LES TERRASSES DE LOURMARIN — VII NOËL VESPER L'IMPASSE MÉTAPHYSIQUE LYON IMPRIMERIE DES « TERRASSES » Rue Davout, 3 i 9 2 3 1 " -1"' );• ■" ï . ■ L'IMPASSE METAPHYSIQUE En dépit de la voix haute et salu¬ taire des lois de gradation qui pé¬ nètrent si vivement toute chose sur la terre et dans le ciel, des efforts insensés furent faits pour établit- une démocratie universelle. Edhji» Poe. (Dialogue entre Monos et Una). Xj irons-nous les philosophes, Apollonius ?.. Vous en avez lu et c'est pourquoi je vous entendis ce matin vous exclamer ainsi : que vous étiez fatigué de cette éternelle balance ou de cette dispute non moins éternelle entre les solutions toujours antinomiques de la philosophie. Les métaphysiciens, selon vous, sont remplis de curieuses pensées; mais les systèmes philosophiques se¬ raient déconcertants s'il y avait par hasard une vérité. Les doctrines en réa¬ lité se raccordent à des tempéraments et il faut en juger comme on peut faire des écoles de peintres. La philosophie de la sorte, tantôt elle n'est qu'un art, tantôt elle n'est qu'un parti. Deux gen¬ res d'hommes s'y affrontent, encore les mêmes qui se heurtent dans la société, les mêmes dans la religion, les mêmes dans la politique et les mêmes dans la science ou dans les autres disciplines de l'esprit ; avouons-le si vous le voulez ! — Voilà pour vous la clef de la pensée. Subtil et simple, ô simple Apollo¬ nius, vous croyez donc qu'il existe des artistes de la vérité sans qu'il y ait une vérité ?.. N'est-ce pas suffisant de voir des philosophes, et de les voir même _ 7 — qui se trompent, pour qu'on puisse de leurs erreurs conclure sinon à la vérité, du moins à une légitime recherche signi- ficatrice de son objet, ce qui convient à toute science ? — Non ! les recherches des philosophes sont un jeu, vous l'as¬ surez, et les règles de l'Esthétique suffi¬ sent ici. Ce sont des mouvements de nature, l'exercice pur de la raison, et l'on doit en jouir ; mais quant à s'y passionner autrement que de bons athlètes au Stade ou des politiciens malins dans leurs Parlements, nous pourrions être dupes ! — Soit ! Apollo¬ nius, je réserve de vous répondre. Ac¬ ceptons d'introduire ici le principe des partis. Quelle habileté de dire aux phi¬ losophes : « Vous avez vos préférences et vos instincts, vos procédés, et vous tenez pour un régime ou pour l'autre. Voyez quels sont vos pareils : les poli- tiques, les poètes, les peintres! Vous êtes artistes, artisans et faiseurs de feux d'artifice !» — Je demande pour¬ tant qu'on soit précis et qu'avant d'im¬ poser à la Philosophie un régime assez funeste aux Etats, nous sachions en¬ tendre ce que c'est qu'un parti. Com¬ bien en voyez-vous dans la société et dans le gouvernement des peuples ? Les dénombrer, les spécifier, c'est peut- être arriver par une découverte peu commune aux racines métaphysiques de l'univers. Ainsi nous justifierons les philosophes d'une division plus radicale encore que vous ne l'estimez. Sans doute le catalogue des politiciens, qui nous offrent un compendium de nos sectes dans un étroit espace d'hémicycle, est assez varié, mais il ne semble pas qu'on s'y trompe, et par la simple mécanique des choses il se fait une extrême simpli- — 9 — fication qui ramène les variétés de l'hu¬ meur sociale à deux types ou deux ten¬ dances, opposés comme les pôles. Pra¬ tiquement ce qui est en vue dans les Assemblées c'est la Droite et la Gauche: parmi les tempéraments, cela fait les hommes de mouvement et les hommes de conservation. Il y a un entre-deux, or ses frontières sont liquides et flot¬ tantes, et comme c'est le lieu de ren¬ contre, en chaque parlement, des deux courants qui partent des extrêmes bords en bouillonnant, et viennent s'y assoupir, on a quelquefois appelé cela le marais. Cette obscurité de situation du Centre parlementaire pourrait bien ré¬ sulter autant du caractère pratique de son utilité, dont on le récompense mal selon la loi naturelle, que de la confu¬ sion des 'principes sous couleur de conci¬ liation, et de ce caractère nécessairement — 10 — ambigu des conciliateurs. Le Centre est en somme d'une psychologie pauvre, mais intéressante : équilibre, pondéra¬ tion, apaisement, somnolence peut- être, bonne et copieuse digestion, con¬ science vague des vraies idées, conscien¬ ce plus forte des intérêts, réactions de l'instinct social, règne de l'économique, on peut passer ainsi d'une hypostase à l'autre et on doit le considérer comme une série de dégradations... Mais en quel sens ? Celui qu'indique l'histoire ordinaire ou l'ordinaire mésaventure des parlements, dont la direction est constante sous n'importe quelle lati¬ tude, et, plus ou moins accélérée, il