EXCLU DU PRÊT UN 1VERSI TE DE NICE INSTITUT D'ETUDES ET DE RECHERCHES INTERETHNIQUES ET INTERCULTURELLES (I .D.E.R.I.C) Centre Associé de Formation aux Relations Intercu11ureI ! es. (C.A.F.R.I) LES ACTIONS DE FORMATIONS DES FEMMES IMMIGREES Quelques aspects sur les conditions sociales de leur développement en France. J oce I yne STREI FF Sous la d i rection scientifique de : Michel ORIOL. VlMi, ;cc«Aiov\ BIBLIOTHEQUE DE L'UNIVERSITE SECTION LETTRES 100. Bd Herrlot 06200 • NICE C.55É2, 099 0000203 bAA TABLE DES MATIERES INTRODUCTION. . INTERET DE L'EXPERIENCE FRANÇAISE : ASPECTS SPECIFIQUES, ASPECTS GENERAUX . MODERNITE, FEMINITE, EDUCATION ANALYSE DE ONZE PROGRAMMES DE FORMATION EN EN DIRECTION DES FEMMES IMMIGREES. I . PREALABLE METHODOLOGIQUE. Il . LE COUPLE OBJECTIF/BESOIN. III . LES CATEGORIES IDEOLOGIQUES DANS LA FORMATION DES FEMMES IMMIGREES. 1. Le thème du statut de la femme. 2. Le thème de la différence culturelle. IV . L * ILLUSION PEDAGOGI QUE. V . LE GROUPE DE FORMATION : UN ESPACE DEFINI PAR; LA CULTURE DOMINANTE. VI . VERS UNE AUTRE METHODOLOGIE : UNE FOR MAT I ON CENTREE SUR DES PROBLEMES ET S 'ADRESSANT A UN M ILI EU. CONCLUS I ON. ANNEXE. I NTRODUCT ION INTERET DE L'EXPERIENCE FRANÇAISE : ASPECTS SPECIFIQUES. ASPECTS GENERAUX. ~ L'anal yse des conditions sociales dans lesquelles les femmes immigrées en Europe occidentale sont soumises à des ac¬ tions de formation soulève un obstacle initial qu'on ne saurait méconnaître : comme, en fin de compte, le bilan des actions en¬ treprises à ce jour est à la fois mince du point de vue quantita¬ tif et peu satisfaisant du point de vue qualitatif, l'analyse proposée risque de n'apparaître que comme un exercice de récrimi¬ nation sté r îIe. A notre sens, une i nterprétatîon aussi négative relè¬ verait d'un malentendu : il ne s'agit pas d'évaluer dans la perspec¬ tive classique des sciences de l'éducation, des expériences dura¬ bles et des méthodes éprouvées. Le seul objectif pertinent qu'on puisse actuellement s'assigner est de comprendre d'une part, dans quelles conditions des projets destinés à couvrir un champ de for¬ mation relativement inexploré peuvent naître, se développer ou s'étioler, d'autre part, comment ces essais et leur devenir sont révélateurs de l'évolution des statuts familiaux et socio-profes¬ sionnels des femmes dans des termes auxquels parviennent diffici¬ lement des enquêtes purement théoriques. Parce-que sa tradition en matière de formation est plus idéologique que pragmatique, la France se trouve être actuellement un lieu priviiigié pour l'examen de ces deux questions : - Qu'en est-îl de la formation des immigrées, et que pour¬ ra it-eIIe être ? - Qu'est-ce que la réaction des femmes aux entreprises de formation exprime d'une histoire et d'une situation que l'on ne connaît et ne traite communément qu'en référence aux cultu¬ res et au sexe dominants ? Concrètement, ceci correspond à deux particularités de la France en ce domaine. En premier lieu, l'effort pour développer ce que le jargon des travailleurs sociaux appelle des "actions femmes", c'est-à-dire des opérations destinées à former et/ou animer qui soient explicitement conçues pour les femmes. Les autres pays d'Europe occ i dentaIe, si l'on excepte des expériences isolées, ne se posent en effet que la question de l'accès des femmes à des appareils de formation qui ne comportent fondamen¬ talement aucune différenciation selon les sexes. En second lieu, divers facteurs, dont, au premier chef, l'importance des communautés Nord-africaines en France où le taux d'activités des femmes est exceptionnellement faible, ont conduit à développer des actions pour les femmes qui n'exercent pas de métier. Ceci oblige les formateurs à tenter de centrer leur ac¬ tions sur le changement des rôles familiaux, sur l'apprentissage des relations quotidiennes dans un contexte culturel étranger. Ces deux aspects - travailler spécifiquement pour les fem¬ mes, et tenir compte d'une population exclue du marché du tra¬ vail - sont dans une relation à la fois évidente et problématique. Evidente parce que c'est la priorité accordée à la préparation au métier qui, en général, amène à considérer que la femme en tant que travailleuse, n'a pas de besoin de formation fondamentalement différente en ses lieux, en ses programmes ou en ses desseins de celle que l'on destine aux travailleurs. L'examen des structures de type F.P.A, qui ont leurs ana¬ logues dans tous les pays d'Europe, montre que les femmes Immigrées n * y font pas l'objet de pratiques spécifiques. S * i I fallait faire à leur propos une analyse, ce n'est pas de ce qui s'y passe qu'il faudrait traiter, mais d'un processus d'exclusion qui écarte les immigrées même des sections dévalorisées où l'on oriente la ma¬ jorité des femmes (dactylo, couture industrielle...). En revan¬ che le rôle de "femme au foyer" dessine une irréductible spécifi¬ cité pour lequel il a fallu inventer des programmes tenant compte des différences culturelles, si évidentes quand on évoque la vie domestique. Mais, en même temps, l'ambiguïté de cette situation et de ces programmes spécifiques va apparaître de façon patente. Car il est communément admis dans les pays économiquement avancés que c'est l'accès des femmes au marché du travail qui accélère leur relative émancipation. N'est-M pas dès lors contradictoire de vouloir à la fois oeuvrer à l'insertion des femmes de culture dite "traditionnelle" dans la société moderne et d'espérer y par¬ venir sans lever leur exclusion du marché de l'emploi ? Dans ces conditions, les expériences françaises peuvent apparaître à la fois sous un aspect bien particulier et très gé¬ néral. Dans leur spécificité, elles montrent comment les forma¬ tions traitent de problèmes strictement situés dans l'espace et dans le temps (l'application à la formation de la politique en vigueur depuis 1973 qui implique plus ou moins explicitement regroupement familial et assimilation). Mais en même temps, elles soulèvent des questions tout à fait fondamentales et qui se po¬ sent aussi bien dans les pays industriellement avancés que dans les pays en voie de développement : Qu'est-ce qui amène les femmes à moderniser leur condition sociale ? 