PROTECTORAT DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE AU MAROC DIRECTION GÉNÉRALE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE, DES BEAUX-ARTS ET DES ANTIQUITÉS SERVICE DES ARTS INDIGÈNES HISTORIQUE (1912-1930) PUBLIÉ A L'OCCASION DE L'EXPOSITION COLONIALE INTERNATIONALE DE PARIS. HISTORIQUE DE LA DIRECTION GÉNÉRALE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE, DES BEAUX-ARTS ET DES ANTIQUITÉS Le Service des Arts Indigènes 6 i+ô> 32.59 PROTECTORAT DE LA REPUBLIQUE FRANÇAISE AU MAROC DIRECTION GÉNÉRALE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE, DES BEAUX-ARTS ET DES ANTIQUITÉS SERVICE DES ARTS INDIGÈNES HISTORIQUE (1912-1930) PUBLIE A L'OCCASION ■ DE L'EXPOSITION COLONIALE INTERNATIONALE DE PARIS. La tête d'adolescent berbère, reproduite au recto de cette couverture, a été dessinée par Monsieur de Hérain, pour les publications de la Direction Générale de l'Instruction publique, des Beaux-Arts et des Antiquités, d'après l'original en marbre du Musée de Volubilis. AVANT-PROPOS L'Exposition coloniale internationale de 1931 nous a invités à jeter un coup d'œil en arrière et à fixer, pendant qu'il en était temps encore, le souvenir des efforts accomplis et des résultats obtenus depuis l'installation du Protectorat français dans l'Empire chêrifien. Comme il arrive souvent pour des périodes où la créa¬ tion quotidienne et urgente échappe nécessairement aux règles et aux méthodes administratives dont nous avons l'habitude, les documents conservés sont rares, dispersés, difficiles à interpréter, insuffisants à donner une idée même approximative de ce qui a été fait. Mais les hommes, en assez grand nombre, sont encore là. Ils ont pu vivifier les textes législatifs et les statistiques, rappeler les circonstan¬ ces qui les expliquent et leur donner leur sens vrai. Assurément, ce résumé d'une activité multiple et fé¬ conde de près de vingt ans, malgré les dimensions qu'il a atteintes, garde un caractère de sécheresse et de brièveté que d'aucuns regretteront. Il n'a pas paru possible de faire autre¬ ment, ni mieux. Je voudrais cependant essayer ici de dégager quelques idées générales de l'ensemble de cette notice historique. Je me sens d'abord à l'aise pour exprimer mon admira¬ tion devant l'œuvre accomplie par mes prédécesseurs et leurs collaborateurs, pour marquer avec quelle ardeur vive, AVANT-PROPOS dès le premier jour, on s'est mis à la besogne, avec quelle clairvoyance on a défini et classé les problèmes à résoudre, avec quel succès, au total, on leur a trouvé des solutions. Dès l'origine, en effet, tous les besoins se sont manifes¬ tés au même moment avec une urgence qui ne permettait ni les longues enquêtes ni les patientes délibérations, avec une gravité qui rendait lourdes de conséquences pour l'avenir des décisions inévitablement rapides. Cette urgence simulta¬ née des questions posées demeure peut-être le trait caracté¬ ristique de la croissance marocaine. Elle oblige à rechercher des méthodes qui soient prudentes sans être lentes, simples sans être sommaires, qui aillent droit au plus pressé sans compromettre l'essentiel, qui soient expéditives sans mécon¬ naître ce facteur primordial de toute construction durable : le temps. Il en est ainsi quand on considère les besoins de l'agri¬ culture, du commerce, de l'industrie, des travaux publics; il en est ainsi quand on étudie plus particulièrement les missions qui incombent aux divers services et instituts dont le groupement constitue cette Direction générale. Il ne peut être question d'établir un ordre de priorité entre l'enseigne¬ ment primaire et l'enseignement secondaire, entre l'ensei¬ gnement des indigènes et celui des européens, entre la conservation des monuments historiques et la rénovation des arts indigènes. Partout et sans délai, il faut à la fois pourvoir au présent et préparer l'avenir. Cette nécessité a imposé une forte centralisation de l'au¬ torité, qui se marque dans l'organisation administrative et plus encore sans doute dans les habitudes établies. Elle a conduit, d'autre part, à ne pas construire sur le plan des vieilles architectures métropolitaines, lentement édifiées siè¬ cle après siècle, aile par aile, sous la pression continue d'une évolution lente qui, dans ses périodes les plus agitées, ne ressemble en rien à la fièvre de la création marocaine. C'est ainsi que, pour ne citer qu'un exemple, si l'on considère les enseignements du second degré, l'on a dû se s AVANT-PROPOS garder de transporter au Maroc les dualités et les rivalités funestes qui opposent en France l'enseignement primaire supérieur au secondaire ou à l'enseignement technique. Cependant, il importe que les jeunes Français, et avec eux les enfants de nationalité européenne, puissent faire leurs études au Maroc dans des conditions telles que, débarquant dans ce pays ou obligés de le quitter au cours de l'année sco¬ laire, ils poursuivent sans dommage appréciable les études commencées. C'est là une obligation qui découle de la nature des choses; c'est une condition essentielle d'une vie normale pour les cadres européens du Protectorat et, par conséquent, d'un recrutement normal de ces cadres. Pour d'autres objets on a dû. délibérément chercher non pas une adaptation au Maroc des formules françaises, mais des formules entièrement nouvelles. C'est le cas notamment du Service des arts indigènes, du Service des beaux-arts et des monuments historiques, organismes auxquels ne répond rien cl'analogue dans la Métropole. Pour qui voudra prendre