..-'-iS^^À'. vî*' ' V / * ~\rU- ■ " : JLy %s-& Villes d'Art célèbres m h r V' JjflKîj** v . \ S ■ I \ \ \ mém« i/ll' RENÉ GAGNAT DE L INSTITUT Timgad, Tebessa ET Les Villes antiques de l'Afrique du Nord ■ • . • "?\ >•, '• :> < "'t.Mwt1' •; ,î H. LAURENS, Éditeur. _____ ■ mïv'sm * .. ' . . WmSWMwMmi - : CwN ■ i m ml. -*■ v ' '•• à '-\ ' ^V,-j«' •• si. S MÉS 55SSSi^^J .JMSRRI 1 w V KJ c LES VILLES D'ART CÉLÈBRES Carthage,. Timgad, Tébessa 4 ET Les Villes antiques de l'Afrique du Nord Il IIIil 11 HI II 092 2142749 MÊME COLLECTION Amsterdam et Harlem, par L. Dumont- Wildbn. 128 grav. Angkor, par G. Groslier. 108 gravures. Anvers, par H. Hymans et F. Donnbt. 106 grav. Assise, par A. Masseron. 115 gravures. Athènes, par G. Fougères, de l'Institut. 171 grav. Bâle, Berne et Genève, par A. Sainte- Marie Pbrrin. 115 grav. Barcelone et les grands sanctuaires d'art catalans, par G. Desdevises du Dézert. 144 grav. Blois, Chambord et les châteaux du Blé- sois, par F. Bournon. ioi grav. Bologne, par P. de Bouchaud. 124 grav. Bordeaux, par Ch. Saunier. 112 grav. Bourges et les abbayes et châteaux du Berry, par G. Hardy et A. Gandillon. 124 grav. Bruges etYpres, par H. Hymans. 116 grav. Bruxelles, par H. Hymans. 159 grav. Carthage, Timgad,Tébessa,par R.Cagnat, de l'Institut. 110 grav. Le Caire, par G. Migeon. 133 grav. Clermont-Ferrand, Royat et le Pny de Dôme, par G. Desdevises du Dézert et L. Bréhier. 121 grav. Cologne, par L. Réau. 127 grav. Constantinople, par Ch. Diehl, de l'Insti¬ tut. 118 grav. Cordoue , Grenade, par Ch.-E. Schmidt. 97 grav- Cracovie, par M.-A. de Bovbt. 118 grav. Dijon et Beaune.parA.KLEiNCLAusz. 119 gr. Dresde, par G. Servières. 119 grav. Florence, par E. Gebha-rt, de l'Académie Française. 139 grav. Fontainebleau. parL. Dimier. 109 grav. Gand et Tournai, par H. Hymans. 120 grav. Gênes, par J. de Foville. 130 grav. Grenoble,Vienne,parM. Reymond. i 18 grav. Londres, par J. Aynard. 164 grav. Lyon, par H. d'Hennezel. 124 grav. Milan, par Pierre-Gauthiez. 109 grav. Moscou, par L. Leger, de l'Institut. 86 grav. Munich, par J. Chantavoine. 139 grav. Naples et son golfe, par E. Lémonon. 160 grav. Nevers et Moulins, par J. LocQuiN.128 grav. Nîmes, Arles, Orange, par R.Phyre. 93 grav. Nuremberg, par G. Rée. 109 grav. Orléans et le val de Loire, par G. Rigault. 118 grav. Oxford et Cambridge, par J. Aynard . 133 grav. Padoue et Vérone, par R. Peyre. 128 grav. Palerme et Syracuse, par Ch. Dibhl, de l'Institut. 128 grav. Paris, par G. Riat. 124 grav. Pérouse, par R. Schneider. 115 grav. Piseet Lucques.par J. de Foville. 119 grav. Poitiers et Angoulême, par H. Labbé de la Mauvinièrb. 113 grav. Pompéi (Histoire, Vie privée), par H. Thé- denat, de l'Institut. 106 grav. Pompéi (Vie publique), par H. Thédenat. 77 grav- Prague.par L. Leger, de l'Institut. 111 grav. Rabat, Marrakech, par P. Champion. 115 gravures. Ravenne, par Ch. Diehl, de l'Institut. 133 grav. Rome (Antiquité'), par E. Bertaux. 132 grav. Rome (Des Catacombes à Jules II), par E. Bertaux. 100 grav. Rome (De Jules II h nos jours), par E. Ber¬ taux. 100 grav. Rouen, par C. Enlart. 120 grav. Saint-Pétersbourg, par L. Réau. 150 grav. Ségovie, Avila, Salamanque, par H. Gubr- lin. 121 grav. Séville, par Ch. Schmidt. m grav. StockholmetUpsal, parL.MAuRY. i28grav. Strasbourg, par G. Delahachb. 127 grav. Tanger, Fès et Meknés, par P. Champion. 105 grav. Tolède, par E. Lambert. 113 grav. Tours et les châteaux de Touraine, par P. Vitry. 113 grav. Troyes et Provins, par L. Morel-Payen. 120 grav. Tunis et Kairouan. par H. Saladin. 130 grav. Venise, par P. Gusman. 128 grav. Versailles, par A Pératé. 149 grav. SÉRIE 21X15 (64 Planches hors texte) Avignon, par A. Hallays. I Le Puy et le Velay, par J. Langlade. Caen et Bayeux, par H. Prentout. I Nancy, par A. Hallays. Saint-Germain-en-Laye, par P. Gruyer. Les Villes d'Art célèbres Carthage, Timgad Tébessa ET Les Villes antiques de l'Afrique du Nord PAR RENÉ CAGNAT DE i/lNSTITUT Ouvrage illustré de 121 Gravures. TROISIÈME ÉDITION PARIS LIBRAIRIE RENOUARD, H. LAURENS, ÉDITEUR 6, RUE DE TOURNON, 6 1 9 2 7 Tous droits de traduction et de reproduction réservés. A A LA MÉMOIRE B. ROY MINISTRE PLÉNIPOTENTIAIRE, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DU GOUVERNEMENT TUNISIEN A MON BON AMI Alb. BALLU ARCHITECTE EN CHEF DES MONUMENTS HISTORIQUES DE L'ALGERIE En souvenir de tous les services qu'ils ont rendus à Varchéologie africaine. R. C. -A Carthage. — Tombeaux puniques. CARTHAGE CHAPITRE PREMIER LA CARTHAGE PUNI QUE ET LA CARTHAGE ROMAINE Il est peu de noms dans l'histoire ancienne qui soient aussi célèbres que celui de Carthage, qui rappellent autant de souvenirs tragiques ou poétiques. Fondée par une reine dont Virgile a chanté les amours et les malheurs, elle vécut longtemps d'une vie intense que le génie de Flaubert a tenté de ressusciter; rivale heureuse et jalousée de Rome grandissante, elle lutta avec bonheur et surtout avec une âpreté et un CARTHAGE courage héroïques contre sa puissante ennemie, pour tomber, en un jour fameux, sous les coups du sort, mais en laissant le souvenir d'une cité considérable, fertile en hommes et en richesses, capable de donner au monde le spectacle étonnant d'un peuple qui ose et qui peut contre¬ balancer la fortune romaine. C'est entourée de cette auréole qu'elle se présente toujours à notre pensée. Nous ne songeons même pas qu'elle a repris sous l'Empire romain une nouvelle vitalité, que c'était, à ce moment, le plus vaste Les origines de la ville ne nous sont connues que par des légendes fort imprécises ; il serait bien malaisé d'en tirer quelque enseignement si les fouilles entreprises depuis vingt ans dans les nécropoles A et la situation même de ces nécropoles ne venaient jeter quelque jour sur le sujet. Bien longtemps avant notre ère, semble-t-il, les Sidoniens, désireux de créer sur la côte africaine un établissement rival de la colonie tyrienne d'Utique, fondèrent, au fond du golfe de Carthage, un comptoir appelé Cambé. La situation de la baie de Tunis est si favorable qu'elle ne pouvait guère échapper à l'expérience commerciale et à l'attention toujours Plan de Carthage. port de l'Afrique du Nord, que les blés qui nourrissaient la capitale y affluaient et en fai¬ saient un grand entrepôt com¬ mercial ; qu'elle a joué aussi dans l'histoire de l'Église chré¬ tienne un rôle prépondérant. Nous avons avant tout dans l'esprit et comme devant les yeux la Carthage d'Hamilcar, d'LIannibal et d'LIasdrubal. Il ne faut pourtant pas que sa brillante enfance nous fasse oublier sa maturité et sa vieil¬ lesse. Chacune de ces périodes de son existence a son intérêt ; toutes ont laissé sur le terrain des traces, malheureusement fort effacées, mais éloquentes encore pour qui sait les exa¬ miner. LA CARTHAGE PUNIQUE ET LA CARTHAGE ROMAINE 3 éveillée des Phéniciens. Quelques siècles plus tard, dit la tradition, une révolution de palais éclata à Tyr. Vers l'an 800 avant notre ère, le parti démocratique était devenu tout-puissant. Les patriciens voulurent ressaisir de force le pouvoir; l'entreprise échoua. Ceux qui l'avaient tentée furent obligés de prendre la mer pour échapper à la mort. Le Chef de la troupe était une femme de sang royal, Elissar, qui reçut, précisément à la suite de sa migration, le surnom de Didon, c'est-à-dire Photo de Gauckler. Carthage. — Tombeaux puniques. La Fugitive. Elle débarqua au voisinage de Cambé, fut accueillie par les habitants du lieu, des Africains de race berbère, leur acheta le droit de s'établir sur ce point et fonda, au bord de la mer, une ville « Karth- hadach » « la ville neuve », la Karchêdon des Grecs, la Karthago des Romains. On a pu, grâce à la position des différents cimetières puniques reconnus, délimiter l'emplacement de cette première Carthage. Autour du golfe et à quelque distance du rivage s'étendent, en demi-cercle, une suite de hauteurs depuis la colline actuelle de Saint-Louis jusqu'à celle que couronne le fort de Bordj-Djedid. Toutes ces collines renferment des sépultures 4 CARTHAGE creusées dans leurs flancs ; il y en a de fort anciennes, qui remontent jusqu'au VIIe siècle avant notre ère, et de beaucoup plus modernes, contem¬ poraines des guerres puniques. Or, les morts étant, chez les Sémites, comme chez bien d'autres, des choses impures, on ne les enterrait pas dans l'intérieur des cités ; la ceinture de hauteurs qui contient aujourd'hui encore leurs tombeaux marque donc la limite de la ville primitive. Les sépultures les plus anciennes sont aussi les plus rapprochées du rivage. Au delà habitaient les Africains indigènes, établis dans des gourbis, qui peu à peu furent englobés dans la ville floris¬ sante fondée par les Tyriens. Une forte muraille fut établie autour de cette grande agglomération. C'est en cet état que les Romains trouvèrent Carthage quand ils commencèrent à s'occuper d'elle; c'est cet état que les auteurs ont décrit. L'intérêt qu'ils portaient à Carthage et aux Carthaginois était, d'ailleurs, très particulier ; ils s'en sont occupés parce que ceux-ci avaient été pour leurs armes des rivaux terribles et que parler de leur puis¬ sance, en faire un éloge, même exagéré, était une façon de vanter la leur ; mais de la disposition de la ville, de ses habitants, de leurs mœurs, de leur civilisation, ils n'ont guère soufflé mot, ils n'ont peut- être même point songé à s'enquérir sérieusement ; car cela ne rentrait pas dans leurs préoccupations toutes personnelles. Il faut que nous le demandions aux tombes que le temps et les générations suivantes ont épargnées. Heureusement, elles sont encore nombreuses et riches en souvenirs du temps passé. On est même arrivé à les classer chronologiquement et à en distinguer l'âge par leur forme et par la nature des objets qu'elles renferment. A l'époque la plus ancienne, qui doit coïncider avec la fondation delà colonie tyrienne, le mort était déposé dans le sable, sans aucune enveloppe de pierre ou de bois pour le protéger. Puis on reconnut que le cadavre serait mieux défendu contre les profanations ou les fauves si on le renfermait dans un caveau ; et l'on se mit à en établir sur le modèle de ces tombes de Syrie que l'on connaît bien depuis les travaux de Renan et des autres mission¬ naires scientifiques qui lui ont succédé. On commençait par creuser un LA CARTILAGE PUNIQUE ET LA CARTHAGE ROMAINE 5 grand puits vertical de largeur suffisante pour donner passage à un homme étendu, profond de huit ou dix mètres ; au fond, latéralement, dans les flancs de la colline, on ouvrait un caveau plus ou moins grand, plus ou moins achevé, souvenir de ces grottes primitives où les contem¬ porains d'Abraham et de Jacob enfermaient leurs morts. On y descendait les défunts, couchés sur une planche qui leur servait de lit funèbre ; on rangeait à leurs côtés des plats, des ustensiles domestiques, des vases contenant des fards ou des parfums, des figurines qu'ils avaient aimées, des masques qui rappelaient leur physionomie ou dont les grimaces devaient détourner les mauvais génies ; on allu¬ mait une lampe pour éclairer leur dernier sommeil ; puis, de même qu'on roulait jadis une grosse pierre à l'entrée des cavernes funéraires, on fermait la chambre au moyen d'une large dalle, et l'on com¬ blait le puits d'accès. Il était impossible aux hyènes ou aux chacals de pénétrer dans une tombe ainsi dissimulée, et difficile souvent aux hu¬ mains d'en retrouver l'empla- Carthage. — Masque punique, cenfent. L'un des plus beaux tombeaux de cette espèce qui aient été rencontrés est celui que le P. Delattre a découvert en 1894. : « Les parois, dit-il, et même le dallage inférieur avaient été enduits de stuc. Ce stuc excessive¬ ment fin et dur avait la blancheur et l'aspect cristallisé de la neige. La flamme de la bougie le faisait étinceler de mille points lumineux. La den¬ sité en était telle que, sous les moindres coups, il rendait un son métal¬ lique. L'enduit n'atteignait pas le sommet de la chambre ; il restait, entre la partie qui était revêtue de stuc et les grandes pierres qui recouvraient le caveau, un espace occupé jadis par une corniche de cèdre et par un plafond de même matière qui avaient disparu. Deux squelettes étaient étendus l'un à côté de l'autre, les pieds vers l'entrée. Tout le mobilier funé¬ raire était en place. » Si l'on veut savoir quelle était parfois la richesse de ce mobilier, il suffit de lire ce que dit Gauckler d'un des tombeaux 6 CARTHAGE qu'il fouilla en 1899 : « Le squelette tenait encore dans la main gauche un grand miroir en bronze ; dans la droite, de lourdes cymbales de même métal. Le poignet gauche disparaissait sous un bracelet de perles; au bras droit étaient enfilés plusieurs anneaux d'argent et d'ivoire ; les doigts étaient chargés de bagues d'argent et d'un anneau d'or. A l'oreille gauche,, un pendant d or ; au cou, un grand collier d'or massif, formé de quarante éléments de forme variée, symétriquement disposés de part et d'autre, d'une broche centrale faite d'un croissant en turquoise et d'un disque en hyacinthe ; un autre collier en argent complé¬ tait la parure. » Plus tard, on modifia légèrement le mode de sépulture. Le mort fut enfermé dans un cercueil ou même dans un sarcophage de pierre que l'on déposait dans le caveau. Parfois ce sarcophage recevait l'image du défunt, couché sur le couvercle dans sa ténue officielle, à la façon de ces tombeaux de seigneurs ou de prin¬ cesses du mojmn âge qui décorent nos églises, ou meublent nos musées ; documents précieux pour l'histoire du costume, et qui, mieux que tous autres, nous permettent de faire revivre en imagination, aux lieux où ils vivaient jadis, les contemporains de Salambô ou d'ILannibal. Si l'on veut se représenter ce qu'étaient les Masque punique. loups de mer carthaginois qui parcouraient la Méditerranée en commerçants et aussi quel¬ quefois en pirates, il suffira de jeter les yeux sur un masque du Musée de Saint-Louis. La figure ovale est osseuse : d'épais sourcils surmontent les yeux, largement fendus ; les cheveux sont crépus ; la lèvre supérieure et le menton sont rasés, mais de larges favoris couvrent les deux joues, descen¬ dant latéralement jusqu'au bas du visage. Des anneaux de bronze ornent les oreilles ; et, détail plus curieux, le cartilage du nez est percé d'un trou, où s'engage une boucle d'argent. Le tout constitue un ensemble très carac¬ téristique. Voici, maintenant, sur un sarcophage, un prêtre ou, pour me servir du terme technique, un « rab ». La tête, vraiment belle, respire la dignité ; les traits sont accentués ; les cheveux abondants et frisés ; la barbe et la moustache bien fournies, les arcades sourcilières saillantes, les oreilles petites. Une tunique à manches courtes descend jusque sur les pieds, LA CARTHAGE PUNIQUE ET LA CARTILAGE ROMAINE 7 chaussés de sandales; sur la tunique tombe de l'épaule gauche jusqu'au milieu du corps une épitoge terminée par une frange. On se figure voir Carthage. •— Sarcophage punique. quelqu'un de ces grands seigneurs dont le nom a été popularisé par l'histoire, un Hasdrubal ou un Hamilcar. Les portraits de femmes ne sont pas moins précis et instructifs ; on est frappé à première vue de la ressemblance qui existe entre leur type et celui des égyptiennes. Leur chevelure est d'habitude serrée autour de la tête par un ban¬ deau ou une étoffe d'où sortent une suite de frisons ; de chaque côté, chevelure ou étoffe re¬ tombent sur les épaules, à la façon du klaft égj^p- tien, et viennent s'étaler sur la poitrine. L'œil, largement fendu, se développe sur une longue ar¬ cade sourcilière; les lèvres sont peintes en rouge vif, ainsi que les oreilles et les pommettes, tandis que les yeux sont soulignés de noir, ainsi que les Orientales ont encore coutume de le faire aujour¬ d'hui. Comme elles, les Carthaginoises se surchar¬ geaient de pendants d'oreille, de bracelets, de col¬ liers. Certaines statuettes en portent jusqu'à trois et quatre superposés. Le plus beau spécimen de ces images féminines est celui qui occupe la place d'hon- Çarthage. Masq e e punique, neur dans le Musée de Saint-Louis. Je laisse la pa¬ role à l'heureux fouilleur qui l'a trouvé à 12 mètres de profondeur dans le roc d'une des collines de Carthage : « Cette femme se présente debout, dit le P. Delattre, vêtue d'une longue tunique, le corps, à partir des reins, voilé par deux grandes ailes de vautour. La main droite, ornée d'un gros CARTHAGE bracelet doré, est abaissée le long du corps et tient une colombe. La main gauche porte le vase à offrande. La tête aux traits d'une finesse remar¬ quable, avec les yeux peints, porte la coiffure égyptienne surmontée cependant à la mode grecque d'une stéphanê, en avant de laquelle appa¬ raît une tête d'épervier, aux yeux peints, le reste doré. Dans la chambre funéraire, le mi¬ roitement produit par les bougies donnait à cette tête cette sorte de mouvement continu particulier aux yeux des oiseaux de proie. La chevelure enfermée dans le klaft se montre sur le front en une série de boucles au nombpe de quatorze. Les oreilles sont petites, ouvertes et ramenées en avant; elles sont ornées de pendants dorés en forme de cône allongé, ter¬ miné par une petite boule et suspendu à un disque... Sur le cou passe un double filet doré, imitant les perles d'un collier auquel était sus¬ pendu un disque. Le haut de la poitrine est décoré de trois bandes d'étoffe, une rouge pour¬ pre entre deux de couleur bleu foncé, ornées toutes trois d'un.large filet d'or. Le vêtement principal se compose d'une longue tunique re¬ levée sous les seins par une ceinture dorée, retenant les plis symétriquement disposés à droite et à gauche. » Ce costume, qui est celui des grandes déesses égyptiennes et des reines d'Egypte représentées en déesses; était sans doute traditionnel pour les grandes prêtresses carthaginoises et remonte assurément à une haute antiquité. Il est impossible de concevoir un ensemble plus riche et en même temps plus harmonieux. Les femmes de la bourgeoisie n'étaient point, naturellement, aussi splendidement vêtues. Autant qu'on peut en juger, surtout par des terres cuites funéraires, elles portaient une longue tunique qui descendait jus¬ qu'à terre, costume, du reste, à peu près général dans l'antiquité; une ceinture à franges se nouait à la taille et retombait sur les cuisses. Elles aussi, en vraies Orientales, aimaient beaucoup les bijoux; car on en retrouve dans toutes les tombes; il y en a une diversité remarquable : Carthage. Sarcophage punique. LA CARTHAGE PUNIQDE ET LA CARTHAGE ROMAINE 9 les pâtes de verre alternent avec les glands de cristal; les médaillons d'or filigrané avec l'agathe ou la cornaline; les boules d'onyx avec les petits masques de faïence rehaussés par des applications de verre coloré. Les amulettes abondent : pour les pauvres, des scarabées, des ivoires, des coquillages; pour les riches, l'œil d'osiris, l'uraeus en pierres précieuses ou encore de petits étuis d'argent ou d'or renfermant des plaques de même métal surchargées de figures divines avec des formules et des prières. Tels étaient les habitants de Carthage au moment où les Romains Bijoux carthaginois. commencèrent à s'occuper d'elle, pour son malheur. Comment étaient dis¬ posées les rues, comment étaient construits les temples, les édifices publics, les maisons? Plût au Ciel que nous pussions le dire. Les uns sont d'un avis, les autres d'un autre. Un de ceux qui ont écrit en dernier lieu sur Carthage avance que les rues devaient être droites, pour mieux intercepter les rayons solaires ; tandis qu'un contradicteur estime qu'elles étaient étroites, et tortueuses, avec d'innombrables impasses, irrégulière¬ ment disposées le long des grandes artères. La vérité est qu'il ne reste à peu près rien de la cité punique. Nulle part, même sur Byrsa où l'on a creusé il y a une vingtaine d'années, pour la construction de la nouvelle cathédrale, des puits poussés jusqu'au rocher, on n'a retrouvé un mor¬ ceau important dont on puisse affirmer qu'il lui ait appartenu. Tout au 10 CARTHAGE plus découvre-t-on de temps à autre, dans la profondeur de la terre, des citernes qui peuvent remonter à l'époque pré-romaine ; encore ont-elles été utilisées et réparées dans la suite. La Cartilage d'Hannibal, c'est par l'imagination seule que nous pouvons l'atteindre ; elle n'appartient pas à l'érudition, mais au roman. Flaubert seul peut nous en donner une idée. Les guerres puniques sont trop connues pour qu'il soit nécessaire d'y insister ici. On sait que la troisième et dernière amena les Romains jusque sous les murs de leur rivale; le siège dura trois ans; les assié¬ geants ne montrèrent pas moins de ténacité que les assiégés ne déployèrent de courage. On vit là, une fois de plus, ce que peut un peuple, même dépourvu de qualités guerrières comme l'était celui de Carthage, même amolli par le luxe et divisé par des compétitions des grands, lorsqu'il s'agit de défendre son indépendance. Après des efforts inouïs, la vaillante cité succomba. La vengeance de Rome fut terrible. Delenda Carthago! ne cessait de répéter Caton au Sénat : Il faut détruire Carthage! On la détruisit. Dix délégués furent envoyés en Afrique pour présider à la ruine complète de la ville, qui fut rasée au niveau du sol. Ce que l'assaut donné dans les rues ou le feu mis par les habitants avait laissé debout, tomba sous la pioche des soldats de Scipion. T1 n'est donc point étonnant que l'on ne retrouve presque rien aujour¬ d'hui de l'époque punique, sinon des tombeaux. Les morts seuls ont échappé à la destruction systématique ordonnée par le vainqueur. Pourtant, il n'était guère possible qu'un emplacement aussi merveil¬ leux et un terrain si étendu restassent longtemps déserts : l'intérêt même des Romains était de s'y établir. Caius Gracchus, le premier, semble l'avoir compris. Il y conduisit en 122, vingt-quatre ans après la destruc¬ tion de la ville, une colonie qui végéta pendant soixante-dix années; César, reprenant à son compte le projet du tribun, y envoya à son tour des vétérans; Auguste, enfin, couronna l'œuvre de ses devanciers en y établissant des citoyens romains empruntés aux villes voisines — par une coïncidence qui n'est pas l'effet du hasard, Virgile écrivait l'Énéide à cette époque. Dès lors une vie nouvelle commence pour Carthage. Tous les empereurs qui se succèdent durant les trois premiers siècles de notre ère, surtout ceux du second siècle, Hadrien, Antonin le Pieux, Septime- Sévère, lui témoignent tour à tour leur sollicitude; elle se couvre de monuments somptueux dont quelques-uns se reconnaissent encore; elle connaît à nouveau le luxe et la fortune; le commerce et l'industrie s'y LA CARTHAGE PUNIQUE ET LA CARTHAGE ROMAINE développent; son port et les magasins qui l'environnent deviennent l'en¬ trepôt des denrées que l'Afrique exportait en Italie et dans les parties occidentales ou orientales de l'Empire et de celles qu'elle en recevait; les hauts fonctionnaires, dont elle était la résidence, le proconsul, repré¬ sentant du Sénat et le procurateur, agent finan¬ cier de l'empereur, avec leurs nombreux bureaux et les soldats de leur garde lui apportent la pompe d'une représentation officielle; ses écoles brillent d'un éclat tel que la jeunesse de la province y afflue de toutes les villes : elle est vraiment la reine de l'Afrique occidentale. Un siècle encore, malgré les rivalités sanglantes des prétendants qui se disputaient le trône, malgré les luttes reli¬ gieuses qui déchiraient l'Afrique, elle continuera de faire grande figure; mais le moment approche où elle va être arrachée à l'Empire romain dont elle était un des joyaux. En 439, elle tombe au pouvoir des Vandales pour cent ans; en 533, elle leur est enlevée par Justinien qui l'agrège à l'Em¬ pire d'Orient et lui assure pour quelque temps toute la prospérité que comportait une époque aussi troublée. Alors apparaissent de nouveaux ennemis ve¬ nus de l'Est, les Arabes; déjà maîtres de là Cyrénaïque et de la Tripolitaine, ils avancent peu à peu, se repliant après chaque victoire pour revenir bientôt à 1a. charge. Leur première attaque contre Carthage est de 691, la prise de la ville date de 698. Le croissant de l'Islam 3^ remplacera désormais la croix de Byzance. Les Vandales, de si triste mémoire, avaient essa}^é de conser¬ ver à Carthage quelque peu de son antique splen¬ deur; ils avaient tenu à lui garder son rang de capitale; les Arabes ne surent que l'abandonner pour sa voisine Tunis, plus éloignée de la mer et protégée par son lac contre les invasions de flottes ennemies. Réduite au rang de bourgade, la ville d'Hannibal tomba une seconde fois en ruines; elle ne fut plus bonne qu'à fournir des matériaux de construc¬ tion pour Tunis ou les villes de la Tunisie. Depuis douze cents ans, c'est la carrière, toujours féconde, où viennent s'approvisionner les Carthage. — Déméter. 12 CARTHAGE chercheurs de pierre de Tunisie, d'Italie et des autres pays méditerra¬ néens : on prétend que la cathédrale de Pise est faite en partie de marbre dérobé à Carthage. Combien d'autres monuments civils ou religieux ont la même origine? nul ne pourra le savoir. Il y a longtemps déjà que le Tasse s'écriait . Giace l'alto. Cartago ; appena i segni Dell' alte sue ruine il lido serba ! « La grande Carthage gît à terre ; c'est à peine si le rivage garde encore quelques traces de ses grandes ruines ! » Photo du Service des Antiquités de la Tunisie. Cuirasse d'un mercenaire Carthaginois. Carthage. — Chapelle de Saint-Louis. CHAPITRE II CE QUI reste de carthage C'est à travers ces raines de ruines qu'il faut s'orienter si l'on veut se rendre compte de ce que fut autrefois Carthage. Le plus sûr moyen est de monter sur ce qu'on appelle la colline de Saint-Louis, en souvenir de la croisade et de la mort du saint roi. On sait qu'en 1270 Louis IX entreprit une expédition contre Tunis. Il débarqua sur le rivage désert qui s'étend au fond de la baie, vers le Kram, et vint établir son camp au pied du « chastel de Carthage ». Le P. Delattre, d'après les différents endroits où se sont rencontrés des souvenirs de cette croisade, surtout des monnaies, estime que les croisés occupaient les hauteurs, «jusqu'aux terrains situés d'un côté entre les citernes de Bordj-el-Djedid et les abords actuels de la Marsa, de l'autre, entre les anciens remparts de la i4 CARTHAGE vieille cité et la maison des Sœurs franciscaines, consacrée aux larmes de sainte Monique », et il ajoute : « C'est précisément ce même endroit que choisit l'armée française, lorsque, dans la dernière campagne de Tunisie, elle vint camper à Carthage. » Toujours est-il qu'on était au plus fort de l'été et que la peste, de quelque nom technique qu'il con¬ vienne de l'appeler, se déclara dans l'armée. Les morts furent si rapides et si nombreuses qu'on n'eut pas le temps d'ensevelir les cadavres et qu'on se contenta de les jeter pèle-mêle dans le fossé qui entourait le camp. La violence de l'épidémie en redoubla. Le roi lui-même fut atteint. « Une maladie le prix du flux de ventre, nous dit le sire de Joinville, dont il acoucha au lit et sentit bien que il devait par tens trespasserde cest siècle à l'austre. Lors appela monseigneur Phelippe, son filz et li commanda à garder aussi comme par testament touz les enseignements que il li lessa... Quand le bon roy ot enseigné son filz monseigneur Phelippe, l'enfermeté que il avoit commença à croistre forment et demanda les sacremens de sainte Esglise. Et les ot en sainne pensée et en droit entendement, ainsi comme il apparut... Après se fist le saint roy coucher en un lit couvert de cendre, et mist ses mains sur sa poitrine, et en regardant vers le ciel rendi à nostre créateur son esperit, en celle hore meismes que le filz Dieu morut en la croiz. » Pour rappeler l'expédition si généreuse mais si inutile de Louis IX et sa mort édifiante, la France a élevé, bien longtemps avant l'occupation, une petite chapelle sur le haut de la colline la plus voisine de la mer. Elle remonte à l'année 1841. Le 8 août 1830, au nom de Charles X, dont on ne connaissait pas encore la déchéance à Tunis, la France passa avec le bey un traité complet. Un acte additionnel faisait don à notre pays de l'emplacement nécessaire pour y élever un monument en mémoire de Louis IX. Louis-Philippe ratifia l'acte de son prédécesseur; mais il fallut attendre onze ans pour que la chapelle fût construite et consacrée. C'est un monument assez médiocre, où l'on a voulu allier l'art arabe et l'art occidental. Au fond, une statue de saint Louis avec le sceptre et la cou¬ ronne indique la destination de l'édifice ; elle a été transportée de la Gou- lette jusqu'au sommet du monticule, à force de bras, par les soldats musulmans du bey. Us ont ainsi payé, sans le savoir, les dettes de leurs ancêtres. Cette colline de Saint-Louis était autrefois la colline de Byrsa. Une fable bien connue raconte que lorsqu'il s'agit de déterminer la partie du paj^s cédé à Didon par les Africains, ceux-ci lui permirent de prendre pour son peuple tout le terrain qu'une peau de bœuf pourrait couvrir. i6 CARTHAGE C'était peu ; mais la reine était astucieuse et s'entendait à duper les hommes. Elle fit découper la peau en fines lanières, et, de ces parcelles mises bout à bout, elle entoura le pied de la hauteur. Cette légende est, comme bien d'autres, née d'un jeu de mots; bursa signifie en grec « cuir, peau de bœuf » ; mais en phénicien byrsa (bosra, birtha) veut dire « forteresse ». La B}crsa carthaginoise est donc le point culminant où les premiers Carthaginois se sont fortifiés. Quand ils voulurent y cons¬ truire une citadelle, ils en aplanirent le sommet, rejetant la terre sur les pentes là où elle était trop abondante et couvrant ainsi des tombeaux très anciens, qui ont été retrouvés dans les flancs de la colline. Pour rencon¬ trer le sol punique, il faut actuellement descendre à une profondeur de 4 mètres à travers les décombres. L'acropole de Carthage servit, comme on sait, de refuge aux derniers défenseurs de la ville. Quand la lutte fut devenue impossible et que les plus ardents, comme Hasdrubal, se furent rendus aux Romains, les assié¬ gés y mirent le feu et périrent dans l'incendie ; du nombre était la femme d'Hasdrubal, qui avait égorgé ses enfants avant de se précipiter avec eux au milieu des flammes. Ce qui restait encore fut détruit par Scipion. De tout cela il ne reste aujourd'hui absolument rien ; ceux qui ont cru retrouver des traces des murs de l'enceinte punique de Byrsa se sont fait des illusions. Quel dommage que nous ne puissions pas mettre la main sur le moindre débris de ce « désordre de monuments, sous lesquels, à entendre Flaubert, disparaissait la colline de l'Acropole ; c'étaient des temples à colonnes torses, avec des chapiteaux de bronze et des chaînes de métal, des cônes en pierres sèches à bandes d'azur, des coupoles de cuivre, des architraves de marbre, des contreforts babyloniens, des obé¬ lisques posant sur leur pointe comme des flambeaux renversés... ! » Mais la vérité était, sans doute, beaucoup plus simple et l'aspect du lieu beaucoup moins original. Auguste, en rétablissant Carthage, fit niveler à nouveau le sol de Byrsa pour servir de plate-forme à des constructions. Une seule a laissé des traces certaines, le temple d'Esculape, rebâti sur place. A l'époque punique, le sanctuaire d'Echmoun était le plus célèbre et le plus riche de tous ; on y accédait par un escalier de soixante degrés. Il n'est pas douteux qu'il s'élevât à l'emplacement du jardin qui entoure la chapelle de Saint- Louis. Il existe encore, juste en face de la porte d'entrée, en place, un certain nombre de bases de colonnes, qui appartiennent aux portiques dont il était entouré. CE QUI RESTE DE CARTHAGE i; En avant s'étend une série de sept absides voûtées présentant en façade un développement de 50 mètres ; l'abside centrale est plus ornée que les autres; "jadis elle était revêtue de marbres précieux, tandis que les salles voisines n'offraient qu'un enduit de stuc. On donne à cet ensemble, sans aucune raison sérieuse, le nom de Palais proconsulaire : on ignore entiè¬ rement à quoi il répondait. Il se pourrait que ce fût seulement le fond de quelque portique monumental ou de quelque place regardant la mer. Sur le sommet de la colline, vers le nord-ouest, à l'endroit qu'oc-; cupe actuellement la cathédrale, existait un autre édifice dont on ne sau¬ rait davantage dire le nom exact. Il est possible que ce fût le Capitole, où étaient adorés, à l'exemple de ce qui se passait à Rome, Jupiter, Junon et Minerve. C'est, en tout cas, de cet édifice que proviennent de grandes sculptures en bas-relief, qui datent de la fin du Ier siècle ou du début du II0 siècle de notre ère : elles ont été trouvées près de la cathédrale. Deux d'entre elles figurent des femmes ailées avec des cornes d'abondance qui se faisaient pendant, deux autres sont des victoires soutenant un trophée. On les voit aujourd'hui encastrées dans la muraille, près de l'entrée du musée de Saint-Louis. Les citernes de Cartilage. :8 CARTHAGE Autour de ce point central, berceau de la ville et dernier refuge de son indépendance, se groupait tout le reste. Au sud, jusqu'à la mer, s'étend une vaste plaine à laquelle les indigènes ont conservé le nom caractéristique de « Cartagenna ». Ce mot seul indique que là a toujours été la partie essentielle de la cité. C'est aussi celle de toutes qui a le plus souffert de la persévérance des chercheurs de pierres ; et pourtant elle devait être jadis couverte de grands monuments, étant la plus habitée, la plus voisine des ports. On prétend que le forum s'y trouvait; mais rien ne permet d'être aussi affirmatif. Tout au moins y existait-il une vaste esplanade dite « de la mer », où l'on s'assemblait pour causer et pour entendre de beaux parleurs. Saint Augustin nous apprend qu'elle était décorée d'une belle mosaïque représentant une série d'êtres étranges, entre autres des monstres sans cou et dont les yeux affleuraient aux épaules, et des sciopodes, c'est-à-dire des gens que l'ombre de leurs pieds suffisait à abriter du soleil quand ils étaient couchés sur le dos. Cette définition attrayante fait d'autant plus regretter la disparition du tableau. De ce côté aussi étaient les ports; deux lagunes voisines de la mer les représentent aujourd'hui (p. 15) : c'est, du moins, l'avis général. L'appa¬ rence de ces deux petits lacs est différente : l'un, tout en longueur, est coupé