4 Les réponses à cette question varient-elles légitimement se I on les eu I tu res ? Comment peuvent-elles se traduire concrètement dans les programmes et les méthodes des formateurs ? MODERNITE, FEMINITE, EDUCATION. Comme toujours, les projets expriment d'abord, bien da¬ vantage l'idéologie des formateurs - la culture dominante - que les "besoins" des formées - la culture dominée -. En règle générale, ils sont inspirés par les présupposés fondamentaux de l'idéologie de la modernité : la voie de l'éman¬ cipation des êtres humains est simple et unique, elle consiste à accroître l'autonomie de l'individu en diminuant la dimension et l'emprise de la famille, en renforçant le caractère volontaire et personnel de la participation à la vie associative, en intro¬ duisant la prévision et le calcul rationnel dans la façon d'envi¬ sager I 'avenir (I ). (I) Il est clair que dans le champ de cette idéologie de la moder¬ nité s'opposent, dans les pays industriellement avancés deux conceptions qui se posent comme mutuellement exclusives : l'une affirme que le libre marché des biens et du travail suffit à garantir l'autonomie des acteurs sociaux ; l'autre pose que seule l'adhésion aux luttes de la classe ouvrière peut condui¬ re à l'émancipation. On peut retrouver bien entendu, de telles oppositions dans les différents programmes de formation. Mais on ne rappellera jamais assez qu'elles font irruption, pour les imm i grées^dan s des champs de signification ou elles n'avaient pas de sens ni de place. Ce rapport n'a pas à prolonger la longue et lente remise en cause de ces postulats. Axé sur l'analyse de condition socia¬ le, il se Bornera à rappeler que l'échec de l'espoir d'assimila¬ tion chez les adolescents et les jeunes gens suffit, dans les communautés immigrées, à revitaliser une identité culturelle en quête de voies inédites. Porteuse des rôles les plus permanents - ce qui ne veut pas dire les plus stables - dans la vie familiale où s'élabore le sens de l'identité collective, la femme ne se trouve pas simplement, du coup, assignée à rattraper un retard : elle a à assumer les conflits, les contradictions, les ambiva¬ lences les plus clairement porteuses de changements relativement împrévisibI es. Ceci apparaît nettement dans la relation dialectique entre elle et ses enfants : éloignés d'elle par la scolarisation, ils s'en rapprochent par les échecs de l'adolescence, ou la re¬ prise des rîtes et des normes lorsqu'il s'agit de nouer les al¬ liances au sein du groupe. Grande est la tentation de ne considérer cette vivacité d'une culture sans doute transposée et amendée, mais toujours af¬ firmée, que comme une marque de l'échec du projét d'émancipation. Mais c'est sans doute que nous idéal isons nos propres pratiques. L'éducation n'a modifié profondément ni les rapports entre clas¬ ses ni les rapports entre sexe. La jeune immigrée subit plus encore que la Jeune Française cette situation qui la fait d'abord rêver d'être formée pour être hôtesse de l'air pour en venir à ne jouer que le rôle attendu dans la reproduction de la force de travail particulièrement im¬ portante lorsque le taux de fécondité faiblît chez les femmes du pays de résidence. Il n'est pas interdit de penser que la réaction des immigrées à ces conditions dominantes peut tracer pour l'ave- 6 nir des voies nouvelles, variables selon les groupes. Encore faut-il que les évaluations instituées puissent prendre en compte toute la dimension historique de ces enjeux. Trop souvent, la fixation d'objectifs "concrets" nrest qu'un moyen d'éviter le débat sur les buts à assumer clairement à moyen ou long terme. Les institutions ne reçoivent encore cette inter¬ rogation sur le sens social de ce qu'elles entreprennent que comme culpabilisante et stérile, et, nous le verrons, elles la neutra¬ lisent intégralement dès le début des enquêtes destinées à prépa¬ rer les programmes. 7 ANALYSE DE ONZE PROGRAMMES DE FORMATION EN DIRECTION DES FEMMES IMMIGREES I. PREALABLE METHODOLOGIQUE Dans la logique des considérations précédentes, nous nous sommes centrés sur l'analyse comparative d'un petit nombre dic¬ tions élaborées dans le cadre du dispositif des "Actions Nouvel¬ les" mis en place par les Pouvoirs Publics dès le mois de Janvier 1976. Les objectifs assignés à ce programme sont définis dans le Protocole Général d'Accord présenté par le Secrétaire d'Etat aux travailleurs immigrés le 8 Octobre 1976 : il s'agît "de ren¬ dre possible, grâce à une stratégie concertée entre organismes le renouvellement de la politique de formation générale et linguis¬ tique" et de "favoriser la généralisation de l'innovation" (I). Du fait du caractère pilote donné volontairement aux Actions Nouvelles par les Pouvoirs Publics, les actions dont nous allons rendre compte dans les pages qui suivent ne peuvent-être considérées comme un échantillon représentât!f de l'ensemble des opérations de formation menées en France en direction des fem¬ mes m i grantes. (I) Le développement d'une politique de formation spécifique aux travailleurs migrants et à leurs familles traduit la difficul¬ té d'ajuster à la situation des Immigrés les bénéfices de la loi de 1971. Les limites d'un appareil législatif non d i serim i nat i f apparaissent notamment de façon patente en ce qui concerne la formation des femmes migrantes exclues pour la majorité d'entre elles du marché du travail. 