BH8P AGUEDAL 193 8 3 MARCH ISIO 3rae Année - N° 3 Juillet 1938 SOM l. justinard René Guillot Rose Celli R.M.F Innocent X Gabriel Audisio José Benech Maurice Edgar Coindreau. . MAIRE LES PROPOS DU CHLEUH. La Panthère — Fleurs. Visages. Bergeries — Réveil. LES PROPOS DE L'INNOCENT. Le peuple maltais, sa résurrection, sa litté¬ rature. La Pâque juive à Marrakech. La vie de collège et le roman américain. CHRONIQUES LES LETTRES Chroirique-éclair Sélections et commentaire Yves Châtelain, Arthur Pellegrin, par Armand Guibert. — Jean Grenier, Ernst Erich Noth, par Michel Levante — Fernand Vanderem, Samuel Pepys, ^ par J. Braud — Louis Bertrand, par R. Lebel. — René Guillot, par Henri „ Bosco. Chronique marocaine Contacts, par G. Funk-Brentano. — Mé¬ mento. LES ARTS A propos de l'exposition Edy Legrand, par Michel Levante Albert Marquet en Suède, par M. M. Propos du Ckl e u k « Qui veut des préceptes„ qu'on lui en donne. En voilà chez moi : Ce n'est pas beau„ celui qui dit : Je l'emporte sur tout le monde Et je suis le meilleur de tous. Fut-il aussi beau que la lune, Eut-il des ailes pour monter au septième ciel Qu'il soit sans orgueil et ne dise pas : C'est par ma valeur. Il n'est pas malaisé à Dieu, ses ailes de les lui couper, Qu'il retombe sur la terre et soit comme un orphelin, Méprisé de ceux qu'il rencontre. Orgueilleux, écoute-moi bien ; L'orgueil est une fleur de Mars qui vient d'êclore. On la regarde, elle est belle, elle est épanouie. Dès qu'une semaine a tourné, elle est desséchée et flétrie. L'orgueil, quand Notre Seigneur en vit dans la mer, Il envoya le moucheron qui a bu la mer toute entière Et qui disait encore après\ '■ Je meurs de soif. Moi, je ne suis pas orgueilleux. Je suis dans le monde de Dieu, Si je vois un orgueilleux aller du côté du Sous, Moi, je vais du côté du, Gharb pour ne le voir ni qu'il me voie. » « Le roc est dur. Le désir y cherche à manger. Ce n'est pas a,vec du pisé que tu briseras le rocher. Tu perds ta peine à convoiter prendre les gens Avec le miel de ta parole. Une cuiller, dans une autre, elle n'a rien à puiser. » 170 « Le pain de sucre est le cadi du temps présent. Celui à qui on le donne, il vous fait un faux serment. » « Petite mouzouna (1), que ton pouvoir est grand. D'un coup sur la tête a,u cadi, tu l'étourdis. Il nie ce qui est évident. On lui parle de Taroudant. Il vous répond sur Tétouan. » « Jamais cours d'eau sans un peu, de vapeur, (ssïl) Jamais un mot sans un peu d'intérêt. (ttma) » « Ssil », c'est un léger brouillard qui flotte au-dessus de l'eau. « Ttmâ », c'est le mot arabe, la convoitise, l'intérêt. Façon discrète et jolie d'exprimer qu'il n'y a jamais de com¬ plet désintéressement. « En quoi sont de valeur égale, dites-le moi, toutes les femmes, ? Telle qu'a épousée' un tel, ô mon père, la mort vaut mieux. Même l'amande et le miel à son petit déjeuner, Tout ce qu'il mange est amer, il n'a qu'à la regarder. J'entends des cris le' jour du Jugement Dernier. Ouak ouak, c'est l'homme à deux femmes. On dit qu'il est condamné. Que de fois le mariage Est pareil aux vœux de ceux qui vont en pèlerinage, Où l'un puise le bonheur et un autre le dommage. » (1) La mouzouna, c'était la plus petite monnaie d'argent marocaine. 171 « Est-il un d'entre vous,, les hommes, qui soit capable d'arracher L'épine qu'on a dans le cœur, sans qu'il saigne et sans le blesser ? Un qui est un homme, il faut qu'il soit capable de faire A la pointe d'un roseau, sa prière, et sans l'agiter. » « J'étais un écolier, lis,ant sur ma planchette Or, l'amour est descendu et m'a dit : Pour quel profit ? Vas donc vers cellesfaux-tresses. » « J'ai encore écouté ce que disant les filles. Elles ont dit, mon frère : Un jeune garçon sans argent n'a qu'à se taire. J'ai encore écouté ce que disgnt les filles. Elles ont dit, mon frère : C'est un jeune époux, pas un vieux, que je préfère. J'ai encore écouté ce que disfint les filles. Elles ont dit, mon frère : Un qui ne laboure pas, qui n'a pas des bœufs Dajis sa cour avec des brebis Que va-t-ïl rechercher mariage orgueilleux ? Qu'il ne lève pas les yeux Vers, ce qui est loin de lui pour être moqué. » «Au premier pas que j'ai fait, j'ai rencontré le caid. Je lui fais la révérence. Il dit : Que veux-tu, mon frère ? Est-ce le cheval du roi, ou que du mien je descende ? Sot que je suis, je n'ai pa,s su que lui répondre. Château de Sidi Mohammed où j'ai frappé. Sans attendre les esclaves, il a dit : Qui a frappé ? Je lui ai dit : Monseigneur, c'est un pèlerin d'amour. Sois le bienvenu, voyageur. Demain te donnerai congé. Il a posé devant moi du miel et du beurre. 172 Je les ai trouvés amers à mon cœur. Je suis allé vers les tolbas, dans le lieu où ils sont assis. Je leur ai dit : Messeigneurs, une amulette je veux. Une amulette pour guérir les amoureux. Ils m'ont dit : Par la beauté et les yeux noircis, Les amoureux sont guéris. Le malheur s,ur moi, ma mère chérie. Pour moi, la vue des yeux noircis, c'est comme la vue d'un lion. Pourvu que j'aie Vesprit joyeux, jeunesse, en votre compagnie, Recevoir, jeunes poulains, le basilic de vos, mains Que j'aille où Dieu voudra lorsque la mort viendra. » « Le destin vous mène en lieux inconnus Où vos parents jamais ne sont venus. La rencontre des marchands à Fès et à Mekinès. La rencontre des caids, à tes portes, Mogador. La rencontre des bateaux sur la noire mer La rencontre des rivières, où se combattent les eaux. La rencontre des amis, où s'arrachent les soucis. » « Si ce qu'on voit en rêve était la vérité. J'ai rêvé d'un mouflon sur un roc endormi. Moi, je tournais autour pour m'approcher de lui. Je me disais : Sitôt la, détente abaissée, Je l'égorgé pour que sa chair me soit licite. Or, la détente abaissée, je n'ai rien gagné. Il a fui sur les versants, me laissant pleurer, L'animal a,ux jolis yeux, vers les lieux déserts Comme s'il avait des ailes. La rivière du Sous a cent mille barrages Il y a cent mille chemins Cent mille amis, sont consommés par un qui n'a pas de parole. Une main qui est brisée ne peut rien porter, Ni monter à cheval une jambe cassée Ni celui qui est lassé lutter avec la montée Ainsi est celui qui a perdu ses parents. Dieu, préserve-m'en. » « Longueur de temps lasse à la, fin l'eau et le vent. Le vent, qu'on dit pas, de ruse avec lui, je sais le remède avec Le forgeron l'a possédé, Va fait entrer dans son soufflet, L'a enfermé et l'a obligé à souffler Pour fondre le fer au creuset. » « Le convoi, quand il se desserre, on le décharge. L'a.mour, quand c'est lui qui fléchit, l'un déménage Mais le genou, quand il fléchitc'est la, mort et tout est fini. » « Toi qui possèdes, la beauté, elle finira par passer La fleur longtemps sans eau, soif, tu la fais souffrir. Si le fellah tarde au labour, tous les sillons sont effacés. » « Que le plomb ne s'éloigne jamais du fusil, L'antimoine des yeux noircis, Et toi, le cœur, de tes amis, Jusqu'à ce qu'ils aillent sous terre. » « L'eau est entrée chez moi et m'a éteint mon feu. L'imbécile a beau souffler pour le rallumer. 174 — Mais qu'un peu d'étincelle à l'eau ait échappé Et tout l'espoir revient, de la flamme au foyer. Quand une barque est vieille, on l'amène à la grève La barque a beau rester dix siècles sur le flanc Sitôt qu'on la, relève, elle va sur les flots. » C'est un dialogue où l'un dit que tout est perdu,-qu'il n'y a rien à faire. Mais l'autre dit qu'il faut espérer. Le feu qui se rallume et la barque qui se redresse, deux belles images de l'espoir. « L'amour en s'envolant, cœur, te laisse la peine. En s'envolant le faucon laisse au rocher la frayeur. Et la fleur, en s'envolant, laisse le bois mort. Huit jours} de la fleur, quap.d on a mangé, Forêt, le bois mort, on peut te laisser. » L. JuSTINARD. 175 LA PANTHERE Je suis sa fille, et de sa chair, De sa haine, et de son orgueil, Je sais sa poitrine cruelle Quand je l'enfante, avec mes ongles. Je suis la fille de la Nuit. J'étais là, quand elle fit l'or En grains jetés à la rivière. Quand elle fit le ver luisant, L'arbre, la taupe et le serpent. J'étais là quand elle fit l'homme. Je sais le ventre de la Nuit, Ses cuisses larges, au mal ardent, Qu'elle arrache avec ses mains grises Quand l'aube, aux pointes de ses seins, Mêle à son lait le sang blafard Du jour qui dépouille ma mère... Et j'ai pris d'elle son mal clair. L'aube pourrit, en mon œil vert. René Guillot. 176 FLEURS Ce sont des fleurs qui ne sont pas Et simple aveu des temps promis, N'embellissant pas la promesse... Eclatantes, pressées, en essaim bourdonnant. Comme l'abeille, Pendent, et l'arbre est ébloui, Tel un coureur de la Nouvelle, Dans le secret des fleurs possibles. Fleurs qui seront et ne sont pas. René Guillot. 17.7 VISAGES Terre pleine de semences. Pâte pâle où les ferments lèvent. Figures d'enfants déjà femmes. Grandes joues, vie prise au piège, pétrie avec la chair. Où fuir ? Là, entre deux sillons, une boursouflure où stagne l'âme changée en eau. Ici, dans un creux aride, le sel impur cristallise. Mais les yeux ? les yeux ? Cherche dans ceux à peine éclos, avant que déposé, sur leur vitre nue, ce tain de graisse et de sang. Rose Celli. 178 BERGERIE Dors dans le creux sillon, bergère monotone, Sur ton front se peignant un fantôme de jour, Jusqu'à tant que descende en ce sein qui frissonne Cet ange insidieux qui ressemble à l'amour. Il rayonne de feux, de diamants et de plumes, L'Athis attendrissant... Le crois-tu fait pour toi, Qui cherches un reflet de sa sollicitude Lorsqu'à te voir il feint un fallacieux émoi ? Ignorante, apaisée, oublieuse des heures. En vain se mêleront les trames du destin Si tu dors à rien faire jusqu'à ce que tu meures, Si tu endors ton cœur, si tu charmes ta faim... Les rêves sont plus clairs, sommeil inoubliable, Plus clairs que le printemps quand il naît par les champs. Voici que les troupeaux vont rentrer aux étables, Suis-les sans t'éveiller, petit être dormant. R. M. F. 179 REVEIL Voici le moment du réveil, flamme qui dormait sous la cendre, voici l'apparat du soleil par dessus l'ivresse des ondes. O lune bénigne, éteins-toi, pâle lune, seule espérance des noires nuits de tant de mois qui nous soutins de ta clémence ! Mais maintenant c'est le grand jour et c'est la nouvelle journée, les yeux grand-ouverts de l'Amour achèveront ta destinée. Peuple, capitaines, bourreaux, au ciel voyez, où tout s'élève, le signe apparu du Héros qui resplendit dessus vos têtes ! 