>sn • . . - . \ ■■'"■" . ■"*""■ ' : kg®'jvk-' v■■ fkgk ispaiis! i mMmèymÊm yMyJÇ-i #8 v : KiSSI /7/7 , YrusmJïWsJmde {Afvixm&e jiïaïi ■&, Y&nJthe SKoisyvcs d& ^lA/nÀbve, Henri BOSCO Lanza del VASTO. Aimé PATRI Gabriel PICABIA. Claude MARTIN... Suite à Chella. Le pacte avec un diable. Le mauvais temps. Une vie passionnante. — III. La doctrine de Drumont. — Fin. et L'impromptu d'Agamemnon de Pierre BONNET-DUPEYRON NOTES CONJOINTES par Jean Amrouche, Philippe de Clinchamps, René Fourier, Claude Martin. CHRONIQUES La guerre et les livres par René Fourier. LES LIVRES: Le Solstice de Juin de Henri de Montherlant. Le Crève-cœur de Louis Aragon. LE CINEMATOGRAPHE: Films policiers. LES REVUES A QUALITÉ Quatrain du Vent J'ai ma maison dans le vent sans mémoire, J'ai mon savoir dans le livre du vent. Comme la mer, j'ai dans le vent ma gloire, Comme le vent, j'ai ma fin dans le vent... Lanza del Vasto. On n'a 'pas été sans nous reprocher la forme matérielle des pre¬ miers numéros cle « Quatre Vents ». Ce n'est pas le temps, nous a-t-on dit, de ces grandes marges, de ces caractères de haut-corps, de disposer de toute une page pour un seul poème, de tant d'air. Nous croyons, au contraire, que, plus que jamais, c'est le mo¬ ment de défendre une qualité totale; nous estimons que nous som¬ mes dans les jours où nous ne pouvons plus accepter un seul compromis. Exalter une qualité française en permettant à de jeunes écri¬ vains, — et à d'autres —, d'écrire, de faire leur métier, de retrouver ce goût du métier qui était perdu, nous l'avons voulu dès l'abord. Mais, aussi, nous exigeons qu'à ce témoignage intellectuel soit joint, et sur le même plan, un effort technique, une qualité de la forme. Le poète et l'écrivain, l'illustrateur, sont peut-être cles pro¬ phètes, des intercesseurs. Nous sommes sûrs que le metteur en page est un témoin. quatre vents 2 Suite à Chella La Source C'est autour d'une ancienne fontaine d'ablutions que se dégage de la terre, noire et un peu pourrissante, la nappe calme de la source Chella. Elle circule dans sept chambres à petites coupoles dont les murs de briques sont lézardés. Dans ces fissures pousse l'acanthe aux feuilles grasses qui couron¬ ne l'humide édifice. Non loin de là un sanctuaire dédié à Sidi Yahia ben Yoûnos s'élève sous la frondaison colossale d'un arbre; C'est le saint patron des eaux froides. Une femme, gardienne de cette Kouba vénérable, vit seule avec sa basse-cour et son pëtit foyer domestique, près de la tombe. Plus bas, la vasque. L'eau y est indéfinissable. Elle monte de la terre par une émission in¬ visible ; et sans doute sa nappe plate, et si parfaitement immobile, en secret communique-t-elle avec d'autres eaux réservées, dont la présence se décèle sous les racines par l'abondance d'une végétation fraîche et amère. Ainsi cette onde se perd-elle aux infiltrations du sol perfide sous la viscosité' des plantes aquatiques, fluide transparent et obscur d'où insensiblement monte la bête. La bête noire ,lente et qui ondule avec prudence sur la vase. Issue de sa niche de briques, à la nuit tombante, elle glisse, longue divinité à la tête vorace, en quête d'une proie nocturne. C'est le génie du lieu, l'anguille- monstre, .que détache la terre, mère des serpents, dès que tombe sur la sour¬ ce l'ombre humide du sanctuaire. Car le sanctuaire allume sa faible bougie qui tremblotte au fond d'une chambre tapissée de nattes. La porte reste ouverte sur la nuit. Contre le mur vient se poser le profil monstrueux d'une ombre humaine. ' A la source sont attachés des rites de fécondité qui attirent les fem¬ mes. Parfois, quand la nuit rend discrètes les visites au sanctuaire, on en voit deux ou trois qui descendent dans lê bassin ; et là, pieds-nus, elles s'en vont sous les niches secrètes, où elles tendent un rideau. Derrière le rideau elles éclairent une petite chandelle. On entend remuer leurs stands pieds 4 dans l'eau. Quelquefois une d'elles soupire, ou se plaint, ou pronbnce quel¬ que formule incantatoire aux démons de la chair... Longtemps elles restent cachées dans ces loges magiques. Quand elles en sortent, souvent la nuit est assez douce pour qu'elles veuillent en jouir simplement. Alors elles s'asseoient sur les marches du sanctuaire. Elles par¬ lent à haute voix, sans émotion. Puis ayant parlé, elles partent. Dans les niches abandonnées, au ras de l'eau luisante et noire, sur une pierre, achèvent de brûler les bougies rituelles. Maintenant tout est silence. Une fumée monte du milieu des tombes. C'est la gardienne qui fait Cuire son repas. L'odeur du safran et du clou de girofle s'élève sous les arbres. Je redescends vers l'eau. L'obscurité y est profonde. 9 Pas un clapotis. Mais sans doute le corps froid et gluant du serpent d'eau circule, à travers les chambres ruinées de la sôurce, comme le Signe invisible du mys¬ tère. Les oiseaux Les oiseaux si sensibles à la douceur des sites habitent par milliers le creux de ce vallon abrité des vents de mer où l'hiver est doux. Sans doute y sont-ils attirés par les avantages naturels aux lieux paisibles et par le privi¬ lège des tombes. Car les tombes sont accueillantes aux amis légers de la pierre et de l'arbre. Si quelques visiteurs les hantent, ils ont bien garde d'ef¬ faroucher les oiseaux. Ce ne sont que figures bien enveloppées de laine, fa¬ milles graves et contemplatives, lentes à se former, dont l'apparition ne trou¬ ble pas la tranquillité des arbres où tiédissent les nids. Elles disparaissent sans hâte et se fondent aux feuillages du jardin... C'est le matin qu'on surprend les oiseaux. Ils vivent avec confiance tout le long de l.a matinée. Alors le jardin est solitaire et la vasque touche à son point de limpidité le plus pur. Si l'on marche avec précaution on peut voir un geai bleu qui sautille sur la margelle et qui, à petits coups de gosier délicats, boit une gouttelette d'eau. Il s'envole et va se poser sur une colon¬ ne brisée. Un couple de ramiers tout chaud et soyeux en glissant aborde sur le sol de marbre, près de l'eau. Le citron et l'orange amère embaument le jardin sur lequel passent quelques fils de fumée. Des faucons crécerelles piaillent. Un gros merle court sous les arbres, puis se perche. Les nappes d'air qui tournoient très lentement dans les hauts du ciel peu à peu descen¬ dent sur la colline d'argile. Elle tiédit. Surpris par la douceur de sa respira¬ tion, quelquefois un pigeùn piétine de plaisir et se rengorge. Parti du Sud, 5 venu de très loin, par dessus les montagnes sèches aux crêtes cristallines, cet air sent l'orge frais, la jeune fève et le cognassier sauvage. Ainsi se dé¬ placent, au gré d'un vent évasif, de grands jardins flottants. Ils ont leurs céréales invisibles, leurs vieux arbres fruitiers, quelques petites roses, des eaux courantes, et ce goût de pain chaud et d'anis qui circule à travers les vergers musulmans. A deux mille pieds dans l'espace ils transportent pour les oiseaux d'imaginaires paradis. Jusqu'à midi ces bancs de chaleur élastiques errent au dessus du ver¬ ger. Puis quand les colonnes d'air chaud se troublent au contact du sol, tout l'équilibre du ciel change de sens et, sous leur cargaison de fleurs, de fruits et d'oiseaux indéfinissables, ces étranges îles flottantes aux rivages vapo¬ reux s'éloignent vers le large. Et ainsi les jardins du Sud se perdent sur la mer. Alors le point d'or de midi passe la ligne de partage du ciel. L'esprit in¬ nocent du matin sort du verger. Chaque feuille s'enrichit d'ombre et le beau visage du jour commence à se rapprocher de ses dons. Les odeurs deviennent plus lentes, le goût de l'air plus pénétrant et plus sucré, les frondaisons des orangers qui, lorsqu'on passe, glissent, effleurent les joues, semblent tièdes à la peau ; et les voix, les bruits, la rumeur du vallon touchent, dans la cha¬ leur du jour, au timbre grave de la jouissance, tant le fruit d'un après-midi de sérénité aux jardins mûrit la volupté. A mesure que la colline prend, sous l'inclinaison de la terre, plus d'om¬ bre, et dégage insensiblement les premières figures de sa grandeur, répon¬ dant à l'appel du site, un à un d'abord, les oiseaux, l'aile sifflante, rentrent aux nids abandonnés. Bientôt il en surgit de tous les points du ciel. Par mil¬ liers ils s'abattent. On les voit se poser, rebondir, voleter, tournoyer en criant de fureur, piquer au sol, virer sur la pointe de l'aile, glisser, tailler le vent, ivres de vol, d'air vif, de sang versé. Toutes les races ! Les petits : le bruant, le traquet rieur, la bergeronnette cendrée, la mésange, le grimpereau, le rouge-queue, le troglodyte. D'autres aussi ! les grands : le merle, le pic-vert, le pigeon, la colombe roucoulante, et le petit épervier batailleur. Mais fon¬ dant de son bec tranchant les tourbillons d'ailes, les cris, toutes plumer de¬ hors, arrive, blanc et noir, le grand voilier du ciel, la cigogne familière des tombes de Chella. Du bout de ses pattes fragiles, hésitante, elle touche à la crête d'un mur, sautille, se soulève, puis retombe, délicate, enfin se pose. Soudain folle de bonheur, le jabot gonflé, son long col renversé en arrière, elle fait claquer rapidement son bec dur. Ensuite elle devient très grave et marche sur le mur d'un pas sérieux. ...Le soir tombe. Ils ont tous rallié le refuge. La Cité des oiseaux avant la nuit, parle dans le feuillage, au sommet des arbres. Là se reforme chaque soir la Ville étrange aux moeurs bruyantes et qui semble tenir du vent ses plaisirs, ses tâches, ses lois. Car tout y est porté par les vertus de l'air qui 6 balance d'un même souffle les maisons et ces âmes aériennes ; et ainsi rien ne vit là haut qui ne soit éphémère puisque du caprice des vents naissent ces frêles édifices et les institutions des tribus ailées. Qu'un souffle passe sur la Ville et toutes ces tribus à la pointe des branches montent et descendent dans l'air. Il n'est pas de désir là-haut ni de souffrance qui ne soit, si tout à coup glisse une brise, balancé dans l'espace. Le moindre désir est rythmé par le lent mouvement des branches. Quand l'ombre et la fatigue obligent au repos ce peuple léger, tous ses rêves, que hantent, paraît-il, les mons¬ tres du déluge, suivent l'oscillation des branches immenses qui, dans la nuit où souffle le vent, balancent les oiseaux et leur sommeil... Le sol de la Cité n'est qu'un fondement fluide où ne peut se bâtir de maison éternelle. Tout ce qui devient immobile tombe et se brise. Le mouvement est la loi de ce monde où l'on ne vit qu'en tissant, sous un corps infatigable, les fictions d'un espace éphémère... ...Pourtant, malgré vos dispersions, oiseaux multiples, ô diversités ! les vols que vous créez comme des délivrances, vous ramènent parfois à dessiner une couronne que vous faites tourner de vos ailes impétueuses sur le site sacré. De la périphérie de ce cercle où frémissent vos plumes, vous tendez vai¬ nement vers un lieu meilleur. Là sans doute est présent l'être pur de l'oi¬ seau, invisible même à vos yeux, et dont vous sentez cependant l'attraction secrète. Eperdus et faisant craquer les os de vos frêles armatures, d'un vol inconstant, vous tentez de vous rapprocher de l'âme. Elle est là. Vous en ef¬ fleurez la substance insaisissable et, d'ivresse ou de désespoir, vous poussez des cris sauvages... Etes-vous des bêtes vivantes aux petites âmes tenaces, aux becs meur¬ triers P Ou bien, en nouant la couronne, perdez-vous assez de vous-même pour qu'il n'en reste plus que ces volontés pures sous vos formes imaginai¬ res ? Car bientôt vous disparaissez de ce monde sensible, et cependant encore on vous voit et l'on vous entend. Vous nous touchez par d'autres signes, car désormais en nous, sur nos étendues intérieures, vous n'êtes plus que des re¬ flets, des idées d'oiseaux inspirés par l'extase... Votre vol circulaire vous .allège. A mesure que vous tournez autour de l'Immobile, votre vie délie d'autres vies antérieures à vous et contenues en elle. Plantes, bêtes, démons, oiseaux secrets, dieux du vent s'éparpillent. Vos corps brûlante perdent leurs poids et vous décrivez en silence la ronde des in¬ corporels. Dépouillés pour saisir l'Insaisissable, intensément vous tendez vers lui vos yeux durs, car vous êtes sans âmes, et vous .aspirez à cette âme, ailes fauves, déjà animées de pensée. C'est là qu'est votre fin, votre repos. Votre passion contemplative subit l'impulsion du désir dont vous ne voyez pas l'ob¬ jet, mais qui vous inspire une danse tenace. Peu à peu ce mouvement pur crée un champ magnétique. La terre, le jardin de nuit, les fleurs, les eaux, les tombes elles-mêmes, se détachent du lieu imaginaire où repose l'idée du site. Sa lente force ascensionnelle soulève ce monde irréel, épuré de matière, sur la courbe immense où se font les translations du ciel, car toujours les couronnes d'âmes entrent en sympathie avec les astres. Et nous partons ainsi, ô Songe à travers les grands feux célestes de l'abîme, vers l'Orient nocturne, où monte la première étoile de l'Unique Constellation. 21 Novembre 1941. Henri BOSCO. 8 Le pacte avec un diable Au peintre Jean Costetti 0 Muse, — Muse va-t-en. Chante hasard chante battant Avec ton pied boiteux le temps, Car c'est à toi petit satan, Que j'ai vendu mon âme. Je l'ai surpris clopinant sous mon crâne Criaillant dans les courants d'air de ses corridors, D'un geste prompt je l'ai surpris Par le toupet qui se cambre à son front. J'ai clamé sans lâcher ses cheveux « Prends mon âme et donne-moi le monde Et sois mon dieu, petit diable : je veux Comme tout homme avoir mon dieu Pour l'adorer et qu'il me serve. » Mais lui, sautant plus vite que ma verve, « Je suis à toi mais je suis une fuite, Dit-il, suis-moi, tente le saut qui sauve, Lance ton cœur comme un lasso Sur toutes choses : rien n'est tien Tout est toi. A quoi bon L'avarice d'être un. Rien N'est tien : tout est toi Et le bond Ou la chute Tout est égal Et le mal Et le bien Dans la force et la joie de la course sans but. Prends-moi: Je suis le dieu, qui frustre, 9 Le dieu tricheur qui fausse les balances, Le dieu qui hait l'avarice des justes. Sur l'étal gras de toutes les prudences Je ris Comme un boisseau de mouches au soleil, Je suis le dieu gratuit, celui qui danse, Je suis le dieu de l'homme qui me vend Son âme pour du vent. » Et mon âme fut sienne: il m'a donné des mots Des mots, vent pour la bouche Et pour la tête bruit. Quand j'ai rouvert le poing leur tourbillon a fui Et l'air a bourdonné comme d'un vol de mouches Avec un son de casserole ou de crécelle, Les mots de chaque jour, ceux qui rincent la cour, De l'office au salon, de la loge aux mansardes, Lorsque l'évier bavarde A la vaisselle. I! m'a rendu les mots que m'a chantés jadis Dans la maison blanche entre arches et ciel Une voix ancienne, Des bras me berçant près de la persienne Dans la torpeur et les cigales du midi. Il m'a rendu les mots de celle que j'aimais, Qui tremblèrent dans l'or fondu des jours de joie, Eternels et perdus à jamais. Il m'a rendu le goût des lèvres qui les dirent. Il m'a donné des signes Devant qui toute forme est ouverte Comme une porte ouverte. Et je me suis glissé sous l'écorce des arbres, J'ai rabattu sur moi mille paupières vertes, Et d'un seul trait j'ai bu l'extase végétale. Ouvrant comme un placard la poitrine des hommes, 10 A des portemanteaux j'ai vu, par files, pendre Leurs âmes de gala Et leurs âmes de chambre. J'en pris une quelconque et l'essayai, — elle m'alla. Portant quelque mot pour lanterne, Il m'a conduit dans l'étroite citerne, Par un escalier d'ombre. Et là cognant leur rage au thorax de la cage J'ai vu se démener des monstres Cadenassés depuis si longtemps dans la nuit basse Qu' ils n'avaient plus de forme et pas de nom. Je l'ai suivi partout. Il m'a tout pris. Même elle. Il a livré sa petite flammelle Aux quatre vents qui l'ont soufflée, Et son rire hideux sifflait aussi dessus, Car il a ri, le nain bossu, « A quoi bon l'avarice d'aimer : aime-la là, là, Là-bas, partout, elle est partout, retrouve-la. » Et depuis lors j'aimai d'amour la courbe des collines Et l'aîne des vallées qu'un arbre violet Fêle de veines fines, Ses bras lents, ses doigts longs ont coulé dans les brises, Sa joue au ciel, ses jambes dans les eaux. Bondis, Hasard, toi dont le bond hardi Suspend des ponts, Très haut, entre les mondes. Comme un essaim d'abeilles, danse, ourdis Le fil d'or de ton vol entre les choses Plantées de loin en loin sur la tige des lois. Toi qui danses Comme un essaim d'abeilles à midi Emportant les pollens vers leurs destins féconds Dépense-moi. Florence 1926 LANZA de! VASTO. 1 1 Le mauvais temps Dialogue philosophique Dyas. Lorsque vous êtes entré, mon cher Monos, je regardais mélancoli¬ quement la pluie tomber à travers les vitres de la fenêtre. Cela donne matiè¬ re à réfléxion puisqu'il n'y a rien d'autre à faire par ce mauvais temps, à moins que de boire et de jouer aux cartes. La pluie qui tombe et la mélan¬ colie, n'y a-t-il pas là deux sortes de faits appartenant à des ordres radicale¬ ment distincts ? Le premier est un événement objectif du monde physique, le second un fait subjectif du monde de ma conscience. Il n'y a qu'un seul monde physique dont les événements peuvent être connus indifféremment par une multitude indéfinie d'observateurs. Il y a une multitude indéfinie de mondes psychiques dont les événements ne peuvent être connus dans chaque cas que par un seul. Ne trouvez-vous pas cela curieux ? Le monde physique est ouvert, commun à tous mais chacun de nous est en quelque sor¬ te muré dans sa conscience. Monos. Puisque vous êtes en humeur de réfléchir et de discuter, je vais faire l'avocat du diable. Cette distinction n'est pas évidente d'elle-même. Le poète dira que lorsqu'il pleut, il y a de la mélancolie dans l'air, rapportant ainsi au monde physique ce que vous considérez comme un état d'âme pure¬ ment subjectif. Il est vrai que le physicien parle un autre langage. Mais, en tout cas, il faudrait justifier votre affirmation. Dyas. Mais qu'y a-t-il de plus facile ! Je puis vous inviter à venir pren¬ dre ma place à la fenêtre pour regarder tomber la pluie. Nous serons cer¬ tainement d'accord pour dire qu'il pleut. Théoriquement je puis adresser la même invitation à une multitude d'observateurs quelconques qui feront la même constatation. Cette constatation, éventuellement, on pourra la confir¬ mer par les indications d'appareils enregistreurs et même d'appareils de me¬ sure. Mais je ne puis inviter personne à venir éprouver à ma place mon sen¬ timent de mélancolie. Monos. Mais en prenant votre place à la fenêtre, ne puis-je éprouver, moi aussi, un sentiment de mélancolie tandis que je vois tomber la pluie ? 