8 De façon générale, l'inertie du paternalisme colonial est si lourde que la majorité des institutions de formatton continue de soumettre les femmes étrangères à un régime inspiré par l'éducation catholique des jeunes filles, manifestement ina¬ déquat pour des femmes généralement mariées et chargées d'enfants, vivant. la condition du milieu ouvrier et étrangères à la chré- tieneté. Et l'on verra plus loin qu'une influence diffuse de ce modèle persiste dans certains éléments de programme. D'autre part, le fait que, parmi les onze projets que nous avons examinés, aucun n'envisage l'apprentissage linguisti¬ que indépendamment de sa liaison à d'autres contenus, indique un souci de conférer à la formation des femmes un aspect "fonction¬ nel" (I) qui est loin d'être de mise dans la plupart des actions actuel lement menées en direction des femmes migrantes. Toutefois, le cadre expérimental dans lequel s'inscrivent ces actions présente l'avantage, en offrant è des institutions de statut très divers l'occasion de confronter leurs points de vue, de laisser se dégager de façon relativement claire les op¬ tions en présence et les orientations qui se dessinent. Nous avons examiné, dans cette optique, les onze projets mis en oeuvre par le groupe de travail "Femmes" des Actions Nou¬ velles et les bilans présentés à l'issue des opérations. Ces actions s'insèrent toutes dans un contexte urbain. (I) Nous employons ce terme en référence au débat suscité par la mise sur pied du Programme Expérimental Mondial d'Alphabéti- » sation, en précisant toutefois que c'est ici de fonctionnalité sociale et non économique qu'il s'agit. 9 Le tableau en annexe les caractérise du point de vue de leur localisation, du programme quTelies mettent en oeuvre et du public qu'elles touchent. Etant donné la diversité des pédagogies et les variations considérables dans la prise en considération des différents fac¬ teurs d'un programme à l'autre, il n'était pas possible de les Soumettre à un traitement en terme d'analyse factorielle. Nous avons donc adapté une démarche combinant l'analyse comparée des documents à l'observation directe rendue possible par notre parti¬ cipation aux travaux du groupe. 11• LE COUPLE OBJECTIF/BESOIN. La première remarque qui s'impose est que la définition des objectifs n'est que très rarement le fait des individus concer¬ nés par l'action de formation. Parmi les onze projets que nous avons examinés, un seul constitue une réponse de l'organisme de formation à une demande spécifique des femmes migrantes qu'il n'a pas contribué à provoquer et qu'il est dans l'incapacité de prendre en compte dans le cadre de ses activités habîtueI I es. (A9) Le fait qu'il s'agisse du seul projet à objectif directe¬ ment professionnel (obtention du C.A.P Sténo-dactylographie) n'est évidemment pas le fait du hasard. On peut faire l'hypothèse que c'est dans tous les aspects touchant è la vie professionnelle que l'utilité d'une formation est le plus vivement ressentie, et que celle-ci à la possibilité de s'intégrer dans une stratégie auto¬ nome du sujet en tant que moyen privîligié tendant à l'accomplis¬ sement d'un projet personnel : insertion dans le marché de l'em¬ ploi, promotion professionnelle, amélioration des conditions de vie ... 10 Dans tous les autres cas, les objectifs sont fixés par Irinstitution de formation, !a méthodologie couramment employée pour les déterminer étant l'analyse des besoins. C'est donc en tout premier lieu, la notion de besoin qu'il convient d ' interroger. Nous ferons porter cette interroga¬ tion sur deux points : - Quels moyens techniques l'institution met-elle en oeuvre pour analyser ces besoins ? -Quelle relation établît elle entre ces besoins et les objectifs de la formation ? Deux projets font état d'interviews réalisées auprès des femmes concernées, dans un cas au moyen d'une réunion de sensi- bilisation au cours de laquelle les femmes étrangères sont Invi¬ tées à exprimer leurs demandes, dans l'autre au moyen d'une en¬ quête plus systématique confiée à des spécialistes. Dans les deux cas on s'aperçoit que les besoins exprimés ne sont en fait que le reflet fidèle des possibilités objective¬ ment offertes par les institutions de formation : alphabétisation, apprentissage ménager, couture, etc... "Chacune a exprimé son désir de faire de la couture, ou de la cuisine, parler français ou l'écrire ou le lire" (Al). Or, face à ces mêmes demandes stéréotypées, les réactions des institutions seront sensiblement différentes selon que les "besoins" concordent ou entrent en contradiction avec les objec¬ tifs qu'elles se sont préalablement fixés. Dans !e premier cas (Al), où les compétences des forma¬ trices (recrutées avant l'enquête) et le dispositif institution¬ nel (salle de classe, horaires, etc) correspondent bien à la prise en charge d'une demande de ce type, les "besoins" expri¬ més sont présentés comme une preuve de l'adéquation entre la for¬ mation proposée et les demandes des femmes. f Ce comportement est typique de la plupart des "actions femmes" ; on s'aperçoit, cependant, qu'une fois ce type d'action mise en place, les femmes qui étaient supposées l'avoir "deman¬ dée" la suivent de façon très irrégulîère et finissent, pour la majorité d'entre elles, par y renoncer sous divers prétextes. Cet¬ te situation exp! ique que, pour l'essentiel, le débat sur la spé¬ cificité des actions femmes porte sur la "motivation", soit qu'on déplore l'inconstance des femmes migrantes ("eI les ne savent pas ce qu'elles veulent") soit, qu'on en fasse un problème technique (comment accroître, maintenir la motivation) sans que soient ja¬ mais remis en cause les objectifs de la formation, pu Isqu' i I s sont censés traduire des "besoins". Dans le deuxième cas, (A8) où l'action de formation se situe dans uncadre expérimental, l'institution voulant donner à ce projet un caractère résolument novateur, les besoins détectés sont carrément rejetés : "A la suite de ces entretiens, il est apparu que les I femmes interrogées étaient, la plupart du temps, in¬ capables non seulement de formuler leurs besoins, mais également de les percevoir.... L'action menée, ne pouvant donc pas être déduite de l'expression de leurs besoins priorîtaîres, a été définie par les 12 animateurs en fonction d'objectifs très généraux". Ces. deux exemples illustrent bien !e caractère illusoire et souvent auto-justificatif des pseudo-enquêtes par interviews menées en préalable à la mise sur pied d'une action de formation. D'une part, le fait que des sociologues parlant la langue des po¬ pulations interrogées et disposant de plusieurs mois, aient obte¬ nu des résultats aussi peu significatifs