FttlEMICH ENGELS 1947 2 . WQLÂ4&A*- FRIEDRICH ENGELS LE RÔLE DE LA VIOLENCE DANS L'HISTOIRE 19 4 7 " 1 "■■■ •' - . ^ i.Vr ):•: - ■ .• >: ■ v •. • A . . , • ' ■" S EDITIONS SOCIALES €4.' Boulevard Auguste-Bfanaui — Parïs-13* m: \„ . v'-: ' ■■ ■PI X •'=#'"-? \ " . ' ' t < ' £ ^ '- 1 ' 1 îX:^y-^s*y^r^ 'v:- ■ ' ' : '-X m? ■■;■:'■■ V. ? r / ., Î ' . ' '.;*.'V.. ■ •• § '■' , \; ' '' ' M - 4 ' • . y: ' ' • t ." ' ■ ' ,,Y,>,k:>V ,...,.<■ ■. ;, ; ,'.; - y^yy&;yy-?y yy-yy- ■ ffi yypy, v:..v , S vy#|p| ;'. y :yxi;?ï#5fipl rè " 4< ' »-"*.! |£ Q ï-M: / . JS»»;s§g ï?îfc •,> iH >: •/,/. -. . iïpfptilï il |S ®œSs® yy." S®SÏ| vS • /#; -fk - > àgipi ■r. gg tïm--yyry>-i:::h ' • •. ■'• * •' -' • ' - : £ SiC'fe-r- , s 3 /• -■". -*. ÎW&$i£ mm mggL feSSl V yy- '' V''V:- " iséM' " ;T * y'y - :& 3yi M NOTE DE L'EDITEUR Voici, sous le titre lé Rôle de la violence dans l'histoire, trois chapitres de /'Anti-Diihring (les chapitres II, III et IV de la seconde partie de L'ouvrage) dans une traduction nouvelle, et une importante étude de Friedrich Engels sur la genèse de l'Em¬ pire allemand et sur sa constitution après la guerre franco-alle¬ mande. Quelques indications sur ce dernier texte. Il a été com¬ posé par Engels vraisemblablement au cours de l'hiver 1887-88, mais il n'a pas été achevé et il a été publié pour la première fois, qprès la mort d'Engels, par E. Bernstein, en février-mars 1896, dans le premier Volume de la XIV0 année de la Neue Zeit ; il a été réédité en 1920 par A. Conrady dans le Volume intitulé Reichsgriindung und Kommune, avec une introduction a critique » dans laquelle l'éditeur attaque l'exposé d'Engels ; puis, en 1930, par Rudolf Haus, dans le remarquable Volume Der Deutsch- Franzôsische Krieg. Ce volume contient encore l'un des chapitres de l'Anti-Diihring que nous donnons ici, le chapitre III de la II* partie et les articles écrits par Engels au cours de la guerre de 1870-71 dans la Pall-Mall Gazette. Avec les chapitres de /'Anti-Diihring et l'étude sur la genèse de l'Empire allemand, nous avons à la fois, à propos de la question du rôle de la violence dans l'histoire, l'exposé de la théorie et l'étude du cas concret. C'est pourquoi leur réunion en une même brochure n'est pas arbitraire. Nous ne saurions faire mieux, pour préparer le lecteur à l'étude de cette brochure, que de reproduire le chapitre a Pacifisme et violence », contenu dans le discours prononcé le 21 novembre 4 note de l'éditeur 1938 par Maurice Thorez à Noisy-le-Sec, devant le Comité cen¬ trât du Parti communiste français '. « Déjà, avant la guerre, au congrès de Limoges, en 1906, Jules Guesde refusait de considérer comme des révolutionnaires, et traitait avec mépris de « francs fileurs » ceux qui étaient avant tout préoccupés « de mettre leur peau à l'abri le jour de l'ouver¬ ture des hostilités ». » Dans cette apostrophe sévère, mais juste de Guesde s'affir¬ mait la conscience d'un vrai lutteur révolutionnaire qui savait bien, d abord que la classe ouvrière ne peut pas condamner toutes les guerres, ensuite que l'histoire fait à chaque classe qui s'élève au rôle dirigeant dans la société, l'obligation de recourir un jour aux armes pour balayer le vieil ordre social condamné à disparaître et pour ouvrir la Voie à de nouveaux .progrès de l'humanité. » Certains qui se réclament de la classe ouvrière proclament avec une emphase solennelle et ridicule : a Nous n'admettons pas la guerre! » Bien messieurs. Mais la guerre vient sans Votre per¬ mission, ou plutôt elle oient plus facilement à cause, de Votre at¬ titude pseudo-pacifiste qui laisse le champ libre aux fauteurs de guerre,...La guerre fait rage en Espagne, en Chine, sans votre per¬ mission, messieurs les « pacifistes »; je dirais presque avec Votre complicité, vous dont le pacifisme ne vibre pas d'émotion et d'in¬ dignation aux massacres d'innocents, de femmes, de vieillards et d'enfants, pourvu que vous puissiez prendre votre café au lait le matin, après un sommeil que le remords et la honte n'ont pas du tout troublé. )) La guerre est là. Elle peut demain frapper notre oays que les dictateurs de Rome et de Berlin, par leur guerre d'Espagne, Veulent isoler, afin de l'anéantir. Et vos pleurnicheries, messieurs les d pacifistes », permettent surtout au fascisme et à la réaction la spéculation la plus abominable sur l'amour, sincère, profond, de la paix qui est au cœur de tous les hommes, de toutes les femmes. Vos pleurnicheries hypocrites affaiblissent les combattants qui meurent pour votre liberté, pour votre quiétude satisfaite. » Où en serait l'Espagne républicaine si les ouvriers, si les , paysans de l'autre côté des Pyrénées, si les Volontaires des bri¬ gades internationales avaient éprouvé de tels sentiments de l⬠cheté répugnante ? Où en serait le monde, si nos ancêtres de 1. L'Heure de l'action, p. 31-39, Editions sociales internationales,, Paris, 1938. note de l'éditeur 5 1789 avaient eu pour devise la formule déshonorante : « Plutôt la servitude que la mort » ? Il n'y aurait pas eu le 14 juillet 1789, cette explosion révolutionnaire du peuple de Paris s'emparant de la Bastille, ce 14 juillet dont la date est demeurée fête nationale pour notre pays. Il n'y aurait pas eu le 4 août 1789, et l'abolition des privilèges. Il n'y aurait pas eu le 10 août 1792, et la prise des Tuileries. Il n'y aurait pas eu Valmy, et la proclamation de la République. Il n'y aurait pas non plus, il est vrai, un Gœbbels pour prétendre que l'an 1789 sera rayé de l'histoire. Il n'y aurait pas non plus un fils de boulanger, devenu ministre par la Volonté du peuple qu'il accable aujourd'hui, pour déclarer que le passé de la France est digne simplement du musée. Si nos ancêtres avaient été des « pacifistes avant tout », des égoistes, ils n'au¬ raient pas fait les « Trois Glorieuses », ils ne se seraient pas sou¬ levés en février 1848; ils n'auraient pas répondu par la procla¬ mation de la République à la reddition de Sedan et par la Com¬ mune à la trahison de Trochu. » <( Est-ce que le mot d'ordre « transformer la guerre impérialiste actuelle en guerre civile » était empreint de pacifisme bêlant ? » Lénine a écrit : « Une classe opprimée qui ne s'efforcerait pas d'apprendre à se servir des armes, mériterait simplement d'être traitée en esclave. » » Et encore : « Les femmes prolétaires se borneront-elles à maudire la guerre et les armes, à réclamer le désarmement. Jamais les femmes d'une classe opprimée qui est véritablement révolu¬ tionnaire ne fe résigneront à un rôle si pitoyable. Elles diront à leurs fils : « Bientôt tu seras grand. On te donnera un fusil. Prends-le et exerce-toi de ton mieux au métier des armes ». » Relisez les considérants au programme du P.O.F., rédigés par Guesde et Laforgue, en 1883 : « Pour cela \pour que la nation soit forte] il suffirait que l'instruction militaire complétât l'instruction scientifique et professionnelle assurée socialement à la totalité des enfants; que le fusil, rois dans l'école même entre les mains de tous restât au sortir de l'école entre les mains de chacun, et qu'après un très court passage sous les drapeaux, de grandes manoeuvres annuelles maintinssent entre ces éléments in¬ dividuellement supérieurs la cohésion indispensable et l'habitude des opérations d'ensemble ». » Est-ce que Marx lui-même ne nous a pas enseigné que « l'arme de la critique ne saurait remplacer la critique des armes» ? » Non, je l'affirme, il n'y a pas un grain d'esprit marxiste et 6 note de l'éditeur révolutionnaire dans la position de ceux qui recommandent à la classe ouvrière la résignation et la lâcheté, la crainte du combat les armes à la main. » Il n'y en a pas davantage chez ceux qui se livrent à un ver¬ biage pseudo-radical renouvelé de l'hervéisme : « Plutôt l'insur¬ rection que la guerre! » Ou encore : « La classe ouvrière ré¬ pondra par la grève générale à l'ordre de mobilisation ». Dans les conditions présentes de la menace hitlérienne, ces phrases seraient un crime contre la