7 Avril 1933. R. M. F. p ropos de II nnocent L'humilité est une table ronde, mais il ne faut pas s'asseoir par lerre : cela devient du zèle. Et l'humilité zélée c'est de l'orgueil d'en haut refoulé. Pourtant l'humilité volontaire (seulement) écarte toute contre¬ façon : un sauvage est découvert à qui l'on veut ressembler de toutes ses forces parce que ce sauvage est la beauté reconnue. Mais, ici, le maquillage ne parvient pas à l'imitation. Il y faut une chirurgie dont la douleur durable et acceptée est une preuve de ressemblance. Il existe une humilité plus rare et plus vraie, mais celle-ci est invisible : c'est de ne pas prétendre à la table d'humilité quand on n'y a pas été invité. A un dîner de poètes la table étant ronde : les uns montèrent dessus ; alors les autres se mirent dessous. L'humilité était entre les deux, évidemment ! * Il y a deux innocences : « l'innocence-fleur » qui pousse à ras de la vie et « l'innocence-arbre » sur le tronc duquel sont tatoués les sept matricules des péchés. Les fleurs n'y viennent que tard, mais leur parfum est plus tenace et plus pénétrant : à Hippone on les ap¬ pelle des Augustines. Innocent X. Le peuple maltais, 5a résurrection, sa littérature Nous vivons dans un univers où les idées de race et de nation jouent un rôle énorme. Mais notre monde est égale¬ ment dominé par la loi des grands nombres. Quand on nous parle de races, de nations, c'est à l'échelle des masses humai¬ nes et territoriales qui se chiffrent par dizaines de millions d'individus et par milliers de kilomètres carrés. Nous avons complètement perdu le sens des proportions. Et pourtant l'importance profonde des pays et des peuples ne se mesure pas à la quantité. Pensons à la Suisse, à la Hollande, à l'Ir¬ lande, au Danemark... C'est pourquoi je voudrais parler d'un tout petit pays, d'un tout petit peuple, qui ont une grandeur et une signification remarquables : Malte et les Maltais. Malte, c'est une petite île dans la Méditerranée, à peine plus grande qu'un de nos cantons. Sa population totale ne dépasse pas celle d'une de nos grandes villes : 250.000 ha¬ bitants. Et pourtant, quelle histoire ! A vrai dire, nous en sa¬ vons peu de chose. Nos connaissances sur Malte et les Maltais se résument, en général, à quelques notions. Nous connais¬ sons la Croix de Malte, symbole d'un ordre à la fois religieux et militaire, dont l'île fut le siège pendant des siècles ; nous savons qu'au XVIe siècle, en 1565, elle soutint victorieuse¬ ment contre les flottes des Turcs un siège légendaire ; nous savons que les troupes de Bonaparte, au moment de l'expé¬ dition d'Egypte, l'occupèrent, Nous avons entendu dire 182 qu'elle produisait des oranges savoureuses et peut-être une maladie, cette fièvre spéciale qui est en réalité une fièvre mé¬ diterranéenne. Et puis ? Nous savons surtout qu'elle appar¬ tient depuis un siècle à l'Angleterre, qui y a installé une puissante citadelle, une formidable base navale. Ce qu'il serait plus intéressant de nous rappeler, c'est que cette petite île a toujours été un des points les plus sen¬ sibles de la Méditerranée depuis les époques les plus reculées, c'est qu'elle a une histoire millénaire, c'est que — plusieurs siècles avant notre ère, — les Phéniciens l'ont marquée d'une empreinte indélébile, eux-mêmes directement, puis par l'in¬ termédiaire de leurs colons carthaginois ; c'est qu'elle a reçu de Saint-Paul l'évangélisation, mais que les Arabes, pendant des siècles, l'ont ensuite occupée. Qu'en est-il résulté ? Ce fait extrêmement caractéristique et d'une haute signification mé¬ diterranéenne : la coexistence de l'Orient et de l'Occident, une religion profondément chrétienne dans un peuple qui fut islamisé, l'amalgame du sémitisme et de la latinité. Nous pou¬ vons trouver là une leçon particulièrement probante du rôle que pourrait jouer la Méditerranée dans la fusion des civili¬ sations et l'harmonisation des contradictoires, rôle que je tiens pour essentiel à la mission du génie méditerranéen. Et ce n'est pas pour rien que Malte se trouve précisément juste au cœur de la Méditerranée, là où se rejoignent le bassin occi¬ dental et le bassin oriental. Un autre enseignement très clair se dégage de l'histoire de Malte. Depuis des siècles et des siècles, on pourrait presque dire depuis deux ou trois millénaires, Malte n'a jamais connu l'indépendance, la souveraineté. Elle a été soumise à des do¬ minations étrangères qui ont tenté de lui imposer non seu¬ lement des lois, mais une langue officielle, hier l'Italien, au¬ jourd'hui l'Anglais. Or les Maltais n'ont jamais renoncé au culte de leurs origines et si des intellectuels, trop attachés à des influences extérieures, ont tenté de créer à Malte une es- 183 pèce d'irrédentisme italien, on a vu, au contraire, non seule¬ ment depuis vingt ans, mais il y a plus d'un siècle, des pen¬ seurs, des écrivains, des poètes, revendiquer à honneur la lan¬ gue de leurs pères, et de cette langue, qui était tenue pour paysanne et vulgaire, faire enfin une langue de lettrés, une langue littéraire. Phénomène de résurrection que nous pourrions comparer à celui du provençal chez nous. Qu'est cette langue ? Un dialecte incontestablement sé¬ mitique. D'où vient-il ? Il est difficile de trancher. On pour¬ rait dire qu'il est une survivance du phénicien, ou que c'est de l'Arabe déformé. Toujours est-il que c'est une sorte d'arabe et que, dans notre Afrique du Nord, à Tunis, à Constantine, à Bône, un Maltais et un Arabe n'ont guère plus de mal à s'entendre qu'un Limousin, par exemple, et un Dauphinois, chez nous, quand ils parlent leurs patois respectifs. Et c'est dans cette langue voisine de celle du Coran que les Maltais célèbrent la Vierge Marie. Ainsi, une littérature maltaise est née, vit, se développe. Nous n'en connaîtrions rien si un jeune français d'Algérie mais d'origine maltaise, M. Laurent Ropa, n'avait publié l'an dernier, aux Editions des Cahiers de Barbarie, à Tunis, une anthologie intitulée Poètes Maltais, où il a traduit quel¬ ques-unes des meilleures pages des poètes contemporains de Malte : Dun Karm, Rozar Briffa, Ninu Cremona, Arthur Vassalo etc., en les faisant précéder d'une substantielle pré¬ face. C'est, au sens le plus fort du mot, une révélation. Nous y sentons vivre le patriotisme spirituel de ce petit peuple, race peu nombreuse mais profondément originale, qui s'est tou¬ jours maintenue, malgré les dominations étrangères et qui loin de s'abandonner, se lève au contraire et commence à chanter. Et le chant, c'est l'aurore de la liberté. •184 Ce n'est pas que nous entendions ici faire place à la polé¬ mique et aux querelles de politique étrangère. La liberté à laquelle songent les Maltais, c'est d'abord celle de leur âme, et l'autonomie, celle de leur génie spirituel. Qu'ils songent à autre chose, c'est possible, et l'Angleterre l'a si bien com¬ pris qu'elle a envisagé de leur octroyer un régime constitu¬ tionnel. Mais plus qu'à une souveraineté temporelle, les Mal¬ tais ont été sensibles à cette conquête morale que représente la reconnaissance de leur langue comme langue officielle à côté de l'anglais, et son admission, non seulement dans les écoles primaires, mais encore à l'Université. Ainsi Malte, l'antique Imdina, la Mélita des Phéniciens, l'île des roses et du miel, nous apporte des exemples dignes de méditation : celui d'un nationalisme pacifique, fondé sur le maintien des vertus d'un peuple, — celui d'un patriotisme qui s'exalte non pas aux faits d'armes et de conquête, mais à la conscience de sa valeur spirituelle et qui, plutôt qu'une armée, se donne une littérature, plutôt que des canons, se donne des poèmes. Un petit pays, un petit peuple nous mon¬ trent que la vraie grandeur ne s'obtient pas nécessairement par les entreprises matérielles et conquérantes, mais qu'elle peut se situer sur le plan le plus élevé, celui de l'âme et de l'esprit. • j Gabriel Audisio. La Pâc^ue juive à ^M.arrakec Le matin qui précède le premier soir de la Pâque, Jerimoth est venu me convier. Depuis dix-huit mois nos rapports se sont resserrés. Jerimoth avait perdu sa place et battait tristement le pavé. Il me supplia de le rappeler au souvenir d'un riche industriel de sa race, mais fran¬ çais et qui le connaissait déjà. Ce dernier qui apporte tout son cœur à relever le niveau de ses coreligionnaires et à soulager leurs misères, prit Jerimoth dans ses bureaux et humainement, patiem¬ ment entreprit de le former. Pour la famille je devins ce jour là le protecteur tutélaire. Mais un jour le père de Jerimoth m'amena son troisième garçon de qua¬ torze ans au visage intelligent et nanti du certificat d'études et me demanda très simplement de le faire entrer chez un architecte. « 11 aimerait bien savoir dessiner» me dit-il naïvement. Je ne pus hélas réaliser le miracle et je perdis un peu de mon prestige. Jerimoth maintenant ne lit plus La Légende des Siècles dans son bureau. Il a vaguement pris conscience d'être devenu un rouage de la société. Il a circulé dans le bled, achetant olives et céréales, vient de passer quelques semaines à Ouezzan, est revenu par Casablanca où il a fait des achats : une Bible en français, éditée par la mission anglaise, un beau costume neuf gris foncé avec gilet à revers et même un chapeau mou de ton assorti. L'approche de la fête rend Jerimoth tout joyeux. La loi ordonne 186 à tous les aînés des familles de jeûner le jour qui la précède. Mais lui, en assistant à une circoncision, a pu régulièrement esquiver cette obligation. * * * Ce soir là je trouve des changements dans la maison. Les murs sont tout blancs : dans la petite chambre où les enfants revêtent leurs costumes neufs, les matelas sont d'une propreté impeccable. Toute la pouillerie a été reléguée dans un coin derrière une tenture. Dans la pièce principale, l'armoire bien cirée, brille. Des guir¬ landes de verdure entourent les trois effigies de Jerimoth. Plaqué contre le mur du fond, j'aperçois un nouveau meuble : deux com¬ modes symétriques encadrant une glace. On me montre orgueil¬ leusement un bibelot d'acquisition récente : une barrique miniature en verre, pleine de mahia, avec un petit robinet. Un linoléum tout neuf recouvre le sol. Les petits enfants ren¬ trent bien propres, bien lavés,-vêtus d'une petite culotte et d'une chemisette blanche. Dans tout intérieur israélite, la tàble est dressée ce soir là d'une façon aussi uniforme que les lits de soldats pour une revue de détail. A chaque coin un chandelier. Au centre sur un plateau l'os de mouton, les assiettes d'herbes amères, les soucoupes pleines de dattes macérant dans le vinaigre, des vases pleins de roses sauva¬ ges, des pyramides de pains azymes en forme de gaufres. En dehors du plateau les bouteilles de vin et les verres. Un côté de la table borde le lit sur lequel s'assoient les trois petits garçons. Le père de Jerimoth, ses trois aînés et moi-même occupons les autres côtés, tandis que la mère reste debout dans l'encadre¬ ment de la porte. Majestueux dans la blouse blanche repassée comme un surplis, les joues et une partie du crpne impeccablement rasées, la barbe 187 taillée symétriquement, le père remplit les verres de vin, puis com¬ mence la lecture de la Haggada de Pâques, longue paraphrase du récit biblique. « Sois loué, Eternel, Roi de l'Univers, qui nous a choisis et sanc- « tifiés par tes commandements. Et dans ton Amour pour nous. « Eternel notre Dieu, tu nous as donné des fêtes pour la joie et « des époques solennelles pour l'allégresse, tu nous as gratifiés