na : £q pua A -us eU t Cl L^T/t^i. ^—**■ pfmfeîmfc j 'VITE ) IT PAU RCIAL CH. LYON-GAEN Membre de l'Institut, Professeur à In Faculté de Droit de Paris et à l'Ecole des Sciences politiques. L. RENAULT Membre de l'Institut, Professeur à la Faculté de.-Droit de Paris et à l'Ecole des Sciences;politiques. >ITION ME VI •fes et de leur '[ Des abordages, et de l'assistance. |ices maritimes, f à la grosse. |èque maritime. Vils sur les navires \ ] 4° édition V» v .a première édition1 a été couronnée par l'Institut (prix Wolowski) TOIV1E SIXIEME Des avaries et de leur règlement. — Des abordages. Du sauvetage et de l'assistance. Des assurances maritimes. Du prêt à la grosse. — De l'hypothèque maritime. Des privilèges sur les navires. SARIS :E GÉNÉRALE DROIT iji RIS PRUDENCE M S 12 PARIS LIBRAIRIE GENERALE DE DROIT ET DE JURISPRUDENCE Ancienne Librairie Chcvaher-Mnrescq el C',u ei ancienne Librairie F. P ici ion réunies F. PICIION et DU II AN D-AUZIAS, administrateurs Librairie du Conseil d'Elut et de la Société de Législation comparée 20, rue soufflot (5e arr1) 1912 N° 11 Novembre 1916 •-•■ ■ Léonid Andréiei . Eugène Lintilhac , .. .- Sénateur - = .•='_ Fernand Crémieux Le Joug de la Guerre (Première Partie) Le Musée Rodin. . . . . . . ..'. 3 33 Max Rabusson. Joachim Merlant I. Guess .... Un Officier . . . Edgar Quinet, annonciateur de l'Allemagne moderne. . 42 Conte de l'Armée d'Orient 65 L'Amérique intellectuelle et la France. ... 79 L'Amérique réaliste et la Guerre y3 La Psychologie du'Chef: III. le Chef et sa troupe 123 Pages Libres " Geneviève Biàriquis, Augustin Harnon . . Les Confessions d'un Pangermanïsle autrichie7i: , 129 Quelques Leçons de la Guerre mondiale. . . i5o A travers la Quinzaine Gonzague Truc : Prepos de rentrée, 161 — J. Ernest-Charles : La Vie littéraire, 164. — Louis Laloy : Le Music-Hall et la Guerre, 173. —Victor Augagneur (Ancien Ministre) : La Thésaurisation pendant la Guerre, 178. ! 1 Revue des Revues. — Correspondance. La Vie Curieuse. ■ ■ ir Le Numéro, net : France : 2 fr. Etranger : 2 fr.50 iP?ï Paris : 3j, Rue de Constantinople Paris, VIIIe Arr' La Grande Revue **?"* CONDITIONS D'ABONNEMENT • Un an Six mois Trois mois FRANCE 20 fr. 8 O fr. 50 5 lr. 75 UNION POSTALE 25 fr. I 3 fr. 7 fr. ÉDITION SUR PAPIER DE LUXE PARIS 30 fr. 16 fr. S fr. DEPARTEMENTS 33 fr. 18 fr. 10 fr. ÉTRANGER 38 fr. 30 fr. 1 1 fr. -fdresser abonnements et mandats à M. l'Administrateur de La Grande Revue 1 toute demande de changement d'adresse, prière de joindre 50 centimes en timbres-poste (Il n'est pas tenu compte des changements d'adresse non réguliers.) 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Questions sociologiques contemporaines Questions religieuses contemporaines, La Musique. La Vie et le Droit. le musée r0d1n 41 de ballet, à hancher en des poses plastiques et à faire le beau, suivant les poncifs de l'école. Alors, grâce à son intuition profonde de la vie et des pas¬ sions, avec cet instinct qui ne se trompe guère au théâtre, elle ira droit aux chefs-d'œuvre de Rodin, pour son plaisir et pour son profit. Elle y aura, de plus en plus, ce frisson du beau qui donne la fièvre à l'esprit, avide de comprendre ce que le cœur a senti, et qui a été considéré par les législateurs de toutes les civilisations, y compris la chrétienne, — à la sainte plèbe, disaient dans leur dédicace les artistes d'une basilique de Rome, — comme le plus puissant auxiliaire de l'éducation du peuple. Eugène Lintilhac, Sénateur. a Edgar Quinet, annonciateur de l'Allemagne moderne Peut-être n'est-il pas trop tard encore, au sein même de ce bouleversement infini, pour tenter la réhabilitation du prophète Quinet. Et il nous faut à tout prix souhaiter que ses clameurs inspirées sur la menace allemande, — clameurs déjà lointaines, mais si méconnues hier, ou quasi ignorées —, nous soient une leçon féconde en expériences, dans l'institution de l'après-guerre. Nul ne fut plus que lui rabaissé au cours de ces derniers vingt ans. La sagesse contemporaine, trouvant peu à s'alimenter aux sources de son romantisme, se détournait de Quinet, lamen¬ table Cassandre, et l'accablait du mépris qui va aux radoteurs et aux diseurs de riens. S'il garda, dans la cohorte anticléricale et politique, un faisceau et un accompagnement d'amitiés fidèles, la critique, — celle des exaltés, comme aussi la critique scholas- tique et la critique pondérée —, ne consentit à lui faire grâce ; elle ne vit en lui qu'un fanatique chez qui la clarté de l'esprit ne répond pas à la fureur de la conviction, et qui noie les questions au lieu de les résoudre (2). Sans doute rend-elle encore unanimement hommage à son dé¬ sintéressement, à son courage, à la dignité de son œuvre qui est un « acte de foi à la force morale ». Mais toutes réserves sont (1) Nous avions fait imprimer depuis août cet article, écrit par notre collabo¬ rateur en juillet dans une ambulance du front, lorsqu'un article sur le même sujet, de M. Paul Gautier, a paru dans la Revue des Deux-Mondes du 15 sep¬ tembre. Malgré cette priorité et cette coïncidence, nous n'avons cru devoir pri¬ ver de ce travail ni notre collaborateur ni nos lecteurs. (.A'. D. L. R.) (2) Pierre Lasserre, Le Romantisme français, page 513. «A* EDGAR QUINET 43 faites sur un enthousiasme1 qui, ose-t-on nous assurer, ne s'allie pas à la clairvoyance (1). « Quinet est un juge informé, honnête d'ailleurs et par consé¬ quent sincère, auquel il ne manque, pour bien juger, que d'être moins féru de systèmes, moins docile aux images et moins pressé de conclure » (2). Au total, ces reproches vont à sa philosophie, toute d'imagina¬ tion et d'effusion, de pressentiment et de rêve, et qui est pour ces raisons qualifiée « d'évanouissement dans le vide ». « Le ton prophétique est dangereux à prendre, écrit de lui M. Thamin. C'est justement quand les prophéties se sont réa¬ lisées ou que le temps du moins en a atténué l'audace, qu'on risque d'être plus injuste envers leur auteur. On ne lui sait pas gré d'avoir prévu ; on oublie les dates et on ne pense qu'au style dont l'emphase est devenue sans excuse » (3). Toute l'œuvre id'Edgar Quinet n'est pourtant qu'une suite d'avertissements justifiés par les faits. « En lui vivait le génie de l'avenir », a pu écrire celle qui fut et jusque dans l'exil la com¬ pagne de son destin. Et sur nul point Quinet ne réussit à mieux pénétrer le secret inquiétant des siècles que sur le devenir de l'Allemagne. Ce serait déjà beaucoup au demeurant d'avoir dès 1831 et par une intuition divinatoire annoncé Sadowa et Sedan, même si de telles prédictions n'avaient été puissamment moti¬ vées. Mais Quinet eut la prescience, étayée d'indices probants, des principaux changements qui devaient s'accomplir en Alle¬ magne dans l'ordre moral et matériel. En 1857, puis en 1865, il précisait lui-même combien les événements avaient déjà con¬ firmé ses idées et il suppliait qu'on voulût bien prendre ces idées en considération puisqu'elles avaient déjà reçu une première sanction des choses et des faits : « J'étais seul alors à signaler ces vérités. C'était le cri de la sentinelle perdue, le premier mot prononcé en France sur la question allemande, le cri : Prenez garde à vous ». Mais ses exhortations ne furent pas écoutées, pas plus qu'on ne voulut prêter l'oreille depuis 1870 à ses appels de prudence ou à ses cris d'alarme. Ce n'était pas en vain pourtant qu'en dédiant à Quinet son (1) Pierre Lasserre, Le Romantisme français, page 513. (2) Aug. Dupouy, France et Allemagne. (3): Petit de Jull-eville, Littérature. 