JENNY ALFRED-SCHWOB Comment 'ai été convertie LAUSANNE Imprimerie A. Bovard-Giddey Maupas, 7 1938 Prix: Fr. suisse 1. Fr. français 7.— ; : : V ' s- ■ . ' ■ . / *-;ii'- - : : \ ' : : ' : ■ H ■ ' ' ' ■ " ... >■ ■ m gggggg . . ■ . iiés®s V ' » SifiS ?mm. ' y<*.1 % '■ ,v;, .<;. >. *< -■■ Sir - v>V mmmaam Êà:' " '• „ : ", ^ ' ' <' "S' V c1 ' ' . ÉlMÉIfei .SES*.:. ' * ,-;.r.s „,..vc;..-.:. il -: "1 | s W, M « « 1 "■ ■ HWKM I ■ USE •il aéSSlSsSgM .g ■ -■ Siîaiï-iî'i'' Bill ■./->■: î^H ssiifi " :s ; '• ' '*, > " • „ r >„* ■ '. -■ ' - « ■ ; ;..**"•;• T -, ■ \ : • %. ■. 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Lorsque se produisit l'événe¬ ment redouté, d'autres à sa place se seraient ren¬ fermés dans une sombre et amère désolation, dans une réprobation farouche et obstinée, et ils auraient du même coup enfermé dans leur cœur une incu¬ rable souffrance. Mais notre sœur à jamais regret¬ tée, dont l'âme religieuse déjà se réveillait, com¬ prit qu'il devait exister pour elle une autre solu¬ tion que celle-là. Elle l'a cherchée et elle l'a trou¬ vée. Dirai-je qu'elle l'a trouvée dans une confes¬ sion religieuse ? Non, je ne le dirai point. Elle l'a trouvée dans les sereines régions de la pure reli¬ gion dont vivent toutes les confessions, quand elles vivent, mais qui leur est supérieure à toutes. Elle s'est élevée peu à peu plus haut que la résignation, plus haut que l'acceptation de l'inévitable, jusqu'à la compréhension totale et à l'amour. Oh, je sais qu'il ne peut être donné à chacun de l'y suivre. Parmi ceux qui liront ce témoignage spirituel qu'elle a écrit pour le bien des âmes, à la gloire de Celui qui est le Maître des âmes et qui agit en elles, tous ne la comprendront pas. Mais tous devront s'incliner avec respect devant le mys¬ tère de cette expérience religieuse, troublante pour eux peut-être, et ils devront se dire que les voies de la sainteté sont multiples et que celle où il plut au Seigneur de faire marcher s'a servante fut dif¬ ficile mais glorieuse entre toutes. Ce fut pour elle la porte ouverte pour un ache¬ minement, progressif et ininterrompu jusqu'à la fin, dans une spiritualité toujours plus haute, plus pure et plus lumineuse, plus fraternelle aussi. Et cela comporte pour nous un enseignement précieux que nous devons recueillir pieusement. Aimé Pallière. PREFACE Le Judaïsme est le sphinx du monde moder¬ ne : Il ne nous a pas encore livré son énigme. Combien de fois, ne le jugeant que sur cer¬ taines apparences, n'a-t-il pas été taxé de reli¬ gion morte, aussi bien par des Juifs que par des chrétiens. Mais alors que la mort détruit, la foi juive a résisté à l'épreuve des siècles — et à quelle épreuve ! Non seulement cette foi de¬ meure, mais elle attire encore à elle les âmes religieuses. Il y a quelques années, un Catholique de Lyon, Monsieur Aimé Pallière, racontait dans le Sanctuaire Inconnu comment il avait été con¬ quis au « Catholicisme d'Israël ». Aujourd'hui, une Israélite de Paris, Madame Jenny Alfred- Schwob, nous fait le récit du retour à la foi de son enfance. Elle n'en avait conservé que la croyance en Dieu et la morale du Sinaï. Les épreuves ont été le chemin qui l'a ramenée à la plénitude spirituelle. Elle a retrouvé le vrai — 10 - Judaïsme : celui qui parle au cœur de paix di¬ vine et le nourrit de l'espérance messianique. Bien plus, la « conversion » de Madame Al- fred-Schwob s'est produite parallèlement au passage de son fils René au Catholicisme. Mal¬ gré toute la douleur qu'elle en ressentit, la mère put retrouver la communion avec son enfant par delà les barrières confessionnelles, grâce à l'œ¬ cuménisme d'Israël, que prêchaient déjà les prophètes et qui vibre inconsciemment au tré- fond de toute âme juive. Telle est la confession que l'on va lire dans les pages qui suivent. Nous tenons à dire à Ma¬ dame Alfred-Schwob notre reconnaissance de nous avoir livré son expérience : non seulement elle redressera certains jugements hâtifs, mais elle fera connaître à ses amis chrétiens comme à ses frères d'Israël toute la richesse de la foi juive. C'est un magnifique témoignage rendu au Judaïsme éternel ! Théophile Grin. Comment j'ai été convertie SPIEZ, juillet 1936. Chère Amie, Vous demandez qu'à toutes vos questions je fasse une réponse. Vais-je donc dans la calme retraite où je me trouve, abandonner le silence que je me suis fait un devoir de garder jusqu'à ce jour ? Ces confidences, à quelles fins devront-elles servir ? Ne pensez-vous pas qu'en pareille ma¬ tière chacun juge par expérience personnelle, suivant les leçons qu'il a su tirer de ses propres souffrances ou selon les lumières qui lui seront venues d'un éclair soudain rencontré sur sa rou¬ te et qui aura éclairé pour lui le présent, le passé et l'avenir. Mais avant que cette lumière jaillis¬ se, que de détresses secrètes ! Que d'angoisses ! — 12 — C'est dans cette souffrance que se manifeste la Volonté divine. Elle nous conduit ainsi par les chemins qu'elle a choisis et dont le but reste longtemps pour nous mystérieux. Heureux som¬ mes-nous, le jour où nous parvenons à compren¬ dre que cette route pénible et ténébreuse qu'il nous a fallu, parcourir était en réalité une grâce particulière de Dieu à notre égard ! Pour vous aider à pénétrer le sens de ce que vous considérez comme une épreuve et qui n'est autre chose que le moyen dont Dieu se sert pour nous amener, si nous nous laissons condui¬ re, à la vraie paix intérieure, je vais donc m'ef- forcer de vous raconter ma propre histoire, de¬ puis mon enfance. Mais le plus difficile pour moi, vous le sen¬ tez bien, ce ne sera pas d'évoquer de lointains souvenirs, mais bien de parler d'événements plus proches, parce que d'autres que moi et des êtres qui me sont très chers s'y trouvent intime¬ ment mêlés. Lettre I SOUVENIRS D'ENFANCE Dans ma petite enfance, j'ai possédé ce don précieux de sentir Dieu. Oui, j'avais cette foi qui illumine l'âme ; elle était toute naturelle en moi, peut-être parce que de bonne heure déjà j'ai souffert. Ma chère et pieuse maman entrait dans la période douloureuse d'une maladie qui devait l'éprouver pendant près de quinze ans. Un rhu¬ matisme aigu en faisait une martyre ; elle ne se plaignait pas, elle soupirait et priait ! Toute petite, je me mis à la soigner ; je pas¬ sais près d'elle tous mes instants, je n'ai jamais joué ; pourtant près d'elle je riais toujours, mais souvent en cachette je pleurais et j'appris ainsi sans le vouloir, sans le savoir, à pleurer et à rire en même temps, joignant ainsi une espérance plus forte que tout à mes tristesses d'enfant. J'avais environ huit ans à cette époque. A ces impressions douloureuses, il s'en mêle d'autres qui sont très douces. Ma pieuse mère me faisait — 14 — soir et matin répéter une prière très simple, où je mettais toute mon âme, et tout bas j'ajoutais : Fais, mon bon Dieu, que tout le monde m'aime. A cet âge, il n'entrait pas de prétention dans ce désir que j'avais d'être aimée de tous ; un peu plus tard, je compris que c'était là une manière enfantine de formuler le désir de pouvoir moi- même aimer tout le monde. Donc, j'étais