faut le dire, va vers la décomposition de la nature physique des Etats. C'est de la Droite à la Gauche. Analysons mieux : le centre va de la conservation sociale des situations, garantie de l'avenir des — 11 — individus, à la tolérance libérale pour les idées, sans distinction de celles qui menacent la société. Par le souci des situations, le Centre a quelque senti¬ ment de cette forte et salutaire doctri¬ ne des Fonctions, qui appartient à la Droite ; mais par l'esprit voltairien, il incline vers la Démagogie. Pourquoi ? c'est que l'esprit voltairien sous-entend l'équivalence des idées, et la Démago¬ gie sous-entend l'équivalence des va¬ leurs ou le nivellement. Ainsi trompé par lui-même, le plus conservateur (je veux dire mécaniquement et par sa position) des trois partis qui constituent le jeu démocratique, c'est lui qui amor¬ ce l'audace des novateurs quand il s'imagine la freiner. Ce penchant vers la Gauche, est-ce là le progrès naturel ? Nullement, car il est concevable que l'on peut espérer un redressement, le mot — 12 — est en effet de nos jours à la mode, et de la Gauche à la Droite une reconstitution de l'être social. A l'extrémité même du mouvement pur de l'Individualisme Ré¬ volutionnaire les hommes des Soviets, successivement au Marxisme, font pa¬ raître des principes d'autorité, teintés de barbarie orientale, tellement exclu¬ sifs que toute la masse oscille chez nous entre son goût ignoble pour la do¬ mestication et le vieux ressouvenir des libertés républicaines. Déjà en effet une élite hardie de royalistes se consacre à lui rappeler une autorité ancienne, amendée par un long usage, mieux habituée au gouvernement et moins anguleuse, et propose de lui redeman¬ der, comme aux meilleurs siècles fran¬ çais, l'octroi et la garantie de ces liber¬ tés les plus traditionnelles. Nos libertés sont là en effet. C'est alors que le Cen- tre (plus souple dans sa théorie des Situations et mieux instruit sur la véri¬ table économie des peuples ainsi que sur la meilleure économique qui leur convient : l'esprit de religion, épurateur des nourritures d'idées que les hommes ne se lasseront jamais d'exiger ; plus to¬ lérant envers les Classes, c'est-à-dire plus aristocratique et moins bourgeois), remplacera intellectuellement son faux- état d'esprit voltairien et se constituera une véritable culture, s'il entend lui aussi accéder à l'esprit nouveau. Nous sommes à ce point limite où l'indivi¬ dualisme libérateur déchaîné exclut la liberté raisonnable et forme un écho, mais terrifiant, à la nécessité d'un prin¬ cipe régulateur de la vie des hommes. De sorte que la loi du temps, à gauche comme à droite, mais d'une façon plus oppressive à gauche qu'à droite, c'est Y autorité. Vous voyez cela comme moi, Apollonius, mais à quoi nous aura servi ce long fléchissement des princi¬ pes de l'Extrême-Droite dans le Cen¬ tre, puis leur redressement automati¬ que à l'Extrême-Gauche qui en défor¬ me les images ? A nous en donner la plus claire conscience! A rendre la So¬ ciété certaine de l'infaillibilité de ses lois! L'Expérience, malgré le peu de méthode, a donc confirmé ce que la Nature avait établi. Après avoir de¬ mandé ses constitutions civiles à la Raison, le citoyen s'aperçoit qu'il en avait déjà reçu de la Nécessité. Et tou¬ tefois, dès lors, cette Nécessité nous paraît toute éclairée de raison ; sa rai¬ son surnaturelle nous en est révélée par notre obéissance même à ce qui est strictement naturel. Vous avez, Apollonius, en dépit de — 15 — la commune hypocrisie intellectuelle qui est la tare de notre temps, posé avec dilettantisme la question des par¬ tis pour les philosophes. Si la nécessité des partis répond à une sorte de consti¬ tution de l'univers, si par exemple l'uni¬ vers est fait soit par une combinaison, soit par un conflit de principes divisés, antagonistes un à un, si l'on y discerne l'antinomie fondamentale du mouve¬ ment et de la forme, l'instinct premier, la nature brute c'est d'opter aussitôt pour l'un ou pour l'autre et de céder à l'influence pour laquelle on est déter¬ miné, sans se demander si la nature supérieure, conforme à la nature divi¬ ne, ce n'est pas de tenter leur concilia¬ tion. L'opposition du mouvement et de la forme n'est que du second degré entre deux termes où ils se trouvent unis, en Dieu et dans l'être des choses ; — 16 — leur distinction n'est radicale que com¬ me principes, c'est pourquoi l'homme cède surtout à cette distinction dans ses doctrines, ses théories, ses opinions et ses sectes. Oui, Apollonius, on se divise sur les principes car les principes sont diviseurs par un côté autant que par l'autre ils sont constructeurs, et cela remonte à plus loin et