12 Après tout, vous ne pouvez pas soutenir que vous avez le privilège de con¬ naître la mélancolie. Dyas. D'accord, mais ce sentiment de mélancolie, devant la pluie qui tombe, vous l'éprouverez éventuellement mais pas nécessairement. Et que vous l'éprouviez ou non, cela ne changera rien au fait que je l'ai éprouvé. Votre mélancolie et la mienne sont deux mélancolies distinctes, indépen¬ dantes l'une de l'autre. Il y a même contradiction à ce que vous éprouviez ma mélancolie. Cela supposerait que nous, qui sommes deux êtres distincts, nous ne soyions plus qu'un seul. La pluie qui tombe, au contraire, n'est à per¬ sonne. Si vous ne faisiez pas, en venant prendre une place à la fenêtre, la mê¬ me constatation que moi au sujet de la pluie qui tombe j'en concluerais que l'un ou l'autre d'entre nous est victime d'une hallucination. Le témoignage des sens peut être trompeur mais le témoignage de la conscience est infail¬ lible. Monos. J'ai voulu, jusqu'ici, vous pousser dans les derniers retranche¬ ments où vous avez raison. Mais croyez-vous vraiment qu'il y ait pour par¬ ler comme les logiciens deux classes exclusives, que l'on puisse ainsi répartir l'ensemble des faits observables en deux catégories qui seraient telles qu'au¬ cun des faits de la première n'appartienne à la seconde et réciproquement ? En réfléchissant plus profondément, n'allez-vous pas retrouver les mêmes faits dans chacune des deux catégories ? Dyas. Expliquez-vous plus clairement. Monos. Le spectacle de la pluie qui tombe tel qu'il s'offre à vous n'est- il pas en dernière analyse constitué par des impressions visuelles, auditives, tactiles peut-être qui sont aussi irrémédiablement vôtres que le sentiment de la mélancolie ? Toutes ces impressions ne sont-elles pas marquées au mê¬ me sceau de la subjectivité P Elles sont les vôtres et non les miennes. Dyas. Mais je puis constater mon accord avec vous, avec d'autres, avec les indications des appareils enregistreurs et c'est en cela que consiste l'ob¬ jectivité. Monos. Sans aucun doute. Mais il n'en est pas moins vrai que cet ac¬ cord, vous le constaterez au moyen d'impressions visuelles, auditives etc., qui ne sont pas moins subjectives que les premières. Vous aurez beau faire, vous ne franchirez jamais les limites de votre propre subjectivité. Quand vous parlez de l'objectivité d'un fait, vous vous référez nécessairement à des don¬ nées subjectives.. Dyas. Mais dans ce cas, nous allons tomber dans l'extravagante théo¬ rie de Berkeley qui refusait toute existence propre au monde physique. Monos. Et quand cela serait, il faudrait s'incliner devant la vérité, mais je ne crois pas qu'il en soit ainsi, car il y a une contre-partie. Dyas. Et laquelle donc ? Monos. C'est que la même constatation d'objectivité qui peut être faite 13 au sujet de la pluie qui tombe peut être faite également au sujet du senti¬ ment de la mélancolie, et je précise qu'il s'agit de votre mélancolie, et non de celle de quelqu'un d'autre ou de la mélancolie en général. Dyas. Je ne vous suis plus. Monos. N'avez-vous jamais vu La mélancolie se peindre sur le visage et dans l'attitude d'un ami ? La même constatation ne peut-elle être faite par des observateurs quelconques, confirmée par les indications des appareils enregistreurs ? La mélanconlie de X est un fait objectif aussi bien que La pluie qui tombe. Dyas. Je vous prends à un sophisme. Je constate directement que la pluie tombe mais quand je vous trouve l'air mélancolique, ce n'est plus la cons- tation pure et simple d'un fait, c'est une interprétation d'ailleurs assez ha¬ sardeuse qui suppose un raisonnement par analogie. Je connais par expérien¬ ce intime le sentiment de la mélancolie et je connais aussi l'attitude de mon corps lorsque je suis mélancolique. Lorsque je constate une attitude sembla¬ ble de votre corps, je suppose que vous éprouvez des impressions analogues aux miennes mais ce n'est qu'une supposition que je n'ai aucun moyen di¬ rect de vérifier car je ne puis éprouver vos propres impressions. Monos. Bien que ce soit là un préjugé assez accrédité il n'est pas du tout certain que la connaissance de notre vie psychologique personnelle pré¬ cède nécessairement celle de la vie psychologique d'autrui. L'allemand Sche- ler a écrit un gros livre pour réfuter cette opinion ( 1 ) . On y trouve des argu¬ ments assez solides. Mais pour ne pas nous égarer et pour la commodité de la discussion, je veux bien vous concéder que nous ne connaissons autrui que par analogie avec nous-mêmes. Ce que je nie en tout cas c'est que la connaissance que nous avons du monde physique soit plus directe que celle du psychisme d'autrui. En admettant votre hypothèse, je puis même prouver qu'elle serait encore plus indirecte. Dyas. En quel sens ? Monos. Rappelez-vous que pour établir l'objectivité d'Un fait physique comme la pluie qui tombe, vous recourez à la constatation de votre accord avec autrui. Vous faites donc un détour par l'interprétation du psychisme d'autrui : vous supposez que lorsqu'il dit que la pluie tombe, il éprouve des impressions analogues aux vôtres, ce que vous ne pouvez vérifier. Il s'agit donc d'une connaissance indirecte au second degré. Dyas. Mais ce détour par l'interprétation du psychisme d'autrui n'est pas du tout nécessaire. Je puis me contenter de mon accord avec moi-même, de l'accord entre mes impressions visuelles, auditives et tactiles. Si je veux raffiner et écarter le soupçon d'une hallucination systématisée de tous mes { 1 ) Max Scheler : Nature et forme de la sympathie. Traduction française — Payot édi¬ teur. 14 sens, je me référerai aux appareils enregistreurs, Monos. Dans la plupart des cas, vous ne cherchez même pas à vérifier cet accord avec vous-même, encore moins avec les appareils enregistreurs. Je ne vous ai pas vu tout à l'heure ouvrir la fenêtre pour vérifier par le tou¬ cher le témoignage de la vue. Mais cependant cet accord, vous l'estimez tou¬ jours possible. Il en est de même de votre accord avec autrui. D'ailleurs, comme je vous l'ai déjà dit, vous aurez beau faire, vous ne franchirez jamais les limites de votre propre subjectivité. Dyas. Je ne vois pas bien où vous voulez en venir. Tantôt vous raisonnez comme un idéaliste absolu qui nie la réalité propre au monde physique, tan¬ tôt si je puis m'autoriser de ce néologisme, comme un physicaliste radical qui nie celle du monde psychique. Voici, où vous entraine votre m.anie de discuter. Tenez-vous donc tellement à confondre ce qui est subjectif et ce qui est objectif dans une sorte de nuit philosophique où tous les faits se¬ raient de la même grisaille ? Monos. Mais non, je ne tiens pas à les confondre. Je voudrais seule¬ ment définir ces termes avec plus de précision, et surtout cesser de les op¬ poser, ce qui est la source de bien des disputes et de bien de doutes assez vains. L'objectivité c'est l'accord des subjectivités. Les impressions subjecti¬ ves sont la matière première des faits objectifs. Dyas. A la réflexion, je veux bien vous l'accorder. Me concédez-vous, au moins, qu'il y a des impressions subjectives qui ont pour correspondants des faits objectifs, par exemple celles qui me font dire que la pluie tombe et d'autres qui restent purement subjectives, comme la mélancolie que j'é¬ prouve P Puisque vous affectionnez ce langage, nous conviendrons de dire que les faits objectifs sont une sous-classe des faits subjectifs. Tout ce qui est d'ordre physique est aussi d'ordre psychique mais la réciproque n'est pas vraie puisque la partie ne peut être égale au tout. L'illustre Bergson avait déjà dit quelque chose de ce genre. Monos. Les1 mathématiciens auraient bien des choses à dire sur la partie et le tout mais je ne veux pas vous entraîner dans une discussion aussi abs¬ traite. Revenons aux faits. Nierez-vous qu'il y ait des correspondants physi¬ ques du sentiment de la mélancolie ? Dyas. Evidemment non. Mais la mélancolie que j'éprouve et la mélan¬ colie que vous constatez dans l'attitude de mon corps sont deux faits radi¬ calement distincts, l'un de l'ordre psychique, l'autre de l'ordre physique, que seul un langage mal fait vous amène à désigner par le même mot. Il vaudrait mieux dire mélancolie d'une part, expression physique de la mélancolie de l'autre ou même en abandonnant l'incertaine méthode de l'analogie qui fait conclure de l'un à l'autre, forger, si l'on veut faire de la psy¬ chologie du comportement, un nouveau vocabulaire tout à fait in¬ dépendant de celui de l'introspection. Il y a eu des tentatives dans ce sens, 15 je crois. D'aiiieurs la psychologie du comportement ne mérite pas le nom de- psychologie puisqu'elle ne connaît que des faits physiques : gestes, paroles, attitudes, la marionnette et non la profondeur de l'âme. Monos. Mais dans ce cas qu'appelez-vous donc un fait ? Vous niez que la mélancolie et l'expression physique de la mélancolie soient un seul et mê¬ me fait, parce que nous les connaissons de deux manières différentes. Mais, dans ce cas, pour être conséquent avec vous-mêmes, vous devriez admettre, aussi que la chute d'une goutelette d'eau ne correspond pas à un événement unique du monde physique mais à une foule de faits. Il faudrait distinguer la goutelette d'eau que vous voyez tomber de celle que vous entendez tomber ef de celle qui vous mouille, les vôtres, les miennes et celles des autres obser¬ vateurs, sans compter celles des appareils enregistreurs. Cependant vous re¬ connaissez avec moi qu'il ne s'agit que d'un seul et même fait qui peut être enregistré par plusieurs sortes d'impressions différentes et par toutes sortes d'êtres différents, vivants ou non d'ailleurs. Pourquoi appliquer un traite¬ ment différent à la mélancolie P Au fond l'expression de fait subjectif est une contradiction dans les termes. Ce qui caractérise un fait, c'est son indé¬ pendance à l'égard de l'observateur et du mode d'observation. Tous les faits sont objectifs lorsqu'ils sonf bien éfablis aussi bien lorsqu'il s'agit de la pluie qui tombe que de la mélancolie de M. X. De la même façon je dirai d'ailleurs que foutes les impressions sont subjectives puisqu'il est bien évident, en ver¬ tu du principe de non-contradiction, que les impressions de l'un ne peuvent être celles de l'autre. Dyas. Tout ceci n'est qu'une pure querelle de mots. Je veux bien puis¬ que cela vous fait plaisir, renoncer à parler de faits subjectifs ef me conten¬ ter du vocable d'impressions subjectives. Au moins m'accorderez-vous qu'en physique on s'occupe dè ce que vous appelez des faits, tandis qu'en- psycho¬ logie, il s'agit de ce que vous appelez des impressions. La psychologie, je parle de la véritable psychologie, celle de l'introspection, n'est peut-être pas une science au même sens que les sciences de la nature car je conviens que cela sonne .assez mal de parler d'une science qui n'étudie pas les faits mais les impressions. Au moins est-elle d'un intérêt philosophique capi¬ tal et la distinction que je faisais tout à l'heure reste fondée. Monos. Il serait bien malheureux que nous ayons perdu notre temps à ne discuter que sur les mots bien que le sens des mots ait son importance surtout en philosophie. Mais je vais continuer à vous étonner. Nous étions arrivés tout à l'heure à nous entendre sur le sens du mot : objectivité. Mais nous n'avons guère songé à définir ce qui est subjectif bien que nous y avons fait allusion souventes fois. Je soutiens maintenant que ce qui est subjectif n'est pas nécessairement d'ordre psychologique, qu'il peut y avoir une sub¬ jectivité d'ordre physique et même que la racine de toute subjectivité est- dans l'ordre physique. 16 Dyas. Voyons donc ce nouveau pa radoxe. Monos. Vous admettez bien que l'on peut illustrer la notion de la subjec¬ tivité par l'exemple des spectateurs au théâtre. C'est un vieil exemple clas¬ sique, mais qui n'en est pas moins bon. Au théâtre, devant le même spec¬ tacle, il n'y a pas deux spectateurs qui puissent éprouver exactement les mêmes impressions. Dyas. A merveille, voilà précisément ce que j'entends par subjec¬ tivité. Le spectacle et les impressions des spectateurs, c'est bien la distinc¬ tion que je fais entre le monde physique objectif et la subjectivité psycholo¬ gique propre à chacun de nous. Si cet exemple avait été donné plus tôt il nous aurait épargné bien des paroles. Mais au fait, c'est ma faute. Je recon¬ nais maintenant que l'exemple de tout à l'heure était assez mal choisi et prê¬ tait à équivoque. Monos. N'allez pas si vite et n'oubliez pas que je vais soutenir un nou¬ veau paradoxe à l'aide de cet exemple. Songez aux raisons pour lesquelles il n'y a pas deux spectateurs qui puissent devant le même spectacle, éprouver les mêmes impressions. Pour ma part, j'en vois trois principales. Dyas. Voyons rénumération. Pour ma part, je n'en connais qu'une. Monos. La première, c'est qu'il ne peut y avoir deux spectateurs qui soient assis, en même temps à la même place. Ils ne verront pas le specta¬ cle du même point de vue. Cette première raison est d'ordre purement phy¬ sique et je dirai plus géométrique. Remplacez les spectateurs par des appareils enregistreurs de prises de vues et de prises du son fonctionnant automati¬ quement. Développez ensuite les pellicules et faites tourner les disques. Tous les appareils auront été impressionnés différemment en raison de la distance et de l'angle des prises de vues et des prises du son. Dyas. Raison superficielle. Les spectateurs peuvent échanger leurs pla¬ ces, bien que cela soit fort incommode au spectacle. Nous avions tenu comp¬ te, au début, de cette notion de l'échange des places. C'est par elle que s'o¬ père la dissociation de ce qui est subjectif et de ce qui est objectif. Monos. Mais ce changement de place, qu'il s'agisse des spectateurs ou des appareils ne pourra être opéré dans un temps nul. Les spectateurs qui au¬ ront échangé leurs places ne verront pas la même phase du spectacle de la même place. Il faut tenir compte à la fois des caractères de l'espace et du temps, bien qu'on aime les dissocier. Dyas. Peut-être mais vous jouez sur le sens du mot impressionner. Mes impressions conscientes ne sont tout de même pas comparables à celles d'une pellicule photographique, ne serait-ce que parce qu'elles sont conscientes. Monos. Sans doute, mais vous conviendrez qu'il y a quelque chose de commun entre elles. N'avez-vous pas des organes des sens et les organes ne sont-ils pas comparables, au moins dans une certaine mesure à des appareils 17 enregistreurs ? Dyas. Je l'accorde, en maintenant ma restriction. Mais voyons votre se¬ conde raison. Monos. La seconde raison, c'est précisément qu'il n'y a pas deux specta¬ teurs dont les appareils sensoriels soient identiquement constitués. Ce n'est plus une raison géométrique mais c'est une raison physiologique, donc une raison physique au sens Large. Il en est d'ailleurs de même, quoique dans une moindre mesure, pour des appareils enregistreurs quelconques, quelles que soient les précautions prises dans les procédés de fabrication. Dyas. D'accord. J'attends maintenant votre troisième raison pour voir si elle coïncide avec celle que je considère comme essentielle. Monos. La troisième raison est effectivement d'ordre psychologique. Il n'y a pas deux spectateurs ayant exactement les mêmes goûts esthétiques. Ils ne goûteront donc pas la pièce de la même façon. Pour l'un elle sera bon¬ ne, pour l'autre mauvaise et ceux qui la trouveront bonne feront ce jugement pour des raisons différentes. Mais précisons encore. S'il en est ainsi, c'est que tous ces spectateurs, quand bien même certains d'entre-eux seraient frères jumeaux, ont tous derrière eux une expérience personnelle différente. Leurs biographies ne coïncident pas et elles ne peuvent pas coïncider. En cherchant bien, on trouverait à cela des analogies dans le monde physique. Songez au déplacement du zéro dans les thermomètres. Dyas. Mais je vous attends à la réserve que j'ai faite. Dans tout cela que faites-vous de la conscience ? Monos. Pour moi subjectivité n'est pas synonyme de conscience et je crois vous l'avoir prouvé par cet exemple. Mais il se fait tard et il a cessé de pleuvoir. Si vous voulez bien, nous en reparlerons une autre fois. Aimé PATRI. 