à sa partie méridionale par une chaussée ; l'autre, à peu près circulaire, présente, au centre, un îlot qu'un isthme étroit relie à la terre. Leur forme a, d'ailleurs, été profondément modifiée au cours du siècle dernier ; au début, leur emplacement, presque entièrement desséché, était couvert de plantations ; pour l'agrément des beys et des princes qui bâtissaient des villas aux environs, on les déblaya, on y fit venir l'eau de la mer par des canaux artificiels; on établit des routes qui permettaient de les traver¬ ser; bref, on en changea tout à fait le dessin. Il serait absolument témé¬ raire de s'appuyer sur l'apparence actuelle des lieux pour en tirer la moindre donnée sur l'état antique : une seule chose paraît certaine, c'est que ces restes méconnaissables occupent bien l'emplacement des ports. Ces transformations expliquent la difficulté qu'ont éprouvée tous ceux qui se sont attaqués à la question. Les uns voient dans les deux lagunes deux bassins distincts : celui du nord représentant l'ancien port militaire carthaginois, circulaire, avec le palais amiral au centre, tel que nous le décrit Appien ; celui du sud, le port marchand, de forme oblongue. « Les ports de Carthage, nous dit, en effet, cet auteur, étaient dispo¬ sés de telle sorte que les navires passaient de l'un à l'autre. Du côté de la mer s'ouvrait une entrée commune qu'on fermait au moyen de chaînes de fer. Le premier port, réservé aux marchands, était muni CE QUI RESTE DE CARTHAGE 19 d'amarres nombreuses et de diverses sortes. Au milieu du port intérieur s'étendait une île ; cette île et le port lui-même étaient garnis de larges quais, comprenant des cales en série continue; 220 vaisseaux pouvaient y trouver place... Cette île était située vers le goulet ; son élévation per¬ mettait à l'amiral d'examiner de loin tout ce qui se passait au large sans que les navigateurs pussent apercevoir l'intérieur du port. Bien plus, les marchands eux-mêmes, lorsqu'ils pénétraient dans le bassin qui leur était Photo du Service des Antiquités de la Tunisie. Zaghouan. — Château d'eau. réservé, ne voyaient pas aussitôt les arsenaux du port militaire. Une double muraille les en séparait. » Les autres sont d'avis que les deux lagunes actuelles ne représentent que le port militaire, tandis que le port marchand s'étendait en mer où l'on a constaté des restes de jetées. Cette dernière opinion repose non point seulement sur des théories imaginées par des érudits dans leur cabinet, mais aussi sur des constatations précises. Un lieutenant de vaisseau de notre marine, M. de Roquefeuil, a fait, en 1898, des levés méthodiques de ce coin de la baie de Carthage ; M. le D1' Carton a exa¬ miné minutieusement toute la plage ; tous deux ont abouti à des résultats 20 CARTHAGE qui semblent bien favorables à la dernière solution : ceci, cependant, à une condition, c'est que les différents successeurs des Carthaginois aient gardé les dispositions de leurs devanciers ; la chose est possible, mais le contraire ne l'est pas moins. Et comme, d'une part, on ignore ce qui caractérisait un quai punique et en quoi sa construction et les matériaux qu'on y employait différaient d'un quai romain ou d'un quai byzantin ; comme, d'autre part, tous ces sondages en mer n'arrivent qu'à la recon¬ naissance de masses de maçonnerie, sans qu'il soit possible d'en analyser les éléments constitutifs, il semble bien que la question des ports de Car- thage soit de celles qui, scientifiquement, ne se résoudront jamais. La plaine se prolonge en molles ondulations au nord de Cartagenna, jusqu'au pied de la colline que surmonte le fort de Bordj-Djedid. Les indigènes donnent à cette région le nom de « Dermech », dérivé du mot latin : Thermis. C'est, en effet, de ce côté que s'élèvent les grands thermes de Carthage, reconstruits magnifiquement par l'empereur Anto- nin le Pieux, au lendemain d'un grand incendie qui dévora une partie de la ville. On peut se rendre compte aujourd'hui encore de ce qu'était l'édifice par la masse des pans de mur écroulés dans le sable, au bord de la mer : ils dessinent le plan de vastes salles, dont le sol était, à n'en pas douter, pavé de mosaïques, dont les murs étaient revêtus de plaques de marbre précieux, dont les niches étaient décorées de statues, dont les pla¬ fonds s'appuyaient sur de belles colonnes. Tout cela a aujourd'hui disparu. Nous savons que bien des morceaux de marbre ont été extraits de cette ruine, au siècle dernier, par le consul d'une puissance étrangère, chargés sur un vaisseau et emportés en Europe; quant aux statues, il y a long¬ temps qu'elles ont disparu. Tout au plus peut-on espérer que la terre, entassée sur le sol antique, en a gardé quelques débris. L'eau arrivait dans ces thermes d'un grand réservoir voisin, le mieux conservé des monuments romains de Carthage, même avant la restaura¬ tion qui en a été faite il y a quelques années. Les Arabes lui donnaient naguère le nom de « Mouadjel-ech-Cheiatin », c'est-à-dire les Citernes des Démons (p. 17). C'est le type le plus achevé des citernes publiques que l'on possède dans toute l'étendue de l'Afrique du Nord. Carthage était fort pauvre en eau naturelle ; il n'y a pas de rivière qui y coule et les sources y sont extrêmement rares; pour atteindre l'eau potable il faut creuser des puits de 25 mètres de profondeur. Les Carthaginois, et après eux les Romains, devaient donc recourir au système des citernes : chaque maison avait la sienne comme Tunis ou Sousse ; toutes les fois qu'on creuse le CE QUI RESTE DE CARTHAGE 21 sol on en rencontre une ou plusieurs même. Mais l'eau de citerne n'est pas inépuisable et il suffit de peu de mois de sécheresse pour que les provisions se tarissent. Il était donc urgent de créer de grands réservoirs, capables d'emmagasiner des quantités considérables d'eau pluviale. Le système qui présidait à leur construction et qui remonte sans doute à l'époque punique était des plus ingénieux. On disposait une série de compartiments parallèles, juxtaposés en longueur ; ils communiquaient les uns avec les autres à la partie supérieure par de larges lucarnes ouvertes ^ Photo de Lauriêre. Aqueduc de Zaghouan. en plein cintre, disposition qui offre un double avantage; car, d'une part, elle assure l'équilibre du liquide dans les divers bassins et supprime les pressions latérales sur les cloisons; de l'autre, elle permet à l'eau de se reposer dans chaque bassin avant de s'écouler dans le voisin et d'y déposer ses impuretés, si bien qu'elle arrive claire et limpide dans le dernier de tous. Il suffit, d'ailleurs, de fermer les vannes d'un comparti¬ ment pour l'isoler des autres et pour pouvoir le nettoyer sans entraver le fonctionnement de l'ensemble. L'édifice, percé de loin en loin de regards circulaires, reçoit par là l'air et la lumière. L'eau s'écoule au dehors par des canaux, munis de robinets, où s'embranchent, au besoin, des tuyaux de distribution. Tel est le principe sur lequel étaient établies les citernes publiques 22 CARTHAGE de Dermech. « Entièrement construites en blocage recouvert d'un ciment d'une excessive dureté, a écrit Tissot, les citernes de Bordj-Djedid forment un rectangle allongé, divisé en 18 réservoirs voûtés, parallèles, larges de 7m,5o, hémisphériques aux deux extrémités, que séparent de puissants murs de refend. Ils mesurent 30 mètres de longueur. La profondeur de ces 18 bassins est uniformément de g mètres depuis le radier jusqu'au sommet de la voûte; mais la profondeur de la nappe d'eau ne paraît pas avoir été de plus de 5m,5o. Deux galeries latérales, longues de 145 mètres, courent le long des grandes faces du parallélogramme et s'ouvrent sur chacun des bassins. Ils contenaient de 25.000 à 30.000 mètres cubes d'eau. » On a cru longtemps que ces citernes remontaient à l'âge carthagi¬ nois.' La chose est fort possible, bien qu'on n'en ait pas la preuve. Ce qui est assuré, c'est qu'elles ont été, pour le moins, refaites et améliorées à l'époque romaine, puisque l'on a trouvé, noyée dans le béton uniforme qui constitue le radier des réservoirs, une brique datée du règne de l'em¬ pereur Hadrien. La date est éloquente ; car c'est à cet empereur qu'est due la construction du grand aqueduc de Zaghouan. A ce moment, Carthage, en pleine prospérité, était trop peuplée pour pouvoir se contenter de l'eau de ses citernes; il fallait trouver un moyen de l'alimenter abondamment. Or, il existe, au pied d'une des plus belles montagnes de Tunisie, une source d'une abondance merveilleuse et d'une grande limpidité ; on sait qu'elle alimente aujourd'hui encore Tunis et la Goulette. Le débit actuel est de 200 litres par seconde au minimum, soit plus de 17 millions de mètres cubes par vingt-quatre heures. Il était plus abondant encore à l'époque romaine; on a calculé que la source fournissait 370 litres à la seconde, soit 32 millions de mètres cubes par jour. On comprend dès lors que l'empereur Hadrien l'ait destinée à l'ali¬ mentation de la capitale de l'Afrique. On commença par la capter; on la fit jaillir dans un grand bassin en forme de huit, établi 3 mètres au-des¬ sous d'une grande terrasse semi-circulaire, d'un grand hémicycle décora¬ tif de 30 mètres de rayon; au fond se dressait un sanctuaire, séjour de la divinité protectrice du lieu, qui se prolongeait à droite et à gauche, par deux portiques voûtés, ornés pareillement, de distance en distance, de niches et de statues (p. 19). Le tout forme un ensemble complexe et harmo¬ nieux, dont l'élégance et l'originalité sont singulièrement relevées par le site à la fois sauvage et gracieux où il a été établi. D'un côté se dresse la masse du Zaghouan avec ses flancs escarpés et ses ravins dénudés, de l'autre le regard se repose sur la végétation riante et la verdure des jar- CE QUI RESTE DE CARTHAGE 23 dins voisins. « Les massifs d'orangers, de cyprès, de platanes séculaires qui donnent aujourd'hui tant de grâce à ces ruines, a écrit Gauckler, existaient sans doute autrefois déjà; ils formaient autour du sanctuaire comme une sorte de bois sacré, faisant valoir par leur verdure opaque la transparence de l'eau, la blancheur des colon¬ nes, des statues de marbre, et contrastant avec l'aspect sauvage des rochers arides et dénudés du fond : séjour vraiment divin et fait pour plaire à la nymphe mystérieuse dont la cons¬ tante protection assurait par ses bienfaits la prospérité de Carthage. » De ce château d'eau monumental (p. 158) la source était conduite à Carthage, à travers la campagne, sur une longueur de 90 kilomètres par un aqueduc maçonné, qui tantôt courait au niveau du sol, tantôt s'enfonçait sous terre, tantôt s'élevait sur des arcades. Rien de pitto¬ resque comme les parties qui en subsistent encore dans la plaine de l'Oued-Milian sur plus d'une lieue de long, sur près de trois lieues dans la plaine de la Manouba (p. 21) ; rien, non plus, qui donne une idée plus haute de la grandeur du travail et de la puissance de ceux qui l'ont mené à bien. Pour emmagasiner à son arrivée à Car¬ thage ce volume prodigieux d'eau toujours renouvelée il fallait aménager d'immenses ré¬ servoirs. On construisit ou l'on transforma les grandes citernes de la Malga dont nous parle¬ rons tout à l'heure, et on les relia avec les citernes de Dermech déjà décrites. De la Théâtre de Carthage.—Apollon, sorte, on établissait à chaque extrémité de la ville un système de bassins capable de fournir aux besoins de tous les quartiers. Une colline domine, à 1',ouest, les pentes où les citernes de Dermech sont établies; on lui a donné le nom de Colline de l'Odéon, parce qu'on croyait y reconnaître les traces d'un petit théâtre comme étaient les odéons antiques. Des fouilles récentes ont prouvé qu'il y avait là une erreur ou 24 CARTHAGE plutôt une demi-vérité. Ce qu'on prenait pour l'Odéon était un grand théâtre, et le véritable Odéon était situé dans le voisinage. Ce théâtre, celui dans lequel le: rhéteur Apulée prononça un de ses discours les plus célèbres, a des dimensions considérables. Malheureuse¬ ment, il a subi depuis l'époque de sa construction, qui remonte sans doute à Hadrien, tant de mésaventures qu'on ne distingue plus que les contours Photo du Service des Antiquités de la Tunisie. Théâtre de Carthage. généraux. Les gradins destinés aux spectateurs ont disparu, peut-être au moment de la domination byzantine; nous savons que l'édifice tout entier avait été détruit dès l'an 439 par les Vandales, quand ils pénétrèrent vainqueurs à Carthage. On a observé partout, lors des fouilles, la trace de ces violences. « Les colonnes, les statues, les marbres de toute sorte furent brisés et précipités pêle-mêle dans l'orchestre; puis on incendia le monument et une couche épaisse de cendres recouvrit tous ces débris. » Par bonheur, il s'est trouvé qu'un certain nombre de ces statues n'avaient pas trop souffert du « vandalisme » ; l'on a pu les recueillir, les réparer et les transporter au musée du Bardo : le plus beau morceau est peut-être CE QUI RESTE DE CARTHAGE 25 un Apollon colossal, couronné de laurier et appuyé sur un trépied; mais il y avait aussi un Hermès portant Dionysos, un Hercule, un groupe de Vénus et l'Amour, une Cérès, un Eros, sans compter les empereurs et les sujets de genre. On a eu l'ingénieuse idée de faire dans ce théâtre quelques réparations ou plutôt quelques aménagements qui ont permis d'y donner, en plein air, des spectacles imités de l'antique. On a pu s'y rendre compte, sinon Photo du Service des Antiquités de la Tunisie. Les statues de l'Odéon de Carthage pendant leur restauration. de ce qu'étaient jadis les représentations données à Carthage, du moins du panorama dont jouissaient les spectateurs circulant sous la colonnade extérieure qui longeait la scène, lorsqu'ils embrassaient d'un coup d'œil, au premier plan, les bas quartiers de Carthage et les ports, plus loin le golfe aux eaux bleues, fermé par la ceinture de montagnes que domine le Bou-Kournein. L'Odéon, dont la construction, au dire de Tertullien, remonte au début du ili° siècle de notre ère, époque où les Carthaginois obtinrent la faveur de célébrer les jeux pythiques, partagea le sort du théâtre. Comme lui, il fut mis à sac par les Vandales en 439 et incendié. On a expliqué ces 26 CARTHAGE mesures par des considérations stratégiques. On a dit que, dès leur entrée dans la cité, les conquérants avaient dû être frappés du danger qu'il y avait à laisser subsister dans la partie la plus élevée de Cartilage et fai¬ sant face à Byrsa, un groupe de monuments publics de dimensions colos¬ sales, faciles à transformer en forte¬ resses, foyers permanents d'émeutes et de rébellions. En tout cas le fait est là : de l'Odéon il reste moins encore que du théâtre. Mais les subs- tructions en étaient si considérables, si soigneusement établies qu'en les étudiant on a pu y reconnaître la dis¬ position et l'étendue de toutes les par¬ ties du monument, enceinte, orches¬ tre, scène, dépendances diverses. On a constaté aussi que les murs étaient jadis tapissés de marbres précieux et que l'ensemble de la décoration devait être fort riche. Là aussi on a recueilli des sculptures qui entraient dans l'ornementation de l'édifice; cette fois on les a trouvées entassées dans des citernes ménagées sous la scène : elles sont conservées, au Odéon de Carthage.:— Junon. musée du Bardo, comme leurs voi¬ sines du théâtre. La plus importante, par le volume, était un Jupiter assis, de taille colossale, la tète couronnée de lauriers; il a perdu une partie des foudres qu'il tenait dans sa main droite abaissée, le sceptre qu'il serrait de sa main gauche levée à hauteur de la'tête, et, ce qui est plus grave, les jambes et les pieds. Une femme drapée et voilée, peut-être une Junon Reine, est mieux conservée. A une gracieuse statue de Vénus pudique accostée d'un dauphin, il manquait la tête seulement; un heureux hasard la fit retrouver à une centaine de mètres de là, dans un champ. On remarquera encore un Sérapis, une impératrice en Cérès, qui était entièrement dorée, et surtout un beau torse de l'empereur Hadrien en costume héroïque avec le casque, le baudrier CE QUI RESTE DE CARTHAGE 27 et le manteau de général ramassé sur l'épaule. Je citerai seulement pour mémoire les têtes et les morceaux d'architecture qui ont été recueillis en même temps. Qu'il y ait eu ainsi deux théâtres juxtaposés, l'un destiné aux repré¬ sentations scéniques et à ciel ouvert, l'autre aux audi¬ tions musicales, et couvert, c'est ce qui n'a pas lieu de nous étonner : ce fait est assez ordinaire dans les villes antiques; Pompéi, par.exemple, nous en four¬ nit un exemple célèbre. On ne s'étonnera pas, non plus, de constater que Carthage possédait encore deux autres lieux de plaisir, un amphithéâtre pour les com¬ bats de gladiateurs et un cirque pour les courses de chevaux. Celui-ci s'étend au sud-ouest de Byrsa : il a été coupé en deux par le chemin de fer de la Goulette. Sa longueur était considérable : il compte 675 mètres, sur une largeur de 100 mètres. Le mur qui séparait la piste dans le sens de la longueur et autour duquel évoluaient les chars, ce qu'on appelle en termes pro¬ pres, la spina, mesurait un peu plus de 300 mètres. L'édifice était à peu près de même taille que le grand cirque de Rome, auquel on attribue 670 mètres de longueur; mais il était beaucoup plus étroit — le cirque Maxime avait 215 mètres de large. C'était donc un monument immense et capable de contenir deux ou trois cent mille spectateurs. On comprend fort bien, dès lors, que, comme le raconte l'historien Procope, les soldats rebelles à l'autorité de l'empereur de Cons- tantinople et du gouverneur aient pu en deux circons¬ tances, en 536 et en 537, y trouver un refuge et qu'une véritable bataille s'y soit livrée à cette dernière date : le cirque avec ses puissantes murailles for¬ mait une sorte de forteresse toute prête à accueillir des défenseurs. On voit aussi par là qu'à Carthage, autant qu'à Rome, peut-être plus que dans d'autres villes de l'Empire, les courses de chars passionnaient le peuple. Nous en avons encore la preuve, moins peut-être par les écrits de Tertullien ou de Cyprien, qui pourtant y font souvent allusion, que par de petits documents, d'un genre différent, très curieux. On a trouvé fort souvent, en fouillant des tombes, au milieu des ossements, de petites Odéon de Carthage. Vénus. CARTHAGE lamelles de plomb, roulées sur elles-mêmes; en les ouvrant, on constate qu'elles sont couvertes de signes cabalistiques et de fine écriture, grecque ou latine, très difficile à déchiffrer. Le contenu de ces grimoires est tou¬ jours le même; on y a accumulé toutes les malédictions possibles contre des chevaux ou des cochers qui devaient courir le jour ou le lendemain du jour où ils étaient rédigés ; il s'agissait de les empêcher de rem¬ porter la victoire. Rien de plus simple que de tenter de déchaîner contre eux les esprits d'en bas, par quelque invocation dans le genre de la suivante, que j'abrège : « Je t'invoque qui que tu sois, être mort avant l'âge, par les noms puissants : Salbathbal, Authgerotabal, Basu- thateô, Aleô, Samabêthôr! Enchaîne les che¬ vaux dont je transcris ici les noms, Silvanus, du parti des rouges, Servatus, Zephyrus, Blan- dus, Imbraeus, Dives, Mariscus, Rapidus Oriens, Arbustus, Eminens, Dignus, etc., du parti des'bleus; entrave leur course, enlève- leur la force, le souffle, l'élan, la vitesse, arrache-leur la victoire, embarrasse-leur les pieds, arrête-les, énerve-les; qu'ils ne puissent demain, dans l'hippodrome, ni courir, ni tour¬ ner la spina, ni vaincre, ni sortir de l'écurie, ni parcourir la carrière; qu'ils tombent à terre avec leurs cochers Euprepes, fils de Teles- phorus, appelé aussi Gentius, Félix, Dionysius le glouton, le vorace : à ces cochers lie les mains, enlève-leur la victoire et la vue; qu'ils ne puissent apercevoir les cochers leurs rivaux; bien plus, arrache-les de leurs chars, précipite- les à terre; qu'ils tombent partout dans l'hip¬ podrome, surtout autour des bornes; que leur corps soit traîné sur l'arène et déchiré, leur corps et celui des chevaux qu'ils conduisent. » Muni d'un grimoire de cette espèce, que l'on avaitfait écrire par un sorcier digne de confiance, on se glissait le soir dans quelque cime¬ tière, on choisissait la tombe d'un enfant mort subitement, d'une jeune fille enlevée avant l'âge ou de quelque malheureux, victime d'un accident et dont l'ombre devait s'indigner d'avoir été enfermée sous terre prématu- Odéon de Carthage. Hadrien en costume héroïque. CE QUI RESTE DE CARTHAGE 29 rément; on y introduisait sa requête par l'orifice destiné à donner pas¬ sage aux libations et on confiait à ces mânes irrités le soin de sa défense, ou, si l'on veut, de ses intérêts. Une ville où l'amour des courses et les rivalités de cochers soulevaient de telles passions méritait de posséder un cirque comme celui dont je viens de décrire les misérables restes. L'amphithéâtre n'était pas moins important. La dépression elliptique, Photo communiquée par le R. P. Delâttre. Procession dans les ruines de l'amphithéâtre de Cartilage. marquée par des pans de mur, des voûtes, des masses de blocage écrou¬ lées, qui en indiquent l'emplacement, se voit, aujourd'hui encore, à une centaine de mètres de la station du chemin de fer nommée « La Malga », Au moyen âge il subsistait en entier et faisait l'admiration des auteurs arabes El-Bekri et Edrisi. Il se composait, nous disent-ils, de cinquante arcades, séparées par des piliers; il y aurait eu, à l'édifice, cinq étages d'arcades superposées de mêmes formes et de mêmes dimensions, ce qui paraît exagéré, le Colisée n'en ayant que trois, comme le plus grand amphithéâtre de l'Afrique romaine, celui d'El-Djem, entre Sousse et Sfax si connu de tous ceux qui ont visité la Tunisie, comme les amphithéâtres 3o CARTHAGE d'Arles et de Nîmes. Au-dessus de l'ouverture de chaque arcade auraient été sculptées des figures d'hommes, d'animaux et de navires. El Edrisi ajoute : « Les autres édifices de ce genre, et même les plus hauts, ne sont, pour ainsi dire, rien à côté de celui-là. » On ne se douterait guère actuel¬ lement de toutes ces splendeurs, en présence du trou béant que les fouilles ont ouvert dans le sol à l'endroit où il s'élevait. Ce que l'on peut constater aisément, c'est, à la fois, ses grandes dimensions —car il égalait presque le Colisée — et la puissance de l'obstination chez les hommes qui sont arrivés à faire disparaître pierre par pierre un monument bâti pour durer indéfiniment et qui avait défié l'effort de tant de siècles. Une telle destruction est d'autant plus regrettable qu'il s'attache à cet édifice un des souvenirs les plus dramatiques de l'histoire de Carthage : c'est là que furent martyrisées les deux saintes locales, si célèbres, sainte Félicité et sainte Perpétue. Au commencement de l'année 203 de notre ère on arrêtait à Thuburbo (Tebourba) plusieurs chrétiens accusés d'avoir enfreint un édit récent de l'empereur. Parmi eux étaient deux femmes, une esclave, Félicité, et une bourgeoise de la ville, Vibia Perpé¬ tua. Amenées à Carthage avec leurs compagnons, elles furent jugées et condamnées à mort. « Enfin se leva le jour du triomphe. Les martyrs s'avancèrent de la prison dans l'amphithéâtre et ce fut comme une entrée dans le ciel. Ils étaient gais et leurs visages étaient beaux, émus, sans doute, non de crainte, mais de joie. Arrivés à la porte de l'amphithéâtre, on voulut leur faire revêtir aux hommes le costume des prêtres de Saturne, aux femmes celui des prêtresses de Cérès. Mais, inébranlables jusqu'à la fin, ils refusèrent. Perpétue chantait; Revocatus, Saturninus et Saturus menaçaient les spectateurs de la vengeance divine. Le peuple, exaspéré, demanda qu'on les fît passer entre l'escouade des belluaires, armés de fouets. Les martyrs rendirent grâces, parce qu'ils pouvaient participer en quelque chose aux souffrances du Christ. Et il arriva qu'à l'ouverture des jeux, Revocatus et Saturninus furent attaqués par un léopard; ils furent ensuite sur l'estrade déchirés par un ours. On avait préparé pour les deux femmes une vache furieuse, comme pour mieux insulter à leur sexe. On les dépouilla de leurs vêtements, on les mit dans un filet et en cet état on les exposa. Un mouvement d'horreur saisit le peuple à la vue de ces femmes dont l'une était si frêle et l'autre, récemment délivrée, perdait le lait de ses seins. On les fit revenir et on leur rendit leurs vête¬ ments. Perpétue rentra la première; elle fut enlevée, lancée en l'air et retomba sur le dos. Dans la chute, sa tunique fut largement fendue; elle la rapprocha pour se couvrir les jambes, plus attentive à la pudeur qu'à CE QUI RESTE DE CARTHAGE 31 la douleur. Elle s'aperçut aussi que sa chevelure s'était dénouée, et elle rattacha sur son front l'agrafe qui la retenait; car une martyre ne doit pas avoir les cheveux épars en mourant afin qu'on ne croie pas qu'elle s'afflige au milieu de sa gloire. Ainsi parée, Perpétue se relève et aper¬ cevant Félicité qui gisait comme brisée, elle s'en approche, lui tend la main et la soulève de terre. Elles étaient là debout. Le peuple, ému de compassion, cria qu'on les fît sortir par la porte des vivants. » Mais bien- Photo du Service des Antiquités de la Tunisie. El Djem. — Amphithéâtre. tôt il se ravisa et exigea le retour des condamnés. « Les martyrs se levèrent et se rendirent au désir du peuple; auparavant ils se don¬ nèrent le baiser afin de consommer leur martyre dans la paix. Puis immobiles, silencieux, ils attendirent le fer. Saturûs, qui venait en tête, mourut le premier. Perpétue était réservée à une nouvelle dou¬ leur. Frappée entre les côtes, elle poussa un cri; puis, comme son bourreau était un gladiateur novice, elle prit la main tremblante de l'apprenti et appuya elle-même la pointe du poignard sur sa gorge. Il semblait que cette vaillante femme ne pût mourir que de sa propre volonté. » On aimerait à pouvoir replacer ce spectacle ailleurs que dans l'effon- 32 CARTHAGE drement de pierres et de terre qu'est aujourd'hui l'amphithéâtre de Car- thage. Nonloin delà, sur unehauteur, se trouvent lesciternesde la Malga,qui servent maintenant de maisons — s'il est permis de se servir d'un terme aussi ambitieux pour qualifier ces taudis —, de granges, de caves, d'étables à tout un village arabe. Le nombre de ces citernes s'élève à une vingtaine; elles ont été, commes celles de Dermech, aménagées, sinon créées, pour servir de déversoir à l'aqueduc de Zaghouan. La description qui a été faite des premières convient aux secondes; mais leur disposition est beau¬ coup moins compréhensible, encombrées qu'elles sont de fumier et d'immondices de toute sorte. La muraille d'enceinte de la ville passait au pied des citernes de la Malga, enveloppait le quartier de l'Odéon et regagnait le rivage au nord de Bordj-el-Djedid. Au delà vers le nord-ouest s'étendait à perte de vue un autre quartier de la ville nommé Mégara. Le centre en est occupé par le coquet village de la Marsa, résidence d'été du bey, des consuls euro¬ péens et des riches Tunisiens. Appien nous apprend que c'était le plus étendu des faubourgs de Carthage et qu'il était rempli de vergers séparés par des clôtures en pierre sèche, des haies, vives d'arbustes épineux et même des ruisseaux. Il offrait donc l'aspect que présentent de nos jours les environs des petites villes et des bourgades arabes semées dans la campagne. Les riches y avaient leurs maisons de plaisance, ornées de statues et de brillantes mosaïques; le long des routes, suivant l'usage, s'étendaient des cimetières, qui nous ont rendu quelques belles tombes. Là aussi, à l'époque chrétienne, on construisit des basiliques sur la sépulture des martyrs célèbres, telle la grande église de Damous-el-Karita ou celle de Mcidfa, où l'on a cru récemment retrouver les tombeaux de-Félicité et de Perpétue, les deux saintes mortes dans l'amphithéâtre, ainsi qu'il a été dit plus haut. Ce furent d'abord d'humbles oratoires, où les chrétiens, contemporains des luttes contre le paganisme et des persécutions, venaient apporter, en cachette, leurs prières et leur vénération. Puis, avec les progrès du christianisme, la chapelle se changeait en un sanc¬ tuaire plus vaste, plus décoré; les dons des fidèles y affluaient; on ajou¬ tait de nouvelles chapelles, des baptistères, des logements pour les prêtres; l'Eglise triomphante n'avait pas assez de richesses pour parer les édifices élevés à la gloire de Dieu et de ses saints. Alors vient l'âge de la décadence : les Vandales, ariens, maîtres du pays, déclarent la guerre aux catholiques; les basiliques sont confis¬ quées ou jetées à terre ; il se fait, suivant les expressions d'un auteur du CE QUI RESTE DE CARTHAGE 33 temps, un long silence de désolation sur l'église de Carthage, jusqu'au jour où les Byzantins, vainqueurs à leur tour, rétablissent la tradition et relèvent les ruines accumulées par leurs prédécesseurs. Résurrection bien passagère, d'ailleurs! Au début de la période arabe, le catholicisme vivait encore à Carthage; mais il est facile de comprendre combien cette survie était misérable et précaire. Ses églises avaient été rasées jusqu'au sol; les inscriptions de ses basiliques et les épitaphes de ses cimetières Photo iNeurdein. Les citernes de la Malga. brisées en mille pièces — dans la basilique de Damous-el-Karita, le P. Delattre n'a pas recueilli moins de 20.000 morceaux, tous menus ; —les reliques des saints, celles, du moins, qu'on avait pu sauver de la profa¬ nation, emportées ou cachées soigneusement. Et de tout le passé chrétien il restait des substructions et des débris informes, une poussière d'anti¬ quités, un peu plus cependant que de la grandeville punique d'autrefois. La cité d'Hannibal et celle de saint Cyprien étaient réunies dans le néant. 