plus haut que nous! Cette distinction des princi¬ pes a son point le plus virulent et le plus découvert dans la Politique, mais vous avez raison, elle est latente et mal dissimulée dans nos autres disciplines, telles que les religions, les sciences, les arts et jusqu'aux techniques ; nous n'avons plus qu'à être sincères! Notre vice d'ailleurs est mal caché, nul ne fait illusion, pas même en Sorbonne, aux Instituts, dans les Académies et les plus graves journaux, je n'en excepte — 17 — pas les laboratoires. Notre jeune litté¬ rature n'a plus que deux grands cou¬ rants, la conscience du mal social étreint tout! Examinons librement la métaphysique de nos divisions et devant quelle impasse elle nous tient arrêtés, même en tant que métaphysiciens. Quand donc, Apollonius, vous en¬ tendez montrer aux philosophes qu'ils sont de parti comme les politiciens, c'est que vous pensez à l'éternelle ba¬ lance, à l'éternelle dispute, selon vos termes, de l'esprit philosophique. En vérité les systèmes sont nombreux, autant que les groupes d'un parlement, et il n'est pas de génération qui ne pré¬ tende en apporter au moins un de nou¬ veau. La nôtre vous amuse, où nous en viendrons à nous jeter des syllogismes à la tête, comme thomistes, ou des illo- gismes, comme pragmatistes. — 18 — Fort bien ! mais l'unique et perpé¬ tuelle antinomie, le rythme universel d'opposition, comment le concevez- vous ? Spontanément entre deux ter¬ mes. Mouvement ou Forme, venons- nous de dire, et encore Force ou Intelli¬ gence, Evolution ou Identité, le Deve¬ nir ou l'Absolu, le Dieu qui devient de Renan ou le Dieu qui est du catholicis¬ me, et jusque dans la théologie avec les deux natures du Logos, à savoir l'hom¬ me élevé au dieu ou le dieu descendu à l'homme, comme dans la morale entre l'Individualisme et la Société ; on discerne ainsi dans le monde un conflit obstiné, toujours le même sous des vocables si différents, qui reçoit des clartés soudaines à la cime de ces mots, mais qui pour le reste tisse une trame obscure, tout au long et sur toute l'étendue de l'univers. Or c'est empor- — 19 — tés par ce conflit que les hommes et les siècles se croisent avec des regards de colère et de jalousie! Que veut observer la foule envieuse de ceux qui descen¬ dent ou qui montent ? Si dans les mains de ceux qui montent ou qui descendent il ne se trouverait pas enfin quelques brillantes parcelles du Vrai ! Considérons par suite que voilà les pôles contraires de la pensée, puisque la même sorte de rythme est perçue en toutes les activités humaines et en toutes les disciplines de l'esprit, puis¬ que la même dispute est partout enga¬ gée. Donc, Apollonius, si en apparence des vérités ennemies se balancent tou¬ jours à peu près pareillement groupées, polarisées autour de l'un ou l'autre de ces pôles, cela veut-il dire qu'il y a deux vérités, dont l'une par conséquent serait la contre-vérité, et l'autre seule — 20 — la vérité ? Ne serait-ce pas plutôt que pour constituer le vrai absolu en tant que nature vivante il importe d'unir ces deux types de vérités. En ce cas, comme elles sont séparées et que leur distinction est un fait, voyons Ventre- deux! Il existe nécessairement du fait de la distinction. Il existe, et l'on pour¬ ra toujours raisonner sur lui à peu près du même ton que nous avons fait sur l'entre-deux politique dans les parle¬ ments. Je ne m'amuse point, Apollo¬ nius, malgré votre air ébahi, tout au plus si je dessine un peu trop fortement, plutôt que d'affaiblir l'esprit du trait. Le bénéfice de votre mauvaise humeur contre les philosophes, c'est qu'en les ra¬ menant aux partis, aux arts et même à la diversité des tempéraments, vous avez indiqué la constante identité de nos ten¬ dances qui ne souffre pas du changement — 21 — de matière. Le déterminisme du philo¬ sophe, l'évolutionnisme transformiste du savant, le romantisme du poète, et le progressisme ou le l'évolutionnisme du démocrate, brassent et mélangent sous les noms barbares d'analogues frénésies de l'esprit. Sur leur ligne, échelonnons d'autres métaphysiques, d'autres sciences, d'autres esthétiques, d'autres théories sociales, voire des religions, il est facile de les ramener toutes, avec les premières prises pour types, à la préoccupation de la plus impersonnelle et de la plus élémentaire des conceptions intellectuelles, celle du Mouvement Pur, et par suite celle de l'Indéterminé. Oui ! l'homme qui croit aux atomes est parent de l'homme qui croit aux bulletins de vote, car ni l'un ni l'autre ne semblent s'étonner qu'une somme d'impersonnalités puissent cons- —- 22 — tituer un monde ou un Etat. Leibniz sentant la difficulté des atomes du type mécanique leur