une petite fille qui souffrait, mais qui aimait Dieu de tout son cœur. Je me rap¬ pelle la douceur de ma pieuse enfance ; je me vois donnant la main à mon père qui m'emme¬ nait à la synagogue pour les fêtes, parée de ma belle robe de velours à ceinture écossaise ; c'é¬ tait une grande joie pour moi de regarder prier les grandes personnes, de faire mes petites priè¬ res personnelles, n'oubliant rien de ce qui me semblait intéressant. Puis, le grand bonheur était de recevoir la bénédiction de mes parents. Je n'appris l'hébreu que plus tard et on ne sut guère me le faire aimer ! A cette époque le livre de prières n'était pas, du moins celui de mes parents, traduit en fran¬ çais, et le cher petit « Cœur Israélite » ne m'a¬ vait pas encore été offert. Je composais donc moi- même mes prières. Je parlais réellement à Dieu en toute intimité. Je ne me décourageais jamais de ne pas être exaucée. J'aimais Dieu, je vous — 15 — l'ai dit, et si je me permettais de demander, c'est qu'il était bien cruel pour une petite fille de voir toujours souffrir dans son lit sa chère maman. Puis je me rappelle les fins de Sabbats. Mon père faisait la prière de Habdala. Sur la pointe des pieds, je me tenais pour voir ce qu'il y avait dans cette petite boîte d'où s'exhalait un par¬ fum si doux ! Cette prière que je ne pouvais comprendre, je l'écoutais avec recueillement. Pour la fête de Hanouka, j'avais l'honneur d'allumer les petites lumières, et à Pâque, l'in¬ comparable joie de préparer avec la vieille Françoise cette vaisselle que l'on descendait du grenier tout exprès, après avoir fait un nettoya¬ ge en règle. Pas une miette de pain ne devait rester dans la maison ; je savais que les Juifs avaient dû fuir l'Egypte en emportant leur pâte qui allait faire de bonnes matzoth. Ces matzoth, que depuis cette époque lointaine, ils ont coutu¬ me de manger pendant huit jours... Quand enfin là soirée pascale arrivait après tous ces préparatifs, les poches de tous les vê¬ tements ayant été bien retournées pour qu'il n'y subsistât pas la moindre miette de pain levé, c'était le moment des grandes émotions. Le plateau, c'est moi, toute petite fille, qui le préparais sous les yeux et sur les indications de — 16 — ma mère ; ne vous étonnez plus de voir qu'au¬ jourd'hui cette fête a toujours pour moi tant d'attrait ; elle demeure dans ma mémoire asso¬ ciée à de tels souvenirs ! A cette bienheureuse époque de mon enfance, le mystère se créait dans mon esprit avec l'évo¬ cation du prophète Elie que l'on semblait atten¬ dre ; je croyais le voir entrer lorsque l'on ou¬ vrait la porte. Avec une crainte et un amour que je ne puis m'expliquer, je contemplais la coupe de vin qui lui était destinée et à laquelle on ne touchait pas. Le prophète qui assistait en esprit à cette fê¬ te devait être content de la petite fille de huit ans qui le fêtait ainsi avec tout son cœur. Avec quel respect aussi, j'allais retirer de sa cachet¬ te le morceau de matza placé par mon père sous les coussins de son grand fauteuil, lors¬ que, le repas s'étant déroulé dans la joie, le moment arrivait de distribuer l'aphikomen ! Je la rendais, cette matza, sur la promesse d'un petit cadeau... Ma chère maman, toujours plus souffrante, hélas ! ne pouvait guère s'occuper de mon ins¬ truction religieuse. Ce que j'avais appris en fait de religion, je le savais pour l'avoir vécu et jus¬ que là c'était très bien ; cependant mes parents estimèrent qu'il était nécessaire de me donner un professeur pour m'apprendre l'hébreu et l'histoire sainte. A dater de ce jour, je dus ré¬ péter machinalement des mots auxquels le maî¬ tre ne prenait pas la peine de donner le moin¬ dre sens religieux ! Dans cette prétendue ins¬ truction religieuse, il ne m'était pas parlé de Dieu, et pourtant j'avais un si grand désir de m'instruire et de connaître religieusement no¬ tre belle histoire juive. Mais en ce temps-là ces professeurs de religion ne parlaient pas avec leur âme aux enfants, et les petites filles com¬ me les jeunes garçons ne pouvaient être que rebutés par un tel enseignement. Nos enfants sont-ils mieux partagés aujourd'hui ? J'ose à peine vous le dire, ma chère amie, mais cette période d'instruction religieuse, au lieu de m'être profitable, eut sur moi de bien fâcheux effets ; la religion se révélait sans char¬ mes ; combien mes prières à moi m'étaient plus douces !... Combien le Dieu auquel je m'adres¬ sais m'était plus proche !... J'avais dans ma petite âme d'enfant un si vif sentiment de Dieu ! Je lui parlais si bien, et voi¬ là que tout à coup ce Dieu n'était plus qu'une abstraction que je ne pouvais plus atteindre ! Je pense que l'indifférence religieuse dont on ne cesse de se pljaindre a souvent pour cause cette absence complète de vraie piété dans la formation religieuse des enfants. — 18 — Plus favorisée que beaucoup d'autres, hélas ! j'avais subi la douce influence de la foi de ma mère, mais cette influence allait s'effacer de jour en jour, car même chez l'enfant qui a reçu le bon grain, il se dessèche s'il n'est pas cultivé. J'étais trop jeune alors pour corriger de moi- même l'enseignement qui m'était donné ; ensui¬ te ce fut trop tard. Je comprends aujourd'hui pourquoi ma sœur, de sept années plus jeune que moi, est si com¬ plètement indifférente aux choses religieuses. Lorsqu'elle atteignit les huit ans qui pour moi avaient été baignés de la poésie religieuse d'une maison juive, rien n'existait plus à notre foyer ! Finies les touchantes pratiques ; la fête de Pâ- que était encore célébrée en famille, mais ce n'était plus de la même religieuse façon ! Je ne parviens pas à m'expliquer les raisons de ces changements, je ne puis que les constater. Ma mère plus malade, mon père souvent éloi¬ gné du foyer par ses occupations, la lumière s'affaiblissait de plus en plus en moi, sans pou¬ voir toutefois s'éteindre complètement. Au temps où ma ferveur était vivace, quand je priais longuement le soir au pied de mon lit, ma petite sœur me pressait de souffler la bougie pour la laisser dormir, et le moment vint en effet où j'alliais souffler sur la bougie... qui n'éclaira — 19 — plus mon âme de sa chère lumière ! Néanmoins la nuit complète fut longue à venir. Mes études m'absorbaient, mes devoirs de petite maîtresse de maison devenaient plus sé¬ rieux. Maman était toujours alitée. J'avais, je crois, seize ou dix-sept ans quand, désespérée de la voir toujours souffrir, j'offris à Dieu de passer en prière et debout la journée du Kip- pour qui se célébrait le lendemain, dans l'es¬ poir d'obtenir ainsi sa guérison. Je ne fus pas exaucée, mais l'espoir resta plus fort que la déception. ■tfHM - - v:w ;,-i . Lettre II OBSCURCISSEMENT Par un miracle dont je rendais grâces à Dieu, la santé de ma chère maman s'améliora ; il lui fut possible le jour de mon mariage de s'asseoir près de moi sous la Houpa. Ce fut le cher et vénéré rabbin Zadoc-Kahn, ami de ma famille, qui bénit notre union ; ma ferveur était profon¬ de, je priais de toute mon âme. Après l'émou¬ vante cérémonie, je pleurais et riais comme lors¬ que j'étais enfant. Je