3 CHAPITRE III SANCTUAIRES PUNIQUES ET TOMBEAUX BERBÈRES On voit, par tout ce qui précède, combien peu il reste actuellement de toutes les Cartilages qui se sont succédé à l'emplacement de la cité de Didon. L'historien et l'artiste ne peuvent que déplorer la destruction de tant de civilisations superposées; mais ce que l'on ne saurait trop regret¬ ter c'est la disparition des édifices et des œuvres d'art puniques. Après tout, nous connaissons, par ailleurs, assez de villes romaines, assez de métropoles chrétiennes pour pouvoir, aidés de quelques vestiges, rebâtir en imagination et dans ses grandes lignes la capitale de l'Afrique impé¬ riale. Mais qu'était le temple d'Echmoun, où se réfugièrent les derniers défenseurs de la patrie carthaginoise? Qu'était celui de Baal-Moloch où s'offrirent jusqu'à l'époque de Tibère des sacrifices humains? Qu'était Photo du Service des Antiquités de la Tunisie. Dougga, — Temple de Caelestis. SANCTUAIRES PUNIQUES ET TOMBEAUX BERBÈRES 35 celui de la vierge Tanit « face de Baal » où se gardait le Zaïmph? Com¬ ment l'art de la Phénicie, celui de l'Égypte, plus tard celui de la Grèce se mélangeaient-ils dans tous ces monuments? Voilà ce qu'on voudrait savoir et ce que l'on ne saura jamais. Photo de M. Gharras. Stèle dédiée à Saturne. Cependant, nous avons trouvé, sur différents points de l'Algérie ou de la Tunisie, les restes de temples consacrés, sous la domination romaine, à ces différentes divinités. Nul n'ignore, en effet, que l'État romain était, en matière religieuse, d'une tolérance admirable et que, pourvu qu'on rendît à César ce qui lui appartenait, c'est-à-dire un culte officiel, que l'on prît part aux fêtes célébrées en son honneur ou, du moins, qu'on n'affectât point de s'y dérober, on restait libre d'adorer à son gré les 36 CARTHAGE dieux de son pays et de sa famille. Les Africains vaincus jouirent, tout comme les autres, de cette tolérance et on les vit, jusqu'au IVe siècle, éle¬ ver ou réparer des sanctuaires aux divinités que leurs pères avaient vénérées depuis des siècles; seulement, ils les avaient affublées du nom d'un dieu romain qui en dissimulait mal, pour eux comme pour nous, l'origine sémitique : Baal était devenu Saturne, et Tanit, Junon Céleste ou, plus simplement, Céleste. Deux sanctuaires de cette sorte se sont conservés dans une ville de ITioto du Service des Antiquités de la Tunisie. Dougga. — Temple de Caelestis. Tunisie, dont j'aurai plus d'une fois l'occasion de rappeler le nom, dans la suite de ce volume, Thugga, aujourd'hui Dougga, située non loin de Teboursouk, sur la route de Carthageà Sicca Veneria (Le Kef). D'un côté des ruines, vers l'Est, existe un temple consacré à Baal-Saturne; vers l'Ouest, est un autre temple dédié à Tanit-Céleste. Ils méritent tous deux une mention spéciale. Les sanctuaires de Saturne, autant qu'on peut en juger, semblent avoir été, en général, des enclos à ciel ouvert établis soit sur des hauteurs, soit dans le voisinage de quelque agglomération de population. Au centre se trouvait la table où les victimes étaient immolées ; on l'entourait d'ex- voto gravés sur des stèles de pierre. Tel était le lieu saint qui couronnait le sommet de la montagne aux deux cornes (Bou-Kournein), voisine de SANCTUAIRES PUNIQUES ET TOMBEAUX BERBÈRES 37 Tunis, ou l'enceinte consacrée àBaal, aux portes d'Aïn-Tounga. Le sanc¬ tuaire de Dougga est un véritable temple. Il se dresse au bord d'une falaise qui domine au loin la vallée de l'Oued-Khalled. De la plate-forme qui précédait l'édifice, les fidèles embrassaient au loin l'horizon, limité par un cirque de montagnes, et pouvaient adorer le soleil qui se levait au-dessus d'elles. Suivant la mode orientale, la demeure du dieu était enfermée dans une cour entourée de portiques; l'inscription qui les sur¬ montait indique que l'édifice a été bâti en 195 de notre ère et avait coûté au moins 150.000 sesterces (plus de 60.000 francs). Le fond de la cour était bordé de trois salles juxtaposées, celle du milieu, une chapelle, ayant plus de largeur que les deux autres, qui n'étaient sans doute que des sacristies. Mausolée libyco-punique de Dougga après la restauration. CARTHAGE Les recherches qui ont été faites dans le sous-sol prouvent que ce temple a succédé à un sanctuaire plus ancien, contemporain de la Car- thage punique. Le sol sur lequel repose le monument est rempli de pierres votives avec inscriptions et représentations phéniciennes et de vases en terre pleins d'ossements d'oiseaux. C'est aussi au milieu d'une cour fermée par des portiques qu'était bâti, dans la même ville, le temple de Junon Céleste; mais ici, la cour noise. On a même cru relever les restes de l'acropole qui couronnait la cité à cette époque primitive. Mais les Phéniciens ne constituaient qu'une population urbaine, la moins nombreuse. Le reste du territoire de la cité était habité par des agriculteurs de race toute différente, par des Ber¬ bères. C'est eux qui entretenaient la richesse dans un pays, fertile d'ail¬ leurs, et qui l'y perpétuèrent pendant toute l'antiquité. On ne s'étonnera donc pas de rencontrer à Dougga, à côté des survivances phéniciennes dont il vient d'être question, des survivances purement africaines. J'en¬ tends désigner par là un mausolée célèbre que l'on a restauré dernièrement (p. 37), pour la plus grande satisfaction des archéologues et des visiteurs. Il en avait bien besoin. Il a été bâti au IVe siècle avant notre ère pour donner asile au corps affecte une forme très caractéristique, celle d'un demi-cercle, sans doute en souvenir du croissant lunaire, symbole de la divinité. La chapelle, construite à la façon des temples gréco-romains, en occupait le centre, entourée de co¬ lonnes élégantes. En avant régnait une O O terrasse à galerie, qui rappelle celle du temple de Saturne ; on pénétrait dans l'enceinte par des portes latérales. Sur le pourtour de la colonnade circulaire étaient très probablement disposées des statues représentant des provinces ou des villes célèbres. Cherchel. — Tête colossale. La persistance de ces cultes phéni¬ ciens sous une forme romaine suffirait à nous prouver, si nous ne le savions par ailleurs, que cette ville de Thugga avait été jadis une colonie carthagi- SANCTUAIRES PUNIQUES ET TOMBEAUX BERBÈRES 39 de quelque roitelet du pays ou de quelque grand seigneur, du reste par¬ faitement inconnu. Sur la face de l'édifice, à un endroit qu'il est assez difficile de déterminer aujourd'hui, était placée une grande inscription en deux langues, punique et lybique, qui nous fait connaître son nom et celui de ses aïeux : Atabân, fils d'Ifmatat, fils de Falao. La pierre a été emportée en 1842 par un consul général d'Angleterre qui, pour se l'appro¬ prier, fit jeter à bas une grande partie de la face où elle était encastrée. A sa mort, elle passa au British Muséum, où elle est conservée aujourd'hui. Le mausolée de Dougga se rattache à la série des tombeaux de forme carrée surmontés d'une pyramide, usités déjà pour les sépultures égyptiennes de la XVIIIe dynastie et dont la mode s'est perpétuée dans tout l'Orient à l'époque antique avec les tom¬ beaux de Palestine et de Syrie, comme celui d'Absalon ou ceux du Haourân, pour se répandre ensuite dans l'Afrique du Nord, en passant par la Cyrénaïque et la Tripolitaine. M. Saladin, qui a fait de l'édifice une étude très détaillée, remarque qu'on y trouve associés des éléments Cherchel. — Tête colossale, grecs et égyptiens — ce qui semble, d'ailleurs, être le propre de l'art carthaginois. Aux Égyptiens on a emprunté la forme de la corniche et des chapiteaux ; aux Grecs, les détails de son ordre supérieur, les figures et les reliefs qui le décoraient. Les études de M. Saladin et celles que vient de nécessiter la restau¬ ration du mausolée permettent de se faire une idée nette de ce qu'il était autrefois. Sur un soubassement carré, composé de plusieurs gradins, s'élève l'étage inférieur décoré de pilastres ioniques et de fausses fenêtres; du côté de l'Est, cette fenêtre formait une ouverture par laquelle on pouvait s'introduire dans l'intérieur du monument. Le second étage répète le premier : il repose sur d'autres gradins et 4o CARTHAGE constitue un massif carré, décoré d'un ordre ionique et de colonnes enga¬ gées. Au-dessus, sur un nouveau soubassement de gradins, flanqué à ses angles de piédestaux portant des cavaliers, existait un troisième étage décoré aux angles, comme le premier, de pilastres et de chapiteaux ioni¬ ques; sur les quatre faces étaient représentés tdes quadriges en bas-relief de style archaïque. Le monument se terminait au sommet par une pyramide ornée aux angles de Victoires ailées et couronnée par un lion. La chambre sépulcrale, autant qu'on peut en juger par les tombeaux analogues déjà connus, n'était pas dans le mausolée même; des sondages opérés au milieu du soubas¬ sement et poussés jusqu'au roc ont montré qu'elle n'était pas non plus immédiatement au-dessous du sol de la chambre inférieure. Il est possible qu'elle ait été creusée dans le rocher à une certaine profondeur ; en ce cas, l'entrée en est encore à trouver. Ce tombeau seigneurial est intéressant par ses détails de construction et par les essais d'ornementation que le constructeur, s'inspirant de l'art grec, a tentés. Il n'est pas imposant comme celui que se fit bâtir, sur la côte algérienne, un autre prince numide, celui-là autrement puissant, le roi de Maurétanie, juba IL Situé sur le haut d'une colline de plus de 250 mètres d'éléva¬ tion, non loin de la ville actuelle de Tipasa, à une soixantaine de kilomètres d'Alger, Cherchel. vers l'Ouest, il s'aperçoit de tous côtés, de Statue hellénisante. Mitidja comme de la mer. Les Arabes le nomment Kbour-Roumia, le Tombeau de la chrétienne. Des légendes de toute sorte couraient naguère sur lui et sur les trésors qu'il cachait. Au XVI0 siècle, écrit M. Gsell, les Espagnols sou¬ tenaient que c'était la sépulture de la Cava, cette fille d'une merveilleuse beauté que le roi des Wisigoths avait séduite et dont le père, le comte Julien, avait, pour se venger, livré l'Espagne aux musulmans. D'autres parlaient de trésors immenses gardés jalousement par la fée ITalloula. SANCTUAIRES PUNIQUES ET TOMBEAUX BERBERES 41 Bien rarement d'heureux mortels en avaient eu leur part. Un berger du voisinage, racontait-on, avait remarqué qu'une de ses vaches disparaissait toutes les nuits ; cependant le lendemain matin, il la retrouvait au milieu de son troupeau. Un soir il l'épia, la suivit et la vit s'enfoncer par une ouverture qui se referma aussitôt. Le jour suivant, mieux avisé, il s'accrocha à la queue de sa bête, au moment où elle allait disparaître, et put ainsi entrer avec elle. Il sortit à l'aube dans le même équipage, mais avec tant d'or qu'il devint un des plus riches seigneurs du pays. Inutile d'ajouter qu'il renou¬ vela souvent sa promenade nocturne. Un Arabe de la JVLitidja, tombé entre les mains des chrétiens, était devenu l'esclave d'un vieux savant espagnol, fort expert en sorcellerie. Un jour, celui- ci lui rendit sa liberté, sous la condition qu'aussitôt revenu chez lui, il irait au tombeau, y allumerait un feu et, tourné vers l'Orient, y brûlerait un papier ma¬ gique qu'il lui remit. L'Arabe obéit ; à peine le papier avait-il été consumé qu'il vit la muraille s'entr'ouvrir et livrer passage à une immense nuée de pièces d'or qui s'envolèrent dans la direction de l'Espagne où elles allèrent, sans aucun doute, rejoindre le sorcier. La vérité est plus simple et moins mer¬ veilleuse. Le Tombeau de la chrétienne n'est qu'un tombeau, mais un tombeau Éros en bronze, royal. La forme générale de l'édifice (Fouilles s°us-™rines de Mahdia-) • rappelle de très près celle d'une autre P3rramide funéraire, le Madracen, élevée en plein cœur du pays numide, non loin de Batna, qui a peut-être été bâtie pour être la tombe du roi Massinissa. Tous deux affectent la forme d'un gigantesque cône à gradins, reposant sur un soubassement circulaire; tous deux possèdent intérieure¬ ment, au centre, une grande chambre à laquelle on accédait par un couloir dissimulé dans la maçonnerie. A les regarder l'un et l'autre, on conçoit 42 CARTHAGE un sentiment de respect, presque d'admiration, pour la puissance et l'éclat des souverains qui les ont fait élever, qui les ont conçus assez grands, édifiés assez solides pour avoir pu résister aux efforts du temps comme à la barbarie et r w à la cupidité des hommes acharnés à leur destruction, et durer jusqu'à nos jours, seuls de toutes les construc¬ tions contemporaines. C'était, en effet, un grand roi que Juba II, dont la capi¬ tale, Cherchel, toute voisine du tombeau de la chrétienne, éclipsa un moment, par sa splendeur artistique, toutes les autres villes de l'Afrique, même Carthage. Emmené en Italie à l'âge de cinq ou six ans, il avait grandi à la cour d'Octavien et reçu de lui une éducation très soignée ; l'amour de la Grèce et des lettres grecques égalait en lui le dévoûment à la puissance romaine. Quand le roi de âlau- rétanie Bocchus disparut, Oc¬ tave, devenu Auguste, lui donna sa succession ; et il se trouva que le pays rece¬ vait comme maître un savant et un artiste autant et plus qu'un administrateur. Il avait la manie d'écrire, un peu sur toutes les matières : l'histoire, la géographie, l'his¬ toire naturelle, la grammaire, l'art, la poésie même, rien ne lui restait étranger ; il avait aussi le goût des œuvres d'art et des constructions magnifiques. Il entre¬ prit donc de transformer l'ancien comptoir phénicien, loi, qui était sa résidence, en une cité luxueuse, à la mode gréco-romaine ; il l'appela Caesarea, en l'honneur de l'empereur ; il y éleva des temples à Auguste, à Isis, à Tanit, dont il ne subsiste plus aucun reste, et aussi, Divinité punique. Hermès de Dionysos par le sculpteur Boethos. (Fouilles sous-marines de Mahdia.) SANCTUAIRES PUNIQUES ET TOMBEAUX BERBÈRES 43 sans doute, le grand monument auquel appartenait la série des belles têtes colossales exposées aujourd'hui au musée de Cherchel (p. 38 et 39). Surtout il peupla son palais et la cité d'œuvres de sculpture ; il en fit apporter d'Egypte, telles les statues du roi Touthmosis et du prêtre Petou- bastit, que le hasard des fouilles nous a rendues ; il fit aussi copier des oeuvres grecques fameuses, de Phidias, de Praxitèle, de Scopas ou d'ar¬ tistes appartenant à leurs écoles. Ces copies ne sont pas toujours excel¬ lentes et l'on y sent la main de praticiens bien plutôt que d'artistes; mais elles ont pour nous un grand intérêt ; elles nous font connaître par des répliques la donnée générale de chefs-d'œuvre perdus. Evidemment, il eût mieux valu qu'il fît venir directement de Grèce ou d'Asie Mineure des œuvres originales comme ces admirables bronzes du IIe siècle avant J.-C., dont l'un est signé du célèbre sculpteur Boethos, coulés en mer, en vue de Mahdia, avec le vaisseau qui les apportait, retrouvés il y a cinq ans, par des pêcheurs d'épongés et acquis par M. Merlin, directeur des Anti¬ quités de la Tunisie, pour le grand profit et le plus bel ornement du Musée du Bardo. N'est-ce pas déjà beaucoup pourtant que ce roi éclairé ait songé à embellir ainsi sa capitale ? Ces œuvres, tout imparfaites qu'elles sont, nous révèlent clairement ce que dut être jadis la ville de Césarée de Maurétanie, dont la moderne Cherchel, avec ses jardins fleuris et sa luxuriante végétation, n'a gardé que la situation merveilleuse au bord de la mer et le charme d'un climat délicieux. Photo Neurdein. Lambèse. — Le camp, le Praetorium. TIMGAD CHAPITRE PREMIER HISTOIRE. — PLAN GÉNÉRAL, LES RUES, LES PORTES La prise de Carthage par les Romains les débarrassait d'une puissante rivale, mais elle ouvrait pour eux, en Afrique, une ère de difficultés ; elle rendait nécessaire l'occupation du pays. Du moins, essayèrent-ils tout d'abord de diminuer les risques de cette occupation ; on se contenta de réduire en province l'ancien territoire de Carthage, que limitait une ligne partant de Tabarca au Nord, pour aboutir, au Sud, un peu au-des¬ sous de Sfax. Le reste du pays fut abandonné à Massinissa, l'allié de la République contre Carthage, La situation ne changea qu'après la bataille de Thapsus. A ce moment, César engloba laNumidie dans les possessions romaines et forma une seconde province, l'Afrique nouvelle, qui prolongea HISTOIRE. — PLAN GÉNÉRAL, LES RUES, LES PORTES 45 vers l'Ouest l'Afrique ancienne. C'est l'état de choses que confirma Octavien quand il organisa le monde romain : l'Afrique dite proconsu¬ laire, qui correspond à peu près à la Tunisie actuelle, fut laissée au gou¬ vernement du Sénat; la Numidie (département de Constantine) qui, au Sud et à l'Ouest, confinait aux territoires occupés encore par les Afri¬ cains, formait une ceinture militaire autour de la province. Au delà s'étendait la Maurétanie (départements d'Alger et d'Oran), laissée provi¬ soirement à des princes berbères ; elle ne fut annexée à l'Empire qu'en 39 après J.-C. La prise de possession de ce pays est la dernière consé¬ quence de la destruction de Cartilage. Après deux siècles d'hésitation, Rome consentit à aller jusque-là. Cet immense espace de terrain était très habité, surtout à l'Est ; tout le long de la côte, les Phéniciens avaient établi des comptoirs florissants, où des négociants romains s'étaient fixés dès longtemps ; dans l'intérieur même, ils avaient occupé les régions les plus importantes et les plus fer¬ tiles. Ailleurs, existaient des bourgades numides, centres agricoles plus ou moins développés suivant les points, mais qui étaient appelés à prendre plus tard d'autant plus d'extension que le paj^s serait plus prospère et le commerce plus actif. Ce fut justement là l'œuvre des Romains. En assu¬ rant la pacification des frontières et la sécurité des communications, ils permirent à tous ces germes féconds de se développer. Ils n'avaient point, comme nous, à s'implanter en conquérants dans le pays et à imposer par la force leur civilisation ; ils s'établirent comme suzerains d'abord, puis comme successeurs des rois indigènes ; et petit à petit, par le contact de leurs mœurs et de leurs procédés d'administration, par les facilités maté¬ rielles que leur sage gouvernement assurait au pays, par le prestige aussi du nom romain, ils virent se transformer en villes latines, du moins par l'apparence, tous ces établissements dont ils avaient reçu les embryons de leurs prédécesseurs. En même temps, pour donner aux populations indigènes des modèles à imiter, comme aussi pour récompenser des services civils et militaires, les premiers empereurs envoyèrent en Afrique un certain nombre de colo¬ nies ; ainsi naquirent, sur la côte même ou dans le voisinage, les centres romains d'EIippo Regius (Bône), de Neapolis (Nabeul), de Maxula (Rades), d'Uthina (Oudna) ; dans l'intérieur des terres, ceux de Thuburbo Majus (Pont du Fahs) et d'Assuras (Zanfour), de Sicca Yeneria (Le Kef) et de Cirta (Constantine) ; ainsi se fondèrent, sur la côte septentrionale de la Maurétanie, Igilgili (Djijelli), Saldae (Bougie), Rusguniae (Matifou), Cartenna (Tenes) ; au Maroc Zilis, Balba, Banasa, d'autres encore. Il 46 CARTHAGE est facile de comprendre quelle devait être l'influence sur les contrées voisines de ces foyers romains, faits à l'image de la capitale et reflétant, pour ainsi dire, son état souverain. Joint à cela que, pour faciliter l'extension de cette influence, aussi bien que pour rendre plus aisée l'administration des villes de l'intérieur et assurer les relations commerciales avec les parties les plus reculées du pays, Rome dota ses provinces africaines d'un réseau routier merveilleux. Il n'est pas rare de rencontrer encore dans la campagne, souvent pendant des kilomètres entiers, les restes de ces chaussées romaines, solidement empierrées et formant une saillie en dos d'âne au-dessus du sol actuel ; de loin en loin gisent, renversées à droite et à gauche, des bornes mil- liaires, qui portent indiqués en grands caractères le nom de l'empereur sous lequel elles ont été mises en place et la distance qui les sépare du point initial de la route. Le long de ces voies s'élevaient des villes nombreuses et prospères, plus denses dans le Nord, pays de culture intense, plus espacées dans le Midi, moins riche et habité surtout par des nomades. On a calculé que dans la vallée de la Medjerda ou, du moins, dans les parties les plus peu¬ plées, les centres importants sont aussi rapprochés entre eux que les vil¬ lages des environs de Paris. Plus bas, les cités sont encore assez fréquentes pour qu'on puisse aller de l'une à l'autre en une journée. Il n'en est point ainsi dans le Sud; mais entre les quelques grandes localités qui y exis¬ taient, on rencontre de petits établissements, fermes ou bourgades ; mal¬ heureusement leur quantité ne compense pas leur médiocrité. Or, il s'est trouvé, par bonheur pour l'histoire, que les successeurs directs des Romains et des Byzantins, les Arabes, ont fort peu bâti. Point ne leur était donc besoin, comme à ceux en qui on a l'habitude de voir des peuples civilisés, comme à nos administrateurs ou à nos colons, d'em¬ prunter aux monuments anciens les matériaux nécessaires pour les cons¬ tructions modernes et la vie renaissante dans le pays ; ces monuments, livrés à eux-mêmes, n'ont eu à lutter qu'avec le temps et les agents atmosphériques. Les uns sont restés debout, du moins dans leurs parties essentielles ; les autres, en plus grand nombre, se sont effondrés sur place ; la poussière et l'humus les ont recouverts peu à peu d'une couche chaque année plus épaisse, chaque année aussi meilleure protectrice ; si bien qu'il suffit aujourd'hui d'y porter la pioche pour retrouver les restes dans l'état même où ils ont été ensevelis, il y a quelque quinze siècles. On est arrivé à remettre ainsi au jour des quartiers de villes, des villes entières même, qui dormaient sous terre depuis l'antiquité. De ces villes HISTOIRE. — PLAN GÉNÉRAL, LES RUES, LES PORTES 47 ressuscitées la plus célèbre est l'ancienne Thamugadi, aujourd'hui Timgad, dont la description fera l'objet des pages suivantes. On y a rencontré successivement les différents éléments caractéris¬ tiques d'une ville romaine africaine ; la décrire, c'est donc décrire en Plan des ruines de Timgad (dressé par M. Alb. Ballu). 2. Porte du Nord i5. Curie. 34. Marché de Sertius. 5. Bibliothèque. 18. .Théâtre. 38. Porte de;Lambèse. 8. Porte de l'Est. 25. Thermes. 40. Temple du Génie de Timgad. 10. Maison. 3o. Maison de Sertius. 41. Arc dit de Trajan. l3. Forum. 3i. Capitole. 49. Thermes. même temps toutes les villes qui s'épanouissaient au début de notre ère sur l'étendue des provinces africaines, du Nord au Sud, de l'Est à l'Ouest. Mais, précisément parce que les éléments qui la composent lui sont com¬ muns avec les autres, que ce soient des colonies établies en un seul jour par l'autorité supérieure ou d'anciennes cités transformées lentement au contact de la civilisation romaine, il ne sera pas inutile, à propos de cha¬ cune des particularités qu'on y a signalées, de rappeler des analogies annn □□□□ □□□□ □□□ 48 TIMGAD constatées ailleurs, en Algérie et en Tunisie. L'abondance même des com¬ paraisons montrera à la fois la parfaite unité de l'ensemble et la variété des détails. Parmi tous les massifs montagneux de l'Afrique du Nord, celui de l'Aurès est un des plus importants. Il s'élève à la limite du Tell et du Sahara, dans le sud du département de Constantine, dressant, entre ces deux portions du pays si différentes, une barrière naturelle. Il a joué le Photo de M. Dequen. Lambèse. — Cour d'une caserne romaine. même rôle à toutes les époques dans les luttes des peuples qui se sont dis¬ puté l'Afrique : ses pentes méridionales arrêtent l'effort des envahis¬ seurs venant du désert, ses pentes septentrionales servent d'abri aux défenseurs du Tell. Quand les Romains voulurent étendre leur pouvoir, au delà de l'ancien territoire de Carthage, sur les plaines numides, ils durent pousser jusqu'à l'Aurès derrière lequel ils se fortifièrent. Ils com¬ mencèrent par concentrer leurs forces au Nord-Est, à l'endroit où s'élève aujourd'hui la ville de Tébessa, dont nous parlerons dans la troisième partie de ce volume ; c'est sur ce point qu'ils établirent, au début de l'époque impériale, la légion IIIe Auguste, noyau de l'armée d'occupa¬ tion ; de là, ils détachaient des postes chargés de couvrir, à l'Est, la pro- 50 . TIMGAD vince proconsulaire d'Afrique, jusqu'à la Tripolitaine, et à l'Ouest, la Numidie. Parmi ces postes figuraient les deux localités qui portent aujour¬ d'hui les noms de Lambèse et de Timgad. Le premier, qui occupait à la pointe nord-ouest de l'Aurès une posi¬ tion analogue à celle de Tébessa au nord-est, jouait un rôle semblable ; il barrait la route aux envahisseurs sahariens qui, contournant la mon¬ tagne et franchissant le col d'El-Kantara, se hasardaient à pousser plus loin. Quand, pour des raisons militaires, on se résolut à déplacer la légion Photo de M. le DrRouquette. Timgad. — Le Cardo. et à en reculer le campement vers l'Ouest, ce fut Lambèse que l'on choisit : cela se passait au début du IIe siècle de notre ère. Mais, pour abriter la légion et tous les services que l'administration d'un corps d'armée entraînait, il fallait des constructions solides et couvrant un grand espace ; une enceinte entourée de fortifications en terre, comme les Romains avaient l'habitude d'en élever au cours de leurs expéditions, ne pouvait pas suffire. Telle est l'origine de ce grand camp légionnaire de Lambèse dont la « Maison centrale de correction » occupe actuellement une partie. Ce qui en reste a été en grande partie fouillé ; et l'on peut maintenant parcourir dans tous les sens les rues, les casernes et les édi¬ fices que peuplaient autrefois les légionnaires impériaux. HISTOIRE. — PLAN GÉNÉRAL, LES RUES, LES PORTES 51 L'espace occupé par eux était entouré d'un mur élevé, bâti en belles pierres de taille et protégé, de loin en loin, par des tours saillantes à l'intérieur, que couronnaient les pièces d'artillerie de l'époque. Quatre grandes portes, flanquées elles aussi de tours mais celles-ci saillant exté¬ rieurement, donnaient accès dans le camp ; elles s'ouvraient au milieu de chaque face et étaient reliées entre elles par deux grandes voies dallées qui se coupaient en croix. Le pavé en est conservé sur la plus grande Photo de M. le Dr Rouquette. Timgad. — Rue du Capitole. partie, ainsi que les trottoirs qui les bordaient. Au point d'intersection de ces voies s'élevait ce qu'on appelait le Prétoire, cour immense environnée de divers bâtiments. L'entrée, tournée vers le Nord, consistait en une sorte d'arc de triomphe à plusieurs ouvertures, encore debout aujour¬ d'hui — on lui donne couramment le nom de « Praetorium », dénomina¬ tion erronée puisqu'il ne constitue en réalité qu'une minime partie de l'ensemble. On pénétrait par là dans une place dallée, entourée d'une colonnade où s'ouvraient une série de chambrettes. Dans quelques-unes d'entre elles, on a recueilli des projectiles de terre cuite; dans d'autres, on a trouvé des fragments d'inscriptions, qui nous permettent de les 5a TIMGAD considérer comme des magasins d'armements. Au fond, on pénétrait, par des escaliers latéraux, dans une seconde cour plus étroite, élevée en plate-forme et terminée sur la face méridionale par une rangée de pièces, quelques-unes arrondies en abside. Celle qui occupe, au milieu, la place d'honneur était la chapelle où l'on déposait l'aigle et les enseignes légion¬ naires ; les autres, à droite et à gauche, servaient de bureaux aux commis d'état-major et de dépôts d'archives. Tout cela constitue un ensemble à peu près unique dans l'étendue du monde romain ; nulle part on n'a trouvé Photo de M. le DrRouquette. Timgad. — Arc dit de Trajan. ainsi, à leur place antique, et aussi bien conservés dans leur ensemble, tous les éléments constitutifs d'un prétoire légionnaire. En avant du Prétoire, de l'autre côté de la voie qui joint la porte de l'Est à celle de l'Ouest, s'étendaient les logements des officiers ; en avant encore, des casernes, des écuries, des remises pour les chariots et l'artil¬ lerie, des magasins de toute sorte; en arrière, d'autres casernes, un éta¬ blissement de bains et quantité d'autres pièces dont la destination exacte ne saurait être établie. Timgad, elle, n'était, sans doute, au ior siècle, qu'un petit poste mili¬ taire, chargé de garder les passages qu'ouvrent dans le massif de l'Aurès deux rivières, l'Oued-Abdi et l'Oued-el-Abiod. A l'époque de l'empereur Trajan, exactement en l'année 100 de notre ère, on décida d'y installer HISTOIRE. — PLAN GÉNÉRAL, LES RUES, LES PORTES 53 un établissement romain ;. la légion de Lambèse fut chargée de l'opéra¬ tion ; le général en chef, le légat L. Munatius Gallus, la conduisit. On groupa autour du gîte d'étape primitif les indigènes des environs, quelques colons enrichis et sans doute aussi des vétérans ; on leur donna un terrain Photo de M. le lieutenant Rouget. Sbéitla. — Arc de Dioclétien. pour s'établir, des édifices pour se réunir; surtout on leur accorda la.qua¬ lité de citoyens d'une colonie romaine, par où cette agglomération deve¬ nait, en un jour, au centre d'un pays barbare, une image fidèle de la ville de Rome, avec son prestige et ses privilèges politiques. Fille de l'empereur, Timgad ne connut pas cet état précaire qui carac¬ térise le début de toutes les villes, grandes et petites ; elle arriva, presque 54 ÏIMGAD dès son enfance, à son plein épanouissement. Il fallut, il est vrai, que tout d'abord elle restât resserrée dans une enceinte quadrangulaire, à la façon du camp voisin de Lambèse, parce qu'elle devait pouvoir, au besoin, résister à une attaque subite ; mais, dans cette enceinte, la pré¬ voyance impériale avait fait élever par la main-d'œuvre légionnaire et avec un certain luxe, tous les monuments nécessaires à l'existence d'une cité romaine : ceux que l'on peut dater par des inscriptions remontent, pour la plupart, au il0 siècle de notre ère. Bientôt, le pays étant devenu Photo de M. Joly. Announa. — Arc. plus sûr, on put renoncer à cette muraille défensive, on l'abattit. La ville se répandit aussitôt au dehors ; les rues se prolongèrent ; ce qui était jadis la campagne se couvrit d'édifices publics et de maisons. Timgad resta aussi florissante durant tout l'Empire et ne déclina qu'avec la puis¬ sance romaine. Il est certain qu'elle survécut à l'invasion vandale. Lors de l'arrivée des Byzantins, au dire de l'historien Procope, elle était encore grande et peuplée. Mais les tribus de l'Aurès, pour empêcher les Grecs de s'y établir, en chassèrent les habitants et la détuisirent par le fer et le feu. Le général de Justinien, Solomon, n'y trouva plus que des ruines. Elles lui servirent à élever la grande et belle forteresse qu'il construisit au sud de la ville pour commander toute la région. HISTOIRE. — PLAN GÉNÉRAL, LES RUES, LES PORTES 55 Protégée par la garnison qui l'occupait, Timgad recouvra alors une apparence de vie : les monuments publics, à moitié écroulés, ne furent pas relevés, mais de nouvelles maisons se bâtirent au milieu des ruines et à leurs dépens. Ce renouveau, tout misérable qu'il fût, dura jusqu'au jour où les Arabes, maîtres de l'Afrique, en chassèrent les derniers habi¬ tants. L'ensemble des ruines de Thamugadi ne mesure pas plus de 800 mètres en tous sens, si on laisse en dehors du calcul, le mamelon, dominant la Plioto du Service des Antiquités de la Tunisie. Dougga. — Arc dit Bab-Roumia. ville, où se dressent la citadelle byzantine et les constructions excentriques. Au milieu, sur un petit plateau allongé dont la largeur n'atteint pas 400 mètres, sont massés les principaux édifices : c'est le noyau primitif de la cité. L'ensemble offre un aspect très caractéristique ; on ne saurait mieux le comparer qu'à un immense damier dont les différentes cases seraient figurées par des pâtés de maisons ou des monuments. Ainsi étaient dessinés les camps romains; il est naturel qu'on ait conservé cette forme pour les colonies militaires, qui n'en différaient guère à l'ori¬ gine. On notera que nous n'avons pas agi différemment en Algérie, quand nous avons voulu fonder des centres de colonisation ; entre le plan de la Timgad de Trajan et celui de sa voisine moderne, Batna, par exemple, 56 TIMGAD il n'y a guère de différence. Toutes deux ont été créées pour répondre aux mêmes besoins, et, par suite, sur le même type, qui est celui d'un camp retranché. On ne s'étonnera donc pas de retrouver, appliqués au tracé des rues de la ville de Thamugadi, les principes que nous avons déjà mentionnés à propos du camp de Lambèse. Elle était divisée en quatre parties par deux grandes voies qui se coupaient en croix. Celle qui allait de l'Est à l'Ouest se nommait le decumanus (voie décumane), celle qui suivait la direction nord-sud était appelée car do. Sur la première, à des inter¬ valles réguliers, s'embranchaient perpendiculairement des voies secon¬ daires, parallèles à la seconde, qui elles-mêmes étaient coupées, de dis¬ tance en distance, de rues perpendiculaires et, en conséquence, parallèles au decumanus. Ces deux artères principales sont soigneusement dallées ; quelques autres le sont pareillement, bien que d'une pierre différente ; les plus petites ne sont faites que de terre battue. La voie décumane n'était autre que la grande route qui menait de Lambèse à Timgad et ensuite à Tébessa, route extrêmement fréquentée par tous ceux qui circulaient entre ces deux points, et qui devait être Announa. —Vue générale des ruines. HISTOIRE. — PLAN GÉNÉRAL, LES RUES, LES PORTES 57 parcourue constamment dans les deux sens par les voyageurs. Aussi, est-ce le long de cette voie ou dans son voisinage immédiat qu'étaient groupés les monuments importants de la ville. Des portiques avaient été disposés à droite et à gauche sur les trottoirs pour mettre les piétons à l'abri du soleil et de la pluie. A l'origine, elle pénétrait dans l'enceinte de la cité par une porte monumentale, d'une construction très soignée, que l'on nomme communément 1' « arc de Trajan » parce qu'on a trouvé Photo du Service des Antiquités de la Tunisie. Sbéitla. — Entrée de la cour du Capitole. au pied, parmi les décombres, une grande inscription ainsi conçue : L'empereur Nerva Trajan Auguste, le Germanique, fils du Dieu Nerva, souverain pontife, revêtu pour la quatrième fois de la puis¬ sance tribunice, consul pour la troisième fois, père de la patrie, a fondé la colonie Marciane Trajane Thamugadi, par la légion IIT Auguste, Lucius Munatius Gallus étant légat propréteur. Elle en sortait par une seconde, porte, située à l'extrémité orientale des ruines, dont il ne reste plus que le soubassement. Plus tard, quand la ville cessa d'être entourée de murs, et qu'elle se fut étendue vers l'Ouest, on éleva au point où commençaient alors les premières maisons, un nou¬ vel arc monumental ; et l'arc de Trajan devint un monument isolé sur le 58 TIMGAD parcours de la voie. Même addition fut faite, du côté de l'Est, en avant des dernières habitations. Il existait encore deux autres portes, en forme d'arcs, au Sud et au Nord, sur le car do, à l'endroit où il pénétrait dans l'agglo¬ mération urbaine et où il en sortait. La porte du Nord seule est conservée. Les Romains avaient, en effet, coutume, et peut-être en Afrique plus qu'ailleurs, de marquer l'entrée d'une ville, d'une place, d'un temple par une porte monumentale plus ou moins ornementée, par ce qu'on nomme couramment un arc de triomphe. Les ruines d'Algérie et de Tunisie nous en ont conservé de très nombreux exemples, ce genre de constructions ayant résisté mieux que tous les autres, par sa masse compacte, aux efforts du temps. On y constate une grande variété de types. Tantôt ce sont de simples portes, peu épaisses, avec une seule baie, sans ordre d'architecture. D'autres, plus soignées, présentent, de part et d'autre de l'ouverture, soit un pilastre saillant, soit une colonne, soit même deux colonnes ou deux pilastres ; la porte du nord de Timgad offre un mélange des deux conceptions ; elle est ornée d'une colonne et d'un pilastre. On ne connaît guère qu'un exemple d'un arc à deux portes, à Announa, près Lambèse. — Arc de Septime-Sévère. Photo de M. Dequen. HISTOIRE. — PLAN GÉNÉRAL, LES RUES, LES PORTES 59 de Guelma, en Algérie ; mais les arcs à trois portes ne sont pas rares. Parmi ceux que l'on peut aisément aller voir, je citerai, en Tunisie, celui de Sbéitla (p. 57) et, en Algérie, celui qui, à Lambèse, porte le nom de Septime-Sévère (p. 58). L'arc de Caracalla, à Tébessa (plus bas, p. 135), offre quatre façades disposées en carré : type trop compliqué et trop riche pour avoir été très répandu. Il en est de même de ce qu'on nomme « le Praetorium » à Lambèse et qui, ainsi que je l'ai dit plus haut, n'était en somme qu'un arc de triomphe considérable. Photo de M. Jolyi Nymphée et théâtre de Khamissa. L'arc dit de Trajan (p. 52) appartient à la catégorie des arcs à trois baies; elles sont de hauteur inégale : celle du milieu, plus élevée, était destinée aux voitures et aux cavaliers ; les passages latéraux, qui font suite aux trottoirs, étaient réservés aux piétons. Quatre belles colonnes, cannelées à leur partie inférieure, sur chaque face, encadrent les ouver¬ tures. Au-dessus des petites existent deux niches, occupées jadis par des statues ; le fronton arrondi qui les surmonte est digne d'attention pour la rareté du fait. L'ensemble ne manque pas d'élégance. Il se pourrait que cette architecture assez compliquée ne remontât pas à la fondation même de la ville et que le monument, dans l'état où nous le voyons, appartienne 6o T1MGAD à une date plus récente ; certains détails de l'ornementation semblent convenir bien plus à la fin du 11° siècle qu'au début. Il y aurait eu là un embellissement d'époque postérieure. La voie décumane est pavée de larges dalles, placées de biais, au lieu d'être, comme dans nos rues modernes, perpendiculaires à la direction du trottoir. La raison en est fort simple : on évitait par là que les roues des chariots heurtassent simultanément et normalement les bords de la dalle ; et ainsi s'atténuaient les chocs violents, résultant de cahots. Ce pavement est, encore aujourd'hui, remarquablement conservé ; on y voit/comme à Pompéi, les sillons qu'y ont creusés les roues des voitures ; on dirait que la circulation a été interrompue hier. Semblable particularité peut être notée aussi sur les pavés du car do, bien que ce fût une voie beaucoup moins passante que la première. : On distingue fort bien encore, sous ces voies, par des regards de pierre ajourées, de grands égouts, hauts de un mètre, qui suivaient leur tracé. Celui qui règne sous le car do faisait office de collecteur et, grâce à ila pente du terrain, emmenait vers la plaine les eaux ménagères ou pluviales qu'envoyait toute la partie haute> de la ville. Comme à Pompéi, également, et comme dans bien d'autres villes, des fontaines étaient disposées de loin en loin le long des rues. La plupart sont de simples cuves rectangulaires où l'eau se déversait par quelque bouche de métal ; on venait y puiser tout le long du jour pour les besoins de chacun, et l'on constate encore, non sans quelque étonnement, l'usure qu'a laissée, sur les parois des cuves, le frottement des cruches qu'on y appuyait. La plus importante était voisine de la porte de Lambèse, à une centaine de mètres à l'Est ; elle affectait une forme octogonale. Une statue de femme, tenant à la main une corne d'abondance, en pierre, la couronnait; elle avait été construite par la générosité d'un riche person¬ nage de la ville, P. Julius Liberalis ; et avait coûté, nous dit l'inscription qui la décorait, 32.348 sesterces, soit 8.085 francs environ de notre mon¬ naie. Photo de M. le Dr Rouquette. Tiragad. — La tribune aux harangues, CHAPITRE II LE FORUM L'entrée du forum se trouve sur la voie décumane, à 150 mètres environ de l'arc dit de Trajan et, suivant la règle établie pour le tracé des colo¬ nies, à l'endroit même où débouche dans cette voie, le cardo, venant de l'arc du nord. La porte était ornée de deux pilastres et de deux colonnes engagées, qui sont la répétition exacte de l'ornementation de cet arc, auquel elle fait face. Toute la partie haute en a disparu ; mais il est facile, sans grand effort d'imagination, de se la représenter dans son état ancien. Un escalier de quelques marches, d'une apparence monumentale, mène à la place elle-même, dont le niveau était élevé de deux mètres au- dessus de la voie décumane qu'elle longeait. De part et d'autre de l'en¬ trée, s'enfonçant sous le pavement du forum, étaient aménagées des bou¬ tiques où les passants trouvaient à s'approvisionner sans être obligés de monter à l'étage supérieur. 