que des non spécialistes au cours d'une réunion hative, prouve bj.en que ce ne sont pas tant les conditions de recueil qui sont en cause que la forme même de communication que représente l'interview. L'erreur ethnocentrique consiste à postuler de la part des formés une représentation de la formation qui permette de l'intégrer d'emblée à une stratégie. Or, cela supposerait : - d'un point de vue cognitif, une notion du découpage tem¬ porel en terme de projection dans l'avenir qui est caractéristi¬ que des sociétés industrielles. - d'un point de vue social, un statut personnel permettant la définition d'un projet de vie individuel qui est loin d'être ce lui. des femmes immigrées. Il apparaît d'autre part., que la recherche des besoins s'Inscrit le plus souvent dans une typologie de réponses préfor¬ mées, les Institutions disposant par avance d'un éventail déter¬ miné de possibilités qu'il est fort rare de les voir remettre en question . Trois organismes poussent cette logique jusqu'au bout, en faisant référence directement aux besoins de l'institution, sans s'interroger sur ceux des femmes migrantes. On trouve ainsi, I 3 dans la rubrique ''Analyse des besoins": - extension des activités de l'organisme. - accroissement de la fréquentation du centre. - amélioration de la formation des formatrices. - recrutement du personnel. - augmentation du budget. - resserrement des liens avec drautres institutions. Enfin, dans quatre cas, on se contente d'énumérer les besoins supposés sans préciser la méthode utilisée pour les dé¬ tecter. On trouve alors des formulations du type : "Cet isolement fait surgir, un énorme besoin de" (A 10) ou "quelque soit leur niveau de connaissance du français parlé, ces femmes ont besoin de„." (A4). Ces assertions sont toujours précédées d'une description de la situation des femmes migrantes, dans laquelle il est large¬ ment fait état de leur "isolement", de leur "incompréhension", de leur "dénuement culturel". \ Construit à partir de la projection idéologique de l'ima¬ ge que se fait le formateur de la femme migrante, le besoin est définit en creux, comme un manque, une lacune à combler, un déca¬ lage par rapport à une norme, celle de la société dominante. Ainsi, de la même manière que l'isolement "fait surgir" le besoin de commun Ication, l'incompréhension suppose le besoin de connaissance, et le dénuement culturel celui d'express îon . Les réponses à ces lacunes constituent les éléments d'un véritable catalogue de "savoir être" dont le maître mot présent I 4 à une exception près dans tous les projets serait "autonomie", définie de façon très générale comme un attribut spécifique de la "personne humaine", indéfiniment transposabIe à toutes les si¬ tuations, et non pas comme l'ensemble des capacités opératoires par rapport à des prat i ques. Ce qui frappe le plus, en effet, à la lecture de ces onze projets, c'est qu'ils sont globalement beaucoup plus sembla¬ bles au niveau des objectifs qu'ils se proposent d'atteindre qu'au niveau des contenus et de la pédagogie. Des objeet ifs aussi for¬ me I s que : - "viser à I 'autonomie des stagiaires" (A4, AIO), - "favoriser la maîtrise du cadre de vie (A8), - "viser à 1 'épanou î ssement de la personne" (A2) peuvent fort bien recouvrir des contenus de formation aussi divers que l'alphabétisation, l'apprentissage ménager, la fabrication d'objets artisanaux, la gymnastique ou la dynamique de groupe. Dans tous cas, les bilans feront état d'une "plus grande aisance dans la relation", (A2, A6) d'une "prise en charge accrue par les femmes de leurs problèmes", (A5) d'une "plus grande autonomie", (A6, A 10) etc.. En raison de la multitude et de l'imprécision des objec¬ tifs énoncés dans les différents projets, il a donc été impossi¬ ble d'opérer une quelconque classification entre eux à ce niveau. Seul le projet qui vise directement à l'entrée dans la vie profes¬ sionnel énonce de façon précise, à la fois son objectif (accès à la préparation du C.A.P de sténodactylographie) et les critères que se donne l'institution pour l'évaluer (taux de réussite à I 'examen.) 15 Cette exception souligne l'extrême difficulté qu'ont les institutions de formation à définir des objectifs dans tous les domaines extérieurs au travail productif et des évaluations au¬ tres que bureaucratiques. Alors qu'en ce qui concerne la formation des travai I leurs migrants, la question : "une formation pourquoi faire ?" s'est trouvée d'emblée au centre du débat idéologique, témoignant de la contradiction entre le projet de qualifier la main-d'oeuvre étran¬ gère et les conditions économiques qui déterminent la migration, il semble, qu'en ce qui concerne la formation des femmes, le consen¬ sus sur des objectifs énoncés en termes très généraux traduise le fait qu'en raison de I' "inactivité" de la plupart des femmes mi¬ grantes, les effets attendus de leur formation soient de toute façon d'une importance sociale si minime qu'il ne vaille pas la peine de s'attacher à les préciser et à les évaluer. III. LES CATEGORIES IDEOLOGIQUES DANS LA FORMATION DES FEMMES IMMIGREES. Le débat idéologique se déplace ainsi sur le problème du choix des contenus et se centre sur la question : "qu'est-ce qu'on fait faire aux femmes en formation" 2 Les contenus de formation proposés par les différentes institutions peuvent être analysés à partir de leur position au sein de ce débat, notamment par rap¬ port aux deux grands thèmes qui le structurent, celui du statut de la femme et celui du traitement de la différence culturelle. I . Le thème du statut de La femme. En fonction du premier thème, les contenus de formation s'organisent autour de l'opposition intériorité/extériorité par 16 rapport à l'espace familial. I * I A.im pôle, on trouve les formations axées sur l'apprentis¬ sage du rôle féminin domestique, stigmatisées dans un projet (AIO) comme "la trilogie traditionnelle deila femme soumise : couture, cuisine, tricot".. On peut y ajouter puériculture, décoration, etc. Ce type de formation se trouve rarement "à l'état pur". On seul projet se limite à définir le