18 DOCUMENT HISTOIRE DE FRANCE CHANTEE ET DANSEE Les strophes que nous publions ont été recueillies dans un couvent de bénédictines en Corse. Pour que leurs élèves retiennent plus facilement l'Histoire de France et tout particulière¬ ment la succession des Princes Français, les religieuses leur font chanter les principaux évé¬ nements de notre Histoire, mis en vers par un poète inconnu. Une ronde fut faite sur ce chant, que dansent les pensionnaires au cours des récréations. L'Histoire de France mise ainsi en bouts-rimés, s'étend du premier roi mérovingien jus¬ qu'à la Révolution. Cette coutume serait répandue dans d'autres couvents. La qualité des vers : Son fils Charlemagne prend Didier dans Pavie, Subjugue les Saxons, l'Italie et l'Espagne, Fonde un nouvel empire et règne en Allemagne... n'échappera à personne : c'est du meilleur Hugo, celui de la Légende des Siècles. En l'an 420 Pharamon premier roi Est connu seulement par la salique loi. Clodion second roi, nonqmé le chevelu, Au fier Aetius cède, deux fois vaincu. Mérovée à Châlons combattit Attila. Childéric est chassé, mais on le rappela. Clovis à Tolbiac fit vœu d'être chrétien ; Il défait Condebaud, tue Al.aric l'Arien, Entre ses quatre fils partage ses états, Source d'atrocités, de guerres et d'attentats. Childebert pour cinq ans eut Paris en partage Les Bourguignons, les Coths éprouvent son courage. 19 Vers 600 Dagobert construisit Saint Denis, La France est soulagée par le second Clovis, Thierry le fainéant sous Ebroïm fut roi, Sous Clovis III, Pépin des Saxons fut l'effroi. Childebert III est roi sous le même Pépin Son fils Dagobert II d'Héristal voit la fin, Blessé dans un combat Chilpéric Daniel Cède au roi fainéant que fit Charles Martel. Thierry IV étranger aux exploits de son règne Meurt et laisse après lui cinq années d'interrègne. Chilpéric III rasé fut dernier de sa race. Pépin nommé le Bref sacré sous Boniface Parvient au trône en l'an sept cent cinquante deux Il gouverne seize ans en prince généreux perte la guerre en Italie. Son fils Ch.arlemagne prend Didier dans Pavie, Subjugue les Saxons, l'Ifalie et l'Espagne Fonde un nouvel empire et règne en Allemagne ; Politique profond et sage législateur, En l'an huit cent quatorze il mourut Empereur. 20 Une vie passionnante 111 j'ai toujours préparé méticuleusement mes concours, ne négligeant ■rien qui puisse me donner quelques nouvelles chances de succès. Ainsi pour ces championnats de France de ski, en plus de mon entraînement intensif au Mont-Cenèvre et au Mont-Rev,ard, j'avais la veille enduit mes skis d'un fart spécial importé de Norvège (comme presque tous les farts à cette époque) et dont noas avions seuls Berthet et moi le secret, depuis notre séjour au Mont-Revard. Il va sans dire que les Norvégiens qui participaient à ce con¬ cours ne l'ignoraient pas non plus. ( 1 ) Jusque là il .avait fait beau, un temps superbe, irradiant la neige/ce qui permit aux premières épreuves de se dérouler dans une véritable atmosphère de fête. Mais peu de personnes avaient pu y assister. Par contre pour le di¬ manche on s'attendait à une invasion. Malheureusement le samedi soir le temps se couvrit et le lendemain tombait une fine neige poussée et soulevée .par un vent violent. C'était une catastrophe, surtout pour un -concours de saut. Néanmoins le public afflua en grand nombre. A deux heures, j'étais au sautoir, à deux heures et demie un coup de ■clairon déchira l'air, annonçant que le concours allait commencer. Aussitôt régna un silence de mort et tous les regards se portèrent vers le tremplin. C'est Martial Payot, ayant le numéro un, qui ouvrit le concours, mais ■à ce moment là il y eut un incident. Sous le couvert d'une fine neige que le vent faisait tourbillonner voyons un peu comment se présentaient ces championnats de France de ski. En dehors de la participation française au grand complet, c'est-à-dire ■environ dix sauteurs, quatre étrangers avaient daigné y prendre part, quatre norvégiens, dont Koltrud. Mais n'ayant pas été désignés officiellement par leur pays, ils ne pouvaient le représenter et concouraient pour des clubs fran¬ çais, sauf Koltrud qui sautait hors concours. ( 1 ) On ne peut se servir de skis sans fart. La neige autrement colle, fait croûte dessous. Entrent pour une grande part, dans un fart : de la paraffine, du goudron, de la cire.C etc. Certains farts servent pour la montée, d'autres pour la descente, d'autres encore pour monter ■et descendre à la fois et chaque neige en exige, presque- un particulier. Autrement dit farter -est une science qui permet d'augmenter au mieux sa vélocité en ski, une science que peu de Français pouvaient se vanter de bien connaître à ce moment là. Je n'avais jamais entendu parler des trois autres norvégiens, mais je ne; perdais rien pour avoir attendu. Le premier était étudiant en chimie à Lyon; le deuxième tenait un ma¬ gasin de sport à Grenoble ; le troisième était son employé. Le premier était immense et énorme avec un visage de bull anglais : les yeux à fleur de tête et les dents supérieures lui sortant presque entièrement de la bouche. Il s'appelait Stang. Le deuxième était trapu, costaud et bavard comme un marseillais. Ses cheveux blonds lui tombaient perpétuellement sur le visage en deux cornes que d'un geste de main et de tête inlassable il rejetait en arrière. Il s'appelait Floberg. Impossible de me souvenir du nom, ni du visage du troisième, ainsi que de la plupart des Français présents, en "dehors naturellement de Berthet et de Martial Payot. Voici ce que fut l'incident dont j'ai parlé tout à l'heure. Comme on le sait, c'est Martial Payot qui ouvrait le concours. Donc au moment où le starter, en l'occurence un soldat du 159e R.I.A., appela par un coup de clairon le premier concurrent, Martial Payot, en deux grandes et puissantes enjambées, s'élança sur la piste de départ et s'accroupissant, tel un chat qui s'apprête à bondir, attendit dans cette position, tout en glis¬ sant, le moment d'être au bord extérieur du tremplin pour pouvoir d'une vi¬ goureuse détente s'élancer en l'air. Mais au lieu de cela, à mi-chemin, il se re¬ dressa, fit deux, trois grands gestes avec les mains, jura quelque chose d'inin¬ telligible, mit ses skis en chasse-neige et, arrivé sur ie tremplin, chercha à s'arrêter en faisant un christianna. Emporté malgré lui par son élan, il fut pro¬ jeté hors du tremplin et alla attérir complètement de travers sur la bosse, ce qui ne l'empêcha pas débouliner jusqu'au bas de la piste de réception. Il y eut alors parmi les officiels et la foule des spectateurs des oh ! et des ah ! certaines personnes allèrent même jusqu'à dire que c'était incroyable, hon¬ teux, mais chacun se demanda au fond ce qui lui était arrivé. Et au fond que lui était-il arrivé ? C'était bien simple. Le mauvais temps avait sérieusement malmené la piste, bien que vingt minutes avant le concours la neige se fut arrêtée de tomber et malgré les ef¬ forts assidus des organisateurs qui sans cesse la faisaient damer et reda¬ mer. Etait-ce la faute des dirigeants qui ne prenant pas garde à cet état de chose, n'exigèrent pas que le départ soit donné plus haut, ou la piste était- elle vraiment impraticable ? Nous serons fixés là-dessus tout à l'heure. Toujours est-il que Martial Payot trouvant qu'il ne glissait pas assez: 22 vite pour effectuer sans danger son saut ou tout au moins pour sauter con¬ venablement, voulu l'annuler en s'arrêtant pile sur le tremplin. Mal lui en prit, comme on l'a vu, puisqu'il fut projeté quand même en l'air dans la po¬ sition que l'on sait, au risque vraiment de se briser un membre. On n'arrêta pas pour cela le concours et l'esclandre de Martial Payot fut jugé plutôt mal. Pourtant les concurrents qui suivirent ne firent guère mieux que lui, bien qu'aucun n'eût l'extravagance ni le courage d'essayer de s'arrêter sur le tremplin. La piste manifestement ne glissait pas. On alla quérir alors sous une couche de neige fraîche, un peu de neige gelée, mais on eut la maladresse de la répandre uniquement sur le tremplin, ce qui eut pour ef¬ fet d'accélérer juste à cet endroit la vitesse des sauteurs, sans pour cela vrai¬ ment leur donner plus d'élan, et ceci si brusquement, que beaucoup, sous la surprise, ne pouvant à temps se redresser, basculèrent sur le dos et attéri- rent de même, sans se faire de mal heureusement. Lorsque mon tour vint, je pensai à ma grande joie qu'avec mon fart rien de pareil ne pouvait m'arriver et essayant sur place mes skis, je sentis qu'ils glissaient à la perfection. Mais une fois parti quelle ne fût pas ma surprise de constater, non pas qu'ils collaient, c'était impossible ! mais qu'ils étaient, oh ! horreur ! comme .aspirés par la neige. Et j'eus beau faire, c'est absolu¬ ment sans vitesse que j'arLivai sur le tremplin où je faillis même perdre équi¬ libre à cause du changement de neige. Je pensai, l'espace d'une seconde, fai¬ re comme Martial Payot, mais n'en eu; pas le temps ou peut-être le courage. J'attéris donc comme [es autres sur la bosse. J'eus la chance simplement de ne pas tomber. En remontant au tremplin, je retrouvai les norvégiens qui n'avaient pas encore sauté, un peu à l'écart de la foule, en train de frotter légèrement leurs skis avec de la paraffine, ce que voyant, je pensai aussitôt qu'ils avaient trouvé là un adjuvant précieux pour neutraliser cette mauvaise neige (ne sachant pas encore que mon fart et que tout fart très poli, très astiqué, comme une cire sur un parquet, ne glisse bien, surtout sur une nei¬ ge fraîche, que par l'addition d'une mince couche de paraffine qui en brise un peu le brillant, le vernis, ceci afin qu'entre la neige et les skis puisse jouer un peu d'air) . Ce que voyant, dis-je, je m'approchai d'eux pour leur en de¬ mander. C'est à Koltrud que je m'adressai, seul des quatre norvégiens que je connusse. Mais il eut l'air tout d'abord de ne pas m'entendre, ce n'est que devant mon insistance qu'il se décida enfin à demander —et Dieu sait pour¬ quoi — à ses compagnons si vraiment il pouvait m'en prêter. Ceux-ci n'y virent aucun inconvénient. Cette façon de faire me confondit. Pour un sau¬ teur comme lui vis-à-vis d'un sauteur comme moi, c'était ridicule et mes¬ quin, même si j'avais pu être un concurrent possible pour lui, ce qui n'était pas, et de loin, le cas. Mais peut-être voulut-il à cette occasion ne défen¬ dre que les intérêts de ses compatriotes qui n'étaient pas forts sauteurs et 23 que j'aurais pu battre et que je battis d'ailleurs par la suite, mais beaucoup, plus tard et en de toutes autres circonstances. Est-il besoin de dire qu'après cela je glissai merveilleusement ? D'ailleurs, entre temps, les dirigeants avaient décidé d'annuler les pre¬ miers sauts et de nous taire partir de beaucoup plus haut. j'étais, comme on le sait, arrivé au Mont Revard avec de fausses idées, sur le saut et même sans aucune idée, je ne savais surtout pas qu'en sautant on se servait de la résistance de l'air, ce que Tangwald m'expliqua. Mais il eut le tort d'ajouter qu'on devait prendre appui sur cette résistance avec ses. skis. C'est en cela qu'il se trompait et qu'il me trompa et c'est en cela en¬ core qu'il appartenait à une toute autre école que la nôtre et qu'il sautait lui-même assez mal, à une époque où l'on ne pratiquait pas encore de grands, sauts, on l'on n'avait pas encore construit ces tremplins qui permettent main¬ tenant des bonds de plus de 80 mètres. Et le résultat fut que je n'eus d'autre obsession bientôt que de recher¬ cher par tous les moyens à avoir cette pression de l'air sous mes skis (qui m'aurait saisi d'elle-même si j'avais bien sû m'élancer). Parfois j'y arrivais et même si bien que mes skis me revenaient violem¬ ment dans la figure, alors j'étais tout heureux car je croyais de cette façon cor¬ rectement sauter. Mais la plupart du temps je ne me sentais en l'air que com¬ me une pierre lâchée dans le vide. Pourtant le jour où j'avais réussi au Mont Revard ce saut si parfait, je n'avais éprouvé rien de pareil : c'était exacte¬ ment comme si une quinzaine de mètres après .avoir décollé, le vide s'était fait solide sous mes pieds et encore comme si j'avais été empoigné, soulevé, soutenu par quelques puissances invisibles m'enserrant surtout les jambes, au point que je gardai.longtemps après la sensation de cette emprise et qu'en y pensant je la retrouve encore. Comme il est facile de le remarquer, bien, que je ne m'en rendisse compte que beaucoup plus tard, cette pression de l'air au lieu de relever désagréablement l'av.ant de mes skis, s'exerçait sur¬ tout sur ma personne. D'où aussi cette impression d'envolée véritable, de détachement vertigineux dans un autre monde, que j'avais ressentie. Ceci dit pour faire comprendre comment je sautais lors de ces cham¬ pionnats et durant aussi certains autres qui suivirent. Eh bien ! au premier saut, je ne ressentis rien (je ne veux pas parler na¬ turellement de celui que j'effectuai sans élan et qui fut annulé) ou plutôt je me sentis, pour me servir de mon expression de tout à l'heure, exactement comme une pierre lâchée dans le vide. C'est assez dire, je crois, que je n'avais pas sauté selon les bons préceptes de Tangwald qui, quoique j'ai pu raconter, fut quand même une des seules personnes à me donner quelques idées préci¬ ses sur le saut, idées peut-être pas tout-à-fait justes, mais qui me permirent néanmoins d'arriver un jour à d'assez bons résultats! Mon deuxième saut fut plus réussi. Par quel hasard ? Car je m'élançai. 24 sensiblement comme la première fois (tout au moins j'avais cherché comme la première fois à m'élancer ainsi que Tangwald me l'avait indiqué). Mon coup de jarret avait été sans doute meilleur, plus franc, donné plus à propos. Ce n'est pas si simple que de s'élancer d'un tremplin à l'endroit précis où il est bon de le faire, lorsque l'on glisse à toute vitesse, bien que ce soient l'habitude et les réflexes qui jouent au fond uniquement à ce moment là : pas trop tard, sinon les skis vous remontent dans la figure et quel travail ensuite pour les remettre d'aplomb, c'est-à-dire parallèles à la pente, pas trop tôt autrement ils semblent ne plus pouvoir se tenir en l'air et baissent dangereusement du nez, risquant ainsi de se laisser happer en sens inverse par la résistance de l'air. Et alors, oh alors ! ! quelle chute sur la tête ! Toujours est-il que je sentis à ce deuxième saut une légère pression s'exercer sur l'avant de mes skis et naturellement j'en fus tout heureux en dépit de ce que cette sensation ne pouvait que de très, très loin et même, à parler vrai, nullement se comparer à ce que j'avais éprouvé au Mont Revard pendant cette envolée merveilleuse. De toutes façons j'avais réussi mes sauts, voire que je n'étais pas tombé. J'avais même réussi de grands sauts, car si je donnais mal mon élan, je le don¬ nais avec force, sans crainte, mais au lieu de relever la tête et d'offrir ma poi¬ trine au vent, je la baissais et courbais les épaules, comme si, au contraire, j'avais peur..Et peut-être avais-je instinctivement peur, mais sans m'en ren¬ dre compte alors, sans oser m'en rendre compte. J'avais sauté en tous cas un des plus loin avec les norvégiens, plus loin même que Martial Payot, car bien qu'il sautât encore mieux que moi, je sau¬ tai, le fait de la jeunesse sans doute, avec plus de vigueur que lui, et puis cette légère adjonction de paraffine sur ce fart exceptionnel n'avait pas été là, nul doute, pour rien. Plus loin même encore que Berthet, car Berthet vi¬ sait plus haut que ce concours. Il voulait être champion de France, il était donc inutile pour lui de forcer au saut et risquer ainsi de tomber, de perdre d'un seul coup le bénéfice de ses succès, de ses efforts précédents, puisqu'il avait déjà une sérieuse avance sur Martial, son plus direct adversaire, le seul qui puisse vraiment l'inquiéter. En disant plus loin que Martial Payot et Berthet, j'ai voulu dire, n'est- ce pas, plus loin que tous les autres français, bien que je sautasse dans les ju¬ niors — je n'avais même pas dix-huit,ans —. et que ce fut là mon premier concours officiel. Mais je ne pus savoir tout de suite mon classement. Il fallait attendre la distribution des prix, le soir, pour cela. Il ne suffit pas en effet de sauter loin, il faut encore bien sauter, étant donné que dans un saut le style compte autant que la longueur. Je devais plus tard l'apprendre à mes dépens. Pourtant je pus me rendre compte aussi que j'avais bien sauté. De tous côtés autour de moi ne l'entendais-je pas di- re, mais pouvais-je me fier à ces propos dits en l'air, par une foule inexpéri¬ mentée ? Pour en être vraiment convaincu il fallut que se soit Koltrud lui- même qui vienne me féliciter. Me féliciter ? Entendons-nous, car dans son jargon je compris simplement que cette fois c'était çà, c'était çà tandis- qu'au Mont Revard c'était toujours pas çà, pas çà. Pourtant, à mon sens, j'avais fait de meilleurs sauts certains jours au Mont Revard, et même de¬ vant Koltrud, qui néanmoins, dédaigneusement ,les avait gratifiés comme à son habitude, d'un « pas ça ». Mais si d'une part, j'étais content de n'avoir pas trop mal réussi ce con¬ cours, au fond de moi-même je n'en étais pas satisfait. J'avais toujours en mé¬ moire, je gardais toujours en moi la sensation de ce saut où je m'étais senti littéralement voler et je regrettais de n'avoir pu réaliser ce même exploit en public, un si grand jour, devant une telle foule, devant surtout les regards critiques des dirigeants de la F. F. S. qui auraient vu alors ce dont j'étais vrai¬ ment capable. Je désespérais, comme on voit, d'être jugé mal à propos, de n'être pas considéré à ma juste valeur, selon plutôt des possibilités que je ressentais en moi mais qui ne pouvaient encore se manifester. Ce sentiment est le propre de ceux qui débutent. La distribution des prix eut lieu dans la salle basse d'un café d'où l'on avait retiré les tables et mis en rangs les chaises. Y assistaient naturelle¬ ment, en plus des curieux, tous les compétiteurs, les dirigeants des clubs ré¬ gionaux — au grand complet — et de la F.F.S. à qui était dévolu de décer¬ ner