conscience des efforts et des résultats, rien ne vaudra une étude attentive des statistiques et des graphiques réunis à la fin de ce volume. Il n'est pas de démonstration plus probante que celle des chiffres; il ne s'agit que de savoir les interpréter. L'effort financier est indiqué par l'accroissement d'un budget qui passe de 908.000 francs, en 1913-1914, à 14.784.000 francs en 1920, pour atteindre, dix ans plus tard (y compris le budget de constructions sur fonds d'em¬ prunt et fonds de réserve), près de 106 millions. Si l'on réfléchit que cet effort de premier établissement a été réalisé au cours d'une période qui a subi la baisse du franc, et qui a dû effectuer le réajustement des traitements du personnel, on apprécie mieux la volonté de grandir que ces chiffres expriment. On nous excusera toutefois de noter que la part faite dans le budget du Protectorat à ces dépenses d'ordre social e AVANT-PROPOS ne parait pas réaliser encore une proportion suffisante. En 1926, le budget global de la Direction générale de l'instruc¬ tion publique représente 4,56 % du budget global du Maroc; en 1930 : 7,41 %. Or, d'après les renseignements publiés par le Bureau international d'éducation de Genève, la part consa¬ crée aux œuvres d'enseignement et d'éducation dans les pays qui veulent faire en ce domaine l'effort nécessaire, atteint et souvent dépasse 10 et 12 % (Prusse 1930-31 : 16,5 %, Philippines 1927 : 11 %, Genève 1930 : 25 %). Il semble donc que si le Maroc veut faire à l'école toute sa part, il devra, au cours des années qui viennent, lui réser¬ ver sur l'ensemble de ses ressources une part proportionnelle nettement supérieure à celle qu'il a pu lui donner jusqu'ici. A ne considérer que le chiffre global de la population scolaire de toutes nationalités et de tous ordres d'enseigne¬ ment, la progression des besoins trace une courbe qui n'est pas moins impérieuse. En moins de dix ans les effectifs de nos écoles ont plus que doublé (1919-1920 : 20.700 élèves, — 1929-1930 : 4-5.400 élèves) (1). Il n'est pas douteux qu'ils doubleront encore pendant la décade qui s'ouvre, et que nous devons nous préparer à recevoir et à instruire en 1940 au moins 100.000 enfants, sous peine de laisser ce pays s'ache¬ miner rapidement vers un malaise grave si l'on considère la population européenne, vers une crise dangereuse si l'on con¬ sidère la population indigène. Mais la politique instaurée par M. le Maréchal Lyautey et suivie jusqu'ici par ses succes¬ seurs, M. Th. Steeg et M. L. Saint, est un sûr garant que le Protectorat français ne faillira pas à l'un de ses devoirs essentiels. Pour dégager dès les premières pages de cette publica¬ tion le problème moral et social qui domine tous les autres, et qui crée le problème financier auquel nous venons de faire al¬ lusion, nous devons indiquer que le moment est venu où l'en- (1) Au 10 novembre 1930 : 51.270 élèves. 10 avant-propos semble des questions complexes qui intéressent l'organisa¬ tion et le développement de l'enseignement des indigènes, exige des décisions et des solutions. Ce n'est pas ici le lieu d'exposer et de discuter chacun de ces problèmes. Nous nous bornerons à reprendre une formule heureuse de M. Maurice Pernot (1), et à dire que nos protégés marocains nous demandent de les « élever progressivement jusqu'à la vie « supérieure dont aujourd'hui ils se sentent capables, qu'ils « convoitent et qu'ils atteindront, soit par nous et à notre « honneur, soit malgré nous et à nos dépens ». A la question ainsi posée, la France a déjà répondu par des engagements solennels. Elle a le droit d'affirmer aujour¬ d'hui que, ses engagements, elle les a tenus. Elle a le devoir d'ajouter qu'elle continuera de les tenir. Je ne puis énumérer ici tous ceux de mes collabo¬ rateurs, directeurs, chefs de service, rédacteurs, imprimeurs qui ont donné tous leurs soins à mettre au point les pages qui suivent, à vérifier scrupuleusement les dates et les chiffres, à ne retenir que l'essentiel sans négliger les détails significa¬ tifs. Mais je tiens à leur exprimer toute ma gratitude pour une collaboration qui s'est montrée, une fois de plus, dévouée, consciencieuse et affectueuse. .1. Gotteland. (1) Maurice Pernot : « L'inquiétude de l'Orient » (Revue des Deux Mondes, du 15 mai 1927). 11 SERVICE DES ARTS INDIGÈNES LE SERVICE DES ARTS INDIGÈNES I LES ARTS MAROCAINS D'un long passé dont les brillantes étapes sont marquées par l'épanouissement des périodes almoravide et almohade au xie et au xiT siècles, saadienne et alaouite du xvie siècle au xixe, et surtout par l'apogée de l'époque mérinide au xive siècle, l'art marocain a conservé des traditions et des chefs-d'œuvre qui offrent une inépuisable source d'inspira¬ tion aux artisans indigènes. C'est en architecture qu'il a fait preuve de la plus évidente originalité : on loue la grâce de ses médersas, la somptuosité de ses grands ensembles monu¬ mentaux où s'associent heureusement à la pierre la marque¬ terie de terre émaillée, les revêtements de stuc gravé, les frises, portes ou plafonds de bois sculpté ou peint. Mais cette science du décor se retrouve également dans l'ameublement et le vêtement; dans les rudes tapis berbères, tissés par les tribus montagnardes, les couvertures de Salé à bandes parallèles multiples, les soieries de Fès confection¬ nées sur de très vieux métiers tels qu'en durent connaître Byzance et la Grèce archaïque; les broderies de soie ou de fils d'or ou d'argent en honneur à Rabat, à Meknès, à Azem- mour, à Chechaouene; dans les