Supplément au n° de Poésie Octobre 1938 Page d histoire contemporaine CESAR La Guerre des Gaules Le Fûlirer des G ermams Les mœurs des Germains sont très différentes de celles des Gaulois. En effet, ils n'ont pas de druides qui président au culte des dieux et ils font peu de sacrifices. Ils ne comp¬ tent pour dieux que ceux qu'ils voient et dont ils éprouvent manifestement les bienfaits, le Soleil, Vulcain, la Lune ; les autres, ils n'en ont même pas entendu parler... ...Il n'est pas de plus grand honneur pour les peuples germains que d'avoir fait le vide autour de soi et d'être entourés d'espaces désertiques aussi vastes que possible. C'est à leurs yeux la marque même de la vertu guerrière, que leurs voisins, chassés de leurs champs, émigrent et que per¬ sonne n'ose demeurer près d'eux... Le vol n'a rien de désho¬ norant quand il est commis hors des frontières de l'Etat : ils prétendent que c'est un moyen d'exercer les jeunes gens et de combattre chez eux la paresse. (Livre sixième, . xxi, xxiii) Quand l'assemblée des chefs gaulois se fut séparée, les mêmes chefs de nations qui avaient une première fois parlé à César revinrent le trouver et sollicitèrent la faveur de l'en¬ tretenir sans témoins et dans un lieu secret d'une question 360 qui intéressait leur salut et celui du pays tout entier. César y consentit ; alors ils se jetèrent tous à ses pieds en pleu¬ rant : « Leur désir, dirent-ils, de ne pas voir ébruiter leur déclaration était aussi vif et aussi anxieux que celui d'ob¬ tenir ce qu'ils voulaient ; car, si leurs paroles étaient connues, ils se savaient voués aux pires supplices ». L'Héduen Divi- ciacos parla en leur nom : « l'ensemble de la Gaule était divisée en deux factions : l'une avait à sa tête les Héduens, l'autre les Arvernes. Depuis de longues années, ils luttaient âprement pour l'hégémonie, et il s'était produit ceci, que les Arvernes et les Séquanes avaient pris des Germains à leur solde. Un premier groupe d'environ quinze mille hommes avait d'abord passé le Rhin ; puis ces rudes bar¬ bares prenant goût au pays, aux douceurs de sa civilisation, à sa richesse, il en vint un plus grand nombre ; ils étaient à présent aux environs de cent vingt mille. Les Héduens et leurs clients s'étaient plus d'une fois mesurés avec eux ; ils avaient été battus, subissant un grand désastre où ils avaient perdu toute leur noblesse, tout leur sénat, toute leur cavalerie. Epuisés par ces combats, abattus par le malheur, eux qui auparavant avaient été, grâce à leur cou¬ rage et aux liens d'hospitalité et d'amitié qui les unissaient aux Romains, si puissants en Gaule, ils avaient été réduits à donner en otage aux Séquanes leurs premiers citoyens, et à jurer, au nom de la cité, qu'ils ne les redemanderaient pas, qu'ils n'imploreraient pas le secours de Rome, qu'ils ne chercheraient jamais à se soustraire à l'absolue domina¬ tion des Séquanes. Il était le seul de toute la nation hé- duenne qui ne se fût pas plié à prêter serment et à livrer ses enfants comme otages. Il avait dû, pour cette raison, s'enfuir de son pays, et il était allé à Rome demander du secours au Sénat, étant le seul qui ne fût lié ni par un serment, ni par des otages. Mais les Séquanes avaient eu plus de malheur dans leur victoire que les Héduens dans 361 leur défaite, car Arioviste, roi des Germains, s'était établi dans leur pays et s'était emparé d'un tiers de leu^s terres, qui sont les meilleures de toute la Gaule ; et à présent il leur intimait l'ordre d'en évacuer un autre tiers, pour la raison que peu de mois auparavant vingt quatre mille Harudes (1) étaient venus le trouver, et qu'il fallait leur faire une place et les établir. Sous peu d'années, tous les Gaulois seraient chassés de Gaule et tous les Germains passeraient le Rhin ; car le sol de la Gaule et celui de la Germanie n'étaient pas à comparer, non plus que la façon dont on vivait dans l'un et l'autre pays. Et Arioviste, depuis qu'il