CAHIERS DE LA QUINZAINE PREMIER CAHIER DE LA VINGT-TROISIÈME SÉRIE FERNAND MAZADE L'Elégie italienne. CHEZ DESCLÉE DE BROUWER & C" 76 bis, rue des Saints-Pères, Paris (VIF arrond.) Les poèmes du présent cahier, deuxiè¬ me cahier de la vingt-troisième série, achevés d'imprimer, en mars 1933, sur les presses de Louis Laboureur, à Issoudun, ont été tirés à 1.190 exemplaires dont quarante exemplaires sur vergé de Vi- dalon à la forme (dix étant réservés à l'auteur), numérotés de 1 à 40, et cent cinquante exemplaires sur alfa (cin¬ quante étant hors commerce), numérotés de 41 à 190. POESIES DE FERNAND MAZADE Arbres d'Helîade (1912). Athéna (1912). Dionysos et les nymphes (1913). Apollon (1913). L'ardent voyage (1921). De sable et d'or (1921). La sagesse (1924). Les poèmes de Sainte-Marthe (1926). Printemps d'automne (1930). Les pêcheurs (1931). Féerie (1931). Bergamasque (1931). Sous un coeur blessé (1932). 84»» 2 (i 1 ù- - Reconnaissez l'homme qui, soudain, Après des ans de vie infidèle, Revient aimer au climat latin, Lucques noir bleu comme l'hirondelle, Bords éternels du Tibre amaigri, Seuil du Vésuve auguste et rebelle, La Gajola que la mer pétrit, Avezzano couché dans l'Abruzze, Positano, Conca, Majori, 8 Fernand Mazade Salerne aiguë et Viétri camuse, Tarente douce aux jeunes époux, Et toi, Messine, et vous, Syracuse, Qui m'aviez vu parmi vos cailloux, Vos fleurs, votre air brûlant et sonore, Chercher le dieu que cherchent les fous : Prince nimbé d'idéale aurore Et plus léger qu'un rêve d'enfant, Seigneur d'un ciel que j'espère encore Lorsque je crois qu'il n'est plus vivant. En mer. Le croissant est écîos d'une vapeur neigeuse, Et la nuit de printemps s'étoile peu à peu. Je distingue le Cygne, Altaïr, Bételgeuse, Aldébaran tout rouge et Sirius tout bleu. Avec l'exhalaison du résineux cordage, De la saumure austère et du Chypre léger, Derrière elle la nef laisse un courbe sillage Où des oiseaux semblent nager. 10 Fernand Mazade Nous avons dépassé, ronde comme une rose, L'île que des tritons honorent de leurs nids. Et notre âme à présent s'unit au grandiose : Nous sommes enlacés à de? flots infinis. Ici, la Cynthia, que célébrait Properce, Sur le miroir de sel a son front reflété Et, dans une heure égale à celle qui nous berce, Les sirènes ont palpité. Des algues nous savons que sourit l'amertume Autour de notre proue à l'élancement sourd : Nous sentons que fermente à nos flancs une écume Où s'est réalisé l'arcane de l'amour. Phrase. Depuis mille ans et mille ans encor Et dix mille ans, la mer est la même Telle qu'au jour où Dioptolème Et Télamon, Pollux et Castor, Jason portant le bleu diadème, Pélée, Alcide à la force extrême Et le Chanteur maître de la mort Se sont lancés sur une birème Vers les brisants de la Toison d'Or. Argonautes. C'était longtemps après le voyage en Colchide. Sous les lueurs du jour naissant, à l'horizon On voyait s'avancer un rivage livide. L'Argo, qu'avait poussé l'heureuse nuaison, Voguait sans clapotis sur une onde qui flâne, Eludant les écueils que devinait Jason. Au pied du petit mât où le pavillon plane, Pélée et Télamon jouaient aux osselets Un jambon qu'on devait acheter en Toscane. l'élégie italienne 13 Castor avec Poilus retirait des filets ; Et, se ressouvenant des yeux de Déjanire, Héraclès à la poupe aiguisait des stylets, Cependant qu'à l'étrave, et les doigts sur la lyre, Orphée halluciné se demandait en vers Si la rive qu'allait aborder le navire Serait celle d'Olympe ou celle des Enfers. Musique. Le délire va s'achever : L'aube finit de se lever Dans l'étendue aromatique. Et, soudain, quelle est cette voix ? Est-ce une harpe, est-ce un hautbois ? J'ai toujours aimé la musique. Les flots restent silencieux ; Les écueils n'ouvrent pas les yeux ; Rien ne bouge sur le rivage. l'élégie italienne 15 D'où viennent ce bruit de flûteau, Ce souffle de divin pipeau, Cet éclat de fifre sauvage ? Accents qu'Orphée avait connus ! Ce sont les aloès charnus, Les sureaux creux, les amarantes, Les buis, les cistes, les ajoncs, Et des sources et des pigeons : Ce sont les collines qui chantent. Angélus. La source, l'arbre et le rocher Se nuancent de jaune. Près de la nymphe s'est couché L'enivrement du faune ; Et dans mon cœur un bruit caché Se dénonce et rayonne : Je n'aperçois aucun clocher ; Pourtant l'angélus sonne. Fleuve. Vers l'estuaire offert aux bateaux invalides, D'un cours unicolore, uniforme il descend. Le hâle prolongé n'a pas réduit son sang Ni l'orage agrandi ses rides. Sur des temples tombés régnent de petits bois Broutés d'ânes soumis et de chèvres poltronnes. Comme pour s'abreuver dans les eaux monotones, Des palais inclinent leurs toits. l'élégie italienne 19 C'est un parage aimé des innocents reptiles : La couleuvre y paresse aux brèches des remparts ; On y voit s'alanguir les gemmes des lézards Le long des crépis et des tuiles. Longtemps le Trismégiste y fut apprécié, Et le glaive d'Arès y menait des gens d'armes. Aujourd'hui le chanoine et quelquefois des carmes Y prêchent le Crucifié. Les vierges, le vieillard, les amants et la veuve Se lèvent sans souci d'exalter les soleils ; Et, jusqu'à la nuit close, ils suivent des conseils D'abandon que traîne le fleuve. Ghiavari. Port aimable de Ghiavari Réputé pour son congre ! Dans les brancards d'un tilbury Se cabre un cheval hongre. Un flot rose fuit et revient. Un vendeur de clovisses Me propose, presque pour rien, Des donzelles novices ; L ELEGIE ITALIENNE 21 Mais, au pied du phare, j'entends Un radoubeur de barque Déclamer d'une voix sans dents Un sonnet de Pétrarque. Amazone. Celle qui ne t'a pas aimé Est-elle folle ? est-elle sage ? Elle a traversé le bocage Par le chèvrefeuille embaumé. Est-elle blonde ? est-elle brune ? Tu n'as pas su voir ses cheveux Quand, au trot d'un cheval nerveux, Elle apparut au clair de lune. L'inconnue. Il n'arrive aux parois de la maison profonde Aucun rayonnement de l'espace allumé. Te nommes-tu Circé, l'Amazone ou Joconde ? Sans que ton souffle me réponde, Tu maîtrises mon sein sous ton geste fermé. Et si voluptueux est cet instant du monde Que je sens à la fois que l'ombre devient blonde Et le silence se pâmer. L'obscurité. Spectre, fraîcheur, Secret, vapeur, Pudeur, langueur, Ombre de l'ombre, Sa marche sombre Semble sans nombre. Nuit de la nuit, Elle te suit Et te séduit. 26 Fernand Mazade Trame muette, Douce au poète, Chère au prophète, Elle t'endort D'un charme fort Comme la mort. Ne crains rien d'elle ! Substantielle Et maternelle, Elle est berceau, Elle est arceau, Elle est cerceau De l'étincelle. Le grèbe. Exposant au soleil ses prés et ses jardins, Un onduleux coteau quitté par les sylvains Se soulève au midi d'une lande immobile. Vers le nord siffle un merle et, dans un bois de pins, Parfois craque un strobile. A l'orient la route est blanche et, sans détour, Longe le cap désert, passe au pied d'une tour Et devant des ruchers que la dune surplombe. A l'ouest rêve un jeune et demi-nu pastour Couché sur une tombe. 30 Fernand Mazade Aussi fier, triste et beau que cet autre mortel Dont il naquit aux jours où les princes du ciel Venaient se divertir en de latins domaines, Un cyprès millénaire avoisine un autel Qui connut les Camènes. Sur un étang lamé d'émeraude et d'argent, Qui scintille et chatoie et se trouble, changeant Comme un rêve soumis aux jeux de la lumière, Nage entre des lotus le rythme diligent D'un grèbe apollinaire. 32 Fernand Mazade Lorsque, approchant petit à petit D'un monastère où le dogue jappe, Des bateliers, pris de vin d'Asti, Ont annoncé qu'arrivait le pape. Le cygne. Aux cyprès, cette nuit, le vent jette un cantique La rose épanouit sa suave tunique ; Le feu des vers luisants se gonfle de désir ; Et sur le miroir de la crique Un cygne ensanglanté s'envole pour mourir. Le lac. Elle a les yeux des héraldiques salamandres, Le front levé sous des cheveux impétueux, La gorge encor secrète et les bras déjà tendres. Elle a seize ans : et, dans son esprit somptueux, Elle galope avec des chevaliers à plumes Au son des luths, vers des soleils voluptueux. Beau lac d'illusion que noîront les écumes ! Chute du miroir bleu ! rayons suppliciés ! Elle aura le réveil, les effrois que nous eûmes. Pauvre petite femme, où sont les chevaliers ? Bavenne. Importe-t-il que des requins Viennent chasser par la lagune Regardez se pencher la lune Sur l'église des Franciscains Qui fut un temple de Neptune. On vous dira que quatre fous, Fuyant de Ravenne à Tarente, Ont péri dans une tourmente. N'écoutez pas. Recueillons-nous. C'est ici que mourut le Dante. 