02 TIMGAD Nous savons exactement ce qu'était le forum chez les Romains, le rendez-vous des gens oisifs et des gens occupés, le centre des distractions et celui des affaires. Il suffit de rappeler ici, en deux mots, ce qui a été dit à propos de Pompéi dans un autre volume de cette collection. C'est là que se faisaient les élections, aussi longtemps qu'on en fit ; que les magistrats présidaient le Conseil municipal et adressaient, du haut de la tribune, des communications au public ; là aussi qu'on prononçait l'orai¬ son funèbre des citoyens de marque. C'est au forum que les magistrats prêtaient serment, qu'aux jours marqués dans le calendrier, aux anniver¬ saires religieux ou politiques, on célébrait des sacrifices, que l'on mettait en adjudication les travaux de la ville, qu'on payait les impôts, que l'on distribuait au peuple de l'argent ou des bons de vivres, qu'on célébrait par des réjouissances publiques l'entrée en charge des dignitaires muni¬ cipaux ou l'inauguration des statues. Dans la basilique du forum, on faisait du commerce et des affaires de bourse, on plaidait et on donnâit des conférences. Les colonnades où l'on pouvait se promener à l'abri des intempéries attiraient naturellement lés désœuvrés ; aucun endroit n'était plus favorable pour s'enquérir des nouvelles du jour ou pour les conter; on y trouvait Affichés lés programmes des spectacles prochains, les annonces de ventes, d'adjudications, de jugements. On était aussi assuré d'y rencontrer des marchands de toute sorte, ambulants ou établis en magasins : il y avait toujours quelque chose à y voir ou à y apprendre. Pour répondre à tous ces besoins de la population, les forums étaient entourés d'un certain nombre d'édifices, toujours les mêmes, que nous allons retrouver à Timgad. La place, proprement dite, dallée avec le plus grand soin, mesurait environ 50 mètres sur 40; des portiques d'ordre corinthien l'entouraient, élevés de la hauteur d'une marche au-dessus du niveau du dallage central ; leur toit en pente, fait autrefois d'une char¬ pente recouverte de tuiles, déversait l'eau sur la place, d'où elle s'écoulait par des bouches d'égout découpées dans les dalles. Des boutiques occupaient tout le côté nord, divisé par la grande entrée que j'ai mentionnée plus haut et par deux entrées secondaires, à droite et à gauche •—- celle-là supprimée postérieurement. Il en était de même du côté sud : deux sorties s'ouvraient dans une rue parallèle à la voie décumane, qui menait au théâtre. Sur le côté qui regarde l'Est nous trouvons la basilique, longue de 28 mètres et qui, d'après les calculs de M. Ballu, devait mesurer 14 mètres de hauteur. Elle n'avait pas, comme bien d'autres, de bas côtés. Deux ordres superposés la décoraient, le premier ionique, le second corinthien ; LE FORUM 63 à l'intérieur le plafond était orné de caissons. De distance en distance, des fenêtres éclairaient l'édifice, percées dans le mur qui regardait l'occi¬ dent, au-dessus du toit du portique latéral. A l'extrémité sud de la pièce, l'estrade réservée aux juges, haute de im,5o au-dessus du sol, faisait face à trois grandes niches aménagées pour recevoir de grandes statues ; tandis que le quatrième côté, celui qui bordait le forum extérieurement, était occupé par une suite de salles fermées, bureaux ou magasins. Des pié- Photo de M. le D* Rouquette. Tiragad. — Entrée de la Curie. destaux, encore en place avec les inscriptions qu'ils portaient, nous apprennent que la salle était décorée d'images impériales en pied. C'est, à quelques détails près, le plan et l'aménagement de toutes les basiliques civiles du monde romain. Les monuments qui garnissaient la face orientale du forum sont, au contraire, d'une conception assez originale ; là est la partie vraiment intéressante de l'ensemble. Le plus grand offre, à première vue, l'appa¬ rence d'un temple : un escalier de quatre marches donne accès à un per¬ ron par où, passant entre deux belles colonnes cannelées, on pénètre dans une salle rectangulaire, entièrement dallée, de 16 mètres de long. On ti4 TIMGAD est frappé tout d'abord du soin apporté à la construction : une plinthe saillante en décore toutes les parois : contre les colonnes et contre les murs, autrefois recouverts de placages de marbre, des bases de pierre supportaient des statues ; l'une, qui a été retrouvée dans les fouilles, représente l'empereur Lucius Vérus. Au fond, une petite tribune, élevée seulement de deux marches, a conservé la trace des scellements qui y assujettissaient deux balustrades de métal; cellesrci laissaient au milieu, entre elles, un espace de trois mètres qui devait recevoir les sièges réservés, on peut l'affirmer, aux magistrats suprêmes de la cité. Nous ne pouvons pas ignorer, en effet, la destination de cet édifice ; car on y a, par bon¬ heur, recueilli des inscriptions caractéristiques. La première se lit sur un des deux piédestaux qui garnissent, aujourd'hui encore, les angles de la pièce; elle est ainsi conçue : Consacré à la concorde du Conseil municipal. Caius Publicius Celer,fils de Caius Publicius, inscrit dans la tribu Papiria, duumvir quinquennal désigné, après avoir versé à la caisse communale la J somme d'argent exigée par la loi pour le duumvirat et avoir promis en outre 4.000 sesterces, en a dépensé 4.500 pour ériger cette statue qu'il a dédiée. Élevé par décret du Conseil municipal. Il est bien évident qu'une telle statue ne pouvait guère trouver sa place que dans un édifice municipal. Deux autres inscriptions, d'époque plus basse, sont gravées non plus sur des piédestaux, mais sur de larges plaques de pierre, scellées autrefois dans le mur ; elles contiennent la liste des conseillers municipaux de la colonie à différentes époques. Que pouvait être une salle qui nous a rendu de pareils documents, sinon la salle même du Conseil? Dans quelle autre une statue de la Concorde eût-elle été plus nécessaire et mieux à sa place que dans l'endroit où l'on avait à régler d'un commun accord les destinées intérieures de la cité ? On comprendra aisément que l'hôtel de ville de Timgad ait été décoré élégamment. Les murs de la salle étaient jadis revêtus de plaques de marbre de couleur; au cours des fouilles on en a recueilli un plein tom¬ bereau. Le portique qui entourait le forum s'arrête à l'aplomb du mur sep¬ tentrional delà curie. On avait profité de la place libre pour disposer à cet endroit un grand soubassement de 8 mètres de large. On y a trouvé encastrée une longue inscription ; elle nous apprend qu'il y avait là, dans un édicule voûté, une statue de la Fortune; elle avait coûté 22.000 sesterces (5.500 francs) et l'édicule 4.400 sesterces (1.100 francs). L'édifice qui vient ensuite mérite l'attention : c'est la tribune aux LE FORUM 65 harangues. On ne connaissait pas, avant les fouilles de Timgad, d'exemple municipal d édifice de cette sorte. Les spécimens que Rome nous a con¬ servés étaient plutôt faits pour nous embarrasser que pour nous aider, car ils nous offrent deux types très différents. Tandis que la grande tri¬ bune du forum constitue un ensemble à part avec sa plate-forme entou¬ rée d'une balustrade de pierre et les marches qui y donnaient accès par derrière, d'autres ne sont qu'une partie d'un édifice différent, comme celle qui s'étend devant le temple de Jules César et qui est établie aux Khamissa. — Un coin du Forum. dépens de l'escalier antérieur. A quel parti s'arrêtait-on dans les villes de province ? Les deux types étaient-ils employés concurremment ou préférait-on l'un des deux ? La question ne saurait être résolue définiti¬ vement, d'autant moins qu'il n'y avait sans doute pas de règle absolue à cet égard. A Pompéi, on a supposé que la plate-forme qui existait, entre les deux escaliers antérieurs du temple de Jupiter servait de tribune; la chose estpossible, probable même, non assurée. A Timgad la tribune est certainement accolée aussi à un temple ; elle en constitue la partie anté¬ rieure. Ce temple, qu'on a appelé sans preuves suffisantes « temple de la Victoire », présente une ordonnance commune à tous les temples antiques gréco-romains. Une grande salle, la « cella », la chapelle pro- 5 66 T1MGAD prement dite, s'ouvrait par une porte sur un vestibule; devant, s'étendait le « pronaos », soutenu par des colonnes : elles sont au nombre de quatre seulement et d'ordre corinthien. L'étage inférieur, au niveau de la place, renfermait une grande chambre pour le trésor et les archives ; on y péné¬ trait par une petite porte latérale. L'originalité commence avec la dispo¬ sition de la partie antérieure du monument. Ordinairement la façade est précédée d'un escalier qui permet d'accéder directement au pronaos plus ou moins élevé au-dessus du sol. Rien de tel ici : en avant du pronaos s'étend une plate-forme, profonde de 4 mètres, qui se termine à pic du côté du forum, par une surface verticale, haute de 2 mètres et recouverte de larges dalles posées de champ (p. 61). Les deux extrémités de la plate¬ forme, à droite et à gauche, sont occupées par deux grands piédestaux hexagonaux, qui supportaient deux Victoires et que reliait unebalustrade limitant la tribune, à la manière d'un garde-fou : l'orateur pouvait s'y livrer à toute sa fougue, sans craindre les faux pas. Mais, comme il fallait bien y monter par quelque endroit, on avait disposé, latéralement au temple, un petit escalier très étroit qui conduisait à la fois au sanctuaire et à la plate-forme. Par cet aménagement, la tribune de Timgad se rapproche donc assez de celle du temple de César, puisqu'elle s'étend devant l'en¬ trée du sanctuaire. Mais d'autre part, le temple dit de la Victoire était, à l'origine, un édifice entièrement isolé, légèrement en saillie sur l'ali¬ gnement de la curie et des monuments voisins; il était limité en avant par la place et, de tous les autres côtés, par une petite cour. L'architecte qui en avait dessiné le plan avait, de la sorte, essayé un compromis entre les deux types usités à Rome; il n'avait pas pu, faute de place, faire de la tribune de Timgad une image fidèle des rostres du forum impérial ; du moins avait-il tenu à en laisser les abords parfaitement libres, tout en utilisant la partie postérieure pour une construction religieuse. Depuis quelques années des fouilles opérées dans le forum d'une ville algérienne appelée autrefois Thubursicum Numidarum, aujourd'hui Khamissa, dont il sera question plus loin, nous ont mis en présence d'une autre tribune ; celle-là n'était point accolée à un temple : elle fai¬ sait saillie, sous le portique même dont elle occupait la profondeur, en avant de pièces dont la disposition n'est pas connue ; sa hauteur était de 2 mètres ; un petit escalier spécial y donnait accès. Elle n'offrait donc avec la tribune de Timgad aucune ressemblance, hormis d'avoir été édifiée, comme elle, dans le voisinage immédiat de la curie, ce qui était presque une nécessité. J'ai expliqué, quelques lignes plus haut, que, dans l'origine, le temple LE FORUM 67 dit de la Victoire était complètement libre d'accès de tous les côtés ; il se dressait en avant d'une cour assez étroite, entourée, elle aussi, de por¬ tiques pavés de mosaïques et réservée peut-être aux conseillers munici¬ paux et aux magistrats. Plus tard, on eut besoin d'ajouter à la curie une pièce annexe; on la prit sur cette cour; on en condamna la partie qui Plan des ruines de Dougga (Archives de la Direction des Antiquités de Tunisie). A, Mausolée libyco-punique.— D, Capitole. — E, Forum. — H, Temple de Saturne. — I, Temple de Caelestis. N, Théâtre.— O, Cirque. — S, Citernes.— V, Villa romaine, — Y, Basilique chrétienne. longeait la face septentrionale du temple et on y établit une salle soi¬ gneusement dallée, décorée d'élégantes colonnes cannelées, qui rappelle, dans ses lignes générales, la curie à laquelle elle fait pendant. On sait que les Romains avaient l'habitude de peupler de statues leurs places publiques ; ils y faisaient figurer dans leur costume d'apparat les hommes qui avaient illustré la cité par leur carrière publique ou qui avaient rendu des services éclatants aux habitants. 68 TIMGAD Les empereurs eux-mêmes avaient donné l'exemple à Rome. Auguste avait placé, dans son forum, sous les portiques, les images des grands généraux de la République, en costume de triomphateurs, « voulant hono¬ rer, dit Suétone, presque à l'égal des dieux immortels la mémoire de ceux qui avaient donné à la puissance romaine, après d'obscurs commen¬ cements, un si grand développement ». Enée y voisinait avec Marius, et Romulus avec Sylla. Ses successeurs l'imitèrent. Trajan, en créant un autre forum qui porta son nom, y réserva une place pour les person¬ nages illustres de l'Empire ; et chaque prince se fit un point d'honneur de compléter la série pour son époque. Un usage, qui flattait étrangement la vanité humaine, ne pouvait pas rester limité à la capitale ; les villes d'Italie, d'abord, celles de la province ensuite se l'approprièrent, mais en le restreignant à leur horizon. Ce qui les intéressait, c'était moins encore l'histoire de Rome que leur histoire propre et que leurs intérêts immé¬ diats ; ce qu'ils goûtaient, c'était moins Scipion et Pompée que ceux qui leur faisaient honneur ou qui pouvaient les aider de leur influence. Ils réservaient donc leur forum aux empereurs, aux gouverneurs de la pro¬ vince, à leurs patrons, à leurs magistrats, à leurs citoyens qui s'étaient illustrés dans les armes ou dans les lettres. Quelquefois les villes étaient si prodigues de ces honneurs qu'il fallait, au bout d'un certain temps, mettre de l'ordre dans cette profusion d'illustrations en pierre ou en bronze, à pied ou à cheval, qui gênaient la circulation et en rectifier l'ali¬ gnement. A Timgad comme ailleurs, le forum était peuplé d'un monde de sta¬ tues. On en avait placé partout, sous les portiques, sur les escaliers, dans tous les coins demeurés libres, surtout dans la cour intérieure. Là on les avait semées à profusion. Devant la basilique et sur la face méri¬ dionale de grandes bases encore debout supportaient des représentations d'empereurs, pédestres ou équestres ou même dans des chars de triompha¬ teurs : Trajan, le fondateur de la ville, Hadrien, Antonin le Pieux, Caracalla. Au milieu de la série des souverains se voyait le satyre Marsyas, une outre sur l'épaule et la main droite levée, suivant le type traditionnel ; les colonies romaines de droit italique ne manquaient jamais d'orner leurs places publiques d'une image de Marsyas, comme indice de leurs franchises municipales et en souvenir de celle qui figurait à Rome sur le forum. Ailleurs, près de la tribune aux harangues et sur la face septentrionale, on avait réuni les statues des grands personnages, bien¬ faiteurs ou fils de la cité, fonctionnaires civils ou militaires : P. Junius Martialianus, sénateur, légat propréteur de l'empereur de la province de LE FORUM 69 Numidie, autrement dit général en chef de l'armée d'Afrique; C. Pontius Ulpius Verus, dit Potamius, fils d'un bienfaiteur de la ville ; A. Larcius Priscus, légat impérial propréteur; M. Virrius Flavius Jugurtha, conseil¬ ler municipal à Carthage, « homme aussi disert que bon ». L'un d'eux était, de plus, grammairien ; il se nommait Pomponianus et ne manquait pas de célébrité à son époque. Pour lui faire honneur, si ce n'est même sous son inspiration, on grava sous sa statue une dédicace singulièrement flatteuse : Photo, du Service des Antiquités de la Tunisie. Dougga. — Maisons en avant du Capitole. A Flavius Pomponianus, homme de rang sénatorial, dont la bienveillance s'est abondamment exercée envers sa patrie et ses concitoyens, qui a fait ses preuves dans les exercices militaires, l'honneur des lettres grecques et latines, che^qui la faconde attique égale l'éclat romain ; le conseil municipal de Timgad, qui habite le voisinage d'une source, à son patron, source liû-même, ruisseau, d'éloquence, toujours coulant. On aimerait à entrer en relations plus intimes avec « cet honneur des lettres grecques et latines » et avec ses compagnons ; on voudrait pouvoir connaître, outre leurs titres et leurs fonctions, leur visage et leur physio¬ nomie; mais, chose curieuse, si les bases sont encore à leur place, les ;o TIMGAD statues n'existent plus. Il y a longtemps qu'elles ont disparu, converties en chaux sans doute pour la construction de la forteresse byzantine. C'est au milieu de ces édifices, de ces portiques, de ces images de leurs empereurs et de leurs concitoyens que les Romains de Timgad pas¬ saient une bonne partie de leurs journées. On aime à se les représenter ainsi, répandus sous les colonnades et assiégeant les boutiques des ven¬ deurs ou le tribunal des juges; attendant la fin d'un conseil de leurs décurions ou écoutant une communication officielle, lue du haut de la tri¬ bune; discutant bruyamment de leurs affaires avec de grands gestes, ou assis par groupes dans les coins de la place, pour échanger les nouvelles du jour. Que ne peut-on assister à leurs conversations, surprendre leurs confidences et savoir si, tout occupés qu'ils étaient par les mille événe¬ ments journaliers qui les touchaient de près, ils aimaient véritablement, autant que leur province, cette patrie romaine dans laquelle ils s'enfon¬ çaient chaque jour davantage. Tout au moins nous fournissent-ils eux-mêmes le moyen de prendre part à leurs distractions. Le dallage du forum porte encore le dessin de plusieurs jeux qu'on y avait tracés à la pointe. Ici nous voyons une série de trous juxtaposés et régulièrement espacés, entre lesquels il s'agissait de faire rouler une bille, dirigée vers un but déterminé, sans qu'elle s'arrêtât dans un de ces trous; là est figurée une marelle circulaire, où l'on faisait mouvoir des pions qu'il fallait amener sur une même ligne. Plus loin, on avait dessiné une sorte de damier d'un genre particulier. A droite et à gauche d'un motif central décoratif, un vase de fleurs sur¬ monté d'un oiseau, étaient gravés trois mots de six lettres, chaque carac¬ tère faisant l'office des carrés d'ùn échiquier. L'ensemble forme une devise épicurienne : VENARI LAVARI LVDERE RIDERE OCC EST VIVERE Chasser, se baigner, jouer et rire, voilà la vie! Non loin de l'endroit où se lit cette inscription s'ouvre un des esca¬ liers qui conduisaient de la voie centrale au forum. Si l'on descend par là, on arrive dans une salle dont la porte se trouve précisément au pied de l'escalier. Elle nous fera comprendre que le confortable n'est pas né d'hier. Qui aurait pensé qu'au Ier siècle de notre ère, dans une petite ville provinciale africaine, les latrines publiques étaient déjà conçues et LE FORUM 71 installées selon le principe du « tout àl'égout »? Rien n'est pourtant plus évident. La pièce que l'on avait ainsi disposée, pour la commodité des habitants, à portée du forum et de la grande voie centrale, mesure près de 9 mètres de long sur plus de 6 mètres de large. Les quatre côtés en étaient garnis de sièges en pierre : un bras de fauteuil en forme de dau¬ phin séparait chaque place de sa voisine. Au centre des sièges on avait ménagé un large trou circulaire ; il y avait ainsi vingt-six places distinctes. Photo du Service des Antiquités de la Tunisie. Dougga. — Place de la Rose des Vents. Devant cet ensemble règne dans le dallage une rigole profonde de 10 centimètres; une eau limpide y courait constamment, fournie par une fontaine appuyée contre le mur septentrional, Le liquide qui s'échap¬ pait par le trop-plein de la rigole s'écoulait au moyen d'ouvertures pra¬ tiquées au pied de chaque siège et tombait dans un égout creusé à im,20 au-dessous du sol lonsreant les murs de fondation. Une chasse d'eau o balayait le tout dans le grand égout collecteur qui passait sous la voie centrale. Il s'était déjà rencontré dans les ruines de certaines villes antiques des installations de cette nature, mais jamais d'aussi bien amé¬ nagées, d'aussi voisines de nos mœurs, pour ainsi dire. Une seule fois, à Pouzzoles, on avait trouvé un ensemble semblable ; mais on avait pris la 72 TIMGAD salle pour un établissement thermal et les trous percés dans les sièges pour les orifices d'échappement de la vapeur! Les fouilles de Timgad ont fait justice d'une telle illusion. Depuis que le forum de Timgad a été déblayé, ce qui remonte déjà à une vingtaine d'années, on a fait des recherches soit en Algérie, soit en Tunisie, dans d'autres ensembles analogues. La place publique la plus voisine de celle de Timgad a été découverte à Khamissa, ruines malheu¬ reusement assez éloignées de tout centre habité de quelque importance et d'un abord difficile. Elle est située, pareillement, en contre-haut d'une grande rue bordée de boutiques par où l'on y accédait. Pour l'éta¬ blir on avait été obligé de tailler une colline rocheuse contre laquelle s'appuient un certain nombre de monuments. En y entrant on avait devant soi, à gauche une grande basilique à trois nefs, à droite la curie et un temple, dans le fond, une suite de pièces précédées d'un portique. Il a déjà été question de la tribune aux harangues qui y existait. On y a découvert un second monument intéressant, ne serait-ce que par sa rareté : une table de mesures étalons, tout à fait semblable au modèle exposé sur le forum dePompéi (p. 65). Qu'on se figure deux grandes pierres reposant sur des supports, dont l'épaisseur était percée de cavités, les unes circulaires, les autres quadrangulaires ; les plus grandes, terminées par un trou pratiqué dans la partie inférieure de la pierre et communi¬ quant avec l'extérieur. Des vases en cuivre ou en plomb étaient autrefois engagés dans ces cavités pour en régulariser la contenance, conformément au type officiel. Dans les unes se mesuraient les liquides, dans les autres, les solides, les grains. Ces tables sont encore à leur place antique, près de la curie, à côté d'un banc recouvert d'un placage de marbre. Il n'est pas douteux qu'il y eut des monuments semblables dans la plupart des forums ; il fallait bien que l'on pût venir, dans les cas douteux, se repor¬ ter à des étalons, mis à la portée de tous ; mais la plupart d'entre eux ont disparu. Les mesures en métal ont été volées ou fondues, les pierres ont été brisées ou employées dans des constructions ultérieures. Une table de mesures a été trouvée à Timgad, engagée dans un mur de basse époque auprès de la porte du nord. Il est à croire qu'elle provient, elle aussi, de là place publique. La visite d'un autre forum récemment fouillé (p. 74),celui de Bou-Ghara (Gîghti), est encore moins aisé- Pour y parvenir il faut descendre tout au sud, sur la côte, bien au delà de Gabès, en face l'île de Djerba. Plus accessible, il attirerait certainement les curieux; car il constitue un bel LE FORUM 73 ensemble, qui n'est pas sans analogie, avec celui de Pompéi. A une extré¬ mité, un grand temple, précédé de deux escaliers encadrant une plate¬ forme, sans doute la tribune; à l'autre, une basilique et un édifice enfermé dans une cour à colonnades, probablement la curie; à droite et à gauche, des temples, un panthéon, et une série de constructions qu'on ne peut iden¬ tifier; le tout ouvrait sur une large colonnade corinthienne, peuplée de bases honorifiques et de statues. L'esplanade, qui avait été aménagée pour Photo du Service des Antiquités de la Tunisie. Dougga;— Coin est du Forum. le recevoir, couronne une hauteur qui domine la mer. Il n'a pas la grande régularité, la belle simplicité de plan du forum de Timgad. On voit néan¬ moins que son tracé est voulu, qu'il est le produit d'une conception archi¬ tecturale bien arrêtée et non le résultat fortuit d'agrandissements succes¬ sifs. On ne saurait en dire autant d'un autre forum très curieux à d'autres égards, mais dont l'étroitesse contraste singulièrement avec l'élégance des monuments qui le bordent. Je veux parler de celui de Dougga, en Tuni¬ sie, l'ancienne Thugga dont j'ai déjà eu l'occasion de prononcer le nom à propos d'un mausolée punico-berbère et de deux temples de tradition punique. Ainsi que je l'ai dit, Thugga fut d'abord un gros bourg cartha- 74 TIMGAD ginois établi au milieu de campagnes cultivées par des Berbères ; puis, avec tout le pays elle se peupla de Romains ; au II0 siècle, la cité était très florissante, et sa richesse se traduisit par des constructions publiques nombreuses. Mais le terrain étant déjà occupé par des bâtisses de toute nature, l'espace manquait ; pour créer une place publique digne de la ville, il fallut se contenter d'agrandir ce qui existait déjà en accommodant du mieux que l'on put le présent avec le passé. De là l'étroitesse du forum et sa disposition assez embarrassée. Une des particularités les Photo du Service des Antiquités de la Tunisie. Forum de Gîghti. plus singulières est sa division en deux parties distinctes, situées à des niveaux différents. A l'Est existe un premier ensemble : d'abord un beau temple consacré à la triade capitoline, sur lequel j'aurai à revenir plus bas ; en face, de l'autre côté de la place, une grande plate-forme pavée d'une mosaïque blanche commune où s'élève un banc demi-circulaire, autre¬ fois, sans doute, élégamment ornementé d'un couronnement supporté par des colonnes. La place, à cet endroit, n'a pas plus de 30 mètres de large; elle s'étend à l'Est d'une quarantaine de mètres et se termine de ce côté par un escalier de quatre marches, demi-circulaire, que surmontait un édifice aujourd'hui presque détruit; au delà commence une rue en pente, bordée de chapelles, de magasins et de maisons; elle permettait de sortir LE FORUM 75 du forum et de gagner les parties élevées de la ville. La face septentrio¬ nale de la place publique était bordée par un temple, fait de trois cha¬ pelles juxtaposées, deux petites et, au centre, une plus grande, que nous savons avoir été consacrées à Mercure et avoir coûté 70.000 sesterces (17.500 francs) ; la face méridionale par un grand édifice, peut-être un marché. On n'a pas été peu surpris, en déblayant cette partie de la place, de trouver gravé sur le dallage un immense cercle de 8 mètres de dia¬ mètre, divisé en quatre segments par des rayons perpendiculaires dirigés vers les quatre points cardinaux. Le cercle est partagé lui-même en vingt- quatre parties par des traits qui marquent les limites et le centre de chacune des zones des vents; on y lit successivement les noms de : Septentrio, Aquilo, Euroaquilo, Vulturnus, Eurus, Leuconotus, Auster, Libonotus, Africus, Favonius, Argestes, Circius. Septentrio indique le vent du nord; Vulturnus, le vent d'est; Auster, le vent du midi et Favonius, le vent d'ouest. C'est une rose des vents. Vitruve recommande à tous ceux qui veulent construire des villes, de dresser une figure semblable afin de pouvoir orienter les rues de façon à ce que les vents dominants de la région ne s'y'engouffrent pas; il y aurait donc là une sorte de tradition. Il 11'est pas plus étonnant de la trouver appli¬ quée sur le forum à Dougga, que de rencontrer, ailleurs, des cadrans solaires. Il en est ainsi, par exemple, à Timgad : sur le pavé de la place publique, près de la basilique, on remarque une grande figure faite de lignes droites, assez mutilée d'ailleurs, qui pourraient bien avoir servi à cet usage. De cette première moitié du forum on pénétrait dans la seconde, en passant entre le temple et l'exèdre dont il a été question plus haut, par un escalier d'une dizaine de marches. A l'époque byzantine ce coin a été profondément remanié et couvert de bâtiments étrangers à la conception première. Dans les fouilles .qui se poursuivent en ce moment, on essaie de reconstituer le plan primitif; on a déjà mis au jour des bases de grandes statues qui s'appuyaient contre le soubassement du temple, et retrouvé la mention, sinon la trace, de la tribune aux harangues. de M. le Dr Rouquette. Si toutes les cités provinciales cherchaient à se créer un forum à l'image du forum romain, orné de la même série d'édifices, peuplé comme lui, de statues d'empereurs ou de grands personnages, elles tenaient aussi à posséder, comme la capitale, un temple élevé en l'honneur de la grande triade capitoline, Jupiter, Junon et Minerve. Adorer ces trois divi¬ nités nationales dans un même sanctuaire était la marque caractéristique à laquelle se reconnaissait un véritable romain ; et les habitants de Timgad n'auraient eu garde d'y manquer. Ils avaient donc élevé, tou¬ jours suivant la coutume, sur une colline qui domine la ville, à l'angle sud-ouest de la muraille primitive, un temple de grande dimension, imita¬ tion plus ou moins fidèle de celui du Capitole. Nous savons que celui-ci était entouré d'une vaste enceinte, à laquelle s'appuyaient, sans doute, Timgad. —Le Capitole. CHAPITRE III LE CAPITOLE, LES TEMPLES LE CAPITOLE, LES TEMPLES 77 des portiques; elle était remplie de statues, d'autels et de chapelles con¬ sacrés à toutes les divinités latines et étrangères auxquelles le panthéon si accueillant des Romains donnait l'hospitalité. Au centre se dressait le temple : il offrait cette particularité que la cella était divisée en trois parties, ou, si l'on veut, qu'il possédait trois cella, trois chambres juxta¬ posées, une pour chacune des divinités qui y avaient leur demeure terrestre. Celle du milieu était réservée à la statue de Jupiter, celle de droite, par rapport au spectateur, contenait la statue de Junon, et celle de gauche la statue de Minerve. L'image de Jupiter était d'une taille plus grande et placée sur un piédestal plus élevé; le dieu était figuré assis, Photo de M. le Dr Kouquctte. Timgad. — Le Capitole. 