substituait les monades, unités organiques et personnelles du type spirituel. Nous aurions de même à opposer aux faux êtres de raison de nos mythologues modernes des unités so¬ ciales réelles, comme la famille, les associations, les groupements, les mé¬ tiers et les régions, unités organiques et réelles,véritables êtres spirituels. Quant au théoricien de l'évolution intégrale qui tient la forme pour un accident occasion¬ nel, un épiphénomène de la force ou de l'universel mouvement générateur, et qui change les unités de matière en unités dynamiques, qu'il fasse cette correction, il en reste toujours à la science pauvre des éléments simples, nus et inconscients, principes peu cer¬ tains d'une réalité qui est multiple, — 23 — complexe, riche, savoureuse, nuancée, formelle, toute en aspects, en figures, en intentions et en personnalités. Pour juger de la substance première et fon¬ damentale d'un tel univers, que vient- on ici nous parler de dissociation ou d'analyse, de faire tomber une à une toutes les qualités qui composent un corps dans le dessein d'arriver à l'être pur, à l'essence même ? Ne serait-ce pas une identique aberration, qui au mépris des plus réelles de nos qualités sociales nous réduisit à la seule qualité civile de l'électeur, et pourquoi? sinon pour ra¬ mener l'homme à l'universalité théori¬ que du citoyen! Vous ne vous attendiez pas nécessairement à ce que je délimite ainsi cette solidarité que vous laissiez entendre, Apollonius, quand vous par¬ liez de partis et de tempéraments chez les philosophes. Il est, je le répète, inu- — 24 — tile de s'illusionner et de chercher à s'en imposer mutuellement : une politique de gauche a son expression, ses fonde¬ ments ou ses étais dans une philosophie, une esthétique, une religion, une scien¬ ce même qui sont de la Gauche. Le vrai bénéfice de votre mauvaise humeur devient donc qu'il n'est pas ridicule de raisonner de la philosophie comme nous avons dû raisonner de la politique. Ah ! le goût de l'inorganique, du nébuleux, de l'indéterminé, si naturel aux têtes germaniques ! ah ! la tyrannie si peu tempérée du nombre, le nivellement, l'écrasement des valeurs et le piétine¬ ment de l'individu libre par le troupeau enivré ! ah ! l'instrument parfait de la servitude mutuelle, l'Egalité ! ah 1 l'odieux besoin de faire bloc et de tour¬ ner en masse aveugle un parti, qui puisse rouler sur sa propre pente en — 25 — tout bousculant ! ah ! ces misères déjà tant décriées, mais non désavouées suf¬ fisamment, ces misères et d'autres, que la Démocratie sent toujours gronder dans ses flancs, elles résultent d'une longue débauche de l'esprit ; mais sans regard pour ses propres maux et leur causes, fille docile de l'impulsion irrai¬ sonnée, la Démocratie ranime, excite et prolonge encore cette débauche qui la tuera... Ainsi tout un parti d'hommes tient l'un de nos pôles métaphysiques. Les beaux vocables, illustres, n'y manquent point. Là, on prétend posséder la vraie méthode pour arriver jusqu'à la nature générale des choses, qu'on appelle l'Es¬ sence... Là, le sens de l'Universalité croit inspirer des recherches comme celles d'une organisation uniforme, l'in¬ ternationalisme européen... Là, cette 3 — 26 — préoccupation de ne rien négliger de l'élan vital, du mouvement qu'on sup¬ pose générateur par nature, précipite et dérègle le rythme de l'esprit autant que celui de la société... Là, cette ob¬ session du Progrès conduit enfin à une extrême simplification de l'Intelligence et de la Vie... Mais la fièvre du délire intellectuel et politique, où jette la notion mystique du Mouvement; le tumulte désordonné des mots, et leurs romantiques excès, maintiennent ces sectateurs aveuglés dans l'illusion qu'ils ont enrichi prodigieusement l'existen¬ ce ! Mais ils se flattent de la concor¬ dance de leur thèse révolutionnaire (qui réduit l'homme à son point le plus abs¬ trait, en croyant retrouver de la sorte l'homme universel) avec une science qui, par l'Analyse, opère de même façon que leur Idéologie pour arriver à — 27 — l'universalité première des corps, et de ce fait ils estiment qu'ils possèdent l'infaillibilité de la Raison ; ils se met¬ tent donc à reconstruire sur un certain élément pur de l'homme des gouverne¬ ments qu'ils jugent raisonnables ! Ainsi la folle succession, l'instabilité de ces constructions chimériques, de ces légis¬ lations qui chancellent à peine mises sur pied (et maintenues, constamment galvanisées à coup de décrets), cette dissolution perpétuelle de l'Etat uni¬ quement corrigée par la vitalité encore abondante du peuple, les persuadent donc qu'ils ont seuls le secret de l'évo¬ lution et du rajeunissement des sociétés ! Apollonius, j'estime