Victor SERGE ri L'Europe au Carrefour : RENAISSANCE ou TOTALITARISME SOMMAIRE / Avant-propos : Les Faits du Temps présent 3 Socialisme ou Totalitarisme? 12 Déterminisme de la politique de l'U.R.S.S 18 Il s'agit du régime social de l'Europe 20 La Révolution russe et l'Iran 22 Importance de la Mongolie 25 L'Alternative:' Démocratie russe . 28 Les Forces démocratiques en U.R.S.S 31 Les Oppo:itions en U.R.S.S. (Historique) . . 34 La Vie et la Mort de Léon Trotsky 41 Que deviennent' les Réfugiés italiens en U.R.S.S.? 46 L LES FAITS DU TEMPS PRESENT J'ai réuni dans ces pages quelques écrits des dernières années, les uns inédits, les autres publiés aux Etats-Unis ou au Mexique. Qu'on veuille bien les lire à la lumière des faits du temps présent... Le grand fait de ce lendemain de guerre mondiale, c'est l'échec dé la paix. Tous les espoirs des hommes sont déçus. Ni réconciliation des victimes, ni reconstruction d'une Europe nouvelle, ni réorganisation du monde pour le travail pacifiqu», ni révolution socialiste ou sociali¬ sante... Les conférences diplomatiques se suivent et les conflits s'aggra¬ vent. Nous avons la sensation de vivre entre deux guerres. Les peuples affamés saignent encore. Les Etats-Unis fabriquent des bombes atomi¬ ques. Une puissance maîtresse des côtes méridionales de la Baltique essaie dans les ciels de la Suède de nouvelles fusées automatiques. Un savant russe annonce que sa patrie compte faire bientôt, à son tour, des essais de bombe atomique... Un tel pessimisme règne au fond des esprits que lorsque, récemment des raz de marée dévastèrent les côtes du Chili, l'on pensa à des expériences de guerre atomique sous-ntarine... La Mand- chourie. la Chme, l'Iran, le Kurdistan, les Dardane'les, la Palestine, les Ba'kans, Trieste, l'Autriche, la Pologne, l'Al'emagne constituent autant de foyers de conflit. Dans toute l'Eurasie, de la Saxe à la Corée, de l'océan Arctique à la Méditerranée, deux systèmes de puissances armées s'affrontent. Il serait facile de prononcer à ce propos un réquisitoire de plus contre le capitalisme et les impérialismes capitalistes. Le socialiste qui écrit ces lignes n'a rien oublié des justes prévisions du marxbme; mais il n'entend pas se laisser aveugler par les faits d'hier et même il entend voir clair, démêler dans les contradiction' asphyxiantes du temps présent les tendances, fondamentales les plus menaçantes, les lienes de fonce les plus inhumaines. Il constate que san« l'intervention améreain?, l'Europe et le nord de l'Afrique subiraient auiourd'hu: '» Toial-'tnrinm» nazi ; et l'U.R S.S. serait vaincue. Il constat? oue l'Emnir» Jv-îtannia"», gou¬ verné par les travail1 ?tes, évacue l'EfVot' •' offr- l'indépendant aux Indes. I' constate que les vieilles méthode de l'exploitation c*'o*;a'«» sorp usées. Il coit connaître assez les Américains pour conclure on'»" d-'oit de Isur colossale suprématie industrielle et de la structure sociale d'une 3 \ 1 République dominée par les grands trusts, c-L bien que très désireux de « faire de bonnes affaires » dans le monde entier, leur immense majorité ne songe pas à imposer des tyrannies aux cinq continents et souhaiterait tout au contraire une réorganisation supportable des relations interconti¬ nentales... Il constate que l'échec complet de la reconstruction — qui eût été forcément socialisante — de l'Europe est dû aux invasions, aux occu¬ pations, aux spoliations, aux agressions de l'U.R.S.S. totalitaire. On a souvent repris la formule du stratège prussien Clausewitz : « La guerre est la prolongation de la politique ». Dans les autarcies dont les gouvernements n'ont à redouter aucun contrôle de l'opinion, la politique agressive, à l'extérieur, est la prolongation inévitable de la poli¬ tique intérieure de régimes impopulaires en état de crise permanente. La terreur -offre,' il est vrai, aux crises des solutions relativement faciles, mais elle n'y saurait suffire indéfiniment; il en faut chercher d'autres. Où, si ce n'est dans l'expansion du système, dans la conquête d' « espace vital »? Tenons compte aussi des psychoses du soupçon et de l'anxiété qui l'em¬ portent chez les gouvernants des régimes de terreur. En ce qui concerne les Russies, quels faits dominent le débat? — Le totalitarisme n'a évolué que sur un point: il a consenti aux populations une liberté religieuse dûment contrôlée, avec un clergé ser- vile, dressé par les persécutions, qui fait dire des prières publiques pour le Chef. Parti unique, culte du Chef,-pensée dirigée, monopole de l'in¬ formation, appareil policier. —- Les recoupements les plus sérieux, à base d'informations frag¬ mentaires mais abondantes, obligent à estimer au-dessus de dix millions (10.000.000) le nombre des citoyens soviétiques internés dans les camps de concentration. Des observateurs formulent des estimations sensiblement plus élevées. Ces chiffres sont admis-par des auteurs aussi scrupuleuse¬ ment documentés que David Dallin, W. H. Chamberlin, Boris Nico- laievslci, R. Abramovitch, Victor Kravtchenko, et mentionnés par des journalistes récemment accrédités à Moscou (Bruce Atkinson). Mon expérience personnelle ne me permet pas de les mettre en doute... Une carte des centres de travail forcé de l'U.R.S.S., publiée à New-York, en août 1946, par Ruth Fischer, indique en note que la population des légions pénitentiaires varierait entre quinze et vingt millions d'âmes. Les renseignements fournis sur la région dite du Dalstroy par des rescapés ont apporté à ces données de terrifiantes confirmations. — Les transferts de populations à l'intérieur, par mesure, de répres¬ sion collective, ont atteint des proportions qui dépassent l'imagination. 'Plusieurs républiques autonomes ont ainsi disparu — par mesure admi- n'strative et secrète — le gros de leur population ayant été transféré à destination sécrète. Ce sont las républiques, des Allemands de la Volga (environ 600.000 habitants, capitale Marxstadtl), la république des Kalmykhs, celle des Tchétchenes-Ingouch du Caucase septentrional, celle des Karatchaev, voisine de cette dernière, et celle des Tatars de Crimée. La motivation officielle de ces « suppressions de républiques » indique que les populations sympathisèrent avec l'invasion nazie (comme du reste il arriva souvent en Ukraine au début de la guerre, il fallut toute la cruauté du nazisme pour tranformer le défaitisme des régions occupées en résistance). La preuve est ainsi faite de l'amertume sans borne de minorités nationales qui, la veille de la guerre, manifestaient sans cesse leur adoration du Chef. — Le IVe plan quinquennal adopté il y a quelques mois, est au premier chef un plan de réarmement qui annonce, en dépit des accrois¬ sements territoriaux, le maintien pour les masses d'un niveau de consom¬ mation inférieur aux besoins de l'homme civilisé et sensiblement infé¬ rieur au niveau moyen atteint sous l'ancien régime impérial. La tendance générale est au déplacement des industries lourdes vers l'Est, c'est-à-dire l'Oural et la Sibérie. Planification de guerre. — Les données officielles publiées à l'occasion de l'étude du IV0 plan quinquennal font resEcrtir l'extrême misère des campagnes (dans un pays dont la majorité de la population est rurale). Le nombre de che¬ vaux est tombé au-dessous du chiffre des années les plus noires de la coilectivisation forcée; et la production des pétroles marque une baisse considérable. L'agriculture n'aura donc ni chevaux ni tracteurs... S'il était question en Russie 'd'un gouvernement socialiste* 1 évi¬ dence lui dicterait son devoir .immédiat. Ce serait d'abolir la servitude pénitentiaire des « régions spéciales de travail-forcé »; de remédier aux causes de la désaffection des minorités nationales; de hâter la recons¬ truction des territoires dévastés et de remédier à la misère générale par la collaboration économique avec l'étranger; d'établir des relations paisibles et fraternelles avec une Europe désarmée en voie de reconstruction pour une paix durable; de reconstruire et développer les industries pour le bien-être des citoyens et non pour la guerre future; de donner dans les ^ pays où l'armée rouge a porté ses drapeaux, des exemples de justice sociale et de fraternité... Nous sommes loin de compte. — Dans la période de guerre qui . commence à Stalingrad et finit par l'entrée des Russes à Berlin, l'Armée rouge a joui, à juste titre, d'un crédit moral presque illimité. C'est en l'appelant, en l'attendant de toute son âme que Varsovie se souleva. Pendant la bataille de Berlin des immeubles de faubourgs ouvriers se couvrirent de loques rouges... La déception qui suivit fut affreuse. Ce furent les pillages systématiques, notamment dans les quartiers ouvriers; ce fut le viol systématique des fem¬ mes, un fait abominable sur lequel nous avons reçu bien des témoignages. A Berlin, les ouvrières portant le brassard du P.C. et qui le premier jour avaient acclamé les vainqueurs, subirent le traitement commun; et le commandement russe interdit aux médecins des hôpitaux de pratiquer l'avortement préventif. (Lettre d'un m.litant, publiée par The N iu)ork, New York, numéro de nov.