de « ce jour de fête des azymes, époque de notre délivrance, jour que « tu as consacré à une sainte convocation en la mémoire de la « sortie d'Egypte ». Il chante strophe par strophe, tantôt en hébreu, tantôt en arabe. Son fils aîné le relaye, puis à certains moments tous reprennent en chœur. Parfois il s'interrompt. Avec des gestes de grand prêtre, il remet à chacun une pincée de céleri trempé dans le vinaigre ou bien à plusieurs reprises, remplit les verres de vin que tous boivent aussitôt. Le chant se poursuit : « Et Dieu nous tira d'Egypte à main forte et avec un bras « tendu, avec une grande frayeur et avec des signes et des miracles. « Ce sont les dix plaies que le Saint Unique, béni soit-il, a in- « fligé sur les Egyptiens et ce sont : le sang, les grenouilles, la ver- « mine, les animaux, l'épizootie, les ulcères, la grêle, les sauterelles, « les ténèbres, les premiers nés ». Mais ici la mère de famille s'est avancée tenant d'une main une grande cuvette en fer émaillé, de l'autre une carafe d'eau. Au fur et à mesure qu'il nomme les plaies, le père verse un peu de vin dans la cuvette, sa femme un peu d'eau, tous deux répétant dix fois le même geste. L'énumération terminée, la mère s'enfuit au milieu de la cour et retournant le récipient d'un geste brusque projette violemment son contenu sur le sol. Tous les côtés grotesques de la scène : le chapeau mou de Je- rimoth qui tient par miracle en arrière de son crâne, le contraste entre la cuvette de fer émaillé, le plateau de cuivre et les fleurs, les taches de vin qui maculent la nappe, s'estompent. Tout à l'heu- 188 re ce sera la beuverie, maintenant les visages s'illuminent de ma¬ jesté sacerdotale.. Le rayonnement du sentiment commun semble noyer l'effroyable banalité du décor. Et le récit merveilleux con¬ tinue : « Ces herbes amères que nous mangeons ? Pourquoi cela ? Par- « ce que les Egyptiens rendirent amère la vie de nos ancêtres en « Egypte,.comme il est dit : ils leur rendirent la vie amère par une « rude servitude, en les employant à faire du mortier, des briques « et toutes sortes d'ouvrages qui se font aux champs, tout le ser- « vice qu'on tirait d'eux était avec rigueur. « Quand Israël sortit d'Egypte et la maison de Jacob du mi- « lieu d'un 'peuple barbare, Juda devint sacré à Dieu et Israël son « empire. La mer le vit et s'enfuit, le Jourdain s'en retourna en « arrière. Les montagnes sautèrent comme des moutons et les col- « lines comme des agneaux ». En fin la reconnaissance du peuple élu s'exhale par de longs hymnes de louanges. « Béni soit celui qui vient au nom de l'Eternel, l'Eternel est le « Dieu dort et il nous a éclairés. « L iez avec des cordes la bête du sacrifice et amenez là jus- « qu'aux cornes de l'autel. Tues mon Dieu je te rends grâce, tu es « mon Dieu je t'exalterai. Rendez grâce à l'Eternel parce qu'il est « grand, sa bonté demeure à toujours. « Celui qui a féndu la mer Rouge en deux, sa bonté demeure « à toujours. « Qui a tué des rois puissants, sa bonté demeure à tourjours 189 « (à savoir) Sihon, roi des Amorhéens, sa bonté demeure à tou- « jours, et Og, roi du Basan, sa bonté demeure à toujours. « Celui qui donne la nourriture à toute chair, sa bonté de- « meure à toujours ». La Haggada est enfin terminée. Tous se lèvent. La joie devient alors débordante. Vin et chants ont grisé tout le monde. De cham¬ bre à chambre, de maison à maison, c'est l'échonge de visites. Hom¬ mes, femmes, jeunes filles défilent les uns chez les autres. En ren¬ trant dans la pièce les hommes se saisissent tour à tour du vase de fleurs, font le tour de l'assistance en le tenant au dessus de la tête des différents membres de la famille et prononcent la bénédiction rituelle : « Aujourd'hui les mets sont amers, mais ce sont ceux que man- « gèrent nos pères quand ils sortirent d'Egypte. Cette année nous les mangeons en terre étrangère. L'an prochain nous les mangerons « à Jérusalem ». , Chacun semble posséder un trop plein de bonheur qu'il veut déverser sur autrui. Rires et plaisanteries joyeuses retentissent. Les verres de vin se vident à un rythme de plus en plus accéléré. Soufflant sur leurs langues palpitantes les femmes déchirent l'air de youyous stridents. Huit jours après, veille de la « Mimouna », le mellah se pré¬ pare à reprendre son régime alimentaire normal. 190 Depuis trois heures de l'après-midi, une foule de Juifs, dans laquelle vieillards et jeunes garçons prédominent, se presse et se bouscule autour de la petite porte du Djan el Afia. Dans l'oliveraie, c'est un long défilé qui serpente parmi les arbres, groupe par groupe, suivant un circuit déterminé. Chaque groupe s'arrête devant un magnifique olivier à l'ombre généreuse et se masse tout autour. Un rabbin se détache, s'approche de l'arbre, puis prononce quelques prières reprises en chœur par l'assistance afin de demander à Dieu une récolte abondante. Après un dernier amen le groupe cède la place à un autre, s'étire de nouveau, puis bouclant le circuit rega¬ gne la petite porte où l'afflux de ceux qui veulent entrer ou sortir crée un embouteillage incessant. * * * Cinq heures du soir, même jour. A travers les rues du mellah grouillantes de monde, Jerimoth m'entraîne chez lui. Il y a huit jours autour de la table dressée comme un autel, on ne trouvait que les habitants du foyer : père, mère, enfants. La famille « officielle ». Aujourd'hui, c'est la fête tout court et chacun se groupe selon sa fantaisie. Famille et amis se sont réunis. Les hommes dans la pièce prin¬ cipale, femmes et enfants à côté. Je retrouve le beau-frère ferblan¬ tier qui, allongé sur un matelas, contemple avec un intérêt passionné les images d'un Larousse médical, le beau-frère coupeur de djella¬ bas, à la silhouette assyrienne, son frère marchand de charbon qui lui ressemble étrangement et auquel les autres donnent le titre de « rebbi ». « Il a étudié tout le talmud » me dit Jerimoth, mais l'in- 191 téressé corrige modestement, sur les soixante gemaras, il en con¬ naît tout au plus une vingtaine. « Mais», ajoute-t-il, « chaque mot du Talmud, il faut mille mots pour l'expliquer ». Les autres approu¬ vent, admiratifs. On se met à table. Le repas assez maigre consiste en noix, dattes, figues, pains azymes. La fête précédente a épuisé les bourses et il faudra demain acheter l'alose traditionnelle. Mais la boisson : vin rouge et mahia, coule en abondance et cela suffit à ré¬ jouir les coeurs. Bientôt les voix éraillées chantent les refrains après boire en l'honneur des grands rabbins. « Il y ,a une montagne dans le pays du Glaoui où habite le, « Saint Draa Lévy. Que ses bienfaits soient sur nous et sur tout « Israël ». Deux musulmans du bled arrivent dans le patio, les bras char¬ gés de ramures d'olivier, de menthe et de roses sauvages. Le père de Jerimoth se lève pour les accueillir, échange avec eux de longs compliments. « Ce sont », explique-t-il en revenant, « des an¬ ciens clients qui viennent me témoigner leur amitié » et il nous distribue fleurs et verdure. Les convives entonnent alors un autre chant qui provoque des rires bruyants. On me traduit les paroles qui relatent l'histoire de deux rabbins facétieux arrivant vers l'époque du Pourim dans un pays peuplé de Juifs ignorants. L'un d'eux s'adressant à la foule proclame : « Nous allons célébrer Youm Kippour (fête de l'Expiation) et comme son collègue s'étonne, « Tais-toi donc, nous partagerons les profits ». ' ~ " Israël, peuple de prêtres, jusque dans ses plaisanteries ! Peu à peu, vins et chants échauffent les esprits. La pièce se vide. Comme la semaine dernière, ce sont de nouveau les visites de cham¬ bre à chambre, de maison à maison, les invitations renouvelées à 192 b.oire et, en passant devant les pièces où femmes et jeunes filles sont réunies, les jeunes gens, le sang à fleur de visage, le regard brillant, s'attardent avec les adolescentes en causeries excitées. Jerimoth me conduit sur la terrasse d'où le regard plonge d'un côté sur la rue, de l'autre dans les cours intérieures des maisons voisines. Il est sept heures du soir. Aux dernières lueurs du jour le mellah est en effervescence. Ici un groupe de jeunes filles déguisées en fat- ma se heurte à une bande de jeunes gens qui ont revêtu le costume arabe. Les uns et les autres se reconnaissent et ce sont des excla¬ mations de joie. Là, un jeune homme monté sur un mulet, le corps ceint de ramu¬ res d'olivier, provoque la curiosité générale. Plus loin, un autre groupe : trois adolescentes ont revêtu le ma¬ gnifique costume brodé d'or de leurs aïeules et chacun d'admirer. Jerimoth reprend sa perpétuelle antienne : « Autrefois c'était beaucoup plus beau. Il y avait des gens riches. Maintenant c'est la misère et personne ne peut s'offrir le luxe d'un tel costume qui coûte au moins deux mille douros. Autrefois le cheik el Youdi et le grand rabbin étaient portés sur une chaise à travers les rues au milieu d'une foule enthousiaste. Autrefois les riches donnaient de larges aumônes ». Je finis par m'expliquer ce perpétuel « autrefois ». Quand un peuple vit de tels souvenirs et de tels espoirs, comment ne serait- il pas éternellement déçu par la prosaïque réalité du présent ? Jerimoth s'écarte et je m'attache à contempler la scène infini¬ ment diverse : Du dehors d'où montent les rires et les cris, c'est le chatoiement des couleurs : costumes arabes, vieux costumes juifs, toute la gam¬ me éclatante des soieries artificielles. Dans les intérieurs, les mères de famille infatigables préparent le couscous, pétrissent la pâte, soufflent le charbon de bois. Les 193 hommes restent attablés : les uns continuent à boire, les autres dor¬ ment déjà ; là, une jeune fille devant son armoire à glace ajuste son déguisement ; plus loin quelques pieux vieillards assemblés dans une petite synagogue, psalmodient l'office du soir. Enfin, à l'extrémité de la terrasse : scène de film américain : une jolie enfant de seize ans, vêtue d'une fraîche cretonne jaune im¬ primée de noir, au regard espiègle, debout, le buste penché en avant et le nez en l'air, provoque de son rire ce -grand dadais de Jerimoth qui reste immobile à quelques mètres d'elle, son chapeau toujours ridi¬ culement en arrière, le visage détendu d'un rire béat ! * * ❖ Le lendemain, les familles juives ont coutume de sortir du mellah et d'aller déjeuner en plein air à l'ombre des arbres. Elles se rendaient autrefois dans les jardins de Moulay Mustapha, près de l'emplacement actuel de l'Hôtel Mamounia. Elles vont maintenant au jardin de la Menara, relié ce jour là au mellah par un service spécial d'autobus. Toutefois bon nombre d'entre elles se rendent d'abord à la séguia qui, en face de l'im¬ meuble de la raffinerie Saint-Louis, longe le mur de l'hôpital Mau- champ et y accomplissent un rite traditionnel. J'y arrivai ce matin là en même temps que la famille de Jeri¬ moth et voici ce que je vis : La mère battit sept fois l'eau de sa main en murmurant une prière ou une incantation, puis tous les hommes se déchaussèrent, trem¬ pèrent longuement leurs pieds dans l'eau courante, symbole de l'abondance, s'humectèrent le visage et la poitrine. 