36 Fernand Mazade Et, parmi l'ombre au flot cendré (Parce que de l'astre propice Notre ferveur est la complice), Apparaîtra le front lauré De l'amoureux de Béatrice. Le mur D'après des visions qui de son cœur émergent, Il fixe sur le mur avec des crayons gras De féminins contours, charmeurs, charmés et vierges. Et ce qu'il représente : étoilés falbalas, Seins purs, gestes de lys où des roses se creusent, Hors du mur, dans la vie, il ne le trouve pas. Pauvre petit mortel, où sont les amoureuses ? Le sommeil. Quelquefois, paré d'amulettes, De moi s'approche le sommeil. Il m'offre des œuvres secrètes, Des rayons d'obscures planètes Et de la cendre de soleil. Parfois il semble une marchande Qui, de la pointe de ses gants, Sournoisement me recommande De la myrrhe, du lait d'amande, De l'aspalathe et des onguents. l'élégie italienne 39 Parfois un danseur dont le geste A le fragile éclat d'un vol (L'émerillon n'est pas plus leste ; Et sa voix me paraît céleste Comme la voix du rossignol). Et quelquefois un enfant triste, Un tout petit enfant très doux, De qui le regard d'améthyste, Se posant sur mes yeux, insiste Pour que j'accepte des joujoux. Et, quel que soit son artifice (Quelle la forme qu'il revêt, Son innocence ou sa malice), Si je l'accueille avec délice C'est parce que j'aime rêver. Les serpents. Je te connais ! Fidèle à des devoirs moroses, Près du bocail sphérique où macère un cobra, Tu filtres et tu vends de médicales choses. Tu supposes qu'Hermès ne sera pas ingrat Et que le caducée aux rampements fertiles Se plaira de t'unir à l'aime signora Dont si purs sont les yeux qu'ils touchent les reptiles. Hommage. Ce vingt juillet, ô Franeesca, très noble veuve Dont le visage de cristal Se baigne en des cheveux ondoyant comme un fleuve Pour célébrer ton jour natal, Don Remo, le dévot d'Arioste et l'insigne Charcutier du faubourg du Roi, T'offre un cornet de massepains sans doute indigne De ton seigneurial arroi. 42 Fernand Mazade Mais il y joint un château fort : la grande herse, Le pont-levis, la cour d'honneur, Le puits carré, les tours, la chapelle que perce La verrière en forme de cœur : Château qu'avec un art inspiré par un songe Et comparable à ta beauté Il a pour ton amour modelé dans l'axonge, Aux lueurs d'une nuit d'été. Le rire. Creuse chanson, Frêle promesse De l'allégresse, C'est la rançon De la tristesse. Lorsque tu ris, L'amour soupire, Pauvre navire Qui s'est mépris Et qui chavire. 44 Fernctnd Mazade Jeu tapageur D'homme qui souffre : Torche de soufre Qui die mon cœur Cache le gouffre. 46 Fernand Mazade L'abeille a retourné piller le sarrasin. Un rose adolescent plante de l'échalote Au jardin où Salluste apprenait Hérodote Et dont la pièce d'eau réfléchit du raisin. Comment ne suis-je pas, à travers les ravines, A respirer l'aiguail qu'évapore le vent Et, devant l'élégance et l'ardeur du levant, Mon âme avec ma chair restent-elles chagrines ? Par un début de jour semblable à celui-ci, Je suis allé cueillir, en ma saison clémente, Pour fêter le réveil de ma première amante, La première framboise et le premier souci. Les dauphins. Les dauphins d'Italie ont comme nous une âme. Dès que, sous l'éventail argenté de l'embrun, Au voisinage de la prame, Le mousse en apercevait un, Il lui jetait du pain, entre deux coups de rame. Cela se racontait dans le monde nageur. De la pointe d'Ostie au détroit de Messine, Il n'était ni varech en fleur Ni sardine ni langoustine Qui ne connût le nom du généreux rameur. 50 Fernand Mazade Et si, l'hiver dernier, lorsqu'il eut fait naufrage, Le mousse au fond des eaux n'est pas resté couché, C'est que sur un bleu coquillage Quatre dauphins l'ont repêché Et l'ont porté vivant jusqu'au natal rivage. Vieillard. J'avais de l'angoisse, et sans savoir pourquoi. Comme j'arrivais au pied du Pausilippe, Un homme tremblant s'est approché de moi. A peine vêtu d'un linge qui se fripe, La voix solennelle et prenante, il m'a dit : « L'esprit se disperse et le corps se dissipe. Sur le cap en feu que l'aquilon tiédit, J'ai bu le genièvre et mangé le concombre. J'eus l'artère souple et le muscle hardi. 52 Fernand Mazade Du soir à l'aurore ou du soleil à l'ombre, J'ai fait la moisson dans le champ parfumé De belles enfants dont m'étonne le nombre. Va vers ton destin à demi consumé ! Et, lorsque les ans m'asservissent au jeûne Et lorsque la terre a fini de m'aimer, Tu verras combien le golfe reste jeune. » 54 Fernand Mazade Suis-je venu vers vous ? Sur quel quadrige étrange ? Je rêve que, des dieux inexprimable envoi, Construits au plus beau ciel et portés par un ange, C'est vous qui venez vers moi. Nisida. De cet îlot qui fut un cratère, Mais aujourd'hui calme et confiant Et que pénètre un vent d'orient, Par l'heure tiède et crépusculaire, Un esquif bleu s'approche en riant. Je suis couché dans la marjolaine, A l'endroit même où Néron balla. Ici mon chien. Ma guitare est là. Un alcyon plonge vers Misène, Un goéland vers La Gajola. 56 Fernand Mazade Vais-je me croire aux bras d'Octavie ? Que mon esprit vous paraît naïf, Et ce pays imaginatif ! Pour que cela ressemble à la vie, Sur Nisida se brise l'esquif. Le héron. Ignorer que Néron fit mourir Octavie : Négliger le passé. Dédaigner le futur : Le souterrain silence où tombera ta vie. Ne pas heurter ton ombre au fantôme d'un mur Et ne rien manier hors ce que ta main touche. Vider la coupe pleine et faucher le blé mûr. Ne chérir que le sein à qui s'ouvre ta couche. Ne laisser nul regret se poser sur ton front. Ne laisser nul espoir voltiger sur ta bouche. 58 Fernand Mazade N'aidmirer le soleil que parce qu'il est rond ; Ne le solenniser que dès lors qu'il t'éclaire : Et t'endormir à l'heure où s'endort le héron. Un tel art d'être heureux est-il fait pour te plaire ? Circé. Le long de la mer suave, Un ciel suave s'étend. Aucun ami ne t'attend. Tu n'as pas de souci grave. Vas-tu, comme l'autre soir, T'informer d'une taverne Où demander du falerne Et l'anguille au beurre noir Chapiteaux. L'heure que dans mon âme évoquent ces murailles Est d'un ancien printemps propice aux épousailles. Sous la chasuble d'or, les prêtres célébrants Paraissent à la fois plus lointains et plus grands. En dalmatique blanche et rouge à rouges franges, Les diacres sont frisés comme le sont les anges, Et de langueur céleste un sous-diacre se meurt. Ugoline et Rembo s'avancent vers le chœur Aux sons des tambourins enlacés à la harpe. L'encens noue et dénoue une fumante écharpe 62 Fernand Mazade Autour du pain bénit, des cierges et des croix. Et la harpe se tait. Il s'élève des voix D'enfants devant l'autel rangés, à qui s'unissent D'invisibles chanteurs si divins que les vices Se dissolvent aux flancs des sacristains courbés. Un silence : et, dans ce silence, les abbés Font ensemble sonner sous leurs crosses les dalles. Et l'encens à présent tourne le long des stalles. Palpitante, Ugoline est à genoux. Rembo S'agenouille près d'elle. On agite un flambeau Sur leur tête, tandis que le jour aux verrières Commence d'endormir le jeu de ses lumières. Et, par cette douteuse et charmeuse clarté, Les cornes du démon dans le lutrin sculpté Désignent, sombre honneur de colonnes jumelles, Les chapiteaux où, pour donner aux jouvencelles L'horreur de la luxure, un jésuite ingénu A ciselé, leurs yeux dilatés, leur sein nu, Des nonnes poursuivant à travers les acanthes L'emblème courroucé du prince des bacchantes. Avis. Un lézard boit de la lumière Sur le monstre moitié giffon, Moitié cheval, qui se morfond Parmi des