lre Année - N° 2 Juillet 1936 SOMMAIRE L. Justinard LES PROPOS DU CHLEUH. Camille Schuwer Copri. * * * Télégramme. Innocent II LES PROPOS DE L'INNOCENT. Docteur J.-C. Mardrus Architecture de notre livre d'art. René Janon Fille de joie. Jacques Balay Groupement A. Henri Bosco L'âne Culotte (II). CHRONIQUES LES LETTRES Chronique-éclair Sélections et Commentaires . . Apparition du lecteur Gabriel Germain, Ignace Legrand, Julien Green, par H. Bosco, Emile Henriot, par Gui Mémoire. LES ARTS La Musique L'art musical selon Igor Strawinsky, par Yves Sourisse. La Peinture Edy Legrand, par Henri Bosco. L'Architecture Petites notes en marge de la pensée soré- lienne, par Antoine Marchisio. Pour les Bibliophiles Préface à l'Itinéraire au Maroc d'Eliane Edon-Jalabert, par Christian Funck- Prentano. S. A. L. A. Société des Amis des Lettres et des Arts B. P. 57, Rabat - Ch. Post. : S.A.L.A., N° 122.95 (Rabat) Sous le patronage du Résident général de France au Maroc, du Général commandant les troupes au Maroc, du Premier président de la Cour d'Appel de Rabat, du Directeur général de l'Instruction Publi¬ que au Maroc, Sous le patronage littéraire et artistique de Jac¬ ques Copeau, Georges Duhamel, André Gide, Edy Legrand, Albert Marquet, Henry de Montherlant, Jules Romains, Jean Schlumberger, assure la venue au Maroc de conférenciers de la Métropole édite Aguedal, revue littéraire paraissant tous les deux mois. Aguedal ne publie, en dehors des Pages retrouvées et des Pages choisies, que de l'inédit. Aguedal sollicite, pour chacune de ses chroniques, la correspondance de ses abonnés. Les ouvrages pour comptes rendus, les services d'é¬ change et les manuscrits doivent être envoyés à la rédac¬ tion d'Aguedal, boîte postale 57, Rabat. Rédaction : Henri Bosco, Christian Funck-Brentano. Dans son prochain numéro, Aguedal publiera des fragments inédits d'ERiK Satie. NOUS AIMONS LE MAROC, NOUS LUI GARDONS NOTRE CONFIANCE. C'est un magnifique pays. Il a été lancé sous l'im¬ pulsion de l'esprit. Depuis lors, les temps sont de¬ venus fort durs, et, naturellement, y prédominent les soucis matériels. N'est-ce pas une raison de plus pour tenter un effort qui contribue à maintenir intacte la part de l'esprit qui l'a créé ? L'on s'adresse à tous ceux, connus ou non, cita¬ dins ou blédards, Européens ou Indigènes, solidaires d'une même œuvre, attachés pareillement à sa pros¬ périté et à sa beauté, qui ont à cœur de conserver, d'enrichir ce patrimoine. CAR IL IMPORTE DE SAUVEGARDER, SURTOUT SUR CETTE TERRE D'AFRIQUE, LES POSITIONS DE L'ESPRIT. Il serait malfaisant de laisser écarter celui-ci des tâches matérielles, injuste de voir de purs matéria¬ listes en ceux qui travaillent pour nous tous. LE MAROC, OU MONTENT DES GENE¬ RATIONS NOUVELLES, SE DOIT DE PRENDRE CONSCIENCE DE SA VALEUR SPIRITUELLE, DE FAIRE CONNAITRE, EN CE DOMAINE, LE SON DE SA VOIX. C'est ce sentiment de défense spirituelle, d'amitié franco-marocaine, qui nous a inspiré l'idée d'entre¬ prendre une double tâche : Provoquer la venue, comme conférenciers, de re¬ présentants qualifiés de la culture française ; Fonder une revue qui serve de lien réel entre tous ceux qui partagent déjà notre ambition. Des CONFERENCIERS notables seront appelés, suivant un programme établi au début de l'année. Ils seront accueillis par un auditoire préparé. III Une REVUE BI-MENSUELLE (Littré) épaule ce mouvement AGDEDAL Un de ses buts capitaux sera de maintenir entre les différentès villes du pays, entre les villes et le bled, qui souvent se connaissent mal encore, une liaison amicale. En symbole de cette liaison, une place est réservée, dans chacune de ses chroniques aux correspondances des abonnés, tous invités à faire connaître, à confronter leur sentiment sur les spectacles auxquels ils auront assisté, les livres qu'ils auront lus, les expositions qu'ils auront visitées. CONDITIONS DE SOUSCRIPTION On peut soUcrire : 1° Un abonnement de 40 frs., donnant droit annuellement aux six numéros de la revue Aguedal. 2° Un abonnement de 79 frs., donnant droit annuellement aux six numéros de la revue Aguedal et, pour une personne, à l'entrée aux cinq conférences. 3° Un abonnement de 100 frs., au minimum, dit « abonnement de Donateur », donnant droit (en plus des six numéros de la revue et des cinq conférences) à la participation à toutes les autres manifestations ■organisées par la S.A.L.A. Observation. —• Les Donateurs et les souscripteurs à l'abonnement de 70 frs, pourront prendre, pour les membres de leur famille, un ou plusieurs abonnements supplémentaires de faveur, pour les cinq con¬ férences, au prix de 30 francs par personne. Abonnement pour l'étranger. — (les six numéros d'Aguedal seule¬ ment) : 50 francs. Nom : Adresse - -— Envoyer le bulletin au trésorier de la S.A.L.A., Chèques postaux : S.A.L.A. n° 122-95 à Rabat. IV « LES CAHIERS DE BARBARIE » Collection de poésie et de critique publiée par les soins d'Armand Guibert 46, rue de Naples - Tunis « LE FEU » Organe du régionalisme méditerranéen, directeur Joseph d'Arbaud Aix-en-Provence « LES CAHIERS DU SUD » Directeur : Jean Ballard 10, Cours du Vieux-Port - Marseille « SUD MAGAZINE » 38, rue Vacon - Marseille « LE BULLETIN DES LETTRES » 10, rue du Président-Carnot, Lyon chez Lardanchet « PORZA » Cercle de coopération intellectuelle 14, rue de l'Assomption - Paris opos du Ckl euk 0 les hommes, de l'union. Moi, je vois le fleuve. Il est rassemblé. Mais sitôt qu'il se divise, il est franchi par le gué. Dès que trois tolbas pour prier, sont réunis, Il faut qu'à l'un des trois, les trois autres soient soumis. Avec, à leur tête un scorpion, cent bousiers valent cent scorpions. Avec, à leur tête un bousier, cent scorpions valent cent bousiers. On n'éclaire pas l'aveugle, on l'empoigne par la main. Voilà quatre maximes de sagesse berbère qu'on a réunies à dessein. Utilité de l'union, de la hiérarchie, du chef. Néces¬ sité de placer les ignorants dans le droit chemin, même un peu brutalement. Il est plus de châteaux démolis que sur pied, Et plus de souliers percés que de bons souliers, Et plus de gens dévoyés que suivant la Loi, Et plus■ de tolbas menteurs que disant la vérité. Il y a plus de saleté que de savon, plus d'affamés que de farine, Plus d'amis que de mais, et chacun en veut un grain. — Il y a un mot, si tu l'avais dit, que Dieu te bénisse : Dieu n'a jamais rien créé qui fût sans remède. Plus de patience il a créé que de chagrin. C'est la réponse de l'optimiste au pessimiste : « A brebis tondue, Dieu mesure le vent ». Les Chleuh disent de façon aussi directe : « A la bête à courte-queue, Dieu chasse les mouches ». 66 Pour la mule, je t'avertis de ne pas passer derrière elle, elle a beau n'être [plus en vie. Je t'avertis, pour le fusil, même si le\coup est parti, de^ne pas te placer i' [devant lui. Je t'avertis, pour Tize'lmi, de n'y pas aller, en plein été, sans un akhnif. Je t'avertis, pour le banni, de ne pas aller sur les chemins, dans les mosquées, [sur l'asais. Comme un gibier, rester caché. Ce sont conseils de prudence : craindre la ruade de la mule et la décharge du fusil. Tizelmi, c'est le plateau des Mejjat de l'Anti-Atlas, au sud de Tiznit, où il fait froid, même en été. L'akhnif, c'est le burnous noir des monta¬ gnards, orné parfois d'une tache rouge dans le dos. Le bannis¬ sement, peine fréquente du droit coutumier. L'asais, place des jeux, de la danse et de la musique. CONTE « Il était une femme, une calamiteuse. Alors, pour avoir la paix, son mari se dit : Je vais chez ses parents la conduire en visite. Il dit : « Chez tes parents nous irons en tarzift ». Il savait que les femmes adorent les visites. Il lui donna une mule à monter qui aimait à pétarader En arrivant à la rivière, il lui dit : « Ne la presse pas, elle rue. Quand on l'excite, elle vous jette par terre. » La femme dit : « Par Dieu, moi, je veux l'exciter, puisque tu me dis, toi, de ne pas l'exciter. » Au beau milieu de la rivière, elle se mit à la presser. La mule fit une ruade et la précipita dans l'eau. La rivière coule en aval. Le mari courut en amont. Rencontrant un homme, il lui dit : « N'est-il. pas .passé devant toi une femme emportée par le courant ? » L'homme dit : « Es-tu 67 fou, Sidi ? L'oued, il va de ce côté-là. » L'autre dit : « Non, ma femme, à moi, a l'esprit de contradiction. L'oued a beau couler en aval. Elle veut qu'il aille en amont. » C'est ainsi qu'elle alla au diable. » On pourra s'amuser à comparer ce conte à la fable de La Fontaine, La femme noyée. Il n'est pas indigne de la comparaison. Celle-ci est même propre à mettre en lumière certains traits berbères : ironie, simplicité, images directes, pas de bavardage. Cela fera un sujet de composition vers l'an 2.000, quand l'enseignement officiel aura résolument adopté les études berbères. Celui qui a conté ce récit, vers 1919, ignorait bien La Fontaine. C'était un vieillard du Sous, Moulai Aomar, mort centenaire, dont on peut voir un portrait dans Hesperis (Notes d'histoire et de littérature berbère, 3e trimestre 1928). CHANSONS Rigole, amène Veau douce. Et le chemin, mon amie. Elle viendra puiser de Veau dans un seau d'or. Ses fleurs tomberont de sa main teinte au henné. On dirait une gazelle, en voulant les rattraper : Fleurs de rose et de marjolaine, et. vous, les fleurs de grenadier, Vous, mes désirs, vous nagerez. La neige, sur les versants, elle est figée par le froid. La pierre, au mur du château, est bloquée dans le pisé. Et mon ami enfermé dans les mains de l'ennuyeux. Je ne sais pas ce qui lui manque et ce qu'il veut. 0 jardin de la menthe et du bigaradier, toi que si petit j'ai laissé, qui donc \est venu t'arroser ? O jardin de la menthe et du bigaradier (1), si on pouvait avoir ta clef ! 68 Par Allah, par Allah, si ta pouvais, la mort, les enfants de l'amour, qui [sont, faits pour la vie, ne pas les emporter ! O Moulai Brahim (2), grand chérif, que la zaouia Geghaia a trouvé pour la [protéger, Si la mort pouvait ne pas m'emporter que je n'aie semé, pour les Musulmans, [la prospérité ! A dit le pèlerin qui va sur tes chemins : « Ce que donne la vie, qu'on le [prenne à l'instant. Car le temps est changeant. » Si on demande où et comment ont été recueillis ces textes, c'est le produit d'une quête de vingt-cinq ans, dans les lieux les plus divers, de l'Extrême-Sud du Maroc à la banlieue de Paris, sur les pistes du bled, au hasard des rencontres, et jusque dans les tranchées de France. Il suffit d'un carnet et d'un, crayon.. Avec, en plus, la connaissance de la langue, de la sympathie et le désir de contact. Et aussi, savoir soi-même quelques vers, pour amorcer. Un exemple, entre cent. Il y a quelques semaines, dans le Sous, à Tighmi de l'Anti-Atlas. En revenant du Taze- roualt à Tiznit, en compagnie d'un jeune peintre. De l'allée de palmiers, au milieu des moissons, que la route longeait, il s'éleva un chant. De ces chants qu'on entend sur les chantiers des Chleuh, quand il faut faire ensemble un grand effort. Ou qu'on entendait jadis, en un coin de combat, où de pauvres hommes, en vue d'un danger, se donnaient du ton, par un appel collectif aux saints familiers. C'était ici des gens portant ensemble, à grand effort, un énorme tronc de palmier. Quand ils furent sur' la route, à souffler, on s'arrêta près d'eux. Le peintre ayant trouvé un modèle, on se mit à causer. « Qui êtes-vous ? Où allez-vous ?» — « Et toi, d'où viens-tu ? » Quand ils surent que je venais de Rabat : 69 « Alors, tu connais mon frère ? dit l'un d'eux. Il travaille au Cartolitianne » Charmante déformation du quartier de l'Océan. La glace étant rompue: « Connaissez-vous des chansons ? » Ils rient. Ils se font tin peu prier. Mais tous les Chleuh ont des chants plein la tête, cueillis au hasard des ahouache (3). Et l'un d'eux a dit ceci : Plutôt que d'aller chez ceux qui ne sont pas mes amis, J'aime mieux casser des cailloux, passer de la terre au tamis, Ou manger de la poudre au sel de laurier-rose. A rapprocher de vers recueillis ailleurs : O Dieu, ne me conduis pas chez ceux qui ne m'aiment pas, Même si je suis du miel, ils me trouveront amer. Ils sont là une dizaine de montagnards Ida ou Baqil à rire de toutes leurs dents, pendant qu'un d'entre eux pose un Saint-Jean berbère, avec son petit burnous qui lui vient aux genoux, son capuchon sur la tête, aux rayures seyantes, et son grand bâton à bout de bras. Ils sont soumis d'hier ; ils font une corvée ; ce sont de très pauvres gens. Mais ils sont jeunes ,et bien portants, et la moisson s'annonce belle. Et ils chantent pour un étranger qui les a mis en confiance en leur parlant gentiment, et dans leur langage. Gaîté et spontanéité berbères. L. JUSTINARD. (1) Le bigaradier, c'est le « Zenbouah », oranger aux fruits amers; apprécié pour sa beauté, et pour le parfpm.de ses fleurs. « A toi, Zenbouah, le beau feuillage et les fruits d'or. A ma maîtresse la beauté, et à la soie ». (2) Moulai Brahim, un des saints les plus populaires dans le Sud du Maroc. Sa zaouïa est au plateau de Kik, au sud de Marrakech. (3) On appelle ahouach les séances de danse et de chant. Amarg, les chansons. Canri à Henri 1 île sonnante du soleil un remorqueur fait son sifflet les poissons de l'illusion croient de vivre dans les filets les lavandières de la mer ont fait la lessive au bleu façades vous étiez moins blanches que les grands fonds peints à la chaux je n'ai plus d'avenir présent horizontal il me faudra m'étendre avec la mer étale l'eau de la transparence et le gel du cristal réponds paume promise à la proue du"destin dans la peau bleue insensible aux dédales des courants aux mille chemins le dieu marin le dieu divin déjoue en les formant les lignes de la main 1 1 /1 2 Cybèle aborde à même les barques les citrons les oranges et les poulpes des arbres que font les mâts plongés dans l'or de la calanque les pêcheurs blancs ont des sourcils dont la malice est plus ancienne que Tibère et les pieds dans l'eau des palais on trouve encore des lapis lazuli clans la terre 3 la barque est morte bras en croix sont les ailes mortes des rames les herbes chaudes les menthes tombent parfum des pentes 4 V «\ mer amoureuse du roulis flot qui solderais les vaisseaux comme on change un vase d'épaule ici la moire de midi ne fait de plis qu'aux hirondelles balancelles . 