194 Tout autour, d'autres familles faisaient de même. Des enfants et des femmes remplissaient des bouteilles de cette eau pour la rapporter au mellah. A cent mètres en aval, j'aperçus un maraîcher arabe conduisant un bourricot chargé d'un couffin de salades. Il s'arrêta lui aussi au bord de la séguia, prit ses salades une par une, les trempa longue¬ ment, les égoutta consciencieusement, les chargea de nouveau, puis se dirigea vers le marché européen du Guéliz. José Benech. (Extrait d'un ouvrage à paraître : Essai d'explication d'un mellah) La vie Je collège et le roman américain S'il est vrai que la littérature influe parfois sur l'état des mœurs, il est encore plus vrai que l'état des mœurs influe tou¬ jours sur la littérature. Il y a donc des genres qui appartien¬ nent en propre à certains pays et qui n'arrivent que très dif¬ ficilement à s'acclimater dans d'autres. Ainsi, la France se place au premier rang des pays qui possèdent un roman mi¬ litaire. Embryonnaire encore chez Balzac (car L.es Chouans est surtout un roman de guerre et Une passion dans le Désert n'est qu'une nouvelle), le roman de la vie militaire s'épanouit à la fin du XIXe siècle, quand l'esprit démocratique imposa à tous les citoyens l'obligation du service armé, sans considé¬ ration de rang ni de fortune. Cet épanouissement fut, du reste, grandement facilité par l'intérêt que réalistes et natura¬ listes, alors tout puissants, portèrent aussitôt à cet aspect le plus sordide de la vie française. A la caserne ils pouvaient à loisir étudier ces vieux instincts que leur scalpel prenait tant de plaisir à mettre à nu. Ils y voyaient la brute vautrée dans les relents de la chambrée. Le soldat devint pour eux l'égal de la prostituée. Et Lucien Descaves put écrire Sous-Offs. On chercherait en vain des ouvrages de ce genre dans la littérature américaine, pas plus qu'on ne trouverait d'études approfondies de maisons closes. La jeunesse américaine ne connaît pas la servitude et la grandeur militaires et, si elle connaît les amours vénales, ce n'est qu'en tapinois, car, étant 196 illégale, la prostitution, ipso facto, est censée ne pas exister. Cela ne l'empêche pas, du reste, de s'étaler à tous les coins de rue ; mais les yeux ne voient que ce qu'on veuf leur laisser voir. Du moment que la loi a dit non, la morale est sauve, et ce brave oncle Sam peut se risquer à donner à la vieille Europe une leçon de vertu sans trop craindre qu'on lui rie au nez. Il faudra attendre jusqu'à Théodore Dreiser pour voir la femme de mauvaise vie devenir personnage de roman. Encore n'est-elle toujours qu'héroïne isolée. Il n'y a pas à ma connaissance, dans la littérature américaine, d'ouvrage comparable à la Fille Elisa, à la Maison Tellier ou la Fosse aux Filles,, de Kouprine. En revanche, le système d'éducation qui consiste à en¬ seigner dans de magnifiques collèges (1) hommes et femmes pendant quatre ans, a donné aux Etats-Unis toute une classe de romans que la France ne songerait jamais à écrire. Le lycée et l'université n'affectent guère la vie du citoyen fran¬ çais. Il y suit chaque jour quelques cours en vue d'inévitables examens, et, à quatre heures, rentre chez soi. Nulle vie en commun comme dans les collèges américains ; nulle indi¬ vidualité parmi nos facultés auxquelles l'Etat applique un caractère uniforme jusque dans le programme des études. Rien de cet amour naïf, mais touchant, des Américains, pour leur Aima Mater, pour ces campus ombragés où, chaque été, lors des fêtes de fermeture, de vieux messieurs à cheveux blancs, fort ivres en général, viennent écouter, la larme à l'œil, les chants qui évoquent leur jeunesse. L'Américain a deux patries : son pays et son collège. Il est Américain, mais c'est aussi un Harvard man, un Y aie man ou un Princeton man. Et un sentiment d'intransigeante supé- (1) J'emploie le mot collège dans le sens anglais d'établissement d'enseigne¬ ment supérieur. 197 riorité accompagne ce nationalisme en miniature, d'où des jalousies, des rancunes et parfois même de vraies déclarations de guerre. Chaque collège est en effet une petite république. Un président siège au sommet, entouré de ses doyens qui for¬ ment le conseil des ministres. Vient ensuite le corps des profes¬ seurs, fonctionnaires plus ou moins importants, enfin plu¬ sieurs milliers de sujets, les étudiants. Ils peuvent être, suivant les lieux, tous de même sexe ou panachés. Chaque collège a son drapeau et son hymne. Il a aussi son armée, l'équipe de foot¬ ball. C'est elle qui, sur les différents stades de la région, se charge de défendre l'honneur national. Le niveau des études n'entre que pour une part assez réduite dans la réputation d'un collège. Le meilleur est celui dont l'équipe a su vaincre les au¬ tres. Le chiffre des immatriculations croît toujours en pro¬ portion des succès athlétiques, car un père y regardera à deux fois avant d'envoyer son fils dans un collège qui n'enregistre que des défaites. Que l'on ne crie pas au scandale. La gran¬ deur d'un pays ne se mesure-t-elle pas à l'importance de sa force armée, plutpt qu'au nombre de ses écrivains ? Le sabre a passé et passera toujours avant la plume. Le collège améri¬ cain a ses tribunaux, ses assemblées législatives où sont repré¬ sentés professeurs et étudiants. Il a ses journaux, ses théâtres, ses pauvres et ses riches, ses honnêtes gens et ses apaches, ce qui nécessite une police et un code strictement appliqué. Ces petites démocraties présentent naturellement les avan¬ tages et les inconvénients inhérents à de tels régimes. Dans son rapport annuel pour 1937, un des doyens de l'université de Princeton, Christian Gauss, esprit aussi subtil que distin¬ gué, envisage bravement le problème : «Il serait oiseux, écrit- il, de prétendre que la démocratie est la forme de gouverne¬ ment la plus simple et la plus effective. Un gouvernement par ukase est beaucoup plus facile et demande moins de temps et d'effort. Il faut nous résigner à envisager ces désavantages avec patience et à les réduire dans la mesure du possible. Mais 198 ce n'est pas du côté administratif qu'il faut chercher les grands avantages de la démocratie. On ne les trouve qu'à la longue et dans l'amélioration considérable que l'on constate dans la morale générale et le.respect de soi-même des membres du groupe où prévalent les rouages du gouvernement coopé¬ ratif. Dans les groupements organisés d'après les principes démocratiques, les crises se produisent le plus souvent là où font défaut la connaissance, la compréhension et la bonne volonté parmi les membres qui les composent. Tant que les étudiants et les professeurs se considéreront comme des classes différentes à intérêts opposés, on sera certain de trouver des causes de friction constantes et nombreuses. » (1) C'est pour cela qu'à Princeton, tout au moins, les bar¬ rières entre professeurs et étudiants ont été écartées pour le plus grand bien des uns et des autres. Au contact familier de ses maîtres, l'élève prend non seulement conscience qu'il n'est plus un enfant, mais son travail devient une sorte de collaboration amicale qui en accroît l'intérêt et le profit. Le maître, de son côté, en rapports constants avec des êtres jeu¬ nes, conserve une fraîcheur d'esprit qui retarde le jour fatal où la routine académique fera de lui un fossile pontifiant. La rivière où l'on va ramer, le sentier où l'on se promène, la brasserie où l'on fraternise font souvent plus pour l'ensei¬ gnement que la salle de classe avec sa chaire et ses bancs. Telle est, dans ses grandes lignes, la petite république dont le jeune Américain, vers dix-huit ans, au sortir de l'école préparatoire, va devenir le citoyen pendant quatre ans. Il est encore enfant quand il arrive. C'est un homme fait quand il s'en va. Il jette sur la vie le même œil assuré que le Français qui sort du régiment. Et s'il se sent enclin à la litté- (1) Christian Gauss est l'auteur d'un excellent volume d'essais sur la vie de collège, Life in collège (1931). 199 rature, il ne manque pas de publier un roman sur cette vie universitaire qui l'a révélé à lui-même, pour le meilleur ou pour le pire. Ainsi s'explique la profusion de romans de collèges dans la littérature américaine actuelle, alors qu'ils sont exception¬ nels dans la littérature française. Seules, quelques-unes de nos grandes écoles dont l'individualité est nettement mar¬ quée, ont fourni des thèmes au romancier. Je pense à l'Ecole Normale, telle que M. Abel Hermant l'a décrite dans son premier roman, Monsieur Rabosson, et à l'Ecole de Sèvres, dans Sévriennes, de Gabrielle Reval. Il est extrêmement difficile de classer les romans de la vie de collège. Si certains présentent des particularités bien défi¬ nies, d'autres, en revanche, sont d'une nature malaisée à dé¬ terminer. Tous sont foncièrement subjectifs, souvent par¬ tiaux et toujours partiels, et il faut reconnaître qu'il n'y en a pas de vraiment bons. Cela s'explique par la difficulté du sujet et par son ampleur. « Il faudrait toute une Comédie Humaine pour décrire Princeton », me disait un jour André Maurois. Or, Princeton est la plus petite des grandes univer¬ sités américaines, et André Maurois n'y avait vécu que trois mois. Il n'en savait donc pas toute la vie mystérieuse et pro¬ fonde, toutes les intrigues secrètes qu'il faudrait mettre au jour pour en faire un tableau qui eût du poids. Chaque col¬ lège ayant son cachet particulier qu'il imprime à ceux qui y sont venus parfaire leur éducation, il conviendrait par suite d'en dégager ce que Jules Romains appellerait « l'âme una¬ nime », montrer ce qu'un Américain gagne, ou perd, en de¬ venant un Harvard man ou un Princeton man, si le sceau dont il est marqué appauvrit sa personnalité ou l'enrichit au contraire, comme le souhaite le grand prêtre de l'unani- misme. « Je veux aller à Princeton, dit le héros de This side of Paradise, un des romans universitaires les plus célèbres. Je ne sais pas pourquoi, mais je me représente toujours les 200 hommes de Harvard comme des poules mouillées, comme j'étais moi-même autrefois, et ceux de Yale comme toujours vêtus de gros chandails bleus et fumant la pipe». (1) L'idée est là, mais les choses ne sont pas si simples et il faudrait un analyste bien subtil pour pénétrer au cœur de ces impondé¬ rables. Si l'on passe du général au particulier, on se heurte à un autre obstacle. Les divers éléments qui constituent un collège se connaissent mal. Si intimes que soient les professeurs et les élèves, ceux-ci n'arrivent jamais à savoir (heureusement) ce qui se passe dans le corps enseignant. Tout au moins en ce qui concerne les questions de service, car il leur arrive de pouvoir jeter un coup d'œil suffisant sur leur vie privée. C'est ainsi que la meilleure satire des professeurs et de leurs femmes se trouve dans The