contenu de la formation qu'i propose comme un "perfectionnement du rôle de maîtresse de maison" Ail). Dans les autres cas, on trouve plutôt des formulations du type "la cellule familiale et ses relations au monde qui I'entou- éf re (A4). A côté des contenus directement liés aux tâches ména¬ gères, on note alors des références à I' "extériorité", le dehors étant toutefois circonscrit par les nécessaires incursions dé la parfaite "maîtresse de maison" dans le monde extérieur : la con¬ naissance du quartier, liée aux tâches d'approvisionnement, la visite de l'école ou du centre médical, en relation avec le rôle materne I etc... 1.2 A l'autre pôle, on trouve d'une part, les formations dont le contenu est purement technique et lié à l'activité pro¬ ductive. Elles sont extrêmement rares (un seul cas A9) en rai¬ son de la position particulière qu'occupent les femmes migrantes sur le marché du travail. En effet, les caractéristîques du tra¬ vail féminin (carrières "féminines") combinées aux caractéristi- ques des emplois réservés aux travail leurs immigrés (basse quai i- fication, faible rémunération), les cantonnent le plus souvent dans les emplois domestiques, ce qui au niveau du contenu, renvoie à une formation du premier type, baptisée pour l'occasion : "éco- I 7 nomie fam î i ia Ie". Egalement caractéristiques de ce pôl-e sont les formations de type "conse I ent i sat i on" qui visent à la prise de conscience par les femmes de leur "aliénation" (I). LMdée dominante est, drutiliser la discussion de groupe sur des sujets variés pour amener les stagiaires à : "prendre conscience de leur jugement, de leurs possibilités d'analyse, de critique et d'évo¬ lution" (A I0) . Présentées dans plusieurs projets, ces discussions mettent en avant des thèmes choisis explicitement en fonction de l'élar¬ gissement de perspectives qu'ils offrent par rapport à l'espace domestique. Relevons à titre d'exemple : le travail, la pollution, l'immigration, la commune, les élections. Notons toutefois, que les résistances très vives qu'op¬ posent le plus souvent les femmes mi.grantes à cette entreprise "d'émancipation" (la contraception en offre un exemple particuliè¬ rement significatif), semble indiquer que les termes autour des- (I) On pourra trouver hasardeux la juxtaposition de deux types de formation (la formation technique et la "conseientîsation") qui représentent généralement deux options rivales et incom¬ patibles. Il apparaît toutefois que l'opposition entre humanis me et fonctionnalisme qui domine par ailleurs le champ de la formation est secondaire en ce qui concerne la formation des femmes par rapport è l'opposition, dont nous faisons état, en¬ tre une option tendant à confirmer les femmes dans le statut qui leur est socialement prescrit et une option tendant è modî fier ce statut. I « quels ce débat s'organise ne trouvent de pertinence que par rapport au système de significations relatif au statut de la femme à l'intérieur de ia société dominante. 2. Le thème de la différence culturelle. Relativement au second thème, la formation des femmes migrantes est traversée par l'opposition : adaptation à la société d'accueil valorisation de la culture d'origine. 2.1 A un pôle, on trouve les formations dites "apprentissage de la vie moderne" ou "maîtrise du cadre de vie" dans lesquelles les spécificités culturelles des populations concernées sont im¬ plicitement tenues pour autant de freins ou d'obstacles qu'il s'agit de surmonter pour favoriser une bonne intégration dans la société d'accue îI . Plus qu'une transmission de connaissance, c'est une modi¬ fication des attitudes qui est ici visée, dans les domaines les plus divers : - Modification des habitudes alimentaires par le biais des programmes de diététique et d'hygiène. - De la perception du temps : apprentissage des horaires de la ponctualité. Comme on le mentionne dans un rapport, il s'agît de : "passer peu à peu d'activités ponctuelles et non suivies à des activités suivies et program¬ mées dans le temps". (A2). - des habîtudés de consommation : 19 "apprentissage du secteur commercial, étude de budgets, des systèmes de prêts, plan de crédit, ete... " (A7) . des habitudes éducatives par le biais des programmes de puériculture (apprentissage des techniques de soin des nourris¬ sons) . - des modes de sociabilité : "savoir-vIvre : la présentation, l'amabilité, la hiérarchie" (Ail). - du sens esthétique : "notion d'harmonie des couleurs" (AN). Fortement marquée par l'idéologie de la modernité, ce type de formation vise avant tout à faire des étrangères des "étrangères évoluées". 2.2 A l'opposé de cette conception, on trouve les formations directement inspirées par le souci de revaloriser les traditions culturelles des populations immigrées, dont le contenu consiste essentiellement dans l'apprentissage des techniques artisanales, en vigueur dans les sociétés dont les stagiaires sont originaires. Un projet propose ainsi des activités de poterie et de tissage, présentées comme l'occasion de : "rompre avec la domination culturelle qui pèse sur ces femmes, en leur restituant leurs cùltures, leurs valeurs, leurs savoir propre, leurs priori¬ tés". ( A I 0 ) . 