44 ' FERNAND CRÉMIEUX livre Le Peuple, Michelet avait proclamé que les travaux de son ami avaient tous germé de cette racine vivante, le sentiment de la France et l'idée de la régénération, de la grandeur de la Patrie. I Habille-toi de fer qui jamais ne rouille ; Relève ton armure et non pas ta quenouille, (1) tel est l'avertissement qui peut servir d'exergue à toute sa cam¬ pagne anti-germaine, qu'au lendemain même de la Révolution de juillet, Edgar Quinet adressait d'outre-Rhin à la France. Et pour justifier cet appel fatidique, il ne cesse pendant plus de quarante ans de dévoiler à son pays les vues secrètes et mena¬ çantes de la Prusse. L'expérience va nous contraindre d'avouer que ces vues s'étaient à peine modifiées depuis bientôt un siècle : Quinet est singulièrement actuel, comme inspiré d'hier ; et nous restons confondus en discernant la consécration trop éclatante et le commentaire terrible que les événements de 1914 ont brus¬ quement conféré aux suggestions de son patriotisme. Avant de juger l'Allemagne, Quinet l'avait connue plus que tout autre. Ajoutons qu'il l'avait aveuglément aimée, au point de se méprendre et de prêter à quelque méprise. Connaissant à fond la langue des Germains, il avait longtemps vécu à Heidel- berg ; il y avait fréquenté Creuzer, Niebuhr, tous les poètes du jeune romantisme. Il est à peine besoin de rappeler aussi qu'il avait publié en 1825, aux applaudissements de Vic¬ tor Cousin, une traduction du livre de Herder sur la philo¬ sophie de l'histoire, suivie en 1827 d'un essai, qui avait obtenu les suffrages du vieux Goethe. Il n'avait pas hésité enfin à se mettre à l'école des maîtres allemands, dont il avait pris la pas¬ sion de l'histoire philosophique conçue comme une perpétuelle enquête sur toutes les races et sur tous les. peuples (2). Sa vie sentimentale d'autre part s'était épanouie là-bas, où il s'était épris d'une jeune Allemande qu'il se promettait d'épouser (3). Il ne faut donc pas s'étonner si les premières manifestations littéraires de Quinet et sa correspondance d'adolescent (4) reflè¬ tent son enthousiasme pour l'Allemagne. Il se sent tout autre (1) Napoléon, poème. (2) Nous nous abstiendrons de fixer ici l'influence de la philosophie allemande sur l'œuvre et les doctrines de Quinet. (3) Elle mourut prématurément après quelques années de mariage. (4) Les dates qui suivent se réfèrent à la Correspondance de Quinet à sa mère. EDGAR QUINET 45 qu'avant d'y être venu (1)... Autrefois, il n'était qu'un Welche (2). Son éducation intérieure se forme et s'achève... « En vérité, sans Heidelberg, je n'aurais su ce que c'est que vivre »... Il médite un Ashaverus, où L'âme et la philosophie allemandes seront exaltées, et il songe à écrire quelques études sur les prin¬ cipaux penseurs de l'Allemagne, car il souffre de leur obscurité parmi nous. Sans doute le livre de Mme de Staël est admirable ; mais combien cet hymne est incomplet (4 décembre 1827). Tieck surtout lui paraît prodigieux et il oppose sa pensée souple à la raideur pédante des Français (juillet 1828). Nulle voie plus large en un mot ne lui paraît offerte à un individu que de se faire l'interprète de ce mouvement suprême (avril 1828) : Adieu, terre hospitalière, terre paisible, écrit-il dans son Essai sur Herder, que puis-je te rendre pour tout ce que j'ai reçu de toi ? Tu n'as ni le doux climat de la France, ni la liberté plus douce de l'Angleterre, ni les sites agrestes de l'Ecosse, ni les ruines antiques de l'Italie, ni l'air embaumé des myrrhes de la Provence. Mais au fond de tes silencieuses vallées jaillit encore, sous les chênes d'Ar- minius, la source pure du beau moral où tôt ou tard viendront se désaltérer les peuples qui t'entourent... Tu es le pays de l'âme et de l'espérance. » Nulle surprise en conséquence si, par ses explosions admira- tives aussi bien que par ses tendances métaphysiques, Quinet a pu donner à certains l'apparence de s'être germanisé et d'avoir apporté à l'Allemagne l'adhésion de ses pensées et de son cœur. « On sent passer dans son œuvre le souffle de la forêt hercy¬ nienne, affirme M. Dupouy. L'Allemagne est chez lui une voca¬ tion » (3). « C'est la vraie patrie de son âme, ajoute Faguel » (4). Le plus curieux est que cette opinion se retrouve sous la plume de celui qui, à nos yeux français, fut le plus perspicace des cri¬ tiques d'Outre-Rhin : Henri Heine voit en Quinet une nature septentrionale, une bonne pâte d'Allemand, — profondeur alle¬ mande, pessimisme allemand, bourdonnement de hannetons alle¬ mands, parfois même tant, soit peu d'ennui allemand. Si bien que Heine se demande comment Quinet a pu se dresser soudain comme un germanophage effréné. C'était oublier tant de souvenirs assoupis, mais prêts à s'éveil¬ ler dans l'âme du jeune homme. Dans son introduction des (i et 2) Voir les lettres des 6 septembre et 18 octobre 1827. (3) Dupouy, France et Allemagne. (4) Emile Faguet, Revue des Deux-Mondes, 1" novembre 1892. 46 FERNAND CRÉMIÈUX extraits de Quinet, M. Valès rappelle que ce dernier n'avait que onze ans quand la France fut envahie pour la première fois par les coalisés. Il vit les dragons autrichiens défiler sous ses fenêtres. Sa maison fut encombrée de soldats qui devaient revenir plus nombreux et plus implacables après Waterloo : « La France navrée, percée au cœur, toute sai¬ gnante nous paraissait si belle, si noble, si fière dans ses calamités. Avec quelle tendresse de fils nous regardions, nous comptions ses plaies » (1). De tels sentiments suffiraient à éloi¬ gner toute suspicion, malgré l'enivrement et l'extase que provo¬ quent chez le tout jeune homme la révélation, de la pensée alle¬ mande et la douceur d'aimer aux rives du Neckar. « Au fond, c'est à l'Allemagne modeste qu'il alla, note Faguet, à l'Allemagne douce et humble, l'Allemagne exclusivement sco¬ laire, familiale et patriarcale, très tendre et pieuse, à Heidel- berg, le joli village savant, la grande université dans la petite ville pittoresque, le Mouséion discret et calme, où l'on fait de l'érudition toute la journée, et le soir, suivant la saison, de si bonne musique ou dé si fraîches promenades » (2). La voix de la raison l'emporte du reste presque de suite chez Quinet. Il lui suffit, sinon encore pour se déprendre, tout au moins pour se tempérer, d'une mission en Grèce, fin 1828, suivie un peu plus tard d'un voyage décisif à Rome (3). Et la vue des choses antiques qui est comme « celle d'un ami qu'on aime » produit sur son esprit « une impression extraordinaire et vrai¬ ment merveilleuse ». « Le temps que je passe ici, écrit-il de Rome à sa mère, est le mieux occupé de ma vie. J'y travaille à recouvrer ma propre nature. » Il revient sur lui-même et sur ses impressions passées et il découvre que s'il aime l'Allemagne, il la voit avec plus de liberté et avec un jugement plus indépen¬ dant que lorsqu'il l'a quittée. « Comme La Fontaine parlant de Dubartas, je pourrais dire : ils ont failli me gâter. » A son retour à Heidelberg, sa déception s'accroît encore. Ses amis d'autrefois lui semblent malveillants; la famille de sa fiancée paraît moins accueillante à ce jeune étranger et suscite insi¬ dieusement des obstacles à son mariage. L'esprit allemand lui répugne, « ballon gonflé de vanité ». La science allemande n'est (1) Histoire de mes idées. (2) Emile Faguet, Revue des Deux-Mondes, i" novembre 1892. (3) Voir les lettres à sa mère durant cette période. EDGAR OU INET 4 7 plus guère qu'un pédantisme farouche et insociahle. La philoso¬ phie elle-même, le vieil idéalisme si fécond et si noble, sombre dans une vulgarisation lamentable : « Comme Jérémie, écrit-il à Michelet le 19 août 1836, je jette un vase contre terre en criant: Jérusalem, Sainte-Allemagne, tu péris ; le Temple tudesque s'écroule. » Les mêmes plaintes s'exhalent dans ses lettres