guirlandes de pierre. Arrêtez-vous, passant bavard, Jeune jocrisse et vieux pontife ! Il faut admirer l'hippogriffe. Regardez aussi le lézard. Buste. Déesse de Sicile ou danseuse de Rome ? Vertumne ? Un jeune sage ? Un berger ? Son profil Est ensemble sauvage, auguste et puéril : Le front bas, l'œil profond et le menton subtil. Sur les cheveux bouclés s'arrondit une pomme. Et, tandis que le soir s'approche du courtil Où des berceaux de buis s'éparpille l'arôme, On se perd au secret de ce buste en exil. D'où vient-il ? Quelles mains l'ont mis au monde ? Est-il Un portrait d'immortelle ou l'image d'un homme ? Heine. Frêle orgueil du tambour, du glaiive et du flambeau, Inanité d'un trône et néant d'un tombeau ! On voit, à Sainte-Claire, un sarcophage vaste Que trois têtes d'élus surmontent avec faste Et reposant sur les épaules des Vertus. En cinq loges aux toits pareillement pointus Se détachent, les traits méticuleux et minces, Les yeux voilés, les figurines de cinq princes. Des anges, écartant des courtines de feu, Montrent le corps d'une gisante, manteau bleu 5 Cariatide. Elle soutint, dans la maison d'Inanitas, Le balcon où le soir monologuait ce sage Entre une courtisane et l'urne d'hypocras. Les cheveux annelés à l'entour du visage, Les seins gonflés, les flancs raidis, les bras en croix, Elle gît, presque intacte, au bord du pâturage. Proche d'elle, un taureau s'allonge quelquefois. Un crapaud la contemple. Un serpent la caresse. Mais, avec retenue, elle écoute, je crois, L'ombre d'Inanitas conseiller la sagesse. Chant. Et, sans cesse, la mer, le ciel Et la terre font des échanges. L'air embaume le sel, le miel, Les étoiles et les oranges. L'homme est encore à son été Sous ces toits gris, on le devine Resté fidèle à la beauté ; Et, dans la pénombre divine 70 Fernand Mazade Où Virgile règne au penchant Du tertre en forme de carène, On entendra toujours le chant D'un héros et d'une sirène. Promenade. Quels fruits musqués et quel malvoisie Les taverniers m'avaient-ils offerts ? Des vers luisants égayaient les airs : Et j'inclinais à la fantaisie. Un char, traîné d'ânes incarnats, Me conduisait avec indolence Vers une nuit et dans un silence Que le cocher ne connaissait pas. 72 Fernand Mazade Mais l'ignorance est reine du monde. L'Amour parut parmi des rameurs : Et l'enfant-roi secoua des fleurs Sur le sommeil d'une tête blonde. 74 Fernand Mazade L'été, que le courroux des bises retarda, Déborde ce matin de félicité chaude. L'air, qui dans le feuillage et dans le soleil rôde, Joue avec les cheveux de la reine Léda. Mais, contre son sein nu, celle-ci fait un signe Et jette un cri de honte et d'émerveillement. Sur le royal ruisseau s'avance, lentement, Le vol mélodieux et splendide du cygne. Compliment. Tes regards, maintes fois si vagues, Vers le soleil aiment flotter. Flexueuse est ta vénusté Comme la démarche des vagues. On te voit des ëcharpes vertes Qui semblent se givrer d'embrun. Tes bras dégagent le parfum Des eaux par les hommes ouvertes 76 Fernand Mazade Parfum d'anguille, de rémore, De jeune éponge, de tramail Et de cloyère et de corail Et de l'iode et du phosphore. Lorsque résonne ta parole, Je crois que rêve un matelot, Qu'une rame effleure un îlot, Je crois qu'une mouette vole. Silence A peine aperçois-tu respirer le Vésuve. Un cercle vaporeux plane sur Procida, Comme l'âme du vin au-dessus d'une cuve. L'esprit du goémon, l'esprit du réséda Sont plus émus, plus émouvants qu'au crépuscule. C'est l'heure où pour la tombe on parfume Léda. Moment où saint François, du fond de sa cellule, Voit se pâmer la lune aux sandales de Dieu, Instant où Lesbia se redonne à Catulle. 78 Fernand Mazade Le ciel est d'un bleu vert, le golfe d'un noir bleu. Je ne demande pas quand reviendra l'aurore Et pourquoi sans soleil mon sein a tant de feu. Si tout se tait, tout cependant reste sonore. Inclinés vers le sable ou droits dans le rocher, L'aloès, le nopal, le pin, le sycomore Ecoutent sur les eaux le silence ni archer. Vacillité Je voudrais être simple, et je me plais au rare. Je voudrais être pur, et confus est mon sein. Je voudrais le silence, et je veux la cithare, La flûte et le clavecin. Je veux la mer, mais il me faudrait la colline. Je voudrais l'immuable, homme capricieux. Je voudrais m'endormir contre votre poitrine Et ne pas fermer les yeux. Parthénope. Vierge aux regards d'héliotrope, Dérobez-moi votre nom vrai. D'algue je vous couronnerai, Et je vous nomme Parthénope. (Ainsi s'appelait la sirène Qu'Ulysse avait blessée au sein Et dont échoua le chagrin Vers les galets du cap Misène.) l'élégie italienne 81 Trop de savants ont sur la terre Fait circuler trop de flambeaux. Parthénope, vos yeux sont beaux Parce que trempés de mystère. Je vous propose le mirage Dont s'éblouiraient mes ennuis. Vous ne savez pas qui je suis ? Je ne le sais pas davantage. Mais, avant que ma chair expire Aux bras de l'empereur obscur, Elle voudrait des clefs d'azur : C'est de vous que je les désire. Ne me laissez pas mourir triste. Lorsque je demande ici-bas Un monde qui n'existe pas, Répondez que ce monde existe. Rien ne se cache à qui vous aime : Et les jardins, les bois sacrés Qu'évidemment vous ignorez Vous les connaissez tout de même. Offre. Tu monteras sur le centaure, Sirène ! Et, franchissant le flot versicolore, Irons-nous vers la Grande Syrte ? Tu verrais le phénix de ses cendres éclore Et, d'une aurore à l'autre aurore, Dans une glèbe vierge encore, Je sèmerais le nouveau myrte. À Dionysos. Ailleurs, j'irai porter l'anémone Avec l'anis, avec le jasmin Et la jonquille et le romarin. Toi, dieu viril et si féminin, C'est de rosier que je te couronne. Reçois la fleur de la volupté, La rose chaude à la chair dolente, La rose fraîche à l'âme brûlante, Que de mes mains l'automne tremblante A sn choisir au seuil de l'été. 84 Fernand Mazade Ét ce rosier naquit sur les terres Où la princesse émouvante à voir Vint devers toi dans l'hymne du soir Et te sourit en se laissant choir Entre tes bras meneurs de panthères. Capella. L'eau nocturne traçait des entrelacs concaves. La lune n'avadt pas délié ses entraves ; Mais, du sommet de l'air, une étoile d'été Versait à la presqu'île une telle clarté Que nous imaginions que résonnaient des phares Ou qu'une nymphe et le pastour, Dès longtemps immolés sur l'autel de l'Amour, Avaient rallumé leurs cithares. l'élégie italienne 87 En m'en allant vers la rive éteinte, Sur l'éternel reflux renversé, Je laisserai peut-être une empreinte De cœur blessé. Vase. Présent d'une amoureuse, il décora longtemps La. maison de Fronto, le poète fragile. Il représente un bouc et des biches broutants. Il montre aussi, bercé par des filles, Achille En robe de princesse et le menton rasé. Des lys bleus jaillissaient du rouge de l'argile. Il ne voit plus les mains de Fronto l'arroser, Ni l'admirer des yeux de languissant phosphore. Il n'entend plus chanter la flûte. Il est brisé. Des corolles d'azur y respirent encore. Bronze. Ces épaules, ces reins, ces genoux, on les sent Palpiter de jeunesse ; Et cependant ce corps de bel adolescent Fait peur par sa tristesse. Plus tendre qu'Artémis, il a l'esprit qui fuit Sous un baiser de brume. Vierge comme Artémis, connaît-il que pour lui La vierge se consume ? 