- A EDGAR QUINET SA VIE, SA PENSÉE RELIGIEUSE par Eugène GORVAIZIER Dieu est aussi nécessaire que la liberté au peuple français. Mirabeau. MONTAUBAN IMPRIMERIE ADMINISTRATIVE ET COMMERCIALE J. GRANIÉ Boulevard de la Citadelle 1884 '''''' ' : P:\ '■ ■ .> vl • ' ' ■ - -1 ■ •" < , " I, ' ! 7" ? .,'• v-"- •• ..\-v w ^ V>^V7v.: • V ;.U «S* EDGAR QUÏNET SA VIE, SA PENSÉE RELIGIEUSE THÈSE PUBLIQUEMENT SOUTENUE DEVANT LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE PROTESTANTE DE MONTAUBAN EN JUILLET 1884 PAR Eugène OORVAIZIER DE LA ROCHELLE (CHARENTE-INFÉRIEURE) BACHELIER ÈS LETTRES ASPIRANT AU GRADE DE BACHELIER EN THÉOLOGIE MONTAUBAN IMPRIMERIE ADMINISTRATIVE ET COMMERCIALE J. GRANIÉ Boulevard de la Citadelle 1S84 république française UNIVERSITÉ DE FRANGE Académie de Toulouse FACULTÉ DE THÉOLOGIE PROTESTANTE DE MONTAUBAN PROFESSEURS MM. Bois, Doyen, Nicolas, pédézert, Monod, Bruston, Wabnitz, Doumergue, Morale et éloquence sacrée. Philosophie. Littérature grecque et latine. Dogmatique. Hébreu et critique de l'A.-T. Exégèse et critique du N.-T. Histoire ecclésiastique. Leenhardt, chargé d'un cours de Sciences naturelles. Sayous, chargé d'un cours A'Histoire et de Littérature. EXAMINATEURS MM. WABNITZ, Président de la soutenance. BOIS, *§. DOUMERGUE. PÉDÉZERT, $!. La Faculté ne prétend approuver ni désapprouver les opinions particulières du Candidat. EDGAR QUINET SA VIE - SA PENSÉE RELIGIEUSE INTRODUCTION Il règne de nos jours un malentendu regrettable entre le christianisme et la démocratie. Ce malentendu va en augmentant. On creuse entre ces deux puissances un fossé toujours plus profond. Il semble que le christianisme exclue l'idée de démocratie, et pour beaucoup être chré¬ tien c'est être le contraire de démocrate.- Ce divorce, qui paraît s'établir de plus en plus entre le christianisme et la démocratie, a sa source dans cette opinion fausse que christianisme et catholicisme sont une seule et même chose. On fait endosser au christianisme tous les torts et toutes les erreurs de l'Eglise catholique. Intolérance, per¬ sécutions, guerres; voilà, dit-on, les fruits du christia- nisme. On ne sait pas discerner entre les vrais et les faux disciples du christianisme. On ne sait pas discerner entre l'Evangile et ceux qui se disent les disciples de l'Evangile. On ne sait pas enfin discerner entre Jésus-Christ et le prê¬ tre. On croit que, moins l'Evangile aura d'influence, plus les idées démocratiques feront de progrès. On cherche à enrayer la marche du christianisme. On oublie que tous ces nobles principes de liberté, d'égalité et de fraternité, qu'on a bien raison d'acclamer et de pratiquer, sont sortis entièrement et uniquement de l'Evangile. « Je cherche, disait M. Laboulaye, en quoi la proscription du christia¬ nisme, en quoi le triomphe du matérialisme peuvent hâter les progrès de la civilisation et donner au peuple plus de liberté ou plus d'égalité. Il me semble que l'Evangile est le plus démocratique de tous les livres... Il me semble, disait-il encore, qu'on confond deux choses fort différentes et qu'on rend l'Evangile responsable des fautes et des cri¬ mes que les hommes ont commis en son nom... » (1). Ce qui est profondément regrettable, c'est que ceux qui déni¬ grent à plaisir le christianisme oublient que les grands défenseurs de la démocratie, qui ont eu une immense influence sur son développement, ont été pour la plupart des hommes religieux. En comparant les différents pays où les idées libérales et démocratiques ont essayé de s'im¬ planter, ils ont remarqué que ceux où l'Evangile était le mieux connu et le plus aimé étaient aussi ceux chez qui (1) Jacques Flach, « Etude sur Laboulaye » (Revue politique et litté¬ raire, 17 mai 1884). les libertés politiques et les libertés religieuses étaient le plus florissantes. Evangile et Liberté, n'est-ce pas là la devise de la grande démocratie du Nouveau-Monde? Parmi les esprits généreux qui ont le mieux compris cette grande vérité et l'ont défendue avec le plus de cha¬ leur et le plus de talent, nous pouvons citer au premier rang Edgar Quinet. Si nous avons étudié la vie et la pensée religieuse d'Edgar Quinet, c'est précisément pour montrer, par l'exemple d'un homme qui a été un démocrate convaincu et un spiritualiste chrétien pendant la plus grande partie de sa vie, que le christianisme et la démocratie, loin de se nuire l'un à l'autre, ne peuvent que gagner à marcher ensemble. La solution que donne Edgarcl Quinet est d'au¬ tant plus désintéressée qu'il n'était pas protestant (1). De tous ces nombreux ouvrages, un surtout est parti¬ culièrement instructif à cet égard, c'est la Révolution. Quelques pages sur la vie d'Edgar Quinet où nous notons soigneusement toutes les circonstances où il a affirmé avec conviction ses sentiments religieux ; l'exposé critique de ses opinions sur la question religieuse, qu'il a particulièrement étudiée en racontant avec une impar¬ tialité digne d'éloges cette grande époque de la Révolution française, tel est notre modeste plan. (I) Dernièrement, plusieurs publicistes distingués se sont occupés de cette question : De l'avenir des peuples catholiques, par M. E. de Laveley ; Comment les peuples deviennent libres, par M. A. Albrespy; la Question religieuse et la solution protestante, par M. Eug. Réveil- laud. C'est" parce que nous sommes attristé de voir ce conflit malheureux entre la démocratie et le christianisme durer si longtemps, c'est parce que nous voudrions le voir dispa¬ raître pour faire place à une union indissoluble entre l'Evangile et la liberté que nous avons entrepris cette étude. Notre but est grand et beau, mais hélas ! nos moyens sont faibles. Nous espérons du moins que ces préoccupations s'imposeront de plus en plus à tout homme qui aime véritablement sa patrie et qui souhaite pour elle, un avenir à l'abri des révolutions politiques et des despo- tismes de tout genre ! La démocratie a pour elle l'avenir, pourvu qu'elle se souvienne de cette vérité : « Lorsqu'un peuple ne croit plus, il faut qu'il serve! » et qu'elle mette à sa base l'Evangile, qui est « dans le monde l'immortelle semence de la liberté ». CHAPITRE PREMIER Edgar ûuinet— Son éducation, son caractère, ses œuvres Edgar Quinet naquit à Bourg, le 17 février 1803, d'une ancienne famille de la Bresse. Son père, Jérôme Quinet, commissaire des guerres sous la République et durant les premières années de l'Empire, s'adonna avec passion à l'étude des sciences; il n'a laissé que la préface d'un grand ouvrage sur les Variations magnétiques et atmosphériques du globe. Cet écrit aurait pu lui assurer un nom parmi les savants, s'il avait mieux su se mettre en vue. A trois ans, Edgar Quinet fut emmené par son père à l'armée du Rhin, où il vécut au milieu des camps. Les soldats l'avaient surnommé l'enfant du drapeau. De retour dans son pays natal, il passa la plus grande partie de son enfance dans une solitude de la Bresse, dans la maison de Certines. Pendant ce temps, sa mère, qui était protestante, règne sans partage sur son esprit. C'est d'elle qu'il reçut les premières directions religieuses et c'est grâce à elle qu'il resta toute sa vie une nature profondément religieuse. C'est' à sa mère et à sa mère seule qu'il doit la notion d'un Dieu, père tout puissant et veillant sans cesse sur lui, non avec sévérité, mais avec amour. « Je reçus d'elle, dit Edgar Quinet, l'idée d'un Père tout puissant qui nous voyait à toute heure et qui veillait sur nous. Il fallait le prier pour en obtenir la sagesse, et nous le priions en¬ semble, partout où l'occasion se présentait, dans les champs, dans les bois, dans le jardin, dans le verger, jamais à des moments fixés d'avance. L'éloquence qu'elle mettait dans ces prières, toutes conçues au moment même, était surprenante, lorsqu'à voix basse, partout où l'émo¬ tion la saisissait, mais le plus souvent le soir, avant qu'on eût apporté la lumière, elle s'élevait en esprit vers le Père commun... La lumière de ces entretiens célestes était si grande, qu'elle m'enveloppait réellement comme d'une révélation... » (1). Plus tard, il va successivement aux collèges de Bourg, de Charolles et de Lyon. Le souvenir de ces heures si douces de recueillement qu'il avait passées avec sa mère l'y accompagna. 