurs du jeune Do-Huu-Vi gardent de lui le souvenir d'un élève studieux à l'esprit délicat, à l'intelligence large et ou¬ verte, comprenant la beauté du travail. Avec ses camarades pa¬ risiens, l'enfant d'Annam se complaît dans Racine et s'égaie dans Molière ; Corneille et son école de grandeur d'âme, pour lesquels il a une prédilection, l'enthousiasme. Pendant ses heures de repos il dévore la Chanson de Roland qui, dans le pupitre, voisine avec le Cid. Tout entier au charme de l'Aiglon, il dresse l'épée avec le grenadier Flambeau. Il s'exalte de ses lectures, sans en excepter les hauts faits de l'histoire ancienne : le combat des Thermopyles l'émeut, les luttes de Scipion et cI'Annibal, les campagnes de César sont pour lui l'aliment quotidien. La classe de philosophie, où il entrera en 1902, va le rallier définitivement au monde occidental : généreuse, certes, était la morale de Confucius ; mais Socrate, Marc Aurèle et le Christ l'em¬ portent bientôt dans l'âme ardente de notre ami. « Aimez-vous - 88 — les uns, les autres » que voilà bien le trait d'union entre Blancs et Jaunes, l'impérieux motif qui, au pays indochinois, dirige la fer¬ veur des missionnaires de France ! L'année suivante Do-Huu-Vi prépare Saint-Cyr où il est reçu au concours de Juillet 1904. 11 a vingt ans. Il est inscrit, en octobre, au 1er Bataillon de France et les noms de Bayard, Turenne et Marceau, inscrits sur chaque mur de l'Ecole, lui deviennent familiers. Dès les premiers examens, ses succès le mettent en évidence. Le 1er novembre 1904, son ancien de la promotion « La Tour d'AuvERGNE », lui remet le casoar, emblème des jeunes guerriers en présence de tous les autres Saint-Cyriens, dont Féouant, Drouot et Gressin (1), qui devaient plus tard se faire un nom dans l'avia¬ tion. Minute solennelle où, dans la vieille cour de Madame de Maintenon, l'ancien, au prestige sans bornes, adresse pieusement à son cadet l'exhortation classique : Tu rioublieras pas que le beau panache, Dont la Gloire, un jour, nous fit le présent, Ne porta jamais qu'une seule tache, Et que cette tache est celle du sang. Do-Huu-Vi, fils d'Annain et Saint-Cyrien de France, ne devait jamais l'oublier. En Juillet 1905, c'est le baptême de la promotion dont le nom est attaché au centenaire d'Austerlitz : le cœur de Do-Huu-Vi bat à l'unisson de ses camarades. Qu'est-ce donc qui peut faire battre un cœur de vingt ans en 1905 ? Le centenaire de la grande victoire napoléonienne, ou encore les batailles récentes de Port Arthur et Tsou-Shima ? Non, un autre souci agite les jeunes élèves : Guillaume. II vient en effet de débarquer à Tanger ; il a prononcé, en présence du Sultan Abd-el-Aziz, un insolent discours, véritable défi. (1) Général aviateur Féouant, de la promotion « La Tour d'AuvERGNF. » Lieutenant-Colonel Drouot et Commandant Gressin, camarades de promotion du Capitaine Do-HuuAù. — 89 - Emue, la France tout entière s'est raidie ; des bruits de guerre agitent l'opinion. L'heure de la revanche a-t-elle donc sonné ? Pendant que les diplomates discutent à Algésiras, nos troupes mènent au Maroc une lutte sans répit, dont les échos, diffusés par les aînés, parviennent jusqu'aux Saint-Cyriens. Et, à la sortie de l'Ecole, tous n'ont de cesse que de rallier la terre où l'on se bat. C'est ainsi qu'en octobre 1906, le Sous-lieutenant Do-Huu-Vi, qui a soif d'agir, gagne la légion étrangère au Maroc, où il goûte la joie de commander. Ce sont alors ses premiers combats, à la tête d'une section de légionnaires, gens peu faciles à étonner en matière de courage, et pourtant rapidement gagnés par la vaillance souriante et l'esprit de sacrifice du jeune officier, pour lequel ils professent un véritable culte. 