fameux maroquins, ces cuirs du Maghreb si ingénieusement travaillés, découpés à Marra¬ kech, brodés de fils métalliques ou de lanières, ornés à Fès de dorures, à l'encre d'or et aux petits fers; dans la cérami¬ que, qui offre ses zelliges pour pavements ou lambris, ses vases et ses plats à fonds neutres rehaussés de motifs bleus 15 direction générale de l'instruction publique au maroc ou polychromes, dans les armes damasquinées d'or et d'ar¬ gent, les poignards droits ou recourbés, les poires à poudre du Sous et du Rit; les bijoux rustiques enrichis de niellures, d'émaux, de coraux, de filigranes, enfin, dans les splendides manuscrits enluminés, éclatants d'arabesques de couleurs et de sompteuses reliures. Musulmans, et pratiqués également en Algérie et en Tunisie, ayant profondément subi l'influence hispano- mauresque, ces arts offrent cependant un caractère spécifi¬ quement marocain et plus nettement accusé dans les ouvrages des ruraux, de race berbère, que dans ceux de citadins plus imprégnés d'islamisme. C'est chez les uns et les autres une ornementation à thèmes abstraits, mais les seconds préfèrent une flore stylisée, irréelle, des entrelacs compliqués, une épigraphie aux éléments courbes ou angu¬ leux; tandis que les premiers aiment surtout les motifs purement géométriques et linéaires, de développement réduit et indéfiniment répétés par juxtaposition. Ruraux ou citadins, ces arts millénaires ne paraissent d'ailleurs pas avoir jamais fait l'objet d'une organisation quelconque. C'est dire leur étonnante vitalité, qu'il s'agisse des travaux féminins, abandonnés à la libre fantaisie des ouvrières, ou des arts masculins qui font l'objet de métiers véritables groupés dans les villes en corporations. Le plus rude assaut qu'aient supporté ces arts indigènes leur a été livré à la fin du xixe siècle et au début du xxe par la concurrence des produits manufacturés européens. Les cotonnades d'Angleterre, les soieries de Lyon, les draps de France et d'Allemagne, les tissus à ramages suisses et italiens, les moquettes mécaniques de Manchester, les verre¬ ries de Rohême ont inondé les marchés du Maroc et fait subir aux industries d'art indigènes correspondantes une dépréciation telle qu'elles ont failli succomber. Mais la France veillait, et, en la personne du Haut Commissaire Résident général Lyautey, elle a pris les mesu¬ res propres à remédier à cette situation. 16 LE SERVICE DES ARTS INDIGÈNES II ORGANISATION DU SERVICE En 1915, une exposition franco-marocaine organisée à Casablanca présente un tableau de la production indigène. On voit, dans le pavillon de Rabat-Salé, des tapis de haute laine, des couvertures, des broderies sur étoffes; dans celui de Mogador, des nattes de jonc écru ou teint, des bois marquetés, des bijoux d'argent ciselé; dans celui de Marra¬ kech, des tapis du Haouz et du Haut-Atlas, des bijoux, des cuivres, des poteries; dans celui de Meknès, des tapis et des couvertures à décor géométrique du Moyen-Atlas, des brode¬ ries, des bois peints; dans celui de Fès, des stucs gravés et ajourés, des étendards, des tentures de soie brochée et lamée d'or, des dentelles à l'aiguille, des mosaïques de faïence vernissée, des poteries émaillées citadines, des poteries rusti¬ ques peintes des Tsoul et des Jbala. A la faveur des comparaisons que permet cette rétros¬ pective, apparaît en pleine lumière l'originale beauté des modèles anciens. Désormais, l'Administration aura pour but de les collectionner méthodiquement et de les proposer comme thèmes d'inspiration à des artisans choisis parmi les plus habiles et les mieux doués. En cette même année 1915, deux inspections des arts indigènes sont créées; deux musées d'art indigène s'ouvrent: l'un à Fès, l'autre à Rabat. En 1918, est organisé, au Service des Beaux-Arts, YOfJice des Industries d'arts indigènes. Il a pour attribution de centraliser toutes les questions concernant la production artistique indigène et spécialement de surveiller la fabrica¬ tion et d'assurer l'écoulement des produits. Ce service, après avoir cherché dans deux sens divers, paraît se rallier à deux méthodes : l'une appliquée à Rabat, puis adoptée à Meknès, à Safi, crée des ateliers d'Etat fonc¬ tionnant sous la direction de l'Office, dans des locaux du 17 DIRECTION GÉNÉRALE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE AU MAROC Protectorat, avec des matières premières et des salaires payés de ses deniers. L'autre, inaugurée à Fès, sélectionne dans une corporation les meilleurs artisans, mais les laisse dans leur échoppe, leur distribue des documents (modèles et relevés), leur passe des commandes sur des prix débattus d'avance, ou leur achète leurs ouvrages qui sont ensuite présentés au public. Dans l'un et l'autre cas, les résultats sont si encourageants que la nouvelle production jouit d'une faveur croissante et remporte un éclatant succès à l'exposi¬ tion du Pavillon de Marsan à Paris, en 1919. Des deux méthodes, la plus économique et la plus féconde en durables effets, c'était, l'expérience le prou¬ vait, celle qui, à Fès, constituait un artisanat capable « de voler de ses propres ailes ». Le rôle de l'Administration se bornait, dès lors, à exercer une surveillance sur les métiers d'arts indigènes, en faisant visiter les ateliers par des inspecteurs. En 1920, l'Office des Arts indigènes est rattaché à la Direction de l'Enseignement et il s'efforce de réaliser un vaste programme : 1° poursuivre et étendre dans toute la mesure du possible la recherche d'objets d'art ancien