les prix et d'annoncer avec éclat les classements. La salle était enfumée, obscure, seule l'estrade, une estrade de fortune en bois blanc, où se tenaient les officiels, le Docteur Lack en tête, alors pré¬ sident de la F.F.S., semblait éclairée. On sait d'avance, plus ou moins, quels sont les gagnants, quelle est, pour chaque épreuve, la place de chacun. Pourtant l'on ne peut se départir d'une légère émotion lorsque le président se lève pour appeler les premiers. Le coeur se crispe, une irrésistible jalousie vous gagne, quand, espérant — par quel miracle — être bien nommé, ce sont des copains qui sont à l'honneur. Mais que dire de cette joie qui vous inonde et de cette timidité aussi qui vous prend et dont les plus coriaces ne sont pas exempts, lorsque, dans le silence général, on entend prononcer en bonne place son nom. Berthet ! appela-t-on en premier, Berthet Champion de France de ski pour l'année 1930. Et Berthet se leva, un sourire gené sur les lèvres, mais la gloire dans le coeur. Il se leva pour aller chercher son prix, qui lui fut remis par un auxiliaire ainsi qu'un beau diplôme, et serrer la main du président. On gagnait, comme prix, soit des skis, un sac de montagne, une bonne paire de godillots échangeables à sa pointure ou encore un réchaud pour camping, une veste de ski... etc., plus quelques médailles sur lesquelles 26 étaient représentés un lugeur et une lugeuse, un skieur et une skieuse, en pleine action ou encore posant, comme chez le photographe, dans une tenue grotesque de montagne datant au moins de 1900. Après avoir annoncé la grande victoire de Berthet, le président appela Secrétan pour lui notifier qu'il avait gagné la course de 18 kilomètres, ce qu'il savait déjà parfaitement. Puis il fut question encore de Berthet pour nous apprendre une deuxième fois qu'il était second à la course de 18 kilo¬ mètres ; une troisième fois qu'il était quatrième au saut, juste derrière Mar¬ tial Payot. Et tout ceci fit qu'il fut champion de France. Berthet et Payot se partagèrent en gros les plus belles places. On ne parlait vraiment que d'eux. Enfin je fus nommé, dans les derniers, mais pour m'entendre dire aussi que j'étais premier, premier de ma catégorie, car je sautais dans les juniors. « Premier au saut de la catégorie junior », .annonça-t-on. Je crois que j'étais le seul à sauter dans cette catégorie ! Mais premier aussi des français, bien que cela ne fut pas mentionné, c'est moi seulement qui tiens à le spécifier. Le français qui totalisa le plus grand nombre de points en lon¬ gueur et en style et troisième en vérité du championnat, car des quatre norvégiens qui y participèrent, un sautait hors concours et un autre tomba. Je gagnai un beau sac de montagne que j'ai encore avec quelques mé¬ dailles en bronze et en argent que j'ai perdues. Mais une surprise m'attendait qui fut ma plus belle récompense. , • i ^7 v'' 0. , ï" , l (à suivre) Cabriel PICABIA. 27 LA DOCTRINE DE DRUMONT F I N Ilf. LES THEORIES SOCIALES ',! ; jl : ! pi j La théorie qu'on vient d'exposer objectivement pouvait choquer aussi bien l'historien que l'anthropologue. On ne pense pas qu'elle eût suffit à provo¬ quer le succès populaire de Drumont. Les Français auraient prêté peu d'atten¬ tion à la lutte éternelle de l'Aryen et du Sémite si MM. de Rotschild et leurs satellites avaient été moins puissants ou moins voyants. De plus, l'œuvre du chef de l'antisémitisme français proposait des solutions du problème social extrêmement hardies. Avec Drumont, on était fort loin du conservatisme so¬ cial des vieux partis de droite. L'homme et l'œuvre avaient un aspect réso¬ lument populaire qui a contribué à leur succès. Dans la « Dernière Bataille », il a exposé avec bonhomie ses origines plé¬ béiennes. Ses lointains ancêtres, un garde-chasse, un peintre en armoiries, un épicier, son père, sous-chef de bureau à l'Hôtel-de-Ville, lui avaient appris le respect des humbles vertus bourgeoises. « Jamais, raconte-t-il, je n'ai vu dépenser un sou inutilement. Tous les premiers du mois, ma mère mettait une pièce de quarante sous dans la poche de mon père pour l'imprévu... et la plupart du temps le matin du jour où l'on devait toucher elle allait reprendre la pièce... pour qu'on ne restât pas sans un sou à la maison ». Comment, dans ces conditions, n'aurait-il pas pris en haine les spécula¬ teurs ou les aristocrates qui, pour continuer de mener leur stupide vie mon¬ daine, se faisaient les courtisans des financiers ? « Les vrais Français, dit-il, ceux qui ont été conçus dans d'honnêtes lits, ont le dégoût des fortunes maudites, ils se rappellent le mal que le père 28 s'est donné pour les élever, la peine qu'ils ont eue eux-mêmes pour gagner leur pain ». Pour ce peuple, il montrait une indulgence sentimentale. Son œuvre abonde en croquis rapides et attendris : artisans honnêtes, ménagères ac¬ complies, Fédérés naïfs montant la garde pendant la Commune devant l'or de la Banque de France qu'ils respectent, filles-mères séduites par de jeunes bourgeois égoïstes, représentent la vertu en face des riches que leur argent a corrompus. Car la bourgeoisie n'est pas plus ménagée que l'aristocratie. « Les grands-pères se sont enrichis par les biens nationaux pendant les cinquante années où la bourgeoisie gouverna sans contrôle, les fils ont exer¬ cé sur les ouvriers la plus monstrueuse exploitation qu'ait vue le monde ; les petits-fils ont des titres de rente, des obligations, ils songent avant tout à ga¬ rantir cela contre les revendications indiscrètes » (1): Mais cette bourgeoisie à quatre pattes devant le Veau d'or avait rencon¬ tré plus fort qu'elle. Les grands spéculateurs internationaux lui avaient pris la banque et les grandes affaires, ne lui laissant que le gouvernement et les Chambres. L'expropriation de la société par le capital se poursuivait à un tel rythme « qu'en cinquante ans toute la société européenne serait livrée, pieds et poings liés, à quelques centaines de banquiers juifs ». Sans prendre garde aux avantages que le crédit et la banque offraient au monde des affaires, il rappelait les condamnations des docteurs de l'Eglise contre le prêt à intérêt et l'usure. Les coups de bourse, les rafles sur l'épar¬ gne — comme l'emprunt du Honduras ou le « Panam a » — qui ruinaient des milliers d'honnêtes épargnants *— pour permettre aux grands financiers de vivre luxueusement dans leurs châteaux lui semblaient contraires à la loi di¬ vine : « Dieu dit à l'homme : — « Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front. « Il ne dit pas à l'homme : — « Tu gagneras par ton travail non seulement le pain mais les plaisirs, les débauches, le luxe, les équipages de chasse des Schneider ,des Halphen, des Menier » (2). Aucun de ces exploiteurs ne trouvait grâce devant lui. Tous ces ban¬ quiers étaient traités par lui en ennemis du genre humain, en détrousseurs du peuple responsables de tous les maux. C'étaient les conquérants, les vain¬ queurs de la chrétienté, les profiteurs des révolutions et des guerres qu'ils sa¬ vaient admirablement déclencher quand ils en avaient besoin. Toutes les cri¬ tiques qu'on a adressées au régime capitaliste, Drumont les reprenait, les ex¬ pliquait par les progrès du parasite sémite dans la société chrétienne. Pour re- ( 1 ) Testament d'un antisémite, p, 1 7 (2) La fin du monde, livre II, p. 29. 29 venir à ia pureté de la France très chrétienne, il préconisait une révolution qui ferait la révision des fortunes et d:s propriétés, à la façon des Chambres ardentes de l'Ancien Régime. « Imitons Saint-Louis et Colbert, mettons sous les verrous 300 indivi¬ dus, juifs, catholiques ou protestants de naissance, mais qui se sont tous enri¬ chis par le système juif, c'est-à-dire par des opérations financières. Forçons- les à nous restituer les milliards enlevés à la collectivité contre toute justi¬ ce •»( 1 ). C'était une atteinte évidente au droit de propriété. Mais Drumont profa¬ nait sans remords l'arche sainte des Constituants. Raillant les bourgeois pour qui la propriété — « la leur surtout » — était « une institution sacro-sain¬ te », il écrivait : « La propriété... n'a jamais été un dogme comme on le croit aujourd'hui; c'est un des modes d'organisation de la société, un des moyens de remplir la loi primordiale, la loi vitale, la loi d'une existence équitable pour tous, d'as¬ surer le droit de tous les hommes à vivre de leur travail. « Pour l'Eglise, la propriété individuelle a toujours été une simple délé¬ gation d'usufruit dans le régime divin. L'Eglise... a veillé soigneusement, en interdisant l'usure et ce que les Pères... appellent « l'exécrable fécondité de l'argent », à ce que cette propriété ne dépassât pas certaines limites et ne de¬ vint pas envahissante. « Ceux qui, témoins de l'effroyable désordre qui règne partout aujour¬ d'hui, se préoccupent de réorganiser la société sur de nouvelles bases... plus rationnelles et pius justes ne sont donc point des ennemis du repos pu¬ blic... » (2). En cela encore, le polémiste catholique était très proche des socialistes Je bonne foi dont il estimait « le but très noble et l'œuvre très nécessaire ». Toute sa vie il eut la nostalgie d'une réconciliation des catholiques et des so¬ cialistes que séparait l'absurde anticléricalisme. Leur union eût fait la révo¬ lution qui aurait régénéré la France. Les financiers balayés, on aurait procla¬ mé « le droit de tous les hommes à vivre de leur travail » — la formule ma¬ gique des ouvriers de 1848— puis « une chambre économique exclusive¬ ment composée de représentants du travail adopterait le régime qui lui sem¬ blerait le mieux convenir aux intérêts de tous » (3). Alors les artisans et les ouvriers groupés dans les Corporations rétablies et les paysans auraient permis à la France de remonter la pente sur laquelle elle avait roulé depuis qu'elle s'était abandonnée à la bourgeoisie, puis aux maîtres de celle-ci. (1 ) Ibid., livre VI, p. 230. (2) Ibid., livre 1, p. 2 et 3. (3) La fin d'un monde, livre VI, p. 230. 30 IV. — LES THEO RIES POLITIQUES Quel eût été le régime qui aurait sauvé la France ? Drumont ne le dit pas. Il ne conclut pas. Là réside sa faiblesse en tant qu'écrivain politique. Qu'il ait violemment rejeté la République ploutocrati- que, aussi bien sous sa forme prudente d'avant l'Affaire Dreyfus que sous sa forme démagogique de 1905, cela ne fait aucun doute. Mais accumulant les arguments hostiles au régime, attaquant celui-ci dans ses principes mê¬ mes, Drumont après avoir étalé les pièces de son énorme dossier, laissait au public le soin de choisir. Le germe étranger qui s'était glissé dans la société française étant détruit, on finirait bien par s'entendre entre Français. Il semble bien qu'au fond l'auteur de « La France juive » était encore monarchiste. Son silence ne doit pas être imputé à un certain opportunisme de robin car ses préférences éclatent en maints passages. Mais on a l'impres¬ sion qu'il ne croyait plus aux vertus des monarchies modernes. Ce qu'il révé¬ rait c'était la monarchie du passé, embellie par la légende, le roi des métiers père de son peuple, l'oint du Seigneur qui guérissait les écrouelles ou qui mourait à la Croisade. Il regrettait Saint-Louis et Louis XIV, mais n'estimait pas beaucoup les prétendants de son époque. Une monarchie suppose une aristocratie forte, une famille royale véné¬ rée. On ne trouve dans l'œuvre de Drumont que des jugements méprisants sur les descendants des grandes familles. La dynastie d'Orléans était « absolu¬ ment dominée par les Rothschild ». Le comte de Paris se « faisait rouler com¬ me un benêt ». L'empereur François-Joseph était un « ahuri », Frédéric III méritait le surnom de « Cohen 1er » et l'Empereur du Brésil, Pedro, « cuistre couronné... déchirait sa culotte en courant à la synagogue ». Seul le duc Phi¬ lippe d'Orléans, qui s'était fait emprisonner par le gouvernement de la Répu¬ blique pour avoir voulu faire son service militaire, malgré la loi d'exil, trouva, par instants, grâce devant lui. De la noblesse, il a tracé un tableau terrible. Cette classe décadente ne servait plus à rien. A quelques exceptions près son cerveau était très faible¬ ment organisé. « Il y a plus d'énergie intellectuelle, de volonté et de ténaci¬ té dans les desseins chez le dernier Juif de Galicie que dans tout le Jockey- Club ». « Un sentiment dominait ces fils de preux, l'amour du plaisir — pas la débauche car ils n'av.aient plus assez d'énergie pour être grands vi¬ veurs » ( 1 ). N'ayant plus à attendre du souverain des charges et des pensions, ils s'étaient tournés vers les puissants du jour. Les Rothschild avaient leur cour comme jadis les rois de France, mais pour ces maîtres sans grandeur, les courtisans avaient pris des allures de valets. Les clubs, les courses, la chas- (1 ) La France juive, t. I, p. 77-79. 31 se, les couturières ruinaient ces gens frivoles aussi sûrement que le train de vie de Versailles jadis avait épuisé leurs ancêtres. Mais ces derniers savaient servir par l'épée leur roi et leur pays. Leurs descendants n'avaient hérité d'eux que l'art de flatter les grands. Le parti conservateur n'était pas plus ménagé. Ses chefs avaient surtout montré dans leur lutte contre les Républicains anticléricaux leur absence de volonté, leur tendance à courber la tête devant l'iniquité et leur inaction. A quoi bon toute leur rhétorique ? Depuis 1871 on les entendait clamer « Dieu le veut ! Nous reprendrons le glaive des anciens chevaliers, nous tomberons s'il le faut comme les Macchabées ». « Tout cela pour subir patiemment les actes les plus odieux, sans qu'il se soit trouvé un mâle pour flanquer cinq coups de révolver dans la tête d'un préfet ou d'un commissaire de poli¬ ce qui entrait dans les domiciles privés sans mandat. » ( 1 ). Mais s'il méprisait ces honnêtes gens incapables de défendre leur foi, il détestait avec la même violence les républicains qui attaquaient l'Eglise et qui laissaient les financiers juifs tondre les Français. Dans les absurdes que¬ relles religieuses qui furent pendant si longtemps le pivot de, la politique française, Drumont prenait parti avec une violence qui gêna plus d'une fois les autorités ecclésiastiques qui cherchaient comiquement un apaisement avec les représentants au pouvoir de cette Franc-maçonnerie tant de fois condam¬ née par les Encycliques pontificales. Mais Drumont persuadé que l'anticlé¬ ricalisme « en avilissant et en dégradant la France » devait la mener à la ruine, continuait sa lutte, sans s'arrêter aux conseils de prudence. Deuxième grief : l'idéal républicain servait à tromper les ouvriers candi¬ des pendant que de louches-combinaisons financières se tramaient dans l'om¬ bre. Cette grande chanson berçait les Français et leur cachait la décadence de leur pays. Drumont a écrit à ce sujet cette phrase qu'on ne peut lire sans ser¬ rement de cœur lorsqu'on a entendu les dernières allocutions de Paul Rey- naud : « Les Prussiens seront déjà à Châlons qu'on entendra encore flotter dans l'air l'écho des discours ronflants : l'hégire de la liberté, le nouveau Si- naï, la régénération de l'humanité, la fraternité des peuples, les luttes paci¬ fiques du travail, la France phare des nations ». (2). On remarquera cependant que ces attaques s'adressent plus aux répu¬ blicains qu'à la République elle-même. Si ses préférences allaient à la mo¬ narchie traditionnelle, une république juste, honnête et respectueuse de la foi lui eût semblé acceptable. S'il savait ce qu'il fallait détruire, s'il conseillait aux catholiques de laisser le peuple supprimer ses tyrans et de cesser de dé¬ fendre les iniquités sociales, sa pensée restait singulièrement flottante lors¬ qu'il fallait construire. (1) Fin d'un monde, p. 332-333. (2) Dernière bataille, p. 9. 