11 le leur rend bien. N'a-t-il pas fait sienne en effet, la devise d'Albert Sorel : a II faut aimer les soldats pour les comprendre et les comprendre pour les bien conduire » ? Toujours présent aux points menacés, brave jusqu'à la témérité, donnant l'exemple des qualités qu'il demande, véritable entraî¬ neur d'hommes, Do-Huu-Vi est plusieurs fois cité. Chaque soir de lutte, avant que de songer à prendre un repos bien gagné, il s'occupe personnellement du cantonnement et de l'alimentation de ses légionnaires. Témoignant un profond souci de leur confort, il leur parle fraternellement et les encourage : c'est en effet, par l'attention constamment portée vers le bien- être de la troupe, que se définit le Chef. Chef, il l'était par hérédité, car les familles d'Annam, comme des dynasties, se transmettent, de père en fils, les qualités de commandement, qui font légère l'obéissance. Chez Do-Huu-Vi, ainsi que le conseillait Alfred de Vigny, « l'homme s'effaçait sous le soldat « ; en recevant l'épaulette, le jeune officier avait fait abnégation, pour mieux s'assujettir à la servitude militaire « lourde et inflexible comme le masque de fer du prisonnier sans nom ». Après les rudes combats du Maroc, le Lieutenant Do-Huu-Vi pouvait prétendre à quelque repos. Mais il n'en veut point prendre - 90 — Une arme nouvelle, l'aviation réclame des chefs. En 1907 en effet, les frères Wright font leurs premiers essais et, le 13 Janvier 1908, le premier kilomètre en circuit fermé est bouclé par Henri Farman. L'arme aérienne, milice d'élite, était bien faite pour tenter notre ami et l'attirer par ses dangers mêmes. Combien de fois, enfant, n'avait il pas rêvé à l'ombre des oriflammes d'Annam qui portent dragon ailé ? Sa demande est acceptée et, véritable précurseur, il apprend à piloter sur l'un des appareils de l'époque téméraire. Trois mois plus tard, il passe son brevet. Encore qu'il dédaigne la réclame, son nom est cité en Europe où en compagnie du Commandant Menard, il accomplit, en 1908, le retentissant premier tour de France en avion. Il n'oubliera pas l'accueil enthousiaste qui lui fut alors réservé aux différentes escales par chacune des grandes villes françaises. Mais le sport aéronautique ne lui suffit pas. Il est soldat en effet ; son sentiment élevé du devoir lui fera toujours préférer le combat modeste à la célébrité tapageuse. Vigny n'a-t-il pas dit: « L'abnégation du guerrier est une croix plus lourde que celle du martyr » ? C'est pourquoi Do-Huu-Vi demande à rallier de nouveau le Maroc où ses belles qualités militaires lui valent une citation et le deuxième galon. Il survole le premier la ville de Fez. En Décembre 1912, il est désigné pour servir d'éclaireur aérien à la colonne du Général Brulard. Il se signale de nouveau ainsi qu'en témoigne son chef direct, le Colonel Godchot : « Le 19 Décembre, écrit le Colonel Godchot, nous apprenons, à Casablanca, par un messager indigène, qu'un élément mobile, parti de Mogador, est assiégé depuis six jours dans la grosse ferme marocaine de Dar-el-Kadi. Le poste encerclé est sous les ordres du Commandant Decherf et comprend seulement un petit nombre de zouaves et quelques hommes d'un tabor. Le Général me confie le commandement d'une colonne chargée de porter secours aux nôtres. Nous embarquons donc à Casablanca le 20 Décembre. A peine deux bateaux ont-ils été déchargés que la tempête fait rage et empêche tous les autres transports de pénétrer dans le port de Mogador. D'autre part, les cavaliers des __ gi — Chefs insoumis Gellouh et Anfloussa s'opposent à toute commu¬ nication avec le Commandant Decherf en mettant à mort chaque messager capturé. La situation est critique. Le Lieutenant Do-Huu-Vi est descendu avec moi du premier transport et son appareil a pu également être débarqué. Après quelques essais sur la plage malgré le vent qui souffle en tempête, Do-Huu-Vi prend le départ et tente une reconnaissance vers Dar-el-Kadi. Le pilote emporte un pli que je destine au Commandant Decherf ; le message annonce notre arrivée prochaine aux camarades de Dar-el-Kadi qui, pour se soutenir, avaient dû boire leur urine traitée au permanganate. Malgré la tempête, qui continue avec violence, l'aviateur revient deux heures plus tard, avec des renseignements très intéressants sur les contingents d'anfloussa. C'était la première fois qu'un avion militaire portait un message de guerre. Grâce aux précieux renseignements, obtenus par le pilote, j'ai pu éviter d'engager en vain mes forces contre un ennemi très im¬ portant en nombre et attendre l'arrivée du Général Brulard qui, à la tête d'une forte colonne, débarque quelques jours plus tard à Mogador. Le 25 décembre à minuit, la colonne Brulard dégage nos camarades et tous fêtent le Réveillon avec... un peu de biscuit et un bouillon de langue de chameau, les cantines ayant été perdues pendant la marche dans la brousse. Le soir, les hommes dressent les tentes au milieu de cadavres de Marocains et de chameaux qui empestent l'air. Et le 27, Do-Huu-Vi survole la ferme de Dar-el-Kadi et apporte aux combattants les félicitations des Généraux Lyautey & Franchet d'EsPEREY ». L'homme ET A l'issue de son séjour au Maroc, le lieutenant Do-Huu-Vi le soldat obtient un congé qu'il emploie à voyager en Allemagne afin d'apprendre la langue du pays. En 1913, la nostalgie du pays natal le prend. Son passé, fait, d'effort et de mérite, le signale au Gouverneur Général Sarraut qui le désigne pour poser en Indochine les premiers jalons d'une aéronautique coloniale. Il s'applique avec ardeur à la tâche et essaie sur le Mékong, les premiers hydroglisseurs. Chacun des membres de sa famille, tout à la joie de le revoir après une longue séparation, l'invite à goûter enfin un repos bien gagné. Sa vieille mère le presse de fonder un foyer. « Un aviateur — 92 — ne doit pas se marier », répond-il doucement à celle qu'il souffre de peiner pour la première fois. Le jeune officier en effet chérit son métier comme un sacerdoce et, soucieux de lui appartenir tout entier, il lui veut sacrifier les joies les plus légitimes. En août 1914, la nouvelle de la mobilisation parvient à Saigon. Immédiatement notre ami veut rentrer en France, combattre aux côtés de ses camarades, participer à l'ardeur héroïque de ceux qui chargèrent en casoar et en gants blancs. Le Gouverneur Général de la Colonie s'y refuse : l'Indochine, démunie de troupes, privée des effectifs importants envoyés en renfort sur le front français, a besoin d'officiers connaissant le pays et la mentalité indigène. Le Gouverneur Van Vollenhoven s'at¬ tache donc Do-Huu-Vi comme Officier d'ordonnance. Mais le jeune homme se désespère. Il fait intervenir ses amis de France. Il insiste avec une volonté ardente et douce : « Non... non... je ne puis pas rester... j'ai le droit de me battre et de payer d'exemple. Je suis Français et Annamite... je me dois deux fois plus que vous ». Il n'est que de répéter ces paroles à ceux qui affirment l'im¬ possibilité de comprendre l'âme annamite, de chercher haine ou sympathie derrière les impénétrables yeux bridés. Nous imaginons des abîmes de Français à Indochinois, et nous dissertons sur les secrets d'une race à l'âme étrange. Que n'observons