pour les musées d'art indigène créés en 1915 à Rabat et à Fès, ou en créer dans d'autres villes, de manière à faciliter partout la réédu¬ cation des artisans adultes, et l'initiation aux arts du pays des générations nouvelles; 2° recenser, dans les tribus aussi bien que dans les villes, les artisans capables de collaborer utilement à la rénovation entreprise, les aider à produire et à trouver des débouchés; 3° démêler, dans les méthodes à employer, celles qui s'adaptent le mieux au milieu et aux circonstances, et les faire évoluer, si possible, vers la formule de l'industrie privée; 4° établir la documentation artistique nécessaire à la rénovation générale pour ensuite aider à sa vulgarisation; 18 LE SERVICE DES AIITS INDIGÈNES 5° profiter des formalités de la délivrance de l'estam¬ pille d'Etat pour orienter la fabrication des tapis marocains vers des méthodes plus conformes à l'intérêt général bien compris ; 6° participer activement au Maroc et à l'étranger, aux expositions destinées à faire connaître davantage les produits de l'art indigène et à les aider à conquérir de nouveaux marchés; 7° recruter et former le personnel susceptible de prendre utilement part à la réalisation de ce programme. On verra, par ce qui suit, si ce programme a été rempli. En 1920, le personnel était réduit à un chef de service, un conservateur de musée, trois commis, quatre agents tech¬ niques et trois chaouchs. Il comprend aujourd'hui : Un inspecteur des métiers d'art indigène, chef de service à Rabat; Cinq inspecteurs ou sous-inspecteurs régionaux, instal¬ lés au siège de chacune des circonscriptions de Rabat, Fès, Meknès et Marrakech ; Trois commis préposés aux écritures et à la comptabi¬ lité, à Rabat et à Meknès; Un agent technique-dactylographe, à Rabat; Sept agents techniques, assistant les inspecteurs des régions de Rabat, Fès, Meknès et Marrakech, ou exerçant, sous le contrôle direct du chef de service, une surveillance dans certains centres moins importants, tels que Casablanca, Safi et Tanger. Dans ce nombre, quatre agents techniques dames sont spécialement chargées de la surveillance des industries féminines; Deux agents techniques dessinateurs à Rabat, pour l'établissement de la documentation graphique; Huit chaouchs préposés à la surveillance des bureaux et des musées. 19 DIRECTION GÉNÉRALE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE AU MAROC Enfin, quelques employés auxiliaires chargés de l'entre¬ tien et de la garde de nuit des musées et expositions perma¬ nentes ou des travaux particuliers, tels que la teinturerie, le tissage, le jardinage. Ce personnel, qui s'est admirablement adapté à sa tâche complexe et s'est parfaitement initié aux arts, à la langue, aux us et coutumes du pays, qui a fait preuve d'une inlas¬ sable condescendance et d'un désintéressement complet, vis- à-vis des artisans et des intermédiaires avec lesquels il est quotidiennement en rapport, jouit d'une autorité et d'une estime si générales qu'à lui seul, il justifie l'œuvre qui lui est confiée. III LES MUSEES ET LES ATELIERS Dans l'esprit des organisateurs, les musées d'art indi¬ gène, qui doivent réunir un choix aussi parfait et complet que possible des œuvres d'art ancien du pays, dresser l'inventaire des documents légués par le passé, sont l'in¬ dispensable instrument de la rénovation projetée, en ce sens qu'ils doivent servir à l'éducation d'individualités diverses, des agents du service, comme des artisans, des amateurs et des acheteurs : 1° des agents du Service d'abord, dont la culture géné¬ rale doit se compléter par l'étude des arts et des techniques locaux, dont ils dégageront une méthode claire, des procédés appropriés et, si possible, l'histoire; 2° des artisans ensuite, chez qui l'enseignement propre¬ ment dit, technique ou artistique, officiel ou privé, avait depuis longtemps vécu s'il exista jamais, et où l'apprentis¬ sage, d'ouvrier à apprenti, par la seule voie du chantier ou de l'atelier, avait été de tout temps la règle, apprentissage d'ailleurs purement manuel et très limité n'allant pas plus loin que la générosité des patrons; LE SERVICE DES ARTS INDIGÈNES 3° des amateurs aussi, surtout européens, n'ayant ni le temps ni les moyens de rechercher, dans les cités musul¬ manes extrêmement touffues, les objets épars, souvent oubliés ou cachés, qui ne peuvent être mis à leur disposition qu'à la condition de faire partie des collections publiques ; 4° des acheteurs enfin, dont certains peuvent être guidés par un goût sûr, mais dont la plupart se laissant trop vite et trop souvent séduire par l'étrangeté et la bizarrerie, encouragent par des achats inconsidérés la plus regrettable médiocrité, même les pires erreurs de goût. A l'heure actuelle, quatre musées d'art indigène ancien existent à Rabat, Fès, Meknès et Marrakech, c'est-à-dire dans les principales villes du Maroc et bien à la portée des groupements citadins. Aménagés dans autant de bâtiments princiers qui par eux-mêmes sont déjà d'intéressants spéci¬ mens de l'architecture des siècles passés, ils constituent, avec leurs jardins de style mauresque, d'agréables buts de promenade (1). Ils renferment des collections déjà intéres¬ santes de poteries vernissées, d'armes damasquinées et de bijoux d'or et d'argent, de cuivre et de bronze ciselés et ajourés, de broderies et dentelles à l'aiguille, de tapis à haute laine et à points noués, de tissus de laine et de soie, de cuirs brodés et excisés, de reliure et d'enluminures, etc., provenant de l'industrie citadine et