ces gens néces¬ saires, autant qu'un peu d'inquiétude et de mobilité le sont à l'homme, mais il est regrettable qu'ils réussissent à dominer. La nature leur fixe ouverte- — 28 — ment un rôle secondaire, un état d'obé¬ dience où leur mouvement puisse être réglé, car ce n'est qu'une illusion d'un siècle de machines et de verbiage, l'âge de Mercure, de se suffire du mouvement comme vie ! De leur côté, c'est l'impasse : le mouvement pour le mouvement ne conduit pas, comme il semble, à l'illi¬ mité, à l'ouverture des horizons, à la perpétuelle nouveauté des choses, des êtres, des principes, des idées, aux sources vierges de l'invention, aux lar¬ ges ondulations des moissons lourdes et florissantes. Le type métaphysique simple de ce mouvement est la circula¬ rité ; c'est ce qui explique son détermi¬ nisme. C'est ce qui implique l'ordinaire notion du circulus des existences, du vase clos, de l'univers fermé. Mais cela fait en somme du piétinement ! Cela — 29 — mène à la suspicion profonde des nou¬ veautés les plus réelles, et comme l'ins¬ tinct guide, à l'applaudissement trom¬ peur des nouveautés les plus superfi¬ cielles qui ne déplacent rien qu'un peu de tumulte et nous dupent sur le résul¬ tat. Enfin c'est à nous, traditionnalistes, qu'on reprochera d'être sages, car l'ou¬ trance puérile, et si aisée, si courte, à de tels esprits paraît nécessairement de la hardiesse ? Mais comment donc se fait-il que ce soit nous qu'ils affectent de traiter en enfants terribles ? Som¬ mes-nous donc les vrais risque-tout? Jusque-là qu'ils portent le goût de la confusion !.. Leur esprit est affaibli et chez eux la peur des distinctions fondamentales dans l'être se dissimule mal sous l'auto¬ rité des termes. L'unité la plus mécani¬ que, dont l'obscur désir végète en ces — 30 — systèmes, est aussi la plus opprimante, celle de l'uniformité. L'égalité civile en est un équivalent. Rien ne se détermine donc plus que par lui-même! Un confor¬ misme atroce s'étend de la société jus¬ qu'aux principes du monde, et l'Imper¬ sonnel règne au cœur de l'Univers, où l'on est venu surprendre, étouffer les Gémeaux illustres : l'Invention et la Liberté. L'Absolu Primordial, l'Irréa¬ lité, dont le fantôme a tellement hanté les brumes du nord, planerait, hélas ! sur l'ordre latin qui l'a toujours écarté ! Eh bien ! Apollonius, si les systè¬ mes politiques ont une métaphysique particulière, quelques races peuvent aussi avoir la leur... En ce cas, l'équi¬ valent nationaliste du mouvement pur nous le nommerons l'Invasion et nous surveillerons les peuples qui ont ce pen¬ chant de l'esprit et qui n'en font point — 31 — mystère. Us l'avouent si on sait les lire. Nations du mouvement ou de la possibi¬ lité indéfinie, vertige du Possible, et nations de la forme ou mères des Lois, il faudra toujours que vous vous affron¬ tiez ; le décret en paraît éternel ! O Pallas ! c'est ici qu'il faut t'invo- quer, sainte architecture de la Cité selon l'ordre mesuré de l'Harmonie ! Et toi, Rome, qui, passant à l'empire, dus enfermer la souple essence de cet esprit constructeur dans la matière dure du Droit ! La Chrétienté ne perdit rien d'abord de cet ordre qu'elle ne cessa de présenter aux peuples, mais exalté ? Exalté juste au point miracu¬ leux où rien de la mesure parfaite, de l'équilibre achevé, ne se rompît ! Apollonius, d'un pôle de la pensée à l'autre, quelle différence, et quels abîmes, si nous ne trouvions pas la — 32 — communication, l'entre-deux ! Pallas, Rome, la Chrétienté, triple face de la Nature, nous ont découvert celui-ci. L'entre-deux salutaire, c'est la nature exacte des choses, c'est exactement l'in¬ terprétation de l'ordre naturel, et son expérience transportée à l'ordre hu¬ main. A la notion métaphysique du Mou¬ vement Pur, tendant au déterminisme de l'Absolu Primordial, et nous jetant, nous versant dans l'Irréalité, l'esprit philosophique opposera d'abord d'ins¬ tinct la notion non moins absolue de l'Intelligence ou plutôt de la Raison Formelle. Aux. systèmes mécaniques de la première feront face les systèmes intellectuelles ou rationalistes. Ni d'une part ni de l'autre on ne peut éviter la détermination totale de l'univers. Si le monde n'est pas pensé, le fait pur ne — 33 — laisse pas sortir de la répétition indé¬ finie et tout le nouveau, tout le réel à venir est exclu! Si le monde est totale¬ ment pensé, toutes les possibilités ont déjà l'être dans cette pensée, et ce n'est plus que leur projection successive, le fiât divin, qui fait le temps et sa nou¬ veauté ! Les doctrines du Mouvement Pur nous laissent en face du Mécanisme ou de la Force ; faudra-t-il craindre que les doctrines intellectualistes nous arrêtent