classe ouvrière si elles n'étaient pur bavardage. La plupart de ceux qui tenaient de tels propos, avant 1914, se sont transformés en laquais de la. bourgeoisie au premier jour de la guerre. » Quelle impudence, enfin, chez ces trotskistes et autres es¬ pions qui prétendent reprendre le mot d'ordre de Liebknecht en le dénaturant, afin de servir les buts du fascisme hitlérien. Liebknecht a dit en 1915 : a L'ennemi est dans notre propre pays ». Est-ce qu'il n'est pas vrai pour nous encore, aussi long¬ temps que les agents de Hitler, les mercenaires de la réaction et du fascisme international, les cagoulards et toute la tourbe des hommes de main du renégat Doriot, ne seront pçs en prison ? » On doit dénoncer comme un appui direct au fascisme les ca¬ lomnies contre l'Union soviétique, placée par les trotskistes et les « pacifistes » sur le même plan que les dictatures fascistes, ou encore les affirmations mensongères que « tous les impéria- lismes se valent ». Cette dernière phrase Voudrait dissimuler les différences essentielles entre les pays où sévit la dictature fasciste qui conduit à la guerre et les pays de démocratie intéressés au maintien de la paix. ~~ " » Quelques réflexions complémentaires sur la violence. Un pro¬ létaire révolutionnaire, un communiste n'a rien d'un tolstoien, d'un partisan de la non-résistance à l'agression. Nous ne disons pas : « Si on te frappe sur une joue, tends l'autre joue. » Mais nous ne som¬ mes pas comme le prétendent les calomniateurs du mouvement ou¬ vrier, les partisans de la violence pour la violence. Nous constatons simplement que la violence est un fait social, qu'elle est la con¬ séquence de l'exploitation de l'homme par l'homme, qu'elle est devenue pour les privilégiés d'un ordre social déterminé le moyen de maintenir et d'étendre leur domination. Nous enregistrons aussi que chaque classe parvenue successivement à la conscience de son rôle d'émancipation générale de la société a eu inévita¬ blement recours à la violence organisée et collective pour se li¬ bérer et assurer ainsi la marche progressive de l'humanité. note de l'éditeur 7 » Cependant, reconnaissant le rôle de la violence à travers l'histoire, nous répudions formellement la violence individuelle. jUvW: ' Les communist.es n'ont jamais, approuvé les attentats individuels >{,I.j des terroristes. Jules Guesde a. combattu autrefois les anarchistes partisanidë la reprise individuelle, de la propagande par le fait ' et de la terreur. Il s'est séparé de ceux qui prétendaient les dé¬ fendre au nom du socialisme. Les bolcheviks russes ont détourné la classe ouvrière de leur pays des méthodes terroristes employées par les nihilistes et les socialistes révolutionnaires. » Il convient, au contraire, de souligner que le crime, que l'at¬ tentat est par excellence la méthode du fascisme. Les nazis feignent de s'indigner contre le meurtre d'un fonctionnaire de l'ambassade d'Allemagne à Paris, mais ils glorifient comme des martyrs de leur triste cause les assassins du chancelier Dollfuss. Tels les potentats de l'antiquité, tels les chefs barbares des pre¬ mières hordes germaniques, Hitler a procédé lui-même aux exé¬ cutions sanglantes du 30 juin 1934. » En France, ( nombre de crimes et d'attentats restés impunis n'ont-ils pas été commis par les bandes fascistes ? Le crime, c'est l'arme des tyrans et des oppresseurs. La classe ouvrière consciente de ses buts, confiante en son avenir, organisée pour l'action col¬ lective de masse, n'a que faire de méthodes terroristes qui sont au fond le signe de la décadence d'un régime, le signe de sa fai¬ blesse plus que de sa force ». F.-S..— Les notes non signées sont d'Engels; LE ROLE DE LA VIOLENCE DANS L'HISTOIRE1 CHAPITRE PREMIER Dans mon système, le rapport de la politique générale aux formes prises par le droit économique est déterminé d'une manière à la lois si décisive et si originale, que, pour faciliter l'étude, il ne serait pas superflu d'y insis¬ ter spécialement. La constitution des rapports politiques est l'élément histo¬ rique fondamental, et les dépendances économiques n'en sont qu'un effet ou un cas particulier, et sont toujours, par conséquent, des faits de second ordre. Quelques-uns des systèmes socialistes récents font un principe direc¬ teur de la notion superficielle d'une relation tout-à-fait inverse, en faisant subordonner les faits politiques aux conditions économiques, et, pour ainsi dire, en faisant provenir ceux-ci de ceux-là. Assurément, ces effets de se¬ cond ordre existent comme tels, et sont le plus aisément perceptibles à 1 heure actuelle ; mais il faut chercher le fait primitif dans la violence politique directe, et non dans une force économique quelconque. Cette conception est aussi exprimée dans un autre passage, dans lequel M. Diihring part du principe que les conditions politiques sont les causes déterminantes de la situation économique, et que la relation inverse ne représente qu'une réaction d'ordre secondaire ;... tant qu'on ne prend pas le gouvernement po¬ litique pour lui-même, pour le point de départ, mais simplement comme un moyen de s'assurer de la subsistance, on laisse agir quand même en soi, si radicalement socialiste et si révolutionnaire que l'on puisse paraître, une part cachée de réaction. • ^ « Cela, c'est la théorie de M. Diihring. Là, et en beaucoup d'au¬ tres passages, elle est simplement posée, ou, pour ainsi dire, dé¬ crétée. Nulle part dans ces trois épais volumes,'*il n'y a la moindre 1. Traduction de René Hilsum. 10 LE ROLE DE LA VIOLENCE DANS L'HISTOIRE tentative de preuve ou de réfutation du point de vue contraire. Et même si' les arguments étaient aussi bon marché que les mûres, M. Diihring ne nous en donnerait pas. Car toute l'affaire a déjà été démontrée par la célèbre chute originelle, où Robinson réduisit Vendredi en esclavage. Cela a été un acte de violence, donc un acte politique. Et puisque cet asservisay^tt•.constitue le point de départ et le fait fondamental de tou^MÉjûtii' révolue, et lui inocule le péché originel d'injustice, à tel 'poSEque celui-ci s'est seulement adouci au cours des époques uîreriOTres et « transformé en formes plus indirectes de dépendance économique » ; et puis¬ que « la propriété fondée sur la violence », qui s'çst maintenue jusqu'à nos jours, repose de même sur cet asservissement primitif, il est clair, pour ces raisons, que tous les phénomènes économiques doivent être expliqués par des causes politiques, c'est-à-dire peu: la violence. Et qui n'est pas satisfait avec cela, n'est qu'un réac¬ tionnaire dissimulé. Remarquons d'abord qu'il faut être aussi épris de soi-même que M. Diihring, pour tenir cette opinion pour si « originale », alors qu'elle ne l'est aucunement, i L'idée que les actes politiques et ceux de l'Etat sont les élénients décisifs de l'histoire est aussi vieille que l'histoire écrite elle-même, et c'est la raison principale pour laquelle si peu de choses ont été conservées de l'évolution du progrès réel des peuples qui s'accomplit tranquillement à l'ar- rière-pian de ces scènes bruyantes. Cette idée a dominé autrefois toutes les conceptions de l'histoire, et ce sont les historiens bour¬ geois français de la Restauration qui lui ont porté le premier coup : ce qu'il y a là d' « original », c'est seulement qu'encore une fois, M. Diihring n'en sache rien. En outre, même si nous admettions pour un instant que M. Diihring a raison de penser que toute l'histoire révolue peut être ramenée à l'asservissement de l'homme par l'homme, nous sommes encore bien loin d'être parvenus au fond de la chose. Car on se demande alors comment Robinson en est venu à asservir Vendredi. Simplement pour le plaisir ? Absolument pas. Nous voyons au contraire que Vendredi est contraint ^ au service économique, comme esclave ou comme simple instrument et n est entretenu que comme un instrument. Robinson n'a asservi Vendredi que pour que Vendredi tra¬ vaillât au profit de Robinson. Et comment Robinson