90 Fernand Mazade Au trouble de la grotte, au voile des forêts, Ses paresses l'isolent. De bizarres désirs, d'extravagants attraits Sans doute le consolent. S'il s'admire, la tête inclinée à demi Vers les mains équivoques, - Défends-toi de comprendre en quel charme il dormit, Quels émois le suffoquent. Ignore qu'aux instants où l'ombre allumera Les lampes d'azur blême, Penché sur la stupeur d'une source, il mourra Amoureux de soi-même. Herméros. Sur le chemin que recouvrent les laves, Ils indiquaient la villa d'Impudor, L'entremetteur de voluptés esclaves. Dans la vapeur des cassolettes d'or, On recevait l'hommage de Néronde Aux reins busqués comme un bec de condor. Faustine offrait sa chevelure blonde ; Les mains d'Irphis odoraient le benjoin ; Et Caristie avait la bouche ronde. Fête. Demain, seize juillet, jour de sainte Eulaïs, Dans la chapelle oblongue où règne cette vierge, Que chaque pénitente apporte avec un lys La flamme bénite d'un cierge. Selon l'usage auguste, à l'heure où vers Barra Le visage effaré du soleil se retire, O mes frères, le flanc déchiré saignera De la pompéienne martyre. é 94 Fernand Maza.de Miracle ! Pour qu'il soit largement accompli Ce miracle propice à celle que j'honore, N Le chapelain lui-même a ce soir recueilli Le sang d'un coq versicolore. Mouettes. Précaire coureur de fretin, Pêcheur d'assez mauvaise mine, Il habitait une chaumine Où voletaient dès le matin Les mouettes de la saline. Obéissant au pauvre sort. Il est parti parmi l'écume, Il s'est enfui parmi la brume, Emportant du côté du nord Les oiseaux à la blanche plume. 96 Fernand Mazade Deux printemps ont, la bouche en cœur, Reverdi les bran des chenues Et réchauffé les grèves nues. On n'a pas revu le pêcheur. Les mouettes sont revenues. Lucrèce Tout est printemps, tout est ferment, source et berceau. Méconnaissant des dileux devant la mer splendide, Fou qui crut se tuer sous votre ciel si beau, Lucrèce se trompait : rien au monde n'est vide. Rien ne finit. Partout une étoile préside. Un rameau qui s'éteint dresse un autre rameau. Derrière une Hespérilde on trouve l'Hespéride. Quand Lucrèce fut mort, il vécut de nouveau. 7 y Enseigne. Capri. Grotte d'azur. Jeune homme, en arrivant De Naples, sur la gauche, on distingue un grand verne. Va jusqu'à lui, puis halte ! En face, la taverne S'enorgueillit d'un singe amusé par le vent. Rafaële y prépare, en tenancier savant, L'aillade où le gingembre avec le poivre alterne. Je te la recommande, et l'eau de la citerne Sans quoi le vin de l'île est parfois énervant. l'élégie italienne 99 Assieds-toi dans l'office. Il y fait un peu sombre. On ne voit pas de là les attrapeurs de scombre Sur la nef que défend le Christ ou Jupiter. Mais Nina, la baigneuse, en cachette s'y glisse : Et, si tu laisses choir la piécette au bruit clair, Tu connaîtras, parmi l'obscurité complice, Un baiser ruisselant du rythme de la mer. Chèvre. Cette chèvre était de tunique Plus blanche et douce que le lait. On ne dit pas qu'elle parlait, Mais qu'elle savait la musique. Elle couchait à la maison, Près de la maison de Tibère, Et pouvait brouter sans bergère, Car elle avait de la raison. l'élégie italienne 101 Par une nuit de lune pleine, À toujours elle disparut : Et les Capriotes ont cru Qu'ils avaient eu l'Amalthéenne. Le gendre. Il bat de l'épervier les gouffres de Sorrente Et montait chaque soir vous offrir des poissons Qu'il nommait un à un d'une voix attirante. Vous avez écouté volontiers ses chansons : Il sait Perséphona, la demeure maudite, Ares et Déméter, la guerre et les moissons. Il doit connaître aussi les hymnes d'Aphrodite : Sans t'avoir prévenu, ta fille aux beaux cheveux, Tlrisbé l'aimait déjà lorsqu'elle était petite. l'élégie italienne 103 Ce n'est que l'autre mois qu'elle a fait des aveux. Puis elle s'est jetée entre vos bras. Très pâle, Les yeux emplis de pleurs, elle a dit : « Je le veux. » On faillit te coucher en l'argile tombale ; Mais ton cœur s'est soumis au féroce destin. Vous les avez unis au son de la cymbale. Tu donnas tes troupeaux et payas le festin. Thisbé sautait de joie, et son mari de même. Ils se sont peu à peu perdus dans le lointain. O ce hardi pêcheur de merluche et de brème, Ce chanteur aux regards bleus comme des bleuets ! Tu l'aimes forcément, puisque ta fille l'aime, Et cependant les dieux savent que tu le hais. Positano, Parthénope sombre et victorieuse, Parthénope aux flancs Azurés et blancs, Parthénope mystérieuse, Je ne comprends pas ce que dit ta bouche Bonheur ou langueur, Ce n'est que mon cœur Que ta chanson magique touche. Tapis. Entre des marbres gris de nymphe et d'amazone, A pic devant l'abîme où se mire Àstarté, Nous nous sommes assis au jardin de Cimbrone. Tu mords dans les raisins que vient de t'apporter En un panier luisant un proxénète sombre, Tandis que des pigeons courent se becqueter Aux rinceaux du tapis qu'à tes pieds fait ton ombre. Chambre. L'archevêque y rêvait. A l'une des parois, L'image d'une néréide. D'or transparent, rose et fluide Nage près d'un énorme anchois. Un souvenir ému de coquillage, d'ambre, D'acacia, de groseillier, Aux plis du lit s'est réveillé. Est-ce lui qui m'a fait rester dans cette chambre 10S Femand Mazadc Far ïa haute fenêtre au châssis infléchi Entraient un regard de planète Avec la voix d'une chouette Et le frisson du vent fraîchi. Je me suis étendu sur l'odorante couche : Et j'ai dormi comme un enfant. Mais je pense qu'au jour levant Le long des bras nageurs j'ai promené ma bouche. Devise. Quis arguet me de peccato ? Devise modeste et splendide Que le prélat de Ravello, Au-dessous de la néréide, Inscrivit avec son couteau. Contre leur feu, l'homme et la femme M'attristent qui veulent lutter. Laissez du jour vivre la flamme. Laissons jaillir vers la beauté L'incandescence de notre âme. 110 Fernand Mazade L'hiver arrivera trop tôt : Et l'automne déjà me ride. Quand l'été vibre encor sur l'eau, Si je songe à la néréide, Quis arguet me de peccato ? Jalousie. Pourquoi ce dur silence et ta figure amère, Parthénope, pourquoi ce geste dédaigneux ? Aucun jour mon amour n'a renoncé tes dieux : Je n'ai pas une nuit renié ta chimère. D 'une autre enfant des eaux si j'ai baisé les bras, Tu la sais plus encor que toi-même irréelle. Oserais-tu que toi la supposer plus belle ? Je te devinerai si tu ne réponds pas. Prière. Aux flots de Majori le jour s'est replié. Le vent tombe : le foc des sardiniers s'épuise. La rosée arrose l'œillet, L'ardoise et l'althsea, la roche et le cytise. Le lapin rentre à la remise. Le hibou va se réveiller. Le Seigneur de l'abîme et l'Esprit du hallier, L'Eternel que craignait Moïse, Neptune qui berce et qui brise, Jésus pensif et familier, L'ÉLÉGIE ITALIENNE 113 Vos dieux, mes dieux ne sont qu'un seul Dieu. Tête grise, Tête blonde, prions aux marches de l'église Où, comme nous émerveillé Par la douceur d'un soir mouillé, A pour l'oiseau de nuit prié Le pérégrin François d'Assise. Village. Proche du mont de Sant'Augélo, Au gré de Dieu, la ruche rayonne, L'enfant sourit, la pivoine éclôt. A l'occident, un carillon sonne. Un char à bœufs s'arrête au levant. Village rare où ne vient personne ! Il y demeure un frère servant Qui lit Tibulle avant Marc-Aurèle, Boit la piquette et chante souvent. l'élégie italienne 115 Il y demeure une demoiselle Dont le cœur bat quand, au fil du soir, Languit le vol d'une tourterelle. Et, beau d'orgueil et de nonchaloir, En un bosquet où meurt le zéphyre, La robe blanche et le museau noir, Un épagneul défie un satyre. Duplicité. Si je vous comprends bien (et je vous dois comprendre), Vous m'en voulez parfois, vous m'en voulez souvent De ne pas entendre Tout ce qui chante en vous de charnel et vivant. Mais, la nuit qu'oubliant que vous êtes sirène Mes bras déchireront des linges consacrés, Vous m'accuserez De vous trouver, ô tête blonde, trop humaine. Le nom. Tu te rappelleras qui proféra l'invite. C'est toi, mon chaste amour, toi, mon attrait divin, Qui, le soir que dlansait sur le sable un sylvain, M'as, tes doigts dans mes doigts, dit le nom d'Aphrodite. Aphrodite. Déesse et femme, Ange et damnée, A peine née, Elle est en flamme. Devant la mer, Longeant la roche, Tinte et s'approche Un bruit de fer. l'élégie italienne 119 Le soldat ivre ? Le dieu qui forge ? Il a la gorge Couleur de cuivre. Héros, joujou ! Elle l'enlace Et le terrasse D'un geste fou. L'amour, la haine : Fureur suave, Elle est esclave Et souveraine. Le front durcit. Le regard louche. L'arc de la bouche Se rétrécit. « Je meurs », dit-elle, « D'exquise sorte. » Mais cette morte Est immortelle. Lys. Acceptez une fleur coupée Sur le sable, au pied d'une tour. Est-elle par des pleurs trempée Ou par l'aiguail du point du jour Pénétrerez-vous ce mystère ? Surtout ne me demandez pas Vers quel visage de la terre, Seul, demain