à sa mère : « L'Allemagne ne me plaît plus du tout. Elle se cor- « rompt... La lourde danse de ces hippopotames m'impatiente ; « tout ce qui charmait Mme de Staël disparaît chaque jour. La « frivolité française y pénètre sans aucune de ses grâces. » Surtout Quittât vient de pressentir la future et redoutable grandeur de ce pays. S'il resonge "à grouper ses considérations sur l'Allemagne, c'est dans un autre esprit que quelques années auparavant : « L'Unité germanique, écrit-il à Michelet (1), se « prépare d'une'manière si menaçante que je n'ai pu résister à « en décrire les progrès et les inévitables résultats. » Et il en¬ voie à son ami un long article VAllemagne et la Révolution qu'il souhaite voir paraître dans la Revue clés Deux-Mondes nou¬ vellement née. L'article est d'abord refusé. « Votre brochure est violent© et terrible, lui répond Michelet. Elle m'a ôté le rire pour dix ans. C'est comme les trois mots du festin de Balthazar. » Au prix de quelques coupures, l'article est enfin inséré le 1er janvier 1832. Il est suivi d'un Système politique de l'Allemagne et Avertissement à la Monarchie de 1830. Ce n'est là que la préface du réquisitoire dressé par Ouinet contre l'ambition germanique : chaque fois que les circonstances lui paraîtront critiques, il élèvera sa voix véhémente. Articles, mémoires, pamphlets se succèdent ; et seule la mort pourra le réduire au silence. Il nous paraît indispensable de- fixer aujourd'hui les grandes lignes de ce réquisitoire. Nous n'aurons qu'à puiser en premier lieu dans le volume de ses œuvres complètes intitulé Allemagne et Italie, et qui comprend, outre la brochure de 1831, tout ce que l'historien a écrit sur la question jusqu'en 1857. France et Alle¬ magne, écrit après Sadowa, sera d'autre part pour nous un document précieux. Nous trouverons enfin après 71 ses appels indignés dans le volume intitulé : Le siège de Paris et la Défense Nationale. (i) Octobre 1831. 48 FERNAND CRÉMIEUX Procédons chronologiquement et examinons les raisons anti- germaniques qui apparaissent chez Quinet au lendemain de 1830. Peut-être confesserons-nous bientôt que nous aurions eu dès longtemps bonne grâce à les faire nôtres (1). C'est par une affirmation de civisme et de patriotisme que Quinet inaugure sa diatribe : Le pire service qu'on ait à rendre à l'Etat est de lui pallier ses dangers ; car c'est le devoir de ceux mêmes dont la voix est la plus faible de dire ouvertement ce qu'ils ont vu autour d'eux, afin que les pouvoirs menacés reçoivent jusqu'au bout des avertissements cle tous côtés, qu'on ne les laisse pas traîtreusement se tuer par leurs armes. (2) Et Quinet met aussitôt ses compatriotes en garde contre toute illusion sur l'Allemagne. Ainsi qu'il le rappelle, ce pays nous a toujours trompés dans nos jugements. Toujours nous Français l'avons cherché à un demi-siècle de distance de la place où il était réellement, tant son génie est peu conforme au nôtre et nous donne peu de prise pour le saisir. Son mouvement sourd et tout intérieur se dérobe incessamment à nous et ne se laisse apercevoir que longtemps après qu'il est fini : Pendant un demi-siècle nous avons cru les nations germaniques occupées à imiter la France et courbées sous notre discipline, quand déjà elles avaient fondé une réforme philosophique qui devait plus tard nous envahir et saper nos propres traditions... Si nous nous représentons aujourd'hui l'Allemagne, c'est encore l'Allemagne telle que la dépeignait Mme de Staël, un pays d'extase, un rêve continuel, (1) Peut-être n'est-il pas inutile de fixer ici la position internationale de l'Allemagne au lendemain de la Révolution de juillet. Tout d'abord, comme le note M. Debidour dans son Histoire diplomatique, l'Allemagne put croire que la France, après avoir renversé une dynastie deux fois imposée par l'Invasion, allait revendiquer ses anciennes frontières et convier les nationalités opprimées à se faire justice et inaugurer la Sainte-Alliance des peuples. Sans doute, la pru¬ dence de Louis-Philippe et aussi son empressement à faire de l'Entente Cordiale avec l'Angleterre la base de sa politique arracha des cours absolutistes du Nord la reconnaissance de son Gouvernement et la promesse de bons rapports. Mais bientôt l'opposition du Gouvernement français à laisser rentrer les troupes prus¬ siennes dans la Belgique en proie à l'émeute, provoqua une manifestation non symptomatique de l'Allemagne et de l'Autriche. Ces deux puissances, aux¬ quelles se joignit un instant la Russie, affirmaient le droit de faire par les armes la police de l'Europe et d'étouffer l'ennemi commun, la Révolution. Il fallut, pour écarter la grande conflagration européenne, un nouveau coup de théâtre, l'Insurrection de la Pologne. La souplesse conciliante du Ministère Casi- mir-Perrier contribua d'autre part à contenir la Contre-Révolution; mais les mauvaises dispositions de l'Allemagne demeurèrent flagrantes. Devons-nous rappeler que l'Institution du Zollverein ou Union Douanière allemande, base de l'Unité politique future, date du i" janvier 1834? (2) VAllemagne et la Révolution, édition de 1837, page 136. edgar quinet 49 une science qui se cherche toujours, un enivrement de théorie, tout le génie d'un peuple noyé dans l'infini, voilà pour les classes éclai¬ rées ; puis des sympathies romanesques, un enthousiasme toujours prêt, un donquichottisme cosmopolite, voilà pour les générations nouvelles ; puis l'abnégation du piétisme, le renoncement à l'influence sociale, la satisfaction d'un bien-être mystique, le travail des sectes religieuses, du bonheur et des fêtes à vil prix, une vie de patriarche, des destinées qui coulent sans bruit comme les flots du Rhin et du Danube ; mais point de centre nulle part, point de lien, point de désirs, point d'esprit public, point de force nationale, voilà pour le fond du pays. Par malheur tout cela est changé ! (1) Et, faisant un retour sur lui-même, Quinet exhorte les Fran¬ çais à échapper à la fascination germanique. Ne nous laissons pas prendre à l'apparence de l'Allemagne modeste avec son bon¬ heur domestique, ses préoccupations de famille, son reste de vieilles mœurs, sa vie religieuse et sa science (2). Sans doute, en traversant rapidement l'Allemagne, trouvons-nous partout encore un peuple paisible et laborieux, des lois tranquillement et faci¬ lement obéies, des villes riches ou savantes, des villages presque aussi beaux que des villes (3). Mais ne nous y trompons pas et disons hautement que ce grand pays, hier celui de la foi et de l'amour, est devenu le pays de la colère et de la haine. Non, l'Allemagne n'a plus de noms à nous apprendre, plus de rêves, plus de fantômes sur ses bal¬ cons, plus de systèmes, plus de poèmes, plus de chants à mur¬ murer à l'oreille de la vieille société qui se file son linceul : « Le long monologue de l'idéalisme a fini par un éclat de rire. L'Allemagne a bu sa poésie jusqu'à la lie. Encore une fois son Rhin s'est perdu dans le sable... Un monde entier d'espérance et d'amour se dissipe avec le génie de la vieille Allemagne. (4) Et ailleurs : L'enthousiasme du commencement de ce siècle s'est converti en fiel, et l'Allemagne a retrouvé le sarcasme de Luther pour railler ses pro¬ pres rêves et sa candeur passée. Hospitalière, facile à contenter dans ses relations privées, c'est ce qu'elle sera toujours. Mais pour l'exal¬ tation naïve, l'ancienne foi, l'abnégation, le recueillement, l'insou¬ ciance politique, vous arrivez trop tard. Il ne lui reste plus qu'une amertume sans bornes (5). Ainsi donc, à mesure que s'éteint l'enthousiasme, disparais- (1) Système -politique de VAllemagne, page 142. (2) VAllemagne et la Révolution, page 136. (3) Des préjugés qui séparent la France et VAllemagne, page 218. £4) Des préjugés qui séparent la France et VAllemagne, page 202. (5) Système politique de VAllemagne, page 144. 