11 ne les oublia jamais, d'autant plus qu'elle continua, dans une correspondance fréquente, ses entretiens intimes'et reli¬ gieux. Au collège de Lyon, à quinze ans, Edgar Quinet écrivait à sa mère : « J'ai "acheté les Psaumes de David pour lesquels j'ai un goût singulier. Il me semble que je ne trouve nulle part de si grande idées. » Comme catho- (1) J.-J. Gourd, la Pensée religieuse d'Edgar Quinet, p. 46 (Etrennes chrétiennes, 1884). ligue, il était obligé d'assister régulièrement aux offices de sa religion, mais, chose étrange, on lui permettait de lire pendant le culte des livres comme la Bible, l'Imita¬ tion de Jésus-Christ, ou bien encore les Méditations et les Sermons de M. Necker, que sa mère avait mis dans sa malle. Ses études à Lyon terminées, vint le moment pour lui de choisir une carrière. Comme il était très indécis et qu'il hésitait tous les jours, son père coupa court à toute discussion inutile en décidant qu'il entrerait à l'Ecole Po¬ lytechnique. Il partit avec lui pour Paris en novembre 1820; mais, au moment décisif, Edgar Quinet refuse caté¬ goriquement, « ne voulant pas, disait-il, servir sous le drapeau blanc ». L'affreux souvenir de cette sinistre inva¬ sion de 181S restait toujours présent à son esprit. Son père résolut alors de lui faire étudier le droit. Le voilà donc seul à Paris, à dix-huit ans, maître de sa personne. Mais, au lieu de se laisser aller à la dissipa¬ tion, il commença cette vie de travail que la mort seule devait interrompre. Il était soutenu encore par les lettres de sa mère avec laquelle il correspondait souvent. A vingt ans, il commença l'année, dans sa chambre solitaire, en lisant l'Imitation de Jésus-Christ et les Sermons de Mas- sillon. « Et ce n'est pas seulement par ces petits faits et par un grand nombre d'autres semblables que l'on peut juger de sa nature ; c'est aussi par l'air général que l'on respire avec lui, soit dans le récit de sa vie, soit dans ses lettres, soit dans ses grands écrits. Tout en lui est imprégné — 10 — d'une atmosphère religieuse qui semble lui être indispen¬ sable au point de faire partie de lui-même » Cl). Sur le conseil de certains de ses parents, riches finan¬ ciers, il fut placé chez un banquier, mais il n'y resta pas longtemps et reprit ses études de droit. Il se sentait égale¬ ment entraîné vers la poésie, la critique, l'histoire, la philosophie. Ayant lu quelques articles de critiques fran¬ çais sur Herder, il se prit d'admiration pour ce philo¬ sophe allemand et résolut de l'étudier à fond. Dans un voyage qu'il fit en Angleterre, il y resta une année pour apprendre la langue du pays en lisant les œuvres de Herder, traduites en anglais. Un événement douloureux le lit revenir en France où il continua ses études littéraires et philosophiques. Connaissant déjà l'anglais, il sut l'al¬ lemand assez vite et relut entièrement dans l'original les œuvres de Herder. C'est à cette époque (1826) qu'il faut placer l'apparition de son ouvrage, Les Idées de Herder sur la philosophie de l'Histoire de l'humanité, avec une Introduction qui mérita les éloges de Goethe et de plusieurs philosophes français, entr'autres de Cousin. Ce dernier s'écria : « Mais c'est le début d'un grand écri¬ vain! » Chez Cousin, Quinet rencontra Michelet, et il se lia avec lui d'une amitié que le temps ne fit que con¬ sacrer encore plus. En 1827, Edgar Quinet part pour l'Allemagne où il va étudier la philologie. Il se lie avec les hommes les plus célèbres de l'Université de Heidelberg, avec Niebuhr, (1) J.-J. Gourd, ouv. cité, p. 38-39. Schlegel, Uhland, et surtout avec Creutzer, qui l'initia au symbolisme religieux de l'antiquité. Il quitte subitement l'Allemagne. Son intention est de visiter la Grèce, qui luttait alors glorieusement pour son indépendance. Il demande au ministère Martignac d'en¬ voyer à la suite de l'armée française une commission qui explorerait la Morée ; sa proposition est bien accueillie, il est nommé lui-même membre de cette commission et il part tout heureux de visiter ce pays si rempli de souve¬ nirs et d'assister à la résurrection d'un peuple. A son retour en France, il fait paraître plusieurs études littéraires, principalement dans la Revue des Deux-Mondes. Avec la patience d'un bénédictin, il fouille les bibliothè¬ ques, découvre des épopées inédites du XII0 siècle et par¬ vient, après bien des démarches, à les faire imprimer. A la même époque, il écrivit un opuscule intitulé : De l'avenir de la religion. Mmo Récamier était alors dans tout son éclat. Son salon à l'Abbaye aux Bois (1), rue de Sèvres, était le rendez- vous des hommes les plus éminents dans la science, les lettres et la politique. « Elle les attachait à sa per¬ sonne, elle excellait à les faire valoir. » Edgar Quinet y fut admis de suite, et là il fit la connaissance de Ballanche, des Ampère et de Gérando. (1) C'était un couvent dont les religieuses recevaient des pension¬ naires dans un bâtiment à part. Mme Récamier, ruinée par de mau¬ vaises spéculations de son mari, s'y était retirée d'abord au troisième puis au premier dans un appartement plus grand qui lui fut cédé à vie, — 12 — Après la mort de son père, il fit, de 1852 à 1835, nn voyage en Italie où il termina son fameux et grand poëme en prose « Ahasvérus », c'est-à-dire « la personnification du monde juif, ou mieux de l'humanité entière, en marche ininterrompue, haletante, vers l'idéal sous l'empire de la douleur » (1). Ce poëme eut l'honneur d'être interdit par la trop célèbre Congrégation de l'Index. Plein d'une activité dévorante, Edgar Quinet s'intéresse à toutes les luttes politiques et littéraires de son époque, et il en rend compte dans des journaux ou des revues. A propos des arts de la Renaissance, il affirme, il prouve que le Moyen-Age tout entier « est le culte de la mort ». 11 l'appelle « le grand tombeau ». 11 retourne en Allemagne, où il se marie avec la fille d'un pasteur de Heidelberg (2). L'Allemagne glissait alors de plus en plus sur la pente du scepticisme. « Elle descend, disait Edgar Quinet, pro- cessionnellement dans le néant, et scientifiquement dans le doute. » Il ne cessa pas de dénoncer le mal et de pré¬ senter le remède. Il tonne contre le doute, qui est l'abandon de la vie, il excite à l'affirmation de la foi nouvelle, à la réaction contre le vide menteur, à l'ascension audacieuse vers la vérité éternelle qui luit en avant. Il réunissait ces impressions dans un ouvrage intitulé \ Allemagne et Italie, qui parut à Paris en 1856. (1) J.-J. Gourd, ouv. cité, p. 53. (2) Nous avons cherché en vain des renseignements sur cette famille, qui a dû avoir une certaine influence sur Edgar Quinet. — 13 — Abordant la controverse religieuse, il examine la Vie de Jésus de Strauss qui eut un si grand retentissement. 