20 Ailleurs, les ateliers artisanaux s'insèrent ' dans un vaste programme dénommé "développement des cultures d'ori¬ gine", offrant également des séances de cinéma et des cours d'alphabétisation en langue maternelle et une animation autour des fêtes traditionnelles (A5), Dans un troisième cas, on propose de la broderie portu¬ gaise, des chants et des danses traditionnels, du tissage de perles (artisanat maghrébin) (A8). La principale difficulté rencontrée par ce type de for¬ mation, outre le fait que les profonds changements économiques et culturels en cours dans les pays d'origine, tendent de plus en plus à reléguer ces techniques au rang de vestiges folklori¬ ques, provient de ce que le caractère gratuit des travaux effec tués apparaît vite face aux problèmes pressants que rencontrent les femmes immigrées dans leur vie quotidienne. IV. L' I LLUSI ON PEDAGOGI QUE. Tant qu'on ne s'attachera pas à réduire les décalages entre les contenus de formation et les problèmes à la fois con crets et actuels que rencontrent les femmes immigrées dans leur pratique sociale, le refus de la relation dominant/dominé ne pourra que se cantonner à la remise en cause, hautement symboli que des termes dans lesquels s'effectue le processus pédagogiqu A lire attentivement les onze projets qui constituent I base de cette étude, il parait toutefois impossible de dégager une conception réellement systématisée qui s'oppose au modèle scolaire, tel qu'il est intégralement appliqué dans les cours d'alphabétisation traditionnels. Tout au plus trouve t-on de ma 2 I nière éparse ia remise en cause de ses signes les plus manifestes. Rappelons brièvement (!) que la logique du modèie scolaire repose sur l'homologie entre trois sortes de hiérarchies : 1 - la hiérarchie des savoirs qui ordonne les divers types de connaissances en paliers succesifs tels que, le suivant dépas¬ se en valeur le précédent. - la hiérarchie des statuts qui impose l'organisation verticale des communications entre formateurs et formés. - la hiérarchie des titres qui suppose la régulation par les examens standardisés. L'influence de ce modèle reste très prégnante dans tous les programmes qui visent à la transmission de connaissances lin¬ guistiques ou techno-scientifiques, dans lesquels les enseigne¬ ments sont ordonnés en fonction d'une progression linéaire allant de l'apprentissage de la lecture/écriture à la formation techni¬ que. On trouve ainsi dans un projet une "étude du cursus',' "al lant du niveau 00 au niveau fort susceptible de déboucher sur une préformation professionnelle "(A6). Dans ce schéma, la préformatîon est présentée comme une "mise à niveau" conçue en terme de rattrappage scolaire qui amè¬ ne le stagiaire à un paiîer supérieur de connaissances, l'alpha¬ bétisation constituant l'étape première et indispensable de cette (I) Pour une analyse plus détaillée, on se reportera au document préparé par la section d'évaluation et de recherche de la division de l'alphabétisation de l'UNESCO : Evaluation glo¬ bale du programme mondial d'a Iphabétisation.Document technique I I I . A pa raî tre . 22 progression. Les tentatives d'organiser les apprentissages à partir des situations concrètes sont exclusivement le fait des forma¬ tions à très faible contenu technique : maîtrise du cadre de vie, initiation à la vie moderne, formation ménagère, qui se trou¬ vent êtreen même temps celles qui se situent explicitement hors de la sphère du travail productif. Par contre, dans tous les cas où la possibilité d'un débouché professionnel est évoquée, même de façon très vague, les références au contrôle institué (examens, tests psycho-techni¬ ques) imposent la nécessité de sanctionner le statut des connais¬ sances acquises. La volonté de se démarquer des références à !lécole, se manifeste surtout par l'effort dont témoigne la plupart des do¬ cuments, de substituer à la relation traditionnelle maître/ élève, un mode d'organisation des communications basée sur le recours aux processus de groupe. La mise en place d'une pédagogie "non directive" est souvent liée chez les formatrices au refus de la domination cul¬ turelle et aboutit dans sa forme extrême à poser l'équation : "Nous ne voulons pas le pouvoir" = "nous n'avons pas le savoir". Le rôle de l'animatrice est ainsi défini dans un projet comme avant tout - une présence et aussi - celui de "révéIateur". . proposer . susc iter . favoriser 23 t participer comme stagiaire . accepter d'être à !a place de "celle qui ne sait pas". ; . renverser les rôles enseîgnant/enseîgnéa . se mettre en apprentissage". "chaque membre du groupe, animatrice ou stagiaire devient formatrice ou formée selon ses compétences et ce qu'elle a envie d' apprendre". (A ! 0). Pour sympathiques que soient ces tentatives de rétablir Inégalité dans l'échange, il semble quelque peu illusoire de mé¬ connaître la réelle différence pratique qu'il y a entre les sa¬ voirs respectifs des formatrices et des immigrées, et notamment le fait que les savoirs n'ont pas la même utilisation fonction¬ nel le pour les unes et pour les autres. Ce que la femme immigrée est en mesure de transmettre à la formatrice (technique de la poterie, recettes culinaires, etc) peut constituer pour cette dernière un agréable passe-temps. Par contre, l'acquisition des savoirs dont la formatrice détient la clef (connaissance des Institutions, maîtrise de la Iecture/écriture ou de la langue), est pour la femme immigrée af¬ faire de survie économique. L'illusion pédagogique consiste justement à croire qu'il est possible de rétablir la symétrie de l'échange à partir d'un mode de fonctionnement non directif allant jusqu'à la négation symbolique parles formatrices de leur savoir/pouvo i r. En fait, l'absence de prise en compte de la réalité sociale qui est celle des femmes migrantes, fait que celles-ci 24 ne sont jama's définies par autre chose que ce qui les rassemble hinc et nunc du peint de vue du formateur : leur présence au cours, c'est-à-dire ieur statut de formé. V. LE GROUPE DE FORMATION : UN ESPACE DEFINI FAL' LA CULTURE DOMINANTE. La constitution du groupe obéit dans la plupart des cas aux normes administratives d ' affectaTion des budgets, telles qu'elles sont fixées par des Instances de contrôle bureaucrati¬ ques, plus soucieuses de ! 