32 Son ambition consistait à rendre la France aux Français1 et à trouver l'homme Capable de diriger cétte révolution. Pendant toute la période politi¬ que de sa vie, Drumont a cherché l'homme providentiel capable d'entraîner les foules. Il n'eut guère de succès d'ailleurs dans ses choix. Son premier lieu¬ tenant, le marquis de Morès, un étonnant type de gentilhomme aventurier, menait la vie luxueuse que le polémiste blâmait si rudement dans ses ouvra¬ ges. Pour le sauver d'une dette de jeu, Drumont dut faire une démarche au¬ près du financier juif Cornélius Flertz, grande figure du scandale du Panama. Le fait dénoncé par Clémenceau et piteusement avoué par Morès amena la rupture entre le directeur de La « Libre Parole » et son collaborateur. Un peu plus tard, Morès devait mourir en héros, assassiné par ses caravaniers en plein désert, dans des conditions assez mystérieuses. Au moment de l'affaire Dreyfus, Cuérin, que sa résistance au Fort Chabrol aux policiers de Lépine rendit quelque temps célèbre, sembla l'hom¬ me prédestiné. Mais la prison brisa la volonté du meneur des troupes de choc nationalistes. Une brouille complète s'en suivit. Quant à Max Régis, étudiant médiocre dont une exclusion sévère de la Faculté d'Alger, des duels et des amours tumultueuses firent un maire d'Al¬ ger fort éphémère et plutôt comique, il devait rentrer très vite dans son obs¬ curité première. Pourtant Drumont resta fidèle à la conception de l'homme du destin. Dans les dernières années douloureuses de sa vie, oublié, ruiné, aban¬ donné, il répétait encore : « La vérité finira bien par faire lever un homme !» Mais son sort était de ne pas voir s'accomplir tout ce qu'il avait prédit. Il y a vingt ans, quelques années à peine après sa mort solitaire, au len¬ demain du triomphe des démocraties, son œuvre paraissait plus que périmée, fausse d'un bout à l'autre. Drumont avait soutenu que la France, corrompue par une idéologie étrangère, exploitée par les financiers juifs, divisée par la persécution antireligieuse, était vouée à la décadence si elle ne trouvait pas un homme providentiel pour diriger la révolution salvatrice. En 1920, la France était victorieuse, elle semblait avoir oublié les basses querelles de la politique électorale. L'avenir était à elle. Dans ces conditions les faiblesses de la doctrine de Drumont, ses outrances, ses affirmations arbitraires, sa manie de tout réduire à l'action juive et à l'esprit juif apparaissaient cruellement. Seuls les doctrinaires d'extrême-droite rappelaient de temps à autre le vieux maître. Tandis que le bon Déroulède, pour avoir .annoncé la Revanche en vers de mirliton, avait droit aux honneurs de la République, le silence où Drumont s'était enfoncé avant même de mourir, s'épaississait autour de sa tombe. Le pessimisme est toujours puni. « Il y a des gens qui viennent trop tôt et des gens qui viennent trop tard » ,avait-il écrit un jour. La phrase s'applique curieusement à sa vie et à son œuvre. Celle-ci reprend en 1941 une singulière actualité. Le désastre dont il avait montré les racines profondes s'est produit. L'homme d'action qu'il avait cherché toute sa vie s'est révélé. La révolution nationale qui s'ac¬ complit rappelle par plus d'un trait sa doctrine. Parler de prophétie serait exagéré. Mais il serait injuste de ne voir dans l'accomplissement des prévisions du polémiste qu'une coïncidence fortuite. Drumont avait analysé avec assez'de soin la société de son temps pour en sai¬ sir les maux profonds. Que son pessimisme naturel et sa violence l'aient ame¬ né à noircir le tableau qu'il en fit, à en tirer des théories hasardeuses et des conclusions parfois erronées, c'est vrai. Il lui reste cependant le mérite d'avoir attaqué des puissances formidables à son époque, d'avoir dénoncé aux Français les maux dont leur pays risquait de mourir, d'avoir proposé la ré¬ volution nationale qui réconcilierait les Français et rendrait au travail sa préé¬ minence sur l'argent. Il apparaît ainsi comme un précurseur du redressement actuel. A ce titre, il mériterait de sortir de l'oubli où les années heureuses l'avaient enseveli. Claude MARTIN. c * 34 L'impromptu d'Agamemnon Voici une adaptation libre d'un très beau drame, dont la substance est assez riche, as¬ sez humaine pour nous émouvoir aujourd'hui, malgré l'éloignement de cette légende et l'obs¬ curité historique où elle baigne, j'ai osé élaguer le texte merveilleux d'Eschyle, couper à tra¬ vers cet arbre aux ramures puissantes ; j'ai prétendu en conserver la force, la couleur, le grain, tout en le réduisant à la taille des jeunes garçons qui le présentent au public, je n'y ai cer¬ tainement pas réussi, mais du moins ai-je gardé l'essentiel du drame, cette intrigue — si l'on peut dire — plus irréelle qu'un fait divers, mais plus profondément issue du fond de l'homme que tous nos drames et mélodrames contemporains. Il serait bon que les jeunes, désormais formés à un jeu théâtral plus souple, plus dégagé de l'artifice pur, plus proche des sources, consacrent leur enthousiasme à des œuvres grandes et hautes, après lesquelles les charmantes fantaisies du répertoire actuel (je pense principalement à l'école des Comédiens Routiers! paraîtront toujours d'agréables récréations, sans plus, que cet essai puisse montrer le chemin et provoquer d'autres « départs », c'est tout mon dessein. Le présent texte a évidemment besoin d'une mise en scène très soigneuse : le choix et l'exercice des voix n'est nullement inutile, non plus que l'étude de l'unisson pour le chœur. Les mouvements doivent être réglés avec précision ; on tendra toujours au naturel, c'est-à- dire à la souplesse, à la variété du rythme en général rapide. Il est presque nécessaire d'ajouter à ce texte une musique sobre, de ligne mélodique aus¬ si expressive que possible, sans accumulation de timbres (une flûte ou un saxophone suffi¬ rait) ; quelques mesures, sans plus, viendraient, selon le moment, souligner un effet dramati¬ que, meubler un silence ou soutenir une déclamation. Enfin qu'il me soit permis de rendre hommage à l'œuvre de mon maître M. Mazon, tra¬ ducteur parfait, dont quelques phrases ont intégralement passé dans ce texte ; et partout ail¬ leurs, c'est sa traduction, si belle, si équilibrée que l'on retrouvera sous-jacente, pour peu qu'on sache écouter les rythmes et les sons. B Devant le rideau baissé, sur le proscenium. Entre (si possible par le milieu du rideau) le meneur de jeu, qui sera d'abord le « conducteur » du cercle d'étude, puis le coryphée. Il s'adresse directement au public, à peu près de l.a façon suivante (il serait bon qu'il ait un peu l'air d'improviser, et qu'il évite de débiter un laïus trop préparé) : Mesdames, Messieurs— (ou toute autre appellation selon le public) — Nous vous prions pour cette fois de nous excuser, nous avons été pris de court, etc... alors, au lieu de vous jouer une pièce soignée, tout à fait au point, on va vous présenter un .aperçu de nos activités de jeunes (préciser se¬ lon le public, le mouvement de jeunesse dont les acteurs font partie, les cir¬ constances, etc...) Les jeunes aujourd'hui ont compris bien des choses, etc... ils veulent être des hommes forts, des chefs, etc... 35 Pendant ce temps, selon une mise en scène qu'il est inutile d'indiquer car elle peut varier à l'infini, entrent les dix garçons qui miment sommaire¬ ment ce que le meneur de jeu va évoquer. Ce dernier joue un personnage sûr de lui, un peu hâbleur et devra donner l'impression d'une certaine pro¬ lixité. Il continuera donc : Meneur de jeu : ...souvent, par bandes, ils s'en vont le long des rou¬ tes... ils campent, etc... et puis... Numéro un —Tiens, si on traçait une piste, depuis là-bas ? Tu vois ? (jeu de la piste : on en suggère le dessin par la mimique, on mime le tra¬ vail). Meneur de jeu : Le soir tombe... fatigue... la soupe, etc... Numéro deux — Rassemblement pour la veillée... qui est-ce qui laïus- se P Divers — Personne... si... Untel, etc... Meneur de jeu : Une bonne causerie, entre amis, autour du feu, après une journée au grand air, c'est merveilleux ! etc... (pendant qu'il développe ce thème, les garçons chahutent doucement, puis l'appellent, d'abord timidement, ensuite plus fort) : Tous — Arrive donc, bavard : on t'attend pour commencer, etc... Meneur de jeu : J'arrive ! Bonjour ! (jeu de poignées de mains). Un garçon — Qu'est-ce que tu nous proposes, ce soir ? Meneur de jeu : Hé bien, j'ai eu une idée : j'ai retrouvé dans ma biblio¬ thèque un vieux bouquin du temps de ma licence... des tragédies grecques... d'Eschyle... Vous ne connaissez pas ? si P non ? ça vaut ie coup ! (tout cela très nature, entrecoupé d'interjections en fusées, plutôt du genre « mise en boîte »). Garçons : Au fait ! Présente-nous ton affaire' ! (le meneur de jeu s'assied — cercle formé — il commence un petit to¬ po très succint sur Eschyle et sur la trilogie. Ici s'articule le dernier thème de ce prologue : les garçons objecteront successivement au meneur de jeu le peu d'intérêt de son sujet, l'antiquité du pays, des mœurs, de la légende, bref tout ce qui, au lieu de les attirer vers une œuvre de ce genre, ne peut que les en éloigner. Le meneur de jeu discute, d'abord mollement, puis avec chaleur. Tout cela doit être, comme ce qui précède, très bret, très schéma ; il s'agit de suggérer plutôt que de dessiner ; toutefois, le mouvement géné¬ ral doit aller peu à peu en s'élargissant, et, dans l'espace de 2 à 3 minutes (ce qui, ne l'oublions pas, est un assez long moment sur la scène quand l'in¬ térêt du public n'est pas particulièrement provoqué) on»doit atteindre le point où le meneur de jeu, plus grave, plus lyrique, fera éclore le drame, ce qui pourra se parler à peu près ainsi •; Meneur de jeu : Laissez aller votre imagination, mes amis... Nous som¬ mes jeunes, nous rêvons trop souvent au lieu de travailler : hé bien, cette 36 fois, travaillons en rêvant : Recréons par la pensée le palais, la terrasse et le veilleur, la nuit, obscure comme celle-ci. Dans ce palais vit une reine vio¬ lente, que l'on redoute, — un homme qui usurpe la place du roi, des jeunes gens malheureux, une foule de serviteurs qui, depuis dix ans, attendent le retour du roi. Il est parti bien loin, avec l'armée, conquérir Troie, venger l'offense faite à la Grèce. Les nouvelles étaient d'abord fréquentes, puis se sont espacées. Maintenant, on ne sait plus rien. On attend. Le veilleur a pris son tour de garde. Il est vieux. Il est de ces fidèles domestiques qui rongent leur frein et guettent sans répit leur délivrance, le retour du Maître aimé. (Le rideau se lève lentement). Ce soir, il fait beau. Les bruits ont cessé l'un après l'autre. Un chien qui aboie encore. Un chant qui s'éloigne. Plus rien maintenant, que les étoiles dans la nuit pure. Il (Les garçons se sont rangés de chaque côté de la scène, par demi- chœurs ; le coryphée côté jardin, le plus rapproché du public). Le veilleur — je suplie les Dieux de faire cesser mes fatigues ! Voilà si longtemps que je veille sur le toit du palais des Atrides, comme un chien fidèle ! J'ai fait connaissance avec l'assemblée des étoiles, avec les astres qui versent le froid ou la chaleur aux hommes, avec ces rois lumineux de l'éther ; je sais leurs levers et leurs déclins. Et ce soir, comme d'habitude, je guette le signal du flambeau, la flamme claire qui nous apportera la grande nouvelle : victoire ! Troie est prise ! Tel est l'ordre de ma maîtresse, une rude femme, qui commande mieux que bien des hommes. Alors, sur cette couche humide de rosée, je ne peux trouver le sommeil. Mais ce n'est pas cela ma vraie douleur : parfois, pour me forcer à tenir l'œil ouvert, je voudrais fredonner, chanter ces vieux refrains qui m'avaient bercé autrefois. O mon maître, mon maître, roi Agamemnon, quand viendras-tu rendre à ton palais la joie et l'ordre de jadis ? O feu dans la nuit, messager, quand perceras-tu les ténèbres ? 37 Ah !... le signal ! Salut, flambeau qui fais le jour dans la nuit profonde, flambeau qui feras danser de joie toute ma ville d'Argos ! Hé !... Ho !... Réveillons le palais, réveillons la reine : qu'elle fasse monter à son tour un long cri de joie vers le ciel : Troie est prise, Troie est prise ! Et c'est moi qui l'ai vu, moi le premier ; moi, j'ai donné dans le mille, j'ai joué gagnant et j'ai gagné, j'ai amené le triple 6 du premier coup. Oh ! que je puisse au moins quand mon roi sera là, prendre sa main cent fois bénie ; que je puisse... motus ! je crains d'en dire trop. J'ai mis un bœuf sur ma langue. Si ces murs pouvaient parler, ils crieraient bien autre chose. Pour moi, qu'on n'essaie pas de me faire parler. Si vous savez tout, ça va bien : compère, compère. Sinon... pffft. Démos n'a rien vu, n'a rien entendu, Démos ne sait rien. Ah ! Chœur — Ah ! Coryphée — Troie est prise ! Numéro six — Est-ce bien vrai ? 1er 1/2 Chœur — On l'a vu. Démos l'a vu. Numéro deux — D'ailleurs, écoutez ces bruits, Numéro sept — Ces chants, Numéro un — Ces rires. Numéro huit — Le palais s'anime. Numéro cinq — Les rues frémissent. Chœur — Troie est prise ! Coryphée — Délivrance pour Argos, pour ses vieillards et ses femmes ! Chœur — Délivrance pour les enfants 38 qui sont nés et qui ont grandi, et ne connaissent pas le Roi, parti voilà bientôt dix ans. Coryphée — Et délivrance pour la Reine pour notre reine Clytemnestre ! Chœur — Chut ! Délivrance pour sa colère. Premier demi-chœur — Dix ans d'attente et de terreur, et pour elle, dix ans de larmes. Deuxième demi-chœur — Depuis que le sang de sa fille a rougi les rives d'Aulis. Numéro quatre — Chut ! parlez plus bas, mes amis. Coryphée — C'était une belle matinée de printemps ; il n'y avait pas un souffle dans l'air. Numéro un — La mer chantait sous les mille vaisseaux et le soleil jouait sur les tentes multicolores. Numéro neuf — Toute l'armée était rassemblée sur une espèce de place autour de l'Autel d'Artémis. Numéro trois — Calchas, le devin, se tenait à l'écart, tout seul. Le roi Ménélas tirait sa barbe et fronçait les sourcils ; mais on ne voyait pas Agamemnon. Numéro quatre — Soudain il arriva lentement, la tête voilée, et derrière lui tout un cortège, au son strident des flûtes qui déchiraient l'air calme. Numéro cinq — Ils portaient doucement un corps de jeune fille : Iphigénie. Chœur : Iphigénie ! Numéro un — C'est alors qu'on la posa sur l'autel. Numéro six — Elle se débattait, ligotée ; Numéro un — Elle étouffait sous son bâillon, Numéro six — Elle regardait son père. Coryphée — Mais lui le roi des rois, le prêtre et le sacrificateur, saisit le mince couteau clair et... Chœur — Ah ! Numéro deux — Mais soudain, le vent s'éleva. Numéro un — Une délicieuse brise de printemps. Numéro deux — La mer trésaillit, écuma. 39 Numéro un — Et les voiles se gonflèrent. Chœur — Les voiles se gonflèrent ! Coryphée — Et toute l'armée partit dans un grand cri d'allégresse. - Premier demi-chœur — Seule une femme pleurait, et depuis bientôt dix ans elle pleure. Deuxième demi-chœur — Hautaine, impérieuse, elle garde-au fond son cœur comme un secret terrible qui nous oppresse tous. Numéro huit — Elle attend ; elle aussi, sur son lit d'inquiétude, le signal qui luira la nuit. Numéro cinq — Mais voici que du rivage de Troie, par delà la mer d'Hellé, une grande flamme est montée. Numéro huit — De proche en proche elle a gagné, Numéro trois — d'une montagne à l'autre, Numéro un — comme des sentinelles se lancent le mot d'ordre, Numéro six — et la voici venue à nous. Chœur — Reine, reine, est-ce vrai ? Clytemnestre — Oui, les Grecs ont conquis la cité de Priam. Coryphée — Que dis-tu là P j'ai peine à croire ta parole. Clytemnestre — Troie est nôtre. Est-ce clair ? Coryphée — Une joie infinie entre en moi, entre en nous. Numéro sept — Tu pleures ? Numéro six — C'est idiot, je ne peux pas m'en empêcher. C'est de la sentimentalité. Numéro trois — Non, mes amis, ça n'est pas idiot. Pensez donc : la guerre est finie ! Chœur — C'est vrai ! Coryphée— Mais, ô reine, quel sûr indice as-tu de l'étonnante chose ? Les Dieux ne t'ont-ils pas trompée ? Clytemnestre — Mes yeux ont vu, comme les vôtres, après ceux du guetteur Démos, le courrier de flamme bondir de cîme en cîme : de l'Ida à Lemnos, puis au mont Athos où règne Zeus, puis, par delà le dos des mers, au Makistos ; de là, courant a>' Messapios, 40 il en repart, et, sans tarder, se pose sur le Cithéron, franchit le détroit Saronique et s'abat enfin sur ce toit qui, depuis dix ans, l'attendait... Or, écoutez, mes enfants, et toi, écoute : c'est l'indice, c'est le signal dont nous avions convenu, le roi et moi. Chœur — Victoire ! Ciytemnestre — Voici l'heure où les Grecs tiennent Troie j'entends par La pensée le double concert, clameurs de joie des vainqueurs, cris de douleur des vaincus ; les uns aux autres mêlés, ils s'écartent, puis se rejoignent, puis s'écartent comme deux immenses brasiers sonores. Chœur — Victoire pour Argos et pour Agamemnon ! Ciytemnestre — Oui, victoire ! Que de partout montent vers Zeus les chants de.joie et les actions de grâces. Qu'à toutes les statues des Dieux fume la graisse des victimes. Implorons encore pour les nôtres un prompt retour, exempt de peines. Et surtout, que la gloire de leur succès ne puisse les énivrer au point de leur faire perdre la mesure ! Fassent les Dieux que notre armée, satisfaite de sa vengeance, ne souille pas un tel exploit par le pillage et par le crime ! Tout n'est pas fini, mes amis ! Il reste encore un long chemin, et le mal jadis fait aux morts peut se réveiller et bondir à l'improviste sur ceux qui depuis si longtemps l'ont oublié. III Numéro sept — Hum ! qu'en dites vous, mes amis ? Numéro huit — Paroles étranges ! 41 Numéro deux — Mais qu'est-ce qu'elle .a voulu dire au juste ? Numéro cinq — J'ai l'impression qu'il se prépare quelque chose. Numéro trois — Un coup en dessous. On ne sait pas d'où ça vient. Ça flotte dans l'air... Numéro quatre — Et puis, au moment où on s'y attend le moins... Numéro six — Boum ! ça éclate ? Numéro cinq — Et les plus beauxjours deviennent noirs comme un jour d'orage. Coryphée— Il est certain que cela n'est pas clair. Car enfin, voilà une femme dont on n'a jamais su ce qu'elle pensait, et depuis dix ans, on l'a su moins que jamais, depuis la mort de sa fille, qui Itii est toujours restée sur le cœur (Et un peu là). A-t-elie regretté son mari P On dit oui, on dit non, selon les jours... On dit encore bien des choses, mais chut ! Chœur — Chut ! Numéro huit — Après tout, l'essentiel, c'est que la guerre est finie. Numéro un — C'est vrai ! Numéro six — Le roi va revenir i Numéro neuf — On va avoir un jour de congé. Numéro un — Ça va être drôle, au fond, de vivre en paix ! Numéro deux — Bah ! on s'y habituera vite. Numéro sept — Moi, je n'arrive pas encore à y croire ! Coryphée — Tu vas en avoir la preuve ! Premier demi-chœur — Quoi ? Où ? Il y a quelque chose ? Deuxième demi-chœur — Là bas ! Un coureur ! - . Il approche. Numéro trois — Sûrement des nouvelles de l'armée. Numéro cinq — Il passe derrière la maison de Laos. Numéro quatre — Il reparaît... Le voilà ! Le héraut — Ah ! terre de mes ancêtres, patrie d'Argos, je te revois après dix ans ! De tant d'espérances brisées ; celle-là du moins m'est fidèle ; et, après ma mort, mes vieux os dormiront là, dans cette terre que j'embrasse. Salut donc, ma patrie ! 