78 TIMGAD appuyé de la main gauche sur une lance ; les deux déesses étaient, au contraire, debout, avec les attributs qui les caractérisent communément dans la statuaire gréco-romaine. De même, à Timgad, on avait construit une enceinte de 90 mètres de longueur, sur 65 mètres de largeur moyenne, qui couvrait, par consé¬ quent, 6.000 mètres carrés; contre le mur du fond était appuyé le sanc¬ tuaire : celui du devant était précédé d'un portique élevé au-dessus de la rue voisine. Ce portique, tel qu'il existe aujourd'hui, avec la série des colonnes remises en place, pour la plupart, par le Service des Monuments historiques d'Algérie, date d'une époque assez basse ; on a retrouvé au pied l'inscription qui le couronnait : « Pour la magnificence du règne de nos maîtres Valentinien et Valens, toujours Augustes ; les quatre portiques du Capitole étaient ruinés par la suite des temps et s'étaient écroulés jusqu aux der¬ nières fondations-, ils ont été refaits à neuf et dédiés par Publilius Ceionius Caecina Julianus, homme d'ordre sénatorial, gouverneur de la province, par les soins d'Aelius Julianus, curateur de la cité pour la deuxième fois, de Flavius Aquilinus, flamine perpétuel, d'Antonius Petronianus, flamine perpétuel et d'Antonius Januarius, flamine perpétuel. » Les trois autres portiques sont fort mal conservés ; celui du fond est encore reconnaissable ; les deux autres, à droite et à gauche de la cour, ont disparu; ils avaient, d'ailleurs, été plus ou moins transformés posté¬ rieurement à la construction primitive de l'édifice. Le dallage même de la cour a été refait à une basse époque avec des pierres prises de toutes parts; on y trouve des fragments d'architraves et de frises, ornés de grandes lettres et même des morceaux de balustrade sculptée, aujour¬ d'hui transportés au Musée; elles bordaient jadis deux plates-formes acco¬ lées aux deux côtés du temple et élevées d'un demi-mètre au-dessus du sol de la place. Le temple était tourné vers l'Est; en avant se voit encore le soubas¬ sement d'un immense autel, construit en petits matériaux, recouverts certainement autrefois de plaques de pierre. Un escalier d'une trentaine de marches, coupé au milieu par un perron, menait aux colonnades qui entouraient l'édifice. Ainsi qu'il convenait, le sanctuaire était divisé inté¬ rieurement, du moins à la partie postérieure, en trois parties, en trois grandes niches, pour les statues des trois divinités. Tout le monument est conçu dans de grandes proportions ; il ne mesure pas moins de 50 mètres de long, en comptant les marches de l'escalier, sur 20 mètres de large. Les LE CAPITOLE, LES TEMPLES 79 colonnes, hautes de 12 mètres, mesuraient im,5o de diamètre; on en a remonté deux à leur place antique; la masse des autres gît au pied de l'édifice. La statue de Jupiter n'était pas inférieure à 7 mètres, autant qu'on peut en juger par les quelques menus fragments qui en ont été retrouvés. D'autres statues de dimensions moindres, quoique colossales encore, ont été trouvées fragmentées au cours des fouilles ; on ne sait trop Photo du Service'des Monuments historiques de l'Algérie. Timgad. — Les grands chapiteaux du Capitole. des matériaux employés ne nuisait pas, d'ailleurs, à l'élégance. On a recueilli dans les décombres plusieurs charrettes de placages de marbre dont les murs étaient revêtus ; il y en a de toute nuance, depuis la brèche verte, aux reflets métalliques, jusqu'au marbre blanc d'une transparence laiteuse. Mais tout cela est aujourd'hui presque en miettes. Il semble bien que le Capitole ait été d'abord incendié, ainsi que le prouvent les morceaux de bois calcinés qu'on a recueillis dans le sous-sol ; puis les pierres furent employées pour la construction de la forteresse byzantine et les marbres réduits en chaux. Ainsi disparurent les statues du sanc¬ tuaire, moins quelques parcelles, celles du péribole, les autels, les colonnes des portiques et leurs chapiteaux, et une grande partie de l'orne- TIMGAD mentation du temple. En présence des restes du Capitole de Timgad, comme en présence de bien d'autres monuments africains, on se demande ce qu'il faut tenir pour plus étonnant, la puissance de ceux qui ont établi de pareils édifices ou l'acharnement de ceux qui les ont fait disparaître. Le Capitole de Timgad est un monument remarquable par ses dimen¬ sions, par sa majesté; véritable œuvre romaine par la masse de l'édifice et la grandeur des détails d'architecture, comme aussi par la richesse un peu lourde de l'ornementation. Les ruines mêmes produisent cette impres¬ sion. En présence de ces fûts de colonnes écroulés, faits de huit morceaux, dont la hauteur atteignait près de 12 mètres, de ces énormes chapiteaux corinthiens, composés de deux assises superposées, avec leurs tailloirs ornés de canaux et de feuilles, on est surpris de l'effort et confondu du résultat; mais il n'y a pas de place pour le charme. C'est, au contraire, par l'élégance que se distingue un autre Capitole africain, celui de Dougga. Il est vrai que sa conservation relativement bonne et sa situation, si heureusement choisie, sont pour beaucoup dans le plaisir que l'on éprouve à le contempler : il est, en Afrique, peu d'ensembles plus harmonieux que le village de Dougga, avec les maisons blanchâtres étagées en gradins sur les flancs d'une colline abrupte, avec les restes du temple qui la couronne et dont la fine silhouette se découpe en jaune clair sur le bleu profond du ciel. Ce qui a disparu ailleurs dans les édifices semblables est précisément ce qui a résisté ici. La cella n'existe presque plus ; elle était bâtie en petits matériaux qui se sont désagrégés peu à peu et qui ont disparu ; il n'en restait naguère que les montants et le linteau de la porte à crossettes qui y donnait accès ; elle mesurait 7 mètres de hauteur sur 6 mètres de largeur ; et ce n'était pas une des moindres curiosités de Dougga que de voir cette porte ainsi plantée dans le sol et s'élevant dans le vide, alors que le mur dont elle faisait partie s'était écroulé. Depuis quelques années, afin d'empêcher l'écroulement de l'édifice, on a refait en partie, avec des matériaux trou¬ vés à pied d'oeuvre, un pan de la muraille antérieure de la cella. Le pitto¬ resque y a peut-être un peu perdu ; mais l'archéologie y gagnera. La partie antérieure, au contraire, était demeurée intacte : belles colonnes cannelées corinthiennes supportant l'entablement et fronton orné d'un aigle, aux ailes étendues qui enlève au ciel une figure virile à demi nue, représentation habituelle des consécrations d'empereurs divinisés. Au- dessous, on lit une inscription qui donne la date du monument et les noms de ceux qui ont fait les frais de la construction : LE CAPITOLE, LES TEMPLES 81 « A Jupiter très bon, très grand, à Junon Reine, à Minerve Auguste, pour le salut des empereurs Marc Aurèle Antonin Auguste et Lucius Vèrus Auguste, vainqueurs de VArménie, de la Médie, de la Parthie, Lucius Marcius Simplex et Lucius Marcius Simplex Regillianus ont fait ce temple de leur argent. » La muraille de la cella était jadis revêtue d'un enduit dont quelques rares parties se sont conservées ; on y avait même modelé sur les faces latérales des cannelures destinées à figurer des pilastres ; c'est le seul exemple connu pour l'Afrique de l'emploi de stucs dans la décoration extérieure d'un édifice romain. Le fond où l'on a voulu quelquefois, à tort, voir une restauration de l'époque chrétienne, est décoré de trois niches : celle du milieu, demi-circulaire, pour la statue de Jupiter, les deux autres, rectangulaires, pour ses deux compagnes. A l'époque byzan¬ tine le temple fut enveloppé à la partie postérieure, à droite et en avant d'une muraille puissante ; il constitua le réduit de la citadelle qui défen¬ dait la ville. C'est ce qui advint aussi à un autre Capitole, plus monumental encore 6 Photo du Service des Antiquités de la Tunisie. Le Capitole. Dougga. — 82 T IMGAD que les précédents, celui de la ville antique de Sufetula (aujourd'hui Sbéitla), au centre de la Tunisie. Jadis il était extrêmement difficile de se rendre aux grandes ruines dont il constitue le morceau le plus impor¬ tant ; mais depuis peu, un chemin de fer permet d'y accéder et il n'est pas plus malaisé maintenant d'aller voir Sbéitla que Kairouan ou Biskra. Le coup d'œil en est des plus curieux. Qu'on se figure une vaste enceinte de 80 mètres sur go mètres de côté, entourée de portiques et percée, au Photo de M. le lieutenant Rouget. Sbéitla. — Le Capitole (face postérieure). centre de la face antérieure, d'un bel arc à trois baies (p. 57), sur les faces latérales, de petites entrées. Au fond de la cour s'élèvent trois temples juxtaposés, entre chacun desquels règne un couloir aboutissant à une sortie. Le temple du milieu est plus élevé que les deux autres et plus ornementé ; tous trois étaient précédés de quatre colonnes sur¬ montées d'un fronton triangulaire. L'ensemble est imposant et reste harmonieux, grâce à l'idée ingénieuse du constructeur de répartir la triade divine en trois sanctuaires distincts. Il a pu, de la sorte, sans briser la trinité, assurer aux dieux qui la composaient une demeure plus somptueuse ; il y a là une décomposition du plan ordinaire des LE CAPITOLE, LES TEMPLES 83 Capitoles romains, qui augmente l'ampleur de la construction sans engendrer la lourdeur. Le Capitole de Timgad est le plus important des temples que l'on y a ren¬ contrés ; il en existe pourtant certains autres. Le mieux conservé était dédié, semble-t-il, au Génie protecteur de la cité. Les dispositions générales sont très semblables à celles qui ont été notées pour le Capitole lui-même : une Timgad. —■ Le temple du Génie de la cité. cour antérieure, cette fois assez étroite, qui domine la grande voie décu- mane au point où elle va atteindre l'arc de Trajan ; tout autour de la cour, des portiques ; au centre, l'autel pour les sacrifices; dans le fond, la chapelle avec son escalier antérieur, aujourd'hui détruit. On y a découvert plusieurs socles de statues, tous de même taille, où se lisent les noms de Jupiter, de Junon, de Minerve, de Bacchus, de Silvain, de Mars. Toutes ces divinités y étaient associées au Génie de Timgad comme protectrices de la cité. On sait combien était répandu dans le monde romain le culte des Génies ; il n'y avait pas de réunion d'hommes, d'agglomération politique, d'as¬ sociation professionnelle, de communauté quelconque qui ne fût placée sous la protection d'un Génie spécial ; les villes avaient le leur, depuis 84 TIMGAD la ville de Rome à qui un bouclier spécial était consacré au Capitole avec la formule prudente : « Que cette divinité soit mâle ou féminine », jusqu'aux plus humbles bourgs. On ne s'étonnera donc pas de trouver en Afrique des sanctuaires élevés au Génie de la cité, non seulement à Timgad, mais ailleurs encore, par exemple à Tigzirt, en Kabj'lie (p. 87). Il serait fastidieux de parler, à l'occasion des temples de Timgad, de tous ceux que les ruines d'Afrique nous ont conservés ; leur nombre est incalculable, chaque cité tenant à honneur d'en posséder plusieurs, et leurs dispositions ne variant guère. Deux d'entre eux méritent pourtant encore une mention, l'un parce qu'il est presque intact, l'autre à cause de son originalité. Le premier est le temple, dit de Minerve, à Tébessa ; il sert aujour¬ d'hui de musée après avoir été transformé successivement, depuis la con¬ quête française, en fabrique de savon, bureau du génie, tribunal musul¬ man, cantine, cercle militaire et église. On y montait par un escalier Tébessa. — Temple « de Minerve ». Photo Neurdein. LE CAPITOLE, LES TEMPLES 85 d'une vingtaine de marches ; le portique antérieur compte quatre colonnes de façade, comme plusieurs des sanctuaires décrits plus haut, sur deux de profondeur et la cella est flanquée de quatre pilastres. La partie supé¬ rieure est lourdement ornementée. L'architrave qui surmonte les colonnes et les pilastres est divisée en .panneaux carrés, décorés de bucranes et d'aigles aux ailes ouvertes, tenant dans leurs serres des serpents ; au- dessus, un attique, non moins charg-é, présente alternativement des tro¬ phées, des victoires, des images divines, des cornes d'abondance croisées, des guirlandes, des rosaces, des masques, d'autres motifs encore; tout cela intéressant par la recherche et le travail, mais d'une richesse outrée et presque déplaisante. Pourtant ce qui choque encore davantage, c'est l'absence de tout fronton. Il ne semble pas qu'il ait jamais pu en exister; peut-être l'édifice était-il couvert par un toit à quatre pentes. On l'a appelé « Temple de Minerve » parce que l'on a pris pour des chouettes les aigles de l'entablement. On ignore à quelle divinité il était dédié. Lambèse. — Temple d'Esculape. 86 TIMGAD L'autre, s'il était mieux conservé, serait une des curiosités archéolo¬ giques de l'Algérie. Il appartient aux ruines de Lambèse. Il était con¬ sacré aux dieux guérisseurs, Esculape et sa fille Hygie. On y reconnaît deux parties distinctes : le temple proprement dit et ses annexes. Pour le premier, il n'est point aisé de se rendre compte aujourd'hui de sa disposition antique ; heureusement, il était en bien meilleur état au moment où les premiers voyageurs le visitèrent ; ils nous en ont même laissé des dessins qui en donnent une idée très nette. Actuellement l'on se trouve en présence d'une cour pavée disposée en hémicycle et terminée par un ensemble, très ruiné. On distingue encore cependant, au fond, le sanctuaire proprement dit avec l'escalier qui y donne accès, ainsi que les restes des deux colonnades circulaires d'ordre dorique, ce qui est digne de remarque, qui le reliaient à droite et à gauche à deux autres chapelles. Les inscriptions qui régnaient sur le temple et sur les chapelles gisent au pied, en avant des escaliers. Celle du centre porte les noms d'Esculape et de Salus (Hygie), celle de gauche le nom de Jupiter Valens, et celle de droite la mention de Silvain. On y lit aussi que les empereurs Marc-Aurèle et Lucius Vérus ont fait construire ces temples par la légion IIIe Auguste. Le temple du milieu était dallé de marbre rouge. Tout cela était à peu près à sa place en 1846. En 1847, on commença les fouilles dans le bâtiment central. On y découvrit tout d'abord une mosaïque ; puis on trouva presque intactes les deux statues des divinités adorées dans le sanctuaire ; elles sont conservées au musée de Lambèse. Ces fouilles avaient sans doute ébranlé la solidité des colonnes; un tremblement de terre fit le reste. Le 2 décembre 1852 l'édifice s'écroula. Depuis lors il est dans l'état où on peut le voir de nos jours. Derrière le temple et aux alentours on a mis au jour des fourneaux, des hypocaustes, des piscines, des pièces de dimensions diverses. On ne venait donc point seulement demander la santé par des prières et des sacrifices ; on ne se contentait point de paroles ; les malades les accom¬ pagnaient de cures véritables ; le temple avait pour annexe un établisse¬ ment thermal, où la puissance des dieux guérisseurs se manifestait direc¬ tement. En avant, une longue avenue est bordée de chapelles secondaires, qui furent ajoutées successivement. La forme de toutes ces chapelles est la même : une petite salle carrée décorée d'une niche dans le fond. L'or¬ nementation est aussi analogue ; le pavé était formé de mosaïques et les murs recouverts de plaques de marbre. L'une d'elles paraît avoir étécon- LE CAPITOLE, LES TEMPLES 8; sacrée à Diane, l'autre à un dieu dalmate, du nom de Medaurus, pour lequel un des généraux en chef de la légion professait un culte particulier. Dans la deuxième en partant du temple d'Esculape, le pavement de mosaïque représentait un semis de fleurs avec cette belle inscription : BONYS INTRA MELIOR EXI * ■ ' '.S Entre ici ion, sors-en meilleur. On sait exactement à quelle époque cet ensemble fut construit. Le temple principal date de 162 de notre ère. Les chapelles latérales furent bâties l'une après l'autre sous le règne des empereurs Marc-Aurèle, Com¬ mode et Septime-Sévère. On croit que le tout était terminé en 211 après Jésus-Christ. Temple du Génie de la ville à Tigzirt. Piioto iNeurdein. Timgad. — Théâtre. CHAPITRE IV LE THÉÂTRE,LES THERMES « Rire et se baigner, voilà la vie! » avait écrit un joueur sur le dal¬ lage du forum. Ses compatriotes partageaient son avis, et pour leur fournir le moyen de mettre leur maxime en pratique, on leur avait donné un théâtre et des thermes. Le théâtre avoisine le forum ; on n'avait que trois marches à monter et une rue à traverser pour se rendre de l'un à l'autre, pour passer brusquement du tumulte des affaires à la joie des représen¬ tations scéniques. L'édifice était taillé au flanc d'une colline, ainsi qu'il arrive souvent dans l'antiquité ; l'architecte, profitant d'une petite émi- nence, y pratiquait une cavité demi-circulaire dont il soutenait les pentes par quelques fondations, puis il y installait des gradins en marbre ou en pierre, et les spectateurs n'avaient plus qu'à venir s'y asseoir. Toute la LE THÉÂTRE, LES THERMES 8g construction supérieure de l'édifice a disparu aujourd'hui; on la retrouve, en grande partie, utilisée pierre par pierre dans les murailles de la forte¬ resse byzantine. C'est là, d'ailleurs, que le Service des Monuments histo¬ riques a été chercher les gradins qu'il a remis en place depuis quelques années. N'est-il pas piquant de voir ainsi les Français réparer les actes de vandalisme de leurs devanciers? Néanmoins on n'arrivera jamais à redonner à l'ensemble son apparence antique : les ravages ont été trop considérables. La partie basse de la salle, au contraire, avec la balustrade de pierre qui séparait le public des quelques privilégiés assis dans l'orchestre, est assez bien conservée; il ne manque que le battant de la porte qui en mar¬ quait le milieu. Le mur antérieur de la scène est en place; on en voit nettement les niches rectangulaires ou circulaires, ornées des colonnettes légères qui les encadraient. La surface où évoluaient les acteurs, qu'on avait ailleurs revêtue de pierre ou de mosaïque, était de bois à Timgad. Ce plancher a, bien entendu, disparu tout entier; mais les cubes de maçonnerie où il s'appuyait ont résisté au temps. Le fond de la scène n'existe pas davantage; c'est, on le sait, la partie des théâtres anciens qui souffre le plus d'habitude, et la raison est facile à comprendre. La façon d'immense entonnoir que formaient les édifices de cette sorte, une fois la ville prise par des assaillants, incendiée et aban¬ donnée par les habitants, se remplissait rapidement de décombres, puis de terre et de végétation, qui comblaient peu à peu le vide. Ces matériaux accumulés faisaient naturellement poussée sur les parois de cette cavité où ils s'entassaient; mais si leur effort était vain contre la ligne circulaire des gradins, reposant sur le sol de la colline, ou soutenue par de puis¬ santes murailles, quand le théâtre s'élevait en plaine, il s'exerçait au con¬ traire, avec succès, contre la muraille droite et dressée dans le vide qui fermait l'ensemble derrière la scène; celle-ci s'écroulait donc vers l'exté¬ rieur avec d'autant plus de rapidité que le théâtre était plus grand, l'accu¬ mulation des matériaux et des terres étant, par suite, plus considérable et sa masse plus puissante. La règle générale a trouvé, à Timgad comme ailleurs, son application. Il ne reste pas une pierre du mur de la scène, indiqué aujourd'hui seulement par la levée de terre où il s'appuyait. Chose curieuse, la colonnade qui longeait extérieurement ce mur écroulé et détruit a subsisté, non point dans l'état exact où on le voit aujourd'hui, car le Service des Monuments historiques a redressé quelques fûts et replacé quelques bases, mais assez distincte pour qu'on ait pu tenter ces réparations avec certitude. go TIMGAD Il en est ainsi, du reste, de toute la construction. Le plan des fonda¬ tions est parfaitement visible. On lit sur le terrain la place des couloirs qui donnaient accès dans l'orchestre et sur la scène; on comprend fort bien comment on passait de l'un à l'autre, comment le public pouvait pénétrer dans les différentes places ou en sortir pendant les entr'actes pour s'écouler dans une grande cour voisine des murs de la scène, comme dans un foyer. On disting-ue même encore les trous où s'enfonçaient les poutres destinées à la manœuvre du rideau. Les fouilles n'ont malheureusement rendu que peu de morceaux de l'ornementation : quelques chapiteaux, des fragments de corniches, une statue de dame romaine d'un type assez banal, un morceau d'architrave, des débris de balustrades ornementées, et deux grandes inscriptions, l'une brisée en mille pièces, l'autre parfaitement conservée, qui nous permet¬ tent d'attribuer au règne de Marc-Aurèlel'aménagement de l'édifice. Les Byzantins ont détruit ou utilisé tout le reste. Les calculs les plus modérés fixent à 3.500 le nombre des spectateurs qui, aux jours de représentation, pouvaient trouver place dans le théâtre. Il paraît certain que la population locale ne suffisait point à fournir tant d'amateurs; en pareille occasion, le public accourait de tous les villages environnants, de Lambèse, des bourgades, peuplées de vétérans, qui s'étaient formées aux alentours, des fermes situées sur la route de Khen- chela ou dans la montagne, des établissements agricoles échelonnés sur celle de Constantine. Ces fêtes de la vue coïncidaient sans doute avec des marchés, peut-être avecdes cérémonies religieuses. Alors les chariots, roulaient de grand matin sur le dallage des rues; les boutiques et le, marché regorgeaient de monde, l'autel du Capitole se couvrait d'offrandes et le forum retentissait de joyeux propos. Puis, à l'heure de la représen¬ tation, toute cette foule aux mille couleurs envahissait le théâtre, depuis l'orchestre jusqu'aux derniers gradins, depuis les places réservées aux personnages de marque jusqu'aux galeries supérieures, où les plus hum¬ bles venaient s'entasser. L'aspect de Timgad devait être, en pareil cas, bien voisin de celui qu'offrent aujourd'hui les villes espagnoles ou même certaines de nos villes du Midi les jours de courses de taureaux. Mais il est un autre théâtre, en Afrique, qui donne mieux encore l'idée de ce qu'étaient autrefois ces sortes d'édifices, c'est celui de la ville de Dougga, à laquelle il faut revenir encore une fois. Il a été fouillé, il y a quelques années, par M. le Dr Carton. La conservation de la salle est parfaite. Les vingt-cinq rangs de gradins qui y étaient superposés sont LE ÏHÉATRIv, LES THERMES 91 presque tous intacts ; on dirait, tant leurs arêtes sont vives, tant les coups de ciseaux des tailleurs de pierre sont nettement visibles, que le monu¬ ment vient d'être achevé. Des escaliers qui divisaient en hauteur les différentes parties de l'édifice, pas une marche ne manque ni n'a été déplacée. La partie supérieure était, comme ailleurs, couronnée d'un portique qui faisait le tour de la salle; c'est là que s'entassait le peuple; on nomme Cela chez nous « le poulailler ». Il s'est écroulé en partie, non sans laisser des traces très nettes encore du mur où il venait s'appuyer et de la porte qui donnait accès dans l'enceinte. L'orchestre, pavé de grandes dalles, était, ainsi que la salle, orné de statues dont les piédes¬ taux sont restés en place : images des empereurs et des bienfaiteurs de la cité. Le mur antérieur de la scène n'est pas moins bien conservé; il a gardé toute son ornementation élégante, mais plus simple qu'à Timgad, sa plinthe et sa corniche moulurées, ses niches rectangulaires, alter¬ nant avec des niches circulaires ; il ne manque que l'autel qui occupait peut-être celle du milieu. Le plancher de la scène était remplacé à Dougga. — Pliolo du Service des Antiquités de la Tunisie. Théâtre. g2 TIMGAD Dougga par un sol de mosaïque continue, assez commune. On n'y a pas trouvé la trace de trous et de rainures pour le jeu du rideau. Sans doute se contentait-on de ces sortes de paravents ou de tentures, appelées siparia, qui se repliaient de chaque côté de la scène au début des diffé¬ rents actes; mais on voit très nettement l'ouverture des trappes par où pouvaient paraître et disparaître les ombres et les fantômes. La partie postérieure de la scène n'a pas, comme à Timgad, entière¬ ment disparu. Elle se présente sous l'apparence d'un grand mur recti- ligne, coupé par trois enfoncements, deux quadrangulaires et un, celui du milieu, disposé en demi-cercle. Chacun d'eux est percé d'une porte qui s'ouvre sur les coulisses. On sait que toute scène antique possédait, au lieu de toiles de fond, pouvant être changées suivant la donnée de la pièce, une muraille avec trois portes : la porte royale, au centre, par où entraient les grands personnages venant du palais, et deux portes laté¬ rales, supposées communiquer avec la campagne ou les rues de la ville, réservées par suite aux étrangers. Ici, en avant de ce grand mur, court une petite plate-forme, qui en épouse les sinuosités et où reposaient trente- deux colonnes, faisant une sorte d'avant-corps ornemental. De l'autre côté, c'est-à-dire sur le devant du théâtre, il y avait, comme en bien d'au¬ tres endroits, comme à Timgad, une colonnade où les spectateurs venaient se promener pendant les entr'actes. De là le regard s'étendait au loin sur la plaine de l'Oued-Khalled, aujourd'hui verdoyante sous les. bouquets d'olivier, les blés et les pâturages qui la couvrent, couverte autrefois de villas, de fermes, de bourgades et encadrée à l'horizon par une ligne de hautes montagnes aux sommets estompés par la brume ou dorées par le soleil, suivant l'heure du jour ou la saison. Une inscription surmontait la colonnade, ainsi conçue : « Publius Marcius Quadratus, fils de Quintus, de la tribu Arnensis, flamine du Dieu Auguste, pontife de la colonie de Car¬ tilage, appelé par Vempereur Antonin Auguste à siéger dans les cinq décuries de jurés a, en l'honneur de son flaniinat perpétuel, cons¬ truit pour sa patrie un théâtre avec basiliques, portique, prome¬ noir, scène, rideau, ornements de toute sorte; le jour de l'inaugu¬ ration il a donné une représentation et des jeux gymniques, fait une distribution et offert un repas au peuple. » Là encore, il y avait place pour 3.000 ou 3.500 spectateurs. L'Algérie et la Tunisie possèdent bien d'autres théâtres, plus ou moins ruinés; celui de Djemila par exemple, dont le mur de la scène, très sem- LE THÉÂTRE, LES THERMES q3 blablepar ses dispositions générales à celui de Dougga, s'élève encore à une hauteur de 6 mètres, ou celui de Khamissa, où il mesure près de 7 mètres. Quant à celui de Guelma, ce n'était, il y a quelques années, qu'une car¬ rière de pierres pour les maçons de la ville et un dépôt d'immondices pour les indigènes; actuellement, grâce à l'intelligente initiative prise par un adjoint au maire, M. Joly, il a été reconstruit presque entière¬ ment sur le plan antique et avec des matériaux anciens; si bien que l'on Khamissa. -— Théâtre. a pu y donner en 1908, dans un milieu tout à fait approprié, des repré¬ sentations de tragédies grecques pour le plus grand profit de l'archéo¬ logie, de l'art et des habitants du pays. Ce n'étaient pourtant pas, sans doute, des tragédies qu'on y représen¬ tait autrefois; ne nous faisons pas d'illusion sur la noblesse des spectacles offerts à la curiosité du public romain. A l'époque impériale et particu¬ lièrement dans les provinces, la tragédie avait été remplacée par la pan¬ tomime. Un seul acteur occupait la scène, assisté de chanteurs et de musiciens, qui traduisait par ses gestes les paroles que le chœur faisait entendre. Une petite pièce de Y Anthologie nous fait assister à ce genre 94 TIMGAD de spectacles : « Le pantomime, y lit-on, en arrivant sur la scène, salue le public et lui annonce qu'il va parler delà main. Aussitôt que le chœur commence, ce que les chanteurs expriment par la voix, il l'interprète du geste; il lutte, il joue, il aime, il s'emporte; il est calme, il s'agite; il donne aux sentiments plus de clarté et de relief, il revêt tout d'une beauté merveilleuse; il parle avec tout son corps. » Quant à la comédie, elle avait fait place au mime. « C'était, a écrit M. Boissier, avant tout une imitation ; il a commencé sur les places publiques où quelques saltimbanques amusaient les oisifs en contrefai¬ sant des tj^pes populaires. Les pièces qu'on fait pour lui sont simples et courtes : point d'intrigue compliquée, quelques scènes prises dans la vie réelle, qui donnent aux acteurs l'occasion de montrer leur talent burlesque. Comme dans les parades de nos foires, les soufflets, les coups de poing et les coups de pied y tiennent une grande place. On avait même créé un personnage exprès pour les recevoir; c'était le jocrisse de la troupe. Nous avons conservé le souvenir de plusieurs de ces pièces. Dans l'une on mettait un voleur aux prises avec la police : c'est un sujet toujours populaire. Le voleur, qui s'appelait Laureolus, jouait toutes sortes de bons tours à ceux qui le poursuivaient; mais, comme il fallait à Rome que le dernier mot restât à l'autorité, on finissait par le prendre et le crucifier. Un autre sujet de plaisanteries fort ordinaire chez les mimes, c'étaient les infortunes conjugales. Les auteurs mettaient volon¬ tiers sur la scène un amoureux aimable et bien vêtu, une femme rusée, qui fait croire ce qu'elle veut à un époux débonnaire. Dans une de ces pièces, qui paraît avoir eu beaucoup de succès, le mari étant survenu fort mal à propos, le galant était réduit à se cacher dans un coffre : c'est un sujet dont le théâtre moderne a souvent usé. » Qu'on se rappelle, en outre, de quelle vogue ont joui à l'époque romaine les faiseurs de tours et les acrobates, et l'on aura une idée des distractions que pouvait offrir un théâtre comme celui de Timgad, de Dougga ou de Guelma aux Africains demi-romanisés, citadins ou cam¬ pagnards, qui s'y pressaient. Les représentations théâtrales ne constituaient pourtant, dans la vie courante, que des exceptions ; le bain faisait partie de l'existence journalière, au même titre que les repas ou le sommeil. Les Romains se baignaient plusieurs fois par jour; au moins une, après la sieste, souvent aussi avant le déjeuner, parfois encore le soir, et cette cou¬ tume existait depuis l'époque de la deuxième guerre punique. Sous LE THÉÂTRE, LES THERMES 95 l'Empire, ce devint non seulement une mesure hygiénique, nécessaire, somme toute, dans les pays on la chaleur forte et durable amène des sueurs fréquentes et où la poussière est intense, mais une opération raf¬ finée, un fastueux plaisir où Ton se complaisait. Un bain normal et com¬ plet se composait de plusieurs phases successives. La première consistait en un séjour de quelque durée dans une atmosphère brûlante parce que, dit Galien, cela réchauffe également toutes les parties du corps, liquéfie les matières, efface les inégalités, raréfie la peau et fait évacuer Photo du Service des Monuments historiques de l'Algérie. Tinigad. — La grande salle des Thermes du Nord. une partie considérable de ce qui était auparavant retenu au-dessous d'elle. Puis on se plongeait dans une baignoire d'eau chaude; car ce second traitement « si le corps est sec au moment de prendre le bain peut répandre dans les parties solides de l'organisme une humidité favorable ». On se trempait ensuite dans une piscine d'eau froide, ce qui était destiné « à rafraîchir le corps, à resserrer la peau et à affermir les forces ». Enfin on se faisait essuyer la sueur que provoquait le bain froid, par réaction, et enduire d'huile, afin « de produire une évacuation générale sans expo¬ ser le baigneur aux accidents amenés par le refroidissement ». De là la nécessité pour un établissement thermal de contenir une salle froide, munie de piscines, une salle chaude avec des baignoires, une étuve et g6 TIMGAD une pièce pour les onctions. Mais comme on pouvait craindre que la tran¬ sition du bain froid au bain chaud fût trop brusque, on avait imaginé une pièce intermédiaire, à température modérée, que l'on devait traver¬ ser pour préparer le corps au changement de milieu. Là devaient s'arrê¬ ter les clients dont la tête était faible « sans quitter leurs vêtements, jusqu'à ce qu'une légère transpiration s'établît, leur permettant de se sou¬ mettre ensuite impunément à une température élevée ». Il existait encore quelques autres pièces d'ordre secondaire : un ves¬ tiaire pour permettre aux baigneurs de déposer leurs vêtements en sûreté ; un emplacement spécial où ils pouvaient se livrer à la gymnas¬ tique, complément essentiel des ablutions, des onctions et des frictions; enfin, les bains étant pour les hommes une occasion journalière de se rencontrer, de causer, de discuter, des promenades couvertes ou en plein air, des salons de conversation, des lieux de réunion de toute nature. Naturellement, ces parties accessoires étaient plus ou moins importantes suivant la splendeur et l'étendue de l'édifice; dans les bains modestes elles faisaient totalement défaut et les thermes se réduisaient à trois ou quatre chambres. Les bains de Timgad nous oifrent des spécimens de toute sorte et de toute grandeur, depuis les thermes privés, comme ceux de la maison dite de Sertius, jusqu'aux thermes publics les mieux conditionnés. Ceux-ci sont, dans l'état actuel des fouilles, au nombre de treize, ce qui ne laisse pas que d'être assez surprenant; on peut se demander comment tant d'éta¬ blissements similaires s'étaient fondés pour un nombre relativement res¬ treint d'habitants. Le plus considérable s'élevait en avant de la porte du Nord; il l'em¬ porte sans contredit sur tous les autres pour la grandeur, la régularité du plan, le soin apporté à la construction et la richesse des matériaux employés; tous, cependant, chacun dans leur genre, offrent des particu¬ larités dignes de remarque. Ce n'est pas que leur plan soit différent; rien, dans leur construction, ne s'éloigne des usages adoptés ailleurs, mais ils précisent ce que nous savions déjà et complètent nos connaissances sur certains points. On y retrouve, naturellement, les deux étages qui, dans le monde romain, constituaient un établissement thermal, l'un au niveau du sol, l'autre dans le sous-sol, réservé aux fourneaux. Le rez-de- chaussée se divisait, ainsi que nous l'avons déjà indiqué, en plusieurs parties. Les étuves étaient, comme il est naturel, les pièces les plus rap¬ prochées des fourneaux ; l'air brûlant qui s'échappait du brasier circu¬ lait sous les pavements, entre les piliers de briques formant support et le LE THÉÂTRE, LES THERMES 97 long des murs, dans les tubes de poteries, disposés contre des parois. Par là s'échauffaient aussi et se maintenaient à une haute température les vasques et les baignoires pleines d'eau, mises à la disposition du public. Puis la chaleur, affaiblie, passait sous le plancher des chambres voisines où l'on, ne voulait entretenir qu'une douce tiédeur et s'y perdait. Telles sont exactement les dispositions notées à Timgad. Dans les grands ther¬ mes du Nord et dans les grands thermes du Sud, les chambres de chauffe sont presque intactes, avec les couloirs qui permettaient d'y accéder; des caves voisines, où l'on a retrouvé des résidus de charbon incrustés dans les murs, servaient de magasins pour les provisions de combustible. Des étuves, il reste, parfaitement aménagés, les supports des pavements et les amorces de poterie qui conduisaient l'air chaud le long des murs ; les pis¬ cines ont conservé une partie de leurs enduits et les niches de statues leur peinture. On voit encore les trous par où l'eau s'échappait des bas¬ sins et se déversait dans l'égout. Dans les angles des édifices, de vastes latrines rappellent, par leur disposition, celles du forum ; détail curieux et qui montre à quel point on poussait l'amour du luxe dans ces villes 7 Timgad. — Sous-sol des Thermes du Nord. Photo Neurdein. g8 TIMGAD africaines, ces latrines sont entièrement pavées de mosaïques élégantes. Les ruines des thermes sont, d'ordinaire, assez riches en œuvres d'art ; les sculptures surtout y abondent. Nous pouvions espérer qu'il en serait de même à Timgad. Si l'attente n'a point été entièrement trompée, il faut avouer que nous avons pourtant été quelque peu déçus : une grande vasque de pierre ornemen¬ tée, des statues de la déesse Hygie, des Vénus portant de¬ vant elles une co¬ quille, des torses de Mercure et d'Apol¬ lon, quelques me¬ nus débris, c'est là, à peu près, tout ce que l'on a recueilli, avec plusieurs pié¬ destaux destinés à supporter jadis des images d'empe¬ reurs, le tout d'une facture assez mé¬ diocre et telles qu'on peut l'attendre d'ar¬ tistes numides. Peu de villes de l'Afrique romaine Photo du Service des Monuments historiques de l'Algérie. Timgad. •— Sous-sol des Thermes du Nord. avaient autant d éta¬ blissements debains que Timgad ; mais toutes en possédaient plusieurs. A Cherchel on en connaît trois, trois aussi pour le moins à Lambèse et à Khamissa, deux à Bougie et à Constantine, à Matifou et à Tébessa : il n'est pas douteux qu'il y en ait eu un plus grand nombre dans toutes ces cités : ils ont dis¬ paru ou sont encore cachés.sous terre. Photo de M. le DrRouquette. Timgad. — Marché. Les boutiques. CHAPITRE V LES MARCHÉS, LA BIBLIOTHÈQUE Quelque intéressants, que soient tous les monuments de Thamugadi dont il vient d'être, question, temples, théâtres, thermes, ce ne sont, somme toute, que des exemples nouveaux, plus ou moins bien conservés, d'édifices analogues dont les Romains ont peuplé le monde ; nous en connaissions déjà plus d'un spécimen, Timgad nous a réservé deux types autrement curieux dans les constructions dont il va être maintenant parlé. Auprès de l'arc de Trajan s'élève un groupe de bâtiments qui se dis¬ tingue de loin, grâce aux quelques colonnes, redressées par le Service des Monuments historiques, autour de la cour centrale. On y a reconnu sans hésitation un marché ; le doute n'est pas possible, puisque le mot même est écrit sur plusieurs bases de statues qu'on y a retrouvées. Il . . ; ' ; 100 TIMGAD avait été bâti par la générosité d'un citoyen, nommé Marcus Plotius Faustus, surnommé Sertius, chevalier romain, officier de troupes auxi¬ liaires, prêtre de Rome et flamine des empereurs, et par sa femme Cornelia Valentina Tuccina ; pour que nul ne l'ignorât, on avait gravé leurs noms et placé leurs images de tous côtés, soit à l'entrée, soit à l'intérieur. Tant d'honneurs ne sont point immérités ; alors que les marchés antiques de Rome sont détruits ou à peu près, que celui de Pompéi n'a pas encore été reconnu d'une façon absolument indiscutable, ce couple africain nous a permis de fixer un point d'archéologie monu¬ mentale : il est des gens à qui on élève des statues en récompense de moindres services. Pour accéder à ce marché de Timgad de la voie qui mène à l'arc, il faut gravir d'abord quelques marches en bordure du trottoir ; elles con¬ duisent dans une cour dallée ouverte de deux côtés. Les deux autres sont limités par deux corps de bâtiments. Le premier devait être une halle, mais une halle singulièrement élégante. Le fond s'ouvre en hémicycle orné d'un piédestal; le pavement, au centre, est formé de dalles de diverses couleurs, dessinant un grand damier ; le second, dans son plan original, rappelle beaucoup un forum, ce qui n'a rien d'étonnant, le forum ayant été primitivement une place de marché, avant de devenir un lieu de réunion politique. Il se compose d'un espace central à ciel ouvert, entouré de portiques. Au milieu, une fontaine faite de quatre dalles de pierre, encastrées dans de petits piliers, fournissait une eau jaillissante. Il n'existe de magasins qu'au Nord et au Sud. La face septen¬ trionale en présente quatre, peut-être six : chambres carrées, assez petites, sans arrière-boutique. Vers le Sud, l'édifice se développe en un large hémicycle, élevé de deux marches au-dessus du sol de la cour. Cette partie n'était point, autrefois, à ciel ouvert : on a trouvé dans les fouilles tous les éléments de la couverture, et l'on en peut donner une restaura¬ tion certaine. Sept logettes s'y épanouissent en éventail, terminées à la partie postérieure par un segment de cercle ; leur ensemble constitue une bande demi-circulaire. Toutes offrent la même particularité. Par devant, reposant sur des montants en pierre ornés de moulures et encastrés aux deux bouts dans la maçonnerie des murs latéraux, on avait disposé hori¬ zontalement, à un mètre du sol, de larges tables ; plusieurs ont été décou¬ vertes en place ; les autres gisaient à terre dans le voisinage, et l'on a pu les rétablir sur leurs montants.