-déc. 45, commentée par l'organe du .Parti Socialiste américain, Thé Cail et par le New-Lead.i ). — Sous l'occupation russe en Allemagne, des militants social- démocrates, à peine sortis, de campa de concentration et qui repoussaient l'unification avec le P.C. allemand, ont été kidnappés, assassinés ou inter¬ nés dans les camps établis autrefois par les nazis. Toute liberté politique a disparu... Des faits analogues — innombrables — se sont produits, continuent à se prcdu.re en Pologne, Tchécoslovaquie, Roumanie, Bul¬ garie, Hongne, Yougoslavie... La confiscation des industries autrichien¬ nes, considérées par le commandement stalinien comme « biens des nazis » (ei tomeant dès lors sous le coup de l'accord de Potsdam) menace de ruiner ia ciasse ouvrière socialiste d'Autriche. — Dans tou. les pays dits libérés ou occupés, la Police d'Etat, arrivant sur .es talons de l'Armée rouge et servie par les P.C. locaux, a procédé contre les adversa.res libéraux, socialistes et révolutionnaires du Tota.itarism: . ta.inisn à de vér.tables campagnes d'extermination. En Mandchourie, les émigrés russes, vieux rrunchéviks, sionistes (le docteur Kauffman et ses amis), socialiste, révolutennaires, cosaques, simples lec¬ teurs d'une revu; publ ée aux Etats-Unis par' Kerensky, ont été fusillés par paqmts. Dans les Balkans, l'émigration ru.se a été arrêtée tout entière. En Tchscos.ovaquie, où l'émigration libérale, démocratique et socialiste éta t particulièrement nombreuse par suite des garanties que lui avaient offertes MM. Masaryk ét Bénès, les arre.tations, disparitions, assassinats et suicides l'ont annihilée. (Le Blancs réactionnaires n'ont pas évidem¬ ment été traités avec plus d'indulgence; mais bon nombre d'ex-officiers émigrés ont pa.sé au service du nouveau régime). Qu'il me soit permis d'user ici d'une précaution contre le fanatisme. Tous ces faits — et une foule d'autres du même genre — ont été large¬ ment pub iés dans la presse de grande information et la près e de gauche de langue anglaise! Personne ne s'est inscrit en faux contre eux. Personne ne les a niés. Personne ne le. a justifiés, puisqu'ils sont injustifiables. Je connais l'homme russe, je connais le soldat russe. Comme tous les soldats du monde, il e t capable du meilleur et du pire, mais la guerre l'incite plutôt au pire, cela va de soi. Le soldat russe, pendant cette guerre infernale, fut le plus mal vêtu, le plus mal nourri, le plus durement disci¬ pliné. Dans aucune autre armée — que je sache —- l'officier n'avait le droit et le devoir d'abattre sur place, sans jugement, le combattant oui défaillait, manquait à la discipline ou au respect de ses supérieurs. (Un îast de ce genre est relaté dans une nouvelle de l'écrivain combattant 6 Alexandre Bek, qui a eu en U.R.S.S. un succès officiel et en quelque mesure mérité). Aucun soldat du monde n'a fait néanmoins une guerre plu; énergique. Une jeunesse entière fut sacrifiée. Endurci, affamé, exas¬ péré, accablé de privations, le soldat russe ne pouvait pas être un vain¬ queur magnanime... Ce qui incu.pe le régime, c'est la systématisation et ia généralisation des crimes du lendemain de la victoire; les logements ouvriers de Vienne et de Berlin furent pillés avec ordre; les viols de. Ber¬ lin furent sanctionnés, délibérément to.érés et même accomplis par des officiers disposant de la vie de leurs hommes et parfaitement disciplinés par ailleurs. Que conclure? Que le haut commandement politique pour¬ suivait ainsi une fin définie qui était de briser le moral des vaincus par la terreur et la misère. Et les vaincus, dans ces cas, ce n'étaient pas les nazis, c'étaient les travailleurs, prolétariat et classes moyennes; c'étaient des victimes du nazisme (de l'avis même de la propagande communiste). Système des pénitenciers: d'abord on brise l'homme, on brise la femme. Ensuite, le moindre adoucissement de régime leur paraît un bienfait... Le Totalitarisme justifie — une fois de plus — son expansion par ui> besoin de sécurité. Qui ne voit la fausseté éclatante de cet argument? L'Allemagne est épuisée pour longtemps et ne pourrait redevenir redou¬ table qu'au service de tel ou tel de ses vainqueurs. Ce n'est donc plus S d'elle qu'il s'agit. Une petite Pologne libre, qui mettrait trente ans à panser ses plaies, ne serait pas non plus un danger véritable pour l'U.R. S.S. aux 190 millions d'habitants. Mais une Europe centrale et orientale pacifiée, se reconstruisant sous des gouvernements démocratiques nécessai¬ rement influencés par le socialisme, serait — sans bombardiers — bien dangereuse par son simple voisinage pour le gouvernement absolu d'un grand pays voué à la pauvreté, privé de liberté, et pensant malgré tout. Le Totalitarisme s'entoure donc d'une ceinture d'Etats-satellites ; il ne peut faire autrement, mais ce faisant, il ruine sa sécurité, car il accumule autour de lui, chez lui, les problèmes insolubles, les haines mûrissantes, les substances explosives, et il ouvre un conflit de domination continentale. Suivons encore les faits. Nous n'avons été qu'une poignée à préco¬ niser depuis dix ans, devant des crimes qui atteignaient la conscience même de l'homme moderne et plus particulièrement démoralisaient l'huma¬ nisme socialiste, la nécessité de l'intervention morale. On sait aujourd'hui que les procès d'imposture et de sang préparaient en 1936-1938, à Mos¬ cou, le pacte Molotov-Ribhentrop. Deux nouvelles constatations s'impo¬ sent sur ce sujet; — La légende de « l'épuration qui supprima en U.R.S.S. la cin¬ quième colonne réelle ou potentielle », légende si maladroitement accré¬ ditée par M. Joseph E. Davies, .dans Mission à Moscou, est morte de malemort. Aucun pays envahi n'a fourni au nazisme plus nombreuse cinquième colonne que l'U.R.S.S., démoralisée par la famine et la ter- 7 re*tr: de» républiques entières, nous venons de le voir, et l'armée de Vlae- sov. Vlassov fut précisément un des généraux de l'arrivisme thermidorien qui applaudirent à l'assassinat de Toukhatchevski. — Par un bizarre contre-coup, le procès de Nuremberg a démon¬ tré l'imposture des procès de Moscou. Une des thèses soutenues alors par l'accusation était, rappelons-le, celle de la collusion des oppositions com¬ munistes avec le nazisme (« entrevue Hess-Trotsky ») comme du reste avec l'Intelligence Service britannique... Presque toutes les archives secrè¬ tes du nazisme sont aujourd'hui entre les mains des Alliés. Les téné¬ breuses coulisses du parti hitlérien ont été passablement ventilées à Nurem¬ berg où pourtant les procureurs russes se sont bien gardés de poser au demi-fou Hess la question de sa prétendue collaboration avec Trotsky. En Angleterre et aux Etats-Unis, des hommes de haute conscience ont publiquement exigé que la question fût posée. Elle ne l'a pas été. Elle ne pouvait l'être. Les archives du nazisme démentent les procureurs de Mos¬ cou. Tels sont les faits, les faits incassables. Je les consigne avec amer¬ tume, avec déchirement, par devoir, une fois de plus. On ne bâtira rien sur les tombes et les ruines avec du mensonge, de la fourberie, de la fausse monnaie et du sang innocent. Rien! Mais on préparera, en fer¬ mant les yeux, de nouvelles destructions, de nouvelles fosses communes. Des communistes français me liront avec indignation. Quelques-uns, par ordre ou par souffrance, m'accuseront de trahison... Camarades, cama¬ rades du parti des fusilleurs des camarades les plus grands, voudrais-je leur dire bien tranquillement, voyez et réfléchissez. Informez-vous, insul¬ tez ou frappez ensuite. Ce qui vous entraîne encore, vous, les honnêtes gens du communisme — et non les agents professionnels — c'est le sou¬ venir, plus puissant que toute boue, de vla première révolution socialiste d'un monde cheminant sous les catastrophes. Vous vivez sur un capital dilapidé dans la boue, la boue mêlée de sang à profusion. 1917, c'était « la paix des peuples sans annexion ni indemnité » ! Cjétait la soli¬ darité avec tous les opprimés de la planète! C'était la terre aux paysans, l'abolition de la peine de mort! C'était... On ne sait plus ce que c'était! Et rien de ce que c'était ne peut plus recommencer, car le Totalitarisme a passé sur le corps des révolutionnaires, sur les souvenirs, sur les conquê¬ tes socialistes, sur vos cerveaux... Donnez-moi donc un démenti! Dites: ceci n'est pas vrai, démontrez-le. Demandez au Parti de réfuter l'argu¬ mentation qu'avec cent autres j'apporte ici. Demandez aux ambassades intéressées des réfutations pertinentes et vérifiables. Ou justifiez tout, endossez tout, avalez tout! Alors, tant pis pour vous, car il n'y a plus rien de commun entre vous et des hommes libres, vous et la conscience droite, vous et le socialisme, vous et la plus infime lueur de liberté... Dm intellectuels mettant une singulière benne volonté à fournir aux masses bernées du parti totalitaire une dialectique ambiguë. Ils ne nient rien. Trop habiles pour cela et trop prudents. Ils feignent de douter et l'on comprend qu'en réalité, ils doutent un peu d'eux-mêmes. Ils feignent d'expliquer tout en n'expliquant pas. Cela laisse pourtant sur le papier des phrases captieuses qui, pour l'ignorant ou la demie-dupe de bonne volonté, paraissent dire quelque chose de soutenable... Un chrétien écrit par exemple: « ...le communisme est jeune et n'a pas des siècles d'exis¬ tence derrière lui; il ne faut pas s'étonner que ses débuts soient san¬ glants... » etc. (Martin Brionne, Esprit, 1er mai 1946, p. 699). Mais est-ce bien le communisme, Monsieur? A quoi le reconnaissez vous? Ne serait-ce pas le contraire, par hasard? Il y a dans les Evangiles un cer¬ tain communisme: il y en a un autre dans l'œuvre de Marx et de ses continuateurs... Lequel reconnaissez-vous et à quel signe? Donnez des siècles à n'importe quel régime d'écrasement de l'homme et il changera, bien sûr. Le nazisme aussi, quelques siècles aidant, eût vraisemblablement changé. En doutez-vous? Le même publiciste écrit encore que « le tempé¬ rament slave ne s'est jamais accommodé de mesure ». Sous leur camisole de force, le tempérament slave, « l'âme slave » ont bon dos... Comme si, en quatre ans d'occupation nazie, la France, pays de la mesure, du penser cartésien, de Montaigne et de Jaurès, n'avait pas produit