riais pour traduire ma joie d'entrer dans une nouvelle vie aux côtés d'un être aimé, et mes pleurs traduisaient mon émotion à la pensée de l'avenir inconnu qui s'ouvrait devant moi et au souvenir des années tristes vécues jusqu'à ce jour. Mais bientôt, dès les débuts de cette nouvelle existence, je me laissais bercer dans une quié¬ tude qui allait produire de funestes effets. Je devenais mondaine, je recevais, je sortais, je menais la vie d'une jeune femme bourgeoise. Ma piété de jour en jour s'endormait. _ 22 — Mon mari eût été très capable de vivre une vie juive, si je le lui avais demandé, aucune faute ne lui incombe dans ce qui m'est arrivé. Peut-être ma tiédeur religieuse à cette époque provenait-elle de trop de bonheur ? Qu'avais-je fait de toutes ces saintes impres¬ sions de mon enfance, enfance triste, mais tou¬ te pénétrée de piété, où Dieu était vraiment Ce¬ lui que j'aimais ? Pourquoi n'ai-je pas compris que cette foi qui avait embelli mes jeunes années, était le plus bel héritage que je pouvais laisser à mes enfants ? Je les élevais dans la droiture de nos sentiments de famille, je voulais les voir s'aimer, et j'espérais que l'exemple d'un foyer où la tendresse régnait, suffirait pour former ces jeunes âmes. Mais ce n'était pas moi, c'était une vieille servante de la famille, qui leur ap¬ prenait à réciter la prière du soir ! Voilà donc ce qu'avait fait de moi le monde où je vivais ! Comment aurais-je pu communiquer une foi que je perdais moi-même ! Je cherche vaine¬ ment aujourd'hui à comprendre pourquoi je n'ai pas su me retenir sur cette pente glissante. Dans cette existence heureuse qui était la mienne, choyée par les miens, adulée dans le monde, je ne trouvais plus le temps de penser à Dieu ! Quel trouble se produit maintenant en moi au souvenir de ces années lointaines ! Leur charme mondain est devenu pour moi un re¬ mords, au lieu d'un souvenir agréable ; j'ai le regret cuisant de n'avoir rien fait pour dévelop¬ per l'âme religieuse de mes enfants. Ce senti¬ ment si profond que j'avais possédé, je n'ai pas su l'éveiller en eux. De ma foi en Dieu il ne restait plus rien, car ce sentiment du judaïsme que je gardais malgré tout, n'avait rien de profondément religieux. Pourquoi cet amour de Dieu que j'avais pos¬ sédé s'était-il si peu enraciné en moi ? La vie heureuse et mondaine que je menais suffit-elle à expliquer cet oubli ? Je ne le pense pas. J'avais gardé les douceurs de la foi aussi longtemps que la petite boîte d'aromates de « l'habdala » et la coupe du prophète Elie pen¬ dant la soirée pascale, conservaient leur attrait mystérieux, ainsi que nos autres pratiques reli¬ gieuses. Du jour où je n'attachai plus aucune impor¬ tance à tout cela, il ne me resta plus rien, qu'une religion que je croyais raisonnable, mais qui était sans vie. J'avais cru m'acquitter de mon devoir en l'enseignant à mes enfants, cette religion si rai¬ sonnable, mais si parfaitement incapable d'éveil¬ ler le sens du divin dans les âmes. Dans cette confession que je vous fais au¬ jourd'hui, je voudrais que les mères juives puis¬ sent trouver un avertissement. Elles ne sont que trop nombreuses, hélas ! celles qui, par leur indifférence, qu'elles Le veuillent ou non, sont une cause de ruine pour Israël ! Comme la plupart d'entre elles, je comptais sur l'enseignement donné par les maîtres à l'é¬ poque de ma jeunesse, et il continue à en être de même aujourd'hui. Cet enseignement juif était tout superficiel, l'Esprit en était absent, la prière elle-même n'était qu'un acte routinier ! Tant de richesses existent cependant dans le domaine de la foi, et l'époque de la Bar mitzwa serait la meilleure occasion pour en ouvrir l'ac¬ cès aux jeunes âmes ; mais mes enfants, comme leurs camarades, ont appris d'une façon toute machinale leur paracha, sans la moindre com¬ préhension de l'acte qu'ils allaient accomplir. Et moi, mère juive, je n'avais pas la moindre idée de ma propre responsabilité ! Aussi avais- je mérité la réponse que me fit mon plus jeune fils la veille du Kippour qui suivit sa majorité religieuse : « Jeûneras-tu demain, René ? » lui demandai-je. L'enfant me répondit gravement : « Maman, je vais réfléchir cette nuit et demain je te ré¬ pondrai ». — 25 — Le lendemain, après une nuit sans sommeil, il me dit simplement : « Je n'ai pas la foi, je ne jeûnerai pas ». Je n'en fus nullement surprise, mais aujour¬ d'hui je soupire amèrement lorsque j'entends dire autour de moi que l'essentiel pour le ju¬ daïsme, c'est la saine raison. Pourtant mes ancêtres savaient prier et ils trouvaient force et consolation dans la prière. C'est que, sans doute, leurs souffrances leur donnaient l'intelligence du mystère juif, et les sacrifices qui leur étaient demandés entrete¬ naient en eux une ferveur que tue le rationalis¬ me des gens heureux. Vous me demandez ce que nous allons de¬ venir ? En vérité, je ne saurais vous le dire, mais ce que je sais bien, c'est qu'elles sont nombreuses de nos jours, les maisons juives où les enfants font à leurs parents, à l'égard des pratiques, la même réponse que mon fils au lendemain de sa Bar-Mitzwa, et cette absence de foi religieuse chez les jeunes ne surprend personne. Dans les coins poussiéreux de nos bibliothè¬ ques dorment les volumes de prières qu'ont te¬ nus tant de fois les mains vénérées des grands parents. On les garde comme des reliques, mais on ne les comprend plus et on ne les touche plus ; c'est ce qu'on appelle le progrès... Or, si notre religion était une pauvre religion, nous n'aurions plus qu'à gémir, à déplorer en silence notre misère. Mais au contraire, notre religion est riche, très riche ; c'est nous qui par notre négligence, notre abandon, nous appau¬ vrissons. Ces livres oubliés renferment des tré¬ sors spirituels. Le Nom sacré, le Nom du Dieu vivant y resplendit toujours et il n'a rien per¬ du de sa puissance. Je ne puis donc croire que possédant un tel passé, avec de si grandes ré¬ serves de résurrection, nous soyons condamnés à une irrémédiable déchéance. Ce n'est pas l'avenir du judaïsme lui-même qui est mis en péril. N'a-t-il pas pour lui les promesses divines ? C'est l'avenir de cette frac¬ tion du judaïsme que nous représentons en ce pays où, plus heureux que beaucoup de nos frères, nous avons pourtant toute liberté de met¬ tre notre patrimoine en valeur. Et c'est pour¬ quoi maintenant que mes y'eux se sont ouverts, je voudrais adjurer toutes les mères juives de comprendre leur devoir mieux que je n'ai su le faire moi-même au temps où je pouvais exercer une influence sur l'âme de mes enfants. Lettre III RAPPEL A L'ORDRE Nos enfants grandissaient, non sans être éprouvés par de graves maladies, typhoïde, scarlatine, etc. Nous les soignions avec amour ; puis les études continuaient actives ; je vivais ma petite vie bourgeoise, strictement occupée de mes devoirs de famille et de mondanité. Ma piété, je vous l'ai dit, n'existait plus !... Combien de temps cette vie aurait-elle duré, si je n'avais été rappelée à l'odre de multiples manières ? Nous passions nos vacances à Cabourg, pe¬ tits et grands ; chacun