(p. 99) : si bien qu'aujourd'hui l'édifice paraît avoir souffert à peine du temps et des hommes. Aucune trace de portes devant ces boutiques ; la saillie même des tables empêche de suppo- LES MARCHÉS, LA BIBLIOTHÈQUE 101 ser qu'il ait jamais pu en exister. On doit y voir des salles de vente et rien de plus. A l'heure du marché les commerçants arrivaient, apportant leurs denrées ; pour pénétrer dans leurs logettes, ils étaient obligés de passer, en se baissant, sous l'étal, comme font encore les Arabes dans les souks ; ils exposaient les marchandises aux yeux de la clientèle ; ce qu'ils n'avaient point réussi à vendre, ils le remportaient le soir, en regagnant Plioto du Service des Monuments historiques de l'Algérie. Timgad. — Marché de l'Est. leur domicile. A cet égard, il n'y avait pas grande différence entre le macellum de Timgad et la plupart de nos marchés. Les boutiques permanentes étaient établies ailleurs, le long des grandes rues, surtout. On en a déjà déblayé quelques-unes, à droite de la voie centrale qui traversait la ville. Elles occupaient les dessous du forum. Comme le sol de celui-ci était, ainsi que je lai dit, de 2 mètres plus élevé que celui de la voie, il restait un espace libre sous le dallage et dans les fondations. Rien n'avait été plus aisé que d'y aménager des magasins. Les uns ne se composent que d'une pièce assez profonde, les 102 TIMGAD autres sont divisés en deux, salle de vente et arrière-boutique. Ces der¬ nières étaient occupées jour et nuit, comme le prouvent les traces de portes fermant à l'intérieur. Leur situation était, d'ailleurs, particulière¬ ment favorable ; elles devaient être achalandées du matin au soir, moins peut-être par les habitants qui les longeaient pour gagner le forum, que par tous les voyageurs venant de Lambèse ou s'y rendant. Je me figure que, si elles n'offraient pas un logement très confortable, on y faisait bien ses affaires et que plus d'un, parmi les commerçants qui les occu¬ paient, en sortit la bourse assez garnie pour prendre rang parmi les bien¬ faiteurs de la cité. Ce serait, au reste, une erreur de croire que les gens de Timgad se con¬ tentaient de ces boutiques et du marché voisin de l'arc de Trajan; il en existait deux autres au moins dans les autres parties de la ruine. L'un n'est connu que par une inscription ; c'était un forum vestiarium — on dirait actuellement le souk aux étoffes. Le second s'élevait dans la par¬ tie orientale de la ruine, au bord de la voie décumane : construction con¬ çue sur un plan original et qui devait être jadis très curieuse. Qu'on se figure deux cours en fer à cheval juxtaposées et enfermées dans un .ensemble qui affecte la même forme. Ces deux cours, à ciel ouvert, étaient entourées de colonnes qui soutenaient les galeries latérales ; de grandes dalles recouvraient le sol des galeries, tandis que les cours étaient pavées de petites briques placées de champ et assemblées de façon à imiter le dessin d'épis de blé (p. 101). Autour des cours sont disposées les boutiques ; six, rectangulaires, sur la face nord, qui se doublent de boutiques semblables donnant sur une galerie extérieure à l'édifice ; dix, formées de segments de cercles, rayon¬ nant sur la partie courbe de l'édifice (cinq au fond de chaque cour), celles- ci tout à fait semblables, d'ailleurs, aux boutiques du marché de Sertius : comme dans ces dernières, les étals qui servaient aux marchands étaient fixés entre les deux montants antérieurs de la boutique, si bien qu'il fal¬ lait passer par-dessous pour y pénétrer. A la rencontre des deux hémicycles et à l'intersection des deux demi- cercles qu'ils dessinent, dans l'espace triangulaire ainsi ménagé, on avait disposé une fontaine monumentale. C'est encore parmi les constructions d'utilité purement commerciale qu'il faut sans doute ranger un grand monument situé à 8 mètres de la porte de Lambèse, c'est-à-dire tout à fait à l'entrée de la ville, le long de la voie décumane. On a proposé d'y voir un entrepôt, ou une salle des ventes. LES MARCHÉS, LA BIBLIOTHÈQUE 103 Si les habitants de Timgad pouvaient se procurer au marché et dans les boutiques de la ville la nourriture du corps, ils trouvaient celle de l'esprit dans un autre édifice, assez récemment identifié et qui constitue une véritable curiosité archéologique, dans la bibliothèque. Il y a long¬ temps que l'on connaissait l'existence de bibliothèques publiques dans les provinces de l'Empire romain, mais on ignorait absolument le plan adopté pour ce genre de constructions et l'aménagement que l'on donnait aux salles de lecture aussi bien qu'aux dépôts de livres. Les auteurs, les inscriptions font allusion soit à leur établissement, soit au prix de revient ; les uns comme les autres nous prouvent que, de même que les autres édifices municipaux, les bibliothèques étaient souvent dues à la libéralité des citoyens riches de la cité. Parfois des parents, des donateurs ajoutaient quelque argent pour l'entretien de la construction et pour l'achat des livres. Nous n'en saurions pas beaucoup plus long si, presque au même moment, on n'avait découvert deux bibliothèques publiques, l'une en Asie, à Éphèse,au cours des fouilles faites par l'Ins¬ titut archéologique autrichien, l'autre à Timgad. Photo de Al. le DrHouquette. Timgad. — Cour d'entrée de la Bibliothèque. io4 TIMGAD En déblayant un édifice, situé à gauche de la grande rue du Nord [cardo), un peu avant d'arriver au point où elle tombe dans la voie décumane, on retira des décombres un fragment de pierre, qui portait : VINTIANI FLAVI RO MENTO SVO REIPVBLICAE SIVM PATRTAE SVAE LE EX HS CCCC MIL • NVM CTVM EST C'était la partie droite de la pierre qui figurait au-dessus de la porte d'entrée de l'édifice. L'année suivante, on faisait des fouilles dans un pâté de maisons voisin ; on découvrit une seconde pierre qui se raccordait à droite avec la première, mais qui était brisée à gauche. On y lisait : ATE M IVLI Q VAM TESTA MVGADEN OTHECAE A PERFE Le sens général devenait plus clair ; il n'était pas encore satisfaisant. Quels ne furent pas l'étonnement et le plaisir du directeur des fouilles quand, deux ans plus tard, on recueillit, employée comme moellon dans une bâtisse de très basse époque, près de la porte septentrionale de la ville, un troisième morceau de la pierre, le dernier : EX LIBERALIT GATIANI C ' M ' Y ' Q . COLONIAE THA GAVIT OPVS BIBLI CVRANTE REPVBLIC Dès lors nous savions exactement, ce qui était écrit à l'entrée de l'édifice : Par suite du legs testamentaire que Marcus Julius Quin- tianus Flavius Rogatianus, personnage sénatorial, a fait à la caisse de la colonie de Thamugadi, sa patrie, la construction de la biblio¬ thèque a été achevée pour la somme de 400.000 sesterces. LES MARCHÉS, LA BIBLIOTHÈQUE 105 Entrons maintenant dans l'édifice. Après avoir monté quelques marches on pénétrait de la rue dans une cour d'une dizaine de mètres, entourée de trois côtés par un portique assez spacieux. Sous le portique, et faisant face à la rue, s'ouvrait la porte d'entrée de la salle, qui était pavée de belles dalles de calcaire. Elle était de forme demi-circulaire; dans l'axe de l'entrée existent encore les restes d'une grande niche pré¬ cédée de deux colonnes de marbre; elle contenait, sans doute, autre¬ fois une statue de Minerve, dont la tête a été recueillie dans le voisinage de l'édifice. Dans les murs latéraux, à l'étage inférieur, et sans doute aussi à l'étage supérieur, qui a disparu, s'ouvraient d'autres niches plus petites ou plutôt des armoires pour les manuscrits; une galerie avec balustrade, qui épousait la forme de la pièce, permettait d'accéder à la série des armoires du premier étage; en tout il y en avait 16, 8 en haut et 8 en bas. C'eût été assurément trop peu pour contenir les volumes nécessaires à la curiosité des lecteurs ; aussi l'architecte avait-il eu soin de disposer de chaque côté de la cour d'entrée trois chambres d'inégale grandeur qui pouvaient être utilisées comme dépôts. Il suffisait d'y mul- Timgad. — Bibliothèque. Photo JNeurdein. io6 TIMGAD tiplier les rayons et les casiers pour y abriter une grande quantité de livres. On a essayé d'en calculer le nombre et l'on est arrivé, pour la salle intérieure, au total de 6.800 et pour les autres à celui de 16.200. Ce seraient donc 23.000 volumes qu'aurait contenus la bibliothèque de Timgad ; calcul évidemment très approximatif, mais intéressant. Jamais, à première vue, on ne pourrait supposer qu'un édifice relativement aussi peu développé, ait pu renfermer autant de richesses littéraires. Libre à nous de le peupler en imagination de statues, de bustes de grands écri¬ vains ou seulement de médaillons, comme nous savons qu'il en existait dans les bibliothèques romaines ; les fouilles ont été muettes à cet égard ; tout cela a disparu, comme les livres qui meublaient les armoires, comme les lecteurs eux-mêmes. Ceux-ci nous ont pourtant laissé d'eux-mêmes un souvenir, des ins¬ criptions à la pointe, qu'ils gravaient en entrant ou en sortant sur les colonnes du portique : exclamations, souhaits de bonheur ou confidences amoureuses, analogues à toutes celles qu'on lit d'ordinaire sur les murs des grandes villes. On aimerait à en rencontrer de plus intéressantes, de plus littéraires. Ruines romaines à Volubilis Aqueduc dans un ravin près Khamissa. CHAPITRE VI LA VIE PRIVÉE, LES MAISONS, LES TOMBEAUX Tous ceux qui visitent les ruines de Timgad, ceux surtout qui les visitaient il y a quelques années, alors qu'on n'avait pas encore établi de canalisation pour abreuver les quelques habitants et les nombreux voyageurs, se demandent comment une ville de cette importance a pu exister loin de toute source apparente et de tout cours d'eau régulier. La même question se pose, d'ailleurs, à propos des villes de l'Afrique en général. Ce n'est jamais dans des bas-fonds, dans des endroits maréca¬ geux ou voisins de rivières, que les Romains avaient bâti, mais sur les premières pentes des montagnes. Comment alors s'y prenaient-ils pour avoir l'eau potable nécessaire à la consommation journalière et à l'ali¬ mentation des établissements thermaux si nombreux et si importants? En allant la chercher souvent fort loin. ioS T1MGAD Il fallait donc capter la source. Ou bien on l'entourait d'un bassin à ciel ouvert où l'on pouvait puiser au besoin, mais qui servait surtout à empêcher la déperdition du liquide, ou bien on l'enfermait dans une chambre voûtée, qui la protégeait contre le soleil, le vent et les impure¬ tés qu'il soulève. Nous en avons cité un exemple célèbre à propos de Carthage, en décrivant le temple des eaux de Zaghouan. A Timgad, on avait une source qui jaillissait à 13 kilomètres de la ville, nommée Photo de M. Bauer. Aqueduc de Cherchel. Aïn-Morri. Au sortir d'un appareil élévatoire contenu dans un château d'eau aujourd'hui ruiné, elle était amenée de deux points différents par deux aqueducs dans un troisième, qui était le collecteur et la dirigeait vers la ville. Les explorateurs et même les touristes savent combien les restes d'aqueducs de cette sorte sont fréquents en Afrique. Autant que possible, on faisait la conduite souterraine à flanc de coteau, avec des regards ménagés de loin en loin pour permettre l'aérage, le curage et la surveillance. Lorsqu'elle devait traverser une vallée, on la soutenait par des ponts, souvent formés d'une longue file d'arcades qui se continuent pendant plusieurs kilomètres. Tantôt c'est une suite d'arceaux uniques bas et lourds ; tantôt ils sont constitués par une série d'arcs légers LA VIE PRIVÉE, LES MAISONS, LES TOMBEAUX 109 superposés qui chevauchent les uns sur les autres et qu'il a fallu soutenir par de puissants contreforts. Les exemples sont très nom¬ breux. Tous ceux qui ont parcouru les environs de Dougga con¬ naissent l'aqueduc qui y amenait l'eau de l'Aïn-el-Hammam. D'abord souterrain, le canal traversait à quelques kilomètres de son point de départ un petit ravin, sur un pont à une seule arche; puis il rentrait sous terre pour reparaître plus loin au passage d'une seconde vallée, la fran- Photo de M. le lieutenant Rouget. Sbéitla. ■—- Pont aqueduc. chir sur un second pont, cette fois à deux rangs d'arches superposés, et continuer ensuite sa route vers Dougga. L'aqueduc de Cherchel, en Algé¬ rie, alimenté par une source qui jaillit au village de Marceau, mesurait une longueur de sept lieues. Il suivait quelque temps une tranchée ouverte à flanc de coteau; à 12 kilomètres de la ville, il empruntait un immense pont à trois rangs d'arceaux étagés, haut de 35 mètres ; 7 kilomètres au delà, à l'Oued-Bella se trouvait encore un autre pont, mais moins élevé. Parfois ces ponts aqueducs étaient jetés sur des torrents, qu'ils pouvaient aider au besoin à traverser ; tel est celui qui se voit encore à Sbéitla avec son tablier reposant sur les deux berges et ses deux lourdes I 10 TIMGAD piles fondées sur le rocher même où la rivière s'est frayé un passage. On ne recourait au système des siphons que lorsque la vallée était trop large pour pouvoir être aisément franchie par un aqueduc. Certaines de ces conduites d'eau traversaient les montagnes au lieu de les contourner. La plus fameuse, dans ce genre, est celle qui mepait à Bougie l'eau de Toudja sur 21 kilomètres de longueur. Au village d'El- Abel elle s'engageait dans un tunnel de 428 mètres de long, dont l'histoire nous a été conservée par une inscription. Le tracé fut établi sur le terrain, vers 137 de notre ère, par un ingénieur militaire, Nonius Datus, que le général en chef de Numidie avait mis à la disposition de celui de Mauré- tanie. Cet ingénieur, après avoir fait les études préparatoires, regagna son poste. Le travail ne commença que onze ans plus tard : Nonius Datus revint à Bougie pour le mettre en train ; mais il tomba malade et dut repar¬ tir à la hâte. On espérait que tout irait à souhait, malgré cette com¬ plication : il n'en fut rien. Pour percer le tunnel on avait eu l'idée de commencer le travail par les deux bouts à la fois ; le tracé théorique était parfait, le jalonnement bien dressé : mais pratiquement les dispositions avaient été mal prises, si bien que les deux ateliers, au lieu de marcher l'un vers l'autre pour se rencontrer à mi-route, prirent chacun une direc¬ tion oblique et continuèrent à cheminer parallèlement à travers la lon¬ gueur de la montagne. Le découragement commençait à s'emparer des travailleurs ; on parlait d'abandonner le travail. Nonius Datus fut rappelé pour la troisième fois. Mais cette fois ce ne fut pas sans peine qu'il put arriver à Bougie ; il fut attaqué en route par les brigands, blessé, dépouillé de ses vêtements, lui et ses compagnons. Il put, néanmoins, s'échapper ; un coup d'œil lui suffit pour deviner le mal ; on prit les mesures nécessaires pour y remédier. Constantine était alimentée pareillement par deux aqueducs, l'un venant de la source de Bou-Merzoug, à 35 kilomètres environ au sud, où il y avait un sanctuaire, comme à Zaghouan, le second, de Sidi-Mabrouk, à 1.800 mètres à l'Est. L'eau d'Aïn-Bou-Merzoug était légèrement magné¬ sienne ; cela n'empêcha pas les Romains de l'utiliser et d'en user largement. Une fois amenée dans la ville, l'eau était emmagasinée dans de grands réservoirs de distribution, d'où elle était répartie entre les fon¬ taines, les châteaux d'eau monumentaux comme celui qu'on vient de découvrir à Sétif, les établissements de bains et les maisons particu¬ lières. Si abondante, d'ailleurs, que fût l'eau de source, elle n'aurait assuré- LA VIE PRIVÉE, LES MAISONS, LES TOMBEAUX m ment pas suffi aux besoins des villes, si on n'avait pas conservé, de l'époque antérieure, l'habitude de ménager des réservoirs sous les maisons. Chacune avait, pour l'ordinaire, sa citerne, où se déversaient les eaux tombant sur les toits, sur les terrasses, sur le sol de la cour ; les maisons de Timgad nous en offrent plus d'un exemple. Ainsi avait-on résolu, dans un pays privé de pluies durant neuf mois Photo du Service dos Monuments historiques de l'Algérie, Maisons de Timgad. de l'année et soumis pendant les trois autres à un régime torrentiel qui entraîne à la mer par d'immenses artères et avec une rapidité étonnante l'eau qui tombe du ciel à profusion, le problème délicat de l'alimentation des cités. L'historien Salluste écrivait : « Au ciel comme sur la terre, il y a, en Afrique, égale pénurie d'eau. » Les ingénieurs romains ne pou¬ vaient rien contre le ciel ; mais la terre leur était soumise et ils en ont merveilleusement corrigé les défauts. Dans la revue que nous venons de faire des différents monuments de Timgad, nous avons laissé de côté, à dessein, les maisons particu- 112 TIMGAD lières. Ce n'est pourtant pas une des moindres curiosités de toutes les ruines antiques qu'on fouille de nos jours, que de nous donner accès dans l'intimité des anciens et de nous permettre, après les avoir vus agir en public, de les suivre jusque dans les secrets de leur vie de famille. Thamugadi est, à cet égard, très instructif par la variété même des maisons qu'on y rencontre. Les plus grandes, celles que les gens riches s'étaient fait construire, sont des imitations des maisons gréco-romaines,1 telles que les ruines de Photo'du. Service des Monuments historiques de ILUgérie. Tiragad. —Maison de. Sertius. Bassin de l'atrium. Pompéi surtout nous les ont fait connaître, avec leurs deux cours juxta¬ posées, l'atrium et le péristjde, et les chambres de toutes sortes groupées autour de chacune d'elles. Nous en avons conservé un type complet dans une habitation dont, par une bonne fortune inattendue, nous connaissons le propriétaire : c'est le personnage qui avait fait construire à ses frais le marché voisin de l'arc de Trajan, Marcus Plotius Faustus, dit Sertius. L'endroit où elle s'élevait était, au début de l'existence de Timgad, recouvert par le rempart. Au cours du IIe siècle de notre ère, devant la nécessité d'agrandir la cité, on démolit les fortifications et l'on vendit l'em¬ placement aux particuliers ; Sertius se rendit acquéreur d'un coin de ter¬ rain, au sud-ouest de la ville, et j édifia une maison avec toutes les com- LA VIE PRIVÉE. LES MAISONS, LES TOMBEAUX 113 modités, nous dirions aujourd'hui tout le confortable dont cette époque était capable. Sur la rue on aménagea des boutiques qui pouvaient rapporter un assez joli loyer. Devant la porte s'étend un portique; on pénétrait d'abord dans un vestibule où donnait, à droite, l'entrée des bains ; car le propriétaire avait fait disposer, pour son usage, tout un système de salles chaudes et froides qu'il avait ornées des statues d'Escu- lape et d'Hygie, suivant l'usage. Derrière le vestibule s'ouvrait l'atrium avec ses pièces réglementaires et son bassin central. Photo de M. Alb. Ballu. Timgad. ■— Maison de Sertius. Bassin du péristyle. La seconde partie de l'habitation était groupée autour d'un vaste péris¬ tyle. On y a fait une remarque très curieuse. Au milieu, selon la cou¬ tume, était un grand bassin, entouré de dalles verticales s'emboîtant dans des dés de pierre. En opérant des fouilles pour le consolider on s'aperçut qu'il recouvrait un sous-sol maçonné de même forme, soigneusement revêtu d'un enduit cimenté. Dans les parois étaient percées des séries de trous de 15 centimètres de diamètre, formés par l'ouverture de vases en poterie fixés horizontalement dans la maçonnerie du mur. Ce bassin infé¬ rieur constituait un vivier communiquant avec le premier. Par les beaux jours de l'été, alors que le soleil, pénétrant en plein dans le péristyle, faisait monter la température de l'eau, malgré les étoffes que l'on éten- 8 ii4 TIMGAD dait au-dessus de la cour, les poissons pouvaient trouver un refuge dans la partie basse et s'abriter contre la lumière et la chaleur au fond de ces tuyaux disposés à leur intention. Cette suite de cours et de chambres, quelques-unes pavées de mosaï¬ ques, peut donner une idée de ce qu'était à Timgad l'habitation d'un des gros bourgeois de l'endroit; elle se caractérise par son développement et la multitude des pièces qui la composent ; encore ne saurait-il être ques¬ tion d'un étage supérieur, complètement disparu aujourd'hui, et qui n'a peut-être jamais existé. L'élégance ne semble pas avoir été la préoccu¬ pation principale de l'architecte et des propriétaires. Il n'en est pas de même d'une autre, située tout à côté du forum, à l'Est. Le plan en est pro¬ prement celui de la maison romaine ancienne avec une seule cour, l'atrium. La façade s'étendait, en bordure de la voie décumane, précédée dans toute sa largeur d'un portique. Du vestibule on pénétrait dans l'atrium, entouré d'une colonnade et des appartements privés ; au fond, en face la porte d'entrée s'ouvrait la salle de réception. La cour n'était point ornée d'un bassin ; au centre existait un puits de 10 mètres de profondeur et tout autour une immense jardinière dont le fond s'appuyait aux colonnes du portique et dont le devant s'arrondissait en une série de dentelures juxtaposées. L'ornementation en était complétée par des têtes à double face qui couronnaient les quatre extrémités de cette jardinière : recherche d'élégance, plutôt qu'élégance véritable, mais qu'apprécieront à leur juste valeur ceux qui en Algérie ou en Tunisie sont entrés par le grand soleil de midi dans le patio d'une maison arabe, où des palmiers et des plantes au large feuillage entouraient une vasque murmurante : la vue seule de cette verdure, le frémissement de cette eau jaillissante, sont mieux qu'une joie pour les yeux, elles soulagent et reposent tous les sens. Tel est aussi le plan d'une série de maisons découvertes dans une ruine voisine de Tunis, à Oudna. Gauckler, qui les a fouillées, les décrit ainsi : « Elles rappellent beaucoup les habitations gréco-romaines de Pompéi avec quelques modifications qui annoncent déjà les dispositions de la maison mauresque de nos jours. La porte d'entrée, ordinairement encadrée par deux colonnes doriques engagées, donne accès dans une première pièce dallée de grandes dimensions comme la driba tunisienne, qui sert de salle de réception pour les étrangers ; elle est isolée du reste du logis, avec lequel elle ne communique que par une seconde porte inté¬ rieure. « Les appartements privés sont distribués autour d'une cour centrale rectangulaire ornée de fontaines, d'arbustes et de fleurs, et ceinte d'un LA VIE PRIVÉE, LES MAISONS, LES TOMBEAUX 115 péristyle ou portique couvert, aux colonnes peintes et stuquées. Les divers corps de logis se décomposent en une série d'atrium dont les dis¬ positions sont loin d'être uniformes. Tantôt ils conservent la forme romaine classique : grande salle à impluvium entourée d'un portique, sur lequel s'ouvre le tablinuni et les deux alae ; tantôt les deux ailes subsistent seules de part et d'autre de l'atrium ; ou bien encore elles dis¬ paraissent, elles aussi, et sont remplacées par une antichambre et une exèdre en forme d'abside. « La décoration de ces appartements de maîtres est des plus riches et des plus variées. Les pavements sont formés de mosaïques précieuses, souvent en pâtes de verre émaillées ou dorées : les murs sont revêtus de Timgad. Photo de M. le Dr Rouquette. — Maison romaine. 116 TIMGAD marbres multicolores découpés avec art, encadrant des fresques et des peintures à l'encaustique ; les plafonds et les voûtes, qui soutiennent des colonnes polychromes, sont en stucs ouvragés, ciselés au fer, comme les noukch-hadida mauresques, mais où les rinceaux, les pampres, les figures gracieuses de Génies et d'Amours remplacent les décors géomé¬ triques un peu froids imposés par l'Islam. « Partout l'air et la lumière circulent librement, tandis que les eaux Photo de Gauckler. Déblaiement d'une mosaïque à Oudna. vives, jaillissant des fontaines dans des vasques en marbre, alimentent des bassins ouverts, de formes variées, et assurent la fraîcheur des apparte¬ ments pendant les ardeurs de l'été. » Il n'est guère de maison, dans les villes africaines, où l'on ne rencontre des pavements de mosaïque. Dans la villa des Laberii, à Oudna, on en a déblayé soixante-sept avec des représentations figurées, tableaux mytho¬ logiques, chasses d'animaux, scènes empruntées à la vie de la campagne. A Timgad, dans la maison de Sertius, le sol du tablinum était fait de rin¬ ceaux et d'enroulements de feuilles épanouies de toute beauté ; dans la maison du forum, de fleurs et de feuillage; ailleurs, on avait figuré Diane LA VIE PRIVÉE, LES MAISONS, LES TOMBEAUX 117 surprise au bain par Actéon ; ailleurs, Amphitrite assise sur le dos d'un centaure marin. Cette prodigalité de pavements est des plus curieuses. A Pompéi, ce sont les peintures qui abondent ; la seule maison des Vettius en a fourni cent quatre-vingt-huit; en Afrique et en Tunisie, elles ont malheureusement presque toutes disparu. La faute en est certainement en grande partie à ceux qui ont incendié les villes du pays et jeté à bas les murs couverts de revêtements. Il est permis toutefois de se demander si Carthage ou Timgad ont jamais connu ce luxe de fresques et de Photo du Service des Monuments historiques de l'Algérie.- Timgad. — Mosaïque de la maison de Sertius. tableaux. Ce qui est certain, c'est qu'à Pompéi le sol des maisons est couvert pour l'ordinaire de carreaux de briques, disposés parfois avec une certaine recherche de l'ornement ; la mosaïque est beaucoup moins fré¬ quente ; en Afrique c'est presque la règle. Qu'il y ait là un effet du hasard ou une variation de la mode, le fait mérite d'être signalé. Les autres habitations de Timgad offrent, dans leur plan, la plus grande variété ; en général, pourtant, on y rencontre une cour avec une fontaine et des chambres groupées autour; tantôt, mais rarement, la cour tient le milieu de la construction ; tantôt elle en occupe un côté ; parfois des boutiques s'ouvrent sur la rue, sans communication avec les pièces de l'habitation qu'elles bordent. Toutes ont un caractère commun, la peti- 118 TIMGAD tesse, l'irrégularité dans la distribution de diverses chambres et, il faut bien le dire, le manque complet d'élégance. Elles ont, d'ailleurs, été bou¬ leversées plusieurs fois, rebâties et remaniées. Elles n'offrent plus grand intérêt. Photo duSer\ice des Antiquités de la Tunisie. Sousse. — Mosaïque de Virgile. Les quelques spécimens que la Tunisie a livrés jusqu'à ce jour sont plus dignes d'attention. La plus curieuse, parce que la mieux complète, à cause de la profondeur où elle était enfouie, est une maison de Bulla Regia, ville antique voisine de la station de Souk-el-Arba. Par un escalier, merveilleusement conservé, on accède au-dessous du sol actuel, dans une petite cour à ciel ouvert, entourée d'un portique voûté dont le toit est encore parfaitement reconnaissable. Les appartements qui y donnent et dont, exception peut-être unique, le plafond n'a pas cédé, sembleraient terminés d'hier si le crépi des murs ne s'était détaché par suite de leur long séjour en terre. Les mosaïques de pavement sont encore à leur place, sans un cube de moins; la salle à manger, avec l'emplacement très net des trois lits de table, paraît abandonnée d'hier; il suffirait d'y établir LA VIE PRIVÉE, LES MAISONS, LES TOMBEAUX 119 un triclinium et une table centrale pour donner l'illusion complète de la vie antique. Il faut y avoir pénétré et s'y être reposé quelques instants au plus fort de la chaleur pour comprendre les services que des pièces aussi bien abritées contre la température extérieure devaient rendre autrefois à ceux qui les avaient aménagées et qui les habitaient. Mais il y a mieux encore. Qui irait supposer qu'il puisse exister encore une maison de l'époque romaine avec ses murs et les rampants de son toit? et non point une maison enfouie par le temps et déterrée par les archéologues, mais s'élevant à l'air libre et qui n'a point cessé d'être habitée? C'est pourtant ce qui est, ce qui se voit sur le haut d'une mon- Plioto du Service des Antiquités de ia Tunisie. Bulla Regia. — Maison romaine. 