des S.S., des miliciens, des camps de concentration et des antisémites en nombre suffi¬ sant pour un bon commencement d'enfer social! Ne faudrait-il pas néan¬ moins de sombres imbéciles pour en inculper le « tempérament français »? La France authentique, celle dés quarante millions d'hommes moyens, bienveillants et sensés, fût-elle jamais en question, si ce n'est en tant que victime d'une machinerie totalitaire? M. Brionne écrit encore: « Adhérer au communisme, pour un Français, ce n'est pas entériner ou souhaiter les actes de barbarie des moujiks dont nos prisonniers de l'Est nous ont fait le récit. C'est accepter les positions fondamentales des grands théori¬ ciens marxistes... ». On s'émerville de trouver en si peu de lignes tant de confusion? et d'erreurs. Et d'abord de quels « grands théoriciens marxis¬ tes » s'agit il? Marx, Engels, Jaurès. Guesde, Bebel, Kautsky, Lénine, Trotsky, les fusillés Boukharine et Préobrajenski (auteurs de L'A.B.C. du Commun'-sme de 1918...) préconisèrent-il? le Totalitarisme? En voyez- vous la justification dans leurs œuvres? Où connaîtriez-vous. Monsieur, un « grand théoricien » du stalinisme? Laissez-moi vous apprendre que le stalinisme a précisément supprimé les théoriciens, grands, moyens et petits... La confusion du communisme et du socialisme, à une époque où les deux doctrines s'opposent, l'une défendant l'homme et l'autre l'annihi¬ lant, ne peut avoir qu'une justification spécieuse dans la sémantique: elle est malhonnête puisqu'elle tend à dissimuler des incompatibilités fonda¬ mentales: elle est néfaste puisqu'elle feint de prendre la fausse monnaie totalitaire pour du bon or frappé4elon le Manifeste Communiste de Marx- t o Engels, L'allusion à la « barbarie des moujiks > m'est pénible à consi¬ dérer, car je connais, j'aime le paysan russe, frère de tous les paysans du monde et pas plus méchant qu'eux... Un vrai grand chrétien, mais ant.totalitaire à fond, xelui là, bien crue le mot n'existât point a son épo¬ que (le mot « despotisme » .lui suffisait), Léon Toktoy, vivant parmi les moujiks, eut d'eux une autre opinion et sensiblement meilleure. M. Brionne ne. s'est pas demandé par quelles écoles ils ont passé, les moujiks devenus parfois cruels comme tant d'autres Européens moins misérables. Quelles famines, quelles contraintes, quel dressage à la barbarie organi¬ sée, à la pensée asservie, ils ont subi, ils subissent! Je ne connais pas M. Martin Brionne et je me souviens du temps où Ia_ revue personnaliste Esprit tenait à propos des épurations de Mos¬ cou et du massacre des vieux chefs de la véritable Armée rouge un langage bien différent. La contradiction entre le respect de la personne humaine et la destruction de la personne humaine par l'Etat lui appa¬ raissait alors ce qu'elle est : évidente et monstrueuse. Je ne relève ce texte que parce qu'il est typique : les ratiocinations nébuleuses de cette qualité constituent toute l'idéologie des inte'Iectusls intoxiqués par la puissance plus apparente que réelle du communifme actuel. L'œuvre la plus saisissante de ce genre de propagande me semble être le journal de, l'ancien ambassadeur des E^ats-Unis à Moscou, M. Joseph E. Davi=s. Missions à Moscou, qui s'est vendu en pWeurs langues à des centaines de milliers d'exemplaires. C'est un ouvrage éminem¬ ment instructif. Il contient en grand nombre, avec des relations de faits bouleversantes, des conclusions comme celles-ci : « La Russie de Lénine et de Trotsky, la Russie, bolchévik, n'existe plus... » fP. 450 de la petite édition américaine.) « L'Allemasne et la Rirsie Soviétique sont des Etats totalitaires. Des Etats réalistes. ■» Notez l'éloc" Insidieux d'un certain réalisme... (P. 427, daté du 7 juil¬ let 1941.) « La terreur, ici, est horrifiante. Bien des signes indiquent crue la peur atteint et hnnrP tous î°s milieux sociaux... » fP. 265, doté de Moscou, Ier avril 1938.) « L'épuration est indéniablement politique. D'après ce que j'ai entendu dire par des leaders du gouvernement, elle fuf délibérément envisagée par eux, bien qu'ils en déplorassent la néces¬ sité... -Ils reconnaissent et déplorent. qu'il y ait de nombreuses victimes innocente*... » (P. 266.) Enfin, dans un Ré.wmé des faits, daté du 6 juin 1938 destiné au Cabinet de Washington, cette appréciation méditée : « Terreur. Epuration. Un esprit démocratique conçoit comme inévitable oue la tyrannie exercée par une policé secrète s>-r la lîber'é et la vip d's citoyens, parmi toutes les cPsees de la société au sein derquel'es elle arrache les sens à leurs familles e» à leurs amitiés, san3 protection posfible contre l'injustice, ...II apparaît inévitable que cette tyrannie doive à la longue provoquer le renversement du régime. » 10 (P. 350. Le style de M. Joseph E. Davies est lamentablement vaseux, on le remarquera.) Permettons-nous un tout petit peu de psychologie. Tel était le ton du livre non publié d'un diplomate accrédité à Moscou. Mais en 1941, après 1 agression nazie contre ie peuple russe et l'entrée des Etats-Unis dans la guerre, M. Davie* ajouta au milieu du manus¬ crit destiné à la publication huit pages de révision de ses vues anté¬ rieures, huit pages qu'il est devenu tristement amusant de relire. L'idée maîtresse en est qu' « il n'y a pas eu de cinquième colonne en Russie. L'épuration avait nettoyé le pays, éliminé la trahison » (p. 246). C'est « en ruminant la situation » en cours de voyage dans le Wisconsin que M. Davies eut cette révélation rétrospective et radicalement fauise, comme il est désormais prouvé. Par contre, l'idée que l'invasion, si ra¬ pide de la Russie ne fut rendue possible que par la désaffection des populations vis-à-vis du régime, par l'extermination des cadres révolu¬ tionnaires et plus particulièrement du vieil Etat-major expérimenté, n'effleura pas son esprit diplomatique... Au temps présent, si plein de dangers, de souffrances et d'inquié¬ tudes, la pensée "fumeuse et malhonnête ne peut servir qu'à de vastes escroqueries, et ne peut conduire qu'à des accidents graves. Le méca¬ nicien de chemin de fer dont la conscience professionnelle ne serait pas plus droite et plus réaliste que celle des intellectuels pro-staliniens ferait promptement dérailler son train et, s'il survivait à ses propres fautes, passerait en cour d'assises. Que de choses de ce genre furent naguère écrites sur le Fascisme et le Nazisme! On en connaît les suites et conséquences... Le premier devoir est maintenant de se rendre compte de la réalité, d'y faire face avec droiture et courage, sans bandeau sur les yeux ni bâillon sur la bouche, en appelant les choses par leur nom... A ce prix, rien qu'à ce prix, le dur combat pour un avenir meilleur redevient possible. Mexico, 1946. SOCIALISME OU TOTALITARISME ? ON voit de plus en plus clairement depuis la fin de la guerre européenne que les problèmes de réorganisation du monde posés par cette catastrophe sociale seront beaucoup plus difficiles à résoudre que les socialistes ne le pensaient il y a quelques années. Les événements actuels participent tous, inéluctablement, d'une transforma.ion de la civilisation indu.trielle (capitaliste) ; ils peuvent ouvrir une ère de luttes confuses, d'inhumanité et de régression; ils peuvent amener l'établissement de sociétés plus justes et plus rationnel¬ lement organisées que celles d'hier, et cela dépend dans une importante mesure de la participation consciente des individus et des masses aux événements mêmes. En ce sens, la pensée socialiste et le mouvement socialiste demeurent, en dépit de notre faiblesse, des facteurs essentiels de l'histoire. Tous ceux qui connaissent l'Europe s'accordent à reconnaître deux grands faits positifs. Les classes réactionnaires qui ont fait le Fascisme et le Nazisme (et sur lesquelles retombe par conséquent la responsa¬ bilité de la guerre) sont extrêmement affaiblies sur toute l'étendue du continent; à un degré moindre, elles le sont aussi en Grande-Bretagne. Leurs capitaux-argent ont fondu dans le creuset de la guerre; leur outillagç industriel s'use et se détruit par la guerre, après avoir passé sous le contrôle d'Etats totalitaires; les Eta'.s totalitaires ont ruiné leur statut juridique fondé sur le droit patronal et le respect de la propriété privée; leur personnel dirigeant est discrédi é, déshonoré, disqualifié par sa col¬ laboration avec le Nazi-Fascisme. Bref, nous assistons en Europe conti¬ nentale à la faillite sanglante des anciennes classes dirigeantes. Magnats de la Schwerindustrie, du Comité des Forges et Houillères, monarques couronnés, maréchaux de la première Guerre Mondiale, Caudillos et publicis'es s'en vont dans les mêmes charrettes. D'autre part, et bien que les mouvements socialistes aient été vaincus de diverses façons, après avoir quelquefois manqué de clairvoyance et d'énergie et plusieurs fois fait preuve d'un héroïsme authentique, une conscience socialiste élémen¬ taire s'est très largement répandue, Dès les journées de la défaite, en 1940, j'observai en France que l'homme de la rue et de la route tenait souvent, sans connaître l'idéologie socialiste, un langage que seuls les militants parlaient naguère. Les idées de la fin des grands privilèges, 12 de la nationalisation des industries-clés, de la planffieation-directkm de l'économie au profit de la collectivité, de la sécurité sociale sont tombées dans le domaine commun. En même temps, le problème de la démo¬ cratie se pose dans les consciences en termes encore obscurs mais pres¬ sants. La démocratie du capital financier, des trusts et du pro-fascisme est finie; elle a discrédité le parlementarisme mais non le suffrage uni¬ versel dont on sent qu'il peut acquérir une puissance