11 l'attaque, la réfute et se prononce ouvertement pour le Christ historique (1838). Il s'élève avec énergie contre cette méthode du théolo¬ gien allemand de déclarer que tout récit qui sort de la condition des choses les plus ordinaires ne renferme au¬ cune vérité historique et n'est qu'un mythe. Ainsi Strauss, voyant avec quelle promptitude Jésus captive d'un mot les apôtres, fait cette réflexion : qu'il est étrange que le Christ n'ait pas voulu éprouver ces hommes avant de les choisir, et que ceux-ci aient suivi Jésus avant de le mieux con¬ naître. Il en conclut de là que cette rencontre prétendue du Christ et des apôtres n'est rien qu'une allégorie, une figure forgée trente ans plus tard à l'imitation de la ren¬ contre du prophète Elie et de son serviteur Elisée. Edgard Quinet explique ce fait d'abord par l'autorité de Jésus, la puissance attachée à ses traits, à sa voix, à son geste, à sa parole mystérieuse, ensuite par le saisissement de ces simples pêcheurs entraînés, subjugués par cette parole et par cette grandeur qui apparaît au milieu d'eux. « Est-ce donc autrement que l'enthousiasme saisit les âmes, et que les hommes se donnent les uns aux autres?... (1). Et les miracles d'amitié, d'héroïme, est-ce l'expérience, est-ce la temporisation qui les fait? n'est-ce pas plutôt l'affaire d'un instant suprême dans lequel tout est perdu ou gagné? (1) Edgar Quinet, Examen de la vie de Jésus (Œuvres complètes, t. III, p. 326-327). — 14 — « Les disciples ont douté l'instant d'après, dites-vous? » Preuve nouvelle que vous êtes ici dans la vérité, dans la réalité, dans l'histoire. Quoi de plus naturel que l'abatte¬ ment après l'excès de l'enthousiasme? Ce sont là de ces traits que n'inventent ni la tradition poétique, ni la my¬ thologie ; ce sont bien là des hommes, non des mythes. » « Ferait-on tort à Edgar Quinet en supposant qu'une douce influence donnait alors à sa pensée religieuse la forme la plus concrète et la plus rapprochée du christia¬ nisme qu'elle ait jamais revêtue? » (1). C'est à la fin de 1858 que commence la vie militante d'Edgar Quinet. En 1839, il soutient devant la Faculté de Strasbourg ses thèses pour le doctorat ès lettres, et il est nommé par M. de Salvandy, professeur de littérature étran¬ gère à la Faculté des lettres de Lyon. Ses leçons, litté¬ raires et religieuses à la fois, roulaient sur les civilisa¬ tions antiques. Il débuta par une magnifique introduction sur l'Unité des peuples modernes. « La religion, disait-il, est la colonne de feu qui pré¬ cède les peuples dans leur marche à travers des siècles : elle nous servira de guide, mais la religion marche envi¬ ronnée de la poésie et suivie de la philosophie : je ne l'en séparerai pas. » Ce cours eut un immense succès. Il fut suivi avec enthousiasme par la jeunesse lyonnaise. Parmi ses auditeurs assidus se trouvait le poète de Laprade. Le Génie des. Religions, qui parut'en 1843, fut composé (1) Edmond de Guerle, « Edgar Quinet» (Revue chrétienne, 187 6, p. 543). — lo — des éléments de ce cours. « En faisant de toutes les reli¬ gions de l'antiquité comme le vestibule du christianisme, M. Quinet n'entendait pas simplement se mettre en règle avec les puissances du siècle : sa pensée n'était pas seule¬ ment celle de son temps, de son milieu, c'était la sienne. 11 s'était souvenu des leçons de sa mère, et son âme natu¬ rellement religieuse et comme pénétrée par le parfum d'une autre âme se courbait sans hypocrisie devant le di¬ vin crucifié » (1). Quoique les opinions républicaines d'Edgar Quinet eus¬ sent été mises au grand jour par une brochure qu'il publia en 1841 et où il déplorait la scission de la bourgeoisie et du prolétariat, Villemain, néanmoins, créa exprès pour lui une chaire de littérature méridionale au Collège de France. Quinet accepta, tout en faisant remarquer au mi¬ nistre qui l'avait appelé à un tel honneur que ses doctrines politiques et philosophiques différaient des doctrines offi¬ cielles. Avec Michelet et Mickiewicz (°2), ses amis, il prit pour mission d'être le guide de la jeunesse française vers la liberté, et il resta fidèle à son programme pendant tout le temps de son professorat. Mais le parti ultramontain, qui avait vu de mauvais œil l'arrivée de ce jeune, profes¬ seur dont l'indépendance était bien connue, l'accusa ou¬ vertement d'hérésie et le dénonça au ministre. Ce fut bien pis encore quand il donna son cours sur les Jésuites, où (1) Edmond deGuerle, ouv. cit., p. 551. (8) Poète polonais exilé. — 16 — il dépeignait avec force cette société néfaste portant la mort partout où elle s'introduit. « Ces six leçons furent autant de batailles. Dès le premier jour, les ennemis de la liberté de discussion étaient accourus en masse pour faire taire la voix vengeresse qui allait s'élever contre eux. Ils remplissaient l'amphithéâtre; et, quand le maître apparut, ils l'accueillirent par une tempête de sifflets et de vocifé¬ rations. Celui-ci ne recula pas. Sa fière attitude en imposa à ses ennemis, et, quand il eut achevé son discours, sa dernière phrase fut couverte d'applaudissements frénéti¬ ques. La jeunesse libérale avait contraint les ultramon- tains à se taire et à se cacher » (1). Edgar Quinet avait montré comment le jésuitisme compromettait le catholi¬ cisme; il montra, dans son cours sur YUltramontcmisme, comment le catholicisme compromettait le christianisme. Malheureusement, l'autorité supérieure, qui craignait de déplaire à la coterie cléricale, s'émut, elle aussi, des leçons morales du hardi professeur ; elle lui fit éprouver tellement de tracasseries, qu'il se vit réduit à l'impossibi¬ lité d'ouvrir son cours. Malgré les protestations légitimes de la jeunesse studieuse, les décisions ministérielles furent maintenues. Bien plus, le cours de Michelet fut également interdit.; mais tous les décrets ne pouvaient rien contre la diffusion des idées généreuses et patriotiques. Edgar Quinet, sollicité de tout côté, fit imprimer ses leçons, qu'il n'avait pu donner, sur le Christianisme et la (1) Cbarles-Louis Chassin, Edgar Quinet; sa vie et son œuvre, p. 49-50. — 17 — Révolution française. L'empressement qu'on mit à les en¬ lever montre bien quelle influence il avait gardé sur la jeunesse. «La deuxième leçon du cours de 1843, l'Eglise dans l'esprit de Jésus-Christ, est un des plus beaux ser¬ mons protestants qu'on puisse lire ; et, dans son admira¬ tion intelligente pour le développement logique du dogme chrétien, l'orateur ne fait grâce ni à l'arianisme, ni aux autres hérésies des premiers siècles » (1). Le rôle qu'il a joué pendant la Révolution de 1848 fut des plus honorables, quoiqu'il n'ait pas été exempt d'er¬ reurs. Nous préférons Edgar Quinet éducateur de la jeu¬ nesse que colonel de la garde nationale.. Néanmoins, tou¬ jours à la brèche, soit à l'Assemblée nationale, soit dans les réunions populaires, il ne cessa de soutenir que la ré¬ volution politique ou sociale n'était rien sans la réforme religieuse. C'est un peu avant cette époque que nous placerons un acte d'Edgar Quinet qui montre, dans toute sa force, l'é¬ lévation de ses sentiments religieux unis à un sincère amour pour sa mère, à qui il rapportait tout ce qu'il y avait en lui de bon et d'élevé. M"10 Quinet venait de mourir. Elle avait toujours ex¬ primé le désir qu'un pasteur présidât à ses funérailles. Malheureusement, celui qui avait accepté cette pieuse mission fut empêché au dernier moment, et ce fut Edgar Quinet lui-même qui, malgré sa grande tristesse et. sa profonde émotion, remplaça le pasteur absent. Le discours (1) Edmond de Guerle, ouv. cité, p. 602. 