peut-il tirer un profit pour son, propre compte du travail de Vendredi ? Uni¬ quement parce que Vendredi fournit, par son travail, plus de LE ROLE DE LA VIOLENCE DANS L'HISTOIRE II moyens de subsistance que Robinson n'est obligé de lui en donner pour qu'il demeure en état de travailler. Par conséquent, con¬ trairement à la formule expresse de M. Diihring, Robinson prend le groupement politique issu de l'asservissement de Vendredi non pour lui-même, c'esl-à-c!ire|«non pour le point de départ, mais sim¬ plement comme m_-moyen^j^ Ya&rer sa nourriture ; et voyons maintenanWcdnirnent il s'arrangera avec son seigneur et maître Diihring. S L'exemple puéril que M. Diihring a choisi pour montrer que la violence est 1' « élément historique fondamental » démontre, par conséquent, qu'en réalité la violence n'est que le moyen et que le but, c'est l'avantage économique'. Puisque le but est « plus fondamental » que le moyen employé pour l'obtenir, de même l'aspect économique du rapport est plus fondamental dans l'histoire que sion aspect politique. L'exemple démontre donc exactement le contraire de ce qu'il était censé démontrer. Et il en est de même de tous les cas de domination et d'esclavage qui se sont produits jusqu'à nos jours, comme du cas de Robinson et de Ven¬ dredi. L'asservissement a toujours été, pour employer l'élégante expression de M. Diihring « un moyen de s'assurer de la nourri¬ ture » (cette nourriture étant entendue au sens le plus large), mais jamais elle n'a été une forme politique établie « pour elle- même ». II faut être M. Diihring pour pouvoir s'imaginer que les impôts ne sont dans l'Etat que des « effets d'ordre secondaire », ou que la forme politique actuelle de la bourgeoisie au pouvoir et du prolétariat asservi n'est apparue que « pour elle-même » et qu'elle n'est pas, pour les bourgeois au pouvoir, « un moyen de s'assurer de la nourriture », c'est-à-dire qu'elle n'a pas pour but de réaliser des profits et d'accumuler du capital. Revenons cependant à nos deux hommes : Robinson, 1' « épée à la main », fait de Vendredi son esclave. Mais pour y parvenir, Robinson a besoin d'autre chose encore qu'une épée. Tout le monde ne peut pas utiliser un esclave. Pour utiliser un esclave, on doit disposer de deux choses; d'abord, des outils et des maté¬ riaux nécessaires au travail de l'esclave, et ensuite, du mini¬ mum indispensable des moyens de sa subsistance. Avant donc que l'esclavage soit possible, il faut donc que la production ait déjà 'atteint un certain niveau et qu'ait apparu un certain degré d'iné¬ galité dans la distribution. Et pour que le travail de l'esclave devienne le moyen de production dominant dans une société tout 12 LE ROLE DE LA VIOLENCE DANS L'HISTOIRE entière, il faut un accroissement bien plus considérable encore de la production, du commerce et de l'accumulation des richesses. Dans les anciennes communautés primitives, où régnait la pro¬ priété en commun de la terre, l'esclavage n'existait pas du tout ou ne jouait qu'ur: rôle très secondaire. De même, dans la Rome paysanne primitive ; mais lorsque Rome devint une « cité univer¬ selle », la propriété foncière en Italie tomba de plus en plus entre les mains d'une classe peu nombreuse de propriétaires extrê¬ mement riches, la population paysanne fut supplantée par une population d'esclaves. Si, à l'époque des guerres médiques, le nombre des esclaves s'élevait à Corinthe à 460.000, à Egine à 470.000, et s'il y avait dix esclaves pour un homme libre, il y avait là quelque chose de plus que de la « violence » ; il y avait une industrie d'art et une industrie artisanale très développée, et un commerce étendu. Aux Etats-Unis d'Amérique, l'esclavage reposait bien moins sur la violence que sur l'industrie anglaise du coton ; dans les régions où le coton ne poussait pas, ou dans celles qui n'entretenaient pas — les Etats frontière, par exemple — des esclaves pour les Etats à coton, l'esclavage mourut de lui-même, sans que l'on ait eu oour cela à user de violence, simplement parce qu'il ne payait pas. Si donc, M. Diihring appelle la, propriété actuelle une pro¬ priété fondée sur la violence et qu'il la qualifie de forme de domination à l'origine de laquelle se trouve non simplement l'exclusion du prochain de l'usage des moyens naturels d'existence, mais aussi ce qui est encore beaucoup plus important, l'asservissement de l'homme pour l'accomplissement des travaux vils, il fait se tenir tête en bas toute la relation. L'asservissement de l'homme pour l'accomplissement des travaux vils, sous toutes ses formes suppose a priori que celui qui asservit dispose des instruments de tràvail, seul moyen grâce auquel il peut employer l'individu opprimé, et, dans le cas de l'esclavage, il suppose en outre que le maître dispose des moyens de subsistance grâce aux¬ quels seuls il peut conserver en vie l'esclave. Dans tous les cas, par conséquent, il suppose préalablement une certaine possession de biens dépassant la moyenne. D'où provient-elle ? En tout cas, il est clair qu'elle peut avoir été acquise par le vol, et qu'elle peut donc reposer sur la violence, mais cela n'est en aucune façon nécessaire. Elle peut être acquise par le travail, par le vol, par le commerce, par l'escroquerie. 11 faut même qu'elle ait été ac¬ quise par le travail, avant d'avoir pu l'être par le vol. LE ROLE DE LA VIOLENCE DANS L'HISTOIRE 13 La propriété privée ne se présente, en général, en aucune fa¬ çon dans l'histoire comme le résultat du rapt ou de la violence. Au contraire. Elle existait déjà, limitée toutefois à certains ob¬ jets, dans les anciennes communautés primitives de tous les peu¬ ples civilisés. Elle s'est développée déjà à l'intérieur de ces com¬ munautés par le troc avec des étrangers d'abord et jusqu à ce qu'elle ait atteint la .forme de marchandise. Plus les produits de la communauté prirent la forme de marchandises, c est-à-dire moins il en fut produit pour l'usage personnel du producteur et plus il en fut produit en vue de l'échange, plus à l'intérieur de la communauté l'échange remplaça aussi la division du travail pri¬ mitive et originelle ; plus inégale aussi devint la propriété des particuliers ; plus fut minée profondément l'ancienne propriété en commun de la terre et plus vite la communauté tendit à se dissoudre et à se transformer en un village de petits paysans. Ni le despotisme oriental, ni la domination changeante de peuples ■ nomades conquérants n'ont pu, durant des milliers d'années, avoir de prise sur cette ancienne forme de communauté, qui vit son industrie locale originelle progressivement détruite par la concur¬ rence des produits de la grande industrie et fut amenée de plus en plus près de la dissolution. 11 n'est pas plus question de violence dans ce processus que dans le démembrement, qui se produit aujourd'hui encore, des terres cultivables possédées en commun dans les Gehôferschaften des bords de la lyioselle ou du Hoch- wald ; les paysans trouvent maintenant avantage à la substitution de la propriété commune du sol par la propriété individuelle. Même la formation d'une aristocratie primitive, chez les Celtes, chez les Germains et dans le Pendjab de l'Inde s'est fondée sur la propriété commune du sol et ne repose pas du tout à l'origine sur la violence, mais sur le consentement volontaire et sur la coutume. Partout où la propriété individuelle se constitue, c'est la conséquence de modifications des rapports de production -et d'échange, effectuées dans l'intérêt de l'accroissement de la pro¬ duction et du progrès du commerce, c'est-à-dire comme résultat de causes économiques. La violence ne joue là aucun rôle. 11 est bien évident que l'institution de la propriété individuelle doit déjà exister avant que le pillard puisse s'approprier le bien d'au¬ trui et que, par conséquent, la violence peut faire changer de pos¬ sesseur, mais non créer la propriété individuelle en soi. Mais même pour expliquer « l'asservissement de l'homme pour