nous mieux nos amis indigènes ? Regarder Do-Huu-Vi, c'est lire une belle âme à livre ouvert, c'est admirer le soldat généreux dont la règle de vie tient tout entière dans le précepte traditionnel : « La France pour objet, l'honneur pour devise, la science et le courage pour moyens ». Sur ses instances réitérées, le jeune officier reçoit enfin une lettre de service le désignant pour la France. Son enthousiasme n'a plus de bornes. Il veut courir à la bataille. Dès son débarquement, il réclame « l'honneur de se battre » et rejoint une escadrille du front. 11 demande qu'on lui attribue les missions les plus dangereuses, qu'il prépare en veillant la nuit, et se fait vite remarquer. Il exécute de lointaines reconnaissances sur les lignes ennemies et effectue de nombreux bombardements de nuit, dans des conditions difficiles. — 93 - « Si quelque lettré annamite, dit Eugène Brieux, avait pu voir son compatriote Do-Huu-Vi monté sur l'avion bruyant, entouré des lueurs fugitives des Shrapnels, poursuivi par les rayons des projecteurs et jetant ses bombes incendiaires sur les organisations ennemies, il aurait pensé voir la réalisation d'un rêve millénaire : le Dragon d'Annam lançant des flammes et combattant contre les barbares dans les profondeurs du ciel étonné ». Le jeune officier devient bientôt l'âme de son escadrille qu'on voit tour à tour en Champagne, dans les Flandres puis en Alsace. Trois fois cité, il est fait Chevalier de la Légion d'honneur. A quelqu'un qui s'étonnait de son calme devant le danger et le pressait de quitter l'aviation, il répond : « La mort ne me fait pas peur 1 » « Son audace et sa bravoure, écrit le Général Boutticaux, étaient au-dessus de tout éloge ». Quelques semaines plus tard, au retour d'une mission, son appareil s'écrase sur le sol. La mâchoire fracassée, la base du crâne et le bras gauche brisés, il est dirigé sur l'hôpital du Val-de-Grâce où, pendant de longs mois, il s'énerve d'une inaction forcée. Imparfaitement rétabli, à peine capable de se tenir debout, il regagne le front. Dans l'impossibilité de piloter à la suite de sa blessure, il sert comme observateur au premier groupe de bom¬ bardement, stationné sur le terrain de Malzeville. Pour mieux pénétrer la tâche, lourde d'importance, de notre ami, il n'est que de replacer son rôle dans le cadre général des missions alors dévolues aux aviateurs de bombardement. « Le bombardier, dit le Colonel Brocard, esclave d'une discipline qu'a imposée l'ennemi, trouve, dans sa seule énergie et sa seule conscience, la force qui lui donnera l'immobilité sous les balles, alors que la manœuvre pourrait le sauver; qui le fera passer cons¬ ciencieusement à la verticale de l'objectif, qui le fera viser de sang froid, lentement, soigneusement, alors qu'un peu plus de hâte à '> remplir sa mission pourrait le préserver de l'attaque menaçante : c'est à lui qu'est nécessaire la plus grande force d'âme. Voler pen¬ dant des heures, attentif aux battements d'un moteur qui vous abandonnera un jour ou l'autre, voler au devant d'une attaque iné¬ vitable, avec la décision bien nette de passer au travers ou d'y — 94 — rester, avec la crainte d'une balle de hasard qui coupera la tuyau¬ terie d'essence ou le câble de commande en pleines lignes enne¬ mies, voler avec la certitude d'un retour semé d'embûches et long d'impatience, puisqu'il n'y a plus de but à atteindre : tel est son pénible et rude effort ». En compagnie de l'adjudant pilote Marc Bonnier C), le Lieu¬ tenant Do-Huu-Vi prend part, sur avion Voisin à une série de raids à longue portée sur Karlsruhe, Pechelbronn et Dillingen et rapporte de précieux