42 Salut, lumière du soleil, Zeus, qui d'en haut protèges Argos, et toi, Apollon, dont les flèches cesseront de nous harceler ! Salut Hermès, divin patron des messagers ! Et vous, demeure de mon roi, toit chéri, sièges vénérables, statues que dore le soleil, Salut ! Bientôt viendra celui que je précède, votre maître longtemps absent, votre roi Agamemnon ! Chœur — Le roi ! Numéro deux — Quelle joie, frère, tu nous apportes ! Le héraut — Et qu'elle joie vous me donnez ! Numéro six — Je voudrais être toi pour ressentir ce coup au cœur quand on retrouve la patrie... Numéro neuf — C'est vrai ! on ne sait pas, au fond, ce que c'est que la patrie, quand on ne l'a jamais quittée. Numéro un — Donne-nous des nouvelles de l'armée ! Numéro quatre — Et les autres chefs ? Numéro neuf — Ménélas ? Numéro sept — Ulysse P Numéro huit — Achille ? Numéro deux — Y a-t-il eu beaucoup de morts ? Le héraut — Grâce, mes amis, pas tous à la fois ! Laissez-moi le temps de répondre ! Vous êtes pires que des femmes. Numéro six — Tu comprends... dix ans ! Numéro sept — On a hâte de savoir I Le héraut — Oh ! c'est comme après toutes les guerres ! Les uns riront, les autres pleureront. Numéro trois — Bien sûr ! Numéro neuf — Et alors, ces chefs ? ces héros ? Le héraut -— Ils ne reviennent pas tous ! Numéro un — Comment cela ? Raconte ! Le héraut — Patrocle est mort ! Numéro cinq — Impossible ! Le héraut — Je l'ai vu de mes yeux ! Numéro quatre — Pauvre Patrocle ! 43 Numéro huit — Achille l'a vengé ? Le héraut — Parbleu ! colère formidable ! Il a défié Hector et a fini par le tuer ; puis il l'a trainé tout autour de Troie, attaché à son char, je vois encore le corps tout roulé et recroquevillé, et le sang et la poussière qui avaient fait un tel mélange qu'on he reconnaissait plus ni œil ni bouche. Numéro deux — Horrible I Numéro six — Comment avez-vous fini par prendre Troie ? Parce que tout de même, ça n'a pas dû être facile, puisqu'il a fallu attendre dix ans ? Le héraut — C'est la ruse, mes amis, la ruse seule, sous l'inspiration d'Athéna, qui nous a ouvert la ville. Numéro sept — Raconte, raconte. Le héraut — Figurez-vous un cheval, un immense cheval en bois, tout creux à l'intérieur... IV Thanaîos — C'est bien. Je suis arrivée la première. Ah ! ces Grecs décidément font bien mes affaires : dix ans de guerre, dix ans de tuerie, et quelques crimes par ci, par là. Il n?y a vraiment pas à se plaindre. Et voici qu'à peine la guerre finie, à peine le rivage de Troie nettoyé, je sens quelque chose qui m'attire ici, dans cette ville d'Argos. Une odeur de sang est ici, et puissamment, par-delà les mers, dilatait et réjouissait mon cœur ; je ne sais d'où elle vient, je ne vois personne : patience, patience i cela viendra bientôt, cette chose qui m'attend et que j'attends. Ah ! voici. L'odeur semble sortir de là, de ce palais. Et voici le bruit de quelque chose qui certainement me concerne. Hâtons-ncus, il s'agit de ne pas manquer l'heure, 44 le moment, la minute. Palais la mort t'a marqué. Tu es devenu mon fief et mon bien. A tout à l'heure. Ha ! Ha ! Âgamemiîora — C'est ici. Demeurons. Cette heure est exquise et sublime ! Je les ai surpris ; j'ai hâté mon retour triomphal. La ville, certes, ne m'attend pas encore, ni mon épouse, ni mes gens, ni même mes deux chiens fidèles, je sens, tout mélangé à l'air, sous le soleil déjà brûlant, le parfum puissant des entrailles qui fument sur tous les autels. O Dieu ! moi aussi, je vous loue. Vous m'avez fait grand et vainqueur. Ah ! que du moins tant de bonheur ne plisse vos fronts sourcilleux ! Protecteurs du toit de mes pères, statues dont j'embrassais les pieds quand je jouais, petit enfant, tous mes troupeaux suffiront-ils à travers l'immense Argolide, pour m'acquitter à votre égard ? Chœur — Le voilà ! Le voilà ! Arrivez tous ! Vite ! Coryphée — O roi, fils d'Atrée, mon seigneur, vainqueur de Troie et de Priam, comment te dire mon respect et tout l'hommage qu'on te doit, sans risquer d'offenser les Dieux, jaloux de la Gloire des hommes P Pardonne-moi si je préfère te dire simplement ceci : quand tu partis avec les nôtres pour venger ton frère et la Grèce et punir la faute d'Hélène, bien des gens ici murmurèrent. Et nous dont l'office est d'entendre 45 et puis d'exprimer sur la scène ce que le peuple trop craintif n'ose pas dire, nous n'avons pas caché que nous te jugions fou. Mais à présent que tu reviens, triomphateur d'un tel triomphe, nous voyons bien que tu es grand, et que les Dieux gardent pour toi leur complaisance. Numéro un — il parle bien. Numéro six — Oui mais il parie toujours seul. Numéro un — C'est son métier ! Numéro six — Ç,a n'est pas drôle pour nous ! Numéro deux — Qu'est-ce que tu voudrais dire toi ? Numéro six — Ben quoi, quand un roi revient chez lui après di après une guerre interminable, il semble qu'on peut un peu crier, danser, est-ce que je sais ? Les discours, çà vient après !. Numéro sept— Eh ! bien, tu en ferais de belles, mon vieux ! Tu oublies donc que nous sommes en Grèce, et dans une grande tragédie classique encore ? Numéro six — Et alors ? c'est une raison pour être solennel comme des ministres ; à notre âge ? Numéro sept — Tu as raison après tout. Numéro deux — Il a raison ! Numéro un — lia raison ! Numéro six — Alors attention ! Pour notre roi Agamemnon, pour le retour de notre armée : hip, hip, hip, Chœur — Hurrah ! Numéro six — Hip, hip, hip : Chœur — Hurrah ! Numéro six — Hip, hip, hip... Clytemnestre — Et moi aussi, je viens crier ma joie immense. Non p.ar de puériles et naïves clameurs, mais comme il sied à une épouse, à une reine. O Dieu, que vos bienfaits sont doux après l'angoisse et les ténèbres ! Cet homme triomphant que j'aime, combien de fois me l'a-t-on dit blessé ou mort ! Que de messagers sont venus, l'un après l'autre, me jeter 46 \ dans le désespoir et le deuil ! Combien de fois ai-je voulu quitter la vie ! Mes yeux ne trouvent plus de larmes tant j'ai veillé dans cette attente. Et maintenant que mes souffrances s'évanouissent comme un songe, de quels noms saluerai-je une tête si chère ? Elle est pour moi tout ce qui charme et réconforte : la colonne, soutien de la haute toiture, la terre inespérée apparue au marin, la lumière si douce après une tempête, la source vive qui désaltère... Mais, ô maître chéri, approche jusqu'ici ; garde de poser sur le sol indigne de lui ce pied royal qui foula Troie. Esclaves, que vous ai-je dit ? Que tardez-vous P déployez vite le chemin de pourpre et de fleurs par où le roi des rois va rejoindre ses Dieux. Agamemnon — 0 fille de Léda, gardienne de mon toit, tes paroles se sont réglées sur mon absence : tu les a prolongées longtemps. Moi aussi, ma joie est immense. Pourtant toute gloire est fragile quand elle est l'objet de l'envie, craignons les Dieux, qu'irrite un excessif orgueil. Ne me reçois donc pas ainsi, genoux ployés, bouche hurlante ; ne jonche pas le sol d'étoffes ; la pourpre est le chemin d'un Dieu, et non pas l'essuie-pied d'un homme, je crains, à parler franc, je crains de t'obéir. Ciytemnestre — Réponds-moi donc ici avec pleine franchise. Agamemnon — La franchise, tu l'obtiendras toujours de ton époux. Ciytemnestre — De quoi donc as-tu peur ? Du blâme des mortels ? Agamemnon — Mon peuple esr grand : je crains la force de sa voix. Ciytemnestre — Qui n'est pas envié n'est pas digne de l'être. Agamemnon — La femme ne doit pas désirer le combat. Ciytemnestre — Même aux heureux il sied parfois d'être vaincus. Agamemnon — Tiendrais-tu, toi aussi, à vaincre en ce débat ? Ciytemnestre — Crois-moi, et laisse-moi de plein gré la victoire. 47 -À- u/,.' Agamemnon — Eh bien ! puisqu'ainsi tu le veux, qu'on délie au moins promptement mes sandales. Et qu'aucun regard envieux ne tombe sur moi quand je foulerai cette pourpre ! Mais avant que j'entre avec toi, femme, je te confie cette pauvre étrangère. Princesse, et fille de Priam, l'armée des Grecs me la laissa comme butin. Sois douce pour l'esclave et plains son infortune. Cassandre est son nom. Apollon, le, Dieu des transes prophétiques, l'habite parfois. C'est un don qu'il vaut mieux plaindre qu'envier. Me voici. Ah ! que vois-je ? Cîytemnesfre et Se Chœur — Quoi P Que dit-il ? Qu'il a-t-il ? Agamemnon — D'où, vient ce sang ? Chœur — Du sang ? Cîytemnestre — Seigneur, je ne vois rien. Agamemnon — Cette tâche sur la colonne ? Chœur — Une tâche ^ Cîytemnestre — Seigneur, c'est peut-être l'ombre d'une feuille qui passe dans le vent, ou plutôt une ombre dans votre œil, parce que la route était longue et le soleil dur, et que vous êtes fatigué ! Entrez, mon seigneur, sous ce toit impatient de vous revoir ! Entrez vous rafraîchir et délasser vos membres dans le bain qu'on vous a préparé. Agamemnon — C'est bien. Je ne sais quelle image funèbre s'était soudain présentée à mes yeux. Femme, tu dois avoir raison. Remettons nos soucis aux Dieux, et entrons dans notre bonheur ! Cîytemnestre — O Zeus, aide-moi désormais ! V Numéro neuf — J'ai peur ! Numéro huit — Pourquoi çà ? 48 Numéro neuf — Je ne sais pas. Numéro deux — Moi aussi, j'ai peur. Numéro un — Moi aussi. Numéro six — Moi aussi. Coryphée — Allons ! qu'est-ce qui vous prend tous ? Il y a un instant vous sautiez de joie, et vous voici tout effrayés, sans raison, d'ailleurs... Numéro six — C'est vrai. Numéro neuf -— Mais tout de même... Numéro sept -— Quoi ? Numéro neuf — La tâche de sang ? Numéro cinq — Bah ? à mon avis, c'est tout simplement que notre vénéré roi Agamemnon avait eu très chaud sur la route. Numéro quatre — Et peut-être que sur cette route, s'était rencontrée quelque auberge où le vin était bien frais... Cassandre — Hélas ! Numéro deux — Qu'a-t-elle dit ? Numéro trois — Elle a dit : hélas ! Numéro six — Elle est folle ! Numéro sept — Ou malheureuse. Coryphée — Entre, toi aussi, chez le roi, pauvre femme ; qu'attends-tu là P Numéro huit — Elle est sourde ! Numéro six — Je vous çlit qu'elle est folle ! Numéro trois — Taisez-vous ! je voudrais vous voir si vous étiez à sa place ! Coryphée — Tu n'entends pas ? Entre donc ! Nous ne pouvons rien pour toi, tant que tu restes ici. Pourquoi t'obstiner ainsi ? On ne te veut pas de mal. Numéro un — Non, bien sûr ! Numéro six — Je vous dis qu'elle est folle ! Chœur — Chût ! Cassandre — Ah ! Dieux ! Apollon, aie pitié de mok ! Coryphée — Pourquoi invoques-tu les Dieux ? Aie du courage ! soumets-toi ! Cassandre — Apollon, Apollon, aie pitié de moi ! Numéro sept — C'est son délire qui la prend. 49 Numéro quatre — Le dieu l'inspire. Numéro cinq — Elle va prophétiser. Chœur — Chut ! Cassandre — Apollon ! Dieu terrible ! où donc m'as-tu menée ? Quel est ce toit ? Coryphée — Celui d'Agamemnon et de tous ses ancêtres. Cassandre — Ah ! plutôt demeure sanglante, maison de meurtres, coupe-gorges, abattoir d'hommes au sol fumant ! Premier demi-chœur — Elle a deviné ! Deuxième demi-chœur — Comme un chien elle a flairé, la trace, et découvert le sang. Cassandre — Je vois des enfants qu'on massacre, je vois une cuisine horrible, leurs membres servis à leur père ! Coryphée — C'est affreux, mais nous savons tout sela : ces vieilles histoires en somme n'ont plus d'intérêt. Qu'avons-nous besoin de sorcières pour venir attrister nos joies Par de funèbres prophéties P Certes, tu es habile d'avoir deviné tout cela, toi qui ne connais rien de la terre d'Argos Mais si tu n'es venue ici que pour cela, tais-toi ou va-t'en ! Numéro huit — Bravo ! Numéro six — Bien ! Numéro neuf — Elle me fait peur. Numéro trois — Chut ! Cassandre — Dieux ! que prépare-t'on ici ? comment oses-tu, misérable ! Ton époux, tu le prends au piège dans le bain même où se repose sa fatigue. Ah ! comment dire tout cela ? Deux mains se tendent, frémissantes, impatientes de frapper. Coryphée — Quel affreux malheur pressent-elle ? Cassandre — Je vois un filet infernal qui s'abat ! mais le vrai filet, c'est l'épouse, c'est la tueuse ! Coryphée — 0 prophétie épouvantable, 50 plus effrayante d'être obscure ! Chœur — 0 Dieux ! ayez pitié des hommes ! Cassandre — Hélas ! hymen fatal qui perdit tous les miens Scamandre, fleuve qui m'a vue naître, patrie où j'ai grandi, je ne vous verrai plus ! Bientôt les fleuves infernaux m'entendront seuls prophétiser encore. Premier demi-chœur — C'est de sa mort qu'elle parle, l'oracle n'est que trop clair. Cassandre — Ah ! cette vision horrible recommence. Voyez ces jeunes hommes assis près du palais, pareils aux formes de nos songes : on dirait des enfants tués par leurs parents ! Et lui, le chef des Grecs, le destructeur de Troie, il ne sait pas, il n'a pas vu, que la chienne odieuse à préparé sa mort parmi ses transports d'allégresse. Ah ! l'horrible cri de triomphe qu'elle a poussé, la scélérate ! Cri du guerrier devant la déroute ennemie ! Et l'on croyait qu'elle disait sa joie aù retour de l'époux ! Croyez-moi nul ne peut éviter le destin, et bientôt vous m'appellerez trop véridique prophétesse. Coryphée — Tu annonces la mort du roi ? Cassandre — Hélas ! et la mienne avec elle ! Coryphée — C'est impossible ! Numéro dix — Oui, impossible ! Numéro huit — Tu mens ! Numéro six — Tu es folle ! Numéro neuf — La peur t'égare ! Numéro un — Les Dieux ne peuvent pas vouloir cela ! Numéro quatre — Toute la ville est dans la joie. Numéro sept — Après dix ans ! Numéro deux — On n'aurait enfin la victoire que pour connaître d'autres deuils ? Chœur — C'est impossible ! Cassandre — Je vous dis que ce jour verra un double crime Thanatos a marqué le seuil de ce palais. Le roi qui fit périr jadis Iphigénie succombera à la vengeance d'une mère, et La vengeance d'une femme frappera un autre victime. Ah : qu'ai-je besoin des insignes de mon inutile puissance ? Prophète de ma propre mort, je vous maudis... Aujourd'hui, ce n'est plus l'autel de mes parents qui m'attend et me réjouit, mais un billot, sanglant de mon égorgement. Du moins, les dieux vengeront-ils ce double crime : un jour, viendra le vengeur, le fils exilé, né pour tuer sa mère, et, crime contre crime, payer le meurtre de son père. Allons ! je serai forte et subirai ma mort. Portes, je vous salue, vraies portes de l'Enfer ! je ne souhaite plus qu'un coup qui me frappant saris dévier, dans un flot de sang doux et tiède me ferme lentement les yeux. Coryphée — Malheureuse ! Cassandre — Ah ! Coryphée —- N'entre pas ! reviens ! Cassasidre — Il le faut ! Ne voyez pas en moi l'oiseau qui pépie, affolé, devant un buisson. Il est dur de mourir ainsi ! Je vous demande seulement cette faveur. O mes amis ! Et toi aussi, Soleil, reçois ma dernière prière : gardez le souvenir de cette pauvre esclave qui fut une proie si facile ! Chœur — Hélas, hélas ! destin des hommes ! Au tableau noir de l'existence, croquis léger est le bonheur ! Vient le malheur : trois coups d'éponge et tout s'efface ! 52 Hélas ! hélas ! destin des hommes VI Âgamemnon — A moi ! elle me tue ! CorypSïée — Alerte ! écoutez tous ! Âgamemnon — Hélas !... Coryphée — Qu'est-ce qui se passe ? Numéro six — C'est le roi- i Numéro un — lia crié. Numéro neuf — Qu'est-ce qu'il a dit ? Numéro cinq — Je n'ai pas compris. Numéro neuf — Et toi P Numéro quatre — Moi non plus. Numéro trois — Il a dit : à moi ! on me tue ! Numéro deux — Tu en es sûr ? Numéro trois — Oui. Numéro dix — Allons-y ! Numéro sept — Pourquoi faire ? Numéro dix — Le sauver, arrêter l'assassin. Numéro sept — Impossible ! Numéro huit — Trop tard. Numéro six — Je ne m'y joue pas. Numéro dix — Il faut, voyons, il faut ! Courons-y tous ! Choeur — Non ! Numéro dix — Vous êtes des lâches, tous ! Moi, j'y vais. Numéro trois — Moi, aussi. Numéro deux — lia raison. Numéro quatre — Oui, moi aussi. Coryphée — Attention ! soyons prudents ! tenons-nous prêts à.. Clytemnestre — L'assassin ? c'est moi ! Moi seule ai tout conçu, moi seule j'ai frappé. Deux coups de hache m'ont suffi. Je l'ai frappé .au bon moment, quand il était tout empétré dans le filet d'or et de soie que j'ai jeté sur La baignoire. Pris au filet, comme un poisson ! Et voilà son sang noir qui a jailli sur moi, plus frais et plus doux à mon cœur que la bonne rosée de Zeus 53 pour la fleur qui vient de s'ouvrir i Coryphée — 0 reine, tu es folle i Argos se vengera ! Clytemnestre— Argos ? Qu'a-t-elle dit quand, aux rives d'Aulis, l'homme que je viens de tuer et que je hais affreusement, égorgeait mon enfant chérie, sa propre fille ? Qu'à-t-on fait alors pour punir l'assassin P Ah ! on vient maintenant me reprocher mon crime, mais on s'était tu lâchement quand ce fut le crime d'un roi, de ce roi vaniteux et sot, cet homme bête que je hais ! Coryphée — Tu t'énorgueillis de ce meurtre ? Ton cœur délire, 0 reine, et tu ne comprends pas que ta vie à présent, solitaire et maudite, te sera pire qu'une mort. Clytemnestre — Non pas ! Zeus a pris soin de moi ! J'ai des amis et je les aime. Je ne rougirai pas de le clamer bien haut ; oui, j'aimais depuis très longtemps un autre homme que ce barbare : Egisthe, le fils de Thyeste, et le roi d'Argos désormais ! C'est lui dont fa pensée a dirigé mes coups non moins que l'amer souvenir d'Iphigénie assassinée. D'ailleurs, l'esclave est morte aussi, cette Cassandre prophétique : elle eut encore le temps de gémir son amour en un dernier chant de colombe. A présent, elle gît près de son maître aimé. Coryphée — Hélas ! double douleur : pour Argos et pour moi ! Clytemnestre — Silence ! j'ai dit ce qu'il fallait dire. Je ne regrette rien. Qu'on se taise et qu'on obéisse. VH Coryphée — Et c'est ainsi qu'en des temps légendaires, l'Atride Agamem- non, à peine revenu de la guerre de Troie qu'il avait gagnée fut tué par sa femme parce qu'elle en aimait un autre. 