1916. — novembre. 4 5o FERNANB CRÉMIEUX sent les qualités aimables de l'Allemagne: dans l'Etat, d'incroya¬ bles misères sont mises à nu ; dans les écoles un fatalisme inerte; une jurisprudence très savante et une législation décrépite ; dans les champs, la corvée et la dîme ; point de garanties nulle part, le privilège partout ; l'intolérance religieuse poussée en certains cas jusqu'à la démence ; des tribunaux secrets ; au faîte de tout cela une noblesse infatuée et qui a besoin d'être châtiée : Aisément la simplicité devient grossièreté, la bonhomie rusticité,, la résignation servilité. Quand l'esprit, allemand n'est plus dans la nue, il rampe ; il lui reste à apprendre à marcher. (1) Mais l'Allemagne ne restera pas longtemps inerte, et, même en rampant, elle saura se fixer sa voie. Si les chauts de fées se sont tus dans les forêts séculaires, le pic des pionniers, qui tra¬ cent leur chemin rapide à des générations plus rapides, retentit du Danube au Rhin. Comme la Révolution française avait mis en pratique les théories du xvme siècle, de même, vers 18-30, les nations germaniques sortent de la vie contemplative et négligent son attrait pour réaliser les principes qu'elles avaient mis près de 50 ans à déterminer : « La question des Douanes va rempla¬ cer pour tous la question de VImpératil catégorique » (2). Ce qui va donc dominer en Allemagne, c'est l'action ambi¬ tieuse, sourde et sournoise, action de funeste auguré, et prête à. tous les éclats, « des projets qui couvent sans rien dire, un levain qui s'aigrit et . s'amasse à chaque heure, une colère patiente qui attend tranquillement l'occasion d'éclater, qui s'em¬ poisonne à plaisir, qui ne demande pas mieux que d'être poussée à bout pour se débarrasser de sa lenteur naturelle et de son der¬ nier scrupule » (3). Ces considérations qui s'étendent à toute l'Allemagne sont surtout vraies de la Prusse. Non seulement ce gouvernement donne à l'Allemagne ce dont elle est le plus avide, l'action, la vie réelle, l'initiative sociale, mais encore il satisfait outre mesure son engouement subit pour, la puissance et la force matérielle : L'Allemagne sait gré à la Prusse de montrer que, sous ce nuagé idéal où on se l'était toujours figurée, elle sait, forger, comme une autre des armes et des trophées ae bronze. (1) Chute du Spiritualisme, page 2:2.g. (2) Chute du Spiritualisme, page 236 ; Vï>*r aussi Système politique de F Alle¬ magne, page 144. (3) Système politique de VAllemagne, page 155. EDGAR QUINET 51 Et, à côté du despotisme de l'Allemagne, Ouinet nous montre le despotisme de l'Autriche, immobile et languissant, que sa foi parfaite dansjes conversions obtenues par la force préserve de toute ardeur de prosélytisme et empêche de faire aucun effort pour gagner les intelligences : Autant on aime le silence à Vienne, autant le despotisme prussien a besoin de fracas ; il veut faire du bruit et il en fait ; car il a des idées-, des systèmes, une philosophie ; ...il réunit, on ne peut le nier, ce qu'il y a au monde de plus pratique et de plus idéal et prouve à merveille que le soin des intérêts les plus matériels peut trouver des accommodements avec cet état de théorie dont ce pays ne se dépouil¬ lera jamais... Il ne perd pas des yeux les destinées des nations ger¬ maniques ; c'est sur elles qu'il veut peser sciemment ; il faut qu'il les envahisse par l'intelligence, et plus tard parla force, s'il le peut... Outre cela, un avantage incontestable, c'est qu'il a le privilège de tenir dans sa main l'humiliation de la France et de lui rendre le long affront du traité de Westphalie (!)■ Et le despotisme prussien, ajoute Quinet avec une clairvoyance magnifique, a le peuple pour complice. C'est en Prusse que le parti populaire a fait d'abord sa paix avec le pouvoir. Au premier aspect, on s'étonne qu'au delà du Rhin le gouvernement, despotique dans sa forme, soit un gou¬ vernement populaire. C'est que le despotisme en Prusse n'est pas seulement dans le gouvernement, » il est dans le pays, il est dans le peuple, dans les mœurs et le ton parvenu de l'esprit national. Entre le peuple et lui, il y a une intelligence secrète pour ajourner la liberté et pour accroître en commun la fortune de Frédéric » (2). Si du reste la liberté constitutionnelle n'a pas fait de progrès en Allemagne, c'est qu'elle n'est pas en première ligne dans les besoins du pays : Les Constitutions promises furent ajournées, mais la foule n'alla pas frapper à la porte des princes pour les leur rappeler (3). La Démocratie allemande, dira plus tard Quinet, se réconcilie vite avec qui la foule aux pieds (4). Il faut donc que l'Europe, que la France surtout sache qu'elle doit désormais compter avec l'Allemagne, féale de la Prusse : Jusqu'ici, écrit Ouinet dans une page admirable qu'il nous faut citer tout entière, jusqu'ici nous n'avions guère compté qu'avec la (1) Système politique de VAllemagne, page 146. (2) Système 'politique de VAllemagne, page 144. (3) Système politiqîie de VAllemagne, page 147. (4) France et Allemagne (1867). 52 FEllNAND CRÉMIEUX Russie et les peuples slaves ; nous avions omis cette race germanique qui commence elle aussi à entrer à grands flots dans l'histoire contem¬ poraine. Nous n'avions pas songé que tous ces systèmes d'idées, toute cette philosophie du Nord qui travaille ces peuples, aspire¬ raient à se traduire en événements dans la vie politique, qu'ils frappe¬ raient sitôt à coups redoublés pour entrer dans les faits et régner à leur tour dans l'Europe actuelle. Nous qui sommes si bien faits pour savoir quelle puissance appar¬ tient aux idées, nous nous endormions sur le mouvement d'intelli¬ gence de l'Allemagne ; nous l'admirions naïvement, pensant peut- être qu'elle ferait exception à tout ce que nous savons, et que jamais elle n'aurait l'ambition de passer des consciences dans les volontés, des volontés dans les actions et de convoiter la puissance sociale et la force politique. Et voilà que ces idées qui devaient rester si insondables et si incor¬ porelles font comme toutes celles qui ont jusqu'à présent apparu dans le monde et qu'elles se soulèvent en face de nous. Et cette race elle-même se range sous la dictature d'un peuple non pas plus éclairé qu'elle, maïs plus habile, plus ardent, plus exi¬ geant, plus dressé aux affaires. Elle Iè charge de son ambition, de ses rancunes, de ses rapines, de sa diplomatie, de sa violence, de 6a gloire, de sa force au dehors. C'est de la Prusse que l'Allemagne est occupée à faire son instrument. Et si on la laissait faire, elle la pousserait lentement, et par derrière, au meurtre du vieux royaume de France. (1) Voilà encore une page qui aurait été singulièrement de cir¬ constance en juillet 1914 et qui, près de cent ans à l'avance, sem¬ blait répondre à ceux qui hier encore comptaient sur l'Allema¬ gne pour s'opposer aux rêves d'expansion et d'hégémonie de la Prusse. Quinet pressent en effet que, dès qu'il s'agira de la France, l'Allemagne entière sera prête à se dresser. Il a compris avant tout que la haine de Napoléon se tournant en haine contre notre patrie est un lien solide qui depuis 1815 n'a cessé de rallier l'Allemagne. Au seul souvenir de Napoléon, les populations di¬ visées se rassemblent en sursaut, et les passions, les inimitiés, les rivalités locales se trouvent brisées d'un coup: « Napoléon, en refoulant l'Allemagne dans ses foyers, a ranimé chez elle la nationalité assoupie » (2). Sans doute à cette haine se mêle de l'admiration. L'Allemagne exhausse son ennemi mort, voulant