72 5 après s'être élancé d'un bond entre mes bras ange sonneur tulipe du réveil après avoir monté sa voix son midi pour les sourds qu'entonnaient les cigales le soleil s'en allait mourir sur lschia de mort naturelle 6 du bain renaissent les hommes de la roche le radium les nageurs vous saluent s'éloignent reviendront-ils ou faut-il que là-bas sœur Anne langtiisse et pleure en Sicile 7 dans l'édredon d'azur où tu t'enveloppes écrin d'ailes tuées des oiseaux coraux morts fleurs de beau sang roses des grottes grotte bleue grotte verte grotte méravilieuse oreilles de la mer qui se prononce heureuse 73 j'aime écouter vos nuits la contrebasse des grands chevaux au fond des couloirs les sabots des centaures ouvrent les stalles des ténèbres quand le vent ravisseur de têtes scalpe les plumes les crinières 8 une île est la rumeur que fait un coquillage une douleur marine amère d'âge en âge 9 on dit que les Sirènes qui retinrent Ulysse sont les trois îlots tourterelles que vise de l'amour la flèche Campanelle 10 que rêvais-je quand les rameuses ont remué les morts des vallées du sillage on coupe en deux leur sommeil les belles femmes feues sont les poissons pris au feu 74 11 la mer seule s'ennuie m'ennuie mais les seins autour de mon il- la mère tu t'enroules et la fille tu ris de l'eau blanche de jour à l'eau noire de nuit 12 jeu physique ô diffractions qui font autour de l'arbre évanouir son ombre vos mains de verre traversent d'un tour de fronde les pierres et les, paupières 13 Quand la pluie une sur mille matinées du solaire exil perpétue à travers ses rets les indigos et violets vos bras comblés perches des vignes lèvent la face ci Dieu des feuillages laves 14 à midi j'ai senti que l'île se mouvait sur ses meules de diamant mais la vitesse était si grande musique de la sphère aux spires du silence qu'il n'était que minuit et que le jour tombait 15 nageur las remonté des plages éblouies aveugle ouvert aux seules délices qui naissent de la cataracte et du pourpre rétinien si tu te couches et que ton œil appuie voici que saigne un ravissant matin fleuve fusées feu d'artifice astre naissant des laves concentriques le dos de la bête à bon dieu c'est à tous les regards un bouclier qui s'enfle un arbre dont les branches reluisent de poignards à la fin les yeux sont las des longues barques vers le haut on reprend le fleuve d'en bas comment vous renoncer tant de flores des flots je m'oublie aux tendresses d'aubes la paresse coule par l'œil je m'endors avec les abeilles et me retrouve en une autre île dans une autre mer de couleur quelle est la fausse la réelle les deux me font même bonheur 16 fraîche nativité dans l'onde sans vestiges aurore qui revient des soirs et sur la voie lactée des roches le prodige des ronds oursins soleils noirs arche heureuse où ne demeure flottant au fil pur des eaux que l'essence des animaux tout ce qui vole les heures les guêpes les germes de fleurs les voiles et les oiseaux l'oiseau de feu de midi n'est visible qu'au foyer des lentilles il brûle les yeux mortels mais l'oiseau de la nuit qui prolonge le jour au fond des grottes liquides c'est le grand oiseau blanc d'où coule la lumière le lait qui l'a nourri la tristesse des pierres 17 tu m'as rendu prolixe après-midi le liège du silence les baigneurs sont partis plus long que la colline et. le lit du couchant sous la palme sans tain s'enfonce le plain-chant pour la première fois l'eau solide est mouillée les poissons rassurés reviennent à l'orée des algues des escaliers et des barques déliées de leurs bras savonneux les mégères noires les filles des Parques ont lavé la maison des mères en attendant que naisse après que tus les bruits ou je ne sais quel mensonge de suie la mort mélodieuse de la nuit 18 c'est alors que surgie des fugues du périple des traînes de la nue des fumigations o mon île je te dépeuple si naïve dans l'air et sans illusions terrible dent par le temps travaillée trop belle fauve force inoffensive le sel blanchit à tes roses gencives le flot reprend ta griffe désœuvrée montre-moi tes os précieuse quelle douceur d'attaches quelle énigme de chair sous l'écorce d'écaillés 78 quand triton mis à l'air tu troues la nue à vif de ton arête de cristal tant de fougue esclave inhabile apprends-moi comment tu l'assembles en cet équilibre de temple en ce front d'idole immobile comment tu combles de l'informe de l'eau de la lumière et des vents sans contour une forme de corps à défier les jours Camille SCHUWER. 79 Té légramme pour un départ Madame M... L... à bord Marèchal-Lyautey Casablanca Fr Marrakech 68500 65 18 12.20 Ingrat Invisible Sauvage Accueillez fidèle pourtant Aux bords d'un irréel, rivage Le bouquet du cœur pénitent Je veux, quand le cri des sirènes Enfièvre l'adieu du mouchoir Bans vos écharpes de marraine Laisser mes roses vaines choir Afin qu'une douceur futile Lourde de beaux songes épars Mêle ma prière inutile Au chant écumeux des départs * * * 80 ropos de 11 nnocent Il existe un pays dont les habitants passent pour sensés. Ils doivent l'être. N'appellent-ils pas « innocent » celui qui, privé de raison, est devenu incapable de nuire ? Ce nom donné aux fous inoffensifs décèle une défiance secrète à l'en¬ droit des puissances normales de l'esprit. Elle ne signifie point, sans doute, que tous ceux qui en ont jouissance sont fatalement nuisibles : ils peuvent le devenir, voilà tout. « L'agneau est un animal innocent », dit le Littré. Il broute et on l'égorgé : il n'a point une grande réputation d'intelli¬ gence. Aussi n'emplit-il pas une longue destinée. Comme l'agneau, les fous sont des enfants sans avenir, ceux du moins qui relèvent d'une ingénuité inguérissable. Leur pureté persiste. Les fous ne forment guère de desseins suivis ; ils vivent en état d'innocence, et le bonheur qu'ils en retirent leur laisse l'œil si frais qu'ils voient tout, même le mal, mais ils ne savent pas qu'il l'est. Il arrive donc, le plus souvent, qu'on les enferme. Rien ne semble plus sage, leur désintéres¬ sement spirituel n'étant pas de ce monde. Qu'y feraient-ils, au demeurant ? Ils ne peuvent pas même déraisonner : ils évoluent dans le ravissement. Le spectacle d'un jeu si désin¬ téressé de l'âme et d'une félicité sans exigences n'est certaine¬ ment pas d'un bon exemple. On les claquemure, parce qu'ils sont incapables de nuire, et, ce faisant, on se met à l'abri de leur innocence ; après quoi, on les plaint. N'est-ce point naturel ? Ils ont le paradis sur terre... Innocent II 8.1 Architecture Je notre Livre d'Art Mesdames, Messieurs, Un livre ! Qu'est-ce qu'un Livre, dans notre esprit, en tant qu'oeuvre scripturale ? C'est, nous semble-t-il, le fruit d'un pacte mystérieux entre un Ecrivain et deux Déités, deux Entités Divines : Beauté et Vérité. Si un tel Livre n'est pas magique dans ses effets sur notre esprit ou sur notre cœur, il n'est pas né sous le sourire des Déesses. Et le Livre d'Art ? C'est le fruit d'un pacte, plus mystérieux encore, entre un Maître du Graphisme bien conduit et une Triade Divine cette fois, à savoir : Beauté, Vérité, Technique. Si une telle œuvre ne transforme pas le vierge papier en un jardin de rêve et d'enchantement, où se pavane la lumière, il est néant. En l'année 933 de l'Hégire, qui correspond au millésime 1537 de notre Ere, le conquérant de l'Inde, fondateur de la Dynastie des Grands-Mogols, l'Empereur Baber qui fut la personnalité la plus séduisante peut-être du seizième siècle, et la plus originale, écrivait ceci, daté de sa capitale Delhi, à son fils le prince Humaïoun, héritier du trône : 82 « Sache, ô prunelle de l'œil de ton père, que mon âme souhaite ardemment une chose : faire décorer et enluminer mon livre préféré, afin d'honorer le génie surhumain de son auteur, mon maître, monseigneur l'Imam Djami, Prince des esprits de la terre — sur lui les plus choisies des bénédictions. « De ce Manuscrit j'aimerais réaliser quelque chose de si beau que si tu le voyais tu le croirais un morceau détaché des célestes parvis. « En lui, il y aurait goût, sobriété, coloris, magnificence des ors, pureté, paysage d'âme, unité, tout ce que résume ce seul mot, qui est le sultan des mots : Beauté. « Tâche donc, ô fils de mon flanc, de trouver à mon intention, au cours de ton voyage à Tabriz, quelque Génie, un Efrit — fût-il guèbre ou nazaréen, pourvu qu'il soit miraculeusement doué — qui décorerait pour moi, ce Livre selon mon cœur. « Et moi, en retour, je ferais de cet Efrit de génie, de cet Enlumineur, mon commensal habituel, toute la vie du¬ rant. Et mes deux paumes seraient toujours ouvertes dans sa direction, jusqu'au jour de la Résurrection. « Et que le Rétributeur te garde et te sauvegarde, ô Humaïoun ! OuasSalam. » Or nous, mesdames, messieurs, nous savons que respire parmi nos contemporains un Efrit de cet improbable espèce, si ardemment désiré par l'impérial descendant de Timour. Et me voici requis, par nos amis et l'admiration, à présenter à un public de choix les quelques précieux exem¬ plaires arrachés au Destin, fleurs d'âme jaillies d'un pinceau et d'un graphisme magiciens. Essayons donc, par les mots les plus simples, de nous expliquer à nous-mêmes les raisons de notre ferveur. 83 Le Beau Livre, tel que nous le présente notre François- Louis Schmied, je le vois le fruit de l'union de Quatre Elé¬ ments, malaisément associables d'ordinaire : Un texte exceptionnel ; Un faire pictural doublé d'une Graphie exceptionnelle ; Une Technique exceptionnelle de la Gravure Polychrome sur bois ; Et une Typographie exceptionnelle. Mais, ce n'est pas tout. La donation essentielle, propre à notre François-Louis Schmied, c'est que d'un Texte il nous révèle ce qui est inclus entre les rapports des mots, et ce qui est latent dans les inter¬ lignes et le silence du papier. Il s'agit là d'éléments impondérables, de tout un ensemble d'invisibles vertus, il s'agit là d'amour-sentiment, de con¬ densation, de simplicité, de vérité et de passion. Lui, le Décorateur-né, il nous rend perceptible l'inexpri¬ mable, ce qu'il y a de trop subtil pour notre entendement qu'obscurcissent les contingences quotidiennes ; il nous révèle la vie hermétique, la plus intestine, du caractère absolu de l'œuvre qu'il investit de prestige par la belle Graphie. Et cette lumière, une fois allumée, s'irradie jusqu'au fond de la retraite où sommeille l'intellect qu'il s'agit de ranimer, c'est- à-dire ce qui est au-delà de l'intelligence, ce qui est l'élément le plus raffiné de nous-mêmes. Mais quand le Maître de la Palette et du Burin aborde les Motifs Abstraits, comme dans ce Livre Majeur des Textes Millénaires qui a nom : Le Livre de la Vérité de parole, il 84 rend aux Textes, il leur infuse à nouveau, — bien que devenus textes français au lieu de demeurer idéogrammes pharaoniques — il rend à ces motifs les sortilèges, les trans¬ parences, les fluidités et les filigranes d'or dont se peuple le ciel de notre esprit à l'audition de quelque Fugue capitale. Dès lors nous saisissons les rapports de la Mesure avec l'Etendue, et plus rien ne demeure imperceptible pour nous des mystères de la quatrième dimension. La magie de Schmied est une magie, disons, alimentaire. Car Schmied commence par absorber le Texte, il l'assimile et nous le restitue sous la forme lumineuse de molécules colorées de l'éther, par un phénomène de transmutation d'une matière alphabétique en Poème de lignes et de couleurs. Et l'on demeure pantois, de cette signification ultime qui désormais résidera dans l'intensité du sentiment plus encore que dans son éclat. Et cela, il l'obtient en prenant toujours son point d'appui sur le Pilier de son art qui est, je vous le révélerai d'un mot, le Métier. Mais c'est le Sentiment, chez lui, qui a tout conduit. Dès lors, sous les lignes et les couleurs, et sous les ombres elle- mêmes, qui sont aussi de la couleur et belle, on voit dès lors palpiter la vie du Beau Livre. Le miracle chez Schmied c'est qu'attiré, dans son art, par ce qu'il lui semble mériter une station d'amour, c'est qu'il n'ait jamais glissé sur la pente de l'excentrique, ni traité à fond ce qu'on appelle le « beau motif ». C'est que Schmied a toujours pour base de son art d'Ar¬ chitecte du Livre, une assise de force et de stabilité : 85 LA TYPOGRAPHIE On entend quelquefois dire, dans le monde des Biblio¬ philes, que l'art du Livre est « un art de surface ». S'il ne s'agit que de l'harmonie qui tient les plateaux en équilibre entre le sujet et l'aspect typographique, l'art du Livre serait, sans doute, de surface. Mais lorsque l'Architecte moderne du Livre déroule devant nous les perspectives infinies de ses avenues et de ses pavoisements, l'art atteint sur la page autant de profondeur que sur les fresques d'un Léonard ou d'un Primatice. Et c'est alors une écriture qui est la résultante, en lignes plastiques, d'une harmonie intérieure. Mais c'est l'Amour de la Couleur, incontestablement, oui, c'est surtout l'amour de la couleur qui a conduit notre Architecte du Livre à rénover l'art de la Gravure sur bois, Schmied est parti de cette idée, si simple que la technique de la Xylographie polychrome doit être identique à celle de l'impression en noir. Et il le prouve. Par des réalisations qui furent autant de chefs d'oeuvre, Schmied démontra péremptoirement qu'en procédant des plus anciens canons de la typographie, on pouvait réussir merveilleusement une Gravure polychrome sur bois, en harmonie avec l'impression en noir pur des caractères typo¬ graphiques, et identique à cette impression. En effet, dans ses ateliers parisiens, les 20 ou 25 bois, en buis debout, nécessaires souvent à la reproduction en couleurs d'un seul original, s'impriment comme on imprime les caractères en noir, c'est-à-dire simplement à la manière d'un cachet. C'est pourquoi avec le matériel innombrable qu'il crée pour chacun de ses Livres à tirage si restreint, à savoir entre vingt et cent cinquante exemplaires, en tout, notre Architecte du Livre pourrait tirer les mêmes planches à des milliers 86 d'exemplaires, avec un résultat aussi irréprochable, puisque ses planches sont nettement typographiques et nées pour la typographie. Ce sont des planches qui procèdent de la plus pure tradition de la gravure en relief. Procédé type de l'honnê¬ teté typographique. Seulement, seulement... une telle méthode, toute de science, d'honnêteté, de subtilité, de recherches, de « repérages aux épingles », épuise notre patience dans l'attente d'un livre de Schmied, livre qui demande en moyenne trois années de tra¬ vail de tous ses ateliers, avant d'être remis aux souscripteurs. Mais aussi, quand nous tenons enfin dans nos mains la Merveille, elle est une Fleur du Paradis Schmiedien. Dans chacune de ses œuvres, notre Architecte musicien nous donne le plain-chant de la Décoration. Les ornements n'interviennent qu'à la condition de ne jamais déserter le domaine enchanté des spéculations des Nombres. L'austérité des Nombres, des valeurs, des lignes, des teintes et des nuances y médite et se compose avec une vérité plus satisfaisante que la réalité, aussi vraie sur le papier que des verdures en pleine nature. Le spectacle du Divin prend vie, dans le Livre, sous les doigts qui opèrent la transmutation, Car si l'Artiste aima à rafraîchir sa vision au Manuscrit de la Nature, ce n'est certes point pour le copier, ce Manuscrit de la Nature, c'est plutôt pour éviter de le copier, pour en rejeter le souvenir précis, et créer de sa propre substance d'Artiste ce qui n'existait pas encore. La majorité des bibliophiles pense que, dans l'œuvre de Schmied, la Princesse Boudour, l'Adolescente Sucre d'Amour, le Paradis Musulman, et le Livre de Ruth et Booz sont les quatre piliers du Temple élevé durant ce premier tiers du vingtième siècle. Pour notre part, nous pensons que, dans une telle œuvre, 87 le choix serait presque une impertinence. Là où il y a unité, comment préférer ?... Avec Schmied, à chaque tournant de page, on est face à face avec l'Unité et avec le Merveilleux. Une telle somptuosité n'a guère été atteinte qu'autrefois par les maîtres de l'Iran et de la cour des Babérides de l'Inde. J'ajouterai que cette somptuosité vient de se manifester, dans notre Maroc actuel, par une nouvelle œuvre de celui dont nous avons la chance d'être les contemporains, œuvre exposée pour la première fois ici-même, sous vos yeux et le titre : Montagne Atlas. Cette œuvre, le Général Catroux que vous tous avez connu et aimé dans ses fonctions de Comman¬ dant du Territoire de Marrakech, l'a caractérisée en ces termes: « Ce que Fromentin n'a pas traduit ou n'a pas su traduire, François-Louis Schmied l'a rendu avec toute sa sensibilité de grand artiste. » Admirez donc, je vous prie, avec moi, avec quel atten¬ drissement notre ami Schmied, que l'on peut appeler le Fou de la Couleur, comme le grand Japonais Hokousaï était le « Fou du Dessin », avec quelle passion contenue, il a rendu, au moyen des fragiles outils du graveur et du coloriste, la fermeté et la grâce masculines de ses adolescents, et la tendre chair de ses radieuses jouvencelles. Et tout, et tout... Aussi n'ai-je point été autrement étonné, lorsqu'un de nos maîtres les plus notoires de l'Ecole des Beaux-Arts, après avoir longuement feuilleté chez moi mon Exemplaire du Paradis Musulman, me dit : « Quelle leçon de modestie pour nous tous, tant que nous sommes ! Quel art rayonnant de bonheur ! Cet homme, votre ami, est le Créateur du Beau. Livre moderne. » Dr. J.