nouvelle; les tradi¬ tions des libertés municipales et de la liberté de fa presse, loin d'avoir été entamées par le Totalitarisme subsistent et renaissent en Occident avec une magnifique vigueur. Les mouvements underground et les expé¬ riences d'Italie et de France en font foi. Il est fort possible que, vu la situation tragiquement désespérée du peuple allemand, la France (et l'Italie, et l'Espagne, c'est-à-dire le vieil Occident méditerranéen de haute civilisation) redevienne maintenant le laboratoire révolutionnaire du progrès. Je lis avec plaisir, sous la plume de M. Jacques Maritain, philosophe catholique et ambassadeur de la IVe République auprès du Vatican que « ce peuple (français) voit les anciennes classes dirigeantes essayer de se maintenir socialement à la faveur de leur compétence et de leur refus de s'examiner » (je souligne) et que ce peuple pense à « la seconde révolution française... liée à la Libération ». M. Maritain ne parle que par euphémismes : si quelque chose a fait faillite, c'est bien la « compétence sociale » des anciennes classes dirigeantes et l'on comprend trop bien leur refus de tenter un impossible examen de conscience. M. Maritain estime que le peuple français remet à plus tard une révo¬ lution qu'il ne peut faire tout de suite, et peut-être n'a-t-il pas tort : le monde actuel est trop dangereusement complexe pour que l'on puisse aller vite en besogne et les masses européennes socialisantes ont, me semble-t-il, beaucoup plus de bons sens pratique qu'on ne le croit. Elles sont capables d'être énergiques et révolutionnaires sans pour cela se montrer « extrémistes ». Ecartons tout de suite un des arguments du découragement. Les peuples qui ont énormément souffert, subi la terreur et la faiip, et le surmenage, ne sont pas forcément des peuples diminués; les grandes épreuves tendent à l'énergie humaine, elles obligent à penser et à agir, elles accoutument au risque dont la crainte est un facteur d'apathie sociale; à la moindre possibilité de salut ou de relèvement, ce qui était la veille cause de dépression devient au contraire cause d'initiative et de confiance. J'ai sans cesse observé ce phénomène psychologique dans la révolution russe, puis sous le Totalitarisme stalinien. Il se rapporte à la physiologie même : on sait qu'après toutes les guerres, la natalité augmente sensiblement. Si les peuples d'Europe voyaient leurs espoir» 1 de relèvement déçus, ils pourraient entrer dans une période d'amère dépression; mais tant qu'ils apercevront une possibilité de salut véritable, 13 iis seront capables «Ttstie açttïfli crëatriee qaî dépassera prebaSlataeia Ses espous des p.us optimistes d'entre nous. (Ce tut pendant longtemps Je cas, repetuiis-le, de 1 énergie populaire russe —1 et pourtant, dans quelles conditions terribles n'eut-eue pas à se manifester 1) Nous pensons que les détaites du socialisme européen eurent des causes infiniment pius profondes que l'incapacité politique du réfor- msme et le machiavélisme quelquefois criminel et généralement stupide du fvomintern pendant l'entre-deux-guerres. 11 serait temps que l'analyse marxiste reconnût les conséquences incalculables du renouvellement de la technique industrielle moderne. La technique du XXe siècle aug¬ menta tormidablemcnt la capacné de production des industries — et aussi de l'agriculture —— tout en amoindrissant l'importance de la main- d'œuvre, Une partie de la classe ouvriere s embourgeoisa, une autre lut vouée au chômage chronique, tandis que la rationalisation et l'automa¬ tisation de l'usine diminuaient la capacité individuelle, humaine, de l'ou- vieer. Et pendant que la classe ouvrière s'atlaioiissait, les fonctions de l'Etat s'élargissaient, de sorte qu'une ciasse moyenne composite, tormee de fonctionnaires et de techniciens, acquerrait une grande împoitance sociale. 11 n'est pas douteux que ces modifications de la production capitaliste et de la structure même de ta société ont joué contre le socia¬ lisme qui n'en avait pas suffisamment pris conscience. Désormais, pendant toute une époque, elles doivent jouer en faveur du socialisme, pour p usieurs raisons : Iu La technique même de la grande production impose la direction-planiûcation sur de vastes échelles, c'est-à-dire.,la coilectivisation; 2" la' guerre entraîne un vaste nivellement social, l'aris¬ tocratie ouvrière a perdu le bien être, les classes moyennes ont perdu bien-être et sécurité; tes techniciens sont forcément amenés à considérer une réorganisation rationnelle de la production; 3° la classe ouvrière est appelée à recouvrer une importance et une puissance nouvelles pen¬ dant ia penodé de reconstruction; 4° l'interdépendance des nations, la nécessité de l'organisation continentale et intercontinentale semblent pré¬ parer un terrain favorable à l'internationalisme socialiste. . L'Europe sort de ia guerre effroyablement appauvrie et divisée par les rancunes nationales, mais aussi avec ia possibilité technique de récu¬ pérer bientôt, en se donnant une organisation intelligente, un standard de vié sensiblement plus élevé que par le passé. L'organisation intelli¬ gente — c'est-à-dire rationnehe, socialiste ou socialisante — sous-entend la collaboration des nations et donc la défaite des rancunes nationales. A cet égard aussi, un optimisme raisonnable est tout indiqué. Nous n'avons pas perdu le souvenir des lendemains de ia première guerre mondiale et des mouvements profonds dé réconciliation véritable .dont nous tûmes les participants. Les re.ponsabtlités des classes réactionnaires dans la montée du FascLme-Nazisme sont aujourd'hui plus évidentes que ne l'étaient alors «elfes eles impérialisme». Des prisonniers français H «•H Allemagne nous ont- documenté sur leur collaboration avec des tra¬ vailleurs allemands dans l'underground antihitlérien. On pourrait s'éton¬ ner de voir avec quelle facilité les Français, dans leurs rapports avec le- Italiens, surmontent le souvenir du coup de poignard dans le dos fiju'ils reçurent de Mussolini, Le pays le plus impitoyablement traité par l'invasion nazie, la Russie, est celui dont le gouvernement a pi former, avec les prisonniers allemands de Stalingrad même, un mouve¬ ment de collaboration germano-rus=e. Nous considérons ce mouvement comme infiniment dangereux pour l'Europe de demain, mais ce n'est pas là une raison qui justifierait à nos yeux la' méconnaissance de la précieuse indication nsychologiaue qu'il nous .apporte par ail'eurs. Rete¬ nons aut la République Pppulaous l'occupation .azie, Qu'est-il devenu? (2) Je ne puis, dans une étude au«si condensée, considérer des mouve¬ ments secondaires, tels que l'Oppo- i'iioh militaire de. >1919-20, qui ne fut qu'un'- co'ierie d'Etats-Majors ; l'Opposition syndicale (Toirv-ki) qui, en 1920-1922, défendit l'indépendance relative de* syndicats; le Groupe de la Centrali alion démocratique dont je mentionnerai les conclusions formulées par Sapronov et V. Smirnov; le groupe des « Jeunes Staliniens » des année-- 1928-1991 et plusieurs autre*. On trouvera des indications sur ces mouvements dans mon livre, Russia Twénty Y^ars After, NY, Hillman-Curl 1938. 34 la^ bureaucratisation de l'Etat, non sans révéler une amère inquiétude. L Opposition de Gauche se forme en 1923 (Préobrajenski, Trotski, Racovski, Piatakov, Antonov Ovséenko, Radek...) pour souligner la faiblesse industrielle du régime, la sclérose des bureaux, l'étouffement de la vie intellectuelle et réclamer un « Cours nouveau » : minimum de démocratie intérieure, appel aux jeunes, résistance au traditionnalisme verbal. En fait, l'Opposition de Gauche pose la candidature de Trotski à la succession de Lénine et menace ainsi la nombreuse coterie des Vieux-Bolchéviks à laquelle Trotski e;t étranger par son passé et par sa vivacité d'esprit. Les triumvirs du Bureau Politique, Zinoviev, Kaménev, Staline déclenchent de violentes carnpagnes contre le « trots- kysme » en exploitant les divergences théoriques du passé. La mort de Lénine amène un apakement apparent. Des centaines d'étudiants de gauche sont chassés des universités.1 Une période d'épurations, d'intri¬ gues et de corruption s'ouvre dans le Komintern. Avènement du Totalitarisme La crise rebondit trois ans plus tard. Deux des triumvirs, Zinoviev et Kaménev, s'aperçoivent que le troisième, Staline, abusant de sa fonction administrative de secrétaire-générai, a rempli les bureaux de ses créatures et qu'ils ont eux-mêmes, insensiblement, perdu le pouvoir. Le rayonnement de la révolution est compromis par les' défaites de la III6 Internationale, les difficultés économiques grandissent au moment où il faudrait passer de la reconstruction à l'élargissement de la pro¬ duction. La condition de la 'classe ouvrière reste indigente, la liberté d'opinion agonise, surtout dans le parti. Kaménev formule timidement une proposition de participation des ouvriers aux bénéfices des trusts d'Etat. — La vieille Opposition de Gauche (« trotskyste ») compte encore quelque huit cents militants qui ont gardé entre eux des attaches plus personnelles que clandestines (Moscou 600, Léningrad 100). A Léningrad 3.000 communistes environ resteront fidèlês à Zinoviev jusqu'au bout, c'est-à dire jusqu'à la tombe. Elle s'unit maintenant à la Gauche sur une plate-forme de lutte contre la bureaucratie et les nouveaux riches, commerçants et paysans. La Nouvelle Opposition préconise l'industrialisation, l'impôt et l'emprunt dans les campagnes, la démocratisation du parti et de certains syndicats, l'internationalisme. Sa plate-forme réunit près de 8.000 signatures de bonne qualité, la moitié de ce que l'on espérait, mais aussi la bonne moitié au moins du parti pensant. La lutte de 