l'accomplissement des travaux les plus vils » sous sa forme la plus moderne, le travail salarié, nous ne pouvons faire intervenir ni la 14 LE ROLE DE LA VIOLENCE DANS L'HISTOIRE violence ni la propriété fondée sur la violence. Nous avons déjà mentionné le rôle qu'a joué la transformation des produits du tra¬ vail en marchandises, la production effectuée non pour les besoins de la consommation, mais pour l'échange, dans la dissolution des communautés primitives, c'est-à-dire dans la généralisation directe ou indirecte de la propriété privée. Or, Marx a lumineusement prouvé dans le Capital —- et M. Diihring évite d'en faire la plus légère référence — qu'à un certain stade d'évolution, la produc¬ tion des marchandises se transforme en production capitaliste, et qu'à ce stade, les lois d'appropriation ou de propriété privée, lois qui reposent sur la production ou la circulation des marchandises se transforment en leur con¬ traire, de par leur propre dialectique interne, inéluctable. L'échange des équivalents, qui constituait l'opération primitive, s'est renversé de telle ma¬ nière que l'on n'échange plus qu'en apparence. Cela est dû au fait qu'en premier lieu, le capital qui est échangé contre de la force de travail, n'est lui-même qu'une partie du travail d'autrui approprié sans équivalent ; et qu'en second lieu, ce capital doit non seulement être remplacé par celui qui l'a produit, mais remplacé avec un surplus... A l'origine, les droits de la propriété nous sont apparus comme fondés sur le travail propre dès hommes. Toutefois, la propriété apparaît maintenant [à la fin de l'évolution tracée par Marx], du côté capitaliste, comme étant le droit de s'approprier le travail non payé d'autrui, ou son produit ; et du côté du travailleur, comme étant l'impossibilité d'entrer en possession du produit de son travail. La séparation entre propriété et travail est devenue la conséquence nécessaire d'une loi qui provenait en apparence de leur identité. En d'autres termes, même si nous excluons toute possibilité de pillage, de violence et d'exaction; si nous admettons même que toute propriété individuelle reposait à l'ori'gine sur le travail pro¬ pre du possesseur et que, dans tout le processus ultérieur, on n'a échangé que des valeurs égales contre des valeurs égales, nous arrivons cependant nécessairement avec le progrès de la production et de l'échange au mode de production capitaliste actuel, à la monopolisation des moyens de production et des moyens de sub¬ sistance entre les mains d'une classe peu nombreuse ; à l'abaisse¬ ment de l'autre classe, qui constitue l'immense majorité, à l'état de prolétariat privé de possession, à l'alternance de périodes de production prospère et de crises commerciales; à toute l'anarchie ac'uelle dans la production. Tout ce processus est expliqué par des causes purement économiques, sans que l'on soit Une seule fois ! ob érigé son Empire, comme Louis-Napoléon, en s'appuyant sur une bande de canailles, lorsqu'on n'a maintenu cet Empire, dix- huit ans durant, qu en livrant la France à leur exploitation, lors- 74 LE ROLE DE LA VIOLENCE DANS L'HISTOIRE qu'on a occupé tous les postes importants de l'Etat avec ces gens et toutes les places subalternes avec leurs complices, il ne faut pas entreprendre de lutte pour la vie ou la mort si l'on ne veut pas être abandonné. En moins de cinq semaines, tout l'édifice de l'Empire dont les philistins européens s'étaient étonnés des années durant s'écroula; la révolution du 4 septembre ne fit que déblayer les décombres ; et Bismarck, qui était parti en guerre pour fonder la petite Allemagne se trouva un beau matin fondateur d'une Ré¬ publique française. Selon la propre proclamation de Bismarck, la guerre n'avait pas été dirigée contre le peuple français, mais contre Louis-Napoléon. Avec sa chute, tout motif de guerre disparaissait. C'était ce que s'imaginait aussi le gouvernement du 4 Septembre — pas si naïf par ailleurs — et il fut très surpris lorsque soudain Bismarck montra le junker prussien qui était en lui. Personne au monde ne hait autant" les Français que le junkër prussien. Car, non seulement, les junkers, jusque-là exempts d'im¬ pôts, avaient durement souffert, entre 1806 et 1813, du châti¬ ment que les Français leur avaient infligé, et que leur propre va¬ nité avait attiré ; mais ces athées de Français avaient troublé les têtes par leur criminelle révolution, ce qui était bien pire, de telle sorte que l'ancien pouvoir des hobereaux avait été presque com¬ plètement enterré, même dans la vieille ' Prusse ; que les pauvres junkers devaient mener sans cesse un rude combat pour ce qui res¬ tait de leur magnificence, et un grand nombre d'entre eux étaient déjà tombés au rang d'une pitoyable noblesse de parasites. On devait s'en venger sur la France, et les officiers junkers de l'ar¬ mée, sous la direction de Bismarck, s'en chargèrent bien. On s'était fait des listes des contributions de guerre françaises en Prusse, et on estima d'après elles les impositions qu'on devait lever en France dans les villes et dans les départements — en te¬ nant compte naturellement de la richesse beaucoup plus grande de la France. On réquisitionna des vivres, du fourrage, des vête¬ ments, des chaussures, etc. avec un sans-gêne impitoyable. Un maire des Ardennes, qui déclara ne pouvoir faire la livraison exigée, reçut vingt-cinq coups de bâton sans autre forme de procès; le gouvernement de Paris en a publié la preuve officielle. Les francs-tireurs, qui procédaient selon le décret de 1813 sur la Landsturm prussienne aussi exactement que s'ils en avaient expres¬ sément étudié les dispositions, furent fusi'lés sans pitié là où on les prenait. Même les histoires de pendules envoyées en Alle¬ magne sont vraies, le Journal de Cologne lui-même en a parlé. LE ROLE DE LA VIOLENCE DANS L'HISTOIRE 75 Seulement, d'après les conceptions prussiennes, ces pendules n'étaient pas volées; elles étaient des biens sans possesseurs dé¬ couverts dans les maisons de campagnes abandonnées des environs de Paris et on les annexait pour les êtres chers restés dans la pa¬ trie. Et c'est ainsi que les junkers, sous la direction de Bismarck, prirent soin de ce que, malgré l'attitude irréprochable tant des hommes que d'une grande partie des officiers, le caractère spéci¬ fiquement prussien de la guerre fût conservé et rendu inoubliable aux Français et que ceux-ci rendissent responsable l'armée tout entière de l'odieuse mesquinerie des junkers. Et cependant, il était réservé à ces junkers de rendre au peu¬ ple français un honneur qui n'a pas son pareil dans l'histoire tout entière. Lorsque toutes les tentatives pour débloquer Paris eurent échoué, lorsque toutes les armées françaises furent repoussées, lorsque la dernière grande offensive de Bourbaki sur la ligne de liaison des Allemands eut été mise en échec, lorsque la France fut abandonnée à son sort par toute la diplomatie d'Europe sans que celle-ci eût bougé un seul doigt, Paris, affamé, dut capituler. Et les coeurs des junkers battirent encore plus fort lorsqu'ils pu¬ rent enfin faire leur entrée triomphale dans le foyer impie et se venger pleinement des archirebelles parisiens, en tirer cette ven¬ geance complète qui leur avait été interdite en 1814 par le tsar Alexandre et en 1815 par Wellington; ils pouvaient maintenant châtier à coeur joie le foyer et la patrie de la révolution. Paris capitula; il paya 200 millions de contribution de guerre; les forts furent rendus aux Prussiens ; la garnison abaissa les ar¬ mes devant les vainqueurs et livra son artillerie de campagne ; les canons des fortifications furent démontés de leurs affûts ; tous les moyens de résistance que possédait l'Etat furent livrés pièce par pièce mais on ne toucha pas aux véritables défenseurs de Pans, la garde nationale, le peuple parisien en armes. Personne n'exi¬ gea leurs armes, ni leurs fusils, ni leurs canons 1 ; et, ainsi, pour qu'il fût annoncé au monde entier que la victorieuse armée alle¬ mande s'était respectueusement arrêtée devant le peuple de Paris en armes, les vainqueurs n'entrèrent pas dans là ville, ils se con¬ tentèrent d'occuper pendant trois jours les Champs-Elysées, — un jardin public, — gardés, surveillés, bloqués par les sentinelles 1. Ce furent ces canons, appartenant à la garde nationale et non à l'Etat, ■— c'est pourquoi on ne les avait pas livrés aux Prussiens —, que, le 18 mars 1871, Thiers donna l'ordre de voler aux Parisiens : il provoqua ainsi l'insurrection dont sortit la Commune. 