je porte mes pas. 122 Fernand Mazade Cette fleur est un lys sauvage D'un rouge die braise et de chiair. Lorsque j'aurai quitté l'ancrage, Vous la j etterez dans la mer. Départ. Je suis parti. Le lys rouge nous accompagne. Jamais ne m'ont paru si tendres vos cheveux, Si chaude votre bouche et vos bras si nerveux. Quel conseil de plaisir descend de la montagne Un ordre de plaisir monte de la campagne. Et j'écoute ! tandis qu'une angoisse me gagne. Je suis celui qui ne veut pas ce que je veux. l'élégie italienne 125 Dans un bruit nageant de vanneaux et de rames. Par instants croisé d'un sanglot sensuel, Parthénope et moi, quand s'étoila le ciel, Nous sommes mêlés sur le hasard des lames. Le serpent. Les tronçons do serpent semblaient se réunir. Combien de tels baisers s'interrompent de haines ! Le chemin, où midi fait taire les charrois, Plonge entre des bosquets, des rocs et des fontaines. Dans la mousse et la ronce, au-dessous d'une croix, Saignait et se tordait une couleuvre rousse Que l'acier d'un faucheur avait coupée en trois. Je crains que votre cœur n'ait pas eu de secousse. Du moins vous aurez vu votre amant défaillir Lorsque, parmi le sang, dans la ronce et la mousse, Métamorphose Celui qui vit dans les hasards Et pareil à moi s'abandonne, Je ne pense pas qu'il s'étonne Si s'éblouissent ses regards. D'une rare métamorphose Il ne saurait pas s'émouvoir : Il trouve naturel de voir Que le lys rouge est une rose. 128 Fernand Mazade Mais la merveille est que les yeux De mon amour et de mon âme Aient dépassé pour une femme Les arcades du merveilleux. Ce qui surprend ma fantaisie C'est que soient plus vastes ses bords Que les rivages des dieux morts Et plus pure ina frénésie. L'amande. Passé le promontoire et ses courbes portiques, La ville, qu'un silence arabesque recouvre, Aux lames de la mer comme une amande s'ouvre Entre des roses pathétiques. La tresse de ces fleurs me lie à vos genoux. Le paysage est beau qui m'encercle d'effroi. Si quelque bonheur âpre en peut jaillir pour vous, J'ai beaucoup de honte pour moi. 130 Fernand Mazade Honte d'avoir blessé la rose sensuelle ! Mais vous aviez vous-même approché la guirlande Où d'un couteau dissimulé près de l'amande La lame saline étincelle. Vision. Quand nous fûmes, ton sang à mon sang asservi, Repris par la mer nuptiale, Une odeur s'elfaça d'orange et de carvi ; Et, nous tournant vers les terrasses d'Amalfi, Nous avons vu, dans un soleil qui nous suivit, S'incendier la cathédrale. Atrani Havre exquis. Béatrix chérit la fanfreluche, Le coucou du salon, le geai du boqueteau. Mélito, nous savons ce qu'aime Mélito Qui soigne ses lapins et la treille et la ruche. A l'heure où le soleil au cap d'Orso s'embûche, La brune songe et la blonde tient le râteau. Et, lorsque le matin caresse le coteau, Celle-là rêve encore et l'autre est à la huche. l'élégie italienne 133 Leur demeure se penche au jardin souriant. Soulève le loquet d'un geste confiant : Aucune ne regimbe à ces sortes de choses. Mais si c'est, marinier, Mélito que tu veux, Offre-lui dès le seuil tes poissons gris ou roses Et, si c'est Béatrix, des parfums blancs ou bleus. Un sage apporterait le musc et les aloses. Foseideion. À Psestum, qui n'a plus de roses, Une odeur d'algue excite l'air ; Et, sur le grand temple couvert D'une poudre de sable amer, Sans fermer leurs ailes se posent Des aigles venus de la mer. Le crabe. Les flots étaient si gros, la barque si petite Qu'elle n'a pu sortir, et nous n'avons péché Nul trigle pour le gril, nul thon pour la marmite. Mais, au bord de l'eau même, en un creux de rocher, Nous avons découvert un crabe solitaire Qui, farouche, essaya de nous effaroucher. Il dardait son double œil qu'on aurait cru de verre ; Ses pinces menaçaient de vous couper les doigts. Nous l'avons fait bouillir sur un feu de bruyère. 136 Fernand Mazade La chair était friande et pesait un bon poids. Sous la vergue du mât où stridait la cigale Nous avons festiné selon les vieilles lois. Vous avez nettoyé la carapace ovale A laquelle j'ai mis une mèche de lin ; Après quoi j'ai versé l'huile d'oeillette pâle. Puis, ayant attendu que l'obscurité vînt, Nous avons allumé ce fanal de fortune : Et sur le mât pointu l'a suspendu ta main Tandis que j'invoquais le trident de Neptune. 138 Fernand Mazade De ce côté de l'eau, les bateaux à l'amarre Se soulevaient et s'abaissaient en se heurtant. Une odeur de goudron sévissait un instant ; Et puis l'air s'imprégnait d'une senteur fougueuse Chaque fois qu'une vague à l'écharpe écumeuse Se déchirait au bas de la forêt de pins. Et vos mains frémissaient au milieu de mes mains. Et, de l'autre côté du détroit, douze lampes Désignaient les maisons éparses sur les rampes Du tertre où Bacchylide un soir vint s'assoupir. Et tels rayons d'argent, de rubis, de saphir, Tombés de ces maisons que nous savions lascives, Allaient teinter la mer aux saccades moins vives, En travers du reflet sulfureux et fondant De la lune soudain dressée à l'occident. 140 Fernand Mazade Et, tandis que mourait aux plis d'un chemin creux Un vertige de tarentelle, Nous avons, dans un nid de cendre, vu les œufs D'une bête surnaturelle. Cerceau. Sous les Gémeaux qui n'ont pas vieilli, Que de rubans, de tambours, de glaives, Que de douleur, de plaisir, de rêves, Autour de moi, par la nuit, se lèvent De Syracuse à Gallipoli ! En un climat où le capripède Cherchait Vénus et trouvait Circé, Les derniers fils de Troie ont passé : Enée amer, Anchise blessé, Ascagne beau comme Ganymède. 142 Fernand Mazade En vain du temps tourne le cerceau ! Parmi des bruits de sublimes armes, Entre des fleurs verseuses de charmes, Je sens mes yeux essuyer les larmes De Galatée et de Calypso. Métairie. Qui dira la richesse et le charme prodigues Des jours où par l'enclos les concombres, les figues, La sorbe et le myrtil achèvent de mûrir ? Le baiser de l'été continue à s'offrir, Et déjà vous voici, caresse de l'automne. Le crépuscule approche. Il est temps que l'on donne Aux chevaux le bouquet d'herbe fraîche. Il est temps De porter la corbeille aux bêtes des étangs : 144 Fernand Mazade Le blé pour la sarcelle et l'orge pour les cygnes ; Et la carpe, dans l'eau que leurs pieds égratignent, Aura le grain que ces oiseaux laissent tomber. * C'est le mois et c'est l'heure où l'on voit se courber Les rosiers sous l'odeur de leurs roses ultimes Et le rire des vents qui reviennent des cimes. C'est l'heure et c'est le mois où, le long du ruisseau, La libellule expire aux pointes du roseau, Où le progrès de l'ombre aiguillonne la flamme, Où le plus de désir brûle aux yeux de la femme. Et l'homme a du bonheur parce qu'il est chéri, Et que la grange est pleine et le bœuf bien nourri, Et que dans les bosquets de pins et de genièvres A doublé le troupeau de brebis et de chèvres, Et que la ruche est grande et déborde de miel, Et qu'avant que l'hiver ait barbouillé le ciel Jailliront des pressoirs aux chevilles plaintives L'esprit de la vendange et l'âme des olives. Amour» Lorsque tes nerfs sans objet s'alarment, Que, le front bas et les regards clos, A des soupirs tu joins des sanglots, Les tamarins avec les bouleaux Et les palmiers se couvrent de larmes. Quand ton chagrin semble évanoui, Quand un sourire éclaircit ta bouche, Les satyreaux dansent sur leur couche Et des lueurs de la nuit farouche L'ambre du lac est épanoui. 146 Fernand Mazade Entre mes bras dès que je t'enchaîne Et que tes seins se gonflent de feu Et que tes yeux se cerclent de bleu, Un soubresaut de délice émeut Tout le jardin et toute la plaine. Orage. Les agneaux et les loups ont crié de terreur. Si rouge était l'éclair dans l'ombre si profonde Que les sylvains ont cru qu'un dieu saignait le monde. Mais tout à coup l'orage épuise sa fureur. Les foudres à la fois, la bourrasque, les trombes Vers la caverne chère aux cyclopes ont fui. A peine, par instants et très lointain, le bruit Du tonnerre s'amuse à troubler les colombes. 