1927 est très dramatique. Staline, appuyé par Boukharine et Rykov, remporte une victoire complète sur l'Oppo¬ sition, exclue et mise hors la loi. Ses moyens ont été : le chômage, ''intimidation, la provocation policière, l'arrestation, la violence dans ' v >5 la rue, le monopole de la presse, la doctrine du « socialisme dans un seul pays » qui signifie : Replions-nous, restons chez nous. Staline promet la paix aux paysans, repousse l'industrialisation difficile. Sa situation devient soudainement Critique quand la crise du blé confirme au début de 1928 les avertissements les plus pessimistes de l'Opposition. Mais celle-ci s'est en partie désagrégée. La tendance de Leningrad, avec Zinoviev et Kaménev, a « abjuré ses erreurs » et se fait réintégrer dans le parti où elle est traitée en suspecte, avec raison, puisqu'elle n abjure que du bout des lèvres. Le Bureau Politique fait arrêter d'un seul coup environ 8.000 opposants. Parmi les intransigeants persécutés, un groupe fait preuve de la plus haute clairvoyance : celui de Sapronov et Vladimir Smirnov qui dénonce la formation de l'Etat policier et veut un nouveau parti... La Gauche et Trotski (déporté) blâment ce pessimisme. La Gauche se déclare pour la « réforme soviétique » par la persuasion et le regroupement des cadres. Elle est tout entière en captivité. fiïfej Le conflit mettait en présence la quasi-majorité pensante et active du Vieux parti, soutenue par beaucoup de militants de la guerre civile, d'une part; et de l'autre les bureaux dirigés par quelques vieux bol- chéviks et soutenus par l'indifférence des masses. Autour des 8.000 opposants, il y avait eu dans les meilleurs moments deux à trois fois autant de sympathisants, ce qui pouvait faire entre 30.000 et 40.000 communistes sur un parti comprenant 1.061.000 membres dont 238.000 fonctionnaires formant la couche influente. Dès 1928-1929, Staline reprend malgré lui quelques éléments du programme de l'Opposition (l'industrialisation et la lutte contre les paysans cossus), mais én les déformant désastreusement ; collectivisation agricole totale, industrialisation accélérée... Les résultats sont catas¬ trophiques. Déportation de millions de familles paysannes, famine, rationnement insuffisant, baisse verticale des salaires réels, abolition de toute liberté du travail, terreur contre les travailleurs. Les années 1929- 1934 sont indescriptibles de misère et de danger. Au sein du Bureau Politique, une Opposition se reforme, que l'on appellera de « Droite » pour la disqualifier. Ses idéologues sont Boukharine, Rykov et Tomski. La « Droite » craint la chute du régime par le chaos ou la guerre, elle exige à voix basse la pacification des campagnes, une industriali¬ sation plus rationnelle et plus humaine, la fin de la terreur, un mini¬ mum de démocratie (dans le parti et les syndicats). Elle exige la démission ou la révocation de Staline qui, selon le mot de Boukharine, « mène le pays aux abîmes et nous dévorera tous ». II me semble évident qu'en 1932, la «Droite» eut la majorité dans les cercles dirigeants et l'immense majorité dans le pays. Mais jamais elle n'osa asar de son influence, parler à haute voix, défendre sw emprisonné*. 36 Elle avait ctas talents, des compétences, un dévouement absolu, elle manqua de caractères et le régime p.olicier plongeait les hommes les plus haut placés dans de véritables crises d'angoisse. Le Totalitarisme était fait Kfcfcw-.. . ■ L'extermination des Bolcheviks Le syitème totalitaire s'est cristallisé entre 1927 et 1930. Il n'y avait sans doute que deux moyens de faire travailler un pays affamé et mécontent : des réformes de soulagement ou l'implacable contrainte. Les réformes eussent provoqué un changement d'équipe dirigeante : on refusa d'y penser. Les procès des techniciens et des économistes socia¬ listes (ex-menchevicks), et plus encore les exécutions secrètes, l'applica¬ tion de la peine de mort aux paysans, aux ouvriers et à d'infimes spéculateurs, brisèrent toutes les résistances spontanées. Une sensible amélioration économique se produit fin 1935, à la suite des concessions faites par Staline aux paysans (admission d'une entreprise privée limitée au sein du kolkhose). L'assassinat de Kirov, membre du Bureau Poli¬ tique, par un jeune communiste isolé et désespéré, ouvre tout à coup la période de l'extermination du vieux parti et de la génération révolu¬ tionnaire (1936-1938). Les procès d'imposture de Moscou — et quel¬ ques autres, moins connus — n'entraînent qu'une centaine d'exécutions. Mais il y eut des milliers ou des dizaines de milliers d'exécutions sans procès publics. Le nombre des bolchéviks fusillés ne peut s'exprimer que par cinq chiffres. La statistique officielle montre qu'entre 1934 et 1939 plus de 283.000 membres du parti furent radiés. Défalcation faite des morts naturelles, il reste que plus de 250.000 communistes furent envoyés dans les camps de concentration après que la minorité la plus active eut été passée par les armes. Les seules épurations des gouvernements fédérés ne firent pas moins de 5.000 victimes. Les épu¬ rations firent aussi des coupes sombres dans la population tout entière. — A Rome, la presse fasciste s'en félicitait hautement (3). (3) « En mars 1939, on pouvait pour le haut-commandemenl de l'armée et de la flotte, droçer le bilan approximatif suivant : avnieni disparu, la plupart fusillée sans procès publics, 3 maréchaux sur 5, 27 généraux com¬ mandants d'armées 18 amiraux et contre-amiraux, bref 13 commandants d'ar¬ mées sur 19; 15 commandants de corps d'armée sur 85, 110 généraux de divi¬ sion sur 195, 202 généraux de brigade *ur 406, et 20 à 30.000 officiers sur un total de 80.000 officier- en service actif. s> (Victor Serge, Portrait de Sta¬ line Paris 1940). — Sur l'ampleur des épurations, Jobn Scott écrit : « The purge had deva tating effects on several millions Soviet citizen*, svho were arréstcd and exiled. ' Most of these people were innocent, but some were guilty and some... miglit have become excellent Nazi fiflh-columnits. » (Behind the Ourals, p. '206.) J'ai souligné: plusieurs millions. J'observe que le chef militaire de la Cinquième colonne en Russie, le générai Vlassov, loin de subir l'épuration avait fait sa carrière grâce à l'épuration. 37 Les causes de la défaite Les conclusions suivantes me paraissent s'imposer. —~ I. La Russie soviétique est, après l'Espagne, le pays qui opposa au Totalitarisme la résistance la plus tenace et la plus sanglante. — 2. Dans l'ensemble, toutes^ les oppositions communistes, depuis 1920, ont lutté contre la poussée du système totalitaire, sans en avoir clairement conscience, sauf dans quelques cas exceptionnels. — 3. Les autres partis de \la révolution russe virent le danger avant les bolchéviks, mais ri reste que la résis¬ tance la plus obsiinée fut celle des bolchéviks eux-mêmes. — 4. Cette résistance fut teliement irréductible qu'elle aboutit à l'extermination complète. Il y avait donc incompatibilité absolue entre la mentalité socialiste des hommes de la révolution et le nouveau despotisme. On ne peut dès lors s'empêcher de penser que la difficile victoire du Totalitarisme n'était nullement fatale; et que les révolutionnaires qui se dressaient sans cesse contre lui, s'ils avaient vu plus clair (et c était possible ; leur langage individuel était plus net que' leurs docu¬ ments politiques), s'ils avaient été moins divisés, pouvaient donner à l'U.R.S.S. une autre impulsion, (Reconnaissons aussi que la bureau¬ cratie trouva en Staline un chef exceptionnel, à la fois suffisamment médiocre et suffisamment habile et d'une rare force de caractère.) Les Opposants furent à demi-paraiysés par un sentiment passionné — la fidélité au parti menacé — et par une idéologie marxiste devenue insuf¬ fisante à l'époque de la colossale révolution technique du XXe siècle. Marx, qu'ils connaissaient à fond, ne put prévoir les déplacements de forces sociales qu'entraîne l'industrie mod.rne et les avantages qu'elle offre à la tyrannie. Les Oppositions bolchéviks partagèrent l'optimisme du mouvement socialiste en général qui ne prévoyait pas que le Collec- tivi.me pourrait servir à fonder une exploitation du travail effroyable¬ ment écrasante. L'attachement affectif à la révolution faisait que la moindre mise en doute de son succès apparaissait comme une hérésie à châtier; et quand celui qui venait de prononcer l'exclusion et la dépor¬ tation contre ses camarades « de peu de foi » (ces mots furent surabon¬ damment employés) se mettait à doufSf lui même, d'autres opposants de demain le condamnaient à leur tour. Cela dura jusqu'au jour où il n'y eut plus de vrais socialistes qu'en nombre insignifiant. Pourvues d'une forte éducation doctrinale, les oppositions successives furent divi¬ sées par des rancunes de persécutés-persécuteurs et par des inquiétudes dé théoriciensTLa Gauche avait dénoncé la Droite comme capable de faciliter un glissement vers la restauration du capitalisme. La Droite avait dénoncé «l'aventurisme» et l'éclectisme intellectuel du « trots- kysme ». Il fallut l'écrasement commun pour que les uns et les autres comprissent que la question vitale était celle du statut politique, de la 36 liberté d'opinion, du minimum de démocratie, et que le danger mortel p. était ni dans l'enrichissement très modéré des ruraux ni dans une solidarité internationale p'us ou moins intransigeante, ni dans les façons de concevoir l'industrialisation d'un pays pauvre, mais dans la crois¬ sance d un despotisme absolu et inhumain. Les Opposants étaient d'excellents socialistes instruits et infiniment dévoués. Tous eurent à choisir maintes fois entre la persécution et la tranquille carrière