profiter pour son compte de toute la grandeur qu'elle lui découvre. (1) Système -politique de .l'Allemagne, page 157. (2) Système politique de l'Allemagne, page 152, EDGAR QUINET 53 « Admiration étrange, systématique et naïve, ajoute Quinet, et qui peint ce peuple tout entier » (1). Mais si la haine de l'Allemagne va vers la France, c'est sur¬ tout, selon Quinet, parce que le souvenir de l'Alsace-Lorraine, — source de convoitises pour les Germains, — « est ruminé par le peuple » et se retrouve au fond de tous ses projets et de toutes ses rancunes. Longtemps un des griefs du parti populaire contre les gouverne¬ ments du Nord a été de n'avoir point arraché ce territoire à la France en 1815 et de n'avoir pas gardé le renard, quand on le tenait dans ses filets. Mais ce qu'on n'avait pas osé en 1815 est devenu" plus tard le lieu commun de l'ambition nationale. Le monde germanique n'attend plus qu'une occasion (2). Et Quinet rapporte que voyageant sur le Rhin avec un Alle¬ mand fort distingué, il se hasarda à lui demander quel était, selon lui et ses amis, le but politique vers lequel tendait l'Alle¬ magne ; « à quoi il me répondit du plus grand sang-froid du monde : « Nous voulons revenir au traité de Verdun entre les « fils de Louis le Débonnaire » (3). Pour résister au poids de cette race d'hommes qui s'organise dans le Nord, que va faire la France ? Sans doute, pense Quinet, elle se sera retranchée dans les positions historiques qu'elle a toujours gardées. Sans doute elle se sera mise à la tête du sys¬ tème politique de l'Europe du Midi : Or de ce système de civilisation qui la menace, la France ne s'in¬ quiète ; elle fait mieux, elle l'ignore. De sa propre main elle recons truit tout l'édifice de l'Empire germanique. Qu'on nous pardonne de transcrire le tableau singulièrement troublant, — pour nous qui avons vu, — que fait Quinet de l'Europe à l'avènement de la Monarchie de 1830 : L'Italie est de nouveau réunie au trône de Charles-Quint. L'Au¬ triche fait peur de sa majesté décrépite et branlante. Les Pays-Bas, sous la conduite de la France, rentrent en paix dans l'héritage des princes allemands... Il restait au Midi, par hasard, dans les mers du Levant, une misérable royauté que nous avions faite nous-même, la Grèce ; royauté de larmes, de décombres, de soupirs, de famine, (1) Système politique de VAllemagne, page 152. Cet esprit de courtisanerie dej Allemands, même et surtout à l'endroit de ceux qu'ils détestent, ne perce-t-il pas chaque jour dans les éloges décernés par la Presse d'Outre-Rhin à la valeur militaire des troupes françaises? (2) Système -politique de VAllemagne, page 158. (3) De la Teutomanie (1841). Quinet a rappelé ce souvenir dans un discours « aux électeurs » du 31 janvier 1872. Revenir au traité de Verdun, ajoute-t-il, c'était pour la race allemande étendre son empire jusqu'à la Somme. 54 FERNAND CRÉMIEUX de huttes de crias, de villes ruinées depuis 2.000 ans. A travers tout cela, il y avait un trône. Peut-être la France va-Pelle s'y reposer?... Nous trouvons une place pour y asseoir un roi de la Maison de Bavière et du Système du Nord. (I) Et Quinet de conclure : On ne veut pas voir que l'on fait tout ce qu'il faut pour amener, s'il se peut, la France à abdiquer l'avenir entre les mains des nations germaniques. (2) Ce n'est pas seulement en politique et en diplomatie, mais dans tous les domaines, dans toutes les disciplines, que la France de 1830 s'est jetée en suppliante entre les bras de l'Alle¬ magne. Le besoin de se soustraire à son passé moqueur lui fit adopter sans nulle critique toutes les doctrines tudesques : Et les esprits, altérés comme dans le désert, tentèrent de s'abreu¬ ver aux sources de l'Allemagne sans se demander si une eau pure jaillissait en effet de ses rochers, ou si un trompeur mirage ne nous leurrait pas d'une onde chimérique. Systèmes, hypothèses, croyances, traditions, tout fut admis pour guérir les cœurs meurtris par la raille¬ rie de Candide et le matérialisme de Diderot. ...Le livre de Mme de Staël fut écrit sous cette influence. Elle se précipite au pied des jeunes autels de la Muse allemande (3). Non moins dociles les philosophes officiels. Car la philoso¬ phie élait ce qu'était alors la France. On la nommait éclec¬ tisme. Une éclatante résignation aux principes discordants qui faisaient invasion parmi nous à la suite des peuples, un traité de paix entre le Midi et le Nord, un dénombrement d'idées naturellement ennemies qui, après le dénombrement des années étrangères, venaient faire une alliance d'un jour et vivre ensemble sous la tente. Alors, ajoute Quinet, il y eut pour nous une heure amère : ce fut celle où nous reconnûmes qu'en effet ces systèmes, auxquels nous avions livré notre âme, n'étaient rien que le reflet inconsistant, l'om¬ bre confuse et décevante des théories allemandes (4). Et comme il l'avait fait en examinant la situation internatio¬ nale, il s'indigne contre la veulerie de ses compatriotes, le peu d'énergie qui leur reste, leur singulière diplomatie envers les théories, et l'impuissance pour eux de mettre au jour aucun élé¬ ment nouveau. Sans doute est-il bien tard pour protester et réagir. « La France, gémit à nouveau Quinet en 1842, la France continua (i et 2) Avertissement à la monarchie de Juillet, pages 158 à 163. (3) Des -préjugés qui séparent la France et VAllemagne, page 220. (4) Avertissement à la Monarchie de 1830, page 180. EDGAR QUINET 55 d'étudier avec vénération et soumission profonde la philoso¬ phie, la poésie et la science allemande. Ce fut la scène de l'étu¬ diant chez le docteur Faust. On imita, traduisit, compila, et de nouveau on compila, traduisit, imita. » (1) Mais depuis le temps, l'Allemagne a pris de l'assurance et de la présomption. Parfois elle tourne doctement la tête du côté de cette pauvre France qui venait de rentrer à son école comme une petite fille. Rarement la pédagogue se montre satisfaite de son élève. « Deux ou trois signes au plus d'une satisfaction pro¬ tectrice laissèrent penser qu'elle ne désapprouvait pas les la¬ beurs de cette innocente, et qu'avec du temps, et force férules, injonctions, admonitions, elle ne désespérait pas d'en faire quelque chose. » (2) Il faut en vérité-, pense Ouinet, que la France soit malade de scepticisme. Car jamais assurément, dans son état normal, on ne lui eût fait accepter, à elle, fille de Descartes et de Voltaire, l'amer breuvage des sibylles du Nord. Et Ouinet qui avait goûté à ce breuvage en connaît l'essence et les éléments dissolvants. Cette philosophie allemande dont les Français de 1830 et 1840 s'enivrent (comme s'enivreront plus tard les Français du xxe siè¬ cle), n'a rien pourtant qui doive nous attirer, tant elle manque de sympathie, de charité, ou plutôt d'humanité : La philosophie allemande n'a. rien aimé ; ensevelie dans sès for¬ mules comme dans le cérémonial et l'étiquette des princes médiati¬ sés, elle est étendue sur son lit de parade. (3) " Non moins égoïste le droit allemand où vont puiser à flots tous nos jurisconsultes. Car dans ce pays où 2.000 plumes ne se lassent, ni jour ni nuit, de commenter le droit fécial, augu¬ rai, papyrien, byzantin, carlovingien, gothique, canon, féodal, coutumier, on ne trouve que juges dépendants, tribunaux prin¬ ciers, procédure privilégiée et jugements secrets (4). Et, notons-le bien, c'est cette idolâtrie universelle des Fran¬ çais qui a -contribué à corrompre les doctrinaires de là-bas : Une susceptibilité ombrageuse et hargneuse tourmente incessam¬ ment ces nouveaux rois de l'opinion. Leur prétention, soit qu'on les loue, soit qu'on les blâme, est de n'être jamais compris/de leurs ado- (1) Préjugés qui séfarent la France et VAllemagne, page 222. (2) Préjugés qui séfarent la France et VAllemagne, page 222. (3) Fatalisme et Indifférence, page 238. (4) Fatalisme et indifférence, page 239. 