au Conceptualisme, c'est-à-dire au mé¬ canisme abstrait de l'Intelligence ? Qu'est-ce qui soulève cette hosti¬ lité, dont souffre toute la philosophie depuis les premiers temps connus de la pensée entre ces tendances sans issue ? Et d'où vient leur incapacité égale ?.. Ne dirons-nous pas que l'une et l'autre s'excluent en ce qu'elles ont surtout le — 34 — tort de poser comme substances pures, comme essences et principes exclusifs, l'une la Force, l'autre l'Intelligence ? Mais puisqu'elles le font, reconnais¬ sons-leur cette utilité, presque souve¬ raine par leur véhémence même, par le bruit de leur constante dispute, de nous empêcher d'oublier que la Force et l'Intelligence sont proclamées organes de la constitution des choses, qualités premières et fondamentales du Cos¬ mos ! Sans doute on les proclame tour à tour et non point à la fois, mais cette erreur de méthode peut être vaincue. La thèse de l'Intelligence pure amè¬ ne les philosophes à ceci qu'on attri¬ buera nécessairement à la plus pure des opérations de l'intelligence la faculté d'expression totale, et cette faculté d'expression deviendra faculté de com¬ munication, c'est-à-dire que par elle et — 35 — même en elle le réel sera donné, le pro¬ cédé de la connaissance deviendra l'ob¬ jet de la connaissance. Or la plus abstraite des opérations de l'intelligen¬ ce semble le Concept. Hegel construisit sur le Concept sa théorie des Contradic¬ toires. Je ne suis pas éloigné, mon cher Apollonius, de sentir parfois comme Hegel, mais il a le tort pour donner une description si complète de la Réalité de décrire uniquement l'activité propre de l'esprit, encore choisit-il, la plus vigou¬ reuse il est vrai, toutefois la plus rigide. Je ne vous ferai pas l'offense de recom¬ mencer la critique commune du Con- ceptualisme. Mais si la critique vaut sur le point où elle nie que le Concept soit un organe suffisant de récupération du réel (car il ne peut en communiquer justement que ce qu'il y a déjà en celui-ci d'intelligible, donc sa partie — 36 — d'intelligence pure) pourquoi m'inter- dirait-on en ce cas de connaître seule¬ ment par l'intelligence pure ce qu'il y a seulement de l'intelligence pure en cha¬ que réalité ? Cependant, assure l'Intel¬ lectualiste, l'intelligence pénètre ab¬ solument toutes les parties de la réalité dans une réalité qui est pensée par l'Absolu. La pensée devient donc la substance réelle, et pour récupérer le réel dans son exacte constitution, il suffit de s'en remettre à l'opération la plus essentielle de la pensée, qui est le Concept, et nous voilà au rouet !.. Bien penser, par conséquent, sera le principe conditionnel de toute science, et même des sciences, autant que de bien obser¬ ver, car sans l'un l'autre tombe à rien! Bien penser, mais plutôt penser selon la logique, être maître du mouvement de l'esprit, connaître exactement les for- — 37 — mes invariables, innées de l'intelligence, et ramener les phénomènes, les acci¬ dents, la nature ondoyante des êtres et des choses, à ces formes qui font venir à elles toute réalité! Ailleurs on cher¬ chait la généralité, l'universalité, en poussant l'analyse de l'univers matériel jusqu'à l'identité de ses éléments cons¬ titutifs ! Ici, on en cherche une autre en poussant l'analyse de l'Intelligence jus¬ qu'aux formes logiques, c'est-à-dire matérielles, du mécanisme intellectuel, mais ce n'est pas là l'Intelligence, ô Apollonius ! L'Intelligence, prise en elle-même, est une nature, et, prise en dehors d'elle, c'est-à-dire dans les au¬ tres natures, elle est une qualité de la nature des choses. Il faudrait l'étudier de la sorte et ne jamais glisser à l'er¬ reur, là où elle n'est que partie, d'en faire la nature absolue. 4 — 38 — Autour de l'Intelligence considérée ainsi par excès comme la nature abso¬ lue des choses, quel parti d'hommes et de doctrines peut-on grouper ? Vous penseriez, Apollonius, aussitôt à la théorie des idées innées ; à celle de la fixité, de l'immutabilité des espèces ; à la scolastique fameuse pour son goût des syllogismes ; à la science des à-priori et des hypothèses, soi-disant celle d'avant Bacon. Un esprit moins renou¬ velé, moins averti que le vôtre, porte¬ rait ici sur son catalogue, en politique la théorie du droit divin, en littérature la règle des trois unités, en art la com¬ position. Mais remarquez qu'à cette Droite de l'esprit humain le sens des distinctions n'est même pas affaibli. On parlera difficilement, comme pour la Gauche, d'uniformité. Ce n'est pas un mérite négligeable ! L'univers ne se — 39 — trouve pas aboli à force de nivellements ! La réalité n'est pas exténuée à force d'analyses! La vertu de l'Intelligence est telle que