-C. MARQRUS. (Propos inaugural d'une exposition organisée à Rabat, par la Société des Amis des Lettres et. des Arts). 88 Fille J, loie Nul encore ne la connaissait à la Marine. Les premières fois qu'on la rencontra rue des Trois-Couleurs et place Mahon, chacun se dit : — Ouala une nouvelle qu'elle est taiba. Avec une petite gazelle comme ça, jeunette, bien roulée, et tout, par force le gousto il te vient... Mais les jours suivants, quand on l'interpella au passage, qu'on lui lança des œillades, qu'on la suivit en lui murmu¬ rant quelques politesses canailles, elle fit la fière ou la sourde - oreille. Elle se mettait à presser le pas, — un pas souple qui laissait percevoir sous le haïk le roulement de belles hanches, — elle serrait son voile sur sa gorge joliment bombée déjà, et, sans un regard pour l'impertiment, s'enfonçait dans l'ombre des ruelles tortueuses, aux environs de la Grande Mosquée, ou disparaissait prestement dans la cohue des arcades Bab-el-Oued. Avec cela, jamais accompagnée. Chaussée de bas fins et de souliers à hauts talons, comme les françaises ; drapée d'étoffes trop soyeuses, le visage si peu dissimulé sous une mousseline transparente ; une boucle de cheveux d'un blond oxygéné sur le front ; les yeux passés au kohol et les doigts roses de henné : tout en elle était provocation. Les grosses kaaba flétries de l'impasse Jénina ne se fussent pas attifées autrement si elles en avaient eu les moyens... C'était à n'y rien comprendre. Aomar, le marchand de gâteaux, Marchica le navigateur, le Pépé du Taxi-Bar qui 89 est pas mal coureur, et toute la bande à Tonio n'en revenaient pas du mépris de cette boudjadia. Dans maints conciliabules de bistrots on tirait déjà des plans pour savoir ce qu'elle avait dans le ventre, et les plus décidés parmi les gouapes juraient même « de lui faire un enfant », lorsqu'on me vit, bien fortuitement, me mêler à cette affaire... Cela commença, précisément, place Mahon, à l'heure de la sieste, du côté des escaliers de la Pêcherie. Sans que j'eusse, en flânant, soupçonné sa présence derrière moi, elle me dépassa avec un sillage d'odeurs à bon marché. Puis brusquement elle s'arrêta, me planta son admirable regard dans les yeux, me lança un — Bonjour Djenane ! qui jne figea d'étonnement, et se mit à rire : — Tu ne me reconnais donc pas ? Ce rire, cette voix fraîche, ce français sans accent, finirent de me décontenancer. L'idée me vint qu'après tout cette fille était peut-être quelque européenne cédant à la fantaisie de se déguiser en mauresque. (J'en connaissais d'assez folles pour se livrer à de telles excentricités). Mais elle me proposa : — Allons à la maison. Suis-moi, si tu veux. Tout le monde nous regarde ici... Sur le seuil du Taxi-Bar, toute la clientèle du Pépé nous lorgnait avec concupiscence. Je suivis la fille en haïk de soie, inquiet et troublé par tant d'équivoque beauté. Qui pouvait- elle être, et comment diable avait-elle connu ce surnom d'amitié de Djenane, — petit jardin, — qu'on m'attribuait plusieurs années auparavant mais qui ne servait plus depuis bien longtemps à me désigner ? Je m'efforçai de maintenir entre nous une certaine dis¬ tance, et je feignis de ne pas m'intéresser à elle en marchant. 90 Ce qui n'empêchait pas les gens de se retourner à notre pas¬ sage. En la voyant se diriger vers cette partie de la rue Mahon sur laquelle s'ouvre le Moulin rouge, j'avais hésité tout d'abord à lui emboîter le pas. La curiosité avait été plus forte que ma pudeur. Elle tourna d'ailleurs bientôt par la rue Duquesne qu'enjambent plusieurs maisons à la turque. Dans la pénombre de ces voûtes, je me sentis moins observé. Mais des bouffées de désir me montaient à la tête et je sentais mon cœur battre à se rompre, chaque fois qu'elle se retournait furtivement vers moi pour vérifier que je la suivais toujours. Après une petite place étroitement emprisonnée entre de hautes murailles tristes, on atteignait de ce côté la rue du Sagittaire par une maison d'angle que je connaissais bien1: le hammam du vieux Youcef. La mauresque blonde parcou¬ rut encore quelques mètres le long de cette ruelle et s'en¬ gouffra soudain dans un trou d'ombre, sous l'arc de pierre d'une porte basse à sculptures rudimentaires, dont la clé de voûte s'ornait de la traditionnelle main de Fatma qui éloigne les chitdnes. C'était une maison très simple, sans skifa : sitôt franchi le seuil et franchi sa marche de grès usé, on accédait, au-delà d'un petit couloir sombre^ au patio central. Ni vasque, ni mosaïque, point de jet d'eau qui chànte. Mais, entre les co¬ lonnes trapues, presque archaïques, aux fûts larges et courts, qui soutenaient la galerie de l'unique étage, flottait une lumière très douce, toute'chargée de mystère. Sans doute, la chaux bleutée, presque mauve, dont l'intérieur de ce puits de fraîcheur était badigeonné, créait-elle cette atmosphère d'irréel. Dès l'entrée, on apercevait de l'autre côté du patio, upe dépendance plus vivement éclairée, toute scintillante de gros bijoux, de parures de sequins, de douros, de louis d'or, accrochés aux murs. C'était un nouvel élément de merveil- 91 leux : un atelier d'orfèvres d'où partaient les rires des artisans accroupis et les bruits des minuscules marteaux ouvrageant les métaux précieux, sertissant les pierreries grossièrement taillées. Mais déjà l'inconnue gravissait les premiers degrés de l'escalier qui grimpait en tournant dans la muraille, du patio à la galerie. Elle me faisait signe de monter. Je ne distinguai rien du reste du logement (mes yeux n'avaient pas eu le temps de s'accoutumer à la pénombre), mais la chambre au sol de tommettes rouges, brillantes com¬ me du corail, et aux murs ocrés de rose, avait un charme naïf qu'on n'oublie pas. Par terre, derrière une table basse, un matelas couvert de foutas à rayures et de coussins de toutes couleurs, servait de divan. Un lit arabe très haut, une sorte de grande cage de métal doré, tout enveloppé de rideaux de cretonne et de gaze, était le principal ornement de cette pièce. Il faisait penser, tant il était imposant, au tombeau de quel¬ que marabout célèbre, sous une kouba sacrée ! En face de lui, une grosse commode louis-philipparde avait des airs d'intruse, avec ses tiroirs de palissandre à poignées de bronze. Mais le plus attendrissant était bien ce couple de colombes courant sur le carrelage, voletant jusqu'au bord de la fenêtre qui prenait jour au-dessus de l'atelier des orfèvres, puis roucoulant à perdre haleine sans s'émouvoir de notre présence. — Me reconnais-tu, maintenant ? Tu ne te souviens donc plus de Zineb ? D'un geste qui avait fait tinter tous ses bracelets, elle venait de se dégager de son haïk qui tomba autour d'elle et de dénouer son voile. Sans la reconnaître à ce moment, je me souvenais, certes, de Zineb, de cette fillette d'un douzaine d'années, dont les jeux et les rires égayaient tout le quartier que nous habitions jadis à Médéa. 92 Je vivais alors avec un oncle. Nous tenions en dehors de la ville, près des remparts sud, une de ces petites cantines, mi-auberge, mi-café, où s'arrêtent, le dimanche, les citadins retour de leurs promenades dans les environs. Nos voisins immédiats étaient des Musulmans : un vieux fellah d'origine turque, un Coulougli clair de poil et de peau nommé Abbas, et sa femme arabe. Il cultivait avec une minutie de Mahonais un lopin de terre maraîchère, et faisait commerce, chaque matin, de fruits et légumes sur une des places de Médéa. Il avait deux filles, blondes comme lui. On ne voyait guère l'aînée : elle était d'âge à être mariée. La seconde était la petite Zineb... Gomment aurais-je pu reconnaître, sous les traits de cette adolescente, presque une femme, l'enfant simple et rieuse pour qui j'avais si souvent accroché des balançoires aux grosses branches des oliviers, dans la campagne du Tittéri... Je fus effrayé de la retrouver soudain si belle et d'une élégance si tapageuse : le mouvement presque voluptueux qu'elle avait pour ajuster le foulard qui maintenait sa cheve¬ lure, faisait saillir sous un corsage rose de jersey, qui les moulait, ses petits seins fermes. Et son serroual était d'Un tissu vaporeux si léger, que lorsqu'elle se baissa pour ramasser son haïk, son corps m'apparut dessiné plus peut-être que dans la nùdité. — Que fais-tu donc, ici ? lui demandai-je. — Rien, me dit-elle après une hésitation. Nous habitons Alger, maintenant, avec ma mère et ma sœur Ouriah. Le vieux est mort. Nous avons vendu notre petit bled de Médéa pour acheter cette maison. Maman l'a payée très cher. Nous avons des locataires dans les logements, à côté. Nous finirons bientôt de tout régler. -—-Ta sœur Ouriah n'est pas mariée ? 93 — Oh non ! me répondit-elle avec étonnement, comme si elle trouvait cette question bien naïve. Il y eut entre nous un silence pendant lequel nous obser¬ vâmes le couple de colombes qui roucoulait sur le rebord de la fenêtre. — Et toi, dis-je, tu ne songes pas à te marier ? — Aouah ! tu n'y penses paS ! le plus riche des fiancés n'offrirait pas deux cents douros de moi ! Je préfère rester ici. Et puis ma mère ne voudrait pas... « Ma mère ne voudrait pas »... J'en étais tout abasourdi de l'entendre dire cela, moi qui connaissais d'expérience, quel point d'honneur se font les Arabes de marier leurs filles très jeunes, parfois même avant la nubilité. — Et comment as-tu appris à si bien parler le français, Zineb ? — Pendant deux ans, j'ai travaillé comme bonne chez un toubib, en ville. -— Et maintenant, tu ne travailles plus ? Elle hésita encore, comme si ma question la gênait, puis : ■— Veux-tu que nous buvions le café ? Asseyons-nous, je vais dire à ma mère de le préparer. Elle s'étendit à demi sur le divan, m'invita à prendre place à son côté. — Ya M'ma ! cria-t-elle. Djibna zouj caouate ! Ma surprise fut à son comble lorsqu'apparut la vieille arabe, la veuve d'Abbas elle-même, portant sur un plateau les gobelets de porcelaine à pieds de cuivre et la bouilloire de café maure, et qu'elle vint les déposer devant nous, sur la table basse, comme aurait fait une servante : sans me recon¬ naître, sans s'inquiéter de la présence d'un étranger dans cette chambre, ni même la trouver insolite... 94 Je ne savais vraiment quelles paroles prononcer, quelle contenance adopter. Zineb, lentement, commençait de servir le caoua, lorsqu'un bruit de porte, de pas, et les voix d'un homme et d'une femme se firent entendre dans le logement. — Je crois que voici ma sœur, dit-elle. A ce moment la voix de femme, dans une pièce voisine, appela Zineb. La jeune fille se leva pour les rejoindre : — Je reviens tout de suite, me dit-elle en sortant de la chambre. Son absence se prolongea. J'entendis bientôt la voix d'homme et les rires des deux femmes, derrière la cloison. Je me levai, impatienté. J'ouvris la porte. Je me dirigeai vers la galerie extérieure pour partir. Au bas de l'escalier en vrille, la veuve d'Abbas semblait m'attendre : — Arba douro, me dit-elle en tendant la main pour recevoir le prix des cafés. Je lui donnai vivement les vingt francs qu'elle me réclamait et traversai le patio en courant. Au moment de franchir le seuil, — quelle ironie ! — j'aper¬ çus sur le battant de cèdre de la porte ouverte, cette inscrip¬ tion grossièrement peinte : Maison honette. René JANON. 95 «G roupement » Simple Réci eeit En sortant de tablé le Colonel m'a proposé sa voiture pour aller dans le haut de la val'lée où j'ai à faire. Après quoi nous pourrions prendre un bain dans le trou que les eaux forment au sortir des gorges - « Plus rien à faire aujourd'hui : ici comme en toute chose, préparer est un gros travail auprès duquel l'exécution n'est rien. D'ailleurs il nous faut fêter la victoire. Car - il se tournait vers un officier, hôte de passage - vous savez que nous venons de vivre des heures héroïques, Aujourd'hui, jour J, tous les objectifs ont été atteints sans coup férir ! Le Ministre a télégraphié ses félicitations; le général a été nommé divisionnaire. » L'hôte accordant un crédit trop manifeste à ses assertions sensationnelles, il coupa court ; « Et tous les chefs d'escadrille passent Commandants. » « A dire vrai, ajouta-t-ïl pour moi, tous les groupements ont bien atteint « leurs » objectifs. Mais l'un d'entre eux s'est trompé. Le Capitaine L.. est d'ailleurs bien excusable et il est en train de répa¬ rer son erreur. Un tel vous êtes en retard pour déjeuner ; à l'amen¬ de. » .-—« J'étais de patrouille, mon Colonel. » — « ...fiche. Que fait le Groupement A ?» - « Il est à mi-chemin, pas de réaction. » Deux heures plus tard, l'automobile du Colonel-,descendait len¬ tement la falaise vers la vallée. Le plateau se cassait après des ki¬ lomètres de terres noires, et si uniformément plates et désertes que pas un objet n'aurait pu s'y dissimuler au regard autrement que par l'éloignement. Là, les eaux, après avoir troué les terres ocres de la 96 montagne, avaient eu encore à se frayer un chemin dans toute l'é¬ paisseur du plateau, et elles coulaient en les séparant l'une de l'au¬ tre en une rimaye démesurée. Au delà étaient les croupes fauves de la montagne. Une fois de p>lus je notai combien leurs teintes veinées se rapprochaient de ce mastic appétissant qui nait sous le couteau à palette d'un peintre après une journée de travail. Mais je savais aussi que ce procédé, appliqué avec préméditation, n'a¬ boutissait jamais. Les contreforts s'étageaient en trois lignes su¬ perposées dont la dernière se relevait en roches rouges abruptes. Dans une de leurs échancrures, tout au loin, à peine plus bleue que le ciel, et émotionnante de délicatesse dans le paysage âpre, clair et réel, une lointaine ombre pastel enchâssait un joyau de neige. Ce point minuscule prenait à lui seul toute l'importance du paysage. On le sentait d'un autre monde. Le dernier avion de la journée partit faire sa ronde. Il décrivit son orbe puis piqua vers le point neigeux. Il n'eut pas semblé possible qu'il échappât à son appel. La voiture cahota sur les pierres du gué, franchit Je poste de sé¬ curité, hésitant à laisser passer quelqu'un à cette heure tardive, fût- ce un Colonel d'Aviation, remonta des haies de lauriers-roses en fleurs, domina de vertes luzernes et des abricots mûrissants, nous laissa continuer à pied suivant de petites levées de terres ou des rigoles encore humides de la dernière irrigation. L'eau était bonne, au-dessous d'un village soudain dévoilé par les ombres d'un rayon horizontal qui, seules, le distinguaient du rocher où il s'a¬ dossait, invisible comme un caméléon. Les trois couleurs s'abaissaient sur le poste au moment où nous rentrions. Tandis que le Colonel était accaparé par son adjoint af¬ fairé, je m'attardai à voir les ombres immenses et bleues prendre possession du massif hostile qui, par delà la plaine, nous faisait vis-à-vis. Un à un les grands engins couleur émeraude, étaient ren¬ trés et amarrés dans leur enceinte, abri précaire contre Je vent du soir qui se levait et faisait claquer les amples pantalons serrés à la cheville du groupe que je rejoignais. Mais le Colonel, du bureau, me 97 fait signe, l'air soucieux. Effectivement le groupement A dont il était question tout à l'heure était en difficulté. L'avion de service avait signalé qu'à peine arrivé à sa position il avait été violemment at¬ taqué. Présentement, penchés sur le dos du radiotélégraphiste, nous voyions s'inscrire un message. L'observateur signalait qu'il soute¬ nait à la mitrailleuse. Le soir, à table, il nous dit que les panneaux de signalisation n'ayant pas eu le temps d'être tous installés, il craignait de tirer sur nos hommes. La lumière déclinait avec la poussière soulevée par le vent, et la nuit. Le groupement A est isolé à 2.500 mètres d'altitude jusqu'au lendemain. A soixante dix kilomètres de nous, va se jouer un jeu dont nous vivons les prémices par brefs petits échos de T.S.F. Bientôt même le silence se fera et la sentinelle vigilante de jour prendra terre de¬ vant nous à l'extrême limite de la visibilité. De même que dix ans auparavant, 'le monde entier vivait heure par heure la tragédie des naufragés de « l'Italia » perdus sur la banquise du pôle, de même aujourd'hui la petite communauté d'hommes que nous sommes, isolée dans ce cercle de déserts et de montagnes, assistait au début d'un drame dont rien ne pouvait laisser prévoir le dénouement. L'heure du diner ramena à la table confortable du mess les deux hommes qui, moins d'une heure auparavant, s'étaient mêlés à ce monde lointain et mystérieux dont leur machine avait semblé subir l'attraction. Près du joyau enchâssé de neige, dans l'air glacé de l'altitude, ils avaient frôlé de leur aile ce lieu aussi isolé - ce soir - du reste du monde que s'il eût été au Pôle, et presqu'aussi proche des limites de la vie. Quelque chose d'eux, un message, quelques balles avaient uni ces deux mondes séparés ; ils avaient identifié la petite taille de L... entre ses deux officiers. L'espace d'une se¬ conde, ils avaient vu sa face levée vers eux. L'instant d'après, ils n'étaient plus les uns pour les autres qu'un point. 