se distrayait. Un jour, comme une bombe, arrive un télégramme qui nous apprend notre ruine. Tous les efforts d'une vie de travail et de droiture sont anéantis. Avec un courage stoïque et sans s'attarder à récrimi¬ ner sur ceux qui causèrent cette ruine, mon cher compagnon cherchera à refaire sa situation bri¬ sée. Du jour au lendemain, je changeai notre manière de vivre, jusqu'au jour où le cher bien- — 28 — aimé, iminé par le chagrin qu'il concentrait, tom¬ ba gravement malade. Il fallut songer à vivre sans le travail du chef de famille ; les enfants trop jeunes ne pouvaient nous aider, et moi, je n'étais pas préparée pour la lutte et je ne sa¬ vais ce que je pourrais faire... A ce moment, dans ma détresse, une toute petite lumière se ralluma, je priai, et de toute mon âme. Cette prière intéressée et celles qui suivirent, m'apportèrent pourtant la force nécessaire pour supporter les épreuves de la maladie et de la ruine. Je ne puis expliquer ce qui se passa, mais je sentis naître en moi un courage et une volonté insoupçonnés jusqu'à ce jour. Je voulus tenter de travailler, faire ce que ne pouvait plus faire mon mari. Inutile de vous raconter les déceptions, les découragements que certains intimes me firent éprouver, mais à côté des déceptions nous con¬ nûmes aussi les joies d'une sincère et pure ami¬ tié. Elles nous viment d'un être dont la bonté et la fidélité pour nous furent parfaites, et je lui garde en mon cœur une reconnaissance éter¬ nelle. J'aimais son fils comme mon propre en¬ fant ; très jeune, il avait perdu une mère char¬ mante, qui avait été pour moi une excellente — 29 — amie. Nous habitions le même immeuble, le pè¬ re me confiait son enfant qui, avec mes fils, à l'époque où la vie s'écoulait heureuse, travail¬ lait et jouait ; lorsque se succédèrent les épreu¬ ves, le secours moral nous fut donné par cet ami incomparable. Il m'est doux de lui rendre aujourd'hui cet hommage. Depuis des années il a disparu de la terre, mais dans mes prières, encore aujourd'hui, ni lui, ni son épouse ne sont oubliés. Donc je travaillais, et nos aînés, au lieu de poursuivre leurs études, que continuaient les deux plus jeunes, furent mis aux affaires. Les années passèrent et ce fut la déclaration de guerre. Notre plus jeune fils voulut s'enga¬ ger aussitôt. Malade à ce moment-là, je lui dis en mère apeurée : « Je suis malade, attends d'être ap¬ pelé. » Il me fit cette simple réponse : « La pa¬ trie est plus malade que toi. » C'était vrai... Il partit donc. Peu de temps après, blessé et très malade, il fut évacué à la Rochelle et j'allai le voir à l'hô¬ pital. A mon chagrin de le trouver dans un état physique alarmant, une peine se joignait : je me sentais loin du cœur de mon enfant. J'avais l'impression que ma présence lui pesait ; avec un bon sourire, pourtant, il m'accueillait ; mais, — 30 — peu d'instants après, il me ^demandait de le laisser, préférant rester seul ! Je mettais sur le compte de la souffrance ses irrégularités de ca¬ ractère. Un jour il me raconta qu'étant resté seul sur un champ de bataille, tout son régiment était décimé, — il entendit une voix qui lui disait au moment où il traversait une plaine désolée : « Tu seras sauvé si tu m'aimes » J'écoutais ce récit sans y attacher plus d'importance que je n'en avais mis à sa réponse du jour de Kippour : «Je ne jeûnerai pas ». Ce récit était pourtant une indication très nette de ses préoccupations religieuses, et sur son lit d'hôpital, ces paroles, sans doute, de¬ vaient prendre une forme plus précise. Après de longs jours passés dans cet hôpital, il fut réformé et rentra avec moi à Paris où, bien souvent encore, pendant les années qui suivirent, son état de santé devait passer par de pénibles alternatives. Enfin, se trouvant suf¬ fisamment rétabli, il partit pour l'Angleterre, pendant que nous allions chercher à améliorer dans le Midi la santé de plus en plus précaire de mon mari, que tant de préoccupations avaient complètement altérée. Ce fut, hélas ! peu de mois après, pendant l'absence de deux de mes fils, l'un en Orient, — 31 — l'autre en Angleterre, que notre cher aimé ren¬ dit son âme à Dieu. Sa vie, depuis ces dernières années, avait été une lutte de tous les instants ; la guerre avait achevé de l'accabler ; il quitta ce monde, n'ayant vécu que pour les êtres chers qui l'en¬ touraient, sans autre ambition que celle de lais¬ ser à ses enfants l'exemple d'une vie intègre et énergique. Après ce grand malheur, je me sen¬ tis si seule ! si abandonnée ! Je pensais bien qu'en Dieu seul je pourrais trouver le secours, mais pour revenir à ce Dieu caché tout au fond de mon âme, que me fallait-il faire ? Je ne connaissais personne qui pût me don¬ ner un utile conseil. J'avais un jour été conduite par une jeune parente à la Société de Théosophie, et je dois dire que j'y acquis une certaine force morale. On m'y donnait une explication de la souffrance que chaque être crée lui-même. « Nous avons fait le mal dans des vies antérieures, me disait- on, ce mal, nous l'expions dans chaque vie nou¬ velle, et notre évolution est nécessaire à notre perfectionnement ». Je m'absorbais dans ces études intéressantes, mais le Dieu de mon enfance me manquait tou¬ jours. Pendant cette période de mon deuil, la guer- — 32 — re s'était terminée. Je m'étais mise avec ardeur au travail ; je luttai avec acharnement, et se¬ condée par mes deux aînés, j'eus la satisfaction de voir nos persévérants efforts réccompensés. Mon plus jeune fils qui m'avait pas le goût des affaires, accepta, pour m'être agréable, un poste de secrétaire à Strasbourg. Mais peu de mois après, et sans que rien m'eût laissé pré¬ voir cette décision il m'annonça qu'il quittait cette situation afin de préparer le concours qui devait lui permettre d'entrer dans la marine. Je fus littéralement accablée par cette nouvel¬ le inattendue. L'avenir devait lui donner raison, mais je ne pouvais alors m'en douter, et ce fut par une lettre sévère que je lui répondis. Il n'y avait plus rien à changer, heureusement pour lui, puisque depuis cette époque, il a connu tou¬ tes les joies, celles de la marine d'abord, puis celles que la littérature devait lui donner, en attendant l'incomparable bonheur qui lui était réservé, celui de trouver Dieu. Sa santé paraissait parfaite. Il passa un an à Brest comme élève-officier, puis il s'en alla à Toulon, aimant de plus en plus sa carrière et se passionnant pour les voyages. Malheureusement le mal ancien, rapporté de la guerre, et que nous supposions guéri, à tout jamais, réapparut, et c'est à l'hôpital maritime de Toulon que je — 33 — vins le voir plusieurs fois. C'est là, à Toulon, que mes yeux s'ouvrirent sur ses sentiments re¬ ligieux. Je trouvai à côté de lui une Imitation de Jé¬ sus-Christ et les Evangiles. Ces livres ne pou¬ vaient me laisser aucun doute sur son orienta¬ tion spirituelle, mais plus encore son attitude envers moi me rappela celle de la Rochelle. Il ne me disait rien, mais; je sentais son désir de me voir écourter mes visites, et mon cœur se serrait douloureusement à la vue de cet être si