gouvernementale ou le fonctionnariat — et tous renon¬ cèrent délibérément aux privilèges et aux carrières. Le jacobinisme défor¬ mait leur humanisme marxiste. Ils étaient autoritaires, intransigeants jusqu'à l'intolérance, disciplinés jusqu'à admettre l'effacement de la conscience individuelle. Le jacobinisme leur avait réussi dans le travail de sape contre l'Empire, puis dans la prise du pouvoir, puis dans la guerre civile, puis dans la reconstruction... Réussi en gros avec de terribles ratages qui eussent dû faire réfléchir plus profondément qu'on ne le fit, comme l'échec du communisme de guerre, la tragédie de Cronstadt, l'étouffement de la critique sérieuse et des autres mouve¬ ments socialistes. Les réussites et les fautes établissaient entre les Oppo¬ sants et le pouvoir des responsabilités communes. Trop longtemps ils crurent que la machine était bonne et qu'il suffirait d'en changer les mécaniciens pour que tout allât mieux. Trotski est mort avec cette idée de « l'Etat ouvrier à déformation bureaucratique ». En Russie, ce n'est qu'en 1932 que l'on commença à comprendre que la machine même était humainement intolérable. Là-dessus se réconcilièrent des hommes de Droite et de Gauche. > Le Peuple et le Parti Depuis 1'920-1921, les masses subissaient le parti plus qu'elles ne le suivaient. Le parti savait que son isolement durerait jusqu'au retour d'un certain bien-être. Craignant l'opinion du pays, il lui refusait la parole. On disait couramment : « Laissez parler un tout p°tit peu et la petite bourgeoisie contre-révolutionnaire (la paysannerie d'abord) couvrira toutes les voix de ses clameurs... Nous serons emportés. Ensuite .viendra une sorte de fascisme... ». C'était plausible. Mais à la faveur de l'état de siège et du silence, d"s éléments passifs et rétrogrades s'installaient aussi dans tous les rouages de l'Etat-parti. L'Oppo idon de Gauche, la plus audacieuse, n'osa jamais aller au delà d'un programme de démocratisation progressive du parti et de quelques syndicats, pour commencer. EFe ne chercha jamais à parler aux sans-parti, au pays, même quand il devint évident _ qu'il y avait en dehors du parti une périphérie socialiste très large, sérieuse et capable. 39 -w N'avoir pas osé courir le risque de l'appel au pays, ce fut peut-être la faute suicide. Le fétichisme du parti explique cette faute. On n'était ni « membre du parti », ni citoyen, on était partiietz, un « homme du parti», un fragment de cet ensemble sacré que Boukharine avait autrefois défini « la cohorte de fer » et qui en réalité n'était plus qu'un appareil, de bureaux sans âme et une mas e de petits privilégiés, La révolte de l'humanisme était profonde et ancienne. Elle s'était manifestée dès le début de la révolution par la lutte de Maxime Gorki contre la Terreur, par l'insistance de Riazanov à réclamer l'abolition de la peine de mort, par les efforts de Kaménev en vue de sauvegarder un minimum de liberté pour la pensée imprimée, par les encouragements prodigués à la jeune littérature soviétique jusqu'en 1927. J'ai connu beaucoup de vieux militants bolchéviks qui ne cessèrent jamais de s'indigner des rigueurs jacobines. Le culte du Chef ne s'imposa qu'avec le Totalitarisme. Jamais Trotski ne fut ni le «chef» ni le leader incontesté de l'Opposition de Gauche. Il en était aimé et écouté comme une intelligence intrépide et un caractère sûr, il y fut toujours discuté sans la moindre gêne. Vaincue et emprisonnée, la Gauche adopta l'appellation de « bolchevik-léniniste » afin d'affirmer son souci d'or¬ thodoxie; mais elle se subdivisa promptement en une foule de sous- tendances que l'on peut classer en deux courants : les vrais orthodoxes qui rêvaient d'un retour à un bolchévisme idéal et les chercheurs qui entendaient poser librement les grandes questions. Ces derniers furent les plus nombreux. « C'est la prison qui fait notre unité », me disait le vieil Eltsine, un des fondateurs du parti. J'ajouterai que, par-dessus les divergences d'opinions, une profonde affection fraternelle unissait les derniers 500 voués à la disparition. Les renseignements qui me sont parvenus pendant la guerre m'obligent à croire que personne n'a survécu des Oppositions si ce n'est quelques inconnus. La propagande officielle a identifie le trots- kysme au fascisme sans réussir à Se faire croire. Les fonctionnaires admettent qu'un esprit d'opposition diffus et confus (qu'ils appellent parfois trotskysme) s'est très largement répandu. Il n'appartient plus au parti mais au peuple. Le parti parfaitement obéissant ne pense ni ne murmure. Un programme d'opposition dicté par les besoins est latent dans des millions de cerveaux. S'il était possible de le formuler, il est évident qu'une immense majorité de citoyens se prononceraient ; 1. pour la libération des paysans par la coopération réellement volon¬ taire et l'entreprise individuelle; 2. pour la liquidation des camps de concentration et du terrorisme administratif et l'établissement de Vhabeas corpus; 3. pour l'abolition de l'article 126 de la Constitution qui consacre le monopole du parti unique ; 4. contre la pensée dirigée, c'est à-dire étranglée et revêtue d'uniformes indigents; 5. pour les libertés démocratiques fondamentales. Ce seraient là les conditions préa- 46 :/ lebèee de 1« reiHussaaœ d'une démocratie socialiste à laquelle la guerre a préparé de nouveaux cadrés énergiques dans- l'armée, chez les parti¬ sans, dans l'industrie, dans, l'agriculture, dans l'intelligentsia... Le régime totalitaire, subissant la pression de ces aspirations latentes mais puissantes — et rendues plus puissantes par la misère générale — ne peut que leur chercher des dérivatifs dans l'extension, l'exploitation et 1* défense de conquêtes militaires. Mexico,'juillet 1945. LA VIE ET LA MORT DE LEON TROTSKY L ANNÉE 1917, quatrième année de la première guerre mondiale, commença sous de sombres auspices. L'Europe continentale était incendiée, on se battait en Turquie d'Asie, en Palestine, en Afrique. Les deux coalitions rivales semblaient engagées dans une lutte d'extermination qui ne laissait aux peuples aucun espoir de salut. Les vaincus seraient un jour impitoyablement traités, les vain¬ queurs seraient effroyablement épuisés... Nous avons connu ces temps, et l'amertume des combattants, la misère des populations à l'arrière, la faiblesse dérisoire d'une poignée de socialistes fidèles à l'internatio¬ nalisme. Tout à coup, en mars 1917, le despotisme des Tsars s'écroula sous la poussée inattendue des ménagères et des ouvriers de Pétrograd. L'avènement de la Russie à la liberté démocratique fut une immense lueur d'espoir en un temps de cauchemar. Mais deux inquiétudes naquirent en même temps : la défection de la Russie pouvait assurer la victoire des Empires centraux et la révolution russe elle-même sembla s'enliser dans les compromis avec une bourgeoisie faible et réactionnaire qui, tout de suite, se mit à préparer la dictature militaire et la répres¬ sion des mouvements paysan et ouvrier. Si les impérialismes autori¬ taires l'emportaient sur les impérialismes démocratiques et si laj révo¬ lution russe aboutissait à un régime dictatorial de réaction plus vivace et plus moderne que le Tsarisme, l'avenir de l'Europe n'était plus que ténèbres. ' Le 7 novembre 1917, un immense événement bouleversait ces perspectives. De Pétrograd à Kazan, à Kalouga, à Tachkent, jes ouvriers, les paysans, les soldats, les intellectuels révolutionnaires s'in¬ surgeaient, donnaient le pouvoir aux Soviets — ou Conseils de Travail¬ leurs — la terre aux paysans, le contrôle dé la production aux ouvriers, et proposaient au monde la paix des peuples, « paix immédiate sans ■nnMian. ni indemnités ». La victoire du bolchévisme affaiblissait 41 tnomenfernémçtrt la Russie, en tant que grande puissance, au point qu'elle allait accepter la mort dans l'âme le diktat de Brest-Litovsk; mais en réalité, eile portait en même temps un coup mortel à l'impé¬ rialisme des Empires centraux, hâtait la maturation des révolutions populaires en Allemagne et en Autriche-Hongrie, incitait le Président Wilson a formuler ses mémorables- conditions de paix, fondées sur le droit des nationalités. Par-des.us tout, elle donnait naissance à un irrépressible espoir de transformation sociale. L'Europe entière com¬ mençait à entrevoir une nouvelle justice sociale, une nouvelle frater¬ nité. Les classes pauvres, perpétuellement vaincues tout au long de l'histoire, se sentaient désormais capables de vaincre et d'acheminer le monde vers un plus haut destin. Les événements de Russie étaient l'œuvre des masses paysannes, des masses ouvrières, des masses de soldats et de marins, et d'une nombreuse minorité d'intellectuels idéalistes. Il est scandaleusement faux, l'histoire le démontre au premier coup d'œil, de dire que le parti, bolchévik fit la révolution socialiste. Le mérite de ce parti fut de com¬ prendre que cette révolution se faisait et devait vaincre.. Le mérite de- ce parti, ce fut de donner au mouvement des masses un système nerveux,, des appareils de coordination et de d.rection intelligente, des cadres, d'hommes dévoués et cultivés. Le mérite de Lénine et de Trotsky, ce: fut de comprendre qu'aucune solution intermédiaire n'était possible; entre la dictature réactionnaire d'un général Kornilov et la dictature: révolutionnaire — et libertaire — des Soviets. Les noms de Lénine, et de Troisky, inséparable;, s'allument à ce moment avec un rayon¬ nement. prodigieux. Juif, d'origine bourgeoise, militant socialiste depuis son adoles¬ cence, Léon Davidovitch Bronstein, en journalisme Léon Trotsky, avait trente huit ans. I! rentrait du Canada après avoir été expulsé de France et interné à Halifax. En 1905, président du Soviet de Saint-Péters¬ bourg, il avait proclamé la journée de travail de huit heures, le refus de l'impôt, et tenu i'Empire en échec à la fin de 1a- première révolution; russe. Envoyé en. Sibérie, pour la deuxième fois, évadé, réfugié succes¬ sivement à Vienne, à Berlin, à Paris, il était connu comme un marxiste (social démocrate) russe indépendant au sein du parti divi.