2 — I — 18 — qu'il prononça sur la tombe de sa mère mériterait d'être cité en entier; mais, obligé de nous restreindre, nous n'en donnerons que quelques extraits. Il lut d'abord le magnifi¬ que Psaume CM, puis les différents passages de rEcriture- Sainte se rapportant à la résurrection de Jésus-Christ et à notre propre résurrection : « Nous qui sommes tes en¬ fants, ajouta-t-il, tes proches, tes amis, nous ne te faisons point d'adieu, car tu ne t'éloignes pas. Nous ne prenons pas congé de toi comble pour un voyage vulgaire, car tu ne nous quittes pas. Tu n'es plus enfermée dans ta maison vide; mais tu es présente dans nos coeurs avec ta mémoire et l'enseignement de ta vie. Ton long veuvage, dont nous n'avons jamais pu te consoler, est fini. Tu as, enfin, quitté ton triste habit de deuil ; car tu retrouves mon père avec lequel se sont écoulées les seules années que je t'ai vue re¬ gretter. Tu sors de l'enceinte de la ville où la moitié de tes jours s'est passée, et tu entres dans la cité immortelle des âmes avec une couronne d'autant plus belle que per¬ sonne ne t'a aidée à la conquérir et que, fidèle et forte dans la foi, tu n'as eu d'autre muraille pour t'appuyer que le Christ et sa parole solitaire. » Cette sublime oraison funèbre, en même temps que cette exhortation chrétienne, produisirent un immense effet sur tous ceux qui l'entendirent, malgré les critiques et les calomnies des ultramontains. Quelques années plus tard, en 1881, il devait perdre sa pieuse compagne. Femme d'une douce piété unie à une grâce sévère et à un esprit élevé et cultivé, elle eut une grande influence sur son mari au point de vue religieux. « Je la voyais, à mon cours, disait Michelet, non malade, mais autre déjà et différente d'elle-même. Dès longtemps, elle me semblait bien peu éloignée du passage, si l'on peut dire un passage pour celle qui jamais, dès ce monde, n'avait eu que la vie du ciel. » Le 9 janvier 1832, Edgar Quinet prenait le chemin de l'exil, non sans avoir protesté avec énergie contre ce coup d'Etat qui devait causer à la France tant d'années de si¬ lence et d'effondrement moral. Mais il n'est ni abattu, ni désespéré, car il croit à la justice divine. Il alla à Bruxelles, où il s'occupa de travaux littéraires et historiques et où, plus tard, il épousa une jeune veuve moldave, la fille du poète Assaki. 11 publia les œuvres de Philippe de Marnix de Sainte- Aldegonde, avec une introduction sur la question reli¬ gieuse. 11 est toujours pénétré de cette idée qu'.une révo¬ lution politique n'est rien sans une révolution religieuse. 11 nous trace un tableau de ces hommes forts et vaillants du XVI" siècle qui savaient fonder un pays libre en mettant au premier rang la réforme religieuse. Il insiste sur cette idée que « le catholicisme est un paganisme nouveau ». « Je revendique l'honneur, dit-il, de n'avoir cessé, depuis trente ans, un seul jour, de montrer l'incompatibilité radicale, absolue, de cette forme de religion avec la civilisation mo¬ derne, avec l'affranchissement des nationalités, avec les libertés politiques et civiles » (1). (1) Œuvres de Philippe de Marnix de Sainte-Aldegonde, Introd. générale, S 9. Après quelque temps de séjour eu Belgique, il part pour la Suisse, où il reste jusqu'en 1870, à Veyt&ux, petit vil¬ lage situé près de Montreux. Son histoire critique de la Révolution, œuvre admirable d'impartialité, date de cette époque. « Si la Révolution a enfin passé du domaine de la légende dans celui de l'histoire, c'est à lui que la con¬ science devra en grande partie ce bienfait. » Chose singulière, sur les dernières années de son séjour en Suisse, sa pensée religieuse avait profondé¬ ment changé. Ses deux derniers ouvrages de l'exil, la Création et l'Esprit nouveau, ne l'attestent, hélas! que trop. « Pourquoi M. Quinet n'a-t-il pas assez vécu pour arracher de son œuvre ces pages éloquentes et impies? Qu'en présence des magnifiques découvertes de la science, l'intelligence la plus ferme chancelle et croie sortir d'un rêve; qu'elle entrevoie pour la science de l'esprit des hori¬ zons nouveaux, ce n'est qu'un témoignage de la bonne foi, de l'honnêteté de la pensée. Mais quoi ! cinquante an¬ nées de spiritualisme jetées ainsi en pâture, sans regret, sans remords, à cette fermentation encore sans nom qu'on veut bien appeler l'esprit nouveau » (1). Les idées spiritualistes et chrétiennes qui l'avaient sou¬ tenu pendant toute sa vie ne reparaîtront qu'au moment suprême. Rentré en France après le k septembre 1870, il se lança dans la carrière politique qu'il n'abandonna pas jusqu'au jour de sa mort, le 27 mars 1875. Ce fut un grand deuil (1) Edmond de Guerle, ouv. cité, p. 634. - Si - pour la démocratie dont il avait été un des plus sincères défenseurs, un des plus vaillants ouvriers (1). Ses dernières paroles furent en harmonie avec ses con¬ victions spiritualités qui furent celles de ses meilleurs jours : « Nous serons toujours unis, disait-il; là où il n'y a plus ni maladie, ni tristesses, ni séparation, nous se¬ rons réunis dans l'éternité et dans la vérité. » Ainsi se termina l'existence d'un homme qui aima vrai¬ ment la conscience et la liberté. Bien des actes dans sa vie, bien des pages de ses ouvrages peuvent être critiqués. On pourra lui reprocher trop de vague dans la pensée; on pourra dire que, dans certaines circonstances, il n'eut pas assez de fermeté. 11 est à regretter, en effet, que, dans les dernières années de sa vie, il ait renié tout son passé spi- ritualiste pour faire cause commune avec ceux qu'il avait combattus autrefois; mais il est un des rares écrivains qui ait le mieux compris et le mieux défendu cette vérité (1) Une foule immense accompagna sa dépouille mortelle; au cime¬ tière, Victor Hugo, Laboulaye, Gambelta et Henri Brisson exprimèrent, dans ua langage éloquent et ému, tous les .regrets que causait à la France la mort d'un de ses enfants qui l'avaient le plus aimée. En 188?, une statue a été érigée à Edgar Quinet sur une place de Bourg. Enfin, le 12 avril 1884, en présence de tous les professeurs du collège de France, un médaillon commémoratif a été placé dans la salle où enseignaient Michclet, Quinet ét Mickiewicz. A cette occasion, M. Renan a prononcé un discours entièrement consacré aux trois illustres écri¬ vains. Il a dépeint Edgar Quinet « grave et austère, devenu étranger aux réalités vulgaires par la noble obsession de-l'idée du devoir, sévère pour ce qu'il aimait, dévoré d'une soif ardente d'idéal religieux que l'état du monde ne satisfaisait guère ». — 22 — qu'un peuple, s'il veut être réellement libre, doit s'ap¬ puyer sur l'Evangile. À ce titre, il mérite notre admira¬ tion, surtout à notre époque où on se fait une gloire, d'un côté, de se passer de l'Evangile pour fonder la Liberté, et, de l'autre, d'enchaîner la Liberté par des préceptes con¬ traires à l'Evangile. * CHAPITRE II ,;ïll - J ' La Révolution I — La Religion sous la Constituante ■ Edgar Quinet regrette que Montesquieu n'ait rien écrit sur les rapports de la religion et de la politique. Aussi la Révolution française s'est-elle trouvée sans guide, sans conseiller, quand cette question s'agita au sein de la Cons¬ tituante. La Révolution n'a employé ni l'interdiction, ni la liberté dans la solution des questions religieuses. Cette idée de la séparation de l'Eglise et de l'Etat n'était venue à aucun esprit en 1789. « La déclaration de Mirabeau et des constituants, que le catholicisme est la religion nationale, que ce serait un crime de supposer un moment le con¬ traire, excluait tout d'abord la pensée de séparer l'Etat et la Religion » (1). On se trouva bientôt devant des contra¬ dictions. (1) Edgar Quinet, la Révolution, 1.1, p. 125-126, — .24 — Tous les changements qui avaient éclaté chez d'autres peuples étaient le développement d'une certaine institu¬ tion du passé. En France, la Révolution ne pouvait être le développement ni de la royauté ni de l'Eglise. On se trouva, par la force des choses, contraint de chercher ce fondement dans la philosophie. C'était tout nouveau; une expérience inouïe allait se faire sur une nation. Sera-t-elle favorable? Sera-t-elle nuisible? Cette'vérité sufflra-t-elle aux multi¬ tudes? et n'arrivera-t-il pas, comme dans l'antiquité, où la plupart des hommes qui avaient été dégoûtés de leur ancien culte par Socrate et Platon ne purent s'élever à la religion pure des idées! « Ainsi, la grande expérience qu'allait tenter pour l'espèce humaine le peuple français, se. réduisait à ces termes : Puisque ,1e renouvellement de l'ordre moral ne naissait pas des croyances, cette régéné¬ ration s'accomplira-t-elle par les seules idées? » (1). Au fond, il n'y avait que ces trois questions : 1° la France peut-elle changer de religion? 