jeune et si malade et qui me paraissait s'éloi¬ gner de moi. Je rentrais à l'hôtel en cherchant à comprendre la raison de son attitude à mon égard. Je n'y pouvais parvenir. Plus tard à Paris où il se trouvait en congé, il dut s'aliter ; et ce fut au Val-de-Grâce, où mes visites se firent journalières et très cour¬ tes, que j'en vins à me demander : Mon fils ne m'aimerait-il plus ? Je voyais toujours à son chevet des lectures chrétiennes, Etaient-ce ces lectures qui le dé¬ tournaient de moi ? Certainement non, mais il devait y avoir en lui un réflexe qui par mo¬ ments ['éloignait de cette mère juive qu'à d'au¬ tres moments il entourait de tant de tendresse. Et je cherchais par quels moyens je pourrais retrouver pleinement le cœur de mon enfant. — 34 — Lentement, tout un travail se faisait en lui, et avec la même lenteur, un autre travail s'opé¬ rait en moi. Ce fut l'époque où nous nous heurtions l'un et l'autre lorsqu'il revenait à la maison. Pauvre mère qui ne connaissant plus rien du judaïsme, entreprenait de le défendre devant un fils de 27 ans qui avait évolué loin d'elle ! Je n'avais pas su donner à Dieu dans le cœur de mes enfants la place qu'il avait jadis occu¬ pée dans le mien, oui, la première, celle qui Lui appartenait. Et lorsque je m'aperçus que mon fils était en proie à une inquiétude religieuse, je sentis au fond de mon être combien j'avais été coupable. Mais en même temps, ce remords que j'éprouvais, me ramenait peu à peu au Dieu de mon enfance. Lettre IV LE DOULOUREUX RETOUR Lorsque nous constatons que certains de nos enfants ont des besoins religieux, il est généra¬ lement trop tard pour leur enseigner ce que d'ailleurs nous ignorons ! N'ai-je pas moi-même soufflé sur les petites lumières qu'aimait mon âme d'enfant ! Cette piété toute naturelle dont j'avais été pénétrée dans mon enfance et qu'entretenaient dans leur mystère évocateur les pratiques de la tradi¬ tion, je l'avais perdue insensiblement à partir du jour où, au foyer paternel, on commença à délaisser cette vie juive qui avait tant frappé ma jeune imagination. Quand mes parents, pour des raisons que je ne puis m'expliquer, cessèrent de donner à leur religion ce sens mystérieux qui m'avait séduite, je perdis ma piété première, comme je vous l'ai raconté. Or, voici que je retrouvais dans l'âme d'un de mes enfants ce besoin religieux, source de tant de joie pour moi, dans ma petite enfance. Lui qui avait grandi sans rien connaître de ces émotions religieuses, voici qu'à son tour il sen¬ tait s'éveiller en lui ce même besoin. Peut-être le germe de la foi avait-il été déposé dans son âme sur le champ de bataille. Peut-être enten- dit-il parler de Dieu chez une de mes parentes converties à la mort de son mari chrétien ; il put rencontrer là ceux qui surent entr'ouvrir pour lui le monde de la Foi. Mais pour trouver Dieu, fallait-il donc qu'il se séparât du judaïsme ? Cette pensée me troublait profondément, et cependant, que pouvais-je bien faire pour rete¬ nir cette âme que j'avais laissée sans aucune nourriture religieuse ? Sans doute, je priais mieux depuis la mort de mon mari ; mais la foi, la vraie foi qui est l'u¬ nion de l'âme avec Dieu, je l'avais perdue ! C'est à ce moment que mes pensées commencè¬ rent à s'orienter de nouveau dans le sens reli¬ gieux. Mon âme trop longtemps égarée dans la mondanité cherchait à se retrouver elle-même. Peut-être les événements qui vont suivre vous feront-ils comprendre pourquoi. Un jour, cette même parente qui m'avait con¬ duite à la Société de Théosophie, me conseilla d'aller à la synagogue de la rue Copernic, pro- che de chez moi, pour y entendre la parole d'un homme d'origine chrétienne, dont la mission, me dit-elle, semblait être d'enseigner aux Israéli¬ tes cette religion juive qu'ils connaissaient si mal. Je suivis son conseil et me rendis une pre¬ mière fois à cette synagogue. J'écoutais avec avidité cette parole qui ne ressemblait à aucune de celles que j'avais jusqu'alors entendues. J'entendais parler du judaïsme d'une façon toute particulière. Cela sortait des cadres habi¬ tuels. J'avais l'impression d'être ramenée à ma chère tradition, non par la voie du formalisme, mais par la vie elle-même. L'orateur ne parlait pas religion, il parlait religieusement. Si après ma petite enfance, j'avais eu le bon¬ heur de recevoir un enseignement s'adressant ainsi à mon cœur, je crois bien sincèrement que je n'aurais pas eu à retrouver une foi que je n'aurais jamais perdue. A partir de ce moment-là, je repris le goût de la prière et la conscience intime de ce judaïsme que j'avais jadis si naïvement aimé. Cette parole entendue me sauva de la détres¬ se, et la fréquentation de cette maison de prière devint nécessaire à la vie de mon âme. Il m'arrivait souvent de me demander par quelles raisons secrètes ce besoin religieux que je trouvais enfin la possibilité de satisfaire, s'é- — 38 — tait réveillé en moi. Cela était-il dû au senti¬ ment du péril qui me menaçait dans l'un de mes enfants ? Cette menace, pourtant, ne s'é¬ tait pas encore précisée ; il ne s'agissait que d'un vague soupçon. Etais-je poussée par le regret, je devrais dire l'e remords de n'avoir pas su dé¬ velopper dans le cœur de cet enfant une véri¬ table piété ? Ou bien, est-ce que je n'obéissais pas simplement à cet instinct racial que tous les Juifs portent en eux et qui déjà, à mon insu, me mettait sur la défensive ? Ces questions auxquelles j'aurais été bien in¬ capable de répondre, s'éclaireront peut-être par la suite de mon récit, plus dramatique encore que vous ne pensez. C'est pendant un voyage que fit mon fils en Italie que j'avais commencé à remarquer en lui une inquiétude religieuse. Cette évolution dont les premiers symptômes s'étaient manifestés plu¬ sieurs années auparavant à la Rochelle avait continué et elle l'acheminait dans un sentier qui n'était pas le mien. A son retour d'Italie, nous parlions quelque¬ fois de religion, et certes je n'étais pas la plus forte, mais je sentais que la foi juive n'en était pas moins incrustée en moi. L'âme de mes an¬ cêtres juifs palpitait dans mon âme qui, peu à peu, retrouvait la chaleur d'autrefois, au point — 39 — que j'aurais voulu partir et vivre à Jérusalem pour m'y pénétrer des souvenirs de la Terre des Prophètes. Je pensais à mes visites à la Rochelle et à Toulon. Les impondérables de ce temps-là étaient devenus des réalités. Puis un jour, bien que sa santé laissât à désirer, mon fils partit pour la Chine. Ce voyage merveilleux dura une année. Il y rencontra Claudel et les entretiens qu'il eut avec lui augmentèrent son désir de conversion... A mesure que sa foi grandissait, la mienne de son côté se développait, et plus elle s'affermissait, plus ma souffrance s'accentuait. Troublant mystère ! J'avais vécu sans me de¬ mander jamais pourquoi j'étais juive, ni pour¬ quoi j'avais oublié le judaïsme de mon enfance, et voici qu'une réaction violente s'opérait en moi à la pensée que mon enfant pouvait se conver¬ tir. Jusqu'alors juive sans pratiques, sans dou¬ ceur religieuse, je m'étais endormie dans une indifférence