renseignements au Commandement. On n'a pas oublié, qu'à l'époque, notre aviation de bombar¬ dement se heurtait à une aviation de chasse ennemie dont les appareils surpassaient les nôtres par la vitesse et la puissance de l'armement (2). Dans cette lutte inégale, le jeune officier livre plu¬ sieurs combats acharnés, au retour du territoire allemand, et trois fois se fait descendre par les balles ennemies ; il est de nouveau cité. Ces faits suffisent à définir le soldat. Le caractère droit et modeste de l'homme répond à l'image du chef. Sur son visage, aux yeux si jeunes presqu'ingénus, la fran¬ chise s'inscrit dès l'abord. D'un naturel aimable, d'une humeur toujours égale, joignant à l'aménité constante une politesse raffinée, poussant jusqu'au scrupule le sentiment de la délicatesse, le jeune officier se concilie bientôt l'affection de tous ses camarades d'es¬ cadrille. « Le lieutenant Do-Huu-Vi, écrit Marcel Nadaud, était un cama. rade délicieux, un ami sûr, un officier plein d'allant. A tous, il of¬ frait son cœur généreux et compatissant. Sur le terrain de Malzeville, nous avons vu souvent avec joie sa fine silhouette fondue dans l'ampleur de la combinaison fourrée, sa pauvre figure mutilée où brillaient des yeux d'un éclat singulier, perdue dans l'épaisseur du passe-montagne ». A l'exemple de Brazza, ce grand Français, comme lui d'origine étrangère, Do-Huu-Vr, toujours simple et bienveillant, préfère se (1) Mort au champ d'honneur sur le front russe en 1916. (2) L'avion de bombardement Voisin avait deux défauts capitaux: sa vitesse insuffisante ;90kms - heure) et l'impossibilité de se défendre vers l'arrière, son moteur et son hélice placés à l'arrière de la carlingue lui interdisant le tir en retraite (Général Féquant). — 95 — T faire aimer que craindre. Sa conversation souriante séduit et retient ; d'une distinction naturelle, tout chez lui attire la sympa¬ thie, jusqu'au ton de ses paroles, toujours marqué au coin d'une franche bonne humeur. Fin lettré en effet, il avait lu et retenu Barbey d'AuREViLLEY : « La gaieté est un courage, un courage de plus ». Le sacrifice « En 1916, une nouvelle blessure plus grave interdit définitive¬ ment à Do-Huu-Vi de servir dans l'aviation. Sourd à cet avertis¬ sement et soucieux de se battre toujours, il passe dans l'Infanterie et, nommé capitaine, obtient, sur ses instances, d'être versé dans son ancienne formation, le deuxième bataillon de légion qu'il retrouve avec émotion J). Me voici, écrit-il, dans l'Infanterie où je sers depuis huit jours. Je voudrais tant avoir le bonheur de remplir vraiment mon devoir de Français ». Et plus loin : « Les hommes que je commande sont merveilleux. Je suis dans la joie de participer avec eux à la grande offensive de la Somme ». Le 9 Juillet, il reçoit l ordre d'attaquer, le lendemain, la corne est du village de Dompierre. Soucieux de préparer sa mission, il part lui-même en reconnaissance de nuit, à la tête d'un groupe de huit hommes. 31 fouille un petit bois situé à la limite de sa zone d'action, où il suppose dissimulées quelques mitrailleuses alle¬ mandes. Après s'être assuré personnellement que les couverts ne sont pas occupés par l'ennemi, il fait prendre à son unité les dis¬ positions de combat. Puis, vaillant entre les vaillants, il s'élance de la tranchée à la tête de la 8e Compagnie. Au premier bond, il tré¬ buche et tombe dans un trou d'obus. 11 se relève et s'élance pour franchir le terrain découvert, qui le sépare de la deuxième limite de bond. Une balle l'atteint au ventre. 