rurale, autrement dit arabe et berbère. Ils ont un caractère plutôt régional; celui de Rabat, capitale administrative, tend toutefois à réunir des spécimens de toutes les provinces du Maroc. Ouverts en permanence, ces musées n'ont pas été sans frapper vivement les indigènes, surtout les artisans qui, dans une société aussi compartimentée et fermée que celle de leurs coreligionnaires, perdaient très vite de vue les œuvres sorties de leurs mains. Mais ce qui les a étonnés davantage encore, c'est la documentation que nous avons rassemblée sur leurs arts et métiers. Alors que ces derniers ont rarement paru dignes de quelque développement dans ■j (1) On a vu qu'en 1920, le Maroc ne possédait que les deux musées de Rabat et de Fès, créés en 1915. Ceux de Meknès et de Fès ont été fondés depuis; celui de Meknès, en 1926, et celui de Marrakecii, en 1928. 21 DIRECTION GÉNÉRALE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE AU MAROC les ouvrages des auteurs arabes, nous, au contraire, leur avons consacré des livres entiers, particulièrement riches en descriptions, commentaires et illustrations, sans compter les centaines d'articles publiés à leur sujet (1). A côté de cette documentation descriptive, il en est une autre, plus particulièrement industrielle, élaborée par le cabinet de dessin du Service des arts indigènes. Elle consiste en croquis, dessins, photographies, maquettes, mises en carte, etc., reproduits à profusion pour être distribués gratuitement à l'industrie privée qui n'a pas eu, jusqu'ici, à s'entourer du coûteux appareil des spécialistes indispensa¬ ble à toute industrie d'art digne de ce nom. L'un des plus heureux effets de cette diffusion a été un salutaire retour à la tradition, ainsi qu'une réduction considérable du temps d'apprentissage : en matière de tapis, par exemple, telle jeune ouvrière, qui eût mis naguère des mois à apprendre certains motifs de mémoire, les exécute aujourd'hui instan¬ tanément sur simple lecture. Pour l'étude approfondie des tapis, le Service des arts indigènes a enfin établi et publié, conformément aux prévi¬ sions du dahir chérifien du 22 mai 1919, le Corpus des tapis (1) A noter tout particulièrement : 1° Dans les arts architecturaux : Les monu¬ ments mauresques du Maroc (J. de la Nézière, 1923) ; Chella, une nécro¬ pole mèrinide (H. Basset et Lévi-Provençal, 1923) ; Le mausolée des princes saadiens à Marrakech (G. Rousseau, 1924) ; Manuel d'art musul¬ man (G. Marçais, 1926-1927) ; Documents d'architecture berbère (Dr Paris, 1925) ; Sanctuaires et forteresses almohades (H. Terrasse et H. Basset, 1926-1928); Les mèdersas mèrinides (Terrasse, 1927). — 2° Dans les arts industriels : L'industrie à Tétouan (A. Joly, 1906-1919) ; Les industries de la céramique à Fès, (Bel, 1918) ; Les arts et les industries indigènes du Nord de l'Afrique : arts ruraux (P. Ricard, 1918) ; Arts marocains : broderies (P. Ricard, 1919) ; Art de la reliure et de la dorure (Sofiani, publié par P. Ricard, 1919) ; Soieries marocaines : les ceintures de Fès (Vogel, 1920) ; La décoration marocaine (J. de la Nézière, 1923) ; Pour comprendre l'art musulman dans l'Afrique du Nord et en Espagne (P. Ricard, 1924) ; Les arts décoratifs au Maroc (H. Terrasse et J. Hai- naut, 1925) ; Procédés marocains de teinture des laines (P. Ricard et M. Kouadri, 1927) ; L'art marocain (G. Vidalène, 1927) ; La céramique marocaine, introduction au catalogue de l'Exposition céramique maro¬ caine à la Manufacture de Sèvres (P. Ricard, 1927) ; Dentelles algériennes et marocaines (P. Ricard, 1929). ... 22" LE SERVICE DES ARTS INDIGÈNES (1) Présenté par M. P. Ricard'et publié par Géuthner (1923-1924-1927). marocains, dont trois tomes, illustrés chacun de 64 planches en noir, ont déjà vu le jour : tome i, tapis citadins de Rabat; tome n, tapis berbères du Moyen-Atlas; tome m, tapis berbères du Haut-Atlas et du Haouz de Marrakech (1). Le tome iv, tapis divers, est à l'impression. Le tome v, hanbels marocains, est prêt. Le tome vi, qui résumera les précédents, mais avec des planches en couleurs, est également achevé. Ces derniers n'attendent plus que le bon vouloir de l'éditeur. D'autres monographies se préparent : scientifiques, elles se proposent de décrire avec précision la technique, le décor et les origines, la condition des travailleurs de chaque indus¬ trie; elles seront abondamment illustrées. Collectionner, conserver, décrire des objets anciens dignes d'intérêt n'est pas tout. Après avoir pris contact avec les choses, il faut prendre contact avec les hommes, pour distinguer ceux d'entre eux qui peuvent reproduire ces choses ou s'en inspirer pour en créer de nouvelles, qui, à leur tour, pourront être vendues. De son rôle de conserva¬ teur, le Service des arts indigènes passe à celui de promo¬ teur, en ce sens qu'il essaie d'orienter l'artisan vers une production nouvelle plus abondante, plus variée et aussi bien adaptée que possible aux besoins du jour. Pour mener cette action, on a donné la préférence à la méthode qui consiste à laisser l'artisan chez lui ou dans un atelier dont il a toute la charge, qu'il approvisionne lui- même en matières premières et en outillage, dont il recrute et paie le personnel de ses propres deniers. On demande à cet artisan de reproduire au mieux tel objet de sa fabrication qui avait paru digne de remarque, ou tel modèle du musée, ou tel ouvrage dont on lui donne seulement les lignes essen¬ tielles. Le prix est débattu d'avance; cependant, on convient d'un « fabor », ou supplément de salaire, dans