coupable, et je me réveillais dans la douleur. Le fait d'être née juive était-il1 donc suffisant pour déterminer en moi une telle angoisse à cette idée de conversion ? Certainement non. Le déchirement que j'éprouvais devait avoir une autre cause, plus profonde encore. Je sentais le besoin de développer mes con- — 40 — naissances religieuses et aussi de m'initier à cet¬ te foi chrétienne vers laquelle mon fils se sentait attiré. Je lus à cette époque les admirables pa¬ ges des Evangilies. La passion de Jésus m'émou¬ vait profondément. J'étais troublée au souvenir de ce grand drame dont les suites ont pesé si terriblement sur ma race depuis deux mille ans, et cela m'inspirait le désir irrésistible d'arriver à une compréhension plus complète de ce judaïs¬ me dont je voulais avec mes frères porter le fardeau. Mais pas un seul instant ma foi ne chancela, pas un seul instant l'idée ne me vint de rejoindre mon fils dans l'apprentissage qu'il faisait du christianisme. Bien au contraire, j'avais déjà à cette époque- là l'intuition, oh ! bien confuse encore, que la conversion véritable est tout autre chose qu'un changement de religion. Pour parvenir à l'intelligence de cette vérité dont, pour la paix de mon âme, je devais me convaincre, j'avais encore cependant de longues et pénibles étapes à parcourir. Le voyage en Chine terminé, mon cher enfant revint en France et sur le bateau qui le rame¬ nait gravement malade, il demanda le baptême à un prêtre qui le lui refusa, ne voulant pas se prêter à une conversion qu'il croyait précipitée. C'est alors que mon fils fit le vœu de mettre coûte que coûte son projet à exécution, s'il gué¬ rissait, Grâce à Dieu, il' guérit, mais la conver¬ sion fut encore différée. Ce n'est pas, du reste, l'histoire de cette conversion que j'ai dessein de vous raconter ; elle est exposée, tout au long, bien mieux que je ne saurais le faire, dans le livre Moi Juif. C'est de ma propre expérience que j'essaie de faire le récit. ' , ... ■ . mmm - -i. ... • - !l;S: Lettre V LA GRANDE EPREUVE Après ce voyage en Chine, j'eus la joie de voir revenir mon fils à l'époque des vacances et de passer quelque temps avec lui. dans la fo¬ rêt de Fontainebleau. Il m'y avait déjà rejointe l'année précédente, mais cette fois son attitude n'était plus la même, je le sentais lointain, pré¬ occupé, plus calme qu'à Toulon, mais plus dis¬ tant encore. Ili ne se plaisait que dans un coin solitaire d'un petit jardin de l'hôtel aux allées régulières comme celles d'un cloître, où il se retirait pour lire et méditer. Ses repas, il aurait voulu les prendre seul, mais comme il voyait que cela me peinait, il consentit à prendre place à table avec moi. A ces moments-là, j'aurais voulu être en communion d'idées avec lui, mais je sentais douloureusement que quelque chose nous séparait. Je laissai voir mon chagrin à l'un de ses amis venu un jour pour lui faire visite, espérant qu'il saurait mieux que moi lui parler. Hélas ! cet ami — 44 — n'avait aucun sentiment religieux, la question qui me préoccupait ne pouvait donc l'intéresser. Peu de jours me séparaient de notre émou¬ vant Kippour, je me proposais de rentrer pour vingt-quatre heures à Paris, afin de passer cette journée dans ma chère synagogue. J'aspirais à un profond recueillement. J'avais donc laissé mon fils pour retrouver à Paris un autre de mes enfants, marié depuis peu, Le jeune ménage habitait chez moi. Le lendemain, au moment de prendre congé de mes enfants, mon fils me rendit une lettre ouverte par .lui, me dit-il, par mégarde, et des¬ tinée à son frère resté à la campagne, à qui il me priait de la porter lorsque je le retrouverais. Je posai cette lettre en évidence sur une table, et je partis à la Synagogue, promettant à mes enfants d'aller l'es retrouver le même soir après la sortie du jeûne. Cette journée de Kippour fut pour moi une journée d'intense émotion religieuse. Agenouil¬ lée au moment de la prosternation, j'aurais voulu ne plus me relever, comme pour mieux me pé¬ nétrer, mais alors en pleine conscience, de la foi retrouvée de mon enfance. Cette journée de jeûne que certains trouvent si longue, est la plus belle de l'année, pour les âmes qui savent en goûter la mystique beauté. — 45 — Pour moi, elle avait cette année-là une pléni¬ tude jamais encore réalisée auparavant. Lorsque je quittai la Synagogue le soir de ce saint jour, je me trouvais dans un état impossi¬ ble à décrire. Rentrée chez moi, je songeais à aller après mon repas retrouver mes enfants qui m'atten¬ daient ; mais auparavant, apercevant le pli lais¬ sé en évidence le matin sur la table, je le pris machinalement et voyant que la suscription portait un M, initiale du prénom de mon fils aî¬ né, je crus tout naturellement que c'était à ce dernier que la lettre était destinée, et que je commettrais une nouvelle erreur en la portant à René, mon troisième fils resté à la campagne. C'est pourquoi, afin de la remettre à coup sûr à son destinataire, je jugeai plus simple de pren¬ dre connaissance de son contenu. Je ne devais pas aller bien loin dans ma lec¬ ture. La missive contenait ces mots : « Votre baptême aura lieu mercredi... » Je m'écroulai comme une masse et restai là évanouie je ne sais combien de temps, jusqu'à l'arrivée de mes enfants qui, inquiets de ne pas me voir au ren¬ dez-vous, étaient venus prendre de mes nouvel¬ les. Malade le lendemain, je fis télégraphier à mon fils que je ne pouvais revenir, étant souf¬ frante. — 46 — Ainsi donc cette inquiétude qui, depuis si longtemps, me torturait, venait brutalement de se transformer en certitude ; et manifestement, par un concours de circonstances fortuites, Dieu avait voulu que je fusse informée de ce qui se préparait. Je ne cessais de me dire qu'en tout cela la faute m'incombait tout entière. J'étais inconsola¬ ble, et c'est dans cet état de désolation que mon fils me trouva, revenant le lendemain pour avoir de mes nouvelles. Quand il me vit sangloter éperdûment, il se jeta à genoux devant mon lit, et moi, incapable d'articuler un mot, je lui montrai du doigt la lettre restée sur la table. Mon fils qui n'était pas au courant des divers détails de la réception de la missive, crut qu'une fâcheuse indiscrétion était la cause de tout le mal, mais je n'avais même pas la force d'essayer de me justifier à ses yeux. J'étais toute à mon immense douleur. Lorsque je pus enfin parler à mon enfant avec mon cœur, je le suppliai d'attendre une année avant de prendre une décision aussi grave et de mettre à profit ce délai pour apprendre à connaître le judaïsme. Il promit tout ce que je lui demandais. Sa tendresse filiale égale ma tendresse ma¬ ternelle. — 47 — Je me repris à espérer et, tout comme lorsque j'étais petite fille, je séchai mes larmes et me mis à sourire, si bien que je m'attirai ce repro¬ che : « Oh ! maman, tu n'étais donc pas si ma¬ lade, puisque si vite te voilà consolée ! » Comment expliquer même à mon enfant que pleurer et rire, c'est en réalité toute ma vie. Je suis toute à la joie du moment, et quand c'est l'heure de la souffrance, elle me possède tout entière. Bientôt