98 Quelques-uns d'entre nous ramenèrent ce cas au niveau d'une incorrigible jovialité. Mais 'la plupart ne marquèrent même pas qu'ils pensaient à trois des leurs, seuls, avec trois cents hommes prêts à les lâcher, au milieu d'une horde de montagnards. Ils en avaient le droit, car demain ce pouvait être leur tour. Peut-être néanmoins évaluait-il, cet homme jeune dont le regard se déplaçait lentement et dont la bouche ne semblait pas faite pour sourire, la valeur d'une minute passée là-haut, ce soir, en regard de celles qu'il vivait à ce diner de mess qui les réunissait depuis un mois sous cette baraque ? Ou simplement gardait-il un peu du malaise qui l'avait saisi dans la sarabande menée au passage des crêtes, alors qu'il s'affairait entre sa radio, ses crayons et sa mitrailleuse. La chaleur cuisante du jour avait fait place à un vent froid de plateau. Comme je regagnais le lieu où je couchais, il faisait vibrer les barbelés de l'enceinte que je devais longer. Je m'orientai sur le pas de la sentinelle, puis sur les cigarettes de deux militaires le long du mur. Un homme poliment m'apporta un verre de thé dont le frais arôme donnait à ce triste espace éclairé par un tronçon de bougie, un peu de ce que, ailleurs, peut apporter dans une chambre médio¬ cre la présence d'une aimable femme ou d'un bouquet. Si peu ce¬ pendant, il suffit pour que les murs prennent une signification et isolent, où que l'on soit, de la réalité hostile environnante - remous des villes, houle de la mer, ou, comme ce soir, la ténacité de ce vent insistant, au dehors. Souffler la bougie et savourer sa pipe, en contempler la lueur qui sort du fourneau jusqu'au moment agréable où l'on ne sait plus si on la voit ou si on l'imagine. Mais, après une succession de rêves rapides, un tableau s'est fixé à mes yeux. Mon esprit s'est immobilisé sur un fait, maîtrisé, comme un avion vacillant sous le coup de tangage, par la main du pilote, à la seconde où il va prendre sol. 99 Les hommes, avec de beaux gestes, s'étaient drapés en se levant. Ils avaient compris, bien compris, où il fallait aller, et, la nuit der¬ rière eux, avaient descendu et remonté des pentes caillouteuses, puis, après une grimpée plus abrupte que'les autres, ils avaient dit : « c'est là ». Le capitaine s'était étonné, mais leurs voix étaient montées pour affirmer avec l'accent de la plus grande conviction que c'était bien là où on leur avait dit d'aller. En bas, dans le noir, était l'aghbalou n'Melghas et i'Is nommèrent la fraction de tribu dont les campements d'été occupaient d'ordinaire l'étroit vallon. Mais plus tard, au fur et à mesure que l'aube glaciale dévoilait les sommets environnants, la vérité se révélait. On s'était trompé. Les hommes s'accroupirent avec les mêmes beaux gestes et ne firent aucune difficulté pour reconnaître que là n'était pas le lieu désigné. Il fallait y aller. Mais ils ne voulaient pas y aller. Ils avaient peur de se faire casser la figure ? Oui, ils avaient peur de se faire casser la figure et tout le monde aussi ; et puis il n'y avait pas de chemin. Alors pourquoi n'avaient-ils pas dit cela la veille ? Ils se regardè¬ rent un instant. Le capitaine voulait marcher en avant ; c'était aus¬ si l'idée du Général, il fallait bien aller ; mais pas là-bas, non ils n'iraient pas. Ils y allèrent pourtant, le Capitaine en tête,-pendant des heu¬ res, mais sous la chaleur brûlante du jour. Les bêtes de somme hale- taient sous la poussière, si fine que même les talons nus des hom¬ mes la soulevaient. Ils avaient dit vrai, le chemin était dur, et l'é¬ nergique petit capitaine dut hisser presque son cheval par la bride pour arriver au sommet. Loin derrière, on voyait briller les caisses de munitions et les outres du convoi qui cherchait des pentes moins abruptes le long des ravins. Tout de suite le capitaine parcourut les croupes désolées, à che¬ val, tandis que ses deux officiers sans laisser de repos aux hommes faisaient entasser les pierres plates en murettes d'enceinte. Le paysage ? Je n'avais pas besoin de beaucoup d'imagination pour l'évoquer. Toujours les mêmes vagues de montagnes s'entassant 100 les unes derrière les autres, toutes identiques, saut sous les éclaira¬ ges divers. Eblouissantes de clarté au soleil avec des trainées de ri¬ goles jaunâtres qui les faisaient ressembler à des ballons dégonflés que modèle le vent, elles prenaient sous l'ombre des grands nuages qu'amenait l'orage journalier de haute montagne, l'aspect de bron¬ zes en plein air d'où coulent des humidités bleuâtres. Par delà le sommet, les croupes fuyaient vers la large vallée. Les derniers con¬ treforts de terres rouges sillonnées par l'érosion paraissaient de grandes fourmilières. A l'horizon, les monts étaient d'un bleu noir. Le cours de la vallée se décelait de si loin par'la clarté adorable de ses verts pâles au milieu du paysage métallique et brûlé. L'avion de garde passa, moteur ralenti. Le bout de son antenne, se démenant comme un gros bourdon, inquiéta un moment les travailleurs. Eux seuls bougeaient dans ce paysage. Aucune autre trace de vie ne se voyait à première vue. Les mulets du convoi avaient disparu au pied d'un piton. Tout en bas, quelques traces marquaient 'l'empla¬ cement de tentes évacuées en grande hâte. Cependant au loin une poussière rouge montrait l'emplacement de la piste qui s'affairait dans la vallée, ouvrant chaque jour quelques kilomètres de plus aux camions citernes et aux mulets ravitailleurs de la colonne dont le groupement A n'était que !la sentinelle. Dominant la coupure som¬ bre du ravin de Titaouine, un rocher s'embua de la fumée d'un bivouac. Sa vue fut pour le Capitaine comme le rappel des couleurs au coucher du soleil. Dans la vallée, d'autres fumées légères s'éle¬ vèrent plus en avant, feux de villages, ou obus diplomatiques tom¬ bant soigneusement autour des ksours, simples avertissements d'une force qui arrivait comme une chenflle avec la piste. Dans les gorges, d'un bleu diaphane maintenant, un bêlement se répercuta, un troupeau de chèvre sans doute oublié dans les som¬ mets et que le pâtre poussait vers de nouveaux campements. Dans la vallée, puis sur des croupes, la vie se montra. Au pied des pentes, des points blancs et noirs se déplaçaient rapidement, disparaissaient et reparaissaient plus proches. Ils arrivaient de tous 101 côtés. Des hommes montés deux à deux sur des mulets rejoignaient de petits groupes à pied qui couraient ensuite avec eux. Les plus proches pentes les cachaient ensuite. L'avion repassa, rasant de plus près les crêtes, et l'observateur, debout dans la carlingue, lança son message puis fit un geste. Un coureur envoyé par le sergent du con¬ voi annonça que les mulets devaient être en partie déchargés à cer¬ tains passages et qu'il ne pouvait arriver avant la nuit. Les guides, abandonnant leurs beaux gestes avec leurs lourds burnous, s'affai¬ rèrent avec les autres. Leurs petits yeux vifs rajeunissaient leurs fi¬ gures de gnomes viei flots et imberbes. L'embonpoint et la barbe noire de leur chef contrastait avec leur débilité apparente d'insec¬ tes. Il se déplaçait avec aisance et semblait rouler avec la caillasse le long des pentes. La poignée d'un pistolet automatique se mon¬ trait dans un étui brodé de soies vives à ses côtés. Les premières détonations éclatèrent au moment où le soleil dis¬ paraissait. Le goum envoya quelques coups de ses fusils mitrailleurs dans le but d'annoncer leur présence peu goûtée des montagnards. Les coups de feu d'abord invisibles devinrent de plus en plus rouges avec la lumière qui baissait. L'avion piqua une dernière fois, on entendit sa mitrailleuse, puis il remonta, inutile dès lors, vers le ciel d'un vert d'enluminure. Seul désormais, le capitaine fit une dernière fois le tour du mamelon. Bornée d'abord à un seul côté, la ligne de feu s'étendait et peu à peu les travailleurs devaient s'abri¬ ter derrière leurs murettes à demi montées. Les officiers s'effor¬ cèrent de les faire tirer moins vite. Couché sur un rocher, le capi¬ taine vit les formes glisser sur les flancs et disparaître derrière les à pics. Cinq minutes après il exposait sa situation : 10 cartouches par homme. Dans une demi-heure l'encerclement complet ; séparés des munitions, ils tiendraient certainement jusqu'à 10 heures. C'était tout. D'un autre côté le décrochage, la chance - avec la nuit. Tous les trois furent d'avis de tenter cette chance. C'était l'a¬ vis des chefs, bien qu'on ne le leur eût pas demandé. Leurs visages 102 ne révélaient pas la moindre trace de supériorité qu'aurait pu pro¬ voquer leur avis de la veille, non plus que la conscience de leur res¬ ponsabilité. Ils étaient tout au présent. Ce fut le goum qui décrocha le premier. Laissant l'adjudant, un gamin de vingt ans, avec quelques hommes et une arme automati¬ que, il dévala la pente du piton et s'installa à cheval sur une crête inférieure, à l'abri d'un banc de rochers crayeux. Le capitaine passa avec l'un des chefs et fit lever un homme sur deux qui partirent emmenant les morts et les blessés et rejoignirent le goum. Les coups de feu se rapprochaient maintenant ; à certains endroits les deux lignes semblaient près de se mêler. Le capitaine sentit les yeux fixés sur son bras qui aflait donner le signal. Il était plus que temps. Déjà on ne le distinguait presque plus. Ma pipe s'était éteinte, serrée à se casser entre mes dents. Le décrochage en pleine nuit, la mêlée, les cris s'achevant brusque¬ ment. Je me retournai. Le vent s'était calmé. On n'entendait plus qu'au loin l'inévitable aboiement d'un chien. Les détonations mal ajustées d'un moteur encore froid me ré¬ veillaient. Je regardai la fenêtre. La nuit était moins noire. Les ex¬ plosions se régularisèrent, le ronflement s'amplifia. Il se calma, puis repartit et diminua avec l'éloignement. La première patrouille dans une demi-heure allait nous dire. Ce ne fut que beaucoup plus tard que je rencontrai, gelant dans son pantalon de Saharien au seuil de la popote, le Colonel qui pes¬ tait contre son café brûlant. « Le groupement A ? Il va très bien. A décroché en pleine nuit, rejoint ses munitions. Un seul tué. Dix- neuf sur vingt ». Lumière. Jacques BALAY. (Vallées et nuages) 103 ne Culotte il Il avait bien raison, ce pauvre abbé Chichambre, de craindre qu'on manquât de respect à cet âne. Car c'était bien l'âne le plus singulier qu'on pût rencontrer par les sentiers qui montent de Pei- rouré aux collines. Pendant le printemps et l'été, passe encore ! Par ses dehors rien ne le distinguait de tous les autres ânes qui font craquer le chardon sous leurs grosses dents jaunes, à vingt lieues à la ronde autour de ce beau village où l'abbé Chichambre nous en¬ seignait la charité. A première vue, un âne comme beaucoup d'ânes, un âne moyen ; non pas un âne pétulant, un de ces ânes qui sen¬ tent encore le lait de 'l'ânesse, qui cabriolent sur les talus, qui ruent dans les brancards, lèvent la croupe et braient comme douze trom¬ pettes dès qu'ils reniflent l'odeur énivrante de l'âne, et Dieu sait si c'est une odeur répandue !... Pas davantage un de ces vieux ânes butés, qui marchent le museau entre leurs pattes, sournois, rusés, aigris, la lippe baveuse, méditant la ruade, le coup de dent, l'arrêt brusque, le départ en trombe et qui, patients sous 'les plus rudes volées de bois vert, attendent de passer devant une mare fangeuse pour courir s'y vautrer avec toute leur charge sur le dos. Non ! Mais un âne discret, un âne un peu sur le retour, peut-être, le poil gris, bien brossé ; un âne à l'oreille nonchalante, un âne à l'œil modeste ; un âne à la démarche mesurée ; un âne sans insolence ni bassesse ; un âne qui se savait âne et ne rougissait point de l'être, mais qui l'était bien ; qui savait marcher, s'arrêter, 104 repartir, tourner, boire, brouter, regarder, écouter, obéir, tout comme un âne ; un âne qui aimait certainement la réflexion ; un âne qui avait beaucoup vu, beaucoup appris, beaucoup retenu dans sa vie : un âne qui avait beaucoup pardonné ; un âne affectueux, sensible aux bonnes manières, poli dans ses contacts avec les ânes et déférent sans platitude dans ses relations avec les hommes ; un âne qui pouvait se présenter, partout, chez l'épicier, à la porte de l'auberge, devant l'Hôtel-de-Ville sans causer un de ces bruyants scandales d'âne, comme en provoquent quelquefois par leurs cris et leur attitude incongrue les autres ânes ; un âne pour tout dire qui se trouvait à sa place aussi bien dans son écurie que sur jie parvis de l'église ; un âne doué d'âme, bon aux faibles, honorant ses dieux ; un âne qui pouvait passer partout la tête haute, car il était honnête ; un âne qui, s'il y avait une justice parmi les ânes, eût été la gloire de sa race. Hélas ! toutes ces admirables qualités, qui lui valaient beau¬ coup de considération dans le village, elles risquaient chaque année à l'entrée de l'hiver, de tomber dans l'oubli. Cette estime qu'on lui témoignait et dont à part soi il faisait certainement ses délices, il était menacé de la perdre dès les premiers froids de Décembre. Car alors cet âne parfait portait des pantalons. A vrai dire, ces pantalons ne recouvraient que ses deux pattes antérieures. C'étaient de beaux pantalons de velours brun, côtelé, luisant, attachés au poitrail et au cou par des bretelles de cuir bien astiquées. L'échine et l'arrière-train recevaient protection d'une couverture de laine et un bât sanglé avec soin fixait ce remarquable équipement. Le malheur c'est qu'il attirait singulièrement l'attention et si, comme l'a affirmé le Sage, il arrive que l'attention soit déjà de l'amour, le plus souvent, à notre avis, elle n'est que la mère de la malice. A preuve que, la première fois que je rencontrai Culotte, je ne pus m'empêcher d'éclater de rire tellement je le trouvai ridicule. 