76 LE ROLE DE LA VIOLENCE DANS L'HISTOIRE des Parisiens! Pas un soldat allemand ne mit les pieds à l'hôtel de ville, pas un seul ne foula l'es boulevards et les rares qui fu¬ rent admis au Louvre pour y admirer les œuvres d'art avaient dû en demander la permission; c'était en dehors de la capitulation. La France était abattue, Paris était affamé, mais le peuple parisien s'était assuré ce respect par son passé glorieux; aucun vainqueur n'osait exiger ses armes, n'avait le courage d'aller le trouver chez lui, et de profaner ces rues, champ de bataille de tant de révolutions, par une marche triomphale. Ce fut comme si 1 empereur allemand frais émoulu avait tiré son chapeau devant les révolutionnaires vivants de Paris, comme autrefois son frère devant les morts des combattants de Mars de Berlin, comme si 1 armée allemande tout entière, derrière lui, présentait les armes. Mais ce fut le seul sacrifice que s'imposa Bismarck. Sous pré¬ texte qu'il n'y avait pas de gouvernement en France qui pût si¬ gner la paix avec lui — ce qui était exactement aussi vrai et aussi faux au 4 septembre qu'au 20 janvier — il avait exploité ses succès d'une manière vraiment prussienne, jusqu'à la der¬ nière goutte, et il ne s'était déclaré disposé à la paix qu'après 1 écrasement complet de la France. A nouveau, à la conclusion de la paix elle-même, la « situation favorable fut 'exploitée sans scrupules », comme on dit en bon vieux prussien. Non seulement on extorqua la somme inouïe de cinq milliards d'indemnité, mais on arracha deux provinces à la France, l'Alsace et la Lorraine allemande avec Metz et Strasbourg et on les incorpora à l'Alle¬ magne. Par cette annexion, Bismarck intervient pour la première fois en politicien indépendant ; il ne réalise plus à sa manière un programme qui lui est dicté du dehors, mais il tradu.it dans les faits les produits de son propre cerveau: c'est ainsi qu'il commet sa première gaffe colossale... 1 !. 11 y a en cet endroit du manuscrit une place laissée libre pour une addition qui n'a pas été faite. (N.R.) IV L'ANNEXION DE L'ALSACE-LORRAINE L'Alsace avait été conquise par la France, pour l'essentiel, pendant la guerre de Trente ans. Richelieu avait oublié en cela le solide principe d'Henry IV : « Que la langue espagnole soit à l'Espagnol, l'allemande à l'Allemand; mais où l'on parle fran¬ çais, c'est mon lot » ; Richelieu s'appuya sur le principe de la frontière naturelle du Rhin, de la frontière historique de la Gaule ancienne. C'était de la folie; mais l'Empire romain germanique, qui comprenait les domaines linguistiques français de Lorraine, de Belgique et même de Franche-Comté, n'avait pas le droit de reprocher à la France l'annexion de pays de langue allemande. Et si Louis XIV, en 1681, s'était emparé de Strasbourg en pleine paix/avec l'aide d'un parti d'inspiration française dans la ville, la Prusse était mal venue de s'en indigner, après qu'elle eut de même fait violence, sans succès toutefois, à la ville libre de Nuremberg en 1796, sans être appelée, bien entendu, par un parti prus¬ sien 1. La Lorraine fut vendue à la France par l'Autriche en 1735 à la paix de Vienne et devint finalement possession française en 1766. Depuis des siècles, elle n'avait appartenu que nominale¬ ment à l'Empire germanique, ses princes étaient Français sous tous les rapports et presque toujours, ils avaient été alliés à la France. 1. On reproche à Louis XIV d'avoir lâché, en pleine paix, ses chambres de réunion sur un territoire allemand qui ne lui appartenait pas. Même la jalousie la plus malveillante ne peut reprocher la même chose aux Prus¬ siens. Au contraire. Après avoir, en 1795, fait une paix séparée avec la France en violant directement la Constitution d'Empire, après avoir ras¬ semblé autour d'eux leurs petits voisins, également infidèles, au delà de la ligne de démarcation dans la première Confédération de l'Allemagne du 78 LE ROLE DE LA VIOLENCE DANS L'HISTOIRE II y eut dans les Vosges jusqu'à la Révolution française une quantité de petites seigneuries qui se comportaient à l'égard de 1 Allemagne comme Etats d'Empire immédiats, mais en ce qui concerne la France, ils en avaient reconnu la souveraineté; elles tiraient profit de cette situation hydride et puisque l'Empire ger¬ manique tolérait cela, au lieu de demander des comptes aux sei- neurs dynastes, il ne pouvait se plaindre lorsque la France, en vertu de sa souveraineté, prenait sous sa protection contre ces seigneurs expulsés, les habitants de ces domaines. Au total, ce pays allemand, jusqu'à la Révolution, ne fut pour ainsi dire pas francisé. L'allemand demeura la langue d'ensei¬ gnement et la langue d'administration pour les relations inté¬ rieures, du moins en Alsace. Le gouvernement français favorisait les provinces allenjandes qui désormais, depuis le début du dix- huitième siècle, après de longues années de guerres dévastatrices, ne voyaient plus d'ennemis chez elles. L'Empire allemand, déchiré par d'éternelles guerres intérieures, n'était vraiment pas fait pour attirer les Alsaciens à rentrer dans le sein de la mère patrie; on avait du moins le calme et la paix, on savait où l'on en était, et ainsi, les philistins qui donnaient le ton étaient familiers des décrets impénétrables de la Providence. A v ai dire, le sort des Alsaciens n'était pas sans exemple, les habitants du Holstein étaient aussi sous la domination étrangère du Danemark. Vint la Révolution française. Ce que l'Alsace et la Lorraine n'avaient jamais osé espérer de l'Allemagne, la France le leur donna. Les liens féodaux furent brisés. Le paysan taillable et Nord, ils mirent à profit la situation difficile dans laquelle se trouvaient des Etats du sud de l'Allemagne, qui désormais poursuivaient seuls la guerre en même temps que l'Autriche, pour des tentatives d'annexion en Franconie. Ils formèrent à Anspach et à Bayreuth, qui étaient prussiennes alors, des chambres de réunion sur le modèle de celles de Louis XIV ; ils prétendirent à une série de territoires voisins ; prétentions en face des¬ quelles les prétextes dë Louis XIV semblaient lumineusement convaincants. Et lorsque les Allemands furent battus, lorsque les Français entrèrent en Franconie, les Prussiens sauveurs occupèrent Nuremberg y compris les fau¬ bourgs jusqu'aux murs d'enceinte, et ils obtinrent des notables de Nurem¬ berg, tremblants de peur, un traité (2 septembre 1796J, par lequel la ville se soumettait à la souveraineté prussienne, sous la condition que... les Juifs ne seraient jamais admis dans la ville. Mais là-dessus, l'archiduc Charles avança, il battit les Français à Wurzburg les 3 et 4 septembre 1796, et ainsi s'envola en fumée bleue cette tentative de faire comprendre de force aux Nurembergeois la mission allemande de la Prusse. LE ROLE DE LA VIOLENCE DANS L'HISTOIRE 79 corvéable devint un homme libre dans bien des cas propriétaire de sa férme et de son champ. Dans les villes, le pouvoir des pa¬ triciens et les privilèges de corporations disparurent. On chassa la noblesse. Et dans les domaines des petits princes et des petits seigneurs, les paysans suivirent l'exemple de leurs voisins; ils chassèrent les dynastes, les Chambres de gouvernement et la noblesse, ils se déclarèrent libres citoyens français. Nulle part en France, le peuple ne se rallia à la Révolution avec plus d'enthou¬ siasme que dans les régions de langue allemande. Et alors, lorsque 1 Empire