après, mon fils repartit à Toulon, et je m'abandonnai alors à mes réflexions. Je voudrais pouvoir vous expliquer le travail qui se fit en moi, je sens que cela serait néces¬ saire et peut-être plein d'intérêt, mais j'en suis tout à fait incapable et ne puis que vous com¬ muniquer le résultat de mes méditations, sans doute bien inattendu pour vous, après la scène de désespoir que je vous ai décrite. Trois mois ne s'étaient pas écoulés que j'écri¬ vis à mon fils pour lui dire que je lui rendais la parole qu'il m'avait donnée et qu'il pouvait se considérer comme libre d'agir selon sa con¬ science. Je puis vous dire cependant que dès ce mo¬ ment-là, le judaïsme avait pris pour moi un as¬ pect universel, grâce à la doctrine exposée par le rabbin livournais Elie Benamozegh dont on — 48 — m'avait appris à goûter les hauts enseignements. Je trouvais dans ce que le maître a appelé « le catholicisme d'Israël » une foi plus large qui sans doute me permit de donner à mon fils l'a¬ paisement religieux que je ne me sentais plus le droit de lui refuser. N'allez pas croire cependant que j'étais con¬ solée, j'avais encore un long chemin à parcourir avant de trouver à son sujet la paix définitive. Mon fils fut donc baptisé, probablement au moment d'une grave opération qu'il eut à subir à Toulon et dont je ne fus avisée qu'après la chose faite. L'angoisse de l'opération m'ayant été ainsi épargnée, il ne me resta que l'immense joie de le savoir sauvé. C'est dans les Pyrénées, pendant sa convales¬ cence, que je le rejoignis. Je le trouvai transfi¬ guré de bonheur, et moi, je remerciai Dieu de me l'avoir conservé. Nous passions ensemble des journées délicieuses, j'avais retrouvé ma jeunes¬ se, nous faisions de longues et joyeuses prome¬ nades, comme s'il n'avait jamais été malade. Il se permettait bien parfois une allusion à ce qui s'était passé. « Fais comme moi, me disait- il, tu verras quelle plénitude de bonheur tu goû¬ teras ». Je ne répondais rien. Ma foi n'était peut-être pas très éclairée, mais elle était paisible et sû- — 49 — re. Toutefois une chose me manquait encore, une grâce que je ne qessais de demander à Dieu. C'était de comprendre moi-même la foi de mon enfant, afin de munir à lui, si cela était possi¬ ble, sans rien abandonner de ma foi retrouvée. Lettre VI APAISEMENT Quelques mois plus tard mon fils partit pour l'Espagne, se croyant plus fort qu'il ne l'était en réalité. Le travail qu'il fit dans les mu¬ sées et qui servit à la préparation de son livre Profondeurs de l'Espagne l'ayant beaucoup fa¬ tigué, il revint à Paris très malade et s'alita en¬ core, dans cet appartement qui déjà l'avait vu souffrir tant de fois. Pauvre cher enfant, jamais je n'entendis une plainte sortir de ses lèvres, il priait, et je ne cessais moi-même d'adresser pour lui mes priè¬ res au Seigneur ! Les jours passaient, les souffrances conti¬ nuaient ! Un jour il me dit de sa douce voix : «Tu me ferais tant de plaisir, maman, si tu voulais aller à une chapelle de Sainte Thérèse y faire brûler un cierge pour moi... » Sans une seconde d'hésitation, je me dé¬ clarai prête à faire ce qu'il me demandait. Le fait en lui-même n'avait rien d'extraordinaire ; — 52 — pourtant je n'étais nullement préparée à aller à la recherche d'une chapelle et à faire brûler un cierge à la petite Sainte ; c'était pour moi chose nouvelle et inattendue, et en dépit du cal¬ me avec lequel j'avais acquiescé à la prière qui m'était faite, j'étais involontairement boulever¬ sée. Le lendemain cependant, n'écoutant que ma tendresse, je partis à la recherche de cette cha¬ pelle qui n'existait pas à l'endroit indiqué. Je finis toutefois par trouver ce que je cherchais. Entre plusieurs villas, celle qui m'avait été désignée ne se distinguait en rien des autres. Il n'y avait même pas de croix sur la maison qui semblait inhabitée, tant était absolu le silence qui y régnait. J'avais en face de moi plusieurs portes que je n'osais ouvrir ; une seule était entrebaillée, j'y risquai un regard et vis une simple pièce amé¬ nagée en chapelle où je pénétrai à pas craintifs. Un autel, quelques petites rangées de chaises, et dans un angle, avec ses roses dans les mains, Sainte Thérèse me souriait... Près d'elle, que de larmes j'ai versées, priant de tout mon cœur : « Mon Dieu, disais-je, tu vois mon intention, exauce ma prière ! » Je restai là, longtemps, priant et pleurant, puis apercevant dans un coin de la chapelle — 53 — des cierges neufs qui attendaient les fidèles, j'en pris un et rallumai à côté des autres cier¬ ges qui se consumaient, avec la même ferveur que je mets à allumer mes bougies du Sabbat. Quelques jours après cette première visite à la chapelle, mon fils renouvela sa demande, mais cette fois je n'eus aucune peine à retrou¬ ver la chapelle. J'avais appris que ce petit pavillon était ha¬ bité par quelques Pères Carmes. Comme la première fois, je m'approchai de la Sainte et, la tête dans mes mains, je priai et sanglotai. Entendant un léger bruit, je relevai la tête et j'aperçus sur le seuil de la porte un Père très étonné de voir dans la chapelle une femme en pleurs qui priait. M'approchant de lui, je lui demandai simple¬ ment s'il voulait bien prier avec moi pour mon enfant malade. Il déféra aussitôt à mon désir ; le prêtre agenouillé et la mère juive prosternée se trouvèrent unis dans une commune prière. Puis je dis mon nom, qui n'était pas nouveau pour le Père, il connaissait déjà mon fils. Mon cierge allumé comme la première fois, mon of¬ frande faite, le calme se fit en moi et ce fut avec un sentiment de sereine confiance que je ren¬ trai chez moi. — 54 — Je ne sais comment ma conduite en cette cir¬ constance peut être jugée par mes frères et sœurs en Israël ? Ceux qui ne supportent pas l'idée qu'un Juif puisse pénétrer dans une égli¬ se, se révolteront à ce récit ; il en est même qui penseront que pour agir ainsi, il fallait que je fusse à demi convertie. D'autres, étrangers au sentiment religieux, ne verront là qu'une preu¬ ve de l'amour maternel. Certes, je suis bien loin de contester la puissance de cet amour qui peut accomplir bien d'autres miracles, cependant, dans mon cas, il y a autre chose encore. Grâce à Dieu, jour après jour, mon évolution religieuse que j'avais demandé à Dieu d'ache¬ ver, de perfectionner, me permettait de mieux rejoindre l'âme de mon enfant converti. Ce qui m'avait semblé au début si difficile, pour ne pas dire impossible, devenait simple et facile à réa¬ liser, sans que pour cela mon attachement au judaïsme fût altéré. Bien au contraire, il se for¬ tifiait, à mesure que ma foi prenait plus de largeur. J'éprouvai pourtant un nouveau choc doulou¬ reux le jour où j'entendis cette prière sortir de la bouche de mon cher malade : « Maman, peut- être guérirais-je si tu te convertissais !» Je ne répondis rien, j'étais anéantie. Je me réfugiai dans ma chambre où de nouveau, tout en priant, je fondis en larmes. Que disais-je ? — 55 — « Mon Dieu, mon unique désir est de te plai¬ re et ma seule joie est d'être agréable à mon en¬ fant. Mais ce vœu qu'il formule et qu'il ne cesse