105 Précédé et suivi de quatre ou cinq vauriens qui s'égosillaient à lui lancer des quolibets, il déboucha gravement de la rue Lassis- sole. Il portait ses beaux pantalons. Nullement gêné dans sa marche, il s'avançait à pas minutieux faisant claquer gentiment ses petits sabots, sur le caillou pointu. — Tu perds tes braies, Culotte ! criaient les garnements. Et ils braillaient une chanson : Faites du feu, il va neiger. Le curé rentre ses carottes, Voici l'hiver ; tante tricote, Le facteur porte un cache-nez Et le baudet a mis culotte, Pour aller chez le boulanger ! Faites du feu, il va neiger... Cette chanson était le fait du Receveur des postes, jeune citadin à lunettes et qui, au milieu de ces paysans, posait au be'l esprit. Culotte, qui souffrait (depuis je l'ai su) mais qui n'en laissait rien paraître, s'arrêta devant la boulangerie. Il portait deux grands couffins. Le boulanger, dès qu'il l'aperçut déposa trois énormes pains bis et un sac de son dans le couffin de droite, puis il offrit une poignée de blé à l'âne qui la mangea proprement dans sa main. Après quoi Culotte traversa 'la Place de l'Horloge et fit une station à la devanture de l'épicier-droguiste. Il reçut de ce commerçant quatre boîtes de sucre et cinq à six morceaux de savon. Là aussi on lui fit une politesse ; on lui offrit quelques belles feuilles de chou croquantes. S'étant remis en chemin toujours suivi de son cortège, il con¬ tourna la mercerie, croisa la mule de Cocardo le pépiniériste, sage¬ ment, sans même 'lui donner un regard, enfila la venelle des Pis¬ tachiers, coupa la Grand'Rue, avec prudence, but deux ou trois gorgées au bassin de la Belle-Croix, dépassa les dernières maisons et se retrouva dans la campagne. 106 Fait curieux, les gamins s'arrêtèrent là. Aucun ne le suivit à travers champs et fait plus singulier encore, si on ne s'était point privé de le railler, personne n'avait essayé le moindre geste : pas un caillou, pas un coup de bâton sournois. Certes on sentait bien que 'l'envie n'en manquait pas à ces saute-buissons qui par ailleurs comptaient à leur actif plus d'un tour pendable. Il y avait là de petits fripons, comme Sucot, le fils du Bohémien qui raccommodait les corbeilles, un frisé, aux dents de loup, à l'œil mauvais, petit râblé et qui ne respectait Dieu ni Diable. Mais tous, même Sucot, s'ils al'laient jusqu'aux limites de la moquerie, s'en tenaient là. L'injure elle-même était rare, et Dieu sait si elle coûte peu ! Un je ne sais quoi de puissant et de tendre semblait veiller sur l'âne. Où qu'il allât, cette bienveillante occulte l'accompagnait. Quand i'I eut disparu à l'angle d'un vieux mur, derrière le Clos de la Chapelle, je fis comme les autres, je m'arrêtai. Mais, tandis que les autres rentraient bruyamment au village, moi, je fus retenu par le désir de voir où se dirigeait cet âne singulier qui circulait ainsi, seul, à travers la campagne. Je l'aperçus plus loin, sur le pont de la Gaïole. Ensuite i'I obliqua, reparut devant l'oratoire de Sainte Anne et finalement je le perdis de vue dans ce bois d'oliviers qu'on appelle le Quartier de Sagesse. Henri BOSCO (à suivre) 107 CHRONIQUES Les Lettres Ckromque - Eclair LES LIVRES Guy Mazeline. — Les îles du matin (Gallimard). — Mazeline prend du poids. José Germain. — Les enfants perdus (A. Michel). — Notice sur l'au¬ teur (extrait) : « Trois fois lauréat de l'Institut... Il faut avoir beaucoup vu, beaucoup vécu, beaucoup entendu, beaucoup créé, beaucoup souffert pour avoir le. droit de beaucoup écrire ; José Germain a ce droit. » Ceux qui n'ont rien vu, ni vécu, ni... ni... ni... ont ici, du moins, l'occasion de beaucoup souffrir. , Lydia Cabrera. — Contes nègres de Cuba (Gallimard). — Beaucoup de nègres pour rien. Edmond Jaloux. — La chûte d'Icare. — « Icare chut ici, le jeune auda¬ cieux. Mais que diable Jaloux allait-il faire aux cieux ? ». Marcel Peyrouton. — Itinéraire de Casablanca à Tunis, 1922 (Les Ecrivains Français). — « Je souhaiterais que mon acte, en ce qui concerne l'Empire Chérifien, apparût comme un témoignage de gratitude, une sorte 108 d'offrande à la mémoire de mon illustre prédécesseur, M. le Maréchal Lyautey, qui pacifia le Maroc et, lui ayant donné la vie, n'eut pas d'autre pensée que d'y revenir et^ par sa présence invisible, de continuer à le ser¬ vir ». W.-N. et L.-A. Kellog. — Le singe et l'enfant (Stock). — Ces Améri¬ cains ont, neuf mois durant, côte à côte élevé leur petit Donald et la gue¬ non Gua. Qu'il n'y ait, pour un homme, plus utile instruction que d'avoir tôt connu la bête, certes. Mais c'est le chimpanzé qui dût être bien moqué quand il s'en revint chez ses pairs. LES AMITIES PERIODIQUES Le Feu, (Aix-en-Provence, mai) publie un très beau poème provençal de Joseph d'Arbaud, La barco di Santo (La barque des Saints) : « La barque mince s'en va — sur les ondes qui miroitent, — au soleil qui darde et luit, — au souffle du vent léger... ». Dans le Divan (mai), Henri Martineau écrit un article intelligent et sensible sur les vers inédits de P.-J. Toulet récemment réunis. Il en cite : Toi qui laisses pendre, reptile superbe, Au bord de mon lit, tes splendeurs glacées, Pourquoi me parler des choses passées ? Te crois-tu le seul à glisser dans l'herbe ? Le Bulletin des Lettres (Lyon, mai) consacre à Albert Thibaude! un bel hommage. « Nous savons que Thibaudet est mort avec la simplicité et la résignation d'un chrétien, regardant venir la mort quinze jours durant et gardant sur son visage une sorte de tranquillité et même, de majesté pay¬ sanne, au dire de ceux qui l'assistaient à ses derniers moments. » 109 C'est dans Eurydice, cahiers de poésie et d'humanisme, que nous avons lu avec admiration une paraphrase du Cantique des Cantiques, par Pierre Pascal : Ah, d' un pain de muscat stimulez mon cœur lourd, Puisque je meurs d'aimer que son levain me sauve. Ses bras sont plus profonds qu'une céleste alcôve... Alertement écrit, ingénieusement illustré, le Point s'efforce d'éclairer, d'éduquer les Alsaciens. Il est très sûr de ses propres jugements et fait honte aux provinciaux de leurs goûts et de leur apathie. Le premier numéro fut consacré au roman, avec un texte liminaire de Jean Schlumberger. Sympathique. Est -ce la réponse définitive à la question : « André Gide est -il un roman¬ cier ? » Les personnages qu'il a créés enfantent. La Revue de Paris, du 15 juin commence la publication de « Geneviève ou la confidence inachevée », récit « s'ajoutant aux deux autres (« L'Ecole des Femmes » et « Robert ») comme le troisième volet d'un tryptique. » Sur le roman aussi, la Revue hebdomadaire (2 mai) publie des « Pa¬ radoxes », qui n'ont rien de heurtant, de Lawrence. Montherlant (de qui la Nouvelle Revue Française, publie « Les Jeu¬ nes Filles ») donne quelques pages d'une ligne admirable (Une séance de pose) aux Cahiers du Sud (mai), où Jean Grenier entrouvre les paradis de Lourmarin. Le fascicule d'avril avait été consacré à Pierre-Jean Jouve. Europe (15 mai) : « Les beaux quartiers », par Louis Aragon, ce bel artisan de notre langue écrite, et un chant d'espoir de Jean-Richard Bloch, qui conclut : « Nous sommes au commencement de tout. Mais le seul air qui conférera à cet immense changement sa vertu..., c'est l'air de la liberté ». Ainsi soit-il. 110 Parmi les disparus, nous préférons que soient évoqués les plus pitto¬ resques : Le Cardonnel, par M. Christhoflour (Mercure de France, 15 mai), Bloy et Henry de Groux, par M. Baumann (Revue Universelle, lor mai). Mesures poursuivent le cours de leur seconde année. Elles recueillent l'héritage de Commerce et du Navire d'Argent. Le temple sacré des lettres toujours se relèvera. Aucun fascicule n'a encore paru sans révéler un texte précieux : de la Judith, de Claudel, du D-D-D, de Valéry, aux tra¬ ductions de Holderlin par Jean Tardieu et d'Eckart par Madame May- risch-Saint-Hubert. Au sommaire du dernier numéro : Poètes et Mystiques, par Rolland de RéneVille, et Stefan George, traduit par Catherine Pozzi. Le Bulletin Economique du Maroc d'avril est particulièrement riche : Les dépenses du Protectorat pour la mise en valeur du Maroc de 1928 à 1936, par Jean Maréchal ; Où en est la recherche du pétrole au Maroc ? par Léon Migaux ; Nomadisme et sédentarisation en pays Ait Atta, par Georges Spilmann ; Les relieurs de Fès, par Guyot, Paye et Le Tourneau. En juillet : Les conditions de vie au douar Doum de Rabat, par Baron, Huot et Paye ; Les Mines marocaines et les Marocains, par Georges S. Colin. MEMENTO MAROCAIN Albert Laprade : L'œuvre de Marchisio à Rabat (« L'Architecture », 15 mai). — « L'Architecture d'Aujourd'hui », numéro du mois de mars con¬ sacré à la France d'Outre-Mer, aussi insuffisant que le précédent. Pelletier et Roubàud : Empire ou Colonies (Pion). — Clarjean : Pétrole nord-africain (« L'Afrique française », mars). — P. de Cénival et Ph. de Cossé-Brissac : Les Sources inédites de l'Histoire du Maroc, Ar¬ chives d'Angleterre, 3e volume (Geuthner). — Philip Thornton : The voice of Atlas.. In search of music in Morocco (Londres, Maclehose). •— Cha¬ noine Jean Dermine : Im vie spirituelle du P. de Foucauld (Lethielleux). — Lévi-Provençal : Les « Mémoires » d'Abd 'Allah, dernier roi ziride de Grenade (« al-Andalus », Madrid). 111 oélections et commentaires SELECTIONS Léon Daudet. — Bréviaire du Journalisme (N.R.F.). Julien Green. — Minuit (Pion). François Berthault. — Vaisseaux solaires (Corréa). La Gloire de Don Ramire, illustré par Jean-G. DaragnÈs pour les bi¬ bliophiles de l'Amérique latine. COMMENTAIRES Chants pour l'âme de l'Afrique, de Gabriel Germain (Tunis). — J'en veux un peu à M. Germain d'avoir inscrit, à la fin de ses chants, deux re¬ marques, l'une sur sa prosodie, l'autre sur les justifications qu'il en pourrait fournir. Un poème ne se justifie pas ainsi du dehors, ni pour ce qui est de sa forme, ni pour ce qui est de son contenu, du reste inséparables. Un poème est ou n'est pas poésie, et il n'est poésie, d'abord, que si l'être en est un, indivisible. Si l'on réussit à en séparer l'expression de la pensée, je dis qu'il ne. fut jamais poésie. Celui qui écrit un poème engage autre chose que sa pensée — et bien plus qu'elle — il engage son être tout entier. Tissu comme il l'est, cet être, de millions de morts et de tous les apports de la vie uni¬ verselle, c'est par le mouvement du sang qui les reçoit, par les coups res¬ piratoires qui obéissent au rythme dti cœur, qu'il marque ses moments lyriques d'un accent personnel. Le cri nous est fourni ; c'est lui qui fait battre le sang. Sans ce cri, sans ce battement, point de poésie. Par bonheur, ce cri, on l'entend dans les Chants pour l'âme de l'Afri¬ que et un beau mouvement passionné (quel qu'en soit le système) l'emporte et l'enfonce dans la chair même du poème. Rien de, plus facile que de dégager les thèmes : amour, pauvreté, exal¬ tation de l'abjection, apostolat, panthéisme, mort, unité. Et les influences: la Bible, Claudel. Mais tout cela n'a rien à voir avec la poésie (et quel¬ quefois l'éloquence) qui animent ces chants. Tout cela ne saurait livrer le 112 secret des « yeux frais où passent les sources intérieures ». Si je cite cette belle image, ce n'est point que notre poète ouvre souvent de tels yeux sur le monde. Les siens, ils sont brûlants ; ils contiennent l'ardeur terrible de l'Afrique. Terre nue, terre à peine voilée de lambeaux humains, terre mendiante... Dans cette voix contenue, sous ce ton grave, j'entends la Muse de la violence. Rare, sous ce ciel, la sérénité : Orangers dans la nuit, santal, encens... Mais fréquemment le cri farouche : Afrique, je t'aime, ô sauvage, ô pure comme la Mort ! Ainsi Gabriel Germain est la proie de l'Amour : il aime un continent. Cette Afrique, elle nous a mordu jusqu'à l'âme. Regardez les traces, et là et là... Mais qui est la proie de l'amour subit la hantise de la Mort — et de l'Eternel. J'aime la mort qui me fera poussière d'Afrique. Et ailleurs, en un temps de fugitif apaisement : Je crois que je me coucherais ce soir dans le cimetière Sur une tombe indistincte. Et que je laisserais aller ma vie tout doucement. Ce serait, tranquille, tranquille, Enfin tranquille. Mais cas repos sont rares. La paix définitive, le poète ne la trouvera que dans l'Unité. Et ton âme se répand à la mesure de l'Univers. Ainsi d'une véhémence agitée par l'Amour et qui porte vers l'Eternel naissent ces chants. Ils ne forcent notre audience, ni par la splendeur des images, ni par l'efficacité d'une pensée puissante. De telles images n'y manquent point, ni le poids d'une telle pensée. Mais en nous, ils n'en com¬ muniqueraient ni la beauté ni la noblesse, si, prise entre deux élans d'un 113 sang vigoureux, leur expression n'était jetée sur nous encore chaude du contact de. cette chair intérieure. Lève-toi, mon âme, lève-toi et crie, Rauque de fatigue et désespérée : Au nom de l'homme, donnez-nous l'Amour ! Quelle exigence ! Mais c'est de cette exigence — peut-être téméraire — que jaillit le lyrisme de cette poésie fervente, un peu « rauque » en effet, mais non point d'avoir trop crié, ni trop haut — « rauque » comme au temps de l'amour la voix des hommes et des bêtes. Ignace Legrand. — Héry (Gallimard). — Rien de ce qu'écrit M. Igna¬ ce Legrand ne peut laisser indifférent. Qu'il irrite ou qu'il intéresse, on l'écoute. Il force notre attention. On sent en lui comme un mécontente¬ ment de soi bien plus profond que le simple scrupule artistique. II pro¬ cède, je pense, d'une soif ardente de savoir toujours insatisfaite. Pour M. Ignace Legrand, un livre n'est pas simplement un récit agencé en vue de divertir ou d'intéresser le lecteur. C'est le résultat imparfait d'une dé¬ couverte personnelle qui intéresse la vie même. Quand je dis : imparfait, je me place du point de vue de l'artiste. Il en résulte cependant pour le lecteur, parfois, un sentiment d'insatisfaction qui n'est peut-être que le reflet de celle qu'éprouva M. Ignare Legrand lui-même. De là, chez lui, une tournure d'esprit dramatique, un climat sombre. Mais ce noble tour¬ ment fait, à mon sens, le vrai mérite d'ouvrages comme A sa lumière, leur originalité, leur profondeur si humaine, l'évidence des êtres qui s'y meu¬ vent, et leur amertume qu'on n'oublie pas. Héry, recueil de cinq longues nouvelles est bien de cette famille. Près de la cote 304 et Sandro m'y plaisent particulièrement. L'action y compte moins que la peinture des caractères ; mais ceux-ci vivent, sont présents. C'est le don de M. Ignace Legrand de faire vivre les figures humaines, peut-être, parce qu'il a un sens très vif de la fugacité de la vie. Il en peint cruellement les fuites, l'éphémère, parce qu'il aime la vie. C'est pourquoi sa vision garde toujours une noblesse intérieure. Il n'y a rien d'abject dans les égarements ou les déchéances de ses héros, justement parce que le re¬ gret, la douleur les accompagnent. Ils se voient, ils se jugent ; ils ne se 114 vautrent pas en eux-mêmes ; ils ont le sentiment le plus vif de la beauté du corps et de l'âme. Au-delà de leurs