germanique déclara la guerre à la Révolution, lorsque les Allemands, qui portaient encore leurs chaînes avec obéissance, se prêtèrent de plus à imposer à nouveau aux Français leur ser¬ vitude ancienne, et aux paysans alsaciens les seigneurs féodaux qu'ils venaient de chasser, c'en fut ,fini du germanisme de l'Al¬ sace et de la Lorraine; elles se mirent à haïr les Allemands. C'est alors que la Marseillaise fut composée à Strasbourg et ce furent des Alsaciens qui la chantèrent les premiers; les Franco-Alle¬ mands, malgré leur langue et leur passé, sur cent champs de ba¬ taille, ne firent qu'un seul peuple avec les nationaux français dans la lutte pour la Révolution. La grande Révolution n*a-t-elle pas fait le même prodige avec les Flamands de Dunkerque, avec les Celtes de Bretagne, avec les Italiens de Corse ? Et lorsque nous déplorons que cela soit arrivé à-bles Allemands, avons-nous donc oublié toute notre his¬ toire, qui l'a permis ? Avons-nous oublié que toute la rive gauche du Rhin, qui cependant participa passivement à la Révolution, était française d'esprit lorsque les Allemands y revinrent en 1814? qu'elle demeura française d'esprit jusqu'en 1848, où la Révolu¬ tion réhabilita les Allemands aux yeux des Rhénans ? Que l'en¬ thousiasme de Heine pour les Français, et même son bonapar¬ tisme, n'étaient pas autre chose que l'écho de l'état d'esprit de tout le peuple sur la rive gauche du Rhin ? Lorsque les coalisés entrèrent en France en 1814, c'est juste¬ ment en Alsace et en Lorraine qu'ils trouvèrent les ennemis les plus décidés, la résistance la plus rude, dans le peuple lui-même; car on sentait, dans le peuple, le danger qu'il y avait à devoir redevenir allemand. Et cependant, en Alsace-Lorraine, on parlait alors presque exclusivement l'allemand. Mais lorsque ces pro¬ vinces ne coururent plus le danger d'être soustraites à la France, lorsque l'on eut mis fin aux désirs d'annexion des chauvins roman¬ tiques allemands, on comprit qu'il était nécessaire de s'unir de plus en plus à la France, également du point de vue linguistique ; 80 LE ROLE DE LA VIOLENCE DANS L'HISTOIRE et depuis ce moment-là on fit comme avaient fait chez eux les Luxembourgeois, on procéda à la francisation des écoles. Et ce¬ pendant le processus de transformation alla très lentement ; seule la génération bourgeoise d'aujourd'hui est réellement francisée, alors que les paysans et les ouvriers parlent allemand. La situa¬ tion est à peu près la même qu'au Luxembourg : l'allemand litté¬ raire céda la place au français (excepté en chaire), mais le patois allemand n a perdu du terrain qu'à la frontière linguistique et on 1 emploie beaucoup plus comme langage familier que dans la plupart des campagnes d'Allemagne. Tel est le pays que Bismarck et les junkers prussiens, soute¬ nus, comme il semble, par la réminiscence d'un romantisme chau¬ vin inséparable de toutes les questions allemandes, entreprirent de faire redevenir allemand. Il était aussi absurde de vouloir rendre à l'Allemagne Strasbourg, patrie de la Marseillaise, que de faire de Nice, patrie de Garibaldi, une ville française. A Nice, cependant, Louis-Napoléon garda les convenances, il fit plébisciter l'annexion et la manoeuvre réussit. Indépendamment du fait que les Prussiens détestaient de telles mesures révolution¬ naires pour de très bonnes raisons'— il n'est jamais arrivé, où que ce soit, que la masse du peuple désirât l'annexion à la Prusse — on ne savait que trop bien que, en Alsace-Lorraine précisément, la population était plus unanime à tenir à la France que les na¬ tionaux français eux-mêmes. Ainsi donc on ne fit ce coup de main que par la violence. Ce fut une sorte de vengeance sur la Révolu¬ tion française; on arrachait l'un des morceaux qui, justement, avaient été fondus dans la France par la Révolution. Militairement, l'annexion avait sans doute un objectif. Avec Metz et Strasbourg, l'Allemagne obtenait un front de défense d'une force prodigieuse. Tant que la Belgique et la Suisset de¬ meurent neutres, une offensive française ne peut porter nulle part ailleurs que sur l'étroite bande de territoire qui se trouve entre Metz et les Vosges, et contre cette offensive, Coblence, Metz, Strasbourg et Mayence constituent le quadrilatère de places fortes le plus puissant et le plus grand du monde. Mais aussi, ce quadri¬ latère de places fortes, comme celui de l'Autriche en Lombardie, se trouve pour la moitié en territoire ennemi et il y constitue des citadelles pouvant servir à réprimer la population. Plus encore : pour le compléter, il fallut empiéter en dehors du domaine lin¬ guistique allemand, il fallut annexer environ deux cent cinquante mille nationaux français. Le grand avantage stratégique est donc le seul point qui peut LE ROLE DE LA VIOLENCE DANS L'HISTOIRE 81 excuser l'annexion. Mais y a-t-il une proportion quelconque entre cet avantage et le préjudice que l'on s'est porté par là ? Four ce qui est l'immense tort moral dans lequel le jeune Em¬ pire allemand s'est mis en posant comme son principe fondamen¬ tal, ouvertement et aux yeux de tous, la violence brutale-— le junker prussien n'a pas d'oreilles. Au contraire, il lui faut des su¬ jets récalcitrants, maintenus par la violence ; ils sont des preuves de 1' accroissement de la puissance prussienne ; et au fond, il n'en a jamais eu d'autres. Mais ce à quoi il eut dû prendre garde, c'étaient aux conséquences politiques de l'annexion. Et celles-ci étaient évidentes. Avant encore que l'annexion eût force de loi, Marx les criait au monde dans une circulaire de l'Internationale: « L'annexion de l'Alsace-Lorraine fait de la Russie l'arbitre de l'Europe. » Et les sociaux-démocrates 1 l'ont souvent répété à la tribune du Reichstag, jusqu'à ce que cette vérité fût reconnue finalement par Bismarck lui-même, dans son discours parlemen¬ taire du 6 février 1888, gémissant devant le tsar tout-puissant, maître de la guerre et de la paix. Cela était pourtant clair comme le jour. En arrachant à la France deux de ses provinces les plus fanatiquement patriotes, on la poussait dans les bras de celui qui lui faisait espérer leur re¬ tour, on se faisait de la France un ennemi éternel. Sans doute, Bismarck, qui, en l'occurence, représente dignement et conscien¬ cieusement les philistins allemands, exige-t-il des Français qu'ils renoncent à l'Alsace-Lorraine, méralement et non seulefnent ju¬ ridiquement, qu'en outre ils se réjouissent comme il faut, étant donné que ces deux morceaux de la France de la Révolution « sont rendus à la mère patrie », ce dont ils ne veulent absolument rien savoir. Mais, malheureusement, les Français ne le font pas plus que les Allemands ne renoncèrent moralement à la rive gauche du Rhin pendant les guerres napoléoniennes, encore qu'à cette époque celle-ci ne désirât pas leur revenir. Tant que les Alsaciens et les Lorrains réclameront le retour à la France, la France doit s'efforcer et s'efforcera de les recouvrer, elle devra chercher les moyens de le faire, et entre autres elle devra rechercher des alliés. Et contre l'Allemagne, l'allié naturel est la Russie. Si les deux nations les plus grandes et les plus fortes du con¬ tinent occidental se neutralisent réciproquememt par leur hostilité, Vil y a même entre elles un éternel sujet de discorde, qui les l. Bebel et W. Liebknecht, (N.R.) 82 LE ROLE DE LA VIOLENCE DANS L'HISTOIRE excite à se combattre, l'avantage n'en revient... qu'à la Russie, dont les mains n'en sont alors que plus libres; la Russie qui, dans ses appétits de conquête, peut être d'autant moins empêchée par l'Allemagne, qu'elle peut attendre de la France un appui sans conditions. Et Bismarck n'a-t-il pas mis la France en position de mendier l'alliance russe, d'être obligée d'abandonner de plein gré Constantinople à la Russie, si la Russie lui promet seulement ses provinces perdues ? Et si, malgré cela, la paix a été mainte¬ nue dix-sept années durant, faut-il l'attribuer à un autre fait que celui-ci: le système de réserve inauguré en France et en Russie demande seize ans, et même vingt-cinq ans, depuis les récents perfectionnements allemands, pour fournir le nombre suffisant de classes exercées. Et après avoir été durant seize années déjà le fait dominant de toute la politique de l'Europe, l'annexion .n'est- elle pas à l'heure actuelle la cause profonde de toute la crise qui menace de guerre le continent ? Otez ce fait seul et unique, et la paix est assurée. Avec son français qu'il prononce avec un accent ultra-alle¬ mand, le bourgeois alsacien, ce vaniteux hybride, qui se donne la contenance de n'importe quel Français pur sang, qui regarde Goethe de haut en bas et s'enthousiasme pour Racine, qui ne s'en trouve pas quitte de la mauvaise conscience de ce qu'il a de se¬ crètement allemand et doit pour cela blaguer dédaigneusement tout ce qui est germanique, de telle sorte qu'il ne peut pas même servir de médiateur entre l'Allemagne et la France — ce bour¬ geois alsacien est bien sûr un individu méprisable, qu'il soit in¬ dustriel à Mulhouse ou journaliste à Paris. Mais qui l'a fait ce qu'il est, sinon l'histoire de l'Allemagne des trois siècles passés ? Et jusqu'à il y a peu de temps encore, presque tous les Allemands à l'étranger, surtout les commerçants, n'étaient-ils pas de véritables, Alsaciens qui reniaient leur qualité d'Allemand, qui se tourmentaient pour s'assimiler la nationalité étrangère de leur nouvelle patrie avec une vraie cruauté envers les animaux » exercée à leur endroit, et se rendaient ainsi, de leur propre gré au moins aussi ridicules que ceux des Alsaciens qui s'y trouvent cependant plus ou moins contraints par les circonstances ? En An¬ gleterre, par exemple, toute la société commerçante allemande immigrée entre 1815 et 1840 était anglicisée presque sans excep¬ tion; on s'y exprimait presque exclusivement en anglais, et, aujourd'hui encore, à la Bourse de Manchester par exemple, évo¬ luent quelques vieux philistins allemands qui donneraient la moi¬ tié de leur fortune pour pouvoir passer pour de vrais Anglais. C'est LE ROLE DE LA VIOLENCE DANS L'HISTOIRE 83 seulement depuis 1848 que quelque chose y a été changé, et de¬ puis 1870, même le lieutenant de réserve venant en Angleterre et Berlin y envoyant son contingent, la façon rampante d'autrefois cède le pas à une arrogance prussienne qui ne nous rend pas moins ridicules à l'étranger. Et depuis 1871, la réunion à l'Allemagne a-t-elle été plus ac¬ commodée au goût des Alsaciens ? Au contraire. On les a mis sous un régime de dictature, tandis qu'à côté, en France, la Ré¬ publique régnait. On a introduit chez eux le système prussien des Landrath, pédantesque et importun, à côté de laquelle l'in¬ gérence de l'administration préfectorale française — rigoureuse¬ ment réglée par la loi — si discréditée, paraît d'or. On supprima rapidement tout vestige de la liberté de la presse, du droit de réunion et d'association, on prononça la dissolution des conseils municipaux récalcitrants et on installa dans les fonctions) de maires des bureaucrates allemands. Mais, par contre, on flatta les « notables », c'est-à-dire les nobles et les bourgeois complète¬ ment francisés, on les protégea dans leur exploitation des ouvriers et des paysans, qui s'ils n'étaient pas Allemands de mentalité n en parlaient pas moins l'allemand et représentaient le seul élé¬ ment sur lequel une tentative de réconciliation eût pu s'appuyer. Et qu'en a-t-on retiré ? Qu'en février 1887, alors que l'Alle¬ magne tout entière se laissait intimider et envoyait au Reichstag le cartel bismarckien, TAlsace-Lorraine n'élut que des Français décidés, et écarta tout ceux qui étaient suspects des moindres sympathies allemandes. Ainsi, si les Alsaciens sont ce qu'ils sont, avons-nous le droit de nous en irriter ? Nullement. Leur antipathie à l'égard de l'an¬ nexion est un fait historique qui ne saurait être aboli, mais réclame une explication. Et là, nous devons nous demander : combien de fautes historiques énormes, l'Allemagne a-t-elle ■ dû commettre en Alsace pour que cet état d'esprit y fût possible ? Et quel aspect notre nouvel Empire allemand doit-il avair, vu de ^extérieur, si, après dix-sept ans de tentative de regermanisation, les Al¬ saciens sont unanimes à nous crier : faites-nous en grâce ? Avons- nous le droit de nous imaginer que deux campagnes heureuses et dix-sept années de dictature bismarckienne suffisent pour ef¬ facer tous les effets de la honteuse histoire de trois siècles ? V EDIFICATION ET STRUCTURE DU NOUVEL EMPIRE ALLEMAND Bismarck avait atteint son but. Son nouvel Empire prusso-alle- mand avait été proclamé à Versailles, dans la salle d'apparat de Louis XIV. La France était à ses pieds, désarmée. L'inso¬ lent Paris, auquel même lui n'avait pas osé toucher, avait été poussé par Thiers à l'insurrection de la Commune, puis abattu par les soldats de l'ex-armée impériale rentrant de captivité. Tous les philistins d'Europe admiraient Bismarck comme ils en avaient admiré le modèle, Louis-Bonaparte, dans les années cin¬ quante. Avec l'appui de la Russie, l'Allemagne était devenue la première puissance d'Europe, et toute la puissance de l'Alle¬ magne était entre les mains du dictateur Bismarck. Il s'agissait maintemant de savoir ce qu'il saurait faire de cette puissance. Si jusqu'alors il avait réalisé les plans d'unité des bourgeois, sans toutefois recourir aux moyens de la bourgeoisie, mais à des moyens bonapartistes, ce thème était maintenant passablement épuisé, il lui fallait faire des plans personnels, il lui fallait mon¬ trer les idées qu'il était capable de tirer de son propre fonds. Et cela devait se manifester par l'édification intérieure du nouvel Empire. La société allemande se compose de grands propriétaires fon¬ ciers, de paysans, de bourgeois, de classes moyennes et de tra¬ vailleurs, qui se groupent à leur tour en trois classes principales. La grande propriété foncière est entre les mains d'un petit nom¬ bre de magnats (en Silésie surtout) et d'un grand nombre de pro¬ priétaires moyens dont la densité est la plus élevée dans les pro¬ vinces de la vieille Prusse, à l'est de l'Elbe. Ce sont donc ces junkers prussiens qui dominent plus ou moins toute cette classe. LE ROLE DE LA VIOLENCE DANS L'HISTOIRE 85 Ils sont eux-mêmes agriculteurs dans la mesure où ils font en ma¬ jeure partie exploiter leurs biens par des gérants, et, à côté, ils sont souvent possesseurs de distilleries et de sucreries. Leur pro¬ priété, là où cela a pu se faire, est attachée à la famille sous forme de majorât. Les fils cadets entrent à l'armée ou dans l'ad¬ ministration civile; ainsi, de cette petite noblesse foncière, dé¬ pend une noblesse plus petite encore d'officiers et d'employés, qui, en outre, s'accroît encore par l'anoblissement à outrance des officiers supérieurs et des hauts employés bourgeois. A la limite inférieure de toute cette clique noble se forme, tout natu¬ rellement, une noblesse de parasites, un prolétariat de nobles pique- assiettes qui vit de dettes, de jeu louche, d'indiscrétions, de men¬ dicité et d'espionnage politique. L'ensemble de cette société cons¬ titue le monde des junkers prussiens, et elle est l'un des meilleurs appuis du vieil Etat de Prusse. Mais le noyau propriétaire foncier de ce monde de junkers repose quant à lui sur une faible base. L'obligation dans laquélle ils se trouvent de garder leur rang est chaque jour plus dispendieuse ; pour entretenir les fils cadets jus- relies à ce propos. Pas de résultats pour Bismarck. 1872. 14 mai. — Le cardinal Hohenlohe n'est pas accepté par le pape comme ambassadeur. Bismarck : « Nous n'irons pas à Canossa ! » 4 juillet. — Loi contre les jésuites. Limites de séjour pour les Jésuites allemands. 1873. Lois de mai. — La Chambre prussienne apporte au gouvernement des additions à l'article de la Constitution qui protège l'Eglise î Contre : de nombreux conservateurs, le Centre, et une fraction du Partr progres¬ siste. A la Chambre des seigneurs, Bismarck très violemment pour les lois de mai contre les conservateurs. 