Prof essor's wife écrit par Bravig Imbs en 1928, à sa sortie du collège de Dartmouth. Si, en général, les étudiants n'ont qu'une idée très vague de la mentalité de leurs maîtres, les professeurs, de leur côté, ne voient que l'as¬ pect le plus respectable de la vie d'étudiant. Ils ont des ten¬ dances à l'idéalisme, et la plupart seraient fort surpris s'ils pouvaient entrevoir les scènes qui se déroulent parfois dans l'ombre des parcs ou derrière les fenêtres closes des beaux édi¬ fices enguirlandés de lierre. Les verraient-ils du reste que, vraisemblablement, ils n'en pourraient tirer parti. La pru¬ dence est le frein qui suffit à arrêter les professeurs dans leurs velléités d'écrire. Quand, en 1931, John Earle Uhler publia Cane Juice, il fut prié de démissionner. Toute vérité n'est pas bonne à dire, même sous les régimes démocratiques où les citoyens se piquent d'être libres, et, pour avoir écrit en des pages un peu vives, mais nullement exagérées, le dévergon¬ dage de certaines jeunes filles à l'université de la Louisiane, (1) P. 27, 201 J. E. Uhler se vit traité de diffamateur par l'abbé F. J. Gas- sler, champion du beau sexe. Dans Passions spin the plot, (1934), Vardis Fisher, professeur à l'université de Montana, écrit en manière de préface : « Peut-être serai-je renvoyé avant la fin de l'année. Mais quoi ? Des hommes meilleurs que moi ont été renvoyés et des hommes plus grands que moi en ont été réduits à la famine. Je ne me conduirai pas en Judas envers mes étudiants. Je ne serai pas un hypocrite afin de recevoir de l'avancement. Je ne céderai pas d'un pouce au delà de ce que j'estime être le courage et la droiture ». (1). En supposant que le jeune écrivain eût des dons d'analyste suffisamment aigus pour disséquer toutes les sphères univer¬ sitaires, il se trouverait fort embarrassé par les problèmes de technique. Comment rendre, sans trébucher, une vie aussi complexe ? On me dira que John Dos Passos, dans Manhat- tan-Transfer (2) a réussi à faire grouiller la ville de New- York. à en dégager l'âme, à en peindre l'infinie variété à travers des personnages judicieusement choisis et pris sur le vif. Mais, quand il réussit ce tour de force, Dos Passos n'était plus un commençant. Il s'était déjà fait la main avec One Mans initiation (3), Streets of night et Three Soldiers. Or, c'est au sortir du collège que l'apprenti romancier se sent poussé à en exposer les coutumes. Et, jusqu'à ces dernières années tout au moins, les programmes d'enseignement n'of¬ fraient guère de ressources aux futurs hommes de lettres. Aussi l'étude d'ensemble de la vie de collège n'a-t-elle pas encore été écrite de façon satisfaisante. George Weller l'a tentée dans Not to eat, not for love (1933). C'est un ou¬ vrage pesant et confus et d'une lecture épuisante. L'atmos¬ phère de Harvard (d'où l'auteur est sorti en 1929) n'arrive (1) P. 12. (2) Publié en français sous le même titre (N.R.F. 1928). <3) Publié en français sous le titre : L'initiation d'un homme (Reider). 202 pas à s'en dégager. George Weller n'a pas su couper, élaguer, ouvrir des perspectives dans la masse compacte de documents et d'observations qu'il avait accumulés. Il en est résulté un roman indigeste, alambiqué, qui n'échappe pas toujours au reproche de pédantisme. L'esprit général en est indiqué par le choix du titre, emprunté au passage suivant d'Emerson : « Je suis allé hier à Cambridge (1) et j'ai passé la plus grande partie de la journée à Mount Auburn. J'ai déjeuné à Fresh Pond et suis reparti dans le bois. J'y ai erré longtemps et ai vu bien des choses, quatre serpents qui rampaient dans un creux, montaient, redescendaient, sans que j'en pusse voir la raison. Ce n'était pas pour manger, pas pour aimer. Ils rampaient tout simplement ». En 1937, Minnie Hite Moody, dans Tower s with Ivy, a prétendu, non seulement présenter un collège dans l'espace, mais dans le temps. Elle en suit l'évolution de 1835 à 1933, et se contente d'indiquer très superficiellement les changements de mœurs par les procédés habituels : descriptions de costu¬ mes, oppositions entre les travaux et les divertissements d'au¬ trefois et ceux d'aujourd'hui. Ceux que ces études rétrospec¬ tives intéressent feront mieux de suivre les aventures de Jerry Grant dans This was life par James Weber Linn (1936). Ils y verront ce qu'on faisait à l'université de Chicago à la fin du siècle dernier. Plus modestes dans leurs ambitions, la majorité des jeu¬ nes auteurs préfère se décrire dans un décor universitaire, et, selon les tempéraments, on a un roman autobiographique languide, cynique ou révolté. C'est par là que ces ouvrages méritent de retenir l'attention de qui cherche à suivre l'évo¬ lution de la société américaine. Ils correspondent à une prise (1) C'est à Cambridge, faubourg de Boston, que se trouve l'université de Harvard. 203 de pouls, car, leurs auteurs étant, par leur jeunesse même, sensibles aux influences du jour, ils revêtent très exactement, comme le faisait Peau d'Ane, des robes couleur du temps. C'est dire qu'ils prennent assez vite un air un peu vieillot, et beaucoup donnent à la lecture une impression comparable à celle des premiers Larbaud ou des premiers Morand. On ne fait plus ce genre-là : les années 1920 et le vieux mal du siècle remis à neuf ; l'après-guerre et ses individus « à la dé¬ rive » dont nous parlait Philippe Soupault. En Amérique, prohibition, émancipations intensives au rythme envahisseur du jazz. De cet âge — qu'il avait baptisé le Jazz Age — Scott Fitzgerald est le meilleur représentant. Il en a été le miroir fidèle dans ses recueils de contes : Flappers and philo- sophers (1920) Taies of the Jazz Age (1922) dans ses ro¬ mans, This side of Paradise (1923), The heautiful and dam- ned (1924), The Great Gatsby (1925) (1). Après Ail the sad young men (1926), au titre si révélateur, Fitzgerald disparaît du monde des lettres. Le groupe cosmopolite de Montparnasse le promène de bar en bar. C'est le mode de suicide le plus sûr pour les écrivains qui sentent l'impuissan¬ ce les gagner, et la rapide désintégration de ces talents déra¬ cinés est l'argument le plus puissant que les disciples de Bar¬ rés pourraient opposer à M. André Gide. Dès qu'il est hors de ses frontières, l'Américain s'effrite. Plante robuste en ap¬ parence, il ne supporte pas la transplantation. En 1934, Scott Fitzgerald eut un petit sursaut. Il publia Tender is the night, un joli titre, tiré de l'Ode à un rossignol de Keats, mais un roman manqué. On y sent l'effort touchant de se mettre à la mode du jour. En 1934, hélas, les jeunes gens n'étaient plus si tristes et l'âge du jazz s'estompait. Scott Fitzgerald ne pouvait chanter qu'une musique. Tender is the night est un couac affreux. (1) Publié en français sous le titre : Gatsby, le Magnifique. 204 This side of Paradise, dont Rupert Brooke a fourni le titre, n'en reste pas moins, avec The Great Gatsby, un des documents les plus significatifs des premières années d'après- guerre. C'est la danse d'Amory Blaine devant des miroirs successifs : Béatrice, sa mère ; Princeton aux tours gothiques, et toutes les damoiselles élues, Isabelle, Clara, Rosalind, Ele- anor. Le collège, la religion, les femmes, tout n'est que dé¬ ception pour cet idéaliste langoureux qui ne voit de refuge qu'au bar. Il est intéressant de comparer ce type de jeunesse 1923 avec le type 1938 tel que Jack Iambs le décrit dans Nowhere with mustc. Là encore il s'agit de Princeton, dans le premier tiers du livre. Un Princeton conservateur vu à travers le cer¬ veau exalté d'un jeune radical, John Everett. Tout aussi ro¬ mantique que Amory Blaine, John Everett est le révolté par principe. Il aime qu'on parle de lui et, après avoir enfreint toutes les lois du collège (lois bonnes tout au plus pour des bourgeois), il se fait orgueilleusement mettre à la porte. Au lieu de s'alanguir dans des rêveries au clair de lune, il s'ins¬ crit au parti communiste. A ce garçon, très 1938, l'auteur a donné comme partenaire une femme qui ne l'est pas moins : c'est le spécimen le plus éhonté de la femme américaine, une affranchie elle aussi, qui épouse un brave imbécile pour son argent et l'abandonne un soir pour s'enfuir en Europe avec John Everett et son grand-père, un vieil ivrogne. Le militant communiste est devenu militant gigolo et trouve ce nouveau métier plus rémunérateur et plus gai. Quant à la femme, Ni¬ na, après s'être indignée que son mari demandât le divorce, nouvelle qu'elle a apprise en ramenant à Chicago le corps de son grand-père, elle reprend le bateau pour les Baléares où la révolution la surprend avec John parmi un petit groupe d'excentriques qui sont venus à Palma chauffer leur paresse au soleil. Nowhere with music est un roman cynique et bru¬ tal, fort remarquable du reste pour un ouvrage de début, et 205 nullement faux, car les John Everett tendent aujourd'hui à se multiplier dans les collèges où on atteint plus vite à la no¬ toriété en violant les principes les plus élémentaires des bien¬ séances et de la dignité qu'en se conformant à des règles de vie entachées, aux yeux de ces jeunes effrénés, des tares inhé¬ rentes aux régimes capitalistes. Entre ces deux types de romans extrêmes, on en pourrait ranger bien d'autres. Du côté romantique larmoyant un des plus significatifs est Spirals de Aaron Marc Stein (1930). Parce que l'auteur, d'origine juive, a souffert de l'ostracisme, très relatif du reste, dont il s'est cru victime à Princeton, il analyse, en un style télégraphique très déplaisant, le cas de complexe d'infériorité habituel aux jeunes gens de sa race. Qu'on transporte ce martyr volontaire dans The sun also vi¬ ses de Ernest Hemingway (1933) (1) et l'on aura le person¬ nage de Robert Cobn dont Hemingway nous dit : « Il n'ai¬ mait pas la boxe. En fait il la détestait, mais il l'avait apprise péniblement et à fond, pour contrebalancer le sentiment d'in¬ fériorité et de timidité qu'il ressentait en se voyant traité com¬ me un Juif à Princeton » (2). Le héros de Spiral's n'apprend même pas la boxe. Il se contente de gémir, et l'hypertrophie de son moi est telle que la vie universitaire se trouve réduite à une simple toile de fond dont l'insignifiance explique à grand peine les souffrances dont la victime l'accuse. Du côté romantisme agressif il faut lire Passions spin the plot (1934) seconde partie de la tétralogie que Vardis Fisher a consacrée à Vridar Hunter. Vridar est un jeune agité, frère des héros de Thomas Wolfe, sur qui s'acharne tout ce que l'enfer possède de furies et de démons. Dans le premier volume de la série, In tragic life, Vardis Fisher avait tracé avec force et couleur les angoisses de Vridar alors que, tout (1) Publié en français sous le titre : Le soleil se lève aussi (N-R.F.). (2) P. 3. 