é en majorité; (bolchévik) révolutionnaire et jacobine et minorité (menchévik) modérée, démocratique. Dès 1904, il s'était opposé à Lénine, son ami, qui préconisait déjà la dictature du parti sous l'enseigne de la dictature du prolétariat. Trotsky lui avait répondu : « Ce serait infailliblement la dictature du parti sur le prolétariat ». Avec Rosa Luxembourg il combattait la .centralisation autoritaire du bo.lchévisrne. Il se présentait comme le. théoricien de la « révolution permanente », c'est-à-dire inter¬ nationale et destinée à. franchir les étapes de la démocratie bourgeoise ail lieu de s y arrêter. En mai-juin 1917, dès l'arrivée à Pétrograd, il se rallie au bolchevisme que l'autorité intellectuelle de Lénine vient de fane entrer vigoureusement dan; la voie de la « révolution perma¬ nente » et qui représente énergiquement les aspirations des masses. Le système soviétique, pour Trotsky comme pour Lénine, débuta sous les - formas d une démocratie nouvelle, largement spontanée. Trotsky, après avon été 1 un des principaux organisateurs de' l'insurrection et de la prise du pouvoir, devient le Commi.saire du Peuple aux affaires étran¬ gères qui publie les' traités secrets, puis l'organisateur de l'Armée rouge. En quatre années d'impitoyable guerre civile, il remporte, dans des conditions souvent désespérée.1, victoire sur victoire, détruit les armé.s réactionnaires des généraux Youdénitch en Esthonie, Dénikine en Ukraine, Doutov dans l'Oural et de l'amiral Koltchak en Sibérie, réduit à l'impuissance ies interventions étrangères... C'e.t une véritable épopée, dans laquelle naturellement les travailleurs en armes ont le premier rôle. Des militants d'une qualité- exceptionnelle s'y révèlent : Biiicher dans l'Oural (fusillé par Staline), Toukatchevski sur la Volga (fusillé), Yakir en Ukraine (fusi.lé), Ivan Smirnov sur la Volga et en Sibérie (fusillé), Egorov à Tsarytsyn (fusillé), Smilga, Rosen- . golt, Mratchkcvski, Mouralov (fuselés) et bien d'autres (pour la plupart fu.illés : ne survivent que Vorochilov, Boudienny, .Staline). L'intervention étrangère, la guerre civile, le. blocus, la -famine, tuent la jeune démocratie soviétique et entraînent la dictature bureau¬ cratique du parti. En 1921, l'insurrection de Cronstadt révè.e le conflit entre le peuple révolutionnaire et la dictature. Cronstadt réclame le retour aux soviets librement élus. C'est Trotsky qui le premier a préconisé la Nouvelle Politique Economique, afin de donner satisfaction aux paysan, en les libérant des réquisitions. S'il avait été écouté, il n'y eût sans doute pas eu de révolte à Cronstadt: Il reste évident que Trotsky, au pouvoir, partage avec Lénine et les dirigeants du parti bolchévik la responsabilité d'erreurs infiniment graves. Que ces grands révolutionnaires aient exercé le pouvoir dans des conditions, infernales, c'est certain. Que leur psychologie de doctri¬ naires marxistes, convaincus de po.séder la vérité intégrale et salvatrice, les ait rendus mortellement intolérants et leur ait fait méconnaître l'im¬ portance vitale de la liberté et de la démocraie, n'est pas moins certain. A la faveur de l'état de siège, tous les mouvements socialistes (et libertaires) autres que le bolchévisme sont étouffés, même quand ils sont trop faibles et trop sains pour mettre le nouveau régime en danger. Les socialistes révolutionnaires de gauche, qui ont pris les armes contre Lénine et Trotsky, sont indéfiniment gardés en prison depuis 1918 (ilA. y sont encore) ; les social-démocrates menchéviks, devenus les protaga^ nistes de la démocratie ouvrière sont dur:ment persécutés; les anar¬ chistes sont mis hors la loi, bien qu'avec Makhno ils aient joué un rôle 43 important dans la libération de l'Ukraine occupée par les Blancs et qu'un traité fraternel leur, ait solennellement promis la légalité. En fondant la Tcheka, Lénine et Trotsky ont établi une véritable inqui¬ sition. En étatisant les syndicats et les coopératives, ils ont désarmé les masses et ouvert la voie au totalitarisme. Mais ils étaient de bonne foi. Dès 1923, ils s'aperçurent du péril bureaucratique, totalitaire en réalité, et résolurent de le combattre ensemble. Trotsky réclama le « Coiirs nouveau » — démocratie dans le parti, appel aux jeunes... Il fut vaincu par les fonctionnaires au moment où Lénine mourait de surmenage cérébral. A partir de cette date, Trotsky devient, en dépit de bien des fautes secondaires, l'intrai¬ table et puissante incarnation d'un mouvement de gauche qui, au sein du parti, luttera jusqu'à la mort pour le retour à la démocratie inté¬ rieure et syndicale, pour le principe de l'internationalisme militant, pour une industrialisation intelligente et humaine, contre la dictature des secrétaires, la pensée dirigée par des cuistres1, l'industrialisation inhu¬ maine, la stupide doctrine du « socialisme dans un seul pays », la collaboration avec le Nazisme. Ce fut en 1928, la victoire de la tendance totalitaire, l'empri¬ sonnement de 8.000 opposants de gauche, puis la persécution jusqu'à l'extermination physique de toute la génération révolutionnaire de 1917- 1'924. Enlevé de force à Moscou, déporté à Alma-Ata, à la frontière du Turkestan chinois, banni -— de force — et envoyé en Turquie, exilé en France, en Norvège, au Mexique, Trotsky continue le combat sur le seul terrain qui lui reste, celui des idées, pendant que ses cama¬ rades meurent dans les prisons. Ce combat, il le continue magnifiquement, avec une oeuvre scientifique de premier ordre, qui s'intègre au patri¬ moine de la culture socialiste (Ma Vie, Hislore de la Révolution russe, La Révolution trahie). Un de ses fils est fusillé, une de ses filles meurt de micère, une autre se suicide, la mort suspecte, à Paris, de son fils aîné et collaborateur, Léon Sédov, l'accable, lui même attend l'assas¬ sinat, mais il continue le combat, intraitablement, avec _ une probité absolue et une intelligence acérée. En 1936, les procès d'imposture^ de Moscou commencent en Russie l'extermination sanglante de la ^ géné¬ ration révolutionnaire tout entière, y compris les tendances qui s'oppo¬ sèrent longtemps à celle de Trotsky (Zinoviev-Kaménev, Boukharine- Rykov). Le bourreau fait la loi. Il s'agit d'imputer la responsabilité de l'effroyable misère du peuple russe sous le Totalitarisme et du gâchis économique de l'industrialisation despotique aux vieux marxistes qui pourraient fournir des équipes de rechange pour le gouvernement, qui Vnt populaires, et à l'Exilé qui représente la conscience vivante de la révolution de novembre 1917. La calomnie, le mensonge, le délire d'assassinat le débordent. Son nom est rayé des traités d'histoire sovié¬ tique. Une seule éclaircie en ces jours noirs : une commission d'intel- 44 1 actuels internationaux, présidée à New-York et Mexico par le grand philosophe américain John Dewey, étudie longuement ce criminel fatras et proclame l'innocence complète, ia grandeur irréprochable de Trotsky: Not Guilty ! (non coupable !) Des fautes secondaires l'isolent cependant et diminuent l'impor¬ tance immédiate de son œuvre. Sa fidélité au vieux parti l'a souvent paralysé. Il se refuse à reconnaître, malgré les crimes, malgré sa propre mort qui vient, que l'U.R.S.S. a cessé d'être un « Etat ouvrier socia¬ liste » et qu'un nouveau système totalitaire s'y est établi. Il croit pouvoir porter sur ses seules épaules le poids d'une nouvelle Internationale, la IVe, continuatrice de la. IIIe des temps héroïques. Il est devenu volon¬ tariste et utopiste, il se coupe de l'ensemble du mouvement ouvrier. Il s'acharne à maintenir un bolchévisme d'une époque révolue, que per¬ sonne ne peut plus comprendre réellement. Il se montre intraitable envers des révolutionnaires qui l'aiment et le comprennent, mais ne consentent pas à le suivre dans cette voie. Il intervient dans les dissen¬ timents et les scissions de minuscules partis qui ne forment plus, qu'une secte attachée à des formules dépassées... Nous comprenons son raidis¬ sement intérieur et le drame de sa solitude. En U.R.S.f»., les condamnations à mort pleuvent sur lui. Le 20 mai 1 940 (au temps du pacte Hitler-Staline dont il est l'adversaire), le peintre communiste mexicain Alfaro Siqueiros et le « Juif français » — probablement l'agent du Komintern et du Guépéou, Mink — accompagnés d'une vingtaine de coupe-jarrets, donnent l'assaut à la résidence de Trotsky à Coyoacan, tirent trois cents balles de mitraillette •dans sa chambre à coucher, laissent une bombe incendiaire et s'en vont en emmenant son collaborateur américain, Sheldon Harte, dont on trouvera bientôt le cadavre dans une maison du Desierto de los Leones, louée par les frères Arenal. Survivant par miracle, Trotsky dit aux journalistes qu' « un autre attentat suivra prochainement ». Il sait que ' l'ordre d'en finir avec lui a été donné et que les assassins disposent de moyens illimités. Le 20 août 1940, à 7 heures du matin, il reçoit dans son cabinet, pour quelques instants, le « camarade » Jakson-Mornard- Vandendreschd qui le frappe d'un coup de piolet au crâne... La véritable identité de l'assassin n'a pas été établie, mais on sait qu'il voyageait avec le passeport d'un mort des Brigades Internationales d'Espagne, organisées par le Komintern. Le verdict