56 FERNAND CRÉMEUX rateurs. S'il se trouvait quelque part un jugement sur. eux, vrai et impartial, je doute fort qu'ils s'en montrassent satisfaits ; car ce ju¬ gement, supposé qu'il fût exact, serait une limite apportée à l'ido¬ lâtrie ; quand on a été Dieu un jour, on tient à son nuage. (1) Ainsi l'outrecuidance des Allemands contemporains de Quinet ne le cède en rien à celle des Germains que nous connaissons. Toujours irritée, toujours inquiète, tout fait ombrage à l'Alle¬ magne. Elle porte les inquiétudes du parvenu. « Que nous sommes loin, discerne finement Quinet, de l'orgueil des Anglais ou des Castillans, chez qui le sentiment de leur propre valeur est arrivé à une sécurité profonde et dont le calme dans l'infatuation est accompagné d'une grandeur natu¬ relle » (2). Mais la vanité allemande serait peu de chose si elle n'était devenue dangereuse. Or, depuis l'institution de l'Union doua¬ nière, de ce Zollverein, qui retentit comme un leit-motif dans l'exposé de Quinet, les Allemands sont convaincus qu'ils sont le peuple pratique par excellence, et qu'il ne leur reste plus qu'à saisir la couronne universelle (3). Assurément, pense Quinet, cette exaltation du sentiment national serait en soi très digne d'éloge, si elle se joignait à quelque noble initiative dans la liberté et les intérêts du reste de l'Europe : Par malheur, après cette première fièvre d'orgueil, on s'est envi¬ sagé de plus près ; on a vu que l'on était enfermé sur terre par la Russie et par. la France, sur mer par l'Angleterre, sans débouchés du côté de l'Orient. On a cherché quelle grande pensée onr portait en soi pour renouveler le monde : on a trouvé la Teutomanie. La Teutomanie est définie par Quinet un sentiment exagéré de la nationalité allemande soudainement retrouvée, une infa- tuation qui a pris la place de tout, un mélange de gloriole et par-dessus tout de bile envieuse, un redoublement de mauvaise humeur et de fiel dans lequel la France a naturellement la plus grande part. Le caractère essentiel de la Teutomanie, telle qu'elle sévit vers 1840, est donc la gallophagie. Et Quinet s'applique à en déterminer les symptômes. Nous ne perdrons rien à suivre de près son argumentation. (1) Préjugés qui séparent la France et VAllemagne, page 222. (2) De la Teutomanie, page 252. (3) La Teutomanie, page 253. EDGAR QUINET 57, Ce sont les gouvernants qui donnent le branle dans cette cam¬ pagne haineuse et systématique contre la France : Les rois de Prusse et de Bavière marchent contre nous lance haute. Le premier change la cathédrale de Cologne en un blockhaus contre les Gaulois. Post Franco-Gallorum Invasionem, c'est l'inscription de guerre qu'il vient d'enfouir sous le porche. Le second proscrit l'étude de la langue française comme mère d'hérésie. (1) On pense bien qu'un si pur exemple, donné de si haut, ne pou¬ vait manquer d'être imité et cette proscription de notre race est devenue une règle générale. Dans les salles de Francfort, au Roemer, sont représentés les artistes de tous les temps et de tous les lieux depuis le roi David jusqu'aux modernes, — Ita¬ liens, Flamands, Espagnols, Hébreux, Grecs, Allemands, — tout ce qui a touché le pinceau ou le ciseau. Mais pas un Fran¬ çais <( ne s'étale sur la toile immaculée de l'art tudesque » (2). De même dans la salle de philosophie de l'Université de Bonn, le gouvernement prussien a ordonné que toutes les écoles ima¬ ginables de philosophie fussent représentées sur la muraille. En vain nous cherchons des yeux le portrait d'un de nos compa¬ triotes. Ces « utiles préjugés antifrançais » sont entretenus avec soin par la presse politique et littéraire. Les journaux allemands, auxquels ceux de la France répondent rarement, s'exaltent dans leur solitude ; ils s'élèvent peu à peu contre tout ce qui appar¬ tient à la France, hommes, choses, mœurs, à un ton d'injure, d'obscénité, de rage cynique dont, déclare Quinet, « je n'aurais jamais cru capable le chaste idiome de Charlotte et de Margue¬ rite ». Les plus populaires poussent le plus loin ce monologue de fureur. Rappelez-vous Arlequin s'excitant, dans un héroïque soliloque, à la bataille eontre son ennemi absent. Ce qui m'étonne après cela, c'est qu'un honnête souabe, bien et dûment endoctriné, ose encore traver¬ ser la frontière et s'aventurer parmi nous, nation de barbes bleues et d'ogres épicuriens, qui sentons la chair fraîche! d'une lieue (3). Il est vrai, constate ensuite Quinet avec une cinglante ironie, que les journaux allemands sont admirablement placés pour atteindre à l'impartialité de l'historien : bâillonnés, étranglés {i} De la Ttulomanie, page 350. (3) Id. (3) Des préjugés allemands, page 227. 58 FERNAND CRÉMIEUX par la censure en toute autre matière, ils ont liberté absolue de tout dire, inventer, imaginer sur la France : Dans le reste du monde physique ou moral, leur langue est enchaî¬ née. En récompense, ce coin du globe qui s'appelle la France est livré, abandonné à leur libre arbitré, pour être traqué et saccagé à outrance ; rudement disciplinés en tout autre lieu, ils ont sur ce point seul droit plénier de sac et pillage, en quoi je ne me lasse pas d'admirer la charité des gouvernements du Nord. Ils ont bien senti que leurs publicistes allaient périr étouffés dans la geôle et, en per¬ sonnes charitables, ils leur ont .octroyé le royaume de France, corps et biens, sous la seule condition de lui courir sus et de le tondre menu (1). Nulle surprise en conséquence si le public allemand adopte aveuglément une opinion aussi fâcheuse. Les démagogues alle¬ mands doivent haine et mort à la France et prêchent, la croisade contre ce peuple de mécréants. Les écrivains, par esprit de parti, violence ou besoin de réaction, restent hostiles à la littérature française et portent sur elle des jugements irrités ou puérils. La langue française est un « aspic empoisonné », le pays fran¬ çais est le foyer de tous les vices sans aucune vertu. Elourdorie, frivolité, indocilité, incapacité, voilà les moindres de nos attri¬ buts. Jeune ou vieux, riche ou pauvre, un Français, quelles que soient son origine, sa province, sa condition, est nécessairement un voltai- rien, fat, fluet, fardé, toujours riant, impie, railleur, persifleur. ...Une femme française est nécessairement une poupée, parce, choyée, gâtée, sans cœur, sans tête, sans âme, du reste un abîme de frivolité et le centre de tous les dérèglements. Une jeune fille alle¬ mande élevée dans les vrais principes nourrit en secret le mépris le plus superbe pour une Française à qui le triple démon de la coquet¬ terie, de la légèreté et des amusements ne laisse pas une heure de répit pour une passion profonde et naturelle (2). En guise de conclusion, Quinet cite d'amples extraits d'un volume typique et très réputé à son époque, le Manuel de l'His¬ toire Universelle, par le docteur Léo. Nous y lisons entre autres sottises que les Français sont un peuple de singes, la ville de Paris la maison de Satan, et que George Sand a emprunté son nom à l'Allemagne par instinct génial pour le meurtre et par sympathie particulière pour l'assas¬ sin de Kotzebue (3). (1) De la Teutomanie, page 256-58. (2) Des -préjugés allemands, page 224. (3) Kotzebue, littérateur allemand et doctrinaire dé la Contre-Révolution, fut poignardé en 1819, par un étudiant nommé Sand. EDGAR OUINET 59 La race celtique, ajoute l'aimable docteur Léo en une antithèse vraiment significative, la race celtique, telle qu'elle s'est montrée en France, est mue toujours par un instinct