le cas d'une exécution particulièrement soignée, comme d'une moins- value ou d'un refus possible dans le cas contraire. L'objet réalisé est acquis par le Service. Cette méthode, inaugurée Fès depuis 1915, a été généralisée, toutes les fois qu'il a été possible, dans les autres circonscriptions du Service. Oulre qu'elle ne conduit qu'à des prix de revient normaux, elle a DIRECTION GÉNÉRALE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE AU MAROC J'avantage d'exercer une influence extrêmement heureuse non seulement sur l'atelier où elle s'exerce, mais encore sur la corporation entière et même sur les corporations voisines. Ainsi mis officiellement en vedette, les artisans dignes d'in¬ térêt ne tardent pas à recueillir le fruit de leur mérite et de leurs efforts et à servir d'exemples vivants parmi leurs pairs. atelier d'Etat n'a été maintenu que pour la fabrication des tapis à haute laine. La réputation des tapis de Rabat risquant d'être discréditée par les produits défectueux exécutés dans les fabriques fondées par des européens, et répandus en quantités massives dans le commerce, il était indispensable de parer à ce danger en montrant autre chose aux connaisseurs. C'est le rôle de la manufacture officielle des Oudaïas, à Rabat, dont les produits, renouvelant les belles qualités d'autrefois par une polychromie brillante et harmonieuse, un coloris d'origine végétale qui prend la plus heureuse des patines, une texture de plus en plus fine et serrée, réagit efficacement contre la production sombre et triste, au décor vague et mal agencé, qui tendait à se généra¬ liser. Dans une ville comme Tanger, où la fabrication des tapis n'existait pas avant le Protectorat, on a également créé un atelier officiel pour des tapis berbères. Dans chacun de ces ateliers, les ouvrières, qui autrefois étaient payées à la journée, sont payées en proportion de leur rendement, une prime étant assurée à celles qui forment des apprenties. Lorsque l'atelier officiel de céramique de Safi eût réussi, en 1922, à former une équipe de tourneurs et de décorateurs suffisamment expérimentés, et à créer un assez grand nombre de modèles susceptibles d'être vendus, il reçut, avec une subvention annuelle, licence du Protectorat de travailler pour son propre compte et profit, à charge par lui de conti¬ nuer à former de nouveaux apprentis et à respecter les caractères traditionnels de la céramique marocaine. Au lieu d'être immédiatement vendus, les objets exécu¬ tés par les artisans, sur la demande et aux frais du Service des arts indigènes, sont présentés au public avec toutes références utiles (prix, nom et adresse des auteurs), dans des expositions qui ont pour but de diriger le client chez l'artisan et de mettre l'un et l'autre en rapports immédiats, 24 le service des arts indigènes autant que possible sans intermédiaire. Ces expositions sont ou permanentes ou temporaires. Les premières, organisées au siège de chacune des circonscriptions du Service, mais distinctes du Musée d'art ancien dont le rôle est tout autre, réunissent les objets-modèles fabriqués dans la circonscrip¬ tion. Le public est ainsi mis au courant, au jour le jour, des étapes de la fabrication locale : des tapis à Rabat, des tissus à Fès et Meknès, de la céramique à Fès et Safi, de la maro¬ quinerie à Fès, Rabat, Meknès et Marrakech, des meubles sculptés et peints dans les mêmes centres, de la dinanderie à Fès et à Meknès, de lu reliure à Fès, de la broderie un peu partout. Depuis 1920, le Protectorat a profité de toutes les expo¬ sitions organisées en France pour y envoyer des produits de l'art marocain. C'est ainsi qu'il s'est fait représenter aux Expositions coloniales de Marseille (1922) et Strasbourg (1924), à l'Exposition des arts décoratifs de Paris et à celle du Tourisme et de la Houille blanche de Grenoble (1925), ainsi qu'aux foires annuellement organisées dans la Métro¬ pole. Le Service des arts indigènes a enfin mis à la disposi¬ tion de I'Office du Maroc à Paris des collections destinées à figurer dans les manifestations auxquelles cet office participe à l'étranger. Cette participation aux expositions et foires a encore eu pour effet de fournir au Service des arts indigènes l'occasion de désigner, en dix ans, une centaine d'artisans et de marchands marocains qui sont allés présenter eux-mêmes leurs produits au dehors. Tous y ont gagné par les nouveaux horizons qui leur ont été ouverts et par les bénéfices qu'ils ont réalisés. Si la condition de ces artisans s'est ensuite améliorée, parfois relevée dans des proportions inattendues, celle des marchands s'est modifiée du tout au tout. Alors qu'en 1915 le commerce de la production artistique ancienne et nouvelle avec les européens était à peu près nul, et n'occu¬ pait qu'un nombre très restreint de boutiques fort exiguës et mal achalandées, le commerce actuel a fait naître des maisons importantes qui brassent un gros chiffre d'affaires. La marche des événements a été si rapide que tels bouti¬ quiers, qui disposaient à peine, il y a dix ans, d'un millier de direction générale de l'instruction publique au maroc francs, sont aujourd'hui à la tête d'un capital de plusieurs centaines de milliers de francs. Tels autres, qui en 1922, date de l'Exposition coloniale de Marseille, n'avaient pas encore franchi la mer, l'ont repassée plusieurs fois pour parcourir la France de Marseille à Lille, de Bordeaux à Strasbourg. Il en est de même qui sont allés s'ouvrir des débouchés en Algérie et en Tunisie; d'autres ont visité