fautes, il existe des biens, en eux, qui restent purs. M. Ignace Legrand est un écrivain spiritualiste qui aime les corps parce que leur beauté relève de l'esprit. Le tourment, qui nous est sensible en lui, prend peut-être son origine de. cette vue et du déchire¬ ment que produit la fragilité et des corps et des âmes. Julien Gkeen. -— Minuit (Pion). — A M. Julien Green, la critique pourra toujours adresser bien des reproches, et singulièrement de ne pas être comme tout le monde. Dans nos lettres, dont le brillant a été si juste¬ ment célébré, il conduit les ténèbres. Qu'on ne s'y trompe pas : les Roman¬ tiques ne l'avaient point fait. Leurs nocturnes sont d'opéra, et une éloquence inguérissable ne cesse de ventiler ces ombres dont très naïvement ils se revêtent. Ils ont porté l'obscurité sur la scène un peu comme d'autres y au¬ raient porté une lampe. Ils n'avaient pas le don de la ténèbre. De propos délibéré ils ont voulu faire noir, pour effrayer, mais sans succès, justement parce qu'ils en avaient l'intention, qui restait visible. On ne les distinguait que trop eux-mêmes qui s'agitaient au sein de ces nuits artificielles. Incapa¬ bles de s'oublier, comment eussent-ils pu communiquer à l'homme d'au¬ tres frayeurs que celle (terrible d'ailleurs, mais en quelque sorte familière) que peut lui inspirer l'homme. Dans la fameuse bouche d'ombre, c'est leur propre bouche qui parle, et non l'ombre elle-même. Mais de la bouche de M. Julien Green sortent les paroles de l'ombre et non celles de l'homme. On ne l'entend pas raconter, lui ; on assiste au spectacle qu'il raconte. L'hallucination est plus puissante que la magie vocale qui l'évoque. Le magicien est-il là ? On n'y songe plus. Qui se sent, après la lecture de vingt pages, arrêté par les formes du style ? Je ne crois pas faire mince louange, en affirmant que la plus haute qualité de cette écriture terrible c'est qu'on n'y prête pas attention. On est transporté au- delà des signes plastiques de la formule évocatrice. Ce miracle me. paraît d'autant plus merveilleux que, dès l'abord, l'auteur nous déçoit. Je ne dis pas ici : l'évocateur. Il ne s'agit que de l'écrivain. En effet, le début du livre offre un tableau mélodramatique, naïf, « roman- feuilleton ». Balzac avait de ces départs qu'il croyait émouvants et mysté- 115 rieux. D'autres détails accrochent : le livre est divisé en trois parties, comme un bon devoir, et il s'agit d'un poème hallucinatoire en l'honneur des té¬ nèbres. A la fin, on devine avec quel sens de l'économie on lâche à nos yeux les personnages inconnus en une sorte de crescendo pathétique. Mais ce ne sont là que de petites taches et je n'en vois point d'autres, de graves. Car il ne peut me venir à l'idée de reprocher à M. Julien Green l'épaisseur de sa nuit, l'excès d'honneur, l'accumulation de catastrophes et l'absurdité des situations; On ne saurait juger un tel livre du dehors. Il-faut ie considérer comme un monde fermé, mu par ses forces propres, gouverné par ses lois particulières ; et, pour le bien comprendre, se poster en son centre, exactement au cœur de tout ce noir. Là, ne plus rien se demander, mais regarder, attendre, vivre avec ces figures de mauvais rêve, ne pas essayer de les enchaîner à sa logique, mais se soumettre momentanément à la leur, venir à elles en somme sans arrière-pensée, non pas en étranger de passage, mais en acteur, en acteur caché ; être comme l'espion des hommes attaché aux pas des fantômes de l'homme. Alors, que de scènes admirables! L'héroïne d'abord, cette Elisabeth, figure ambiguë, en qui passent les dé¬ mons et les anges, qui exerce un attrait sensuel et qui garde longtemps une pureté dangereuse. Autour d'elle, des fous, même ce bon M. Lerat, qu'on dirait quelquefois tenté par le diable. Sa femme, ses filles, peut-on les ou¬ blier ? Et M. Agnel, objet sur quoi s'exerce un humour nocturne. Je ne parle pas de Serge, seul personnage chaud et qui sente l'animal, dans toute cette nuit — ni de M. Edme, le plus mystérieux de tous, celui qui tient la clef de Minuit. Car pourquoi ne chercherait-on pas un sens à ce récit ? Serge n'y symbolise-t-il pas la vie sensuelle et M. Edme, le. spirituel ? Le discours final que tient ce dernier, contrairement à ce que l'on a pu dire, me semble, tout compte fait, la seule parole d'espérance du livre. Ce n'est pas Serge qui l'emporte. Quand Elisabeth meurt, le corps brisé au fond du ravin, ce qu'elle voit, ce n'est pas cette belle et juvénile figure de l'Amour terrestre, c'est la forme candide et ridicule de M. Agnel. Avec lui, elle passe dans le ciel. Sans doute c'est ce qu'à travers les ténèbres, elle cherchait. Car elle n'a cessé de chercher, depuis le début de son drame. Comme tous les ouvrages sortis du souci de l'invisible, celui-ci est parcouru par quelques-uns des itinéraires du mystère. Les êtres qui l'habitent ne se tien- 116 nent pas immobiles ; ils voyagent. Ils suivent ces tracés obscurs qui vont d'une attente angoissée, par des étapes passionnées, jusqu'à ces monuments de la mort bâtis tout autour du continent de la nuit. Car on ne saurait les y éviter. Quand Elisabeth explore, sans lampe, l'immense monastère où la séquestre M. Edme, toutes les découvertes qu'elle fait, et surtout la dernière, celle de l'Amour, la conduisent vers cette fatale frontière. Mais il me sem¬ ble qu'elle, la franchit. M. Julien Green cache, sans doute, le sens exact de ses desseins, sous l'ombre, et sous l'ambiguité de démarches humaines. On tâtonne. Mais l'accent de son verbe, pour amer qu'il soit le plus souvent, trahit tout au moins le désir d'un espoir. M. Julien Green, habitant des té¬ nèbres, aboutit malgré tout à une vision de paradis touchante et familière. Ce cruel est une âme tendre. Henri Bosco. Emile Henriot. — Vers l'Oasis (Pion). — L'attirance du Sud ressentie par un parisien qui entend bien demeurer parisien et invoque aussi facile¬ ment Pierre Benoît qu'Isabelle Eberhardt. Pourtant, le goût e-st ce qui lui manque le moins. « J'avoue naïvement mon plaisir », écrit Emile Henriot. L'auteur s'est embarqué sur une invitation de l'Ofalac, sans autre prépara¬ tion peut-être que le souci de. fixer, avant de partir, la date de son retour, sûr que. d'ici là des plaisirs se seront présentés d'eux-mêmes et au¬ ront été accueillis, à condition qu'ils ne soient pas trop vifs. Si curieux qu'il ne peut être, passionné, Emile Henriot n'aime pas l'ivresse. Les fré¬ nétiques, s'ils le pressent de près, le dégoûtent. Quand une femme se dévêt, il remarque ses jambes laides : est-ce un prétexte, qui lui plaît, pour couper court à l'émotion ? Chemin faisant, il caresse la poésie, la politique et la psychologie. Mais le charme de son ton est plutôt d'être contenu. Il se. cache même son désarroi devant cette Afrique où il n'est pas possible de choisir. Ce qu'il nous apporte surtout, ce sont de petites précisions, très adroites, et jolies. « Les danseuses entrent, elles sont huit, qui nous serrent timidement la main, et puis vont s'asseoir en chuchotant, de part et d'autre de l'orches¬ tre, dos au mur, sur les dures banquettes ». Gui Mémoire. 117 Apparition du lecteur Aguedal est assez éclectique. Il y a du bon, il y a du passable. Peut-on le dire librement ? Oui sans doute. En tout cas, c'est une œuvre qu'on doit aider à se développer. Voici deux suggestions : 1° Aguedal ne pourrait-il prendre l'initiative d'une Société de Bibliophiles marocains ? ; 2° Aguedal ne pourrait-il fonder une Société des Amis des beaux Monuments du Ma¬ roc (Chella, Tour Hassan, Saadiens, Menara de Marrakech, etc.) ? Un Abonné de Tanger. J'ai lu quelques-uns des ouvrages recommandés dans la Sélection d'Aguedal. Ils sont tous intéressants. Mais personnellement je désirerais quelques brèves justifications de ces choix. Comment sont-ils faits ? Sont- ils fournis directement par la rédaction de. la revue ou bien le lecteur y peut-il participer ? Je pense que ce dernier système aurait un certain inté¬ rêt, à la fois pour la Revue et pour les lecteurs dispersés dans tout le Maroc. Duffez, Rabat. Reçu Aguedal et je l'ai tout lu. Bravo. Sa naissance me ravit. Je dirai en toute franchise mes sentiments. Présentation, typographie, format, papier, tout cela est bel et bon. Une seule petite critique : le caractère gras (nor¬ mande, égyptienne, que sais-je ?) pour les mots soulignés est une hérésie, il faut absolument qu'on vous donne de l'italique... Sommaire : c'est bien, mais à mon gré un peu trop éclectique et un peu trop touffu. Je souhaiterais moins de choses, mais plus fermes et d'un choix plus sévère. J'entends bien que cela crée de la variété, mais aussi du papillonnement. Il me semble qu'il vaudrait mieux éviter le trop de petites choses, aussi bien dans l'an¬ thologie que les chroniques et commentaires ; sinon vous risquez de tom¬ ber dans le magazine sans en avoir les agréments pittoresques (photo, des¬ sins, etc...). Je parle d'Aguedal autour de moi et en ferai parler. A..., Paris. 118 J'avais pensé qu'Aguedal aurait été plus — je ne veux pas dire ma¬ rocain — plus « Cahiers de Barbarie », lesquels le sont d'ailleurs plus de titre que d'autre chose. B..., Marrakech-Guêliz. Edmond Jaloux. — La chute d'Icare (Pion). — On est fixé tout de suite. Cela commence par une honorable pensée de moraliste, énoncée en six lignes. Les six lignes suivantes nous fournissent les principaux personnages et la thèse qu'ils vont soutenir. Car il y a une thèse. Ainsi, dès le début, le carac¬ tère du roman s'affirme. Ce drame, le romancier n'en a pas subi la néces¬ sité ; quelque démiurge obscur ne le lui a pas imposé du dedans : il n'est pas de poésie. Il est construction, bâtisse, et cela n'est pas très encourageant. Par surcroît, on apprend tout de suite que l'héroïne s'appelle Liliose et le héros Hyades (au lieu de Jeannette ou de Duplantier par exemple), et l'on perd la foi. Ces noms évidemment ne sont pas doués de « crédibilité ». C'est la conjonction singulière (dirait-on) d'un produit de beauté et d'une constellation virgilienne ; Arcturum, pluviosque Hyadas geminosque Triones. Voilà bien un départ qui manque un peu de naturel. Déjà l'on soupçon¬ ne que tout a été trop bien prévu. C'est un peu comme si on avait fabriqué le cadre et choisi les couleurs avant de peindre le. tableau. Il serait étonnant que tout à coup, malgré l'auteur, un de ces grands mouvements de l'âme qui brisent tout, vint nous ravir. Or, le thème postule ces mouvements. Songez qu'il s'agit du drame des générations vivantes, les nôtres, pères et fils, et qui ne se comprennent pas. Le beau sujet... Mais une quadruple histoire d'amour recouvre et embrouille tout cela. Là aussi brille l'artifice. Liliose (ah ! ce nom ! ) et Marie-Marthe, deux sœurs, brûlent pour le bel Hyades, aviateur. Celui-ci aime Liliose, mais prudemment (il a bien raison). Un troisième personnage, Luc, l'aime aussi, et avec fureur, le pauvre. Tel est le jeu. On nous indique, à la fin, une solution, du reste peu originale., mais qu'on n'applique pas. J'ignore pourquoi, Hyades meurt, brûlé dans le ciel, sur son avion. Les deux amoureuses n'ont plus, 119 devant elles, à aimer que celui qu'elles n'aiment pas, le survivant, Luc ; mais on ne nous dit pas ce qu'elles en feront. Au demeurant cela n'a au¬ cune importance. Personne ne s'intéresse à lui, pas plus qu'aux autres. Le meilleur de ce livre, ce sont, avec quelques petits paysages, les pro¬ pos des gens de raison. Ils sont assez gentils, les gens de raison. Ils ne font pas grand chose ; ils commentent, comme les chœurs antiques. Certes, ils ne disent rien de profond, ni même de pittoresque ; mais ils énoncent des points de vue sages et utiles qui font plaisir à entendre, parce qu'on a l'im¬ pression de les avoir déjà entendus. Le ton en est agréable, de bonne com¬ pagnie. L'expression ne manque pas de noblesse. Le malheur, c'est que tous ces gens là ne parlent pas : on les fait parler. Et je me demande si l'on peut faire un bon roman avec un seul personnage. Vous voyez lequel. C'est le soliloque du pauvre. Jacques Forgey. 120 Les La jM_u.sique L'ART MUSICAL SELON IGOR STRAWINSKY « C'est en vain qu'on chercherait dans mon livre une doctrine esthé¬ tique, une philosophie de l'art » déclare Strawinsky à la fin de ses récentes Chroniques de ma vie (1). A défaut d'une doctrine rigoureuse, exposée sys¬ tématiquement par le musicien de Petrouchka, nous trouvons dans ces deux volumes de précieuses indications sur sa conception de l'art musical. D'au¬ tant plus précieuses que Strawinsky, pour quiconque a suivi l'évolution de sa pensée artistique, apparaît comme un musicien déconcertant de variété. Il va de l'exquis coloris orchestral de l'Oiseau de Feu à la musique âpre et brutale du Sacre du Printemps ; — des débauches rythmiques de Petrouch¬ ka et des Noces à l'écriture strictement mélodique d'Apollon Musagète. Après s'être livré aux essais d'orchestration les plus imprévus, — tels que ceux des Noces ou de l'Octuor — il s'amuse à écrire pour cordes dans le style de Haydn. Il joue à cache-cache avec le public et jaillit subitement de l'endroit où on ne le cherche pas. « Est-il rien de plus admirable, écrit à son sujet Jean Cocteau, que cet homme dur auquel l'opinion amoureuse demande : — brutalise-moi, frappe-moi encore — et qui lui offre des den¬ telles ? » (2). (1) « Chroniques de ma vie ». 