2° quelle religion la France peut-elle adopter? 3° les Français peuvent-ils vivre en corps de peuple sans aucune religion? Un seul écrivain du.XVIIIe siècle, J.-J. Rousseau, a abordé cet ordre d'idées dans la Profession de foi du vicaire savoyard. Mais son livre n'eut, pour ainsi dire, pas de ré¬ sultat en France. Edgar; Quinet croit en trouver la raison dans les conclusions mêmes du Vicaire savoyard : « Dans l'incertitude où nous sommes, c'est une inexcusable pré¬ somption de professer une autre religion que celle où l'on (1) Edgar Quinet, la Révolution, t. I, p. 128. est né. » « Ainsi, point de révolution religieuse, point de changement dans le culte établi ; voilà la pensée que Rousseau lègue à la Révolution politique qu'il prépare. Chacun doit demeurer dans le système où le hasard l'a placé » (1). L'illustre écrivain s'élève avec force contre ce système de Rousseau qui n'aboutit qu'à l'hypocrisie et au renversement de la morale, car c'est une étrange morale que celle qui consiste à garder un masque toute sa vie et à faire supposer qu'on croit encore à des dogmes qu'on a rejetés depuis longtemps. « Le Vicaire savoyard, m'a ra¬ mené au seuil de la vieille Eglise; il me fait rentrer dans ce cercle du Moyen-Age que je croyais avoir franchi pour toujours ! Et tant d'efforts pour- en sortir, tant d'angoisses, tant de témérités, une. si longue sueur de sang, tout cela se trouve inutile ; il faut revenir après mon guide dans la cité des morts. Je me vois de nouveau au point de départ, scellé, enseveli dans l'ancienne lettre que je n'ai pas bri¬ sée, mais plus misérable, plus triste qu'auparavant. Tel le prisonnier qui, après avoir essayé vainement de franchir la dernière barrière, rentre à pas lents, la tète baissée, le désespoir au cœur, dans' son cachot » (2). Un peuple qui fera son credo de la Profession de foi du vicaire savoyard pourra bien avoir quelques velléités do s'émanciper, il pourra même accomplir une révolution; mais il s'apercevra bientôt qu'il est toujours obligé de re¬ venir en arrière. .Cette révolution aura changé les iadi- (1) Edgar Quinet, la Révolution, t. I, p. 130. (2) Ibid., 1.1, p. 134. — 26 — vidas sans toucher à l'institution, car l'esprit des individus passe, l'esprit de l'institution demeure. On répute,ra la révolution faite lorsqu'elle ne sera, pas même commencée. La réforme religieuse a été encore empêchée par cet autre dogme du Vicaire savoyard ; « Je regarde toutes les religions particulières comme autant d'institutions salu¬ taires. Je les crois toutes bonnes quand on y sert Dieu convenablement. » Edgar Quinet n'a pas de peine à mon¬ trer combien cette idée est fausse et à quel état de bar¬ barie nous serions encore si on avait toujours suivi ce principe. Le christianisme d'abord, la Réforme ensuite, n'auraient rien fait pour attirer des prosélytes et pour en¬ lever le monde l'un au paganisme et l'autre au catholicisme. Admettons pour un moment ce dogme de J.-J. Rous¬ seau, et voilà toutes les révolutions condamnées dans le passé. Edgar Quinet reproche à M. de Tocqueville d'avoir témoi¬ gné sa surprise de ce que, aux Etats-Unis, la liberté était si grande; au lieu d'en avoir cherché la cause. Il dit bien que la liberté des Etats-Unis est due à la religion. Mais quelle religion? Toutes sont-elles égales? Ce penseur, pourtant impartial, a eu peur de proclamer que c'était le protes¬ tantisme et le protestantisme seul qui pouvait donner aux peuples cette liberté. « Mettre toutes les religions, tous les cultes, toutes les conceptions de la vie infinie sur le même plan, c'est une erreur de perspective dans la repré¬ sentation idéale du temps » (1). (1) Edgar Quinet, la Révolution, t. I, p. 139-140. — 27 ~ La Révolution étant, dans l'esprit de ceux qui la faisaient, non pas bornée à un seul peuple, mais universelle, il de¬ vait en résulter, semble-t-il, qu'elle brisât les liens de la servitude de Rome qui retenaient encore tant de peuples. « Puisque Luther a affranchi de la servitude de Rome la moitié du monde, sans doute le premier acte du nouveau peuple émancipateur sera de briser ce qui reste de cette servitude. Voilà une nécessité réclamée par la logique. C'est ce que la raison demande pour que la révolution annoncée ait le caractère d'universalité et de durée qu'on lui accorde d'avance » (I). Malheureusement, l'histoire et les faits nous montrent, avec des commencements si héroïques et des promesses si magnanimes, des contradictions étonnantes et des mécomp¬ tes surprenants. L'Assemblée constituante avait ainsi pro¬ clamé la liberté de conscience : « La constitution garantit à tout homme le droit d'exercer le culte religieux auquel il est attaché ! » On pensait que c'était le couronnement de l'œuvre. Eh bien ! non. Car cette liberté n'était qu'un mot et ne changeait pas le tempérament religieux du peuple. « Si Luther et Calvin se fussent contentés d'établir la liberté des cultes sans rien ajouter, il n'y aurait jamais eu l'ombre d'une révolution religieuse au XVIe siècle. Qu'ont-ils donc fait? Le voici : après avoir condamné les anciennes institutions religieuses, ils en ont admis d'autres sur lesquelles ils ont bâti des sociétés nouvelles; et c'est après que les peuples ont contracté ce tempérament nou- (1) Edgar Quinel, la Révolution, 1.1, p. 143-144. — 28 - veau que la porte a été rouverte plus tard à l'ancien culte, qui, par la désuétude, avait cessé de se faire craindre. Telle est la loi des grandes révolutions religieuses qui se sont établies dans le monde » (1). Pour le grand penseur, si la Révolution n'a pas mieux réussi, c'est qu'elle n'a pas été consacrée par la réforme religieuse. Mirabeau et plusieurs de. ses collègues de l'Assemblée constituante avaient bien compris qu'il n'y avait pas révo¬ lution réelle sans réforme religieuse; mais, devant la fameuse proposition du prêtre Do m Guerle, qui consistait à déclarer religion de l'Etat la religion catholique et ro¬ maine, tous ces timides réformateurs se turent et se cour¬ bèrent encore plus sous le joug romain. « Toutes les fois que cet ennemi se lèvera, l'esprit de la Révolution répétera la scène de la Constituante et du chartreux Dom Guerle. On s'humilie, on s'abaisse, on croit tromper le'passé qu'on encense, déjà l'on est pris dans son piège » (2). Evidemment, les constituants essayèrent de faire une petite réforme dans l'Eglise, mais ils voulaient la faire sans qu'il en parut rien. Ainsi, ces hommes timides jusqu'à l'excès n'ont jamais fait appel au droit d'examen en matière de foi. Ils n'ont jamais osé interpréter