même en opérant sur ce qu'elle a de plus abstrait, elle laisse intactes les formes les plus caractéri¬ sées! L'innéité des idées a fixé par exemple la transcendance de la raison dont l'empirisme le plus radical ne sau¬ rait se passer s'il faut expliquer la com¬ munication des idées, leur adéquation aux esprits les plus divers, c'est-à-dire leur circulation facile parmi les hommes d'un même niveau encore que de races différentes, et peut-être aussi l'autorité intrinsèque de notions qui dépasseraient l'expérience commune... L'immutabilité des espèces peut suggérer d'une part une doctrine des types vitaux représenta¬ tifs, en la substituant dans la science à l'obsession des méthodes analytiques, — 40 — qui trop facilement dissocient, désorga¬ nisent la réalité individuelle pour n'en donner que des éléments impersonnels, réversibles à la limite en toutes sortes de réalités ; et d'autre part elle souligne la formidable indication de la sexualité, si l'Amour répugnant à se dérégler obéit plus scrupuleusement aux formes par le charme et l'attrait, qu'il ne cède encore aux aiguillons du seul stupre qui pourrait l'entraîner vers les pires accou¬ plements... Reconnaissons encore que le syllogisme est inévitable, inclus en tout raisonnement et tout jugement ; on en écrit toujours, et partout, mais de moins organisés. La Scolastique fit un peu en son temps de l'Art pour l'Art, comme la fin du dix-neuvième siècle, mais son malheur était de le faire sur l'art de penser et même de considérer que penser ne fut qu'un art. Le vers, — 41 — Apollonius, peut quelquefois venir à nous les mains vides, si son visage est beau, si son avance est agréable ; on applaudissait aussi, dans la première ferveur de l'Ecole, à un syllogisme bien fait. Eh bien ! n'en sourions que tout juste si nous sommes sûrs d'avoir l'es¬ prit souple, vigoureux, parfaitement maître de ses rouages, et si nous l'avons de telle sorte en France, rendons-en grâce bien certainement à cette exces¬ sive préparation! Quant aux Hypothè¬ ses, le bénéfice de leur stimulation est sans doute aussi considérable que les retards et les égarements dont elles sont accusées ; admettons peut-être qu'en réussissant quelquefois dans de certaines conditions bien raisonnées qui excluent la coïncidence, elles permet¬ tent de croire à l'harmonie préétablie entre la réalité et l'intelligence... Enfin . — 42 — la composition dans les arts empêchera l'Art de se dissoudre. On glissait de nos jours à l'inorganique, à force de faire de la sensation directe. Eh! je l'espère, si les parfums, les couleurs et les sons se répondent dans une prodigieuse et retentissante unité, ces correspondan¬ ces utiles vérifiées, on va revenir aux espèces. Les compromis, et les inter¬ férences, les transfusions, morbidités chères aux symbolistes, subtiles florai¬ sons extrêmes du Mouvement Pur indif¬ férent à la distinction des formes ou des essences et prétendant fluer en toutes, sèchent déjà dans de littéraires her¬ biers.. .Voici maintenant la règle des trois unités classiques ! Il faut bien au moins que toute œuvre ait son unité : on n'en proclame trois que pour mieux affirmer la seule nécessaire, l'unité d'action ; ainsi, pour des choses plus hautes, par- — 43 — mi les trois vertus théologales, la Foi, l'Espérance ont à confirmer la Charité. Enfin, Apollonius — mais aborderai-je ici sans trembler ? — enfin l'autorité de droit divin qu'est-ce donc, l'incroyable, qu'elle entend légitimer ? Je crois que c'est simplement la croissance naturelle de l'autorité parmi les hommes, laquel¬ le chose est inévitable en dépit de toute démocratie, puisque la démocratie n'en excepte pas. L'observation empirique note aussi la lente germination du droit dans la force, ou dans la coutume qui est la force des choses. Les railleurs de la philosophie du trône, s'ils se gaus¬ sent du droit divin que parlent-ils en¬ core de la primauté du droit ? Le Droit n'a pas des commencements toujours si sûrs, ni si logiques ! Il suffit, vous le voyez, Apollonius? de baisser de bien peu les excès logi- ques du Rationalisme conceptualiste pour nous trouver à niveau avec la na¬ ture. A gauche, nous n'avions pas un égal bonheur ; la nature nous fuyait. En réalité, c'étaient nos doctrines qui nous versaient dans l'idéologie. Cepen¬ dant à droite nous l'avons trop figée. D'une part, l'extrême Indétermination; de l'autre, Distinction extrême à la limite, invariable ! L'Irréalité pure au bout de l'Idéologie, l'Idéalité pure au terme du réalisme intellectuel! Le mou¬ vement pur, si matériel dans son essen¬ ce mécanique, n'aspire à régner que dans le champ libre et nu de l'abstrac¬ tion idéologique, car tout mécanisme