54 Thanatos — C'est faux. Coryphée — Et pourquoi alors, s'il vous plaît ? Thanatos — Meurtre pour meurtre. Il avait tué sa fille : il devait mou¬ rir. L'affaire me regarde. Coryphée — Vous ne connaissez rien au cœur des femmes. Vous ne vous occupez que de leur mort. Mais la chose n'est pas si simple. Thanatos — Tout, ici bas, est une affaire de vie et de mort. Agamem- non a tué, il est tué. Clytemnestre a tué : elle sera tuée à son tour. Coryphée — Erreur, chère amie, c'était l'amour »! Thanatos — C'était la mort. Coryphée — L'amour vous dis-je. Ecoutez Sophocle : « Amour, qu'on n'a jamais pu vaincre ». Thanatos — Mais puisque je vous dis qu'à son tour Clytemnestre sera tuée ! Coryphée — Allons donc, et par qui ? Thanatos — Par Oreste son propre fils. Coryphée — Horreur ! c'est impossible. Thanatos — Chut ! qu'y a-t-il ? Coryphée — C'est Electre, la fille d'Agamemnon. Tous les jours, elle vient ainsi porter les offrandes funèbres sur la tombe et pleurer. Des années se sont écoulées depuis le meurtre, de son père, mais son souvenir et ses larmes sont aussi frais qu'au premier jour. Electre — Puissant messager des mortels, entends-moi, Hermès infernal, et charge-toi de mon message : que les dieux souterrains, témoins vengeurs du crime, prêtent l'oreille à ma prière ! Chœur — Entends-nous, Hermès infernal. Electre — Que la terre qui nous enfante et nous reçoit pour d'autres vies entende, elle aussi, ma prière, cependant qu'en versant cette eau lustrale aux morts, j'appellerai ainsi mon père : Chœur — Puisse-t-il entendre ta voix ! Electre — Père, aie pitié de tes enfants, de ta fille et de ton Oreste ! Nous sommes pauvres vagabonds, chassés par notre mère et son amant complice, Oreste est banni loin de moi. 55 Chœur — Père aie pitié de tes enfants ! Electre — Oh ! père, qu'une chance heureuse ramène un jour ici Oreste ! Que ta mort enfin soit vengée ! Que surgisse celui qui, sur nos ennemis, paiera la mort d'Agamemnon ! (Oreste paraît au fond et s'arrête pensif) Chœur — Oreste ! Thanatos — (cri de triomphe) —Ha ! Ha ! RIDEAU : Pierre BQNNET-DUPEYRON. 56 coi2?dferES CHRONIQUES La guerre et les livres Que la guerre, celle qu'on appela la Grande parce qu'elle fut lon¬ gue et nous apporta la victoire, ait produit une abondante littérature, per¬ sonne ne s'en plaignit. On trouva même, dans les années qui suivirent immédiatement l'armistice, que les guerres civiles en ce domaine avaient donné beaucoup plus. Et on s'irrita de voir certains demander au temps le recueillement nécessaire à « l'expression de cette sensibilité nouvelle ». Nous n'avons pas aujourd'hui la même impatience. Les années qui viendront nous apporteront, sans doute, plus de silence et d'oubli que d'œuvres mûries par la réflexion et le recul. Déjà beaucoup de ceux qui auraient pu parler de cette guerre se dérobent. Et nous en connaissons qui tentés par l'aventure, se sont penchés sur cet abîme qu'on .appelle une défaite et reculant éffarés se sont écriés : « Jamais nous n'oserions inventer quoi que ce soit sur un pareil sujet ». Ne rien écrire que de réel, ne rien exprimer que de sincère, voilà je crois ce qui caractérise la littérature qu'a produit cette guerre. Le lec¬ teur lui-même n'accueille d'ailleurs avec faveur, que les ouvrages qui lui 57 donnent l'impression de la vérité, même et surtout, si n'ayant pas fait la guerre, il n'a aucun élément pour 1 apprécier. En marge de la littérature, mais fidèles reflets de la réalité, il con¬ vient de mettre à part une série d'ouvrages qui n'ont d'autre prétention que celle de constituer des documents. Ils ne sont le plus souvent, que le journal de marche d'une unité et nous offrent le récit des combats auxquels elle se livra. Leur valeur tient toute entière dans l'exactitude des faits qu'ils relatent. Au seuil de l'un d'eux, on trouve cet avertis¬ sement : « Tout combattant aurait pu écrire ce livre ». Le volume que Jean Labusquière a consacré aux batailles de Mai et Juin 1940 est le type de ce genre d'ouvrage. Il eut le mérite d'ap¬ prendre aux Français étonnés, que, si à la déclaration de guerre cinq millions d'entre eux avaient revêtu un uniforme, un million seulement fut appelé à l'honneur de combattre. De tels livres ont rétabli bien des faits, ils ont aussi détruit bien des légendes. Mais il n'est pas toujours aussi facile qu'on le pense de s'en tenir au simple document. Il arrive que l'auteur emporté par son sujet veuille atteindre au sublime. Il risque alors d'apporter un ouvrage qui n'offre ni l'intérêt du témoignage, ni la grandeur que réclament ses personnages. C'est la mésaventure qui est arrivée à M. Antoine Redier. Quelqu'un, qui n'avait point de goût pour Carrière — et nous l'en excusons — comme on vantait devant lui les mérites du portrait que ce peintre fit du poète de Sagesse, répliqua : « Oui, mais c'était Verlaine qui posait ». Il l'eut dit vrai du livre de Redier, à ceci près, que cette fois ce fut l'Ecole de Saumur qui posa. Nous n'avons pas trouvé dans les Cadets de Saumur, ce que nous étions venu y chercher. Ce qui est le plus grave, c'est que nous n'y avons pas découvert non plus ce que l'auteur avait cru y mettre. L'hé¬ roïsme et le sacrifice de ces jeunes officiers, furent le type même du « Service inutile », dans la plénitude du sens que Montherlant a attaché à cette expression. Antoine Redier les a tellement dépouillés qu'il n'en reste plus rien d'humain. A leur support de chair, il a substitué le vide sonore des grands mots. Plus qu'à un héroïsme conventionnel, le subli¬ me d'un acte tient dans la vivante réalité de son auteur. Chez M. Re¬ dier, elle nous est tellement cachée, que pour la retrouver, il nous faut déposer le livre et rechercher en nous-même l'image de ceux qu'on nous a dissimulés derrière des superlatifs. Parlant d'un livre de guerre, Thibaudet rappelait qu'il n'y a qu'un pas du sublime au ridicule. Antoine Redier ne l'a pas franchi, mais peu s'en fallu qu'il n'enjamba celui qui sépare le sublime du pompier. La chose nous étonne d'autant, que l'auteur des Cadets de Saumur 58 avait ramené de la Grande Guerre un livre admirable : Le Cavitaine. Ecrit en 1918, il nous est aujourd'hui d'un plus grand secours que celui qu'inspira la résistance de notre Ecole de Cavalerie. En vingt ans, Antoine Redier s'est trompé deux fois de livre. Les morts de 1914 auraient pu supporter ce coup de clairon que l'auteur du Capitaine jette aujourd'hui sur le cadavre des défenseurs de Saumur. Personne ne s'en fut offusqué. Ils étaient les morts de la Victoire. Par contre, les remarquables propos du Capitaine, qui semblent avoir été écrits pour tirer la leçon des batailles perdues, se perdirent dans les flonflons d'un armistice victorieux. Albert Thibaudet qui prétendait que toute littérature de guerre se rat¬ tache à deux types, rangeait le Capitaine qu'il jugeait admirable dans la première catégorie : celle des livres de méditation morale individuelle. C'est dans la seconde, la tranche de vie, qu'il eut rangé les deux meil¬ leurs livres de cette guerre : Vingt-six hommes de Jean de Baroncelli et Quand le temps travaillait pour nous de Paul Mousset. Pour notre part nous leur adjoindrions L'Officier sans nom de Guy des Cars. S'il n'a pas la valeur des deux premiers, c'est peut-être parce que les ouvrages de Baroncelli 'et de Mousset sont des livres prémédités. Nul doute que leurs auteurs ne soient partis en guerre avec l'intention d'en ramener un livre. Les leurs sont bourrés d'observations, de récits et de traits si criants de vérité et si nombreux qu'ils dépassent ce qu'on est en droit de demander au simple journal d'un combattant. Pas plus dans Vingt-six hommes que dans Quand le. temps travail¬ lait pour nous les auteurs n'ont fait œuvre d'imagination. Le destin leur a offert un thème tout fait. Ils n'eurent qu'à le transcrire. La mê¬ me route, qui les conduisit des Flandres aux Pyrénées en passant par Dunkerque, avait esquissé la forme de leur ouvrage. Celui-ci ne pou¬ vait plus être qu'un récit. La courbe était trop belle pour en détruire l'harmonie. Ils n'eurent garde de le faire et laissèrent les événements guider leur plume. Le livre de Baroncelli restera sans doute aux côtés du Feu de Bar¬ busse, des Croix de bois et de La Vie des martyrs parmi les classiques de la guerre. La critique en fut faite ici même, il n'entre pas dans nos intentions de la reprendre. Au surplus, ce n'est pas notre métier. Ce que nous pouvons dire, c'est que ce livre apparaît aux combattants af¬ freusement vrai. Nous n'en connaissons pas qui, l'ayant commencé, ne l'aient achevé d'un trait. Il reste, dépouillé de tout romantisme et dé¬ gagé de l'arsenal du naturalisme, le simple récit de la quotidienne mé¬ diocrité de la vie de ceux qui furent des mobilisés puis des combat¬ tants, et qui s'opposent tout de même par là, à ceux qui ne furent que 59 des hommes en uniformes. C'est le livre d'un groupe de quelques-uns de ces extraordinaires Français, paisibles et doux, bourgeois et sentencieux qui une fois tous les vingt ans s'en vont faire la guerre. L'habitude en est si forte, qu'ils ne savent plus très bien pourquoi ils la font. Alors rési¬ gnés, ils attendent, se battent, reculent, s'attristent de la défaite et ren¬ trent chez eux. Quand on songe à l'habileté avec laquelle Baroncelli a su peindre ce néant, on s'effraye du métier que possède ce jeune écri¬ vain dont c'était là le premier volume. Peut-être cédons-nous à une facile association d'idées en voyant dans les procédés qu'a employés Baroncelli pour nous présenter son peloton, une analogie avec ceux du cinéaste qui combine le jeu de la caméra avec celui des projecteurs. Il n'est pas jusqu'à cet effacement de l'au¬ teur derrière ses personnages qui ne rappelle celui du metteur en scène derrière ses acteurs. On ne reprochera pas à Paul Mousset d'avoir tenté de se dissimuler derrière ses héros. Il reste bien le personnage central de son livre et .s'installe d'emblée au premier plan. Dès cet instant il ne quittera plus la scène. Il l'occupe parfois avec une certaine vanité puérile, mais il y ajoute une vigueur et une violence qui dépassent singulièrement le ton de la confidence satisfaite. La Grande Guerre nous valu l'entrée dans la littérature du colonel Bramble. Les Britanniques qui gravitent autour de Paul Mousset ne sont point imprégnés de la même philosophie souriante. Et l'auteur de Quand le temps travaillait pour nous ne semble point avoir pour son Brigadier les yeux de Maurois pour le Docteur O'Grady. Car Mousset appartint à la Mission française de liaison auprès de l'armée britannique. Il fit la campagne des Flandres avec une unité an¬ glaise. Les pages qu'il consacre au Centre où se trouvaient réunis fu¬ turs officiers et agents de liaison français auprès de l'armée anglaise sont parmi les meilleures du livre. A dire vrai ce lieu qui fut le point de rencontre du Gotha et du Golgotha unis dans le même désir d'être « admis » dans un mess britannique — méritait bien cette ironie rageuse. Car l'interprète Maurois avait fait école et même, troquant à la guerre l'épée contre le stick, le lieutenant Maurois avait fondé une école. Mous¬ set ne nous épargne aucun des ridicules de ce Centre qui nous donne une idée de ce qu'aurait pu être L'Ecole des Sciences Politiques sur le pied de guerre. Nous lui reprochons seulement de glisser trop rapide¬ ment sur les lourdes pertes que subirent au combat ceux qui assumè¬ rent dans les unités anglaises de lourdes responsabilités. Ceci efface beaucoup cela, et qu'importe au fond qu'on meure dans un uniforme bien coupé, si l'on sait mourir. 60 Tout le livre de Paul Mousset est d'ailleurs dans ce ton. Il insiste :sur ce qui dans cette guerre fut atroce ou lamentable. Il s'est donné pour but, de prouver avec quelle inconscience nous avions laissé le temps travailler contre nous. Il ne recule devant aucun moyen 'pour y parvenir. Rencontre-t-il deux colonels, dont l'un est plein de qualités et l'au¬ tre rempli d'un ridicule odieux ? Il exécute le premier en quatre lignes aimables et ne lâche le second qu'après un chapitre vengeur. Se trou- ve-t-il à Dunkerque ? Il néglige l'ambulance que des infirmiers pres¬ sés ont abandonnée sur la plage pour embarquer plus vite, et dont la marée montante a noyé les blessés, pour s'attacher à nous décrire pho¬ tos et lettres jetées intactes sur le sable. Ceux qui ont connu Dunkerque savent qu'un cadavre abandonné ne laissait pas l'impression atroce qui vous saisissait à la vue de ces images de femmes et de gosses dont cer¬ tains s'étaient délestés sans même savoir pourquoi. Mousset en a saisi le tragique et l'exploite. Le livre fourmille de détails de ce genre. Seul a trôuvé grâce de¬ vant lui son agent de liaison. Encore celui-ci a-t-il dû payer de sa vie la large place qui est faite à son héroïsme. Et pourtant, pour atroce qu'il soit, le livre de Paul Mousset laisse ' peut-être plus d'espoir que les Vingt-six hommes de Baroncelli. Il est le livre de la rage, celui de La révolte. Et les révoltés, dit Antoine Re- dier, « portent dans leur cœur une haine qui m'émerveille comme tous les grands instincts ». Les gars de Jean de Baroncelli restent passifs. Ils partent en guerre, et courageusement mais aussi mélancoliquement, sui¬ vent leur destin. Peut-être voient-ils aussi bien que Paul Mousset cer¬ taine bêtise qui les entourent, mais ils hochent la tête et s'en remettent aux événements et à ceux qui sont censés les diriger. Mousset au con¬ traire rage contre le destin, traque la bêtise et la fouette. Certes •nous savons quelle vanité peut cacher une telle attitude, mais nous lui pardonnons, car il eut l'orgueil de ne pas supporter l'incohérence, le dé¬ sordre et la lâcheté sans en être révolté. Toutefois, nous nous demandons avec inquiétude où l'entraînera cette rage. Il ne nous le laisse pas deviner et nous quitte en claquant la por¬ te, heureux d'avoir montré comment le temps avait travaillé pour nous, et s'en tirant oar cette formule « C.Q.F.D. ». A ce point de vue nous préférons le livre de M. Armand Petitjean : Combats préliminaires. Lui au moins laisse les portes grandes ouvertes, celle du passé et celle de l'avenir. Et pourtant, bien que son journal de guerre n'occupe qu'une petite partie de son ouvrage, soin livre est . entièrement dominé par la guerre. Les Vingt-six hommes de Baroncelli 61 et le Lieutenant Moussef la subissaient ou l'acceptaient, Petitjean en est imprégné. C'est elle qui dès Munich lui inspira la première partie de Combats préliminaires, sous ce titre : « La guerre comme destin ou com¬ me volonté ». C'est elle qui est là, présente encore, et lui dicte ces pages sur « huit mois de défaite » où il nous appelle à combattre dans cette lutte perpétuelle dont l'épisode de Mai et Juin 1940 n'est qu'un Combat préliminaire. Le premier il eut l'idée de cette génération des mobilisa¬ bles qui groupait : « quelques millions d'hommes qui en France sont soumis à des échanges, des pensées, des angoisses communes, et diffé¬ rentes et celles de leurs compatriotes ». Il a senti, bien avant la guerre, que si cette génération était « fauc hée sans laisser de traces et sans avoir marqué, plus rien de notre pays ne s'opposerait à la sensibilité et à l'impuissance ». Loin de l'abattre et de l'amener à la résignation la guerre qu'il a faite l'a fortifié dans cette idée qu'exprima Giraudoux: « La vie d'un peuple ne se justifie que par un appétit inextenguible que sa nourriture soit la justice ou la domination ». La guerre lui a enlevé une main, celle qui avait écrit ces pages et un éclat d'obus en détruisit le manuscrit. La peur de la honte — « Epargnez aux hommes la honte » disait Malraux — et la conscience d'avoir combattu, d'avoir été l'égal de ceux qui firent la dernière guerre, si elles ont fait de Petitjean un révolté, en ont fait aussi un révolution¬ naire. Si, avant la guerre, il a pu parler de la condition du mobilisable,, il semble maintenant puiser sa force dans celle du combattant. Il re¬ fuse que les Français se présentent « comme des attardés, des éclopés, des écœurés, des énervés, ou pire encore des spectateurs », mais il les veut de « front dans le groupe de tête ». Certes nous sentons tout ce que cette violence a de verbal. Petit¬ jean pétrit son livre comme un orateur la tribune. Nous savons quelle part de littérature et parfois d'exagération il y a dans ces phrases vio¬ lentes. Mais que mettre dans un livre sinon de la littérature ? Au moins celle de Petitjean a-t-elle le mérite de la véhémence et celui d'avoir essayé de tirer les leçons de la défaite. Une idée domine ce livre qu'André Rousseaux a mise en lumièré'. Les livres de Baroncelli et de Mousset sont au fond un long appel au. chef. Dans le peloton du premier on souhaitait confusément d'être com¬ mandé « C'est de n'être point commandé quenrage le bon peuple di¬ sait le Capitaine de Redier. On l'abandonne, il s'affole ». C'est la même fureur qui saisit Mousset mais elle est plus virile, car chez lui elle se traduit par le besoin de prendre lui-même les rênes. Et Petitjean de déclarer ce n'est pas d'une crise de cadres dont nous souffrons, mais d'un 62 défaut de transmission entre les élites et les masses. Nous avons des penseurs, il nous faut des traducteurs. Nous possédons des compositeurs il nous faut des chefs d'orchestre. De tels livres, qu'ils soient ceux d'un témoin, d'un révolté ou d'un révolutionnaire, devraient-ils être écrits ? Beaucoup pensent que non et souhaiteraient que rien ne soit dit sur ce qu'ils considèrent comme un mauvais rêve. Si il n'entrait que de la prudence dans un tel raisonne¬ ment, nous y souscririons volontiers. Mais nous ne croyons pas qu'il soit possible de céder à ceux qui voudraient que le temps mêle dans une mê¬ me foule ceux qui se sont battus et les autres. La dernière guerre avait duré trop longtemps pour ne pas appeler au front ceux qui étaient res¬ tés à l'arrière. Mais celle-ci fut si rapide qu'elle oublia quatre millions de mobilisés. Ceux-ci n'eurent pas le temps de combattre, à peine eu¬ rent-ils parfois celui de se faire décorer. Si Mousset, Petitjean et Baroncelli ont écrit leurs livres c'est beau¬ coup parce qu'ils ne voulaient' pas que certains exploits demeurassent dans l'ombre. Non point seulement tel acte de courage individuel, mais aussi la misère héroïque de la masse de ceux qui se battirent abandon¬ nés de tous. Et si cela doit offusquer la sensibilité de certains, tant pis ! Une guerre comme celle-ci fut parfois atroce, elle n'en eut pas moins ses combattants. Sur un million qu'ils étaient ils laissèrent 100.000 d'en¬ tre eux, « étendus froids et sanglants sur une terre mal défendue ». Quand s'en revint ae guerre le peloton de Baroncelli, un mastroquet quinquagénaire toisa les survivants et les appela « les petits salauds qui ont perdu la guerre ». C'est la même apostrophe qui salua un autre « nouveau combattant » Léon Boussard. Il nous le conte dans la préface de son livre sur Lawrence. Nous pensons donc que le livre de guerre répond dans une grande mesure au besoin de justifier une génération. Serions-nous maintenant effrayés par le visage de la guerre ? On pourrait le croire. Le quatrième couplef d'une chanson qui est devenu presque officielle dans nos écoles débute par ces mots « La guerre est inhumaine, loin de nous: ce triste épouvantait ». Comme nous voici loin de la simple pudeur qui voudrait faire le silence sur des combats mal¬ heureux. Nous sommes devenus les civils d'un monde en guerre. Il n'est pas nécessaire de nous forger une âme d'embusqués ou d'objecteurs de conscience. Et plutôt que cette résignation qui n'est qu'une forme du laissez-aller et de l'abandon, nous préférons ceux à qui Petitjean a dédicacé son livre ; « tous ceux que ces combats préliminaires ont laissés assoiffés de victoire finale ». René FOURIER. 