148 Fernand Mazade Avant de s'écraser aux éperons du sol, Un souvenir de pluie oscille dans les treilles. Au sommet d'une roche, abritant des abeilles Un cèdre ouvre déjà son triple parasol. Le vent, qui tourmenta la grève et la colline, Essuie en gazouillant l'échalier d'un enclos Et balance au midi-, sur les célestes flots, Un nuage paré d'une voile latine. Taormina. Comme c'est près, et comme c'est loin Les cavaliers de la j upe verte, Du turban noir frotté de benjoin ! Trop tard le guet a sonné 1'ialerte : Devant leur sabre au large croissant, La citadelle est restée ouverte. En flot qui monte, en flot qui descend, Le long des seuils, des toits et des grilles, Jusqu'à la nuit à coulé le sang. 150 Fernand Mazade Alors, tournés aux luttes gentilles, Les assassins, devant les cyprès, Se sont couchés dans les bras des filles. Comme c'est loin, et comme c'est près ! Arc-en-ciel. Maints sentiers d'escargots et de fourmis couverts, Un ravin qui va de travers Et des passerelles déclives Ramènent des troupeaux jusqu'à l'une des rives D'un étang où s'effrite une grotte aux pieds verts. A l'autre bord, devant l'immortel assemblage Des bronzes d'Hécate sauvage, D'Hestia, d'Hermès, d'Apollon, Une génisse, un âne, une herbière, un foulon Choquent de gestes fous l'immobilité sage. 152 Fernand Mazade L'air a l'odeur du musc, de l'orange et du sel Lorsque d'un geste solennel Comme une musique de harpe, Iris, ayant défait les plis de son écharpe, Exhale sur l'Etna l'hymne de l'arc-en-ciel. Le scarabée. De la lumière et de la fange : N'ignorez pas ce que nous sommes. Plaignez mais admirez les hommes Chez qui la bête épouse l'ange. Dites-vous, la tête courbée Sur les abîmes de la terre, Que mon cœur le plus sanguinaire Est moins cruel qu'un scarabée, 154 Fernand Mazade Et, lorsque vos regards se lèvent Vers Bételgeuse et la Grande Ourse, Que l'éternité de leur course N'est pas plus haute que mes rêves. 156 Fernand Mazade Apportez au malade un vase de laitage, Et partagez avec le pauvre votre vin. Relevez un bleuet courbé sur le chemin. Soignez un écureuil déniché par l'orage. L'air. Il gonfle l'arbre, Caresse l'eau, Polit le marbre. Il est sanglot, Il est sourire, Flûte et grelot. C'est le Cabire, C'est le dieu Bel Et c'est Zéphyre. 158 Fernand Mazade C'est Ariel Qui joint la terre Avec le ciel. Splendeur légère, Espiègle émoi, Nombreux mystère, Il entre en toi Et s'y parfume, Il entre en moi Et s'y consume. Le feu. Quand vous êtes l'aurore et moi le crépuscule, Quand vous êtes l'amour, je 11e suis que l'aimé. Dans le feu par notre âme et nos sens allumé, Vous êtes ce qui brille et je suis ce qui brûle. Pierre. Ne parle plus. Que par ta main, Que par tes pas, dans le jardin, Nulle plante ne soit froissée. Mais laisse s'agiter ton sein, Laisse soupirer ta pensée. Sous la grâce d'un arbrisseau, Près du silence d'un ruisseau, La pierre blanche, au rebord mince, À la figure d'un berceau. C'est le tombeau d'un petit prince. Instant. Le troupeau dort sous les figuiers avec le pâtre. Les romarins oublient de préluder au miel. La marche des coteaux, sinueuse et bleuâtre, S'est arrêtée au bas de l'immobile ciel. Dans le silence vaste et pur comme l'espace Ont tout à coup tombé des fruits de chêne-vert : Et ce bruit minuscule effare la terrasse, Descend jusqu'à la plage et s'étend sur la mer. l'élégie italienne 165 C'est le littoral d'arbres vierges boisé, Où sont l'eau-de-vie encline à l'allégresse Et la quarteronne accueillante au baiser. C'est une oasis que hantent la tigresse, Le serpent devin, l'aiglonne et le vautour Et qu'un colibri fascine de tendresse. C'est l'âcre plaisir de penser tour à tour Qu'on frôle la mort et qu'on tient la victoire ; Et c'est l'amertume et l'espoir du retour. Ce que nous voyons n'est pas î'étrave noire, La misaine grêle, un hunier délavé : C'est ma fantaisie et c'est votre mémoire, Ce qu'on vous a1 dit et ce que j'ai rêvé. Aube. Devant l'âtre allumé, dans la maison sans toit, L'alchimiste m'a dit en me montrant le monde « L'un est enfant du ciel, l'autre fille de l'onde. S'il s'agissait de vous, s'agissait-il de moi ? Les bras du golfe aboutissaient à la colline Et les cheveux de la colline au firmament. « Le cerne de Vénus rapidement s'incline ; Le cycle du soleil s'élève lentement. l'élégie italienne 167 Le soleil correspond' à l'or, Vénus au cuivre, Et l'or à notre cœur et le cuivre à nos reins. Les reins doivent-ils être, ou le cœur, souverains ? » M'a demandé le mage : « et pour qui veux-tu vivre ? » Saphiques. Au flanc des rochers, aux penchants du coteau, Le long des chemins bordés de primevères, Nous croyons parfois que les nappes solaires Sont des flaques d'eau. Dans un vase obscur, d'une forme opportune Et parmi la nuit dignement soulevé, Il vous adviendra, comme il m'est arrivé, De cueillir la lune. V l'élégie italienne 169 J'ai ce matin même', et vous avez ce soir, Fait virer le ciel sur un disque de verre. Mais je ne crois pas qu'au ciel nous puissions faire Tourner le miroir. ■ k Chevauchée. Sur les alezans dont les galops amples Faisaient tressaillir les chemins salins, Nous avons passé devant les moulins, Devant les hangars et devant les temples. L'air s'alourdissait d'une odeur d'anis Si chaude le soir qu'elle vous écœure. Je me suis signé dès qu'approcha l'heure Où l'argile a hu le sang d'Adonis. I/-ÉLÉGIE ITALIENNE 171 En ten dites-vous la cloche des chèvres Et qu'un Dieu pleura sous les oliviers ? Je vous ai suivie ou vous me suiviez : Et nous n'avons pas desserré les lèvres. Dans l'hôtellerie aux pilotis bleus Qui parmi l'étang immobile trempent, Lorsque la servante apporta des lampes Mes regards n'ont pas reconnu vos yeux. Le philtre. Quelle eau stagnante et quelle lie Et quelle lymphe et quel vin dur Composent le breuvage obscur Qu'on nomme la mélancolie ? Au ciel se levaient Orion Et toutes les grandes étoiles. Autour de l'île, un vol de voiles Glissait avec un alcyon. l'élégie italienne 173 Philtre de funeste charmeuse, Comment t'aurais-je repoussé ? Par l'Amour tu me fus versé Dans une coupe radieuse. Les deux désirs. C'est la nuit. Il te plaît que, parmi ton étreinte, Ma bouche ait un bonheur d'elle encore ignoré ; Il te plaît qu'en mes yeux reste douce l'empreinte De ton regard enivré. C'est l'équivoque nuit. Le cœur que surent prendre Le mystère et l'aveu de ton double désir, Ce cœur trop pur, mon cœur si pieux et si tendre, Tu jouis de le meurtrir. Conseil. Des lâches voluptés crains d'épuiser le nombre : Crains de ne convier que des sens dissolus. A force de t'aimer je ne t'aimerai plus. Déjà l'île magique sombre. J'abdique déjà sous mon ombre Le chiffre blanc des absolus. 12 Oiseau bleu. Dans un nid de coriandre ? Dans un bouquet de myrtil ? Où cet oiseau chantait-il Dont la voix semblait si tendre Il n'était pas couleur feu, Ni couleur prune ou cerise, Ni couleur verte ni bise : Il était un oiseau bleu. l'élégie italienne 179 Je crus le voir à Bergame ; Je crus le voir à Tibur. Mais jamais la voix d'azur N'a chanté que dans mon âme. Recueillement. Les sangliers repus s'allongent dans les fanges. Les pigeons capturés expirent dans les glus. Les prismes des midis ne m'ensorcellent plus, Ni les vins où sa bouche et l'aspic se mélangent. Cependant que le vent crispe des citronniers La fleur blême et le fruit nombreux comme la feuille, Sous le vêpre d'été finissant se recueille Mon automne ébloui de rites printaniers. l'élégie italienne Î81 Dédaignant les appels qui par mes moelles grondent, Peut-être eussé-je dû ne quitter pas le bord Où j'ai reçu la vie, où mon lignage est mort : Peut-être eût-il fallu ne courir pas les mondes. Certes, l'avidité brûlante de mes yeux Ne se fût pas ouverte aux attraits italiques. J'ignorerais encor les vallons idylliques Que de pièges riants ont entourés des dieux. Je n'eusse pas connu la rade auguste et fourbe Sur quoi le ciel s'efface en un rythme si pur Que tu ne saurais dire où tombe tant d'azur, Où tant d'ombre commence, où le sommeil se courbe. Le souffle d'Amalfi, l'accent de Ravello, La flûte douce et la cymbale fluctueuse Ne m'eussent pas touché l'âme voluptueuse Aux bras de cette enfant mobile comme l'eau. Mais j'eusse maintenu mes vertus presque toutes, Plus fort qu'il ne pouvait mon sein n'eût pas battu Et le sang rose et noir d'un idéal perdu Ne sillonnerait pas la poussière des routes. * Neuvains. Site imprécis, parage muré Où se déchire une onde sublime, Sorte d'écueil qui n'a pas de cime Ou dont mon cœur ne voit pas la cime Et que ce cœur prétend mesurer ! Roche odieuse et d'obstinés charmes Sur quoi s'attache en vain le compas Mon amour m'aime ou ne m'aime pas ? M'aime peut-être en ne m'aimant pas Et je souris pour cacher mes larmes. 