conclut à l'Impersonnel. La forme pure, ou transcendance de la Raison pure, c'est l'autre pôle de la pensée; balance¬ rons-nous longtemps encore entre les deux ? L'un nous arrête à une substan- — 45 — ce générale uniforme, à Vabstraction continue de tout l'univers ; l'autre ne donne qu'une réalité abstraite et par suite invariable à chacun des types de la Réalité universelle. Le Déterministe tend à tout impersonnaliser, le Ration- naliste à tout unipersonnaliser. Sauvons la personnalité multiforme du monde, Apollonius ! essayons de raisonner sur l'entre-deux, s'il s'en trouve un qui cor¬ responde à l'exacte nature des choses ! Mais le centre de l'esprit humain n'a pas son équivalence et son parfait sym¬ bole dans l'agglomérat politique qui occupe le centre de nos Assemblées. Cessons le jeu, Apollonius ; ici il ne nous servirait plus de rien. La seule correspondance à retenir est celle-ci : analogue au fameux glissement parle¬ mentaire vers la Gauche qui fait pen¬ cher jusqu'aux monarchies, il se cons- — 46 — tate à travers la zone moyenne des esprits un affaissement continu, un dé¬ calage accéléré, une série de dégrada¬ tions des thèses conceptualistes, et cela dans le sens du Mécanisme dynamique ou matériel. Si le redressement prévu en politique doit s'opérer également dans la philosophie, comme il le sem¬ ble, c'est que nous finissons, à force d'avoir approché l'Indéterminé, de l'avoir même hanté familièrement, par pressentir la nature plus organique de l'ensemble des choses dont est fait l'Ab¬ solu Réel. Toutefois les excès révolu¬ tionnaires de la métaphysique nous auront un peu dégelés. Il est vrai que ce prurit de mouvement pur aboutissait par sa propre logique à l'instauration pure de l'inertie, mais notre attention est maintenant fixée sur la qualité du mouvement qu'il convient d'accorder à — 47 — la nature des choses, et nous éviterons de l'abstraire d'abord de cette nature. Ainsi le versant tout dru, tout physi¬ que, dans les cadres de l'Absolu formel que l'Intelligence tenait préparés, nous rendrons ces cadres élastiques, et il nous paraîtra que les formes de l'esprit sont actives, volontaires et par suite modi¬ fiables sans que s'altère pour cela la nature de l'esprit. Il faudra donc ou¬ vrir le chemin et déclarer que l'Intelli¬ gence et la Force, unies, combinées, inséparables, soudées, imbriquées l'une dans l'autre comme les qualités mêmes d'un corps, forment une nature. Une Nature ? Donc une réalité donnée, cer¬ taine, organique. Oserait-on, dites, éta¬ blir une psychologie de l'Absolu ?.. Com¬ poser l'Absolu, l'esprit humain semble l'avoir décidé, c'est le mettre en débris et c'est livrer l'Univers à la relativité. Alors l'Impasse ? Et l'éternel dé¬ bat ? Et l'éternelle balance ? Et la fé¬ condité du monde toujours suspendue aux partis ?.. Apollonius, j'ai un apologue à vous proposer. L'adolescent Héraclès dor¬ mait à la croisée des chemins, quand il observa en s'éveillant, sur le bord des deux routes qui étaient devant lui, du côté gauche la figure fleurie de la Vo¬ lupté, à droite le visage irréprochable de la Vertu. Il allait, dans l'imprudente chaleur d'un jeune sang, se lever et bondir vers les grâces austères de la seconde déesse, lorsque le sommeil pe¬ sant, incontinent, le fit retomber. A son nouveau réveil, les deux Immortel¬ les l'attendaient encore, mais du côté gauche souriait maintenant le visage fleuri de la Vertu, et sur la droite il ne vit que la figure mystérieuse et sévère — 49 — de la Volupté. Etonné et fatigué du problème, doutant de ne point rêver, il remit d'aller consulter l'oracle... Qu'en eut-il appris, qu'il ne sût le lende¬ main quand il se décida à aimer ? Son jeune amour lui parut avoir les deux visages. Pratiquement, ô Apollonius, les an¬ tinomies les plus résistantes et les plus cruelles de la pensée, la vie de l'homme les a vaille que vaille toujours résolues... Ces à-peu-près empiriques ressemblent à l'amour du naïf Héraclès. Ils ne nous font point abandonner la nature. Ainsi le plaisir, s'il est séparé, conduit l'homme à l'énigmatique ennui, et l'excessive vertu se débauche elle- même dans sa propre volupté. Mais plaisir et vertu, si nous en croyons l'apologue, tour à tour graves ou sou¬ riants composent la forme de l'Amour 5 — 50 — vénérable et charmant... Puisque nous avons fini nos rêves, tels Hercule, seul le Réel est digne d'étreinte. Noël Vesper. ' y - 1 I V.* *+2t FASCICULES DEJA PARUS : N° I. L'Inquiétude Démocratique. N° II. Le Sophisme de la Compétence. N° III. L'Intempérance Théologique. N° IV. Le Sophisme Parlementaire. N° V. La Barque des Saintes. N° VI. L'Eloge de Carpentras. N° VII. L'Impasse Métaphysique. PRIX, I fr. 5o