11 mai. — Mise en vigueur (des lois de mai). Virchow et les conservateurs déclarent maintenant qu'ils soutiendront le gouvernement dans ce Kul- turkarnpf. En même temps, échec misérable des vieux catholiques et des catho¬ liques d'Etat. Résistance des évêques. Impossibilité de garnir les postes vacants, d'où ; 100 LE ROLE DE LA VIOLENCE DANS L'HISTOIRE 1874. — Lois sur les évêchés, le gouvernement en est pour sa peine. 15 avril, — Loi d'expatriation, adoptée par le Reichstag contre prêtres internés récalcitrants. Même des progressistes étaient pour / .13 juin. — Kullmann enlève à Bismarck ce qui lui reste de bon sens. Chicanes policières contre les associations, la presse, etc. Malgré cela, délégués pontificaux secrets dans les diocèses abandonnés : tout le monde leur obéit. Les évêques refusent les amendes ; ils ne paient pas. 1875. — Loi prussienne prohibitive contre les prêtres récalcitrants. Bis¬ marck déclare qu'il n'y a que deux partis : celui qui accepte 1 Etat ; celui qui ne l'accepte pas. La suppression des paragraphes 15, 16, 18 de la Constitution prussienne est acceptée. Par là, les Eglises protestantes cèdent devant l Etat ; elles seulement : les autres se défendent. 31 mai. — La loi sur la dissolution des ordres est promulguée. Ce qui achève l'instrument. A partir de ce moment-là, Bismarck est sur la défen¬ sive. Plusieurs évêchés vacants sent pauvres ; lès catholiques tiennent bon9 le gouvernement doit très souvent fermer les veux. 1875. Eté. — Marpingen. 1877. — Falk devient chancelant. Mais Virchow est toujours pour le Kulturkamp}. Dans les synodes protestants, la tendance piétiste ortho¬ doxe prédomine ; elle est soutenue par Guillaume ; même parmi les con= servateurs, figurent des ennemis du Kulturk.ampj. 1879. — Le Centre dans la majorité gouvernementale. — Falk tombe à la fin du mois de juin. — En 1878, le pape est mort, Léon, son suc¬ cesseur, est plus pacifique ; on traite ; en juillet 1878, le nonce aposto¬ lique Marsella a une entrevue avec Bismarck à Kissingen ; mais la lutte se poursuit entre le Centre et Falk : le Centre serait un parti politique avec des principes politiques. Vient l'alliance de protection douanière; Fal'k tombe. A sa place, Putty ; une autre politique commence. En automne 1879, négociations entre ^Bismarck et Giacobbini ; sans succès. Mais Putty continue sa politique de douceur ; il l'adoucit encore. Réélection du Landtag en octobre 1879. Fort déplacement de partis. Les libéraux perdent 88 sièges sur les conservateurs. 1880. 24 février. — Le pape cède sur un point de détail à propos du « devoir de notification » ; par contre, le gouvernement demande au Landtag la permission de ne pas appliquer les lois de mai... 1881. Automne. — Nouvelles concessions du gouvernement pour préparer les élections au Reichstag. LE ROLE DE LA VIOLENCE DANS L'HISTOIRE 101 1881. Nov. — Au nouveau Reichstag, un homme du Centre passe comme premier vice-président contre des libéraux. Bismarck s'appuie sur le Centre et flatte à nouveau le Vatican. 1882. Janvier. — Landtag prussien. Nouvelles propositions de désarme¬ ment du gouvernement... Suppression des prêtres d'Etat (c'est vulgaire) et de l'examen de culte. 1883. Eté. — Nouvelle concession du gouvernement. Après n'avoir rien pu obtenir de la curie, le gouvernement se fait mettre en minorité, à cause de sa loi sur l'Eglise, par le Centre et par les conservateurs ; il déclare que si Rome ne s'en contente pas, on rejettera complètement le (i devoir de notijication ». Par contre, le pape autorise les évêques à demander pour leurs nouveaux prêtres la dispense du gouvernement relative à leur préparation. En automne... Les garanties d'Etat rétablies à Cologne ; ainsi la loi n'est plus appliquée qu'en Posnanie. Il ne reste du Kultur^ampf que des persécutions contre les Polonais1 ». I. Les notes s'interrompent ici. Bernstein a édité de plus I esquisse de plan de Engels qui suit, destinée sans doute au dernier chapitre. 1. — Trois classes Deux classes, pouilleuses dont l'une en décadence et l'autre prospère, et la classe ouvrière, qui ne veut que le fairplay bourge-us. Par conséquent, louvoyer entre ces deux dernières classes... mais non! Politique : !. Renforcer le pouvoir d'Etat et surtout le rendre financièrement indé¬ pendant (nationalisation des chemins de fer monopoles) ; de même pour la police d'Etat et la justice de droit civil. Etre « libéral » et « national », la double nature de 1848, passe aussi dans l'Allemagne de 70/80 Bismarck devait s'appuyer sur le Reichstag et sur le peuple ; pour cela nécessité de l'entière liberté de presse, de parole, de réunion et associa¬ tion. ne fût-ce que pour l'orientation. Il 1. Edification. a) Du point de vue économique, déjà une mauvaise loi monétaire. b) Du point de vue politique. Rétablissement de l'Etat policier et lois de justice anti-civiles, mauvaises copies des lois françaises. Indéterminations dans le domaine cfu droit civil. La Cour de justice d'Empire en est l'achè¬ vement. 2. Manque d'idées prouvé par des enfantillages dans le Kullurkamp). Le curé catholique placé sous l'autorité du gendarme et du policier, et offense à Bismarck. Allégresse de la bourgeoisie — désespoir. Vers Canossa. Parti Bismarck sans phrase. Seul résultat raisonnable : le mariage civil ! 1 V LE ROLE DE LA VIOLENCE DANS L'HISTOIRE 103 3. Escroquerie el krach. Sa participation. Pouillerie des junkers conser¬ vateurs, aussi infâmes que les bourgeois. 4. 11 se transforme complètement en junker. a) Douane de protection. Condition des bourgeois et des junkers ; ceux- ci ont la part du lion. b) 1 entatives de faire un monopole du tabac. c) Escroquerie coloniale. 5. Politique sociale à la Bonaparte. a) Loi contre les socialistes; les associations et les ^caisses ouvrières écrasées. b) Petites réformes sociales. III 6. Politique extéiieure. Danger de guerre. Effet des annexions. Augmentation des effectifs de I armée. Service de sept ans. Une fois le temps fini, retour aux classes d avant 70 pour assurer la supériorité quelques années encore. IV. — Résultat : a) Une situation qui se termine avec la mort de deux hommes ; pas d'Empire sans empereur ! Le prolétariat poussé à la révolution. Expansion de la social-démocratie, comme jamais auparavant, une fois la loi sur les socialistes supprimée. — Le chaos. b) Une paix pire que la guerre, comme résultat de tout cela... dans le meilleur cas. ou encore une guerre mondiale. TABLE DES MATIÈRES Note de l'éditeur 3 LE ROLE DE LA VIOLENCE DANS L'HISTOIRE Chapitre premier 9 Chapitre II 17 Chapitre III 26 VIOLENCE ET ECONOMIE DANS L'ETABLISSEMENT DU NOUVEL EMPIRE ALLEMAND I. — Aspirations à 1 unité et chances d'unité jusque vers 1860.. 38 II. — La « mission allemande « de la Prusse, la Ligue nationale et Bismarck 51 III. — La réalisation : 1870-71 67 IV. — L'annexion de l'Alsace-Lorraine 77 V. — Edification et structure du nouvel Empire allemand 84 Faits et dates •• 99 Plan 102 Office professionnel du Livre : N° 11.0312. Numéro d'éditeur : 43 Imprimerie Comte-J acquêt. — Bar-le-Duc. MARCEL CACHIN L'auteur présente dans cette plaquette un panorama lumineux de l'histoire de la pensée humaine. Une plaquette in-16 raisin de 64 pages 21 fr. BENOIT FRACHON Secrétaire Général de la C. G. T. Préface de GASTON MONMOUSSEAU Secrétaire de la G. G. T. « Produire, c'est la clé du relèvement français » Dans ces pages vigoureuses, le Secrétaire Général de la C. G. T. affirme la volonté de la classe ouvrière française de prendre une part décisive à la reconstruction du pays. Un volume in-16 double-couronne de 240 pages 80 fr. JEAN FONTEYNE Avocat à la Cour d'Appel de Bruxelles L'auteur qui a une connaissance approfondie de la vie et de la loi soviétiques expose avec clarté les bases du système juridique et du droit en U. R. S. S. Un volume in-16 double-couronne de 104 pages. 40 fr. 1 2.— NF