l'Espagne et l'Italie, d'autres encore se sont établis à New-York et à Boston. Il y a plus. Des étranger, venus au Maroc, et intéressés par les produits marocains, ont choisi ici des correspondants qui leur font des envois réguliers. Ainsi s'approvisionnent l'Angleterre, les Pays-Bas et Scandinaves, l'Amérique du Nord et du Sud. On n'a pas encore de renseignements sta¬ tistiques précis sur la valeur des envois qui portent particu¬ lièrement sur les tapis, la maroquinerie, la dinanderie, la céramique, les bois ouvragés et les broderies. On estime cependant que le commerce des cuirs ouvrés porte sur près d'une dizaine de millions de francs, occupant un millier d'ouvriers et une centaine de marchands. Grâce aux formalités de l'estampille d'Etat, on est mieux renseigné sur la fabrication des tapis marocains qui, en moins de dix ans, a triplé en qualité, plus que doublé en sur¬ face (42.000 mètres carrés en 1928, au lieu de 20.000 en 1920), et pris une valeur locale de sept à huit millions de francs. Ce sont là des résultats si rapides et si évidents qu'ils sont universellement reconnus et valent au Service des arts indigènes et à son personnel une autorité, une estime et une confiance qui les honorent hautement. Il n'est pas douteux que les espérances de relèvement des arts marocains se soient pleinement réalisées. Bien mieux, elles ont été dépassées, puisque, d'après le Maréchal Lyautey, elles ont abouti à une véritable résurrection (1). (1) Le 22 janvier 1927, la Société d'Encouragement pour l'industrie nationale, approuvant un rapport du Maréchal Lyautey, au nom du Comité du Commerce, sur l'œuvre de résurrection des arts indigènes au Maroc par M. P. Ricard et ses collaborateurs, décidait de décerner à ces derniers les récompenses suivantes : une médaille d'or à M. P. Ricard, une médaille d'argent à M. J. Baldoui, inspecteur régional des arts indigènes 26 LE SERVICE DES ARTS INDIGÈNES i En ce domaine, comme en plusieurs autres, le Maroc a même eu l'honneur d'être pris pour modèle : l'Italie en a adopté les méthodes pour la Tripolitaine, dès 1924, et l'on assure que la Syrie et l'Egypte se proposent d'en faire autant. De tels témoignages ne peuvent que l'encourager à persévérer. Le champ d'action est d'ailleurs trop vaste pour avoir été complètement exploré en quelques années. C'est pourquoi, en poursuivant la tâche déjà entreprise, le Service des arts indigènes, depuis 1928, dirige ses efforts dans deux autres directions : d'une part, vers la musique et le théâtre popu¬ laire; d'autre part, vers les expressions nouvelles de l'esthé¬ tique marocaine, dont on va dire quelques mots. IV LA MUSIQUE INDIGENE Si les arts plastiques et industriels tiennent une place importante dans la vie indigène, les arts musicaux sont, de leur côté, loin d'être délaissés; ils font partie de toutes les réjouissances publiques et privées. Ici encore, c'est la tradi¬ tion qui est de règle et transmet, sans enseignement métho¬ dique, par la seule voie de l'audition et du hasard, des thèmes anciens, aujourd'hui très déformés, à peine renou¬ velés par des créations plus modernes, et qui commencent à céder la place à des apports étrangers. Ici encore, c'est une décadence profonde avec la menace d'un effondrement prochain, que peut précipiter encore une mauvaise utilisa¬ tion du gramophone el de la T. S. F., adoptés d'enthousiasme dans tous les milieux marocains. On a cru bon d'essayer de réagir (1). à Rabat, à MmB Dris Amor, directrice de l'Ecole des Tilles musulmanes de Salé, ainsi qu'à M. Jean Hainaut, professeur de dessin au Collège musulman de Rabat. (1) Dès 1925, M. G. Hardy, alors directeur général de l'Enseignement au Maroc, suggérait au Service des arts indigènes l'essai d'une action officielle sur la musique indigène. Peu de temps après, quelques crédits s'inscrivaient au budget dans ce but. M. Gotteland, successeur de M. G. Hardy, inau¬ gurait lui-même, à l'occasion du Congrès des Hautes-Etudes marocaines 27 DIRECTION GÉNÉRALE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE AU MAROC Pour avoir line vue d'ensemble assez complète sur les arts musicaux (chant, musique instrumentale et danse), comme pour se faire une idée de l'intérêt que le public peut accorder à chacun d'eux, le Service des arts indigènes a organisé des journées de musique marocaine où, par trois fois en 1928, et trois fois en 1929, il a réuni, dans le magni¬ fique cadre des Oudaïas, à Rabat, plusieurs orchestres de musique de tradition andalouse, des équipes de chanteurs et de chanteuses d'airs plus modernes, des aèdes et danseurs berbères, des trouvères et troubadours chleuhs, des joueurs de hautbois et de tambourins, etc... qui ont été entendus par un auditoire appartenant à toutes les classes de la société. Dès le début, les représentations ont été accueillies, du côté des exécutants comme du côté des assistants, avec une curio¬ sité et une sympathie qui non seulement se sont maintenues, mais se sont renforcées. Il semble que dans un cadre appro¬ prié, en face d'un public nombreux et choisi, les artistes aient pris davantage conscience d'eux-mêmes et se soient surpassés. La conclusion certaine est qu'ils détiennent les restes d'un art encore plein de ressources, qu'il faut encou¬ rager et mettre en valeur. Il a paru tout d'abord qu'un musée de la musique maro¬ caine devait être constitué. On recherche donc les divers types d'instruments utilisés dans le pays; une petite collec¬ tion figure déjà au musée de Rabat; elle se complétera avec le temps. On a pu découvrir aussi un recueil manuscrit de poésies andalouses servant de support à ce qui subsiste de la musique grenadine. Il s'y ajoutera d'autres poésies plus récentes, telles que kasidas (chansons diverses), aïtas (invocations) et medahs (louanges religieuses). Ce musée est également doté d'un phonographe et de disques sélectionnés pour l'étude et l'enseignement. D'autres disques ont été établis en 1929, sur les suggestions du Service des arts indigènes, par plusieurs maisons d'enregistrement (1); ils de Rabat (1928), trois journées de musique marocaine, qui réunirent pour la première fois des artistes de toutes les régions du Maroc, devant plusieurs milliers d'auditeurs. (1) Ce sont les maisons « Columbia » et « Odéon », dont les enregistrements ont été effectués en juin 1929. 