bestial (tierischen triebes), pendant que nous, en Allemagne, nous n'agissons jamais que sous l'impulsion d'une pensée sainte et sacrée (heiligen Gedanken) (1). C'est déjà la conviction de la mission divine confiée par le vieux Dieu au peuple allemand. Ainsi se présente vers 1840 la Gallophagie allemande avec ses caractères inquiétants, et, ce qui n'est pas moins grave, c'est que cette gallophagie est devenue chez beaucoup « un état réel, une profession, une carrière de laquelle on vit ». Certains n'hésitent même pas à venir l'exercer en France. Et Ouinet trace à traits incisifs le portrait du gallophage immigré, être encom¬ brant, insinuant, empressé et servile, toujours, prêt à trahir qui l'a naïvement accueilli : Le touriste allemand est presque nécessairement un gallophage... Dès le premier pas, il a jeté un regard sinistre sur les conducteurs de diligence, les estaminets et les institutions du royaume ; l'herbe cesse de croître sous ses pas ; rien ne l'arrête. Sa marche dans le fond d'une rotonde est rapide comme celle de l'invasion. Enfin le voilà ! La faible barrière de Paris s'est ouverte en gémissant devant lui. Désormais la ville lui appartient, il y règne. Malheur aux vaincus ! (2) Prêtons ici encore une oreille attentive à Ouinet ; car il a dis¬ cerné qu'en attendant mieux, c'est par un perpétuel espionnage que les Allemands établis chez nous commencent leur tâche per¬ nicieuse. Et, ne l'oublions pas, encore un coup, c'est en 1842 que furent écrites les lignes qui précèdent et celles qui vont ■suivre : Environnez comme vous voudrez votre vie privée ; ensevelissez-la encore davantage ; élevez autour de vous une triple muraille ; ne laissez asseoir à votre table que vos proches ou les amis de vos amis ; vous croyez être seul. Eh bien ! non. Un ange blond, naïf, nouvelle¬ ment arrivé de l'Université, entre timidement; il s'asseoit.en soupirant à vos côtés. Il est là, les yeux baissés, qui, en caractères mystérieux, innocemment trempés de la bile du poisson de Tobie, trace pour les régions étrangères le tableau saintement envenimé de cet intérieur qui vous semblait inaccessible" (3). Cette manie d'espionnage, haute vertu qui dislingue le Gallo- (1) Teutomani'e, pages 253-254. (2) De la Teut0manie {3) De la Teutomanie. 6o FERNAND CRÉMIEUX phage ne fait d'ailleurs aucune acception de personne et se repaît d'abord de ceux qui lui ont tendu la main : Le Gallophage n'a aucune des faiblesses de la vie ordinaire. Dans le sac de la cité, vous espérez le désarmer par une hospitalité em¬ pressée qu'il accepte. Point de grâce, vous tomberez le premier sous sa massue. Choyé par vous, au même instant il vous lèche en fran¬ çais et vous écorche en allemand. Mais, vous écrierez-vous, je suis des vôtres, sublime vainqueur, j'ai loué la légende, encensé la Teutonie, traduit Gœthe, adoré Jean- Paul. Point de merci ! Le lendemain du jour où M. de Lamartine chantait la Marseillaise de la Paix et célébrait l'Allemagne, n'a-t-ii pas été pour ce fait noble¬ ment traîné aux gémonies du teutonisme ? Je frappe qui m'assiste, c'est ma devise. (1) Le danger est donc flagrant ; depuis plus de dix ans que Qui- net le signale, il a fait des progrès incessants ; il commence à devenir redoutable. Devant les absurdités haineuses des teuto- manes, (le pangermanisme n'était pas encore découvert !) — devant leur invasion sournoise et leur ambition avérée, notre polémiste va jeter son cri de guerre. Il tient d'abord à appeler sérieusement la presse aux armes, pour qu'elle ait a batailler chaque matin, casque en tête, contre Arminius ressuscité. Il s'efforce surtout de sortir les gouvernants de leur torpeur : Car les Germains devraient penser qu'un seul serrement de mains de la France et de la Russie pourrait bien, par hasard, étreindre outre mesure les flancs de Tculonia (2). Malgré ses inquiétudes profondes du reste, Quinet n'a jamais désespéré de la France. Sans doute, comme il l'avait déjà cons¬ taté il y a dix ans, des symptômes de mort s'agitent sous ses pas, et l'espérance manque trop souvent aux âmes françaises, comme le travail des mains manque trop souvent à l'ouvrier sur son métier. Mais les institutions semées à sa surface peuvent changer ou disparaître ; des cœurs qui battent pour elle peuvent être frap- p'és de mort, mais non pas la France : Car la France ne périra pas. Plus sa misère nous étonne, plus il devient évident qu'elle recèle encore des destinées nouvelles... Quoi qu'il arrive, nous sentons battre le cœur du pays ; s'il se tait (1) De la Teulomanie. (2) De la Teutemanie. EDGAR QUINET 61 aujourd'hui, nous pensons en nous-mêmes, c'est pour demain. Sous le pouvoir qui l'ignore, nous sentons une nation invisible. (1) Et Quinet aurait pu conclure, comme il l'avait fait dans son Avertissement à la Monarchie de 1830 : Poursuis donc ta route, ô mon glorieux pays, foule sous ton char nos frayeurs et nos vœux de retour ; car tu n'emportes pas seulement des peuples, des corps, du sang, de l'or et des voix confondues, mais aussi tout un cortège d'idées, des arts, des cultes et des dieux incon¬ nus qui se hâtent sur tes pas, comme le cercle des heures sur les pas du matin. (2) II Il nous serait assurément loisible d'arrêter notre étude à ces émouvantes anticipations, et, une fois fermé le recueil Alle¬ magne et Italie, de nous borner envers Quinet à un acte de reconnaissance pour tant d'avertissements salutaires. S'il ne peut pourtant plus désormais être question de prophéties, — puisque dès 1866 l'expérience et les événements ont confirmé les vues exprimées par l'auteur d'Ashavérus et que « les signes qui n'étaient que dans le fond des choses ont fait place à des do¬ cuments politiques » —, il ne faut pas oublier qu'après Sadowa, Quinet tenta encore de regarder au delà du présent et d'éluci¬ der ce que devait devenir l'Allemagne, « cette puissance nou¬ velle, qui, surgie d'hier, occupe tous les esprits ». Examinons, mais très brièvement cette fois, les conclusions de Quinet, puisque aussi bien nous y devons trouver quelques considérations nouvelles et qui n'auraient pas dû non plus nous être hier indifférentes. Rien ne pouvait se passer de plus grave pour nous que Sadowa, affirme Quinet, parce qu'avant tout il faut tenir pour certain que la formation de l'Unité germanique ne peut plus être empêchée par qui que ce soit au monde : Voyez donc l'exaltation de la race allemande, sa joie de saisir ses destinées... Les Allemands souhaitent la substitution de l'ère germa¬ nique à l'ère des peuples latins, relégués désormais sur un plan infé¬ rieur (3). (1) Avertissement à la Monarchie de 1830, page 165. (2) Avertissement à la Monarchie de 1830, p. 163. (3) Cette citation et celles qui vont suivre sont extraites de la brochure France .et Allemagne (1867). 