de caresser en son cœur, je ne puis le réaliser ! Je sens qu'il me faut sacrifier le bonheur que j'aurais moi-même à lui donner la joie qu'il es¬ père. Ce sacrifice, je Te l'offre. Aide la mère douloureuse, et fais de ses prières et de sa bon¬ ne volonté l'usage qu'il te plaira. Je sais que ce vœu de mon enfant provient de sa grande tendresse, il ne songe qu'à me conduire plus près de Toi ; mais puisque de quelque nom que l'on T'appelle, Tu es le même Dieu d'amour, garde-moi proche de Toi, comme Tu gardes aussi mon enfant ! » C'est ainsi que je priai et le calme se faisait en moi. Ce calme était si parfait qu'il m'arrivait maintenant chaque semaine, mon fils ne quittant pas son lit, de faire dans sa chambre, la veille du jour où il devait communier, les préparatifs pour cette communion matinale qu'il ne pouvait faire à l'Eglise. Sur une petite table, j'étendais une nappe bien blanche et j'y plaçais les chandeliers d'ar¬ gent où brûlent mes bougies du vendredi soir, et que le prêtre à son tour allait allumer pour la cérémonie. Le matin, de très bonne heure, ces jours de — 56 — communion, j'entendais la porte de ma demeu¬ re s'ouvrir, le prêtre arrivait, il pénétrait près de mon fils à qui il apportait cette communion tant désirée, et moi, dans ma foi retrouvée et profonde, alors que l'on me croyait endormie, je priais avec ferveur avec eux. C'est ainsi que Dieu accomplissait pour moi le miracle que j'avais sollicité... Au-dessus des confessions religieuses, dans une pure région de paix et de lumière, l'unité se réalisait. L'enseignement que le maître m'avait donné, Dieu merci, avait porté ses fruits. Cette vérité que j'avais eu tant de peine à saisir, maintenant je la comprenais. Les barrières dont j'avais tant souffert n'existaient plus. Il n'y avait plus pour moi qu'une absolue fidélité à la foi de mes pè¬ res et le plus sincère respect pour la foi de mon enfant. Montreux, mai 1937 Lettre VII DANS LA LUMIERE Ce que vous m'avez demandé, ma chère amie, je vous l'ai donné en toute sincérité, très sim¬ plement. Dieu, vous le voyez par mon récit, m'a vrai¬ ment prise par la main. Il m'a donné dans Sa Bonté le guide qui m'était indispensable dans la situation si particulière où je me trouvais. Grâce à lui j'ai fini par comprendre ces véri¬ tés qui aujourd'hui me paraissent si divinement simples et qui mettraient fin à toutes les luttes religieuses sur la terre, si elles étaient univer¬ sellement acceptées. Le maître me dit un jour : « Un nom, ou une image ne change rien à l'Amour pour le Père. Celui qui de tout son cœur et de toute son âme aime Dieu et proclame l'universel amour, possè¬ de tout entière la foi juive avec la foi chrétien¬ ne ». Aujourd'hui, je crois m'être pénétrée de l'en¬ seignement du Rabbin Livournais que son dis- ciple Aimé Pallière, notre vénéré maître, nous a transmis dans l'ouvrage Israël et l'Humanité, et dont il a fait un exposé personnel, plus accessi¬ ble pour bien des lecteurs, dans Le Sanctuaire Inconnu et dans un récent volume, Le Voile sou¬ levé. Et c'est la grâce des grâces, comme le di¬ sait Benamozegh, de pouvoir ainsi concevoir la véritable religion. J'ai souffert, mais la souffrance m'a été utile ; elle a épuré ma foi. La piété, qui avait été la grande douceur de mon enfance, n'était qu'endormie. Grâce à Dieu, je l'ai retrouvée. La foi juive me demeure sa¬ crée, mais précisément parce que je me sens vraiment juive, j'aime de tout mon cœur et sans arrière-pensée tous mes frères dans l'humanité. Ma conversion s'est faite parallèlement à la conversion de mon enfant. Tout le drame d'Israël n'est-il pas dans l'in¬ compréhension qu'il a de l'universalité de sa mission ? Pour le garder au Dieu de la promesse, ses éducateurs ne l'enferment-ils pas dans une pe¬ tite religion ? Comment blâmer ceux qui s'évadent hors des cadres trop étroits ? Mais d'autre part, ceux d'entre nous qui sans être aucunement religieux, persistent à rester Juifs et à s'affirmer tels, — 59 — obéissent sans nul doute à un instinct qui doit avoir une raison d'être profonde, ou, pour quel¬ ques-uns, à la conviction que le judaïsme repré¬ sente l'une des conceptions nécessaires de la vie. Les desseins de Dieu sur son vieux peuple sont impénétrables ! La grande difficulté pour nous est de conci¬ lier notre attachement à la tradition d'Israël, avec le sentiment que la vraie religion ne s'em¬ prisonne pas dans des formes et des formules et que « la vie religieuse est Une comme l'action divine qui en est la source ». Quand l'âme saisit cette grâce de comprendre ainsi la vérité par quelque voie que ce soit, elle est forte, joyeuse et fraternelle. La famille de Dieu lui apparaît bien plus vaste et plus riche que toutes les confessions religieuses, mais sa fidélité à sa voie particulière n'en est pas pour cela altérée. Peut-être des chrétiens diront-ils que j'ai une âme chrétienne, et dans leur pensée ce sera un éloge ; des Juifs en diront autant de leur côté, mais pour eux ce sera un blâme. Je ne suis plus troublée ni par ce que pen¬ sent les uns, ni par ce que disent les autres. Je crois que ma foi aux yeux du Seigneur est de même nature que celle de mon fils ; notre piété envers Dieu, notre désir de nous montrer chari- 1 tables envers nos frères ne nous pousseraient-ils pas l'un et l'autre aux mêmes dévouements ? Toute la différence est que mon fils n'a pu répondre à l'appel de Dieu qu'en se séparant extérieurement d'Israël, et que moi, je n'y peux répondre qu'en restant unie à Israël ; mais je pense que notre fidélité à l'alliance du Seigneur est égale chez lui comme chez moi. Ce qui im¬ porte avant tout, ce n'est pas simplement ce que l'on croit, c'est la manière dont on croit. C'est la qualité de notre foi qui donne à nos croyan¬ ces leur vraie valeur, et sans aucun doute, il y a autant de chrétiens que de Juifs qui ont l'illu¬ sion de croire que l'apparent objet de la foi, sa formule, est la chose la plus importante. Ce qui est une erreur pour les uns est également une erreur pour les autres. Je remercie le Seigneur pour les voies singu¬ lières, uniques, par lesquelles il m'a fait passer, et plutôt que d'avoir, comme tant d'autres mè¬ res juives, un fils incroyant, je me sens heureu¬ se que le mien ait trouvé Dieu par une autre route, en même temps que je le retrouvais moi- même par mon propre chemin. TABLE DES MATIÈRES Pages In Memoriam 3 Préface 9 Comment j'ai été convertie .... 11 Lettre I Souvenirs d'enfance 13 Lettre II Obscurcissement 21 Lettre III Rappel à l'ordre 27 Lettre IV Le douloureux retour .... 35 Lettre V La grande épreuve 43 Lettre VI Apaisement 51 Lettre VII Dans la lumière 57 ■ < •p. j fPlBFBpp :;B '•'■■ vf ;'. 's'-' - > -- . Kx*j -; n pPF:;P • v * - \,v '. :-v;;- P 1 - ■ VK" ' * ' 1 . 3PP:P Ë&tM - ,/i -' ' v ■ PP s pf3l.pl nn ■ fifl "-• -à/*'. •" i:'3 BPpgpSp P# SéséSI " F - 'v A I 1 &ak-%L._: A-r r . ;■ /" ''-'J , é, :- • < p W <> ' rïfMig|l^ "a œgggg«lg^B :ppp p fr' ' "^'"" s"-''. - ~ V ppfp;pp-pip, ^ %.p ' • y- : ~.0: '.."V'-:;P' f.'.': .• '• -''-":i-' : :V,;::;.-:,-. 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