28 LE SERVICE DES ARTS INDIGÈNES sont le commencement d'une collection qui servira à l'his¬ toire de la musique marocaine actuelle. En même temps, on s'est occupé de la notation de la musique marocaine, citadine ou rurale. Les premières inves¬ tigations ont porté sur des mélodies d'origine andalouse et des airs chîeuhs qui seront prochainement publiés (1). 11 convenait enfin d'organiser l'enseignement du chant et la pratique des instruments. C'est chose faite à Rabat où existe, depuis octobre 1929, un cercle musical composé de trois professeurs donnant des leçons de musique vocale et instrumentale à une dizaine d'élèves (2). Les recherches auxquelles ont donné lieu le chant, la musique et la danse ont, en outre, fait découvrir l'existence d'un vrai théâtre populaire dont les thèmes, développés dans une langue savoureuse et pittoresque, fourmillent des traits d'esprit et témoignent d'une line observation et d'un sens critique aigu. On a déjà recensé et encouragé quelques-uns des artistes qui le créent ou le transmettent. On se propose naturellement de transcrire et de publier leur répertoire. CONCLUSION Inventorier, étudier, ressusciter certaines choses du passé, tel est le programme qu'on s'est tracé dès les débuts. En tenant à faire respecter un legs ancestral particulière¬ ment riche en exemples et en moyens éprouvés, en dressant une barrière contre les initiatives qui, sous prétexte de progrès, eussent pu gravement nuire au développement rationnel de l'art du pays, on a cru fonder sur un terrain solide l'œuvre présente et à venir. On s'est cependant gardé de s'enfermer dans le cercle étroit du passé, ou de suivre une routine qui eût été aussi néfaste que des innovations inopportunes : l'histoire montre avec trop d'éloquence que (1) Ces mélodies et airs ont été notés, sons la direction du Service des arts indigènes en août-septembre 1929, par M. A. Chottin, directeur de l'Ecole des fils de notables de Salé, très au courant de ces questions. (2) Des sociétés privées pour le développement de la musique se sont égale¬ ment fondées à Oudjda (l'Andalonsia) et à Fès. 29 DIRECTION GÉNÉRALE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE AU MAROC la Berbérie s'est souvent revivifiée au contact de l'étranger, et que chaque génération qui se lève s'éveille avec des tendances et des appétits nouveaux. Préparer une atmos¬ phère, une ambiance qui permettent à ceux-ci de s'exprimer d'eux-mêmes, de se formuler spontanément, de s'épanouir dans leur plan naturel, tel est le but qu'on a visé. Pour être récents, les faits dont il va être fait mention ne laissent pas que d'être assez remarquables : 10 Des tisseuses de Rabat, habituées seulement à nouer des tapis à haute laine, mais n'ayant jamais manié ni crayons, ni pinceaux, ont promptement réussi à colorier d'elles-mêmes des maquettes de tapis préalablement arrêtées en noir dans leur composition et dans leur détail. Les harmonies réalisées sont d'une diversité, d'une gaîté, d'une richesse étonnantes, rappelant celles des vitraux de nos cathédrales. 2° Deux artisans adultes de Rabat, l'un enlumineur, l'autre peintre sur bois, excellents praticiens, qui dans leurs ouvrages n'avaient tracé que des arabesques traditionnelles, ayant été invités à étudier des fleurs pour s'en inspirer, sont parvenus à en tirer des éléments décoratifs nouveaux d'un très grand intérêt. 3° De jeunes indigènes de Rabat, Meknès, Casablanca, et Marrakech, nés depuis que nous sommes au Maroc, vivant par conséquent dans un milieu très différent de celui que connurent leurs aïeux, commencent à dessiner et à colo¬ rier de leur propre mouvement, sans leçons, simplement parce qu'ils y sont encouragés, les sujets les plus variés : maisons, jardins, scènes de la rue, paysages, etc... L'un d'eux, illettré aussi bien en arabe qu'en français, jeune ouvrier maçon, découvre seul la science du dessin et du coloris, traduisant ce qui l'entoure avec un sentiment parti¬ culièrement aigu de l'humour, du mouvement, de la vie. Ailleurs, à Fès, dans un harem où ne pénètrent que des échos de la vie européenne, une jeune femme s'essaie à portraiturer les personnes au milieu desquelles s'écoule son existence. 30 LE SERVICE DES ARTS INDIGÈNES Ce sont là des faits nouveaux, isolés d'hier, qui forment aujourd'hui un faisceau, puisqu'ils peuvent être observés de Marrakech à Fès par Casablanca; ils seront légion demain. L'exposition des arts marocains modernes, organisée en 1930 au musée des Oudaïas, à Rabat, est une manifes¬ tation initiale qui ne manquera pas de susciter l'éveil d'autres tempéraments qui s'ignoraient, et que le Service des arts indigènes, toujours attentif aux intérêts spirituels de ce pays, suivra et encouragera de son mieux. 31