2 vol., Denoël et Steele. (2) « Revue Musicale », 1" décembre 1923, p. 144. Arts 121 Quelle est donc la conception d'ensemble qui fait l'unité de cette va¬ riété et qui a présidé à la construction d'œuvres aussi dissemblables ? Il semble que les demi-confidences que vient de nous faire Strawinsky permet¬ tent de répondre à cette question. * * * Deux préoccupations dominent sa pensée artistique : le caractère stric¬ tement objectif, purement intellectuel de la musique, — et une perpétuelle recherche technique. La musique est d'abord un art objectif. Elle n'exprime rien (1). « Je considère le musique, par son essence, impuissante à exprimer quoi que ce soit : un sentiment, une attitude, un état psychologique, un phénomène de la nature. L'expre-ssion n'a jamais été la propriété immanente de la mu¬ sique ». Il s'élève à plusieurs reprises contre les auditeurs qui « veulent tou¬ jours chercher dans la musique autre chose que ce qu'elle est. Ils n'arrivent pas à comprendre que la musique est un fait en soi, indépendamment de ce qu'elle pourrait bien leur suggérer. » — Hélas, ces auditeurs sont encore bien nombreux ! — « La plupart des gens aiment la musique parce qu'ils comptent y trouver des émotions telles que la joie, la douleur, la tristesse, une évocation de la nature, un sujet de rêve, ou bien encore l'oubli de la vie prosaïque. Ils y cherchent une drogue, un doping. » Rejetons par conséquent toutes les considérations extra-musicales, biogra¬ phiques, toutes les « niaiseries sentimentales » dont nous encombrent les littérateurs. Dégageons Beethoven du fatras livresque accumulé par les mu¬ sicographes. « Il est temps d'arracher Beethoven au monopole injustifiable (1) Strawinsky nous rappela à ce sujet un mot admirablement typique de Mallarmé : Degas se plaignait de ne pouvoir, malgré ses efforts, faire de beaux vers. « Et pourtant, disait-il, j'ai des idées. — Ce n'est pas avec des idées qu'on fait un poème, lui répondit Mallarmé, mais avec des mots. » 122 qu'ont pris sur lui les intellectuels et de le laisser à ceux qui ne. cherchent dans la musique que la musique. » Rejetons tout individualisme dans la création de l'œuvre et suivons l'exemple de l'Eglise, qui, nous dit Stra- winsky, a su empêcher le chant liturgique de sombrer dans l'individualisme et le sentimentalisme. Rejetons, à plus forte raison, l'individualisme- dans l'interprétation. Ce dernier mot, d'ailleurs, traduit inexactement le rôle de l'exécutant : il ne doit pas interpréter, mais « transmettre », — et il sera toujours inférieur, dans ce travail de transmission, à l'enregistrement pho¬ nographie de l'œuvre exécutée par l'auteur. > La musique est donc un art objectif, dégagé de tout contact impur avec les sentiments qui agitent l'auteur. L'eau tranquille est plus transparente ; Que toute tempête parente D'une confuse' profondeur. I ' ' . ■ ■ - . ' Tout coïnme il rejette, l'expression du sentiment, Strawinsky rejette le sensualisme musical. La musique s'adresse à l'esprit. Il déclare repousser le principe dyonisiaque « qui présume comme but final l'extase, c'est-à-dire la perte de soi-même, alors que l'art réclame avant tout la conscience de l'artiste. » Il se réclame du principe apollinien qui marque le triomphe « de la conception savante sur la divagation, de la règle sur l'arbitraire, de l'ordre sur le fortuit. » L'art musical demande non seulement la conscience lucide de l'artiste, mais un effort intellectuel de la part de l'auditeur. Honte à la T.S.F. qui fait perdre aux auditeurs le goût de cet effort ! « C'est dans cette absence de tout effort que siège le vice de ce soi-disant progrès. Car dans la mu¬ sique, plus que dans toute autre branche de l'art, la compréhension n'est donnée qu'à ceux qui y apportent un effort actif... Sursaturés de sons, bla¬ sés sur leurs combinaisons les plus variées, les gens tombent dans une sorte d'abrutissement qui leur enlève toute capacité de discernement et les rend indifférents même à la qualité des morceaux qu'on leur sert. » 123 On ne doit, par conséquent, demander à la musique que le plaisir pure¬ ment intellectuel de. la construction sonore, de l'entrecroisement des lignes mélodiques, — plaisir que Strawinsky goûtait déjà au début de ses études musicales, lorsqu'il se passionnait, nous dit-il, pour l'étude du contrepoint. Il faut donc d'abord isoler la musique elle-même du revêtement orchestral dont on la pare. « L'orchestration est devenue une source de jouissance indépendante de la musique- Il serait bien temps de mettre les choses à leur place. On en a assez du bariolage orchestral et des grasses sonorités, on est las de se saturer de timbres, on ne veut plus de toute cette suralimenta¬ tion qui déforme l'entité de l'élément instrumental, le gonflant outre mesure et le transformant e.n une chose en soi. » Il faut en conséquence remettre à sa place l'orchestre qui en est 'sorti. Il faut revenir à la sobriété authentique, « la chose la plus rare et la plus difficile à atteindre », — et remettre en honneur la mélodie, injustement sa¬ crifiée par beaucoup de musiciens contemporains. Il faut, surtout, recher¬ cher la construction pure. « Le phénomène de la musique nous est donné à la seule fin d'instituer un ordre dans les choses, y compris et surtout un ordre entre l'homme et le temps. Pour être réalisé, il exige donc nécessai¬ rement et uniquement une construction. La construction faite, l'ordre atteint, tout £st dit. Il serait vain d'y chercher ou d'en attendre autre chose. C'ést précisément cette construction, cet ordre atteint, qui produit en nous une émotion, d'un caractère tout à fait spécial, qui n'a rien de commun avec nos sensations courantes et nos réactions dûes à des impressions de la vie quotidienne. » Un deuxième élément, ai-je dit plus haut, joue un rôle prépondérant dans l'art de Strawinsky : une incessante recherche technique. A plusieurs reprises, il nous parle de son « métier ». Il nous cite avec une évidente sympathie une lettre de Tchaïkowsky, qui déclare s'être fixé pour but d'être dans son métier « ce. qu'avaient été dans le leur les plus illus¬ tres maîtres, c'est-à-dire d'être, comme eux, un artisan à la manière d'un cordonnier ». D'un cordonnier, précise Tchaïkowsky, qui fait ses chaussu- 124 res sur commande. Et Bach, Haendel, Haydn, Mozart et Beethoven, remar¬ que Strawinsky, ont en effet composé de cette- manière. Ce souci du métier bien en mains, de l'ouvrage bien fait et de la diffi¬ culté vaincue reparaît fréquemment dans les Souvenirs de Strawinsky. Sou¬ vent on le retrouve à l'origine de ses œuvres. Il nous déclare quelque part, au sujet de ses « Cinq pièces faciles », qu'il se plaisait à résoudre le petit problème de technique pianistique soulevé par leur écriture particulière. Plus tard, l'idée d'écrire pour Pianola le séduit : il en naît une pièce inti¬ tulée. Madrid. Il nous confesse, au sujet de Ragtime que « ce qui le passion¬ nait surtout là-dedans, c'était que les différents épisodes rythmiques étaient dictés par les doigts eux-mêmes ». Puis, c'est le Pianola qui l'intéresse, parce qu' « il présente constamment de sérieux obstacles à l'établissement des rapports dynamiques. » Ailleurs, Strawinsky nous parle des difficultés qu'il a vaincues dans son Octuor pour instruments à vents. Même préoccu¬ pation pour Noces. Il essaie d'abord d'associer un piano mécanique et un harmonium électrique avec un ensemble de percussions et deux cymbalum hongrois. Il doit renoncer à cette formule qui ne permettait pas au chef d'orchestre de synchroniser le jeu des chanteurs et musiciens avec le fonc¬ tionnement des instruments automatiques. Et il se rabat sur un orchestre composé de pianos, timbales, cloches, xylophones et tambours, — ce qui donne, avec les chœurs, l'étonnant résultat que l'on sait. Au début de 1921, un music-hall parisien lui demande d'écrire quelques pages de musique pour accompagner un sketch. Ce nouveau problème « l'amuse ». Il se met au travail pour le résoudre et y parvient. Mais son œuvre est lamentable¬ ment défigurée par les exécutants ; d'où il conclut « qu'il ne faut jamais se hasarder à confier quelque chose d'honnête à ce genre d'établissement ». * * * Je me suis efforcé jusqu'ici, au risque de multiplier exagérément les citations, de laisser 1e- plus souvent possible la parole à Strawinsky. J'espère avoir ainsi, pour reprendre sa propre formule, transmis et non interprété 125 ses conceptions artistiques. L'examen des opinions qu'il formule, de temps à autre, sur l'œuvre des autres compositeurs, nous fournit une contre-épreu- ke : il nous permet de constater qu'il les juge en confrontant leurs concep¬ tions artistiques avec celle dont je viens d'analyser ce qui me semble, cons¬ tituer les principes essentiels. L'exemple de Wagner est particulièrement typique. Strawinsky semble avoir pour lui une véritable aversion. Peut-on en effet imaginer une con¬ ception artistique, plus éloignée de la sienne ? Pour l'auteur du Sacre, la musique est un art abstrait, objectif, constructif, un pur jeu de formes. Le géant de Bayreuth brasse une lourde et somptueuse pâte orchestrale ; il incorpore à ce magma le monde naturel et surnaturel, le bien, le mal, la puissance, l'or, l'amour, la mort, le jour, la nuit, l'être, le non-être, la rédemption du monde par l'amour et celle de l'humanité pécheresse par le Fils de Dieu. Ses personnages clament leur joie ou leur détresse. Un ly¬ risme puissant anime l'œuvre entière. On est ici aux antipodes de l'art de Strawinsky. Le récit froidement ironique, qu'il nous fait d'une représentation de Parsifal à Bayreuth mériterait d'être cité en entier. L'état d'esprit quasi religieux des dévots de Wagner le « révolte », ainsi que l'espèce de paro- ? die liturgique que constitue Parsifal où il voit « une singerie inconsciente du rite sacré ». Plus loin, il s'apitoie sur le public qui écoute « avec dé¬ votion et une patience angélique les édifiantes mercuriales du roi Marke ressassées aux galas officiels sous la conduite de quelque grand ténor de la baguette ». Quant à Beethoven il voit en lui un musicien « prodigieux » et s'indi¬ gne contre « la bêtise et la muflerie des sots qui en ricanent, s'amusent à le dénigrer, croyant être à la page ». Mais il faut le dégager de la gangue des commentaires biographiques et subjectifs. On constatera qu'il est « une force d'ordre avant tout constructif ». Au passage, nous recueillons l'opinion de Strawinsky sur le « sémillant et radieux Mozart » ; sur Weber, « prince de la musique » ; sur Gounod, dont les opéras montés par Diaghilew à Monte-Carlo rencontrèrent peu d'accueil de la part des auditeurs. « Dans leur snobisme inculte, ces gens 126 craignaient avant tout de paraître arriérés en goûtant une musique sotte¬ ment condamnée par les pompiers de la vieille avant-garde. » * * * Par ses réalisations musicales, aussi bien que par la doctrine qu'elles im¬ pliquent, Strawinski est une personnalité tellement importante que l'on trou¬ verait dans les Chroniques de ma vie, où abondent les jugements hardis et les points de vue curieux, de quoi alimenter de longues discussions. Ne nous engageons point davantage dans ce genre de palabres qui n'a au surplus qu'un intérêt des plus relatifs. Il est inutile d'ajouter un grain de sable à la montagne de gloses et de commentaires que Strawinsky regarde avec effroi. Yves Sourisse. 127 La P einture EDY-LEGRAND Dans l'imposante exposition qui vient à peine de s'achever à Paris, Edy-Legrand a offert au public plus de soixante peintures intéressant le Maroc. (1) A ce propos, MM. Jérôme et Jean Tharaud, écrivent : « Dans la carrière d'Edy-Legrand, son dernier voyage au Maroc et en Espagne fut une révélation. Quelque dix ans plus tôt, un premier séjour en Algérie ne lui avait apporté que déception : c'est qu'il n'était pas encore (1) Edy-Legrand est né à Bordeaux, le 24 juillet 1893. Il a donc présentement 43 ans. Son frère, Ignace Legrand, s'est acquis une grande notoriété dans les lettres surtout par deux romans : La patrie intérieure et A sa lumière. Ce dernier ouvrage a failli obtenir le succès Goncourt. Edy-Legrand, qui possède une bonne culture classique, et une vaste lecture aurait pu certainement faire une belle carrière dans les lettres. Il a l'étoffe d'un écrivain. Le texte du Pentatoli, écrit de sa main, est remarquable tant par la vigueur de la pensée que par la tessiture de la phrase, ample, ferme, mordante. Depuis quatorze ans, Edy-Legrand n'avait point fait d'exposition. Il pré¬ sente aujourd'hui au public parisien, 80 peintures, 51 tempera, 69 pastels, litho¬ graphies, aquarelles, dessins. , « Il est vain, dit-il, de présenter les études qui n'intéressent que l'artiste lui-même. On ne doit offrir que l'oeuvre qui apporte le résultat complet du travail », , Le tiers environ de cette imposante exposition est consacré au Maroc- Edy-Legrand a habité parmi nous, pendant six mois, il y a deux ans. Il a parcouru tout le pays jusqu'au Ziz, au Drâ, au Sous. C'est le Maroc septen¬ trional surtout qi l'a magnifiquement inspiré. S-A.L.A. compte organiser une exposition de cet admirable artiste, à Rabat et à Casablanca, dans le courant de l'année 1937. 128 suffisamment préparé à traduire les émotions et les idées qu'il recevait de l'Orient. Mais entre temps, il réfléchit longuement sur son métier et, quand il revint en Afrique, il trouva à la fois une inspiration rafraîchie et une abondance de. thèmes où il pouvait pleinement utiliser toutes les recherches poursuivies entre ses deux voyages. » Inspiration, réflexion, métier, ce texte intelligent met l'accent sur les qualité éminentes de l'artiste. Mais on ne saurait y insister sans connaî¬ tre l'homme d'abord. Il domine l'œuvre ; il l'explique ; il la justifie. Ce qui frappe, chez Edy-Legrand, c'est l'intelligence et la passion. Il dit lui-même : « De la passion, mais dans l'ordre. Evitez le délire ». L'or¬ dre doit dompter la. passion, mais devant l'œuvre à peindre. Ailleurs, on peut céder à sa fureur. « J'ai passé une journée inoubliable à Montauhan, écrit-il à un ami, devant les dessins d'Ingres, si émouvants que. ma femme m'a retrouvé à moitié évanoui au Musée... » Emotion admirable ! Car il ne s'agit point ici d'un maître pathétique. Il s'agit de pure beauté. Ainsi, nous sommes devant la véhémence même ; mais c'est une. véhémence de l'esprit. Cet esprit, à peine touché, le voilà qui s'échauffe. Arrive un pro¬ jet : « L'ennui, c'est, avoue-t-il, que, dès maintenant, ma cervelle est en marche et que, si je devais abandonner cette idée, ce serait un membre que je- devrais me couper... J'ai toujours été soumis aux entraînements impul¬ sifs de ma pensée... Que n'y a-t-il pas dans l'inconscient d'un imaginatif et d'un visionnaire ? ». On ne saurait rien ajouter aux clartés de cette confidence. Elle le définit admirablement. Il est un visionnaire. Il n'existe pas, à notre connaissance, de visionnaire de tout repos. Les spectacles intérieurs qui les hantent tournent volontiers au tragique, tendent à des conflits où s'opposent violemment la lumière et l'ombre, la matière et l'esprit. De là des éclats de souffrance, et l'habitude du tourment. Ils vont naturellement au terrible ; ils habitent le drame. Tel est le cas d'Edy-Le- grand. Son inspiration souffle souvent du côté des ténèbres et il est attaqué par les figures expressives qui les peuplent. Sa maîtrise dans la caricature psychologique, dans la peinture des supplices, dans l'horreur issue de la misère, vient de ce fond impétueux et sombre. 129 Mais ces fantômes n'affaiblissent jamais l'éclat supérieur de son esprit. Il les voit, les arrête., les saisit à bras-le-corps, les enchaîne, les fixe, après de durs combats. « Il ramène le désordre de la nature à l'unité d'une sa¬ vante harmonie.. ». C'est ici qu'interviennent les influences. « Ma première école, écrit Edy-Legrand, a été l'Italie, les horizons de la Toscane et de l'Ombrie, Sienne et Assise, et des maîtres comme les Pri¬ mitifs, Masaccio, Piero délia Francesca. Influence déterminante sur toute ma vie. L'Italie m'a donné le goût de l'ordre et surtout cette certitude que l'on doit arriver à la vie par un détour, que la nature n'est qu'un prétexte, « un motif » disait Cézanne. « Plus fard, je suis allé au Tintoret, à Greco, j'ai aimé Ingres, Dela¬ croix, Renoir et Rubens, car je n'ai pu me cantonner dans certains maîtres. Michel-Ange, Rembrandt, me troublent profondément : ce sont les deux sommets. Mais je crois que, dans les œuvres les plus dissemblables, il y a des constantes qui demeurent, des parentés qu'un œil inexercé ne. peut re¬ connaître. Rembrandt et Titien sont plus parents qu'on ne l'imagine. Les maîtres doivent surtout nous instruire. » (1) Les Italiens lui ont appris que la nature n'est qu'un prétexte pour attein¬ dre à l'œuvre d'art, « construction mentale ». C'est la parole même de Léo¬ nard : « L'opéra d'arts è cosa mentale ». Selon Edy-Legrand, c'est par l'es¬ prit que l'art italien est si haut. L'œuvre seule compte. Il faut donc agir librement pour l'œuvre, en face de la nature. On peut être aussi lyrique que possible (tout l'inconscient participant à la trouvaille), mais dans l'exécu¬ tion il faut être clair. Tel est l'enseignement de l'Art italien. Il nous place infiniment loin de la petite sensation devant le paysage. Parti d'un sentiment très vif de la nature, il la règle, la dépouille, la spiritualise. C'est une œuvre de volonté. La peinture d'Edy-Legrand, elle aussi, est une œuvre de volonté. Elle se présente toujours construite, composée. (1) Il dit aussi : « J'aim® Delacroix, l'esprit de Delacroix, surtout les pein¬ tures de la fin, la technique de Sardanapale Je n'aime pas l'esprit de Rubens, mais 11 faudra reconnaître un jour qu'il est le sommet de la technique picturale. Personne n'a su peindre comme lui. ». 