de la jusiice_ mexi¬ caine a çonstaté qu'il agissait comme l'intrument, payé d'une puissante organisation... Lui-même a proclamé son admiration pour Staline... Le duel du vieux révolutionnaire et du Totalitarisme se termine ainsi. Devant l'histoire le procès reste ouvert. Il ne fait même que commencer ! . (Piiblié par Mundo, Mexico.) OI E DEVIENNENT LES REFUGIES ITALIENS EN U.U.S.S. ? JE voudrais remplir ici un devoir en posant une qu°stion : Que sont devenus, que deviennent les réfugié? poétiques italiens, accueillis en Russie pendant la révolution et pour la plupart disparus ensuite dans les prisons du Guépéou? Les relations sont reprises entre une Italie libérée du fascisme et le Krem'in. Ces réfugiés, > ou du moins ceux d'entre eux qui survivent (s'il en est qui survivent) pourraient être rapatriés. La plupart éta;ent des homm°s exceptionnels par l'idéalisme et la force de caractère. Ils pourraient servir encore une Italie nouvelle qui a besoin d'hommes courageux. En tout cas, nous n'avons pas le droit d» les oublier. S'ils sont morts, nous avons le droit et le devoir de demander quand et comment. Je quittai l'U.R.S.S. en 1936, banni par un ordre de Staline et sortant des mains du Guépéou. Je prenais, en franchissant la frontière, l'engagement irrévocable de défendre la vie et le droit à la liberté d'opinion des socialistes, des syndicalistes, des', libertaires et des com¬ munistes opposants que je laissais derrière moi dans les prisons, 'les camps de concentration, les lieux de déportation. J'en connaissais beau¬ coup personnellement, pour avoir partagé leur sort. Jp n'oublierai jamais leur probité, leur vaillance, leur dévouement indéfectible à de grandes idées que le mot démocratie résume pratiquement. Il y avait parmi eux plusieurs italiens de qualité. Voici quelques noms. Tout d'abord Francesco Cxhezzi. S'il est vivant, il doit avoir aujourd'hui une cinquantaine d'années. Milanais, ouvrier, militant de l'Unione S:ndicale. anarchiste depuis sa dix huitième année, les persé¬ cutions policières l'obligèrent à se réfugier à Moscou en 1921. Fidèle à sa pensée, il refusa d'adhéreT au P. C., refusa les fonctions qu'on lui offrit, voulut n'être qu'un ouvrier d'usine, se fit pstimer de tous ceux qui le connurent. En 1929, le Guépé-u l'emnrisrnua sans iusement. Un grand mouvement de protestation internationale obtint ra libération deux m® plus tard; Parmi les signatures- des protestations qui le rendirent # % la liberté, je trouve les noms de Romain Rolland. Ernest Tôlier, Georges Duhamel, Kaethe Kollwitz, Léon Werth, Boris Souvarine, Heinrich Mann, Fernando de Rosa, Luigi Fabbri, H°nri Barbusse, Jacques^ Mesnil. Je le rencontrai à sa sortie de prison, plus dévoué que jamais à la cause soviétique, mais sans abandon de convictions. Il vécut !f V|\e ^Ure C'eS ?uvr'erf d'usine. En 1937, pendant les sanglants procès de Moscou, il disparaît à nouveau et cette fois nous ne sûmes plus rien de lui, rien. Les secours en argent que des ami? tentèrent de lui faire parvenir furent retournés aux expéditeurs. Il y a huit ans de cela... Othello Gaggi, ouvrier toscan, syndicaliste, condamné par le tri¬ bunal d Arezzo pour avoir défendu son village de San Giovanni di VaIda.mo contre les chemises noires, à trente ans de prison, trouva un asile en Russie, y vécut quatorze ans, fut arrêté en 1935, lors des arres¬ tations en masse. En 1936, il sollicita vainement, du fond de sa pri- sin, 1 autorisation d'aller combattre en Espagne. Les rr.'Iitants espagnols qui soutinrent ses demandes ne reçurent aucune réponse. Luigi Calligaris, socialiste, puis communiste, militant à Trieste, avait dirigé un journal clandestin sous le régime fasciste. Il fit cinq ans de déportation aux îles Lipari (1926-1932), s'évada d'Italie, se réfu¬ gia à Mo'cou, fut arrêté sans inculpation précise en 1935 et déporté dans la région nordjau? de Shenkoursk. Son seul « crime t> était d'avoir demandé à quitter l'U.R.S.S. En déportation, il faillit mourir de faim. Puis, nous ne reçûmes plus de nouvelles. Ces hommes ne sont pas les seuls. En règle générale, les réfugiés italiens furent, à quelques exceptions près, emprisonnés ou déportés. Le respect humain nous obline à espérer que quelques-uns, peut être un Francisco Ghezzi, un Gaggi, un Calligaris, survivent en captivité M. Palmiro Togliatti, ministre du cabinet Bonomi, connaît à fond ces affaires et les dossiers de ces hommes, la section italienne du Komin- tern, qu'il d'rineait. ayant été plus d'une foi' informée ou consultée a leur sujet. M. Palmiro Togliatfti s'appelait alors, à Moscou, le cama¬ rade Ercoli, memibre du Comblé Exécutif de l'Internationale Commu¬ niste. Il dirigeait le Secrétariat des Pays latins, il se rendait fréquem¬ ment en Espagne. I! avait lui-même frôlé la prison, s'étant trouvé, en 1930-1931, à la tête d'une opposition clandestine liée à la tendance Boukharine, qui espérait mod ifier la ligne de conduite et surtout les méthodes d'administration intérieure du Comité Exécutif du Komin- tern ; le Guépéou intercepta u ne partie de sa correspondance et le mit en demeure de choisir entre 1 'exclusion, la persécution — et la colla¬ boration. Il trabit son collègue à l'Exécudf, Angelo Tasca, qui fut exclu, et depuis Lts le camarade Ercoli fut bien « dans la h eue Mais le ministre du gouv-rm :ment antifasci'te de Rome, M. Palmiro Togliatti, assume, sembh-t-il , d'autres devoirs envers ses concitoyens qus le fonctionnaire du Komi «Urn Ercoli. Son devoir serait aujourd nui 4? d'informer les antifascistes italiens et {es hommes de feéime vtd«rrHÎ pour lesquels la vie humaine et la liberté d'opinion ont line valeur, du sort des réfugiés italiens disparus en U.R.S.S. depuis de: longues années. J'aime à croire que la question lui sera posée. Que1 sont devenus Francesco Ghezzi, Othello Gaggi, Luigi Calligaris — et bien d'autres? S'ils sont morts, comment sont-ils morts... en captivité? S'ils survivent, quelles raisons majeures, quelles raisons admissibles pour des consciences antitotalitaires s'opposent à leur retour dans une patrie qu'ils n'eussent jamais voulu quitter, qu'ils ont servie en combattant et qui commence douloureusement à se libérer après vingt-deux ans de fascisme? (Publié en 1944 par lé New-Le.aAer de New-York.) > Ou va la Russie? Pour comprendre l'évolution de la Russie depuis 1917 et ses incidences sur la politique du P. G. français, vous devez lire: Rosa Luxembourg : La Révolution russe...... 20 fr. La grande théoricienne marxiste pose le problème de la réalisation du socialisme sur son vrai terrain: celui de la liberté. Elle put, dès 1918, déceler et signaler les tares et le§ écueils qui devaient faire sombrer la première grande révolution sociale de notre époque. Rosa Luxembourg : Marxisme contre Dictature 25 fr. Rosa Luxembourg, dès 1904, dénonça les germes de l'évolution totalitaire du bolchevisme qui1 devait aboutir à l'esclavagisme stalinien, monstrueuse négation du n larxisme. Victor Serge :■ 16 Fusillés à Mos: cou 30 fr. Comment et pourquoi fut anéantie, par Staline la vieille garde bolchevique. Un grand écrivain et co orageux militant qui vécut seize ans en Russie apporte son témoi. g,nage. Charles Alligier : Socialisme bolchevisme et ïrance 20 fr. En une forte brochure de 96 pag es, l'auteur, un des hommes qui connaissent le, mieux la politic pie de l'U. R. S. S. et les rapports entre les nouvelles castes russes explique le pourquoi • de la politique extérieure soviétique c'.t comment elle commande les agissements et les pirouettes du P. C. français. René l efeuvre : La politique com muniste .... 20 fr. Un recueil dé documents : les étap es d'une- fidélité à travers ligne ei lournants. L'asservissement du parti communiste à la bureaucratie russe irréfutablement dt ;montré et, par suite, la subordination des intérêts français a.i ix^ impératifs soviétiques. Smp. MaScurta#, Porte» Sl9Mv i Directeur : René LEFEUVRE ROSMER et MODIANO : Union Sacrée 1914 25 Jean PRADER : Au secours de l'Espagne socialiste 25 P. LAPEYRE : Révolution et Contre-Révolution en Espagne .. 15 Marc BERNARD : Journées ouvrières 9 et 12 février 1934 ... 40 Série 1947 : (12 Brochures) 200 fr., franco Jean JAURÈS : L'Église et la Laïcité 15 Hugo JORDI : La Prise du Pouvoir 25 Charles ALLIGIER: Socialisme, Bolchevisme et France 20 Rosa LUXEMBOURG: La Révolution Russe 20 Marxisme contre Dictature 25 René LEFEUVRE : La Politique Communiste (Ligne et Tournants) 20 J. COTEREAU : L'Eglise a-t-elle collaboré ? 20 JAURÈS et LAPARGUE : Idéalisme et Matérialisme 20 Marcel OLLIVIER : Le Guépéou en Espagne 20 Camille BERNERI : Guerre des Classes en Espagne 25 A. et D. PRUDHOMMEAUX : Catalogne libertaire 1936-1937 30 Suzanne CHARPY : Prendrons-nous les Usines ? 20 A Paraître prochainement ; Victor SERGE : Le nouvel Impérialisme russe. Z. ZAREMBA : La Commune de Varsovie. Rosa LUXEMBOURG : La Commune de Berlin. A. BERKMAN : La Commune de Cronstadt. Jean JAURÈS : Le Manifeste communiste. Remises p. commandes par quantités : 10 ex. 10 0/0, 25 ex. 15 0/0 50 ex. 20 0/0, 100 ex. 25 0/0, 500 et au-dessus 33 0/0. Envoi franco de port. Adresser commandes et fonds à J.- R. Lefeuvre, 15, rue de la Huchette, Paris (5e). C. C. Postaux : 633-75. ' lonnements 1947 :1 an. 240 fr. Etranger. 300 fr. De soutien 509. f Mm W&SG8. REVUE masses MENSUELLE •Directeur : René LEFEUVRE ÉTUDES ET COMBATS POUR LE SOCIALISME ET LA LIBERTÉ En vente dans tous les kiosques et les bibliothèques des gares et du métro : 20 francs. Abonnements : 12 numéros 200 fr., de soutien : 500 fr., Etranger : 280 francs. — Adresser à J.-R. Lefeuvre, 15, rue de la Huchette, Paris (5e). 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