184 Fernand Mazade Surplombant les vergers d'amandes, Des emblavures s'insinuent Dans un pré de sainfoin sauvage. Des vaches broutent çà et là, Et des moutons intimidés, Et des lapereaux imprudents. Au bord de la route tournante, Une auberge borgne contemple Les étincelles d'une forge. Plus loin, le tic-tac d'un moulin Et le lavoir où des canards Glissent sur le savon de l'eau. Menant à l'église ogivale, Le mail dilate ses platanes, Et ses bancs se piarent de mousse. Le dimanche, le temps est pur : Et les dévots, les esprits forts Et le fou vont communier. l'élégie italienne 185 Les enfants ont des blouses larges, Les hommes des culottes courtes C® Et les femmes des jupes longues. La Clarisse et l'instituteur, La bergère et le sacristain S'entre-donnent des compliments. Et ces douces gens s'imaginent Que si je n'écris à personne C'est pour cacher à ma commune Que je suis le roi d'Yvetot. Jeu. Un cloître où des vivants est morte la prière. Et, sans doute candide en son profane jeu, Un gardeur de pourceaux tranquilles, au milieu Des glands tombés, des chardons et de la poussière Et parmi d'indulgents ricochets de lumière, Roulait une tête de Dieu. Chanson. Au parterre d'Hypérion, L'automne avec plaisir soupire : La Balance apporte un sourire Sur la dépouille du Lion. Des souffles de l'Etna l'aigreur S'apaise dans les cinnamomes ; Et du réséda les arômes Consolent le saule pleureur. 188 Fernand Mazade Mais, au rêve que tu frappas, Si large s'ouvre la blessure Que l'odeur de ta chevelure, Hélas, ne me console pas. Alternative. Ce désir me suit, me surmonte Et m'épouvante. Ce plaisir Me déshonore. Il faut choisir. Ou le sacrifice ou la honte. Ou les vaincre ou m'anéantir. L'exilé, Lorsque, aux replis des flots tombé, se désaltère Le soleil, je voudrais, seul avec le mystère, Ne sentir plus l'ardeur et l'odeur de la terre. Mes souvenirs et mes espoirs jamais enfuis, Mes plaisirs haletants, mon orgueil, mes ennuis Je voudrais oublier l'exilé que je suis. En ces vastes moments où mon cœur se dévore, Il n'est que l'ombre et le silence que j'honore ! Sous le ruban lacté, sous l'alpha du Centaure, Je voudrais m'abîmer dans l'extase des nuits. Banalité. La chienne échappée à Tibère, Eparse en la grève sévère, Ivre de soif, folle de faim Et rongeant le caillou marin, Hurlait de douleur sanguinaire. Le buffle, au tréfonds d'un fossé, S'était mortellement blessé. Ses fanons se teignaint de rouge ; Mais, sans qu'un de ses muscles bouge, Sans, se plaindre^ il est trépassé. l'élégie italienne 193 Qui peut s'arrêter se délivre De la torture de poursuivre. O lassitude du désir ! S'il est facile de mourir, Il est difficile de vivre. 13 Carrefours. On voit par les labours, on trouve entre les bois Des lieux de désespoir, des endroits de délices, Où les routes en fleur dans la poudre s'unissent, Où les chemins fanés s'ouvrent comme des croix. Tout se joint : la raison, l'innocence et le masque. Tout s'étreint, tout se donne, et puis tout se reprend. Et vous, sirène vague, et lui, mortel errant, Vous vous séparerez au carrefour fantasque. Sauterelles, Longues de pieds, Les yeux immenses Et d'or striés, Bonnes aux danses, Certes, elles ont Des élégances. Mais sans raison Leur corps s'agite : Rien de profond 196 Fernand Mazade Ne les habite. Ainsi de toi, Pauvre petite ! Ton bel émoi, Tes tendres zèles, Ta noble foi : 0 sauterelles ! Le masque. Vous vous séparerez avant le carrefour, Lui le mortel errant, vous la sirène vague. Il ne mène pas haut le chemin qui divague (Et c'est sans doute moi qui briserai la bague) : Le geste de l'amour ne donne pas l'amour. Il glisse peu à peu le masque trop célèbre Par quoi j'imaginai créer un corps divin. Masque charmant, masque terrible, masque vain, Masque qui tombera dans un proche ravin. Vous vous séparerez au carrefour funèbre. Carini. Laïs naquit dans cette enceinte Où l'yeuse et le térébinthe S'unissent avec l'oranger : Jeune belle au flanc mensonger, Mais qu'Aphrodite rendit sainte, Et qui s'en fut, un soir léger, Faire la gloire de Corinthe. L'alpha. Je ne retrouve pas votre nuit, ô Sicile ! Au-dessus de la mer, par-dessus les îlots, Un silence sans aile et sans esprit vacille. Les tartanes n'ont pas ordonné leurs falots ; Et, du tertre immobile à la rive nageuse, Des vapeurs de sépulcre étouffent les enclos. Aucun croissant nimbé de majesté songeuse Ne prendra vers les bois ou les palus d'élan. Véga se cache et les Gémeaux et Bételgeuse ; Et l'alpha du Centaure est seul étincelant. Le phare. Heureux quî, vers l'écueil du golfe sinué Après s'être longtemps rué, Renonçant à presser l'énigme, Ne cherche plus pourquoi son cœur ai remué ! Heureux qui sur les flots choisit pour paradigme Le phare immobile et muet. Fou, Lou Luti, le fou de mon pays profond, N'a pas toujours eu de l'ombre dans les moelles Il connut la vie et les noms des étoiles Jusqu'au soir d'octobre où s'est voilé son front. Il se figura qu'il épousait Electre, Qu'en même temps qu'elle et près d'elle il mourut, Que sur lui d'Hermès la sandale courut : Et sa vésanie est de se croire un spectre. Palerme. Relais ardents, tièdes vallons, vivants abîmes, Coteaux qu'amuse encor l'écho du chèvre-pied, Grottes que des reflets d'oréades raniment, Brisants de Bacoli qui nichent le pluvier, Pouzzoles, Nisida, Pausilippe où les mânes De l'enchanteur Virgile érigent le laurier, Sorrente frissonnant d'écharpes diaphanes, Psestum qu'a délaissé l'immortel le plus fou, Dino dont Diana défendit les cabanes, l'élégie italienne 203 Scylla qui dans le sel doucement se dissout, Galati de puits bleus cerné, Messine où germe La graline des gabiers à la tête de loup, Tyndaris qui sous l'œil du Cyclope s'enferme, Nocolosi dansant sur des feux endormis, Catane et Syracuse, Imérèse et Palerme ! J'abdique le bonheur que vous m'aviez promis. Sympathie. Le mal qui m'envahit touche à présent les choses. Les portes des vergers Et des parcs étagés, Les huttes des bergers, Les maisons des haleurs, les chapelles sont closes. Aux bosquets où l'aurore a le trouble du soir, Les cigales sommeillent Et l'aile des abeilles Se traîne sous les treilles. La nymphe de la source a rompu son miroir. 206 Fernand Mazade Regarde-t-elle fuir vers Spolète et Trévise La harpe et le tambour ? Autour du carrefour Où s'arrête l'amour, La sonnette des ifs signe de noir la brise. Le batelier. J'évoque une chanson que j'entendis à Rome. Un batelier du Tibre, étant rentré chez lui, Découvrit sur le lit sa femme avec un homme. Il avait de la race : il ne mena nul bruit. Il voulait éviter la bassesse d'un drame. Mais il se demandait, en regardant le lit, Ce qu'il ferait de l'homme et surtout de la femme. L'éventail. Le fantasque conduit au funèbre. Sirène, Au jeu qu'il nous a plu de jouer j'ai perdu : Et je vous rends les as, les valets et la reine. Et voici l'éventail, votre éventail tordu, Colombine sans grime, Arlequin sans vertèbre, Pierrot sur le bûcher, Scaramouche pendu. Le fantasque, sirène, est proche du funèbre. Campo santo. Il est penchant le long d'un rocher Au pied duquel plongent des cavernes. D'anciens agrès de barques le cernent. Il est penchant et presque couché Devant l'ancrage où tournent des sternes. Le jour, il voit croiser leurs couleurs Les glissements de petites voiles, Il voit vers lui, lourdes sous leurs voiles, S'acheminer des femmes en pleurs ; Et, par la nuit, il voit les étoiles. Bellérophon. Errant le long de l'âpre et désert promontoire, Le