63 LES LIVRES Essais Le solstice de juin de Henri de Montherlant Editions Grasset Beaucoup de lecteurs de cet ouvrage ont dû ressentir une impression d'agacement. On imagine que Montherlant le sait et qu'il s'en félicite- Aristocrate et homme de lettres, l'auteur semble par instants prendre plaisir à scandaliser le bourgeois. Citons : « C'est à coups de pied dans le derrière qu'on crée la moralité des peuples » ou parlant des morts « tout frais » devant lesquels l'armée en retraite passe (ce qu'un Parisien appelait « la friture ») cette réflexion : « Ils ne m'émouvaient pas... Pour¬ quoi m'auraient-ils ému plus que ceux qui mouraient par exemple sous Louis XV pendant la guerre de l'Indépendance ? Parce que je les voyais ? Quel motif futile ! Un obus qui s'annonce, il y a une rai&Qn raisonnable pour qu'il vous impressionne. Un cadavre il n'y en a pas ». Et on ne parle pas de pirouettes aussi détestables que cette boutade di¬ gne de l'almanach Vermot : « l'ennui naquit de l'uniforme ôté ». Cependant, avec tous ces défauts, ce recueil d'articles incite à d'uti¬ les méditations. On n'hésite pas à le préférer à tant d'homélies bien- pensantes que des gens de bonne volonté mais sans talent déversent sur nos têtes pour nous expliquer notre désastre — et l'aggraver. Il ne s'agit point de réflexions sereines sur la guerre ou sur la révolution nationale mais de ce que pense à ce sujet Montherlant, car « l'artiste doit être 64 pour soi-même le centre du monde ». Ces points de vue ne constituent pas toujours un ensemble très cohérent, un critique malveillant pourrait y trouver des contradictions et déceler que tel passage a été récjigé après un round de forcing et tel autre dans un moment de moindre ar¬ deur. Tels quels ils constituent un témoignage intéressant. Montherlant, qui chantait la guerre et l'effort viril au temps de la victoire, ne veut pas se dédire aujourd'hui. On se rappelle le scandale qu'il avait soulevé en 1938 en déplorant le maintien de la paix. Il regret¬ tait, au fond, de ne pas pouvoir s'exalter au grand spectacle de la guer¬ re. Car « il n'y a que la guerre. La guerre est la seule réalité ». C'est dans la guerre que l'homme prend toute sa valeur, qu'il apprend à se dé¬ passer. Or la guerre a eu lieu et elle a amené la débâcle que Monther¬ lant, acteur et témoin ironique, décrit sans indulgence. Notre auteur se met alors à épiloguer avec une belle désinvolture sur le passé, le présent et l'avenir. Il ne prendrait sans doute pas un ton plus indifférent pour parler d'un désastre survenu à une tribu papoue du xvr siècle. Dur et méprisant pour la France de l'autre après-guerre, il n'est pas beaucoup plus tendre pour la révolution nationale — tout en ne cachant pas son admiration pour le Maréchal Pétain. Nous avons été battus, dit Montherlant, parce que nous avons vécu dans le laissez-aller, dans la bassesse ou le bon-garçonnisme, parce que notre jeunesse a été dévirilisée, parce qu'on lui a appris la crainte de la guerre. Et nous avons payé tout cela très cher. Et depuis ? L'auteur du Songe aurait voulu qu'on dressât la jeu¬ nesse à être dure, pour les autres et pour elle-même, qu'on lui apprît à se dépasser, à avoir une forte personnalité tout en ayant le goût du sacrifice. Or, cette conception nietzschéenne n'a pas été suivie. On lui a préféré un idéal chrétien de traditi on et d'honnêteté qui désole Mon¬ therlant (« Va pour les devoirs mais pas de pensums »). « A notre jeu¬ nesse n'est pas donné pour idéal l'héroïsme ou seulement la virilité: l'idéal est d'avoir le cœur sur la main, de faire des B. A... « gentiment » « Mimimimi ». Ce « mépris de la force » semble dangereux à Monther¬ lant. Et un passé récent ne lui donne pas tout à fait tort. Bien des choses méritent qu'on s'y arrête : le retour au christianis¬ me, considéré sans indulgence, lentente franco-allemande et des juge¬ ments dups et sains sur les opportunistes, sur le rôle abrutissant du ci¬ néma, de la radio et de la presse- Pour les avoir formulés et pour n'avoir pas craint de dire ce qu'il pensait, il sera beaucoup pardonné à Montherlant. C. M. 65 Poésie. Le crève-cœur de Louis Aragon Editions de la N. R. F. Nous avions lu avec émerveillement, au fur et à mesure de leur pu¬ blication dans la N.R.F., Poésie 40 et Fontaine, ces chants de Louis Ara¬ gon. Certains, les plus émouvants — l'émotion n'est pas un critérium de beauté poétique, mais on ne voit pas pourquoi elle serait systématique¬ ment bannie du poëme— ont le tempo et l'accent de la chanson. Aus¬ sitôt de crier au miracle, et de voir dans Aragon un partisan de la poé¬ sie pour tous. Tout au contraire il me semble que ces poëmes ne seront goûtés que d'une élite, capable d'entendre dans la voix d'Aragon l'écho de mille voix éteintes : Villon, les grands rhétoriqueurs, Nerval, Verlaine, et plus près de nous, la voix de Guillaume Apollinaire qui les avait miraculeu¬ sement ressuscitées durant l'autre guerre. Aragon recueille en lui-même ces résonances où l'entend, une voix essentielle, celle de l'âme blessée, rendue à .la nudité de l'enfance, et il chante de merveilleuses complain¬ tes. Mais qu'on ne s'y: méprenne pas, la naïveté, du poëte est . un piège. Sorcier, maître de ses charmes, Aragon use d'une suprême habileté : toutes les ressources de l'art et de la culture, toutes les réminiscences de la mémoire composent l'incantation qui nous envoûte. L'extrême raffinement prend ici le masque de la naïveté. Ce n'est 'pas moi qui m'en plaindrai. Qu'il plaise à Louis Aragon de chanter juste,'où qu'il joue à chanter faux, il me touché au point sensible, il me fôf'ce même d'aimer ce que je n'aimais pas. Car Aragon rie peut s'interdire dé jô'uer, de sourire alors même que son cœur est navré, et si dans sa'voix chan¬ tent d'autres voix que la sienne, sa musique est bien à lui. Nous lui 66 savons gré de venir vers nous accompagné d'un cortège de fantômes, au son d'antiques mélodies, celles que la terre de France se murmure à elle-même pour endormir sa peine et pour y puiser la force d'attendre l'espérance de l'aube. J. A. ,67 US GMIlMfflDeiaiFli Films policiers L'ASSASSINAT DU PÈRE NOËL Rarement le cinématographe français s'est essayé au genre policier; nous ne connaissons, à part une série de films médiocres Les enquêtes de l'inspecteur Grey; que L'alibi de M. Chenal, si nous pouvons nous fier à nos souvenirs. Et L'alibi est sujet à réflexions. . Les américains qui souvent ont tenté de réaliser des films policiers en ont fait des imbroglios que tout d'un coup une espèce de devin, — tantôt policier amateur et joli garçon, tantôt chinois subtil, — dénouait en faisant la conquête, — ceci n'arrivait jamais au chinois, — d'une ri¬ che héritière. Le tout dans un mouvement assez violent. Dans L'alibi, rien de pareil. Le coupable était connu dès le début du film et la seule difficulté consistait à faire avouer à une jeune fem¬ me que l'alibi qu'elle avait fourni à l'assassin n'était qu'un mensonge. Film d'intellectuels, on le voit, et film trop intelligent. C'est aussi le reproche et le compliment qu'on peut faire à L'assassi¬ nat du père Noël. Il faut faire effort, après l'avoir vu, pour se rendre compte que ce n'est, au fond, qu'un film policier. Le metteur en scène ne s'est inquiété que de l'atmosphère de son film sans s'occuper de l'intrigue qu'il fait dénouer par un adjudant de gendarmerie, venu à la dernière heure comme un prestidigitateur. A ce climat M. Christian-Jaque a donné deux sources : l'angoisse et la féerie; et disons tout de suite que son grand mérite est qu'à une ou deux exceptions près, il l'a créé par des moyens plausibles, banals. 68 L'angoisse, c'est celle de tout un village où errent autour d'un dia¬ mant, trésor d'une petite église, une folle, un jeune baron revenu de ' longs voyages et qui se dit lépreux, un instituteur libre-penseur et rai¬ sonneur, un fabricant de mappemondes plein d'imagination, une jeune fille rêveuse, trop rêveuse,. La féerie, c'est celle d'une nuit de la Nativité et des petits enfants qui attendent les jouets que doit leur apporter le Père Noël. Malheureusement si la première est assez saisissante, la seconde est pénible et quelquefois même grossière. Et nous n'avons pu croire au bai¬ ser du Prince charmant à la Belle aux bois endormie. Ce film honnête où l'on retrouve un goût de l'image, ces images qui restent malgré tout le cinéma, aurait mérité un travail plus profond, un choix plus sévère, et aussi, d'être mieux joué. Il n'en reste pas moins que c'est là, depuis la guerre, la première bande qui nous rende un peu d'espoir. Nous faudra-t-il conclure que l'intrigue policière, que l'énigme po¬ sée aux criminalistes n'est pas susceptible d'être portée sur l'écran ? Nous le croyons. Ce problème a quelque chose d'abstrait, d'algébrique que ne peut sai¬ sir ce que le cinéma a de visuel. On ne peut éviter les raisonnements froids de L'alibi ou les jeux d'ombres, de mains et d'attitude de L'as¬ sassinat du Père Noël. Il n'y aurait donc pas de films policiers; car nous nous refusons à donner ce nom aux films américains où les coups de poings et les cour¬ ses d'automobiles jouent le plus grand rôle. S'ils nous enchantent c'est qu'il y a malgré tout un plaisir inavoué à écraser le nez de quelqu'un dont le visage nous déplaît. Nous regrettons seulement d'éprouver, le plus souvent, de l'antipa¬ thie pour le gendarme. Ph. de C. 69 LES REVUES FONTAINE 43, Rue Lys du Pac, Alger Fontaine devenue « Revue mensuelle de la poésie et des lettres fran¬ çaises » trouve un accueil de plus en plus large. Tous les amis de la poésie, qui sont ceux de Fontaine, s'en réjouissent. Aussi Max-Pol Fou- / chet, délégué de Jeune-France pour l'Algérie, a-t-il décidé de publier sa revue tous les mois. Faut-il voir un changement d'orientation dans le changement de sous-titre ? Fontaine fera-t-elle une part plus large au roman et à la critique ? Nous le souhaitons, tout en y voyant un danger. Fontaine risque fort, en élargissant son champ d'action, de perdre de sa virulence. Ce qui la distinguait des autres revues littéraires, c'était une certaine manière de considérer la poésie comme une forme, et la plus haute, de l'action, de considérer les textes en fonction de leur pou¬ voir de choc et de l'engagement vital de l'auteur dans son œuvre. Fon¬ taine grandit. Nous lui faisons confiance. Le dernier numéro, aussi ri¬ che que les précédentes livraisons, est marqué par la « rentrée » de Ju¬ les Supervielle et de Ribemont-Dessaignes. Supervielle chante, à Mon¬ tevideo — comme sa voix blanche et pudique nous paraît proche, com¬ me elle retentit àu-dedans de chacun de nous ! — les poëmes de la Fran¬ ce malheureuse. Nous sommes très loin en nous-mêmes Avec la France dans les bras, Chacun se croit seul avec elle Et pense qu'on ne le voit pas. A Ribemont-Dessaignes la poésie paraît le dernier refuge de la liber¬ té. L'accent, fort émouvant, de ses poèmes, est un mélange de violence, de mélancolie tendre et de douloureux humour : le poète erre dans le monde défait parmi ûes formes qu'il nomme chacune à leur tour, mais, qui ne composent pas un monde ordonné... 70 Jean Schlumberger présente quelques poèmes de l'ancienne Chine •qui montrent l'identité des thèmes de la poésie dans tous les pays, lors¬ que les poètes, sous le choc des événements reviennent à la simplicité élémentaire. Il dit excellemment — et ceci vaut je crois pour toutes les poésies authentiquement primitives — : De même que la sculpture, la poésie chinoise de haute époque a une grandeur et une simplicité quelle ne retrouvera plus dans la suite. On y sent des stratifications de culture déjà immémoriales, mais l'art n'est pas encore placé par ces raffinements formels, par ces allusions érudites, qui en font pour nous, trop souvent, un pur jeu de virtuoses et de lettrés. Elle garde quelque chose d'ample et de libre, où l'émotion humaine prévaut encore sur les soucis de la versification. Ecoutez ces accents si simples, si nus, si grands : Tous les guerriers sont morts; ils gisent dans la lande. Ils sont sortis, mais ne rentreront pas; ils sont partis mais sans retour. Plate l'immense steppe, longue la route qui ramène à la maison. Leurs sabres gisent à leur côté; leurs arcs noirs restent dans leurs poings. Et.plus'loin: Ils se sont battus au Sud de la Forteresse, Ils sont tombés au Nord du rempart. Dans les marais ils sont restés sans sépulture; • Leur chair est dévorée par les corbeaux. Dites aux corbeaux que nous n'avons pas d'effroi. ■ Tombés dans les marais, l'on n'a pu nous ensevelir. Corbeaux, comment vous échapperaient nos corps ? Notons éncore de belles traductions de Rolland-Simon: sept poëmes inédits de Federico Garcia Lorca, précédés de La Mort de Federico Garcia Lorca de Antonio Machado. A ce propos, il semble qu'on ne connaît pas assez Antonio Machado, mort en France, à la suite de la guerre civile, après avoir perdu quatre fils. Pierre Emmanuel seul me semble lui avoir rendu un hommage digne de lui dans ce Requiem qu'il •a recueilli à la fin de ses Elégies : Un jour tu reviendras dans la lumière chaste des déserts par les torrents de la profonde Espagne et les tombeaux o jeune mort criblé d'années que tu es beau toi qui brises l'affreux baiser de la naissance toi qui danses pierre à pierre avec transport et gonfles le drapeau colér■ ux des blés rouges par delà les longs murs de soleil et de poudre au haut desquels verdit lierre antique la mer. 71 Il est vrai qu'Antonio Machado a l'éternité devant lui. Il peut at¬ tendre. Notons encore — il faudrait presque tout citer — un texte de Eisa Triolet (on se souvient des pages admirables qu'elle consacra naguère, dans la N.R.F. de Jean Paulhan,. à Maïakowski); — une note d'André de Richaud qui ira au cœur de tous ceux qui aimaient Michel Levanti — tous ceux qui le connaissaient — et l'un des derniers poëmes de no¬ tre ami. Enfin un carnet critique plus copieux que d'habitude où nous, relevons la signature d'Albert Béguin, de Henri Hell, de Rolland-Simon, d'Yvonne Genova, de Henri Bosco et de Georges-Emmanuel Clancier. Albert Béguin, qui est avec Marcel Raymond l"un de nos plus pro¬ fonds critiques de poésie, parlant de L'Anthologie de la poésie françai¬ se, de Marcel Arland, écrit très justement : « Dès ses origines, la poésie française tend à être ce qu'elle demeu¬ rera à travers les siècles et les écoles : un équilibre subtil entre la sûre exaltation, profane ou religieuse, et une conscience artistique très atten¬ tive à la forme. Jamais, dans ce pays, le chant r'a été sauvage, et c'est pourquoi il est si difficile de faire entendre aux étrangers que, dans sa perfection, il traduit mieux que tout désordre cet « état de poésie » qui soulève l'homme en ses heures privilégiées. Rutebeuf et Villon eux- mêmes sont moins hauts en couleurs qu'on ne le dit, et la rigueur de- leur métier fait de ces prétendus primitifs des poètes de haute civili¬ sation. A y regarder de près, il n'y a pas de rupture brusque entre cet art médiéval et la grande éclosion de la Renaissance, qui hérite de la chanson aisée par Marot et de l'expression difficile par Scène. » J. A. 72 QUATRE VENTS N° 3 2me ANNEE JANVIER 1942 • ; i'-'-Ai Revue Mensuelle publiée par le Centre « JEUNE FRANCE » de Tunisie Rédaction et Administration ; 13, Rue Zarkoun — tunis Téléphone 05.48 Directeur : Philippe du Puy de Clinchamps Le Numéro. Abonnement. France et Afrique du Nord : Etranger : France et Afrique du Nord : Etranger : 8 Francs. 12 Francs 90 Francs 1 10 francs Tous les fonds doivent être envoyés à M. Philippe de CLINCHAMPS, 13i Rue Zarkoun - Tunis Les manuscrits non insérés ne sont retournés à leurs auteurs que s'ils sont accompagnés des timbres nécessaires pour les frais de poste. La Revue ne publie que de l'Inédit. Copyright by « QUATRE VENTS » — Tunis La Rapide, 5, Rue Saint-Chcrles - Tunis Le gérant : Philippe du Puy de Clinchamps il