120 TIMGAD tagne de Tunisie, assez difficile d'accès, le Gorra. Là, plus que partout ail¬ leurs, la maçonnerie aurait dû disparaître sous l'effort des pluies et des neiges qui 3^ sont fréquentes et des ouragans qui y font rage ; elle a pour¬ tant résisté victorieusement à tout cela. C'est un édifice carré, avec des contreforts aux quatre angles ; il n'a jamais eu qu'un étage ; on en a créé deux en divisant la hauteur par un plancher. Le bas sert de moulin à huile. Elle était faite de petits matériaux reliés par du mortier; les murs étaient jadis revêtus extérieurement d'un enduit dont il reste çà et là Photo du Service des Antiquités de la Tunisie. Henchir-Chett. —■ Maison romaine. quelques traces. Rien n'est pittoresque comme cette habitation d'un autre âge, entourée de beaux arbres de toute sorte. On a peine à croire qu'une construction aussi modeste ait pu défier l'effort de quinze siècles, alors que les monuments les plus puissants de l'âge romain se sont écroulés de toutes pièces. Au luxe des édifices publics et des demeures privées correspondait, ainsi qu'il est naturel, le luxe des tombeaux. Si les gens simples ou peu aisés se contentaient de reposer sous une pierre plus ou moins grande, portant quelques sculptures grossières et quelque épitaphe, les autres, riches ou ambitieux, voulaient plus et mieux : ils faisaient élever de véri- LA VIE PRIVÉE, LES MAISONS, LES TOMBEAUX 121 tables constructions, souvent à plusieurs étages, où l'on gravait en prose ou en vers, souvent longuement, l'éloge du défunt. Chose curieuse, les ruines de Timgad ne nous ont encore rien livré de tel; les épitaphes qu'on a trouvées avaient été employées comme matériaux aux basses époques dans des bâtisses ; aucune encore n'a été découverte en place dans une nécropole. On ne voit pas, non plus, à droite et à gauche des grandes voies qui partent de la ville dans toutes les directions, quelqu'une de ces belles constructions funéraires si fréquentes dans le pays. C'est ailleurs qu'il faut, pour le moment, en chercher des spécimens ; et l'on n'a que l'embarras du choix. Les unes ont la forme d'un petit temple, avec son escalier antérieur, un pronaos, une cella; tel était le mausolée (p. 123I élevé dans le centre de la Tunisie, auprès d'une petite bourgade, à une femme du nom de Petronia Matronilla, « épouse incomparable, bonne mère, aïeule très pieuse, religieuse, laborieuse, économe, vigilante, n'a3?ant jamais connu qu'un mari, exemple d'activité et de fidélité ». Tel était aussi celui que M. de Mathuisieulx a découvert, à Ghirza, au cœur de la Tripolitaine. Là existe, au milieu d'édifices funéraires très curieux, un Kharaissa. — Un coin du cimetière. Photo de M. Joly. 122 TIMGAD véritable temple péristyle à quatre colonnes de façade et à cinq colonnes de côté, entourant une petite cella. La frise est ornée de triglyphes et de boucliers, à la façon des temples doriques ; mais les chapiteaux des colonnes sont tout à fait bizarres ; ils n'appartiennent à aucun ordre connu, tenant à la fois du dorique et de l'ionique ; ou plutôt ils sont l'œuvre d'un artisan maladroit, qui a voulu imiter quelque chapiteau composite dont il avait le modèle sous les yeux. Le plus grand nombre des mausolées affecte plutôt la forme d'une tour carrée à un ou plusieurs étages couronnée souvent d'une p3'ramide, à la mode orientale : on en voit déjà de semblables figurés sur les pein¬ tures des hypogées de l'Égypte et l'on en construisait encore au IVe siècle dans la Syrie centrale. On en a signalé un certain nombre en Tripoli- taine. Il en existe un spécimen curieux dans l'extrême Sud tunisien, plus loin que Tatahouine, sur une piste qui menait à Ghadamès, à El- Amrouni. Il ne mesurait pas moins de 16 mètres de hauteur et.se com¬ posait de deux étages élevés. Sur la face principale s'ouvrait la porte d'entrée du caveau ; au-dessus, le défunt et sa femme étaient figurés en bas-relief. L'épitaphe était rédigée en deux langues, latin et néo-punique. Sur les côtés du monument, des bas-reliefs représentaient des scènes empruntées à la mj'thologie grecque : Orphée charmant les animaux, Orphée ramenant Eurydice à la lumière, Hercule conduisant Alceste. Ce défunt si somptueusement enterré, se nommait Quintus Apuleius Maximus; mais son père avait nom Juzalân et son grand-père Jurathân : on voit que ce n'était point un Romain de Rome. Assez souvent la salle du premier étage était ouverte par devant et contenait une ou plusieurs statues représentant les défunts. Des pilastres et des colonnes soutenaient la partie supérieure de l'ouverture. Les exem¬ ples en sont nombreux, aussi bien en Tunisie qu'en Algérie : à Haïdra, à Sidi-Aïch, à Maktar, à Mdaourouch, et, pour citer une ruine voisine de Timgad, à Lambèse. On y voit plusieurs mausolées; l'un d'entre eux est particulièrement célèbre. Il contenait les restes d'un préfet de la légion IIIe Auguste, Flavius Maximus. L'édifice était encore debout en 1849 ; mais il menaçait ruine. Le colonel Carbuccia eut l'idée de le faire restaurer et il en confia le soin à l'adjudant Lambert, du 11e d'ar¬ tillerie. Aidé de huit hommes, Lambert démonta le monument jus¬ qu'aux fondations, numérotant les pierres pour les replacer ensuite. A un mètre au-dessous du sol on trouva une enveloppe de plomb où étaient déposés une lampe en terre, un vase de verre et des cendres. C'était tout ce qui restait du défunt. On enfouit le tout à la même place ; puis LA VIE PRIVÉE, LES MAISONS,, LES TOMBEAUX 123 un bataillon entier défila devant le tombeau nouvellement restauré, et salua d'un feu de mousqueterie celui que nos soldats avaient presque le droit de regarder comme un ancêtre, puisque, comme eux, il avait donné sa vie pour la patrie sur la terre algérienne. Depuis lors les Arabes ont de nouveau violé la sépulture pour y chercher un trésor imaginaire. A Kasrin, en Tunisie, existe un mausolée semblable, mais à trois étages (p. 125); chacun d'eux possède encore son pavement en pierre; la niche du troisième était surmontée d'une pyramide que terminait un coq ; Hetichir-Zaâili. — Mausolée. douze colonnes entouraient cette pyramide. Une description du tombeau en cent dix vers était gravée sur la face principale. « La vie est courte, dit l'auteur de ce poème, parlant au nom du fils du défunt, et nos jours passent rapidement; mais on a trouvé le moyen de prolonger le souvenir des hommes : c'est de construire un beau tombeau et de le couvrir d'une épitaphe digne de sa splendeur. Voilà ce qu'on peut appeler faire un excellent usage de la fortune ; c'est ainsi qu'on arrive, par de l'argent, à s'assurer une demeure éternelle... Qu'il regarde cet édifice, l'homme qui se laisse conduire par son or, l'homme qu'attire l'éclat des écus qui s'ac¬ quièrent au prix du sang, celui qui, gaspillant les richesses dont il s'enor¬ gueillit, les consacre à satisfaire des caprices d'un jour, celui qui achète à grand prix des étoffes étrangères, des perles aux reflets séduisants ou les trésors que renferme la mer Érythrée; qu'il regarde aussi cet édifice I24 T1MGAD celui auquel toutes les nations viennent offrir tour à tour leurs marchan¬ dises funestes : la Grèce, ses esclaves; l'Espagne, son huile, chère à Pal- las; la Libye, ses bêtes sauvages; l'Orient, ses parfums; l'Egypte, ses étoffes légères ; la Gaule, le produit de ses ateliers et la riche Campanie, son vin renommé. Toutes ces délices sont de courte durée et l'imprudent qui s'y attache ne recueille en retour que quelques instants de jouis¬ sance. Aussi rien ne vaut un monument capable de résister à l'éternité. » Et le poète s'étend avec complaisance sur la description de ce mausolée qu'il a fait élever et sur la joie que son père doit ressentir dans l'autre monde si les morts sont encore en communication avec les vivants, ajoute- t-il prudemment, lorsqu'il voit tant de merveilles accumulées à son inten¬ tion. Et il s'écrie : « L'édifice touche presque les nuages; les collines voi¬ sines ne sont rien auprès de lui, tandis que la plaine semble s'enfoncer et se dérober à ses pieds. Non, le colosse de Rome ne s'élève pas plus haut, ni l'obélisque qui se dresse au milieu du cirque, ni même le phare d'Alexandrie, dont les feux éclairent au loin la mer. Voyez pourtant ce que peut faire la piété ingénieuse d'un homme : la pierre percée de trous semble exhorter les abeilles au vol sonore à entrer dans le mausolée et à y construire leur nid de cire, pour que cette demeure soit toujours embaumée d'un nectar odorant à la saison où le miel, nouvellement dis¬ tillé, répand dans les airs le parfum des fleurs. Enfin dans une sorte de post-scriptum, l'auteur, passant du sublime au plaisant, ajoute, en faisant allusion au coq qui surmontait le tombeau : « Et si la nature avait animé ses membres et son gosier, il forcerait tous les dieux à se lever matin. » Le coq a disparu et les dieux de l'Olympe dorment depuis longtemps d'un sommeil dont rien ne saurait plus les réveiller. Sur le bord de la mer, entre Hamamet et Sousse, on peut voir un mausolée d'une autre sorte, une tour ronde qui rappelle le tombeau de Caecilia Metella, bien connu de tous ceux qui ont parcouru la voie Appienne, à Rome. Au sommet étaient disposés de petits autels. D'autres affectent la forme hexagonale ou octogonale, suivant la fantaisie de l'ar¬ chitecte. Tous nous montrent quel prix les vivants attachaient à perpé¬ tuer la mémoire de leurs parents par des monuments imposants. Pour satisfaire à ce pieux devoir, ils n'épargnaient pas la dépense — les ins¬ criptions nous parlent de mausolées de 24.000, de 26.000, de 63.000, 80.000 sesterces même (de 6.000 à 20.000 fr.); ils faisaient appel aux constructeurs et aux artistes les plus habiles que le pays pût leur four¬ nir; ils étaient fiers et heureux de réjouir ainsi les mânes de ceux qui leur LA VIE PRIVÉE, LES MAISONS, LES TOMBEAUX 125 étaient chers; c'est le sentiment de tous qu'exprimait le poète du mauso¬ lée de Kasrin quand il écrivait : « Ainsi, ton père peut être tenu pour immortel; il peut maintenant quitter la triste demeure de Pluton, venir se fixer dans ce monument, y lire ses noms inscrits pour toujours, habiter dans ces bois qu'il aimait, se donner la joie de contempler les hauteurs de sa patrie et demeurer à jamais auprès des Pénates qu'il a légués à ses enfants. » On a donné à Timgad le nom de « Pompéi africaine ». Elle le mérite. Elle nous offre, comme Pompéi, le spectacle d'une ville romaine com¬ plète, avec ses rues encore dallées, où les chars ont laissé le sillon de Photo du Service des Antiquités de la Tunisie. Kasrin. — Mausolée. 12b TIMGAD leurs roues, avec ses temples, son théâtre, ses marchés, ses bains et ses maisons; comme Pompéi, elle ressuscite à nos yeux la vie d'une cité provinciale au début de notre ère. Mais il faut se garder de toute exagé¬ ration. Ce qui manque, ce qui manquera toujours à Timgad, c'est la grâce. Pompéi était une ville élégante dans sa petitesse, policée au contact des traditions grecques, amoureuse du luxe ornemental, des bronzes, des peintures murales. Les habitants, même ceux qui n'étaient pas des bourgeois aisés, savaient embellir leur vie de tous les agréments du bien-être et la relever par les jouissances d'un art assez raffiné. Tim¬ gad, fille du camp de Lambèse et de la légion IIIe Auguste, était peuplée d'anciens soldats devenus laboureurs et rentiers ou d'Africains, très nou¬ veaux venus à la vie romaine, plus sensibles aux installations pratiques qu'aux choses de l'esprit : ses monuments sont solides, non élégants. Ils reflètent bien la puissance de Rome conquérante et révélatrice; il leur manque la grâce du monde hellénistique. Telle qu'elle est, elle a pourtant son charme, fait de l'heureuse har¬ monie des différentes parties, de la sobriété des lignes, du soin apporté à l'exécution des détails, de sa merveilleuse situation à l'extrémité d'une grande plaine entourée d'un cercle de montagnes qui la dominent de toutes parts, fait aussi du mystère des choses mortes qui se réveillent et du passé qui revit tout à coup devant nos yeux. Photo du Service des Antiquités de la Tunisie. Masque de satyre (fouilles sous-marines de Mahdia). Photo de M. Diehl. Aïn-Tounga. — Tour de la citadelle byzantine. TÉBESSA CHAPITRE PREMIER L'ENCEINTE FORTIFIÉE On sait que dans la première partie du Ve siècle de notre ère, les Vandales se rendirent maîtres de l'Afrique du Nord et en chassèrent les Romains. Depuis plus de vingt ans, ces barbares ravageaient les pro¬ vinces occidentales de l'Empire; en 406, ils avaient franchi le Rhin et s'étaient jetés sur les Gaules; en 40g, ils pénétrèrent en Espagne; en 429, leur roi, Genséric envahit la Maurétanie, qui en était voisine; dix ans plus tard, Carthage tombait en son pouvoir ; tout le pays depuis le Maroc jusqu'à Tripoli ne devait pas-tarder à lui appartenir. Ce que fut la domi¬ nation de ces nouveaux vainqueurs, il est à peine besoin de le rappeler. Le régime par eux établi ne mérite d'autre nom que celui d'occupation i Photo de M. Diehl. Timgad. — La forteresse byzantine. écrire ; nous avons conservé l'expression de leurs doléances, de leurs ressentiments, de leur indignation, sans contre-partie d'aucune sorte. Pour être juste, il faut faire la part de l'exagération, peut-être même de l'inexac¬ titude. Il n'en est pas moins vrai que, sous leur domination, la vie artis¬ tique et monumentale des villes africaines fut nulle. Si les édifices exis¬ tant encore, après les destructions inséparables d'une conquête violente, ne furent pas systématiquement jetés à bas, aucune construction nouvelle, qui mérite l'attention, ne saurait leur être attribuée; des réédifications, sans doute — car il fallait bien, en ce temps-là, continuer à se loger, à vivre, à prier, à s'amuser même — et aussi des bâtisses d'utilité publique TIMGAD militaire très jalouse et très dure; leur but unique était d'assurer leur souveraineté, de rendre vaine toute tentative de soulèvement ou de con¬ quête : les fortifications des villes furent rasées, un peu partout; certaines cités seules firent exception, comme Carthage; encore leur permit-on de conserver leurs murs, non de les réparer. Il ne faudrait pas, toutefois, prendre à la lettre toutes les accusations qui ont été dirigées contre les Vandales. Seuls, à cette époque, les Romains et les catholiques savaient L'ENCEINTE FORTIFIÉE izg ou privée, mais que, en l'absence presque complète de documents écrits, il est à peu près impossible de distinguer aujourd'hui de celles qui le.s suivirent.. Il faut attendre le VIe siècle et .l'entrée en scène des Byzantins pour voir renaître la vie dans les villes africaines. Le 22 juin de l'année 533, l'armée grecque partait de Constantinople pour Carthage. Des fenêtres de son palais, le « basileus » Justinien pré¬ sidait à la cérémonie; la foule massée dans les rues et sur les quais accla¬ mait les troupes; et le patriarche, entouré de son clergé, était descendu Mdaourouch. — La citadelle byzantine. jusqu'au port pour bénir l'armée au moment où les vaisseaux allaient lever l'ancre. Ainsi ont commencé souvent les aventures guerrières : toutes.n'ont pas eu le même succès. Celle que risquait ce jour-là l'empe¬ reur d'Orient semblait offrir bien des chances de réussite : les Vandales étaient profondément divisés; le.s catholiques, fort nombreux, longtemps persécutés par les envahisseurs ariens, appelaient de tous leurs vœux les Byzantins, tandis que les populations indigènes, désireuses de recouvrer une indépendance à laquelle elles n'avaient jamais renoncé, étaient dis¬ posées à une neutralité intéressée. Il eût fallu un concours d'accidents singulièrement fâcheux pour amener un . échec. Rien de tel ne se pro¬ duisit. . Après trois mois de navigation, les vaisseaux de transport parurent 9 130 TÉBESS A en face du cap Vada, sur la côte orientale de Tunisie : ils n'avaient pas rencontré un seul navire vandale. La plage était déserte, sans ressources et éloignée de Cartilage de neuf jours de marche; mais on y pouvait débar¬ quer sans péril, à l'insu de l'ennemi. Bélisaire, le général en chef, n'hé¬ sita pas à profiter de l'avantage. Il lui restait maintenant à marcher sans retard sur la capitale. Ce fut presque une promenade; il se présen¬ tait aux populations comme un libérateur. Ses adversaires ne surent pas faire bravement face au péril; quand ils se résolurent à livrer bataille, il était trop tard. Une seule rencontre suffit pour disperser l'armée vandale et bientôt Carthage, attaquée à la fois par terre et par mer, ouvrit ses portes aux soldats de Justinien. La prise de la ville décida du sort de la province : en moins de six mois l'Afrique était délivrée à jamais du joug vandale, au grand étonnement de ceux-là mêmes qui avaient entrepris l'expédition. Mais elle n'appartenait pas pour cela sans conteste aux Byzantins. Restaient les populations indigènes qui allaient se montrer à leur égard ce qu'elles ont toujours été, ennemies acharnées de toute puissance étran¬ gère. Car l'histoire de l'Afrique du Nord n'offre point de surprise : les Romains avaient eu à lutter successivement contre Jugurtha, contre Tac- Lemsa. — La citadelle byzantine. L'ENCEINTE FORTIFIÉE farinas, contre d'autres encore, plus obscurs ou moins heureux. Ces héros de l'indépendance, nous les avons retrouvés en ce siècle : ils s'appelaient Abd-el-Kader, Bou-Maza, Bou-Baghla; les Byzantins les connurent sous les noms de Coutsina et d'Iabdas. La méthode de ces redoutables adver¬ saires est toujours la même. Au moment où on les croit occupés d'un côté, ils arrivent inopinément d'un autre, surprennent les garnisons sans méfiance, les anéantissent et disparaissent avant qu'on ait eu le temps Photo du Service des Antiquités de la Arc d'Haïdra. de répondre à leur attaque. Pour en venir à bout, il faut une tactique ser¬ rée, persévérante; il faut fermer le pays soumis par une ceinture de camps retranchés et de postes militaires, poursuivre l'ennemi sans trêve, le frap¬ per au cœur même de ses refuges dans les oasis du Sahara ou dans les massifs montagneux de la Kabylie. Les soldats de Byzance en firent l'expérience après ceux de Rome. La paix ne fut assurée que le jour où Iabdas fut vaincu dans l'Aurès même, où le pays, depuis la côte jusqu'au désert, fut hérissé de forteresses. Tout cet ensemble de fortifications est, en grande partie, resté debout. Les unes servent encore de remparts aux villes arabes qui leur ont suc- i32 ÏÉBESSA cédé; c'est le cas de Béja en Tunisie, de Sétit et surtout de Tébessa en Algérie, pour ne parler que des plus considérables.. D'autres s'élèvent dans la campagne, au milieu deé ruines de l'époque antérieure ou isolées sur quelques hauteurs: On peut citer parmi les plus remarquables ou les mieux conservées les grandes forteresses algériennes de Timgad, de Mdaourouch (p. 129), de Tifech; parmi celles de Tunisie, les citadelles de Lemsa (p. 130), avec ses quatre tours si bien conservées, de Bordj-ITalal, d'Haïdra, d'Aïn-Tounga, d'Aïn-Hedja, deSbéitla. Rien de plus imposant encore aujourd'hui que leur aspect sous les teintes fauves dont le soleil les Photo de M. Dielil. Sbéitla. — Mur d'enceinte de la cour du Capitole. a dorées; rien de plus étonnant souvent que leur conservation. On se demande avec stupéfaction comment les Byzantins ont pu, en fort peu de temps, improviser de si puissants ouvrages, et aussi comment, les ayant pu élever, ils n'ont pas su mieux les défendre contre les envahisseurs arabes. Ges constructions sont toutes faites sur le même plan et de même sorte. Quand la forteresse a quelque étendue elle se compose d'une enceinte rectangulaire, plus: ou moins développée, flanquée de bastions aux-angles et souvent de tours sur les faces, protégeant les entrées; un chemin de ronde permet de circuler tout autour, desservi par des esca¬ liers; à l'intérieur sont aménagés les différents édifices nécessaires à l'existence des défenseurs/en particulier une église : Haïdra est peut- 13 f ÏÉBESSA être le type le mieux conservé que nous possédions, mais c'est loin d'être le seul. Détail caractéristique, aucun des matériaux employés alors n'était neuf. Pour extraire des pierres d'une carrière, pour les tailler, pour les équarrir, il faut de l'argent et du temps. Les Byzantins n'avaient ni l'un ni l'autre; le second leur faisait encore plus défaut que le premier. Force leur fut de se contenter des éléments qu'ils trouvaient à leur portée et qu'ils pouvaient se procurer en abondance et sans frais. Les édifices romains dont on avait décoré le pays pendant les siècles de prospérité impériale s'offraient à eux; s'ils avaient échappé à la destruction vandale ou berbère, il suffisait de les détourner de leur destination et de les englo¬ ber dans un système de murailles fortes. Le Capitole de Dougga devenait le réduit de la citadelle élevée sur le point culminant delà cité (voir plus haut, p. 69, 71, 81); l'arc de triomphe d'Haïdra, entouré d'une enveloppe de pierres de taille, était transformé en un donjon dont le temps a con¬ servé une partie (p. 131). On faisait de l'enceinte qui environnait les temples de Sbéitla une véritable forteresse (p. 132); on murait avec des matériaux de petite dimension, grossièrement assemblés, les portes et les baies pratiquées dans la muraille; on y perçait des meurtrières, et le péribole ainsi remanié formait le centre de défense de la ville, hérissée çà et là, surtout du côté du Sud-Est et du Sud, de petits fortins isolés. Les édifices romains étaient-ils, au contraire, tombés à terre, les mor¬ ceaux se présentaient d'eux-mêmes à qui voulaient les ramasser; les pié¬ destaux des forums et des temples, les tombes des nécropoles, les archi¬ traves et les attiques, les colonnes, tout était bon, tout entra dans les immenses redoutes byzantines. Qui pourra dire le nombre de statues ou de morceaux de marbre que l'on brisa alors pour en faire du mortier ? On a donc pu avancer avec quelque apparence de raison que les vrais Van¬ dales en Afrique ont été les Byzantins. Leur excuse est qu'il fallait avant tout songer à la sécurité de la province; et ils excellèrent à y pourvoir. De tous ces établissements byzantins, le plus important, parce qu'il est le plus complètement conservé et aussi parce qu'on peut le considé¬ rer comme un véritable modèle de l'art de l'ingénieur au VX° siècle, est l'enceinte de Tébessa. La position de cette ville avait une importance stratégique considé¬ rable; elle était située au centre même de la ligne défensive entre la mer et le Hodna. Dans la plaine qu'elle dominait débouchaient toutes les grandes routes du pays, celle qui venait de Lambèse, longeant les pentes septentrionales de l'Aurès, celles qui arrivaient du désert ou de la Tuni- L'ENCEINTE FORTIFIÉE 135 sie centrale, celles aussi qui avaient comme point de départ Carthage, capitale de la province d'Afrique, ou Constantine, chef-lieu de la Numidie. Tébessa fermait, de la sorte, aux envahisseurs les passages du Sud et couvrait ceux du Nord ; il était naturel qu'il y eût là un poste militaire Photo Neurdein. Tébessa. — Arc de Caracalla. de premier ordre. C'est ce qu'avaient compris les généraux d'Auguste. C'est ce que comprirent à leur tour ceux de Justinien et plus que tout autre « le très glorieux et très excellent maître de la milice, Solomon, préfet de Libye et patrice », dont le nom figure encore sur une grande inscription encastrée dans la muraille de la cité. Il releva donc les murs de la place et les mit dans l'état où les Arabes les ont trouvés et qui a subsisté jusqu'à nos jours. 136 TÉBESSA L'enceinte rectangulaire qu'il fit édifier, mesure 320 mètres de long sur 280 de large ; elle est renforcée par quatorze tours carrées et percées de trois portes placées sur les trois faces septentrionale, orientale et méri¬ dionale. L'une d'elles était constituée par un splendide arc de triomphe à quatre faces qui remonte au règne de Septime-Sévère et de Caracalla. On laissa ouvert, en le rétrécissant, l'arceau du Nord ; mais on mura les Plioto Neurdein. Tébessa. — Porte et remparts. baies latérales, sud et ouest du monument, qui devint de la sorte une des tours de flanquement de la place. A un autre endroit, sur la face sud-ouest, on a utilisé pareillement pour la construction un ancien édifice romain ; le mur est assis sur des restes qui doivent appartenir à la scène d'un théâtre ; sur ce point se voient des pilastres engagés et surtout de gros tambours de colonne, entassés à la hâte horizontalement. Les deux autres portes furent ouvertes dans la nouvelle muraille ; encore l'une.d'elles ne constitue-t-elle qu'une poterne sans élévation. La muraille qui entourait ainsi la ville byzantine mesure en moyenne deux L'ENCEINTE FORTIFIÉE 137 mètres d'épaisseur et atteignait autrefois neuf ou dix mètres de hauteur. Un chemin de ronde crénelé faisait le tour de la place, auquel on accé¬ dait par trois escaliers ménagés auprès de chacune des trois portes. Les tours étaient hautes' de 17 ou 18 mètres. Il n'existe aucune trace de fossé autour .de la place et l'on pouvait arriver de plain-pied jusqu'à la base du mur ; il est évident que si l'on n'en avait point creusé, avant l'époque de Justinien, alors que ce genre de défense était connu depuis longtemps, c'est que l'on considérait les for- - Photo Neurdein. Tébessa. — Porte Solomon. tifications comme plus que suffisantes pour résister avec succès à toutes les attaques des Maures, gens assez inexpérimentés dans l'art de la guerre. On a calculé que pour faire cette construction, il avait fallu deux ans et l'emploi journalier de 800 travailleurs environ. Aujourd'hui encore cette masse imposante de murailles a gardé toute sa majesté ; l'aspect en est solennel et grandiose. Qu'on juge du respect qu'elle pouvait inspirer aux indigènes du voisinage ou aux hordes noma¬ des du désert, habituées seulement aux escarmouches de cavalerie ou aux surprises de villes ouvertes. Si Tébessa nous présente le type de la ville forte d'Afrique à l'époque TEBESSA byzantine, sa voisine tunisienne, Haïdra, offre celui du château défendant une ville ouverte. Les dimensions en étaient considérables et la construction en tous points remarquable. Elle s'élevait sur le versant méridional d'une petite colline limitée par la rivière qui traverse la cité, l'Oued-Haïdra. L'eau y est courante en tout temps de l'année, chose rare en Tunisie et en Algérie, où l'on ne connaît guère que les torrents à débit intermittent. Sa forme est celle d'un immense quadrilatère très irrégulier de 200 mètres Haïdra. —Un coin de la citadelle. sur 110. On y pénétrait par plusieurs portes dont l'une donne sur un pont jeté en travers de la rivière, et formé d'une seule arche de 30 mètres de portée. La muraille était de loin en loin flanquée de tours carrées à l'excep¬ tion d'une seule, qui est circulaire. Le chemin de ronde qui faisait le tour de la place se distingue encore parfaitement aujourd'hui. Comme la décli¬ vité du sol est très prononcée, de temps à autre les différences de niveau étaient rachetées par des marches plus ou moins nombreuses suivant les endroits. A l'intérieur existaient des constructions militaires de toute sorte, comme on a l'habitude d'en accumuler dans les places de guerre, et une L'ENCEINTE FORTIFIÉE 139 église pour la garnison. La reconstitution qui figure à la page suivante et qui est due à M. Saladin, permettra de se faire une idée approximative de l'état ancien de cette forteresse, construite, au dire de Procope, par Justinien. Il faut se figurer de même toutes celles que l'Afrique nous a conser¬ vées, en particulier, la citadelle de Timgad qui, elle aussi, mérite une mention spéciale, bien qu'elle soit de moindres dimensions ; elle ne mesure Aïn-Tounga. — Un coin de la citadelle. que 120 mètres sur 80. Elle aussi date de la même époque et est l'œuvre de Solomon. « Malgré les brèches considérables qui en défigurent par¬ tiellement l'enceinte, a écrit M. Diehl, ses puissantes murailles qui, en maint endroit, atteignent une hauteur de 6 à 7 mètres encore, ont gardé une assez fière tournure et le front ouest, demeuré presque intact, offre avec ses fortes assises couvertes d'une patine dorée, un aspect tout à fait imposant. » Toutes ces forteresses, grandes ou petites, englobant des villes entières ou semées dans la campagne, nous donnent une haute idée de la puis¬ sance et de la vigueur des Byzantins. Lorsque ceux qui s'occupent de leur histoire, trop délaissée naguère, déclarent qu'ils ont accompli en Afrique 140 TÉBESSA une œuvre militaire qui tient du prodige, et que- sous leur autorité, et grâce à leur énergie, le pays, solidement défendu, fut prospère et floris¬ sant, ils disent l'exacte vérité. On peut presque répéter avec un poète du temps, en faisant toutefois sa part à l'exagération poétique : « Alors la tranquillité la plus profonde régnait dans le pays ; ni les guerres, ni les ravages des pillards, ni l'avidité des soldats ne venaient s'abattre sur le toit du paysan ; les propriétés étaient respectées. Alors Cérès prodiguait Haïdra. — Restauration de la citadelle (dessin de M. Saladin). (Extrait du Tour du Monde. — Hachette et O0, éditeurs.) - ses dons, alors les pampres étaient chargés de grappes et les arbres verts s'émaillaient d'olives brillantes comme des pierreries. Le soldat vivait heureux et paisible sur la terre ; partout le cultivateur avait commencé à planter des vignes et liant sous le joug ses taureaux dociles, il jetait gaie¬ ment la semence en faisant sur la montagne résonner son joyeux refrain. La paix était féconde et prospère ; partout le marchand chantait, le labou¬ reur était plein de joie, le voyageur était tranquille et les Muses venaient adoucir et charmer les travaux des hommes. » Basilique de Tébessa. Photo iNeurdein. CHAPITRE II LA BASILIQUE ET LE MONASTÈRE A 500 mètres environ de la porte dite de Caracalla, vers le Nord, en dehors de la ville, existent les restes d'un immense édifice ou plutôt d'une série d'édifices juxtaposés dont l'intérêt est considérable. Il est facile d'y reconnaître une église chrétienne avec toutes ses dépendances. C'est un des spécimens les plus complets qui existent; et, par cela même, il est nécessaire de nous étendre un peu sur sa description. Mais pour bien comprendre ce qui va être dit à son sujet, comme aussi au sujet d'autres églises, grandes ou petites, que je serai amené à citer, il est nécessaire de savoir que ces sanctuaires avaient tous même forme, mêmes dispositions intérieures. Ils constituaient un rectangle plus ou moins allongé,, précédé d'un vestibule et terminé par plusieurs salles 142 T É B ES S A réservées au clergé. Extérieurement, il faut se les représenter comme composés de trois parties de hauteur inégale. La partie centrale, plus élevée que les collatéraux, se prolongeait au-dessus- de ceux-ci, par un mur percé de fenêtres qui l'éclairaient ; les collatéraux, au contraire, n'avaient point de fenêtres sur l'extérieur et étaient couverts de toits en pente ou plus rarement en terrasse. Intérieurement l'église, partagée dans le sens de la longueur par des piliers ou des colonnes, comprenait une nef et des bas-côtés, souvent isolés les uns des autres par des barrières, séparations matérielles qui répondaient aux divisions adoptées au début du christianisme, les hom¬ mes n'étant pas mêlés avec les femmes dans les cérémonies du culte, ni les vierges avec les matrones. En face de la porte d'entrée se dressait l'autel, établi sur un sol surélevé, tantôt dans l'abside qui terminait d'ha¬ bitude la nef, tantôt entre les deux petits escaliers qui y donnaient accès, tantôt encore plus en avant vers le milieu de l'église. Généralement, il était fait de bois, reposant sur un cadre de pierre ou enfoncé par des montants dans le pavement ; il recouvrait un coffre à reliques ou des sépultures de saints ; une inscription, gravée sur la table même, ou sur le soubassement, indiquait la nature de ces reliques. Pour l'isoler, on l'entourait de clôtures, de balustrades en bois, ou en métal, de dalles même, ajourées et dressées de champ. L'abside, qui faisait le fond de l'édifice, était voûtée en cul-de-four ; c'est ce qu'on nommait presbyterium, partie du sanctuaire, vénérable entre toutes, où le clergé seul pénétrait. Là était disposée la chaise de l'évêque. A droite et à gauche, elle communiquait avec deux sacristies de même largeur que les bas-côtés et aussi profondes que l'abside. Nous allons retrouver tous ces éléments à peu près dans la basilique de Tébessa. On pénétrait dans l'édifice par l'extrémité sud-est ; après avoir suivi un couloir qui longeait la façade extérieure pendant une cinquantaine de mètres, on se trouvait en présence d'une belle porte monumentale très semblable à ces arcs de triomphe dont il a été assez longuement question plus haut, en particulier à l'arc de Caracalla : comme lui elle présentait deux colonnes dégagées accouplées de chaque côté de l'ouverture. On avait alors, on a encore devant soi, une grande avenue de plus de 50 mètres; le pavage en est demeuré en parfait état de conservation. Elle longe, à gauche, une grande place, entourée de trois autres côtés de plates-formes surélevées qui formaient promenoirs, et divisée intérieurement en quatre espaces rectangulaires par deux allées disposées en croix. Des clôtures de 144 T É B E S S A pierre, formées de dalles placées de champ, encastrées dans une série de piliers, limitent ces espaces et en interdisaient l'accès. On a émis sur leur nature différentes conjectures ; on y a vu des plates-bandes, des cimetières, un marché. Certaines constatations faites au cours des fouilles permettent de croire que les compartiments ainsi constitués étaient simplement des bassins dont l'eau, en s'évaporant, entretenait une fraîcheur singulière¬ ment ag-réable au milieu des chaleurs de l'été. Plus loin, limitant les constructions à l'angle sud-ouest, s'étendait une vaste salle, qui communiquait primitivement avec la place, mais qui fut remaniée ultérieurement. C'est, dans l'état actuel, une pièce de 50 mètres de long, divisée en trois nefs, à la façon des basiliques païennes ou des églises chrétiennes. Un détail frappe tout d'abord : les bas-côtés sont divi¬ sés, dans le sens de la longueur, par un mur bas sur lequel reposent des auges alignées ; chacune d'elles est surmontée d'une sorte de cadre rec¬ tangulaire, qui formait autrefois une niche ajourée, constitué par deux montants et un linteau de pierres de taille ; de plus ces montants, au voi¬ sinage des arêtes, sont percés d'œillets, en tout semblables à ces anneaux grossiers taillés à même les dalles, très communs dans les rui¬ nes africaines, auxquels il semble que l'on attachât la bride ou le licol des chevaux. Des salles annexes, à deux étages, complétaient jadis l'ensemble. Ces détails expliquent pourquoi l'on voit d'habitude, dans cette salle, une vaste écurie ; les auges servaient, dit-on, de mangeoires ; les sépara¬ tions verticales munies de trous recevaient les liens des chevaux dont le nombre pouvait être de 80; les salles annexes à deux étages étaient des¬ tinées à emmagasiner les fourrages. Resterait à expliquer quel rapport il y a entre une écurie et une basilique. C'est, répond-on, que les gens de la campagne venant à la basilique pour y faire leurs dévotions, ou encore un pèlerinage, trouvaient là un abri des plus commodes pour y laisser leurs montures ; des gardiens les soignaient moyennant une légère redevance et les leur rendaient en état d'entreprendre le voyage de retour. Solomon, ajoute-t-on, après avoir construit l'enceinte de Tébessa, dut utiliser ces écuries pour un poste de cavalerie ; en effet, derrière un petit portique, situé en face de l'édifice, de l'autre côté de l'allée centrale, se voit une autre écurie, beaucoup plus petite, où devaient être enfermés les chevaux des officiers : elle ne comprend que quatre auges. Tout cela est évidemment bien incertain et n'emporte guère la conviction. D'autres auteurs ont considéré la salle en question comme un réfec¬ toire. LA BASILIQUE ET LE MONASTÈRE 145 Sur le côté droit de l'avenue s'ouvre la basilique, précédée d'un esca¬ lier monumental de quatorze marches. A peine avait-on franchi la der¬ nière qu'on se trouvait sur un palier, profond de quatre mètres ; en avant règne une colonnade. Puis on pénétrait dans un vestibule, cour à ciel Tébessa. — Porte de la Basilique. ouvert, avec des portiques de tous côtés, à la mode des atrium ; une vasque de marbre en occupe le centre, disposée en forme de trèfle à quatre feuilles ; des grilles l'isolaient du reste de la pièce. Trois portes mettent cette cour en communication avec le corps principal de l'église, la porte centrale avec la nef, les deux autres avec les bas-côtés. Le sol en était recouvert d'une belle mosaïque ornementale, que le temps et les hommes n'ont malheureusement pas respectée. Deux rangées de colonnes 10 i46 TÉBESSA de marbre blanc et de granit bleu, accouplées, séparaient la nef des colla¬ téraux. Au fond s'arrondit l'abside plus haute de trois marches ; en avant s'étend le chœur que fermaient, du côté de l'église, des balustrades de pierres ; de semblables barrières existaient pareillement entre les colonnes pour empêcher les communications de la nef avec une partie des bas-côtés. L'autel s'élevait au centre du chœur, sur un cadre rectan¬ gulaire affleurant le sol. On voyait jadis, dans l'abside, un petit massif semblable de maçonnerie qui portait la chaire épiscopale ; il n'en reste plus trace actuellement. Tout cela devait être autrefois fort élégamment décoré. M. Alb. Ballu, qui a fait de l'édifice une étude particulière à la suite des fouilles qui ont été dirigées dans la ruine par le Service des monuments historiques de l'Algérie, croit que des placages de marbre et des mosaïques d'émail ornaient les murailles et les voûtes de la basilique. Les différentes parties de