130 Mais pour composer, il est nécessaire de faire graviter autour d'un cen¬ tre magnétique les éléments plastiques du tableau. Ce centre d'attraction, on n'en saurait trouver de plus puissant que l'être vivant lui-même. De là, chez Edy-Legrand, avec le besoin du personnage, le goût de: la scène. Dans la scène, le personnage est roi (on comprend maintenant pourquoi cet ar¬ tiste est illustrateur). C'est de l'humain que dépendra le paysage. Mais l'humain dépend de la vie intérieure. Or cette vie intérieure est difficile à déceler. On ne la surprend que fugitivement lorsqu'elle arrive à la surface de l'être. Elle ne peut y être attirée que par une secousse violente, secousse qui ne se produit que dans un moment dramatique. C'est ce moment, ce point de paroxysme, que guette et saisit Edy-Legrand, l'éclair bref qui donne un coup de lumière sur le mystère. Dans la moindre scène, la plus immobile, un œil vif peut en surprendre l'éclat. Mais il est évident qu'il se trahit plus facilement dans les scènes de véhémence, quand les êtres s'ex¬ priment avec une fureur qui les fait « sortir d'eux ». Ces spectacles, Edy Legrand les aime et les peint admirablement. Le- danger de ce climat spirituel, pour un peintre, c'est la peinture litté¬ raire. Mais Edy-Legrand y échappe, par son amour du métier. Amour-pas¬ sion, cela va sans dire. Pour lui, la technique n'est pas le principal, mais seulement un instru¬ ment de traduction ; elle n'en reste pas moins indispensable. Un artiste doit utiliser les techniques les plus diverses pour exprimer sa pensée. Dans chacune d'elles il doit atteindre à une maîtrise souveraine de la matière. Il n'y réussira qu'au prix d'un labeur constant. Edy-Legrand est le prison¬ nier désespéré du labeur. Parfois le corps accablé semble sur le point de céder à la fatigue. Mais l'esprit toujours en ébullition ne lui accorde pas de repos. Pour illustrer douze tragédies de Shakespeare, Edy-Legrand, en un an, fait 400 projets, puis, mécontent, il les détruit. Il écrivait, cet hi¬ ver : « Fin juin, j'aurai dévoré totalement les 300 nouveaux dessins de Shakespeare. » Déjà dans la préface du Pentaloli (1931), conte fantastique, orné de 50 lithographies, il disait : « Les lignes que j'ai écrites pour le Pentatoli ne sont que le commeji- 131 taire nécessaire d'un long et patient effort de près de cinq années (1926- 1930), pendant lequel mon se-ul but fut de faire rendre à la pierre tout ce qu'elle pouvait exprimer et d'utiliser, dans le blanc et le noir et la variété des indications, toutes les ressources de la litho. Cette modeste histoire n'est donc qu'un prétexte où j'ai pu trouver la faculté de me traduire librement, sans être assujetti à aucun auteur, où l'illustration fût l'interprétation défi¬ nitive et fidèle de ma propre pensée... J'ai refait plusieurs fois mon ouvrage remettant tout en chantier, poussé et éclairé par les découvertes de chaque jour... » « Les découvertes », tel est le mot qui donne la clef de ce travail. Il est animé par la passion de découvrir. Ainsi, même dans l'éducation de l'œil et de la main, Edy-Legrand avance, poussé par le feu d'un esprit qui ne laisse rien en dehors de son empire. C'est à lui qu'il faut toujours en revenir. A lui, qui finalement a le dernier mot : « Un patient effort pour ramener le désordre de la nature à l'unité d'une savante harmonie », tel est le secret de cet art. Les frères Tharaud illustrent cette excellente définition d'une confidence du peintre : « Voyez-vous, disait-il un jour, ce qui frappe le plus le voyageur quand il arrive dans ce pays que vous connaissez si bien, le Maroc, c'est le mouvement tout vibrant de lumière que l'on trouve dans les foules grouillantes de là-bas... Il est extraordinaireme.nt malaisé de représenter cette vie, cette agitation colorée. Sagement, on commence par limiter son ambition ; on prend des notes d'après nature ; on peint les cho¬ ses et les gens tels qu'ils s'offrent à vos yeux. Dans ce travail indispensa¬ ble, on oublie l'essentiel, la puissante impression reçue le premier jour. Et le risque est d'autant plus grand que les spectacles, au Maroc, semblent presque toujours s'organiser d'eux-mêmes en tableau. Mais si l'on s'aban¬ donne à cette duperie, on ne. dépassera jamais un pittoresque superficiel, qui ne donnera qu'une image photographique de la vie marocaine. Pour faire entrer cette vie. dans la région de l'art, il faut s'arracher à l'illusion de croire qu'un tableau s'ordonne tout seul, qu'il n'y a qu'à regarder les cho¬ ses et à les reproduire le plus sincèrement possible. La grande affaire, pour moi du moins, c'est, après avoir, pour ainsi dire, appris par cœur la scène, l'endroit que je veux peindre, après l'avoir longuement étudié, le carnet à la main, d'en dégager ce qui est nécessaire à l'effet que je veux 132 produire. Alors seulement je peux reprendre mon tableau devant la nature: je sais que je ne serai pas obsédé par la réalité et que. je resterai fidèle à ma conception, à mon plan, sans céder au plaisir facile de peindre quoi que ce soit qui ne serait intéressant que par lui-même... ■» Ainsi Edy-Legrand n'altère jamais la nature. Il en retire l'accidentel. Il en dégage le permanent. Ce qu'il cherche finalement, c'est la pureté. But admirable et dont certains pourraient penser qu'il n'est point naturel à son talent. Nous ne sommes pas de cet avis. Nous pensons qu'il y tond. Il écrit lui-même à un ami dont il doit illustrer le livre : « Le côté campagne, mystère, silence, nuit, dans la mesure et l'harmo¬ nie, voilà pour moi une chose nouvelle à exprimer et qui sera bien plus dans mes cordes actuelles que mon Shaikespeare où j'appelle à la rescousse un Edy-Legrand moins sobre que je ne le suis aujourd'hui, et peut-être mort. » Ces lignes nous donnent la version la plus récente d'un artiste mer¬ veilleusement hanté des démons et des anges. Henri Bosco. 133 L Architecture PETITES NOTES EN MARGE DE LA PENSEE SORELIENNE L'architecture est l'art d'inscrire des lignes dans le ciel... Cet art est menacé de disparaître pour céder la place à une conception pratique des utilités de la vie appartenant au domaine de l'ingénieur... L'habitation future, représentant une somme de réalisations scientifiques en vue du confort, ne laissant pas de possibilité pour des recherches d'art, l'architecte doit s'effacer devant l'ingénieur... Voilà, résumée, la pensée de Sorel sur l'architecture. Ce qui revient à dire : — que l'architecte est considéré comme un artiste, c'est-à-dire celui à qui on ne saurait demander d'être pratique. — que l'ingénieur homme pratique (ce qui est à vérifier) n'a aucune fa¬ culté artistique reconnue. — qu'il n'y a pas place pour l'art dans les recherches de l'architecture de l'avenir. Sorel ne croît pas à la possibilité de l'alliance de l'ingénieur carpe, avec l'architecte lapin, aucune connexité d'esprit ne permettant la liaison ; le rôle, de l'architecte est limité à la recherche des lignes harmonieuses, celui de. l'ingénieur déterminé par le sens des choses pratiques où l'imagination est exclue. Mais Sorel, qui suppose des règles à l'art de l'architecture, accuse les architectes de les avoir souvent appliquées au détriment de la logique et du bon sens. Il cite l'exemple de Versailles, logis splendide et inhabitable, celui des théâtres ronds et inconfortables, celui des cathédrales, où le spectacle, du sacrifice de la messe est invisible. 134 Qu'aurait pu ajouter Mansard à la Galerie des Glaces pour la rendre plus habitable ? Quel rare et génial ingénieur eut pu mieux la réchauffer à cette époque? Et lorsque les architectes adoptaient pour les théâtres des formes ron¬ des, c'était en raison des exigences du public qui préférait le spectacle de la salle à celui de la scène lequel n'était qu'un prétexte. Sorel à qui cette condition particulière n'avait pas échappé prétend, assez injustement, que la forme circulaire était adoptée et conservée en raison de l'harmonie de ses lignes. Peut-on mettre aussi suivie compte des architectes les conception de ces cathédrales où la messe est perdue dans l'immensité monumentale. La res¬ ponsabilité de cette disposition incombe au clergé plutôt qu'à ces grands poètes de la pierre qu'un problème nouveau n'embarrassait guère. Non ! l'architecture, art de raison, n'a jamais été dominée dans son essence par la mystérieuse doctrine des règles et des formules que Sorel admet ; elle suivra toujours l'évolution des sociétés, provoquera peut-être leur renouvellement, car elle e-st fondée sur la nécessité même des choses et animée par cet esprit d'invention que Sorel voulait susciter dans le monde. Antoine Marchisio. 135 P our les Bikliopkil es PREFACE A L'ITINERAIRE AU MAROC D'ELIANE EDON-JALABERT Le monde est une machine à faire de l'art. De la danseuse au Maréchal, est artiste qui en saisit un sens nouveau. Sous ces doigts, devient visible un fantôme qui demandait l'incarnation. Nous éprouvons en ce moment l'admiration et l'amitié qu'inspire la vision d'un équilibre de bonheur. Les choses qui nous meurtrissent et les êtres qui nous encombrent, ne communiquent à Madame Edon que leur grâce. On l'imagine, à quelques pas du plus beau lieu du monde., prenant sa nour¬ riture au familier qui l'environne. « Je suis à toute heure parmi vous » : il faut, s'il s'agit d'Art, en venir aux paroles divines. Nul dépaysement dans ce livre. Qui pourrait dépayser un artiste ? Feuilletant ces dessins de voyage, de voyage en pays d'Islam, on pense au mot de Courbet : « Vous partez pour les Orients ? Vous n'avez donc pas de pays. » Madame Edon est chez elle, est chez nous. Son album sera-t-il une con¬ solation à ceux qui vivent au Maroc ? Il invente pour eux la terre qu'ils aiment, comme s'inventent les trésors. Le ravissement de ce pays de pauvreté est le plus simple, celui de nos premières émotions : les premiers pas dans le silence ouaté de la médina, la première senteur de la menthe ou du cèdre, le chant de flûte de Loti, le premier tas voilé mouvant dans la lumière. C'est à cela que nous reviendrons, que nous revenons. Cet itinéraire est un itinéraire familier. Cet album, un album d'amitié. Un sourire aux yeux. Tendresse de l'ironie. 136 La poésie qui monte des choses vers l'artiste s'y est posée. Ces dessins d'un pays, où tout se compose spontanément, sont bâtis par le goût le plus naturel, le plus personnel donc. Chaque trait y vit, affectueusement. C'est quand le sol est le plus nu qu'il y ressemble le plus à un visage. « Assumer le plus possible d'humanité », écrivit le poète des Nourri¬ tures. Etrange humanité que. celle de l'artiste. Il ne connaît, ne peut con¬ naître que son propre univers. Il nous prie, et bientôt nous force d'y entrer. L'artiste choisit, pour nous aider à découvrir, il choisit surtout ce qu il ne dit pas. Mais son choix, heureusement, nous contraint, ou nous guide. Celui de Madame Edon s'amuse et se plaît. Il cache les connaissances qui tuent le plaisir. Mais, derrière ses murs, Marrakech, invisible, hypnotise, et Fès sous ses replis ; sur le vide du désert, le divin. Christian Funck-Brentano. VAISSEAUX SOLAIRES Comme s'il avait senti sur lui la menace de sa mort prochaine, François Berthault a occupé les derniers mois de sa vie à choisir dans son œuvre ce à quoi il tenait le plus, à le corriger, à le remanier, à lui donner une forme plus serrée qu'il voulait définitive. C'est à cette sorte de « testament » qu'il a confié l'image sous laquelle il souhaitait de survivre dans la mémoire des amis des lettres, parmi lesquels les meilleurs juges avaient, dès la publication de son premier livre, discerné les mérites d'une des œuvres les plus personnelles et les plus puissantes de notre temps. Henry de Montherlant a bien voulu préfacer ce petit livre et dire la valeur qu'il y attache et Raoul Dufy l'a orné d'un frontispice inspiré de ce thème des « blés » qui, pour lui comme pour Berthault, est une des plus vivantes sources de poésie. Ed. Corréa, 8, rue Sainte-Beuve, Paris, 12 frs. En souscription HOMMES DE PEINE ET FILLES DE JOIE par René Janon, illustrations de Charles Brouty sur pur fil Lafuma, avec le carton original par François Berthault d'un dessin de l'illustrateur sur pur fil Lafuma sur Bouffant édition 75 fr. 50 fr. 15 fr. On peut adresser les souscriptions au Trésorier de S.A.L.A. JULES BORELY Ahmed et Zohra, Fernand Sorlot, éd., 15 fr. PATRICE DE LA-TOUR-DU-PIN Le Lucernaire - Cahiers de Barbarie, Tunis BULLETIN ECONOMIQUE DU MAROC trimestriel édité par la Société d'Etudes Economiques et Statistiques - Recette postale de Rabat-Résidence Abonnement annuel : 50 fr. LA REVUE HEBDOMADAIRE Directeur : François Le Grix Paris, Plon-Nourrit VII Les Editions du Moghreb Rues de Tours et Georges-Mercié CASABLANCA Bobert BOUTET : « La Dame de Bou-Laouane », roman marocain, un v. 12 frs Robert BOUTET : « Caravanes d'acier » .... un v. 12 frs Vincent BERGER : « Les Ponctionnaires », fantai¬ sies marocaines. Illustrations de Itenato. Ferra- ciu un v. 12 frs Edition de luxe un v. 30 frs Anne du CHATEL : « Chansons d'Amour et de Jeu¬ nesse ». Illustrations de Jarny-Brindeau . . un v. 6 frs Marc de MAZIERES : « Promenades à Fès », avec 16 hors texte en héliogravure. Préface du Maré¬ chal Lyautey un v. 15 frs Georges LOUIS : « Un Tour d'Horizon au Ma¬ roc » un v. 2 50 Henri RAINALDY : « Daxo », roman un v. 20 frs Charles DIEGO : « Sahara », roman marocain un v. 15 frs Paul GIEURE: « Nour el A'in » roman marocain un. v. 12 frs PIERSUIS : « Bourrasque bédouine », romain maro¬ cain un v. 15 frs Jean SERMAYE : « Barga, Maître de la Brousse », roman un v. 15 frs René RENARD : « Commentaires Philosophiques et Poli¬ tiques. Pour paraître prochainement : René GUILLOT : « Ras el Gua poste du sud » roman des Sables. Les ouvrages publiés par Les Editions du Moghreb sont en vente dans les principales librairies Maroc, Algérie, Tu¬ nisie, France. VIII LIGUE CONTRE L'ENLUNSSEKENT DE LA FRANCE 18, rue Séguier - Paris VI0 1° Maintenir intacte la beauté créée -par la nature et par les hommes ; 2° S'opposer à la réalisation de toute œuvre indigne de notre sol, à tout projet constituant un acte d'agression contre les traditions de l'Art français ; 3° Faire œuvre d'action en veillant à une saine con¬ ception des programmes imposés et en appuyant, hors de toute tendance et de toute doctrine, le choix des artistes capables de créer des œuvres nationales ; 4° Aider les pouvoirs publics à s'appuyer sur une opi¬ nion alertée et faire auprès d!eux des démarches que doi¬ vent rendre efficaces l'autorité et le nombre de ceux qui se joindront à nous. Font, entre autres, partie du comité : Gaston Baty, Julien Gain/ Campinchi, Gte J. de Castellane, André Chamson, Colette, Raoul Dautry, Docteur Débat, Dr. Desmaret, Daniel Dreyfus, Henri Duvernois, Jean Fayard, Fels, Focillon, Louis Gillet, Jean Giraudoux, Grap¬ pe, Georges Guiffrey, Louis Jouvet, Lhote, Maurice Maeterlinck, Marquise de Maillé, Adrien Marquet, François Mauriac, André Maurois, Georges Monnet, Charles Peignot, Philippe de Rothschild, Jacques Rouché, A. de Saint-Exupéry, Dr. L. Pasteur Vallery-Ra- dot, Jean-Louis Vaudoyer, etc. On peut adhérer à la Ligue contre l'enlaidissement de la France : En tant que membre adhérent (5 fr. par an), actif (20 fr. par an), sociétaire (100 fr. par an), bienfai¬ teur (1.000 fr. par an). Le Gérant : A. Galiana Imp. Réunies - Casablanca IMPRIMERIES , ■ RÉUNIES CASABLANCA