les Ecritures, eux qui en appelaient toujours à un droit antérieur et primitif. Ils ont tous pris un masque de dévotion ridicule qui a donné la victoire à leurs adversaires. La condamnation que la (1) Edgar Qainet, la Révolution, 1.1, p. 151. (2) Jbidt. I, p. 161- — 29 — terre avait entendue il y a trois siècles, ils n'ont pas osé la prononcer une seule fois contre la papauté, contre l'Eglise du Moyen-Age. Aussi l'illustre écrivain ne peut s'em¬ pêcher de s'écrier : « 0 Jean I-Iuss ! ô Luther! Ziwngle! Savonarole ! Arnauld de Brescia ! rendez le courage à ces tribuns déchaînés! Où sont vos foudres, vos colères? Ce que vous avez affronté tout seuls, du fond de vos cellules, quand le monde était contre vous, les hommes du peuple environnés de 1a, force, de l'amour d'une nation, n'osent pas même l'imaginer trois ou quatre siècles après vous ! » (1). Ce que Mirabeau n'a pas osé entreprendre, des hommes plus hardis travailleront sans doute à cette grande ré¬ forme! Pas du tout. Depuis le grand tribun jusqu'à l'ora¬ teur des clubs, tous se défendent de vouloir supprimer quelque chose de la religion dite de la majorité. « Ne di¬ rait-on pas, s'écrie Camille Desmoulins, qu'on supprime quelques sacrements, comme ont fait Luther et Calvin? Rien de tout cela ; pas une procession, pas un pain bénit de supprimé. » Ils agissaient ainsi, soit qu'ils espérassent faire quitter au peuple l'ancienne religion sans qu'il s'en aperçût, soit qu'ils crussent le peuple incapable d'accepter un changement dans l'ordre moral. Mais alors quelle foi avaient-ils dans la Révolution? Edgar Quinet montre très bien comment la méthode de Voltaire a été funeste à tous ces esprits qui semblaient être appelés à accomplir une réforme sérieuse au point de vue religieux et qui n'ont (1) Edgar Quinet, la Révolution, t. I, p. 163-164. — 50 _ rien fait du tout. Ils ont usé de stratagèmes, de détours ingénieux, d'ironie, ils ont contrefait la dévotion, mais ils ont manqué d'une audace véritable en n'osant pas attaquer l'adversaire en face. « La Révolution accordait le semblant, l'extérieur, les mots à la religion du Moyen -Age, et cela suffisait à cette religion, car elle savait qu'avec les mots elle regagnerait les idées, avec le semblant la réalité, avec le dehors le fonds même de l'homme. Elle vivait depuis des siècles sur l'apparence ; tous s'entendaient pour la lui laisser. Que lui fallait-il davantage? » (1). On crut faire œuvre de réformateur en votant la cons¬ titution civile du clergé. Par ses décrets, la Constituante émancipait le curé de l'évêque et l'évêque du pape. Mais les consciences elles-mêmes étaient-elles émancipées? Le prêtre continuait d'en rester le maître absolu. Les an¬ ciens sacrements étaient maintenus. Rien n'était donc changé. Pas un atome de liberté d'examen n'était entré dans le monde et cette réforme n'était qu'apparente. « Dans la Réforme, le protestant tient à ses ministres parce qu'ils lui représentent les droits acquis de la con¬ science moderne. Mais les prêtres constitutionnels de 1790 ne représentaient que le pouvoir de l'Eglise du Moyen- Age » (2). Cette Eglise éphémère, qui compta dans son sein le cé¬ lèbre évêque Grégoire, fut rejetée par une grande partie (1) Edgar Quiiiet, la Révolution, 1.1, p. 109. (2) Ibid., 1.1, p. 170. — 51 — du clergé, et elle enfanta la guerre terrible de Vendée. Malgré tout, les raisons ne manqueraient pas pour justifier cet essai de réforme religieuse. Les Constituants ont cru que le peuple les suivrait et achèverait ce qu'ils avaient commencé si timidement; mais ils ont trop compté sur la postérité. Où Edgar Quinet a commis une grave erreur, selon nous, c'est quand il donne l'explication des succès de la Réforme au XVIe siècle. 11 déclare d'abord que les Consti¬ tuants auraient dû accomplir leur réforme tout d'un coup et sans transition. Puis il avance que, si la réforme a pu s'établir et s'enraciner dans le monde, c'est que ses pre¬ miers actes ont été le brisement des images, le sac des églises, l'aliénation des biens ecclésiastiques, l'injonction d'obéir dans l'intime conscience au nouveau pouvoir spi¬ rituel, le bannissement, non seulement des prêtres, mais de tous les croyants qui gardaient l'ancienne Eglise au fond du coeur. Edgar Quinet oublie que la Réforme a été avant tout une explosion universelle. De tous côtés, dans l'Europe, des milliers d'âmes gémissaient sous la servitude papale et aspiraient à la liberté chrétienne. Ils avaient soif de l'Evan¬ gile et ils voulaient se désaltérer à la source même de l'Evangile, qui est Christ. On leur avait voilé le Sauveur du monde, on avait mis une barrière entre eux et Jésus- Christ et ils sentaient le besoin de l'invoquer pour procu¬ rer à leurs âmes angoissées la paix à laquelle elles aspi¬ raient. Si dans l'histoire de la Réforme on trouve quelques actes de persécutions et d'intolérance que nous ne saurions trop blâmer, on peut affirmer, du moins, que la Réforme — 52 — ne s'est pas établie par la violence et qu'elle n'a imposé ses croyances à personne. Des milliers de chrétiens qui voulaient adorer Dieu en esprit et en vérité et chez qui se faisait depuis longtemps une préparation intérieure se sont levés d'un commun accord pour recouvrer les droits de la conscience foulés aux pieds depuis tant de siècles, et pour remettre sur son piédestal éternel Jésus-Christ, que la papauté avait renversé pour usurper sa place. La timidité d'esprit des constituants ne leur servit de rien : les prêtres se donnèrent comme martyrs. Les consti¬ tuants veulent, disaient-ils, conserver l'Eglise romaine, et cette Eglise se lève contre eux, et on les met au nombre des grands renverseurs de religion. Ces hommes étaient profondément désorientés. Ils n'osaient se manifester. Ils se liaient au Moyen-Age. Ces révolutionnaires poussent les hauts cris, parce qu'un homme qui comprenait le respect des consciences et avait une haute idée de la tolérance avait fait adopter une loi qui dispensait les non-croyants de concourir extérieure¬ ment aux cérémonies d'un culte qu'ils réprouvaient. Ceux qui s'indignaient de cet arrêté croyaient-ils à cette religion qu'ils paraissaient défendre avec tant d'énergie? Ils en avaient peur, voilà tout. On ne peut s'empêcher d'admirer Voltaire quand il prend en main la cause des Calas et des Sirven, ces nobles victimes du fanatisme ro¬ main. On ne peut s'empêcher d'être remué par cette parole généreuse et convaincue, mais n'est-ce pas à lui qu'on est redevable en partie de toutes ces erreurs religieuses de la Révolution? N'est-ce pas lui qui, tout en faisant une guerre de plume à l'Eglise catholique, s'inclinait cependant devant elle et assistait assez régulièrement à ses cérémonies. Les constituants en étaient là. Ils guerroyaient et ne ré¬ formaient rien. Ils ignoraient que l'Evangile est le seul et unique remède contre la papauté. « Les choses vacillaient d'une manière effrayante, mais l'Eglise restait debout, même dans l'esprit de Robespierre. Pourquoi désespérer? Ces hommes n'étaient donc point de la race de ces indomptables qui avaient irréparablement désolé l'ancienne Eglise. Peut-être n'était-ce qu'un torrent, une sorte d'incursion de Celtes dans le monde moral. Il fallait donc, suivant M. de Maistre, laisser passer le torrent et attendre. C'est ce qu'il fit. L'événement jusqu'ici a con¬ firmé cette espérance » (1). § II — La Religion sous la Terreur Les hommes qui furent à la tête de cette époque, qu'on a surnommée justement l'époque de la Terreur, avaient le dessein bien arrêté d'arracher le peuple à ses anciennes institutions, à ses anciens fondements, et de bouleverser la société de fond en comble, afin qu'il n'y eût plus de trace du passé. Mais ils oublièrent que ce travail prodigieux (1) Edgar Quinet, la Révolution, 1.1, p. 191-192. 