2.06 enfant, il prend contact avec le mensonge, la cruauté, la mort et toute la misère humaine. De nouvelles désillusions l'atten¬ dent quand il arrive au collège : « Pendant longtemps il s'efforça de croire que le collège était ce qu'il avait imaginé. Il s'efforça de garder sa foi et ses rêves. Il résista à la vérité qui lui sautait aux yeux et il la combattit. Mais bientôt l'évidence de sa stupidité l'écrasa, et, petit à petit, malgré lui, il se sentit découragé. Chaque semaine, chaque mois, il se rendait mieux compte que Wasatch Collège n'était qu'un mélodrame bruyant, une succession grotesque d'attitudes, une farce formidable. Le mépris qu'on y montrait pour la vérité le terrorisait. La soumission de tous à la fortune et à la poli¬ tique lui soulevait le cœur» (1). Et au début du roman, l'auteur, parlant en son propre nom, écrit : « Car je me rappelle mon arrivée dans ce collège, hors de moi à l'idée des merveilles qui m'y attendaient. Je me vois encore assis, tout ému, devant mes professeurs, en proie à un désir de di¬ rection honnête et intrépide plus fort que le désir du pain. Quelques étudiants arrivaient avec cette même crédulité, et ils trouvaient non la sagesse et le courage, mais la petitesse, l'envie, les rivalités. Il n'y a pas qu'une espèce de meurtre ; la pire forme, à mon avis, se trouve dans nos universités » (2). On aimerait avoir des preuves, mais Vardis Fisher s'intéresse trop à son héros neurasthénique pour nous en donner qui soient convaincantes. Il se borne à le faire évoluer dans un monde tout à fait restreint d'amis vicieux et de fem¬ mes faciles dont sa pudibonderie s'effraie. Et Vridar n'appa¬ raît plus que comme un nigaud sans intérêt auquel il aurait suffi de mieux choisir ses relations pour avoir du collège une opinion toute différente. Présenter les choses à travers le cer¬ veau d'un névrosé fourvoyé parmi quelques brebis galeuses, (1) P. 76. (2) P. 11. 207 est s'exposer au risque de ne tracer que des peintures très inexactes d'un monde où il y a autant de bon que de mauvais quand on ne se met point par avance des œillères. La même thèse pessimiste se retrouve dans Against the wall (1929) de Kathlen Millay, sœur de la poétesse Edna St. Vincent Millay. L'ouvrage n'est pas sans mérite, bien que l'auteur se propose beaucoup moins d'analyser les mœurs des jeunes filles qui font leur éducation à Vassar que de mon¬ trer les défauts de cette institution. Elle s'en prend surtout au programme des études, à la standardisation des idées, à l'esprit aristocratique qui, d'après elle, règne sur ce très fa¬ meux collège. « C'était l'endroit idéal pour les jeune>s filles dont les parents riches voulaient avoir un diplôme à exhiber dans le monde, ou bien dont les parents voulaient se débar¬ rasser pendant quatre ans. En tout cas, ce n'était point un endroit pour celles qui voulaient s'instruire» (1). Miss Millay n'illustre guère ses protestations. C'est à peine si elle ébauche quelques scènes de la vie journalière. Elle préfère les monologues intérieurs, les cliquetis d'images, chers aux surréalistes, qui lui permettent d'avancer sa thèse. Il est tou¬ jours plus facile de faire argumenter des personnages que de les faire vivre. On trouverait l'antithèse de ces romans aux prétentions arrogantes chez les auteurs qui, dédaignant le côté étude, ne voient la vie de collège que sous ses aspects frivoles. En 1924, The plastic âge de Percy Marks a joui d'une grande réputa¬ tion due surtout à quelques scènes de petites orgies qui, pour l'époque, étaient très audacieuses. Unforbidden fruit de War¬ ner Fabian (1928) va beaucoup plus loin, car il n'y est ques¬ tion que des divertissements coupables de trois étudiantes Starr Mowbray, Sylvia Hartnett et Verity Clark, surnom- (1) P. 412. 208 mées « les trois H.B.V. » (hard-boiled virgins, autrement dit les trois vierges qui n'ont pas froid aux yeux). D'après W. Fabian, les problèmes de la vie sexuelle seraient la seule préoccupation dans les collèges de jeunes filles, opinion dont l'outrance fait la faiblesse bien qu'on ne puisse nier que ce type de H.B.V. existe dans tous les centres d'éducation amé¬ ricains, et en nombre supérieur à trois. Le démon de la concupiscence, même quand il n'est pas la seule raison d'être du roman, est toujours dans quelque coin des récits de vie universitaire. C'est lui qui grimace derrière Gene Davidson, héros de Young gentlemen rtse de Travis Ingham (1935). Gene en a fait la connaissance à l'école pré¬ paratoire, grâce à un livre sur « La vie sexuelle de l'enfant ». Et, pendant les quatre ans qu'il passe à Yale, il en déjoue les embûches, non pas en lui faisant la figue, comme Sainte- Thérèse, mais en se livrant à une pratique intensive du sport. Ce n'est qu'à la fin de sa dernière année qu'il retrouve le cal¬ me grâce à une aimable personne dont il reçoit certains en¬ couragements que sa nature ne demandait qu'à écouter. Dans les collèges américains les feux de l'alcool brillent toujours d'un éclat plus vif que ceux de la luxure. Cela tient à ce que les plaisirs de la chair sont encore, pour beaucoup, le « péché » par excellence dont un vieux reste de puritanis¬ me aggrave encore la portée. L'alcool, au contraire, s'accom¬ pagne de prestige, C'est le passe-temps des gentlemen. Nul stigmate n'y est attaché. On en verra les joies bruyantes dans tous les romans universitaires, particulièrement dans Boojum de Charles Wertenhaker (1928), au titre emprunté à Lewis Carroll, les « boojums » étant la somme de nos désirs inex¬ primés. Le décor est l'université de Virginie où l'on s'est tou¬ jours piqué de boire sec. Poussé par un obscur besoin d'éva¬ sion, le héros, Stuart Lee Breckenbridge, s'échappe soit dans les paradis artificiels que lui procurent le gin et le whiskey, 209 soit dans le vaste monde où l'attendent les aventures les plus picaresques. L'Américain n'étant pas caustique ni malveillant par na¬ ture, les romans à clef sont l'exception. Le meilleur est The prof essor s wife de Bravig Imbs où le corps enseignant de Dartmouth, le grand collège du New Hampshire, se trouve impitoyablement brocardé. Ce livre fut composé à Paris à l'instigation de Elliot Paul et publié grâce à la recommanda¬ tion de Bernard Fay. Cette publication produisit, tout au moins dans la petite ville de Hanover où se trouve Dartmouth, un émoi semblable à celui que suscita, au début du siècle, dans le port de Toulon, la mise en vente des Maritimes de Diraison. « Peu à peu je reçus des nouvelles d'Amérique concernant le succès du livre », écrit Bravig Imbs dans son autobiographie. « Les critiques étaient très bien disposés, surtout parce que c'était le premier livre venu de Paris qui n'était ni morbide, ni mélancolique, et, à ma grande joie, il fut interdit dans l'état de New Hampshire. Les étudiants de Dartmouth n'avaient qu'à traverser la rivière pour se trou¬ ver dans le Vermont, et je me suis laissé dire que, cet hiver- là, les veillées semblèrent bien moins longues. Les étudiants se réunissaient pour lire le livre à haute voix et le temps pas¬ sait très vite» (1). The Professor's wife est d'une leçture très amusante, même pour qui ne connaît pas les originaux, car Bravig Imbs a choisi pour victimes des individus d'un modèle si courant dans les milieux universitaires américains qu'on en pourrait trouver les répliques dans tous les collèges. L'héroïne, Délia Ramson, domine de toute sa grandeur mo- liéresque les Cathos et les Madelon qui, parce que femmes, de professeurs, se piquent de tenir un salon où leur sottise prétentieuse, alliée à leur snobisme, peut s'épanouir en liber- (1) Confessions of another young man, p. 249. 210 té. « Je viens d'achever votre livre, dit Biaise Cendrars à l'auteur. Seigneur, quelle femme ! quelle femme ! ». Et il y a aussi le vieil hypocrite qui, après avoir fait la fête tout l'été à Paris, prononce des allocutions édifiantes pour mettre les jeunes gens en garde contre les perversités de la vieille Europe, l'esthète frais émoulu d'Oxford, les musiciens ama¬ teurs etc. (Il faudrait ajouter aujourd'hui le jeune professeur communiste, retour de Russie, que les dames qui se veulent à la page écoutent bouche bée et les yeux attendris par des visions de Paradis). Toute une faune burlesque et inoffensi¬ ve que Bravig Imbs a joyeusement esquissée d'un trait mali¬ cieux. Ce beau début dans la satire à coups d'épingle resta hélas sans lendemain. Installé à Paris, où il travailla quelque temps pour un journal américain, Bravig Imbs se désagré¬ gea rapidement dans l'atmosphère méphitique de Montpar¬ nasse. Il commit l'imprudence de se fourvoyer dans l'entou¬ rage de Gertrude Stein. L'Ogresse de la rue de Fleurus n'en fit qu'une bouchée. Aux dernières pages de l'Autobiography of Alice B. Toklas, elle le dépeint comme un jeune homme dési¬ reux de plaire et qui pouvait, sur son violon, accompagner l'accordéon de Elliot Paul. Deux ouvrages qu'il écrivit péni¬ blement furent refusés par tous les éditeurs américains. L'un d'eux, Chatterton, parut en français dans une traduction de la baronne Sellière, l'autre, The Cats, parut en hollandais. Il faudra attendre l'année 1936 pour avoir les Confessions of another young man, pathétique aveu d'impuissance mais important document pour l'étude de la bohème de Montpar¬ nasse. L'amertume y remplace souvent la verve mordante qui faisait le charme de The Prof essor's wife, mais, çà et là, on retrouve encore des silhouettes bien enlevées et des coups de patte qui n'ont l'air de rien mais qui portent. Témoin les dernières lignes du volume à l'adresse de Gertrude Stein et de son salon : « Avec une rapidité étonnante la petite cour se dispersa. Tous les admirateurs dévoués se trouvèrent exi- 211 lés et plus ou moins chagrins. Tous les amis des admirateurs dévoués, par sympathie, quittèrent également le salon, et, pendant quelque temps, la rue de Fleurus dut avoir l'air bien déserte et bien morne. Plus de réunions, plus de thés, plus de séances de potinages, plus de récriminations sur le sort commun infligé par les éditeurs, plus de visites à l'improviste après dîner, plus de petits gâteaux, plus de peintres nouveaux à discuter, plus de manuscrits à critiquer, plus d'excursions à la campagne, plus rien que des souvenirs... J'ai beaucoup regretté Gertrude et Alice pendant un an. Et même mainte¬ nant, il m'arrive parfois de regretter encore les petits g⬠teaux » ( 1 ). Il n'y a pas semblable humour acidulé dans un autre ro¬ man à clef, Dance out the answer de David Me Cloud (1932), au titre emprunté à Shakespeare. C'est un livre touffu qui piétine sur place et ne présente quelque intérêt que pour le lecteur au courant des mœurs et coutumes de Hamilton Col¬ lège. Ceux-ci savent alors reconnaître le doyen, le jeune pro¬ fesseur qui porte à ses élèves un intérêt excessif, et telle per¬ sonnalité très en vue dans le monde littéraire de New York et qui aurait sans doute préféré que David McCloud eût ou¬ blié son existence. Il convient de mettre à part un livre curieux et unique, un récit de vie universitaire telle que la voient les employés, jardiniers, balayeurs, patronnes de restaurants, inspecteurs des bâtiments, dactylographes, The tree has roots par Mary Jane Ward (1937). L'idée était ingénieuse et aurait pu don¬ ner naissance à une étude du plus vif intérêt, malheureuse¬ ment le talent de l'auteur n'était pas à hauteur de la tâche, et le résultat est décevant pour ne pas dire plus. Her soul to keep par Ethel Cook Eliot (1935) et It be- (1) Op. cit. pp. 300-301. 