11 chancelle: grièvement blessé, il se fait coucher face aux organisations allemandes et crie au premier lieutenant de poursuivre la progression. Quelques minutes plus tard, un homme de liaison apporte un ordre du Chef de ba¬ taillon : Do-Huu-Vi tend la main pour recevoir le pli et se fait asseoir (1) Ce bataillon, dont on connaît la belle attitude au feu, s'illustra à l'assaut de Dompierre. i — 96 — contre un monticule afin de pouvoir lire ; c'est à ce moment qu'une nouvelle balle l'atteint à la tête. Deux légionnairesveulent l'emporterau poste de secours proche. Sentant la fin peu éloignée, il refuse et, des deux mains, comprime son flanc d'où le sang s'échappe. Devant ses yeux très las, défile, en tableaux rapides, la brève histoire de sa vie limpide et laborieuse. La plaine de Dompier.re revêt, pour l'homme qui va mourir si loin des siens, l'image de la terre maternelle souriant au soleil, la terre où Do-Huu-Vt enfant puisa ses vertus. De sa plaie béante, le flot vermeil coule plus abondant; d'une main ensanglantée, il soutient sa tête fiévreuse, brisée par la souffrance; la tranchée voisine, hérissée de barbelés, se recou¬ vre de nuances pourpres, de tons cramoisis. Dans un élan, le petit officier d'Annam se redresse ; mais ce dernier effort l'épuisé et il retombe définitivement, acceptant sa croix, ayant enfin réalisé son rêve : « Mourir jeune à trente ans, très beau, très fier, très brave, D'un coup d'épiîe au cœur ou d'une balle au front ; Mourir jeune en ayant quelque beau rêve à Pâme Qu'on vivra dans le ciel durant l'éternité». (t) * * * Nota — Sur la demande du Colonel Do-Huu-Chan, frère du Capitaine Do-Huu-Vr, le corps du jeune officier fut ramené en Indochine par le paquebot « Porthos », le 12 Mai 1920. et inhumé à Saigon en présence d'une affluence énoime, pendant que 1 hscadrille de Cochinchine survolait le cortège. (t) Vers cités par le Général Tanant « Revue des deux Mondes — 1926 ». * CENTRE DE DOCUMENTATION ET DE RECHERCHES SUR L'ASIE DU SUD-EST ET LE MONDE INDONESIEN BIBLIOTHEQUE CONCLUSION Il faut avoir vécu à côté de nos aviateurs coloniaux, Européens et Annamites, pour connaître la somme d'énergie, de courage et de patience que représente l'organisation d'une vie aéronautique normale en pays indochinois. Celui qui a vu pilotes et mécaniciens à la tâche, dans la fièvre de l'action, est seul à leur pouvoir accorder l'hommage aux¬ quels ils ont droit : ils doivent compter immuablement avec les obstacles subits, les atermoiements nés des conditions atmosphé¬ riques, les variations imposées par les exigences budgétaires. . De nombreux desseins à longue échéance n'ont pu être consacrés par les faits; bien des efforts n'ont pas rencontré le succès. Mais l'œuvre est telle qu'elle a pu, sans nous démentir affronter le jugement du lecteur. Puisse ce petit livre rallier quelques adeptes à la cause aérienne, en Indochine et, mieux encore, donner aux jeunes aviateurs de la Métropole, l'ardent désir, que caressait le poète : « De regarder monter dans un ciel ignoré, Du fond de V Océan, des étoiles nouvelles ». rte vC- * ■m ■ t {tye i I I ; ' ■; v V; ,:r ' / : . -, f: An© A- - . . a Ï : . A:-© : ;<:©,■.■ : ■ s ( "• • - , - 1. ■ . \ . ->'"V . • ; ■ . , ■ • ■ ■ • - ■: \.. ■ -- , . . > <" • . ... ... . ■ : : ■- . . - ; - v wgmW .1 s-m-f %fe^%p. IiliÉÉill ■". ~ • r„- < '; ■> - .. ;-5 B"". *" - ■HËSililll S#SSiilSil8iifi8i#81 _ '- i Si ' il Èîl* ff& • ■"** - •' - • ' ■" - - 1 - r ■ ' " r > 'ïr '/r PL"fl' V ' I -i, l ; m ^ »-'*£%-•-' -te^ m- ijy^y^ • '-sa ■■■■fiBBSBB Ml -"flKssm 1 flHI m"1'^ . . V ÏÂ* m " . sîBte iiiSffift» : I ï 1 S ' '"B I SSI t ' ' - ■■•', - 'S ' «s :«ï: KS=îSï:.^B«.-V-jç^f épi S;|aSfif; . 1 s® ■-- ; ' S'irï* --:" 1 i« BW mm mmm BSBW,; i»f,™ " *