3 — i ne serait rien si la forme et l'esprit du passé subsistaient encore. Pour eux, le catholicisme était encore une puis¬ sance redoutable, et ils n'osèrent pas y toucher. Ils n'o¬ sèrent pas renverser la vieille religion, ils la craignaient trop. Quand on proposa la loi qui laissait à chaque commu¬ nion le soin de salarier les ministres de son culte, ceux-hà même qui avaient adopté et fait adopter les théories les plus subversives reculèrent d'épouvante et s'écrièrent que ce projet de loi était un crime de lèse-nation. Celui qui devait quelque temps plus tard inventer le culte de l'Etre Suprême voyait encore un allié dans le catholicisme. « Pour lui, les vieux autels étaient encore nécessaires. 11 ne pouvait se détacher du Moyen-Age, il le disait et le répétait à satiété. » Au fond, son idée, comme celle des Jacobins, sur la re¬ ligion est le vide; « touU'univers en ruine n'aurait pu le combler ». « Ce moment, dit Edgar Quinet, est décisif, et voici quelle progression commence. Les erreurs d'esprit de 1792 prennent corps en 1793 et deviennent des erreurs d'actions. Des méprises d'idées produisent l'impuissance ; l'impuissance produit la fureur. Le faux conduit à l'ab¬ surde, et l'absurde va engendrer l'atroce » (1). Quelle ne dut pas être la stupeur de tous ces Jacobins lorsqu'ils virent les chefs mêmes de l'Eglise devenir iconoclastes; lorsqu'ils virent certains évêques suivis de .leur clergé abjurer le catholicisme aux.pieds de la mon- (1) Edgar Quinet, la Révolution, t. II, p. 139-140. — 3o — tagne pour le culte de la sainte Egalité. Ils croyaient plaire aux tribuns, ils se trompaient, car ces derniers n'avaient pas la logique de leurs croyances. L'évêque Grégoire résista à cet entraînement, et on l'approuva en secret, quoiqu'on le condamnât en public. Dans toute cette comédie, il n'y avait que de la frivolité mêlée à de la fureur. On essayait de renverser la vieille Eglise, mais sans s'inquiéter par quoi on la remplacerait. On les vit tour à tour, ces Jacobins de 1793, passer avec une aisance remarquable du catholicisme romain au ca¬ tholicisme constitutionnel, se déclarer plus tard partisans du culte de la déesse Raison, se convertir au culte de l'Etre Suprême, adhérer à la Société théophilantropique et re¬ venir enfin au catholicisme romain pour chanter un Te Deum en l'honneur de ce nouveau César et pontife, Napoléon Ie1'. « Le mouvement qui se produisait partout contre l'an¬ cien culte, l'effort de la France pour en sortir était la Révolu¬ tion même. Le grand Comité de Salut public n'imagina rien de mieux que de défendre solennellement cette entreprise ; malheur à qui désobéissait » (1). « Où pouvait aborder cette révolution ainsi démâtée, désorientée, sans boussole, sans étoile? Ce qu'il y a de plus effroyable en 1793, c'est devoir les terroristes la ra¬ mener eux-mêmes, voiles basses, vergues brisées, dans l'ancien port du pouvoir absolu » (2). 4» (1) Edgar Quinet, la Révolution, t. II, p. 147. (2) Ibid., t. II, p. 151. — 36 — Au mois de novembre, on avait ordonné que les églises seraient fermées. Au mois de décembre, on décide qu'elles seront ouvertes de nouveau. Ceux alors qui les premiers avaient conseillé ce décret le renient maintenant et affir¬ ment bien haut leur attachement a l'ancien culte. La peur les fait rentrer dans l'obéissance, et ils encensent le culte qu'ils viennent de proscrire. Mais ils n'y croient pas da¬ vantage; toujours le même esprit, toujours la même hypo¬ crisie. Tout adversaire du clergé catholique était regardé comme un agent de la Prusse et de l'Angleterre. Quelques conventionnels cependant pensèrent que c'était le moment de remplacer le catholicisme par une autre forme de religion. « La religion de la Convention était le déisme. Quoique cette doctrine soit beaucoup plus simple que les croyances romaines, cependant on éprouvait quel¬ que répugnance à entendre des ministres du culte catho¬ lique venir abjurer la sainteté des mystères qu'ils avaient regardés jusque là comme vrais et enseignés publiquement comme sacrés. Quelque robuste que l'on fût en incrédulité, on en éprouvait un effroi moral. J'ai connu plus tard beaucoup de conventionnels, très fermes par conviction et par raisonnement contre toutes les superstitions romaines, qui avaient conservé comme moi cette pensée de répro¬ bation contre ces aveux personnels d'imposture en matière de foi. Us considéraient que la conscience religieuse du peuple est trop importante, trop respectable dans ses mo¬ tifs, pour en faire un objet de dérision et ^profanation » (1). (1) Mémoires inédits du conventionnel Baudot. — 57 — Edgar Quinet nous raconte que le conventionnel Baudot écrivit au pasteur Jean Bon Saint-André pour lui demander conseil. Ce dernier, malheureusement, ne l'encouragea pas dans ses projets. « Je n'y puis rien, lui répondit-il ; ma demande paraîtrait intéressée comme ministre pro¬ testant. Fais la proposition toi-même, je l'appuierai. » Il ajouta que les peuples du Midi voulaient que leur culte fût une fête et que la tristesse de la Béforme ne convenait pas à la France. — Qu'était devenu le zélé pasteur du désert? Nous avons été peiné autant que surpris en lisant cette réponse. Il est vrai que les persécutions, les révolutions politiques avaient tellement disséminé les protestants français aux quatre coins de l'univers qu'ils étaient bien peu nombreux en France. Le culte n'était pas encore réor¬ ganisé; les pasteurs étaient rares. Le zèle et l'héroïsme des pères avaient disparu du cœur des enfants. Et ces derniers ne songeaient pas à faire des prosélytes. Néanmoins, malgré le petit nombre des protestants, malgré l'état de trouble où se trouvait encore l'Eglise réformée, Jean Bon Saint-André aurait dû accorder un meilleur accueil à cette généreuse proposition et s'en faire l'apôtre, au lieu de se réfugier derrière des excuses qui n'étaient guère valables et contre lesquelles Edgar Quinet s'élève avec raison. Baudot, malgré le peu de succès de sa proposition auprès de Jean Bon Saint-André, la renouvela cependant auprès de plusieurs meriftires de l'Assemblée. « Tous se moquèrent de moi », raconte-t-il. « Inconcevable mélange d'audace et de timidité ! » — 58 — Ainsi fut tranchée l'immense question à laquelle on osait à peine toucher, tant on savait qu'elle était odieuse à Robespierre. On la dissimula sous le rire. Robespierre n'avait-il pas dit une fois : « Traître comme un protestant et un philosophe qu'il est », en parlant de Rabaut Saint- Etienne. Pour Edgar Quinet, les hommes de la Révolution au¬ raient dû agir comme ceux qui firent la révolution d'An¬ gleterre, en changeant la forme de religion. S'ils n'ont point suivi cet exemple, c'est que leur esprit resta en¬ chaîné au vieux culte. On fit la guerre au philosophisme, au matérialisme, h l'athéisme ; mais on respecta cette Eglise qui, par ses dogmes surannés et ses principes dé¬ létères, était la cause de tout ce scepticisme et de cet athéisme. Edgar Quinet constate que, pour la plupart des Fran¬ çais,, changer de religion est un prodige de folie. Ils éprou¬ vent une sorte de répugnance et d'horreur native pour toutes les nouveautés qui, dans l'ordre spirituel, ont servi à émanciper les autres peuples. On aime mieux s'ensevelir dans le passé que d'admettre des réformes. Edgar Quinet y voit plusieurs causes : d'abord, la survi¬ vance des préjugés à la foi; ensuite, l'amour-propre, la coutume, les habitudes prises; enfin, les convenances. On changerait pourtant de religion, si on rencontrait un système complet de rénovation, un autre catholicisme fermé, scellé dès sa première heure, une métaphysique immuable ; on a peur des lois de la vie, des lois de pro¬ grès, des lois de développement. On trouve que la religion est bonne seulement pour le peuple, mais que les esprits cultivés peuvent s'en passer. Pour Edgar Quinet, cette raison est la plus grossière : « Nous devrions croire comme le peuple, dit-il; ainsi, nous vivrions de la même pensée que lui, nous redevien¬ drions peuple comme lui, non dans les cérémonies seule¬ ment, mais dans le cœur et la croyance » (1). Mais on aime mieux garder une vieille forme de religion pour la railler à demi-mot, pendant que la foule l'adore. 