212 gan in Eden par Frances Shelley Wees (1936) seront deux exemples suffisants de romans dont l'action, bien que placée dans une ville universitaire, n'a rien à voir avec la vie de collège (ou très peu). Le premier est un roman à thèse où les questions de péché et de naissance illégitime sont présentées du point de vue catholique, le second est une banale histoire d'amour. Enfin, il peut arriver qu'un article de règlement serve de prétexte à quelque œuvre de fantaisie. Ainsi, Edward Hope, se rappelant qu'à Princeton, les femmes ne sont admises dans les chambres des étudiants que jusqu'à six heures du soir, a écrit un roman burlesque, She loves me not (1933), dans le¬ quel la danseuse Curly, pour échapper à des gangsters et à la police qui l'accuse d'un crime dont elle est innocente, se ré¬ fugie dans un dortoir aux heures prohibées ce qui déclenche une série d'aventures abracadabrantes. Le seul intérêt de ce roman très médiocre est d'avoir per¬ mis d'en tirer un vaudeville assez drôle qui a tenu l'affiche plusieurs mois à New York en 1934. Tels sont les différents aspects que présente le roman de la vie de collège aux Etats-Unis (1). Il résulte de ce coup d'œil rapide que le grand roman de synthèse reste à faire, Tous les ouvrages que nous avons cités sont plus ou moins malveillants (ils ressemblent en cela aux romans militaires français, que ce soit Le cavalier Miserey ou les Gaîtés de (1) Princeton apparaît encore dans Those hitch hickers] de Booth -Jameson (1930), The leaf is green, de John V. Craven (1931), This our exile, de David Burnham (1931), et dans un volume de nouvelles In Princeton town, par Day Edgar (1929). On trouvera des aperçus de Harvard dans The sound and the jury, de William Faulkner (1929) et dans Of Time and the River de Thomas Wolfe (1935). 213 l'escadron). Ils sont écrits par des inadaptés, des révoltés ou des neurasthéniques, en un mot des «rouspéteurs». Ils laissent donc de côté tout le bel aspect de la vie universitaire américai¬ ne : les maîtres consciencieux et dévoués, les admirables biblio¬ thèques où d'excellents travaux s'élaborent, la vie joyeuse et saine de centaines d'êtres jeunes qui combinent le travail, 3e sport et le plaisir en toute franchise et honnêteté, n'ayant pas plus de malice que de bons gros chiens bien portants, les solides amitiés qui se nouent et se raffermissent chaque année quand les diverses promotions se retrouvent lors des fêtes de clôtu¬ re. Mais c'est là un côté d'autant plus difficile à présenter que les étudiants en général ne s'en rendent pas compte. On juge mal ce que l'on voit de trop près. On se rappelle les mauvais jours et on oublie ceux qui furent heureux. En ce qui concerne la vie de collège, le recul, du reste, n'est pas sans danger. Rien ne se prête mieux à l'idéalisation que les années d'adolescence, et la représentation que l'homme mur se fait du collège, toute attendrie par le souvenir de la jeunesse en¬ fuie, risque d'être aussi partielle et aussi déformée que celle de l'étudiant nouvellement libéré. Les rancunes ayant dis¬ paru, il ne resterait plus qu'un tableau idyllique d'une insi¬ pidité sans attrait. Ce qui manque à la plupart des jeunes Américains c'est cette « gaîté d'esprit confite en mépris des choses fortuites » que recommande Pantagruel. Les choses fortuites les heurtent et les aveuglent. Pourris d'idéalisme, ils connaissent, s'ils sont intelligents, l'aigreur qu'amènent les déceptions. Ils s'éton¬ nent de trouver dans une université, qui est, en somme, un monde réduit, l'intrigue, la petitesse, l'hypocrisie et la sotti¬ se. Ils semblent ne se point douter que ce sont là vices inhé¬ rents à la nature humaine et ils montent sur leurs grands chevaux. Aux environs de la vingtième année on se croit volontiers l'âme d'un redresseur de torts. Le jour où un jeune écrivain sortira du collège libéré des illusions enfantines qui 214 l'empêchent de mesurer la vanité des efforts de l'homme, le jour où, porté vers le pessimisme, il se rappellera ce que Vol¬ taire disait : qu'il n'y a pas de mal d'où il ne sorte un bien, le jour où, enclin à la sensiblerie, il approuvera André Gide d'avoir osé dire que les beaux sentiments donnent le plus souvent naissance aux mauvais livres, le jour enfin où, croyant sentir en lui l'âme d'un réformateur, il écoutera Mon¬ taigne lui souffler à l'oreille « Que sais-je ? », ce jour-là, armé du balancier impeccable qu'est la vision exacte de l'hom¬ me avec ses tares et ses grandeurs, il pourra, sans trop de danger, accomplir cette danse sur la corde raide qu'est l'éla¬ boration d'un roman réaliste, sans outrances et plein d'équité. Maurice- Edgar Coindreau. Princeton University, 1938. CHRONIQUES Les Lettres Chronique - Eclair LES LIVRES Louis-Ferdinand Céline. — Bagatelles pour un massacre (Denoël). — Beaucoup d'ordures pour exaspérer les vidangeurs. — « Céline, Chariot français », comme l'a dit depuis longtemps Joseph Delteil : c'est le meilleur sens de l'œuvre de Céline et logiquement son vrai sens comme le démon¬ trait récemment André Gide dans la N.R.F. — Mais qui fera la vidange ? En tous cas, pas nous ! D.-H. Lawrence. — Jack dans la brousse (Gallimard). — A la recher¬ che de la dignité à coups de haine. Du meilleur Lawrence. Patrice de la Tour du Pin. —• La vie recluse en poésie (Pion). — Hommage impressionnant à la vie du poète — que suivent trois études de Daniel Rops, dont l'une fervente : « Reconnaissance à Rilke » caractérise l'apport du grand poète par cette formule heureuse : « la poésie conduit à la présence ». 216 Les œuvres complètes de Lautréamont. — Les chants de Maldoror, Poésies-Lettres (José Corti). — Ce chef-d'œuvre étant devenu introuvable, cette réédition s'imposait. La préface de M. Edmond Jaloux est excellente, et le portrait imaginaire de Lautréamont par Salvator Dali, au plus, inutile. Georges Bernanos. — Les grands cimetières sous la lune (Pion). — Sur la guerre d'Espagne, entre (au-dessus si l'auteur le veut) entre la presse de droite et la presse de gauche, la presse de Monsieur Bernanos •— bonne presse alors ? Eh oui ! Claude-Maurice Robert. — L'ermite du Hoggar (Ed. Baconnier, Alger). — Un document saisissant, sur la vie au désert du père de Fou- tauld, d'une importance africaine et humaine qui nous obligera à en parler. Max Jacob. — Ballades (Debresse-Paris). — De très belles ballades qui donnent au genre une aisance inconnue. Henri Michaux. |— Plume, précédé de Lointain intérieur (Gallimard). — Un livre sans doute moins égal que « La nuit remue » ou « Voyage en Crande-Garabagne ». Mais des pages qui prouvent que Henri Michaux est un créateur génial parmi les poètes contemporains. LES REVUES Le numéro I de Hermès et celui de mai des Cahiers du Sud, donnent deux traductions de poèmes populaires orientaux. La littérature popu¬ laire d'un pays d'Europe ne présente pour nous que l'intérêt illusoire d'une image fraîche qui étonne entre les clichés nombreux. Mais dans les poèmes orientaux l'image d'étrangère reste neuve. D'ailleurs les poè¬ mes, qui sont traduits pour la première fois en langue européenne dans ces deux revues, prouvent que les orientaux ont un tempérament au moins aussi poétique que le nôtre et surtout beaucoup plus philosophique. 217 Dans Hermès, Henriette Meyer offre avec la « Précieuse guirlande de la Loi des oiseaux » (traduite du tibétain) des fleurs à ailes qui semblent voler très loin, mais frôlent les hommes. Des « Dits et chants du Carnatic » traduit dans les Cahiers du Sud, par Raja Rao, il faut tout lire avant cette fin : « Temps, métier, richesses, rites est-ce à toi ? A toi, la magie, les charmes ? La poupée de l'envoûte, percée par la sorcière est-ce toi ? Adore Adikeshava, le Danseur — Par la Sagesse connais-toi toi-même Ne dis pas « moi » et « toi », esprit imbécile. » Nouvelle Revue Française (Mai). — Les « Pages retrouvées », d'An¬ dré Gide expriment et expliquent nettement la position religieuse de l'au¬ teur et sa position politique. Nouvelle Revue Française (Juin). — La fin de la pièce de F. Garcia Lorca : « La noce meurtrière », un chef-d'œuvre rapide et passionné. Des lettres de Voltaire à Madame Denis : documents un peu pornographi¬ ques, mais lumineux. Regains (N° 20. Printemps 1938). — Contient une « Préface pour l'amitié des poètes » à laquelle Pierre Boujut donne une chaude signi¬ fication, des poèmes de Maurice Fombeure, André de Richaud, Jean Va- gne, etc... Le Point (N° 14). — Consacre un numéro d'une rare qualité à la mon¬ tagne, des textes de C.-F. Ramuz, André Chamson, Ch.-Albert Cingria, etc... à côté de photos remarquables. Le Banquet (Juin). — A côté de bonnes choses, offre un plat très lourd qui s'intitule « Leçon d'Art poétique en 1938 ». C'est cuisiné avec une in¬ compréhension consciencieuse. Sélections et commentaires SELECTIONS Marcel Brion. — Laurent le Magnifique (Albin Michel). Henry de Montherlant. — Les Olympiques (Grasset). M. Saint-Clair. — Il y a quarante ans (N.R.F.). La Varende. — Le Centaure de Dieu (Grasset). Giovani Papini. — Les témoins, de la Passion (Grasset). Gabriel Audisio. — L'Amour d'Alger (Chariot-Alger). COMMENTAIRES Yves Châtelain. — La vie littéraire et intellectuelle en Tunisief de 1900 à 1937 (grand in-8 de 342 pages. Librairie Orientaliste Paul Geuthnar, Paris). — Depuis des siècles, la Tunisie était plongée dans la torpeur intellectuelle : ses fils excellaient à la « course » sur les eaux de la Mer Intérieure, chassaient au faucon sur leurs terres fauves, et s'adonnaient, pour rompre la monotonie des jours, au jeu raffiné des révolutions de palais. L'enseignement de la Grande Mosquée, figé dans ses formules mé¬ diévales, s'était montré impuissant à ajouter la moindre parcelle aux ter¬ res de la connaissance. Or, voici que, depuis 1881, une floraison pressée d'œuvres et de noms atteste le renouveau d'une culture proprement afri¬ caine. Mais le hasard des migrations humaines a voulu qu'au latin des Apulée et des Tertullien, à l'arabe des Ibn Khaldoun, fût substitué de nos jours le truchement nouveau d'une langue occidentale. Le Généra] Paul 219 Azan le marque fort bien dans sa préface : « La caractéristique essentielle de ce mouvement littéraire tunisien est qu'il se développe sous l'influence du génie français et qu'il utilise la langue française ». Une tradition de cinquante-sept ans est encore bien jeune, mais le seul fait de son existence ne suffit-il à justifier le dessein d'un ouvrage tel que celui-ci ? Yves Châtelain, disons-le à sa louange, a l'âme d'un bénédictin laïque: un bénédictin qui a cueilli dans le siècle, comme d'autres les simples