l'ensemble n'appartiennent pas à la même époque ; M. Gsell, après un examen attentif, a su distinguer très heureu- sementles agrandissements, les réfections, les additions survenus au cours des; siècles. La basilique elle-même est la plus ancienne construction. Elle date de l'époque de tranquillité qui suivit immédiatement le triomphe de l'Église, c'est-à-dire du IVe siècle, tandis que l'avenue d'entrée, avec les bassins et ce qu'on appelle les écuries, a été ajoutée, un peu plus tard, peut-être au début du v° siècle. C'est également à la première époque qu'appartenait une chapelle, acco¬ lée à l'église (p. 147), où l'on accédait par une porte ouverte dans la muraille du bas-côté de droite ; le sol en est au niveau de la grande allée centrale, soit de plus de deux mètres inférieur à celui de l'église. La forme ne manque pas d'originalité ; elle constitue un espace rectangulaire, cir¬ conscrit par des plates-bandes de marbre dont trois côtés sont flanqués d'absides demi-circulaires ; cette disposition en figure de trèfle et ses propor¬ tions harmonieuses lui donnent un aspect des plus gracieux. On y a décou¬ vert en 1867 un sarcophage de marbre qui sert aujourd'hui d'autel à l'église moderne de Tébessa. Au cours de fouilles ultérieures on découvrit d'autres tombes, mais celles-ci en mosaïque. La plus célèbre provient d'une petite pièce annexée à la chapelle; elle renfermait lès restes d'un évêque, Palla- dius, mort en 488 de notre ère ; sous la dalle funéraire, on retrouva les ossements parfaitement conservés ; le bois du cercueil s'était affaissé et dessinait le corps reposant sur une couche de feuilles de laurier, au milieu de fragments de suaire noirci ; la chevelure, brune, était intacte. Le centre LA BASILIQUE ET LE MONASTÈRE 147 de la pièce est occupé par un cadre en pierre qui s'enfonce sous terre, de manière à former un puits carré ; on y a découvert aussi des restes de sépulture. Mais comme on a constaté partout que le sol était de plus d'un mètre au-dessus d'un autre sol, pavé de mosaïque, on admet qu'il y a eu deux utilisations successives de la salle. Les tombes qui la remplissaient et le puits central destiné à contenir quelque corps ou simplement des reliques, et surmonté sans doute d'un autel, prouvent qu'elle servit de chapelle consacrée à une mémoire sainte, où des fidèles privilégiés furent ensevelis ; mais, au début, il semble plutôt que le cadre central était rem¬ placé par une piscine baptismale. On sait qu'il était d'usage alors d'ad¬ joindre à toute église un bâtiment distinct, peu éloigné du premier, où les catéchumènes allaient recevoir le baptême par immersion, suivant le rite usité. Ils enlevaient leurs vêtements dans quelque coin du baptis¬ tère disposé à cette intention, et descendaient dans une piscine, plus ou moins vaste, remplie d'eau bénite. ■K 148 TÉBESSA Plus tard ce baptistère primitif aurait été transformé; pour le rempla¬ cer, on bâtit une seconde petite chapelle, beaucoup plus simple, qui s'appuyait d'une part contre lui, de l'autre contre l'atrium, par où l'on y accédait. Pour celle-là, il n'est pas possible de conserver le moindre doute : au milieu se voit une cuve faite de trois gradins concentriques ; elle était, sans doute, surmontée d'un édicule soutenu par des colonnettes. Vers la même époque on entoura le massif central qui constituait pro¬ prement la basilique d'une série de salles contiguës, sans communication l'une avec l'autre, et ouvertes toutes sur l'extérieur. Pour les bâtir on fit des emprunts aux nécropoles païennes du voisinage ; des pierres tombales en forme de caissons, des stèles funéraires de toute sorte ont été employées dans la maçonnerie. Les portes de ces chambres sont étroites et peu éle¬ vées ; elles ne prenaient jour que par une ouverture ménagée au-dessus de l'entrée. Il est probable qu'à cette date la basilique était devenue le centre d'un monastère, et qu'il faut voir dans ces chambres des cellules de moines. En même temps aussi, sans doute, peut-être un peu plus tard, on englo¬ bait l'ensemble des constructions dont il vient d'être question dans une vaste enceinte fortifiée, munie de contreforts intérieurs, qui soutenaient jadis un chemin de ronde servant de communication entre des tours de défense, au nombre de six. On a souvent fait remarquer la disposition de ces tours. Au lieu d'être saillantes extérieurement, ainsi qu'il arrivait à l'époque byzantine, elles sont rentrantes, comme dans les camps romains, comme dans celui de Lambèse, en particulier. Peut-être doit-on en con¬ clure qu'une telle fortification n'était point destinée à faire de cet ensemble une avancée de la place voisine de Tébessa, mais à garder simplement le mqnastère contre toute surprise de pillards descendus des montagnes voisines ou débouchant du désert. La basilique et le monastère de Tébessa sont un des plus beaux spé¬ cimens qui existent en Afrique de l'architecture religieuse ; la masse imposante des constructions dont il se compose, la perfection relative de la main-d'œuvre, la qualité des matériaux employés font de l'ensemble une curiosité des plus instructives. Mais ce qui, pour l'historien et l'ar¬ chéologue, en constitue surtout le prix, c'est que nous avons là, sous les yeux, un type de monastère antérieur à l'époque byzantine. On sait que la floraison de la vie monastique en Afrique ne remonte pas au delà de la fin du IVe siècle. Pendant son séjour à Milan et à Rome, saint Augustin avait pu voir de près la pratique de l'existence cénobitique en Occident ; il résolut, à son retour en Afrique, d'en faire LA BASILIQUE ET LE MONASTÈRE 149 une première application. Il vendit donc quelques lopins de terre qu'il possédait à Thagaste (aujourd'hui Souk-Ahras) mais en ayant soin de garder une maison, située aux portes de la ville. Il s'y installa avec ses amis Alypius et Evodius : ce fut le premier noyau d'une communauté qui grossit peu à peu. Plus tard il fonda un véritable monastère dans un jar¬ din voisin de la ville d'PIippone, que l'évêque lui concéda. De là sorti¬ rent un certain nombre d'évêques qui, à leur tour, implantèrent, dans Photo du Service des Monuments historiques de l'Algérie. Baptistère de Tiragad. d'autres villes africaines, les habitudes monastiques. Dès la fin du IV0 siècle, Carthage avait ses couvents et bientôt tout le pays en fut cou¬ vert. « Pour voir avec quelle prodigieuse rapidité ils se multipliaient, avec quel zèle on les fondait, avec quelle facilité ils recrutaient leur popu¬ lation de cénobites, il suffit, écrit M. Diehl, de lire la vie de saint Ful- gence. On y voit le pieux évêque établir dans un court espace de temps plusieurs monastères en Byzacène : l'un dans les montagnes de la Tunisie centrale, à Mididi ; un second, également situé dans la province, dans une région fertile et protégée contre les invasions; un troisième à Rus- pae ; un quatrième dans les îles Kerkennah. » Il en existait ailleurs i5o TÉBESS A encore, près de Leptis Minor, non loin de Mahdia ; à Hadrumète, sur l'îlot rocheux d'El-Knéis ; à Tabarka. A l'époque byzantine, le mouve¬ ment renaît et s'étend : Solomon construit à Cartilage le couvent fortifié du Mandracium ; un monastère est fondé, peut-être aux environs de Kairouan, sous le vocable de Saint-Etienne, un autre à Kasrin, un autre encore à Monastir. De toutes parts les religieux y affluent ; des pays d'outre-mer même on vient chercher en Afrique le repos et la paix. Il n'est donc pas étonnant de rencontrer à Tébessa un monastère aussi nettement caractérisé ; on en a rencontré, on en rencontrera encore d'autres en Algérie et en Tunisie. Tout récemment, au cours des fouilles de Timgad, dans une partie des ruines éloignée du centre, on a mis au jour un grand ensemble, qui rappelle assez bien celui dont il vient d'être question. Là encore on a retrouvé une vaste église à trois nefs, accostée de chapelles, d'un baptis¬ tère remarquable, de logements de toute sorte ; et surtout toute une série de chambres qui occupe les faces intérieures du mur d'enceinte ; elles sont plus ou moins grandes — en général elles mesurent 3™,50 — et par suite elles étaient plus ou moins confortables ; mais toutes offrent le même aspect, qui est celui des cellules de Tébessa. En Tunisie, il a été signalé des couvents à Sbéitla et à Haïdra. De ce dernier je ne veux rappeler qu'un détail. Il possédait une église assez bien conservée. Or, dans cette église, entre la nef centrale et les bas-côtés, on voit des cuves tout à fait analogues à celles qui caractérisent la soi-disant écurie du monastère de Tébessa. Pour en expliquer la présence, on a cru pouvoir supposer que, lors de la conquête arabe, l'église aurait été con¬ vertie en écurie ; c'est ainsi qu'à Otrante, après la prise de la ville en 1480, les Turcs utilisèrent la cathédrale pendant le temps dè l'occupation pour y abriter leur cavalerie. Une autre particularité caractérise le monastère de Tébessa ; c'est la suite des modifications successives qu'il subit et par où son plan général se transforma peu à peu. Pareil fait est constant dans l'histoire des monuments de l'Afrique, tout particulièrement pour les édifices chré¬ tiens. Au moment où la paix vient d'être rendue à l'Église, parfois aupa¬ ravant, les fidèles élèvent une chapelle modeste, proportionnée au déve¬ loppement du christianisme dans la région et surtout à leurs ressources : c'est, la semence qui lèvera plus tard. Avec le temps, ce sanctuaire pri- mitif s'agrandit ; on double, on triple l'étendue de la nef ; on y apporte des colonnes, prises bien souvent aux édifices païens ; on les» surmonte LA BASILIQUE -ET LE MONASTÈRE 151 de beaux chapiteaux, empruntés aussi ailleurs ; on élève des chapelles annexes, des baptistères. Cet épanouissement du culte dure aussi longtemps que la prospérité du pays.' Puis viennent les jours de deuil, les invasions, les luttes intestines entre sectes chrétiennes, accompagnées de violences terribles, les razzias des indigènes, jaloux de leur indépendance : les églises sont violées, renversées, brûlées. On n'a pas les moyens matériels de réparer complètement le désastre ; il faut réduire la construction pour Photo du Service des Antiquités de la Tunisie. Haïdia. — Église. économiser la dépense; on supprime les bas-côtés, on diminue la lon¬ gueur de la nef ; on fait comme on peut pour accorder les nécessités du culte et les difficultés des temps. On redescend donc, par la force des choses, la pente que l'on avait montée ; la grande basilique redevient la petite chapelle qu'elle avait été à son origine, l'humble demeure de Dieu : elle avait suffi à la piété ardente des premiers disciples du Christ ; les derniers seront bien obligés de s'en contenter. Il serait aisé d'apporter à l'appui de ces faits des exemples aussi nom¬ breux que probants. Un seul suffira; nous le demanderons à une église de Tipasa, localité voisine de Cherche! et du Tombeau de la Chrétienne ; 152 TÉBESS A aussi bien son histoire est-elle mieux connue que toute autre et d'un intérêt particulier. Vers l'époque de Constantin, « vivait à Tipasa, nous dit une passion connue seulement depuis quelques années, une femme du nom de Salsa, jeune encore — elle n'avait que quatorze ans; elle s'était donnée tout entière au Christ, avait foulé aux pieds toutes les séductions et tous les plaisirs de la terre, sachant qu'elle n'était pas née pour le siècle. Ses parents étaient demeurés païens, mais le soleil de la vérité avait lui à ses yeux. Or, un temple s'élevait sur une colline rocheuse dominant la ville et baignant sa base dans les flots. Entre tous les édicules élevés aux démons, que la vieillesse faisait tomber en ruines, on en distinguait un qui ren¬ fermait un dragon d'airain ; la tête en était dorée et les yeux brillants comme des éclairs. Un jour vint où les parents de la martyre se réuni¬ rent à d'autres personnes pour vaquer à leur culte sacrilège; ils emme¬ nèrent avec eux leur fille. Dès leur arrivée, elle vit dans les édifices les danses en l'honneur des démons ; des rameaux de laurier tapissaient les murailles; le myrte et le peuplier verdissaient les colonnes; des cour¬ tines couraient dans les vestibules ; des voiles peints pendaient le long des portes et les pontifes profanes, montrant sous le luxe de leurs vête¬ ments une joie malsaine, promenaient de tous côtés des regards mépri¬ sants. La sainte frémit et poussa de profonds soupirs, maudissant le jour qui avait exposé à ses regards ces scènes d'impiété La cérémonie sacrilège terminée, chacun céda à l'ivresse du vin et de l'orgie. Alors Salsa s'introduisit courageusement dans le temple, enleva au dragon sa tête, encore ornée de couronnes, et l'envoya rouler à travers les rochers jusqu'à la mer. Quand les infidèles se réveillèrent, ils constatèrent le sacrilège, mais sans en pouvoir connaître l'auteur. « Bientôt elle revint dans le temple pour achever son œuvre; cette fois elle renversa le corps même du dragon, le poussa jusqu'au bord de la falaise et le précipita dans les flots. Les gardiens, avertis par le bruit, se jettent sur elle; la foule entière pousse des cris de fureur et de mort; on la prend et après lui avoir attaché les pieds et les mains, on la frappe avec des pierres et des bâtons ; enfin on l'achève avec l'épée, et on la jette secrètement dans la mer, ajoutant à la première cruauté celle de priver son corps de sépulture. Mais la mer reçoit ce corps et fait une molle couchette à ses membres meurtris; elle ne les brise pas contre les rochers, elle ne les laisse pas descendre jusqu'aux algues profondes : elle les pousse au port, comme doucement endormis, et lentement les laisse descendre près du lieu où doit s'élever son sépulcre. LA BASILIQUE ET LE MONASTÈRE 153 « A ce moment entrait dans la rade, par un temps magnifique, un Gau¬ lois du nom de Saturnin. Son navire passe au-dessus du cadavre de la martyre et s'y arrête; puis soudain le ciel se charge de nuages et une horrible tempête se déchaîne. Saturnin est averti une première fois en songe qu'il coulera avec son bateau s'il ne fait pas retirer le corps au-dessus duquel il est ancré; se croyant le jouet d'une hallucination, il ne donne pas suite à cet avertissement; mais le même songe s'étant trois fois Photo de M. Gsell. Tipasa. — Basilique de Sainte-Salsa. répété, il se décide à obéir; il se jette à l'eau et, Dieu aidant, touche la ceinture de la bienheureuse Salsa ; il prend dans ses bras le précieux fardeau et ramène à la surface cette perle du Christ. Les restes, ainsi sauvés, furent déposés dans une humble chapelle. » Voilà l'histoire de sainte Salsa, telle qu'elle nous est contée par un document de la fin du IVe siècle, quelque peu déclamatoire, mais plein de faits. Les ruines de Tipasa, habilement interrogées par M. Gsell, ont dit la suite. Sur une des collines où s'élevait jadis la cité romaine, sur celle de l'Est, s'étendait un cimetière païen. C'est là assurément que fut por¬ tée la jeune fille après sa mort; on la déposa d'abord dans la tombe d'une de ses parentes, riche matrone qui y était enterrée. Cette tombe, retrou- 154 TÉBESS A vée par M. Gsell, ne porte aucun signe de christianisme : on y lit l'épi- taphe suivante. « Consacré aux Dieux Mânes. A Fabia Celsa, mère très sainte, très rare, incomparable, morte à l'âge-de 77 ans, 2 mois, 27 jours et 9 heures; en souvenir de ses bienfaits, ses fils, ses filles, ses petits- enfants ont élevé ce monument à celle qui les éleva et qui consolida leur fortune. » C'était donc un tombeau païen ; mais le séjour de la sainte sous ce caisson de pierre l'avait rendu à jamais vénérable; on le respecta dans la suite au cours des différentes constructions élevées par la piété des fidèles sur cette première sépulture : lorsqu'on jugea qu'il convenait de le cacher aux yeux, on se garda de l'enlever : on le couvrit d'une maçonne¬ rie sous laquelle on le dissimula. L'humble chapelle dont parle le récit du martyre n'avait pas, en effet, de grandes dimensions ; elle ne mesurait que 15 mètres de chaque côté ; elle se terminait vers l'Est par une abside et possédait deux bas-côtés. Peu à peu, cependant, on l'embellissait; chaque génération y ajoutait quelque ornement, y apportait quelque offrande. Vers le milieu du Ve siècle, on étendit sur le sol une brillante mosaïque, composée de dessins géomé¬ triques de toute sorte. On y avait tracé, entre la tombe de sainte Salsa et l'abside, dans un cadre rectangulaire, une inscription versifiée qui ne laisse aucun doute sur la destination de l'édifice : « Ces présents que tu vois et qui rehaussent Véclat des saints autels sont l'œuvre et Voffrande de Potentius, fier de pouvoir s'ac¬ quitter au mieux de la charge qui lui est confiée. Ici est la martyre Salsa, plus douce que le nectar ; elle a mérité d'habiter toujours le ciel, au milieu des bienheureux ; elle se réjouit d'apporter au saint Potentius des faveurs réciproques et portera témoignage de ses mérites dans le royaume céleste. » Potentius est un évêque du pays, contemporain de saint Léon; on voit que c'est à lui que l'on devait la décoration de l'autel et de la basi¬ lique. Néanmoins, les dimensions de l'édifice restaient encore aussi res¬ treintes; on n'avait pas songé ou réussi à l'agrandir. Les événements qui marquèrent pour les catholiques africains la fin du Ve siècle n'étaient pas faits pour modifier cet état de choses. Sous le règne du roi vandale Hunéric éclata une violente persécution. Le pouvoir central voulut impo¬ ser aux gens de Tipasa un évèque arien ; mais ceux-ci, fidèles à leur croyance, refusèrent de se soumettre. Ils préférèrent l'exil à l'apostasie et LA BASILIQUE ET LE MONASTÈRE 155 s'embarquèrent pour l'Espagne. On a supposé qu'ils emportèrent avec eux, à cette date, les restes de leur sainte pour les sauver de la profana¬ tion. La basilique resta déserte et l'autel sans reliques pendant presque un demi-siècle. Quarante ans plus tard, la paix ayant été rendue à l'Église, on les aurait, pense-t-on, rapportées àTipasa. Alors pour leur donner un abri digne d'elles, on doubla la longueur de la chapelle, dont on fit une basilique, en reportant à 15 mètres en avant le mur de la façade ; sur les bas-côtés on éleva des tribunes ; enfin, au milieu du chœur, à l'endroit qu'occupait la tombe de Fabia Celsa, on édifia un grand socle de maçon¬ nerie revêtu de plaques de marbre et de décorations diverses, empruntées à des monuments antérieurs, et on plaça sur cette base un grand sarco¬ phage de marbre représentant les amours de Diane et d'Endymion, sujet assez mal approprié au milieu, il faut en convenir ; on y renferma les restes de la sainte et les fidèles continuèrent à affluer autour de ce tom¬ beau renouvelé. Les choses restèrent en cet état jusqu'aux derniers temps de la domi¬ nation byzantine. A cette date, faute d'argent pour entretenir la basilique, à la suite peut-être de quelque tremblement de terre ou simplement des ravages du temps, il fallut se résoudre à rétrécir la nef centrale; on le fit, en établissant en avant des anciens piliers qui soutenaient les bas-côtés une double colonnade, absolument barbare, faite sans aucun souci de la mosaïque de pavement, des tombes de toute sorte qu'on avait entassées dans l'église, ni même de la grille qui entourait le sarcophage de la sainte. Tout ne valait-il pas mieux que de laisser tomber en ruines la construction ? Plus tard encore un incendie, dont les traces sont demeurées parfai¬ tement visibles et qui fut, sans doute, allumé par la main des premiers Arabes envahisseurs, vint ruiner ce qui restait du monument. Les rares chrétiens existant à Tipasa, plutôt que d'abandonner les reliques de leur sainte sous les décombres, réédifièrent à la hâte, et comme ils purent, un semblant de chapelle. Ils se contentèrent d'entourer la partie de la nef où elles étaient déposées d'un mur grossier fait aux dépens de toutes les constructions voisines et même de l'ancienne basilique. La seconde inva¬ sion arabe jeta à bas ce pauvre sanctuaire, dont la terre, le sable et les herbes chaque année plus fournies nous ont conservé les restes précieux. Ainsi « humble chapelle d'abord, puis grande basilique à partir du VIe siècle, l'édifice élevé sur les restes de sainte Salsa ne fut au VIIe qu'un misérable oratoire. Puis vint la destruction totale; quelques gour¬ bis s'installèrent dans la ruine et le souvenir de la sainte s'effaça. » Photo iNeurdein. Tébessa. — Les remparts. CONCLUSION On comprendra maintenant pourquoi nous avons inscrit en tête de ce livre le nom des trois grandes villes : Cartilage, Timgad, Tébessa. Nous avons voulu symboliser par là les trois phases principales qu'ont traver¬ sées la vie et le développement de l'Afrique du Nord à l'époque ancienne. Cartilage, c'est la Phénicie prenant pied sur le sol africain, étendant sa domination par les armes et le commerce au milieu des indigènes, numides ou maures, qui occupaient le pays de toute antiquité, et répan¬ dant fort avant dans l'intérieur la civilisation méditerranéenne, asia¬ tique, égyptienne ou grecque, dont les navigateurs et les artistes puniques furent successivement les commis voyageurs et les élèves. CONCLUSION 157 Timgad, c'est Rome victorieuse d'Hannibal, de Jugurtha, de Juba, s'installant en souveraine au centre des populations remuantes voisines du désert, non pour les maintenir par la terreur, mais pour y créer un foyer de vie intense, fait à l'image d'elle-même, et gagnant peu à peu par le bien-être qu'elle apporte, autant que par l'éclat de son nom, le cœur de ces fils du désert et des Hauts-Plateaux, dont la seule ambition sera désormais de porter des noms latins, de revêtir la toge, de se gou¬ verner à la mode des municipalités italiennes, d'orner leur ville de mo¬ numents romains. Tébessa, c'est Byzance qui arrache le pays à l'usurpation vandale et au schisme aérien, qui ramasse le glaive tombé des mains de Rome vieil¬ lie pour défendre et sauver ce qui reste encore de la civilisation occiden¬ tale ; c'est une force nouvelle opposée aux peuplades indigènes avides d'indépendance, une dernière manifestation de l'autorité impériale ; c'est l'Afrique couverte de forteresses puissantes ; ce sont les églises catho¬ liques renaissant de tous côtés, agrandies, embellies, multipliées; c'est un semblant de renouveau de la « paix romaine ». Carthage, c'est, pour l'Afrique du Nord, le gai soleil qui se lève ; Timgad, c'est le plein soleil de midi; Tébessa, le pâle soleil du soir. A tous trois l'histoire doit pareillement de la reconnaissance, à l'un pour avoir dissipé l'obscurité de la nuit, à l'autre pour avoir inondé le monde de son éclat, au dernier pour avoir retardé, de quelques instants au moins, la nouvelle invasion des ténèbres. Il ne peut être question ici de citer les articles très nombreux, parus dans les pério¬ diques, relativement aux antiquités africaines, carthaginoises, romaines ou byzantines. Je me suis borné à citer quelques livres où le lecteur trouvera soit des généralités his¬ toriques, soit des études approfondies sur les trois villes qui font l'objet de ce volume. Aug. Audollent. — Cartilage romaine, Fontemoing. in-8°. Ern. Babelon.— Guide à Cartilage, Leroux, in-12. Alb. Ballu et R. Cagnat. — Timgad, une cité africaine sous l'Empire romain, Le¬ roux, in-4°. Alb. Ballu. — Les ruines de Timgad, Le¬ roux, 3 vol. in-8°. Alb. Ballu. — Le monastère byzantin de Tèbessa, Leroux, in-f°. Alb. Ballu. — Guide illustré de Timgad, Neurdein frères, in-8°. G. Boissier. — L'Afrique romaine, Ha¬ chette, in-12. R. Cagnat. — L'Armée romaine d'Afrique, Leroux, in-40. R. Cagnat et H. Saladin. — Voyage en Tunisie, Hachette, in-12. Ch. Diehl. — L'Afrique byzantine, Leroux, in-8°. P. Gauckler. — L'Archéologie de la Tuni¬ sie, Berger-Levrault, in-8°. St. Gsell. — Les monuments antiques de l'Algérie, Fontemoing, 2 vol. in-8°. BIBLIOGRAPHIE Pho to du Service des Antiquités de la Tunisie. Château d'eau de Zaghouan. TABLE ANALYTIQUE Announa. Arcs, p. 58. Bou-Giiara. Forum, p. 72., Bulla Regia. Maison, p. 118. Carthage. Byrsa, p. 14. — Temple d'Esculape, p. 16. — Forum, p. 18. — Ports, p. 18, — Citernes de Dermech, p. 20. — Théâtre, p. 24. — Odéon, p. 26. — Cirque, p. 27. — Amphithéâtre, p. 29. — Citernes de la Malga, p. 32. — Eglises, p. 32. ■Cherciiel. Antiquités, p. 42. — Aqueduc, p. 109. Djemila. Théâtre, p. 92. Dougga. Temple de Saturne, p. 36. — Temple de Caelestis, p. 38. — Mausolée libyco-punique, p. 39. Dougga. Forum, p. 73. — Capitole, p. 80. — Théâtre, p. 90. — Aqueducs, p. 109. Guelma. Théâtre, p. 93. Haïdra. Arc, p. 134. — Tombeau, p. 122. — Forteresse byzantine, p. 138. — Eglise, p. 150. Henchir-Chett. Maison, p. 120. Kasrin. Mausolée, p. 123. Khamissa. Tribune aux harangues, p. 66. — Forum, p. 72. — Table de mesures étalons, p. 72. — Théâtre, p. 93. Lambèse. Camp légionnaire, p. 50. — Temple d'Esculape, p. 86. — Tombeau de Flavius Maximus, p. 122. Mahdia. Statues trouvées en mer, p. 48. TABLE ANALYTIQUE Oudna. Maisons, p. 114. Sbéitla. Arc, p. 5g. — Capitole, p. 82. —- Aqueduc, p. 109. Sétif. Château d'eau, p. 110. Tébessa. Arc, p. 59. —- Temple « de Minerve », p. 8. — Enceinte byzantine, p. 136. — Basilique, p. 141. Timgad. Plan, p. 47. — Tracé de la ville, p. 54. — Portes, p. 66. — Arc« de Trajan », p. 68. — Rues, p. 60. — Forum, p..61. — Basilique, p. 62. Timgad. Curie, p. 63. — Tribune aux harangues, p. 64. — Statues du forum, p. 67. — Latrines publiques, p. 70. — Capitole, p. 76. — Temple du Génie de la cité, p. 83. — Théâtre, p. 88. — Thermes, p. 96. — Marché de Sertiûs, p. 98. — Marché de l'Est, p. 102. — Bibliothèque, p. 103. — Maisons, p. 111, — Forteresse byzantine, p. 139. — Monastère, p. 150. Tipasa. Basilique de Sainte-Salsa, p. 152. Tombeau de la Chrétienne, p. 40. Zaghouan. Château d'eau et aqueduc, p. 22 TABLE DES ILLUSTRATIONS Carthage. — Tombeaux puniques Plan de Carthage Carthage. — Tombeaux puniques Carthage. — Masque punique Carthage. — Masque punique Carthage. — Masque punique Carthage.—Sarcophage punique Carthage. — Masque punique Carthage. — Sarcophage punique Bijoux carthaginois g Carthage. —Déméter u Cuirasse d'un mercenaire carthaginois 12 Carthage. —Chapelle de Saint-Louis 13 Carthage. -—• Les ports . . . ^ Carthage. — Les citernes 17 Zaghouan. — Château d'eau jg Aqueduc de Zaghouan 21 Théâtre de Carthage. —Apollon 23 Timgad. — Une rue. Photo de M. le Dr Kouquette. II 162 TABLE DES ILLUSTRATIONS Carthage. — Théâtre 24 Les statues de l'Odéon de Carthage pendant leur restauration 25 Odéon de Carthage. — Junon 26 Odéon de Carthage. — Vénus 27 Odéon de Carthage. —Hadrien en costume héroïque 28 Procession dans les ruines de l'amphithéâtre de Carthage 29 EIDjem. —Amphithéâtre 31 Les citernes de la Malga , 33 Dougga. — Temple de Caelestis 34 Stèle dédiée à Saturne 35 Dougga. — Temple de Caelestis. . 36 Mausolée lib}'co-punique de Dougga après la restauration 37 Cherchel. — Tête colossale 38 Cherchel. — Tète colossalej. ... . 39 Cherchel. —Statue hellénisante 40 Eros en bronze (fouilles sous-marines de Mahdia) 41 Hermès de Dionysos par le sculpteur Boethos (Fouilles sous-marines de Mahdia). 42 Divinité punique ... 42 Lambèse. —Le camp, le Praetorium 44 Plan des ruines de Timgad (dressé par M. Alb. Ballu) 47 Lambèse. -— Cour d'une caserne romaine 48 Timgad. — Panorama 49 Timgad. — Le cardo 50 Timgad. •— Rue du Capitale ' . 51 Timgad. — Arc dit de Trajan 52 Sbéitla, — Arc de Dioclétien 53 Announa. — Arc 54 Dougga. — Arc dit Bab-Roumia 55 Announa. — Vue générale des ruines 56 Sbéitla. — Entrée de la cour du Capitole 57 Lambèse. —Arc de Septime-Sévère. 58 Khamissa. — Nymphée et théâtre 59 Timgad. — La tribune aux harangues 61 Timgad. — Entrée de la curie 63 Khamissa. — Un coin du forum 65 Plan des ruines de Dougga (Archives de la Direction des Antiquités de Tunisie). 67 Dougga. — Maisons en avant du Capitole 69 Dougga. — Place de la Rose des Vents 71 Dougga. -—-Coin est du forum 73 Gîghti. — Le forum 74 Timgad. — Le Capitole 76 Timgad. — Le Capitole 77 Timgad. — Les grands chapiteaux du Capitole 79 Dougga. — Le Capitole 81 Sbéitla. — Le Capitole (face postérieure) 82 Timgad. — Le temple du Génie de la cité 83 Tébessa. — Temple « de Minerve » 84 Lambèse. •—■ Temple d'Esculape 85 Tigzirt. — Temple du Génie de la ville 87 Timgad. —Théâtre 88 Dougga. — Théâtre 91 Khamissa. — Théâtre 93 Timgad. — La grande salle des Thermes du Nord 95 Timgad. — Sous-sol des Thermes du Nord 97 Timgad. — Sous-sol des Thermes du Nord 98 Timgad. — Marché. Les boutiques 99 TABLE DES ILLUSTRATIONS 163 Timgad. — Marché de l'Est 101 Timgad. —Cour d'entrée de la Bibliothèque 103 Timgad. — Bibliothèque 105 Ruines romaines à Volubilis (Maroc) 106 Aqueduc dans un ravin près Khamissa. 107 Cherchel.—Aqueduc • . . 108 Sbéitla. — Pont aqueduc ,109 Timgad. — Maisons 111 Timgad.'—• Maison de Sertius. Bassin de l'atrium . ... 112 Timgad. — Maison de Sertius. Bassin du péristyle . . 113 Timgad. -— Maison romaine 115 Déblaiement d'une mosaïque à Oudna 116 Timgad. — Mosaïque de la maison de Sertius 117 Sousse.—Mosaïque de Virgile . . 118 Bulla Regia. Maison romaine. . . 119 Henchir-Chett. — Maison romaine. Khamissa. — Un coin du cimetière Henchir-Zaâtli. •—-Mausolée. . . Kasrin. — Mausolée 120 12! - ' 123 125 Masque de satyre (fouilles sous-marines de Mahdia) . 126 Aïn-Tounga. -—■ Tour de la citadelle byzantine 127 Timgad. — La forteresse byzantine 128 Mdaourouch. — La citadelle byzantine 129 Lemsa. ■—- La citadelle byzantine 130 Haïdra. —Arc 131 Sbéitla. — Mur d'enceinte de la cour du Capitale ... 132 Tébessa. — Vue générale 133 Tébessa. — Arc de Caracalla 135 Tébessa. — Porte et remparts 136 Tébessa. — Porte Solomon 137 Haïdra. — Un coin de la citadelle 138 Aïn-Tounga. — Un coin de la citadelle 139 Haïdra.—Restauration de la citadelle (dessin de M. Saladin). (Extrait du Tour du Monde. — Hachette et Ci0, éditeurs1* 140 Tébessa. — Basilique 141 Tébessa. — Basilique. Plan cavalier et restauration par M. Alb. Ballu. (Extraits de Le Monastère byzantin de Tébessa. — E. Leroux, éditeur) 143 Tébessa. ■— Porte de la basilique 145 Tébessa. — Basilique 147 Timgad. — Baptistère . . 149 Haïdra. — Église 151 Tipasa. — Basilique de Sainte-Salsa 153 Tébessa. — Les remparts 156 Zaghouan. — Château d'eau 158 EIDjem.—Amphithéâtre 159 La baie de Tipasa • 160 Timgad. — Une rue 161 TABLE DES MATIÈRES CARTHAGE Chapitre premier.— La Carthage punique et la Carthage romaine . . . Chapitre II. — Ce qui reste de Carthage '. Chapitre III. — Sanctuaires puniques et tombeaux berbères TIMGAD Chapitre premier. — Histoire.-— Plan général, les rues, les portes. . . Chapitre II. — Le Forum Chapitre III. — Le Capitole,les Temples Chapitre IV. — Le Théâtre, les Thermes Chapitre V. — Les Marchés, la Bibliothèque Chapitre VI. — La vie privée, les maisons, les tombeaux TÉBESSA Chapitre premier. —L'enceinte fortifiée Chapitre IL — La Basilique et le Monastère Conclusion . . . Bibliographie Table Analytique Table des Illustrations mo. — ÉVREUX, IMPRIMERIE CH. HÉRISSEY . 8-27.. .. ; : -:v ' - —i 1 ■ — I . V-'^i :f ■•■, - 'irft'V> ' iWSM -ï^ivir ■„. s- ' " - ■ -• •'. .. ■m ;:;:ft'v ,r# i ^ : • -■;•■' ' ; ' ;'--v ■■■-■■■■■:■ " - . ■■■■•■.■ ■■;■■.,■..■■ ■■■..■■■.■:... .-. ■ ,■■..;■> ^ÙSjSBËW* '• §s -g ■ Y'- ' : ' ■ ■ ■ ■ /■ : Y y ." '.:r> ■ ^Y'yY-x -yry^^ïf ■ Mr- : ■" ■ • . . •. ' ■.-• - • • "" y. \ - il: :% sî*®î.I yYiS-.rCYy'.': s"tUy ■*. ;<:' «g- .,- '•■•.■••■■■ •' ■ Y'Y*'•■'.&!■■:■■•* ■ .'V.1 1 • <,<& X • •.. i ' ' -, " '■ '* ^ :,f " 1 , V ' v > r- " ; - ! ' , "r. '' / " ' r 'I *, u- ; * < . "• .y/y'J.'" ' ■ .. ' "y:■•'■■ Henri LAURENS, Editeur, 6, Rue de Tournon, PARIS (VIe) LES PROVINCES FRANÇAISES ANTHOLOGIES ILLUSTRÉES COLLECTION DE VOLUMES GRAND IN-8 (17,5X25), TRÈS ILLUSTRÉS La Touraine, par Henri Guerlin. L'Auvergne, par Louis Bréhier. La Bourgogne, par Calmetïe et Drôuot. Le Limousin, par j. Nouaillac. La Normandie, par Henri Prentout. La Franche-Comté, par Georges Gazier. Le Dauphiné, par Paul Berret. 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Les Fouquet de Chantilly, par H. Martin. Hôtels de Ville du Nord de la France, pT C. Enlart. La Galerie Médicis, de Rubens, pr L. Hourticq. Autun, par J. Bonnerot. L'Abbaye de la Chaise-Dieu, par J. Langi.ade. Colmar, par L. Réau. Noyon, par M. Aubert. Le Pays Basque, par Ch.-H. Besnard. Saint-Quentin, par A. Boinet. Verdun et Saint-Mihièl, par A. Boinet. Jérusalem, par Ch. Diehl. Louvain, par A. Fliche. Or San Michèle de Florence, par J. Alazard. Salonique, par Ch. Diehl, de l'Institut. Honfleur, par F. De ville. PETITES MONOGRAPHIES DES GRANDS ÉDIFICES DE LA FRANCE COLLECTION DE VOLUMES La Cathédrale d'Albi, par J. Laran. La Cathédrale d'Amiens, par A. Boinet. La Cathédrale de Bayeux» par J. Vallery-Radot. La Cathédrale de Beauvais, par V. Leulond. La Cathédrale de Bourges, par A. Boinet. La Cathédrale de Chartres, par René Merlet. La Cathédralede Clermônt-Fd, par H. du Ranquet. La Cathédrale d'Évreux, par G. Bonnenfant. La Cathédrale de Laon, par L. Broche. La Cathédrale de Limoges, par René Fage. La Cathédrale de Lyon, par Lucien Begule. La Cathédrale du Mans, par G. Fleury. La Cathédrale de Meaux, par F. Deshoulieres. La Cathédrale de Reims, par L. Dkmaison. La Cathédrale de Rouen, par A. Loi sel. La Cathédrale de Sens, par E. Chartraire. L'Abbaye de Gîuny, par Jean Virey. L'Abbaye de Fontenay, par Lucien Bégule^ L'Abbaye de Moissac, par JE. Angles. L'Abbaye de Vézelay, par Charles Porée. Palais des Papes d'Avignon, par G. GoLo.mbe. (20X13), TRÈS ILLUSTRÉS L'Église de Brou* par Victor Nodet. L'Église Sairit-Savin, par E. Maillart, L'Eglise Saint-Ouen de Rouen, par Masson. Le Château d'Anet, par A. Roux. Le Château de Chambord, par Ôenri Guerlin. Le Château de Coucy, par E. Lefèvre-Pontalis. Le Château d'Écouen, par C. Terrasse. Le Château de Rambouillet, par Henri Longnon. Les Châteaux de Touraine,, par Henri Guerlin. Le Château de Vincennes, par F. de Fossa. L'Hôtel des Invalides, par Louis Dimier. Le Mont-Saint-Michel, par Ch.-H. Besnard. Saint-Pol-de-Léon, par L.-Th. Légureux. Senlis, par Marcel Aubert. Souvigny et Bourbon-l'Archambault, par F. Dbs- houlières. Aigues-Mortes et Saint-Gilles, par A. Flichb. Chinon, par Eugène Pépin. Lisieux, par L. Serbat. : Loches, par J". Vallery-Radot. ; Pont du Gard, par E. Espérandieu; il ! 1111! 111 illl11 ii11111111 ii 111iii11 m ii 11111111111111111111111111111111111m||1111111|1111|||11||,11|1111|||11||,«111|1111||||:j| 11111j||1111| évrbux. imprimerie ch. hérisse y