a remporté une victoire sur les armes gauloises — la victoire d'Admagétobrige (2) — se conduit en tyran or¬ gueilleux et cruel, exige comme otages les enfants des plus grandes familles, et les livre, pour faire des exemples, aux pires tortures, si on n'obéit pas au premier signe ou si seulement son désir est contrarié. C'est un homme grossier, irascible, capricieux (3) ; il est impossible de souffrir plus longtemps sa tyrannie. A moins qu'ils ne trouvent une aide auprès de César et du peuple romain, tous les Gaulois seront dans la nécessité de faire ce qu'on fait les Helvètes, d'émigrer, de chercher d'autres toits, d'autres terres, loin des Germains, de tenter enfin la fortune, quelle qu'elle puisse être. Si ces propos sont rapportés à Arioviste, point de doute : il fera subir le plus cruel supplice à tous les otages qui sont entre ses mains. Mais César, par son pres¬ tige personnel et celui de son armée, grâce à sa récente victoire, grâce au respect qu'inspire le nom romain, peut (1) Les Harudes venaient vraisemblablement de la région de Hambourg. (2) Ce lieu doit être cherché en Alsace. (3) Cf Revue de Paris, 1 mai 1938 : La fin de l'Autriche, par Viator 362 empêcher qu'un plus grand nombre de Germains ne fran¬ chisse le Rhin, et protéger toute la Gaule contre les violences d'Arioviste ». Quand Diviciacos eut achevé ce discours, tous les assis¬ tants se mirent, avec force larmes, à implorer le secours de César. Celui-ci observa que, seuls entre tous, les Séquanes ne faisaient rien de ce que faisaient les autres, mais gardaient tristement la tête baissée et les regards fixés au sol. Etonné de cette attitude, il leur demanda la raison. Aucune réponse : les Séquanes restaient muets et toujours accablés. Il insista à plusieurs reprises, et ne put obtenir d'eux le moindre mot ; ce fut l'Héduen Diviciacos qui, reprenant la parole, lui répondit : « Le sort des Séquanes avait ceci de particuliè¬ rement pitoyable et cruel, que seuls entre tous ils n'osaient pas, même en cachette, se plaindre ni demander du secours, et, en l'absence d'Arioviste, redoutaient sa cruauté comme s'il était là : les autres peuples, en effet, avaient malgré tout la ressource de fuir, tandis qu'eux, qui avaient admis Arioviste sur leur territoire et dont toutes les villes étaient en sa possession, ils étaient voués à toutes les atrocités ». Quand il eut connaissance de ces faits, César rassura les Gaulois et leur promit qu'il donnerait ses soins à cette affaire : « Il avait, leur dit-il, grand espoir que par le souvenir de ses bienfaits et par son autorité il amènerait Arioviste à cesser ses violences ». Leur ayant tenu ce dis¬ cours, il renvoya l'assemblée... Il décida donc d'envoyer à Arioviste une ambassade qui lui demanderait de choisir un endroit pour une entrevue à mi-chemin des deux armées : « Il voulait traiter avec lui d'affaires d'Etat et qui les intéressaient au plus haut point l'un et l'autre ». Arioviste répondit que « s'il avait eu quelque chose à demander à César, il serait allé le trouver ; si César voulait quelque chose de lui, c'était à César à le 363 venir voir ». Il ajouta qu'il n'osait pas se rendre sans armée dans la partie de la Gaule qui était au pouvoir de César, que, d'autre part, le rassemblement d'une armée exigeait de grands approvisionnements et coûtait beaucoup de peine. Au reste il se demandait ce qu'avaient affaire César, et d'une façon générale les Romains, dans une Gaule qui lui appar¬ tenait, qu'il avait conquise... En même temps qu'on rapportait à César cette réponse, arrivaient deux ambassades, l'une des Héduens, l'autre des Trévires ; les premiers venaient se plaindre que les Harudes, qui étaient récemment passés en Gaule, ravageaient leur territoire : « Ils avaient eu beau donner des otages, cela n'avait pu leur valoir la paix de la part d'Arioviste ». (Livre premier, xxxi, xxxii, xxxiii, xxxiv, xxxvii.) (Traduction de L. A., Constans, Collection Budé)