5 appiîcation de directives formelles que d'évaiuation réelle des pratiques. La nécessité d'avoir un nombre déterminé d'inscriptions pour entreprendre un cycle de formation, l'obiigation de déter¬ miner à l'avance le rythme et la durée du programme en terme d ' heures/stag i a i res, confère à celui-ci une rigidité telle qu'el¬ le n'autorise qu'une marge très faible d'auto-régulation en cours d'action. Le recrutement s'opère en fonction des critères définis par les institutions sans que ce I les-ci se donnent les moyens d'analyser ia signification que peut prendre la création d'un groupe de femmes dans la communauté étrangère, la position de ce groupe au sein de la communauté et l'attitude de la communau¬ té à l'égard de la formation. C'est parfois de manière très explicite qu'est posée la nécessité de constituer le groupe de formation comme un I îetV totalement extérieur, voire opposé, à l'espace social et culturel dans lequel se déroule la vie quotidienne des femmes migrantes. On trouve ainsi, dans un projet l'idée que la formation doit vî- 25 ser à "faire vivre une relation de groupe aux femmes étrangères hors de leur espace familial et ethnique"; (Al). Ainsi s'explique l'insistance que mettent les formatrices à assurer la cohésion du groupe-classe : "la maîtrise des relations passe par lesentiment d'appartenance à un groupe précis : d'alphabéti¬ sation, d'expression, de cuisine, de gymnastique". "les phénomènes du groupe, la vie même du groupe, aident, favorisent le dépassement du problème ra¬ cial". ( A 6 ) . "le groupe en atteint une réelle homogénéité. Pour le personnel formateur, cet aspect représente l'acquis le plus important". (Ail) - cohésion à la fois condition et signe de l'intériori¬ sation par les femmes migrantes du nouveau type de sociabilité qu'impose la formation et des critères qui gouvernent les regrou¬ pements qu'el le opère. - cohésion toujours fragile et constamment remise en ques¬ tion par des conflits qui restent le plus souvent inintelligi¬ bles aux formatrices et par des tentatives de regroupement dont la logique échappe aux normes de fonctionnement du groupe—clas¬ se, comme en témoigne l'exemple de cette femme turque "d'une remarquable assiduité" qui renonce à l'alphabétisation du jour au lendemain, à partir du moment où sa voisine passe dans le groupe plus avancé, CA8). 26 Le constat des échecs répétés que subissent les cours d'alphabétisation (notamment la chute rapide du taux de fré¬ quentation observable dans pratiquement tous les programmes) dément pourtant iMMusion selon laquelle l'identité de carac¬ téristique telles que la nationalité, le sexe, la condition so¬ ciale ou le "niveau" suffit à assurer la mobilisation collective d'un groupe de femmes autour d'un programme de formation. VI. VERS UNE AUTRE METHODOLOGIE : UNE FORMATION CENTREE SUR DES PR^DTËTÏLS ET S Y ADRESSANT A UN M I L 1 EUT Compte tenu du caractère superficiel des rapports d'éva¬ luation, il semble difficile d'en faire émerger des éléments positifs qui permettent de définir une autre façon de procéder pour concevoir et évaluer les programmes de formation destinés aux femmes immigrées. Tout au plus, tenterons-nous, en mettant l'accent sur les compte-rendus de terrain relatifs aux expériences que nous menons auprès des communautés maghrébines du Sud-Est de la France, de formuler quelques hypothèses relatives aux conditions de mise en place de tels programmes. I. Nous insisterons, en premier lieu, sur la nécessité de dé¬ terminer les objectifs en fonction de l'analyse des problèmes que rencontre la communauté. Cette exigence implique l'emploi systématique de l'étude de milieu avant toute intervention. Il parait indispensable d'étudier de façon très minutieuse : i l.l La possibilité qu'a l'action de formation de produire des effets sur l'ensemble de la communauté. L'expérience nous prouve, en effet, que l'idée d'acqué- 27 rîr une formation "pour son propre compte" ne correspond à rien chez les femmes Immigrées; II est notable, par exemple, que la demande la plus fréquemment et la plus explicitement formulée par les femmes migrantes, concerne la mise en place de cours d'Arabe pour I es enfants. Nous faisons l'hypothèse que c'est en instituant le grou¬ pe des femmes comme porteur d'une dynamique concernant la commu¬ nauté toute entière, que l'action de formation trouvera la maxi¬ mum d'efficacité. En la matière, il n'existe pas de "recette" préétablie. Ce n'est que cas par cas, en s'attachant avant de se livrer à une intervention, à énumérer et à hiérarchiser les problèmes qui se posent à la communauté avec le plus d'acuité (logement, scolarisation des enfants, racisme, santé, etc), que le formateur sera à même de centrer l'action de formation sur les domaines qui semblent les plus propres à renforcer cette dynamique. 1.2 La possibilité qu'a l'action de formation de résoudre au moins partiellement le problème abordé. Une réflexion sur les limites de l'intervention parait indispensable pour exclure du champ de la formation les problèmes dont la résolution dépend de déterminismes plus globaux. Nous avons été ainsi amenés, lors d'une de nos inter¬ ventions, à renoncer à centrer la formation sur le problème du logement, bien que celui-ci apparaisse, de façon incontestable, comme le plus urgent à résoudre pour II'ensemble des habitants du quartier touché par l'intervention. Il apparaissait clairement que l'amélioration des conditions de logements, ainsi que les perspectives de relogement se heurtaient à des biocages instîtu- 28 tionnels qu'une entreprise de formation .ne pouvait en aucune manière, contribuer à résoudre. 1.3 La possibilité qu'ont les femmes de la communauté de contribuer à la résolution des problèmes abordés. Nous faisons l'hypothèse que l'entreprise de formation est vouée à l'échec si elle porte sur des domaines où les femmes sont à l'écart des pro¬ cessus de déc î sion. Les échecs répétés des tentatives de former les femmes maghrébines aux techniques contraceptives sont à cet égard exem¬ plaires, dans la mesure où ils révèlent des résistances qui doi¬ vent être interprétées comme émanant au premier chef, des maris. Issue d'une société où la fécondité est associée à l'image de la puissance masculine et où le nombre élevé de descen dants est un des attributs essentiels de I' "honneur" du chef de famille, l'immigré maghrébin ne peut qu'oppo9er à la limita¬ tion des naissances, des résistances d'autant plus vives et "ir¬ rationnelles" que touchant aux significations symboliques les pI us fondamentaI es. En regard de ce problème, il semble douteux que la sim¬ ple information "objective" auprès des femmes puisse leur donner les moyens de provoquer un quelconque changement en ce domaine. L encore, seule une étude de milieu approfondie pourra permettre, dans chaque cas, de déterminer les domaines où les femmes sont à même d'exercer le plus d'influence. 