héros qui tua la Chimère et fut roi Demandait aux rochers immuables pourquoi S'étaient si vite enfuis son bonheur et sa gloire. Puis il interrogeait les flots insidieux, Et puis les horizons d'où s'envolent les astres. D'où lui venaient l'exil, ses émois, ses désastres ? Pour quel crime irréel le châtiaient les dieux ? l'élégie italienne 215 Il ignorait que plus les victoires sont belles, Plus le prix des lauriers est terrible au vainqueur. Il ne comprenait pas qu'il expiait l'honneur D'être monté sur le cheval aux grandes ailes. Guérets. Un tourbillonnement d'insectes Semble la cendre d'or d'un orage écroulé. Quelles exhalaisons de lagunes abjectes, Quelles fades vapeurs de marécage humectent Les guérets expirant dans le jour mutilé ? Renoncez aux sueurs suspectes : Semeurs, vous n'avez plus de blé. Flûte. Nulle bouche d'enfant, aucun'souffle de femme Ne te séparera du méprisant sommeil, Flûte soûle de jeux et qui prévois le drame. Tu ne mèneras plus aux gloires du réveil L'artifice dansant, la méprise chanteuse, Le sourire d'une ombre aux griffes de soleil. Par pudeur je te brise, exquise entremetteuse, Et ma douleur te trame un suaire éternel. Tu ne berceras plus d'une instance menteuse L'amour dont la salive avait un goût de fiel. Le centaure. A l'heure où le soleil émerge de la nuit, Callisbo, la guerrière amoureuse du bruit, La fantasque amazone aux magnifiques charmes, S'était, sans brodequins, sans tunique et sans armes, Aventurée au cœur d'un vallon buissonneux Que surplombe l'Ossa roide et vertigineux. Là, près d'une fontaine au cratère sonore, Dans la blancheur des lys, reposait un centaure. Puissant, étrange et grave, il avait les yeux clos. Et Callisbo soudain lui sauta sur le dos. Il tressaillit, dressa la tête vers la nue. Irrité du contact de cette femme nue, Oppressé par l'odeur dont elle le souillait, Il frappa du sabot, puis se cabra, muet. « Sois donc sage. Galope ! » invita la guerrière. l'élégie italienne 219 Mais il fît quatre bonds saccadés en arrière Et crut qu'il jetterait l'impure sur le sol. Il se trompait. Tout en riant d'un rire fol, Elle le talonnait sans perdre l'équilibre. Et cependant que le soleil tranquille et libre S'élevait à travers l'espace solennel Et semblait élargir les limites du ciel, Le centaure, envahi par la honte et la haine, Se contemplait avec stupeur dans la fontaine. Voici que Callisbo lui caressa le cou. Enflammé de colère, il rua tout à coup ; Et, s'étant ébroué parmi l'eau vierge et fraîche, Il volta, s'infléchit, partit comme une flèche, Recula brusquement, s'élança derechef. Le fracas de son trot subit, fougueux et bref Dérangeait les circuits de l'hirondelle bleue. Et le centaure avait des battements de queue Qui fauchaient aux buissons les feuilles et les fleurs. Ses flancs étaient couverts d'écume. Sous ses pleurs Et sous le frisson noir de ses cheveux en boucles, Ses prunelles avaient l'éclat des escarboucles. Il tournait par instants la tête, et, sombre et beau, Terrible et désolé, regardait Callisbo. 220 Fernand Mazade Mais, bravant sa furie et dédaignant ses larmes, L'experte cavalière aux impudiques charmes Restait sur lui fixée et plaisantait sans fin ; Et de son bras trop court il essayait en vain De saisir cette femme espiègle et qui, funeste, L'avilissait devant la lumière céleste. Il s'arrêta, parut un moment réfléchir. D'un accent rude, il dit à Cailisbo de fuir. Et, comme elle riait, puérile et superbe, Il se coucha sur elle et l'écrasa dans l'herbe. Longtemps il se roula, farouche, frémissant, Enivré par la tiède exhalaison du sang, Affolé de sentir cette chair vaniteuse Le couvrir d'une boue écarlate et fumeuse. Puis, rapide, il partit du côté bleu des mers. Alors de grands oiseaux descendirent des airs. Et, plus tard, lorsque vint le crépuscule jaune, Les bergers qui, pensifs, cherchèrent l'amazone Trouvèrent seulement sa bague et des cheveux. * Ne jouez pas avec les êtres merveilleux. 222 Fernand Mazade Arche qui du ciel mires la plénitude Et de qui la terre a tiré sa vertu, Berceau d'Aphrodite, abîme, que veux-tu De mon crépuscule et de ma solitude ? Souvenir. En promenant ses doigts aux seuils du firmament, Le mage m'avait dit, près des flots de Messine : « Le cerne de Vénus rapidement s'incline ; Le cycle du soleil s'élève lentement. » La barre. Des jardins les œillets, des prés les marguerites, La marguerite blême et l'œillet embrasé, Les fleurs que les Amours agitaient sont détruites. Sur ma bouche a flétri le suprême baiser : Le vieux sang ne bat plus près de la jeune sève. A la! barre où l'écume achève de briser Est morte Parthénope ! ou mon rêve d'un rêve. l'élégie italienne 225 Parmi la cendre d'un flambeau, Entre les débris d'une amphore, Devant la mer, sur ce tombeau, Fut broyé, d'un coup de sabot, Le dernier myrte du centaure. Table de ce cahier Dédicace Reconnaissez l'homme qui, soudain, En mer Phrase Argonautes Musique Midi Angélus Fleuve Chiavari Amazone L'inconnue L'obscurité Ninfa Le grèbe Pochade Le cygne Le lac Raveime Le -mur Le sommeil Les serpents 228 TABLE DE CE CAHIER Hommage 41 Le rire 43 Matin 45 Rimes fausses 47 Les dauphins 49 Vieillard 51 Le golfe 53 Nisida 55 Le héron 57 Circé 59 Chapiteaux 61 Avis 63 Buste 64 Reine 65 Mariage 67 Cariatide 68 Chant 69 Promenade 71 Mosaïque 73 Compliment 75 Silence 77 Vacillité 79 Parthénope 80 Offre 82 A Dionysos ; 83 Capella 85 Vestige 86 Vase 88 Bronze 89 Herméros 91 Fête 93 Mouettes 95 Lucrèce 97 TABLE DE CE CAHIER 229 Enseigne 98 Chèvre 100 Le gendre 102 Positano 104 Tapis 106 Chambre 107 Devise 109 Jalousie 111 Prière 112 Village 114 Duplicité 110 Le nom 117 Aphrodite 118 Le buffle 120 Lys 121 Départ 123 Barque 124 Le serpent 126 Métamorphose 127 L'amande 129 Vision 131 Atrani 132 Poseideion 134 Le crabe 135 Le détroit 137 Galati 139 Cerceau 141 Métairie 143 Amour 145 Orage 147 Taormina 149 Arc-en-ciel 151 Le scarabée 153 230 TABLE DE CE CAHIER Charité 155 L'air 157 Le feu 159 Pierre 160 Instant 162 Bateau 164 Aube 168 Saphiques 168 Chevauchée 170 Le philtre 172 Les deux désirs 174 Ruisseau 176 Conseil 177 Oiseau bleu 178 Recueillement 180 Neuvains 182 Rimes blanches 183 Jeu . 186 Chanson 187 Autel 189 Alternative 190 L'exilé 191 Banalité 192 Carrefour 194 Sauterelles 195 ^ Le masque 197 Carini 198 L'alpha 199 Le phare 200 Fou 201 Palerme 202 Strophe 204 Sympathie 205 TABLE DE CE CAHIER 231 Décasyllabes 207 Le batelier 208 La guêpe 209 L'éventail 211 Gampo santo 212 Bellérophon 214 Guérets 216 Flûte 217 Le centaure 218 Monodie 221 Souvenir 223 La barre 224 Parmi la cendre d'un flambeau 225 VINGT-TROISIEME SÉRIE : ^ des ^ Cahiers de la Quinzaine La vingt-troisième série des Cahiers de la Quinzaine — année scolaire 1932-1933 — compte tenu des six ouvrages de la collec¬ tion le Journal vrai qui seront envoyés aux souscripteurs en complément de leur abonnement, comprendra les dix-huit volumes ou plaquettes suivantes : Charles Péguy. — Premier dialogue de la cité harmo¬ nieuse I. . 8 Frs Charles Péguy. — Premier dialogue de la cité harmo¬ nieuse II 8 Frs Marcel Péguy. — Note conjointe sur Domrémy, les ba¬ tailles et Rouen 3 Frs Charles Péguy. — Domrémy 15 Frs \ Charles Péguy. — Les Batailles 15 Frs Charles Péguy. — Rouen 12 Frs Fernand Mazatie. — L'élégie italienne, poëmes .15 Frs Marcel Péguy. — Grébige 326 3 Frs Christiane Loriot de la Salle. — Rien que l'amour, roman 12 Frs Marino Moretti.—Nul samedi n'est sans soleil 15 Frs Marcel Péguy. — A la conquête du temps perdu, roman 12 Frs Marcel Péguy. — La joie des Ténèbres, roman 12 Frs Dinam Fumet. — La Divine Oraison 6 Frs Marcel Péguy. — La pensée de Karl Marx 12 Frs Beau de Loménie. — Réponse à Henri Massis 8 Frs Marcel Péguy. — La paix et la guerre 6 Frs Philippe Guiberteau. — Note sur le Soulier de Satin .. 8 Frs Nadeda Gorodetzky. — L'Etoile du Berger, roman .... 12 Frs Par souscription à la série entière, les volumes parus ou à paraître dans cette vingt-troisième série seront mis en vente au prix de soixante-dix francs seulement —- étranger, quatre-vingt- dix francs.