11 y a encore ceux qui voient dans la multiplicité des sectes religieuses une cause de trouble pour l'Etat. Mais les amis de la liberté ne devraient pas s'en effrayer. Pour d'autres, changer de religion, ce serait montrer que la religion est prise au sérieux, et ils ne veulent pas, disent-ils, attirer le ridicule sur eux. Mais n'est-ce pas plus ridicule de convoiter ardemment la liberté et d'em¬ brasser assidûment la servitude? La science remplacera-t-elle la religion? On peut se le figurer ; mais c'est mal connaître l'homme, répond Edgar Quinet : « La religion et la science se rapprocheront indé¬ finiment, elles ne se confondront jamais. Ballotté de la naissance à la mort dans ce berceau qu'on appelle la vie, l'homme puisera dans cet inconnu des merveilles qui ne tariront pas. 11 y aura toujours des questions auxquelles la science ne pourra répondre » (2). (1) Edgar Quinet, la Révolution, t. II, p. 588. (2) Ibid., t. II, p. 595. * "^Éî-é- > , rï '~~ y*7> \ -" » ■:■'-■ -, '■ . ; .■ i. '-i-MU'i 'îuî'H^Ï! J'!f'x; W; ■> ■ : :ru J iiii MïSÉ: ï' ? î\;i ; -• îjSMtP ' 1V ' : Ri Sfei-h -, ïfcï® ,1 ' CONCLUSION Arrivé au but que nous nous sommes proposé, nous pouvons déclarer franchement que nous y sommes par¬ venu avec surprise tellement cette étude nous a captivé tant par son actualité que par ses enseignements, qui, plus que jamais, doivent être connus. Aujourd'hui, comme il y a cent ans, la lutte est engagée entre la démocratie et l'ultramontanisme ; aujourd'hui, comme il y a cent ans, la liberté est en jeu, et de cette lutte sortira sa vie ou sa mort. Aussi, les réflexions et les avertissements d'Edgar Quinet peuvent-ils parfaitement s'appliquer à notre épo¬ que, et, avec lui, nous répéterons qu'une réforme poli¬ tique ou sociale n'est rien si elle n'a pour base une ré¬ forme religieuse. Mais ce que nous pourrions reprocher à l'illustre penseur, c'est de ne pas avoir mis assez en évi¬ dence l'individualité de chaque citoyen. « La foi se prêche, mais ne se décrète pas. » Ce n'est pas par des lois qu'on peut implanter le chris¬ tianisme dans un pays. Il ne s'implante que par l'adhésion libre et voulue de chaque citoyen. Il faut que chaque ci¬ toyen en sente le besoin, il faut qu'il soit convaincu de sa — 42 — nécessité. S'il n'y croit pas, il ne changera pas de reli¬ gion. « L'âme humaine, dit M. de Guerle, échappe à Edgar Quinet, il ne saisit plus que l'âme de la foule. S'il fallait définir l'homme tel que semble le comprendre Edgar Quinet, il faudrait dire : l'homme est un enthousiaste qui a besoin de rêver à Dieu pour être libre. Hélas! non, l'homme est un être médiocre qui a besoin de Dieu pour être quelque chose et que Dieu lui-même arrache avec peine à son étroitesse et à sa médiocrité » (1). Edgar Quinet ne nous offre pas non plus une pensée nette, une doctrine arrêtée. Ses ouvrages révèlent cer¬ taines contradictions. Ainsi, au Collège de France, il rêve une transformation du catholicisme et il nie que le pro¬ testantisme puisse jamais devenir la religion de la France. Dans son livre sur la Révolution, il regrette, au. contraire, que la démocratie n'ait pas compris que le protestantisme est la seule forme religieuse dont elle puisse s'accommo¬ der. « Il ne suffit pas, pour exercer une influence durable et étendue sur une génération, d'avoir des aspirations religieuses énergiques, il faut encore que ces aspirations s'associent à une pensée forte, à une doctrine arrêtée. L'esprit a besoin de se reposer sur un point ferme, dans sa lutte contre les instincts inférieurs. Le sentiment reli¬ gieux de la plupart des hommes s'évanouit quand il n'est pas retenu dans une doctrine claire et dans une Eglise dûment constituée. De là vient l'impuissance relative de Quinet et la petitesse de ses résultats pratiques. Avec son (1) Edmond de Guerle, Edgar Quinet. p. 639. — 43 — beau talent, avec sa nature sympathique, il aurait pu agir plus fortement qu'il ne l'a fait sur le mouvement des contemporains » (1). Pourquoi, enfin, Edgar Quinet n'a-t-il pas suivi le pre¬ mier les conseils qu'il donnait. Qui sait si son exemple n'aurait pas provoqué un mouvement vers le protestan¬ tisme qui eût été salutaire à la France. « Sortez de la vieille Eglise, s'écriait-il, vous, vos femmes, vos enfants. Sortez, pendant qu'il est temps encore, avant qu'elle n'ait muré elle-même la porte. Sortez ! et si, par des événe¬ ments que- j'ignore, la Providence vous tend encore la main, sachez enfin la saisir » (2). Edgar Quinet aimait réellement sa patrie, c'est ce qui l'a poussé à lui montrer le danger de vivre sans une reli¬ gion dégagée des superstitions et du formalisme, sans une religion qui ne fût pas autoritaire; c'est ce qui l'a poussé à lui montrer quelle était la seule religion compatible avec la démocratie. Il a aimé d un même amour Dieu, la liberté et la patrie. Aussi disait-il vrai lorsqu'il écrivait : « Quand il sera question de patrie, quelques hommes de bonne volonté se souviendront de moi. » (1) J.-J. Gourd, la Pensée religieuse d'Edgar Quinet. (2) Introduction générale aux œuvres de Pli. de Marnix de Sainle- Aldegonde, t. I, § 19. . nn . ■ ] ~ ■ . .fcrftirî; m? .. M êïjï. !Uift - :-.y- l'y?";.-;; -/'}■/■ w>; ■■m-i-u. }oMû fe ï : u . THÈSES I La Bible n'est pas l'or tout préparé, mais le minerai plein d'or. La mission de l'esprit chrétien dans l'Eglise consiste à extraire cet or. (Schweizer.) JI Le christianisme n'est pas une doctrine abstraite où l'auteur n'est pas en vue. Le fondateur du christianisme en est l'âme même. Sa religion repose sur lui et elle trouve sa meilleure explication dans la vie de son au¬ teur. (vlnet.) III La foi chrétienne ne va principalement qu'à établir ces deux choses : la corruption de la nature humaine et la ré¬ demption en Jésus-Christ. (Pascal.) IV La Sainte-Cène est essentiellement une commémoration de la mort du Sauveur. (Luc, xxii, 19.. Jean, vi, 63.) — 46 — L'Evangile est, dans le monde, l'immortelle semence de la liberté. (Vinet.) VI Il est nécessaire que l'Eglise réformée reste unie, pour avoir en France l'influence qu'elle mérite et dont elle est digne. VII Une réforme sérieuse doit être apportée au chant de nos Eglises. Vu par le Président de la soutenance : Montauian, le 31 mai 1884. A. WABNITZ. Vu par le Doyen : Charles BOIS. Vu et permis d'imprimer : Toulouse, le 5 juin 1884. Le Recteur, C. PERROUD. mk m /:Vi':siq .'A, ■. -y..-, ■"■■■■•• vA.v;:v W■.-■/' v^''"v;*'- §8 ■gll swSii I- 1 r % W:yM"ië M ,,/A' I î-'ïa s® '•• •' Si ~ " ■ \' H Bs; iiR§; SMi: SiiS . §gp| 1 T : « ;WÊÊ |§ft! *i§ , / )> " ."''-r''; A , ,'J ^ J ' "V §11 'x M-V y' 1 "'A'v . « a I > — 1111 ■■ r?m KÉ1 lit Rii Itl : £$& V -'<11 il , «Ëf W gja '• A' / - I iw§ H tftiV i|§§| 11 'rnm:t- mÀm H ï s',- ~V h ■ mm