2. Nos expériences de terrain nous amènent d'autre part, è la 29 conclusion que la formation a peu de chance de produire des ef¬ fets à long terme si elle vise uniquement à introduire des chan¬ gements chez les femmes sans considérer globalement les rapports que celles-ci entretiennent avec les institutions. La transformation de ces rapports implique de modifier également les perceptions et les pratiques des institutions à Regard des étrangers. A titre d'exemple, la réduction des dysfonctionnements observés dans l'usage que font les femmes immigrées des services sociaux ne peut se poser simplement en terme d'îneu Ication de règles et d'apprentissage des normes institutionnelles. Elle né¬ cessite également de modifier la nature des relations entre les assistantes sociales et les femmes immigrées dans le sens d'une réduction de la dépendance et d'une atténuation du caractère d'assistance du travail social. Il parait donc souhaitable que les problèmes abordés par l'action de formation soient l'occasion d'une collaboration la plus étroite possible entre les formateurs et les responsa¬ bles des institutions concernées (médecins, travailleurs sociaux directeurs d'écoles, etc...). 3. Enfin, il nous parait fondamental que le formateur dispose d'une connaissance du milieu qui lui permette de mettre à jour les résistances de diverses natures qui opposent les femmes elles-mêmes à l'entreprise de formation, et d'en comprendre la signification ; faute de quoi il lui sera très difficile d'analy ser correctement les dysfonctionnements observés et de rectifier sa pratique en conséquence. 30 CONCLUS ION Le caractère "archaîsant" des programmes que I'on veut axer,avec souvent d'exceI I entes |nt&Otions, sur Ir î dent lté culturelle montre bien les risques considérables d' a I iénation que comporte une définition unilatérale de la "culture" des dominés par la société dominante : la femme . tend à s * y trou¬ ver enfermée dans un ensemble de pratiques qui méconnaissent aussi bien les changements réels dont le pays d'origine est le siège,que les créations potentielles dont l'immigrée est capa¬ ble. Reconnaître le pouvoir dynamique et mobilisateur des cultures au lieu de lesréduireà des co I lect ions d ' images stéréo¬ typées, c'est les resituer dans des systèmes de re1ations. Concrètement, cela veut dire que l'on ne peut dissoudre les préjugés qui aliènent les projets de formation que par des relations de coopération avec les pays de départ et que par des rapports de comparaison entre pays de résidence. Dans le premier cas, l'expérience du retour peut-être l'occasion de réintroduire au sein des programmes de formation la dimension du changement historique, à la fois économique et social, dans la définition de la culture. Mais c'est surtout le recours à des format rii ces des pays d'origine qui peut permet¬ tre une affirmation des formes nouvelles de l'identité féminine qui respecte la spécificité de s chemin d'émancipation. D'autre part, le préjugé peut aussi se dissoudre dès qu'il perd l'illusion de l'universel. La culture maghrébine pour le Suisse, I'A I Iemand,.ne participe pas à la tradition coloniale qui continue à marquer si fortement l'opinion du Français. L'espagnol en Hollande ou en Suède ne participe pas de la latinité, qui est au moins autant un écran qu'une affi¬ nité sMl faut définir ce quMl en est aujourd'hui de la condi¬ tion de l'Espagnole ou de la Portugaise. Si des expériences allemande, belge, hollandaise, sué¬ doise, suisse peuvent s'inspirer de la France, ce serait pour s'en démarquer assez nettement pour que des comparaisons suivies et rigoureuses aident chacun à mieux percevoir les I imites et la relativité de ses conceptions et de ses projets. -FIN ANNEXE Lieu de 1 'ac+î on Programme Pub 1 i c A 1 Etablissement sco¬ laire. A 1phabét i sation, coutu re, euis i ne . 15 femmes étrangères (cambodgiennes, tur¬ ques, portugaises). A2 Appartement dans un quartier à for¬ te densité étran- gè re. Coutu re, tricot, cuisine, br îco1a- ge, al phabétisa- t i on . 50 françaises, 30 maghrébines. A3 Centre Social du quartier. Cuisine, couture, alphabétisation. 30 femmes étrangè¬ res (1aotien nés, espagnoles, italien nés, marocaines, a a 1gériennes, tuni¬ siennes, sénéga- 1 a i ses. A4 Centre Soc i a 1 du quartier. Alpha bétisation, cuisine, éducation de 1 'enfant, ges¬ tion du budget fa- mi 1 i a 1 , app rent i s- sage de la ville et des adm i n î stra- tion s . Etran gè res de d î f— férentes natîona- 1 ités. Nomb re non précisé. A5 Centre Social du quartier. Alphabétisation, t î ssage, poterie, animation, alpha¬ bétisation en lan¬ gue maternelle. 130 femmes étran¬ gères (maghrébines, turques, portugai¬ ses, 1 ib an aise s, vietnamiennes). .../ •if Lieu de 1 'ac+ion Programme Pub 1 i c A6 Loca ux de ^ins¬ titution de for¬ mation. Alphabétisation, (perfectionnement) initiation à la v i e socia 1e . 16 étrangères, (yougoslaves, maro¬ caines, sénégalai¬ ses, a 1gér îennes, italiennes, japo- na'i ses, a 1 1 emandes, ivoir iennes). A7 Non précisé. Apprentissage des institutions, in¬ formations sur la vie du quartier. Françaises et étran gères, nombre et ethnies non p réc î - sés . A8 Etab 1 issemen t sco1 a i re . Alphabétisation, artisanat tradi¬ tionnel, chants et danses folk1o- riques . 10 étrangères (Ma¬ rocaines, a 1gér ien¬ nes, sénéga1 aises, portugaises, tur¬ ques) . A9 Locaux de 1 'ins¬ titution de for¬ mation. Expression fran¬ çaise écr î te et ora 1 e, dactylogra- phie, sténographie comp tabi 1 î té, ari¬ thmétique, géomé¬ trie, exp ression corporeIle. 1 5 femmes en maj o- rité algériennes. P r A 10 Appartement dans un quartier à for¬ te dens i té étran- gè re . Poterie, broderie, t i ssage, vannerie, côutu re, discus¬ sion de groupe, an îmation . 40 étrangères ( a 1 gé rîennes, tunisien¬ nes, portugaises, espagnoles, turques vietnamiennes, fran ça i ses, musuImanes) A 1 1 Etab 1 issement sco¬ laire. Aip ha bétisat i on, eu î s î ne, coutu re, brico1 âge « 12 turques.