62 FERNÂND CRÉMIEUX Et le danger n'est pas qu'une race d'hommes se rapproche et s'unisse en une seule masse. Mais les Allemands n'ayant pu atteindre à la patrie allemande en passant par la justice et la liberté y arrivent par le chemin de l'injustice et de l'arbitraire : Ils espèrent devenir les plus forts ; et cela suffit. Toute autre' consi¬ dération s'évanouit parce qu'il est établi que le droit en lui-même ne protège plus personne. Mais le plus grand motif de s'étonner, c'est que l'avènement de toute une race d'hommes se soit consommé sans que le peuple le plus voisin, le plus intéressé à connaître le premier ces changements ait été averti par aucune voix ; que le pressen¬ timent populaire, la diplomatie, la passion et la raison politique ne se soient pas unis pour prévoir et signaler une aussi grande métamorphose : L'Allemagne unifiée s'est dégagée de la poussière de Sadowa sans que la France ait été avertie... Avoir sous ses yeux, à sa porte, une race humaine qui se groupe, en faisceau, et n'en rien soupçonner. Mieux que cela, prendre cette1 formation militaire de quarante mil¬ lions d'hommes pour une forêt qui marche, destinée à vous abriter du vent du nord, ou pour un troupeau d'agneaux, le répéter, le publier chaque matin jusqu'à ce que le troupeau bêlant se change en une armée de neuf cent mille soldats postés sur vos flancs, adossés à la Russie. A tout cela la plupart des Français opposent une résignation philosophique qui frappe les étrangers. En même temps que la population cesse de s'accroître, il semble que la France laisse échapper sa vie morale. On voit les esprits les plus violents, pris d'un engourdissement inexplicable, déclarer que les patries ne sont qu'un mot, et que le genre humain a seul le droit de les intéresser. Ainsi la démocratie française tend à se faire cosmopolite : Mais comme elle serait la seule qui se détacherait du sol natal, elle serait immanquablement dupe de toutes les autres, et principalement de la démocratie allemande qui, restée toute neuve, a conservéi toutes les passions à la fois, celles de classe et celles de race. De quel nom appeler ce prodigieux sommeil de la France, se de¬ mande Quinet en terminant ; car c'est un sommeil et non une conni¬ vence. Combien de fois la France ne se réveillera-t-elle en sursaut, croyant entendre le pas de son gigantesque* voisin ? Ou bien, si elle s'endort sans précaution, ce sera le signe d'une mortelle apathie... Et quelle tentation pour le monde allemand d'en profiter... Le présent semble avoir légué d'immanquables tempêtes à l'avenir. EDGAR QUINET Moins do 4 ans plus Lard éclatait une tempête, la première. Voilà ce que nous gardait la docte Allemagne, s'écrie Quinet. Bar¬ barie et sauvagerie, c'était donc là ce qu'elle cachait pour nous au fond de sa philosophie et de sa littérature. (1) Mais en même temps qu'il lance ses cris de douleur et de' détresse, c'est encore vers l'avenir que se tourne Quinet, et jus¬ qu'à l'heure de sa mort le vieux professeur dicte à la France ses ultimes enseignements. Il démontre avant tout que l'espoir de l'Allemagne est d'effa¬ cer notre grand peuple de la liste des vivants. Scalper la France, voilà son projet. Cesser d'être, voilà la frontière que l'on demande (2) : Je connais depuis longtemps vos ennemis. Je sais qu'ils en veulent non pas seulement à votre existence matérielle de nation, mais à votre existence morale, intellectuelle, à tout ce qui peut vous honorer dans le présent et l'avenir. Il ne faut donc pas croire que l'ambition de l'Allemagne soit rassasiée pour avoir dévoré l'Alsace et la Lorraine : Les barbares, quand ils eurent goûté les figues du Midi, n'eurent plus de repos qu'ils n'eussent conquis les terres où croît le figuier. Prenez garde à ces autres barbares qui ont goûté nos vins de Cham¬ pagne et clés côtes de la Saône (3). L'Alsace et la Lorraine, disait ailleurs Quinet, sont les deux bou¬ levards de la France ; elles en sont les deux remparts. Otez-les à la France, elle est ouverte à l'ennemi. Que la Prusse possède ces rem¬ parts, et la Prusse peut s'étendre à son gré dans la France centrale ; elle'peut déborder, sans trouver d'obstacles, jusqu'à la Marne. L'en¬ nemi est maître chez nous. Il est à perpétuité sur le chemin de Paris. Il tient la France à la gorge (4). Qu'on ne vienne donc pas dire aux Français que l'amour de la paix, l'appel aux sentiments humanitaires les couvriront, dé¬ sormais, contre les Allemands. Qu'ils- ne croient pas que ces derniers, gorgés de leurs dépouilles, les laisseront en repos et que les bons comptes de cinq milliards feront de bons amis. Car acheter la paix si cher, c'est n'acheter qu'une fausse trêve. Ces. 5 milliards entre les mains de la Prusse iront grossir le trésor de l'armée ; ils lui rendront facile de tomber sur la (1) Appel au Gouvernement, 23 octobre 1870^ (2) Appel au Gouvernement5 novembre 1870. (3) Discours aiix électeurs, 31 janvier 1872. (4) Discours prononcé à Bordeaux à VAssemblée nationale. 64 fernand crémietîx France à la première occasion que fera naître la perfidie tudesque : Quand les Romains eurent commencé à payer les Barbares, cette rançon ne servit qu'à rendre les Barbares plus avides. Il n'y eut plus un moment de paix véritable ; l'argent donné pour acheter la paix souleva de nouvelles invasions. Et c'est également de la sorte que le projet teuton de remplacer la race latine par la race germanique passera, si on le laisse faire, du rêve à l'action. (1) Et comme en Prusse chaque soldat a toutes les ambitions de la patrie allemande, comme il n'est pas un uhlan qui ne croit porter en lui la race germanique, il est du devoir de la France, en face de l'esprit formidable de l'armée prussienne, d'organiser sans délai la nation armée. Et Quinet lance sa dernière prophétie, la plus poignante : Car toutes les passions nationales qui bouillaient en Allemagne comme un métal en fusion sont entrées dans les cadres militaires. Là elles se sont déposées et réglées, elles ont formé ce métal, ce grand glaive que nous avons déjà rencontré tant de fois. Et soyez sûrs qu'il a conservé son tranchant, que rien jusqu'ici n'a pu ébrécher. (2) Fernand Crémieux, (1) Voir le volume : La République (1872). (2) La République. RECUEIL COMPRENANT L ENSEMBLE DES TEXTES RELATIFS AU DROIT COMMERCIAL, AVEC DES RÉFÉRENCES AU DROIT CIVIL, AUX LOIS D'ORGANISATION JUDICIAIRE ET A LA PROCÉDURE Textes originaux et commentaires avec traduction française en regard par de nombreux collaborateurs de tous pays Directeur : Rédacteurs en chef: M. Charles LYON-CAEN MM. Paul CARPENTIER Membre de 1 Institut de France, Avocat à Lille, Bâtonnier de l'Ordre Proiesseur de Droit Commercial a la Faculté de Droit de l'Université de Paris, . Doyen honoraire. Secrétaire de la rédaction : Fernand DAGUIN M. Henri PRUDHOMME Avocat à la Conr d'Appel de Paris, •Juge .an Tribunal Civil de Lille, Secrétaire Général de la Société Secrétaire ..Général de la Société Générale de Législation comparée. des Prisons. Associé de l'Institut de Droit International. 40 volumes grand in-8 renfermant environ 22.400 pages PRIX de la SOUSCRIPTION à L'OUVRAGE COMPLET : Chaque volume, Broché 43 fr. Reliure soignée en demi-chagrin avec coins 45 fr. Chaque volume acheté séparément, broché. . 52 fr. Relié . 55 fr. PRIX DE L*OUYRAGE COMPLET Broché, 1.720 francs - Relié demi-chagrin, 1.800 francs. Payable au fur et à mesure de sa publication. AVIS IMPORTANT Les institutions juridiques qui ont apparu comme les plus parfaites au moment de leur mise en vigueur, vieillissent au fur et à mesure que .se transforment les besoins des peuples et les conditions générales d'existence des civilisations. Aussi un ouvrage tel que celui que nous mettons en vente constituerait-il une œuvre morte, s'il ne se renouvelait constamment par la reproduclion des textes les plus récents. Nous en avons, en conséquence, prévu dès à présent la -continuation par des suppléments annuels, que nos souscripteurs pourront se procurer moyennant un faible abonnement. Les Lois Commerciales de l'Univers se compléteront donc à mesure que le besoin s'en fera sentir par des Archives Commerciales, dont nous ferons connaître le plan dès l'achèvement de notre publication. Quatre volumes, qui seront pronipiemenl suivis de plusieurs autres, sont. actuellement en vente, ce sont : les vol. IV, Brésil; VI, Chili et Paraguay ; XXIII, Suède et Norvège ; XXVIII, Pays-Bas et Colonies Néerlandaises. Pour les volumes à paraître ultérieurement, voir la couverture de notre catalogue. règle/ Du sa) Des1, De \ Des n LÏB LAVAL. — IMPRIMERIE L. BARXÉÔUD ET Cie.