de la montagne, une abondante moisson de noms, de textes, et de titres. Ayant quitté Tunis avec sa cueille, il s'est retiré dans son laboratoire pour dis¬ tiller en paix le contenu de son herbier. Faut-il croire qu'au cours du transfert, la fraîcheur en fut éventée"? Toujours est-il que l'élixir ainsi obtenu fleure souvent la fiche originelle, avec son universitaire odeur de carton glacé. Je ne me chargerai pas d'expliquer à travers quels alambics doivent passer les sucs premiers pour que de leur fusion se forme une œu¬ vre personnelle, car, si je connaissais la recette, je l'aurais depuis long¬ temps appliquée. Ce que le souci du vrai me force à dire, c'est qu'un ou¬ vrage de librairie, pour exhaustif et consciencieux qu'il puisse être, me paraît infiniment éloigné de l'art, qui est mouvement, rythme, et parti-pris. Ceci dit, dit en toute sérénité, ce que le lecteur croira volontiers si je lui confie qu'Yves Châtelain m'a fait la part très belle : mais puisqu'il se réfère dans son ouvrage à ma conception de la « critique de combat », je corrigerai celte expression en opposant plutôt la critique re-créatrice à la critique spéculaire, qui borne son ambition à transmettre des reflets, sans chercher à les grouper en faisceau. Je sais bien que le livre dont je parle relève avant tout de l'histoire. Mais, puisque cette histoire traite du pré¬ sent, qui ne saurait avoir à nos yeux aucun caractère d'éternité, pourquoi hésiter à s'engager, à frayer la voie, à prendre position ? Craignons que l'impartialité ne soit tiédeur, et que dans l'ordre du jugement le droit suprême ne fasse aussi figure de suprême injustice... Insister serait peu charitable, tant ce volumineux travail est étayé de méthode et de science (la'oor improbus). Rien n'y fait défaut : ni l'es¬ sentiel, ni le secondaire, ni l'insignifiant. Qu'un auteur du Béloutchislan ait un jour de sa vie publié quelques lignes dans une revue tunisienne, il tst sûr d'avoir sa mention au palmarès castellanien; il n'est, pour être saisi 220 de respect, que de parcourir les douze grandes pages de l'index des noms cités. Il n'est pas dans mon propos de suivre pas à pas la démarche de l'auteur de chapitre en chapitre : tel de ceux-ci est consacré à l'enseigne- ?nent, tel autre aux revues, aux sociétés savantes, aux éditions, au théâtre, aux questions politiques et sociales, à la poésie, à la critique, au roman... Pour la clarté de son exposé, Yves Châtelain a établi une distinction entre les œuvres d'inspiration africaine et les écrits d'auteurs tunisiens qui ne doivent rien à l'Afrique (avec de nombreuses sous-sections à l'intérieur de ces catégories). Fort bien, mais si l'on admet que l'africanité (qu'on me pardonne ce monstre philologique ! ) puisse se manifester à des signes sûrement internes du tempérament, on n'hésitera pas à trouver un Jean Amrouche, sollicité par les seules réalités suprasensibles, au moins aussi africain qu'un Montherlant, dont on sait qu'il a incorporé à son œuvre les scènes, les traditions et les paysages du Moghreb et de l'Ifrikhia. Après avoir étudié en un chapitre bien documenté les sciences et les arts dans la Régence de Tunis, Yves Châtelain a eu l'heureuse idée de consa¬ crer la dernière partie de son ouvrage aux lettres italiennes, arabes, juives et maltaises. Celles-ci uniquement représentées jusqu'à ce jour par l'ex¬ cellent florilège poétique de Laurent Ropa. Les étrangers au pays s'éton¬ neront sans doute de voir l'indigence des lettres arabes en Tunisie : Tau leur de ces lignes, qui a renoncé après des années de recherches vaines à trouver parmi les vivants un poète musulman représentatif, ne peut qu'a¬ jouter son témoignage à celui de l'historien. Les yeux des lettrés orientaux sont tournés vers l'Egypte, jusqu'à la servilité inclusivement. Les jeunes met¬ tent leur point d'honneur à l'exprimer en français, et si leur apport est en- tore d'une faible qualité, il ne nous est pas interdit de croire que de leur sein se lèvera un jour quelque Istrati arabe, ou un Milosz, peut-être... Les Italiens de Tunis n'ont-ils déjà donné aux lettres françaises, en la personne de Mario Scalesi, une manière de poète classique mineur ? La conclusion de Châtelain est optimiste, et nous le serons avec lui. Un monde intellectuel neuf est déjà né sur le sol de l'antique Carthage, dont on verra peut-être à nouveau resplendir les fastes. Sans doute, le public suit-il de très loin les efforts des devanciers, mais un public s'édu- que, et le temps accomplit son œuvre de formation. Le jour lointain où 221 brillera d'un éclat personnel la littérature tunisienne d'expression fran¬ çaise, tous les chercheurs penchés sur les origines de ce jaillissement de¬ manderont au livre d'Yves Châtelain, les renseignements positifs qui as¬ surent la solidité de sa charpente : noms, dates, titres, sans omettre un parfait appendice bibliographique qui est un modèle du genre. Le didac- :isme, qu'en d'autres termes je lui reprochais, sera tenu ce jour-là pour sa plus belle vertu : puisse cette altruiste pensée nous consoler tous de nous voir entrer vifs dans la petite histoire d'un petit canton de l'immense Afrique.... Armand Guibert. Arthur Pellegrin. — Histoire de la Tunisie (Peyronnet). — Ce livre manquait, et plus d'un souhaitait qu'il fût écrit. Il n'est pas, comme tant d'ouvrages de vulgarisation, le fruit d'une rapide enquête : M. Arthur Pellegrin a vu le jour en Tunisie, et toute sa vie s'est écoulée dans la Ré¬ gence : première garantie d'une information sûre, et d'une vue intérieure des problèmes étudiés. Lorsque paraîtra le gros ouvrage de M. Yves Ch⬠telain, qui obtint l'an passé le prix de Carthage, on saura quel rôle de premier plan tient depuis près de vingt ans M. Arthur Pellegrin dans la vie intellectuelle de cette jrrovince nord-africaine : un véritable rôle à'éveilleur. C'est lui qui au lendemain de la guerre publiait les résultats d'une enquête souvent reprise depuis lors, mais aVec moins de bonheur, sur la littérature nord-africaine. On lui doit en outre, des recueils de poèmes et de proses lyriques, mais l'ouvrage qui lui a valu l'audience d'un public plus étendu est sans doute ce livre des « Aventures de Ragabouch », où est dressée en pied l'image d'un véritable type local, frère cadet du Cagayous de Musette. Encore tout récemment, la même plume nous of¬ frait « l'Islam dans le monde » (chez Stock), excellent précis à l'usage de l'honnête homme d'Occident, dont la lecture éclaire et complète celle de la présente « Histoire ». La démarche de M. Arthur Pellegrin n'est jamais suspecte d'impru¬ dence : sa probité le retient d'avancer la moindre opinion qui ne soit 222 fondée sur les travaux de ses grands devanciers : Ibn Khaldoun, Gsell, Gautier, etc. Il ne prétend pas, en l'absence de tout document, éclairer la période pré-carthaginoise, qui nous demeure impénétrable : il semble même qu'il glisse un peu vite sur les siècles de la domination punique — mais on ne saurait attendre d'un travail aussi pondéré les joyeuses ap¬ proximations lyriques auxquelles Gabriel Audisio, avec « Sel de la mer », nous a habitués. Du moins aime-t-on que son auteur, en bon lettré qu'il est, insiste sur les semences culturelles déposées par les Romains dans cette terre africaine qui devait devenir l'aire d'élection des belles hérésies, et où s'affrontent encore de nos jours spiritualité secrète et conception intensément matérialiste de la vie. La période vandale, jusqu'ici mal connue, est fort bien éclairée dans ce livre à la lumière de découvertes récentes : les pages consacrées à la domination byzantine nous mettent en goût de détails plus explicites, mais il semble que ces termes obscurs soient encore le terrain privé des spé¬ cialistes de l'histoire romancée. Avec le récit de la conquête arabe, nous voici de nouveau sur un sol vraiment ferme. Comment comprendre certains phénomènes politiques et sociaux du temps présent sans une initiation à la doctrine de l'Islam ? C'est à ce point de vue que par leurs nombreuses incidences les deux ou¬ vrages de M. Pellegrin forment bloc. On lit avec intérêt le récit de la fondation de Kairouan par Okba ben Nafi, l'insurrection de la Kahena, et l'on assiste grâce à la clarté de l'exposé à ce double phénomène d'ab¬ sorption : l'islamisation des Berbères et la berbérisation ultérieure des Arabes. Il serait vain de suivre pas à pas un exposé qui ne passe aucun fait sous silence : dans la succession des dynasties arabes jusqu'à l'avènement des Turcs, on verra une longue suite de désordres et de tentatives d'or¬ ganisation, de révolutions de palais et de règnes prospères. Pour le lec¬ teur français une date est particulièrement importante : celle du 15 mai 1577, j our où Henri III créait un consulat de France à Tunis, acte qui amorçait ce qu'on appelle aujourd'hui notre « politique musulmane ». Celle-ci fut mise en échec à plusieurs reprises, jusqu'à ce 12 mai 1881 où 223 le bey de Tunis et le représentant de la République Française signèrent à Kassar-Saïd le traité qui instituait le régime de Protectorat. Le dernier tiers de l'ouvrage, que marque une disproportion voulue avec ce qui précède, est bourré de précisions et de faits qui rendent le son du « vécu », sans toutefois que l'auteur verse dans la facilité du genre anecdotique. Il est probable que certains esprits partisans le taxeront de conformisme à propos de son attitude vis-à-vis du mouvement nationa¬ liste destourien : il est dans son rôle de Français, comme ils seront dans le leur d'intellectuels aigris et mécontents.. Un dernier chapitre sur le mou¬ vement intellectuel et littéraire, que complète une sérieuse bibliographie, met fin à cette Histoire de la Tunisie qui classe M. Arthur Pellegrin parmi les bons serviteurs de la Régence. Armand Guibert. Jean Grenier. — La, philosophie de Jules Lequier. — (Les Belles Let¬ tres.) — Quand un philosophe entreprend quelque chose il lui est impos¬ sible de le faire isolément. Il emploie forcément quelque part une clé qui a déjà servi ; les pas qu'il fait en croisent d'autres dont il est obligé de marquer l'empreinte voisine ; à des trajets de son aventure il a souvent des complices qu'il doit nommer ou bien des inquisiteurs auxquels il doit répondre. De sorte qu'un philosophe qui risque une aventure, pour lui, est contraint de parler de la cohorte entière des philosophes. Jean Grenier, dans son livre sur Jules Lequier a ainsi le devoir de reproduire les complicités que Lequier avoue, et de rechercher celles in¬ conscientes ou cachées. Et de plus, il se propose de nous montrer l'in¬ fluence de Lequier sur ses successeurs. De sorte que Jean Grenier, qui nous soumet ce travail complet, donne plus qu'une thèse (je crois) un véritable Traité de Métaphysique. Mais ce traité fait en étudiant Jules Lequier, présente plusieurs avantages : celui d'abord d'une incarnation des idées dans la personne même de Lequier ; et celui (paradoxal alors) que ce soit un autre, Renouvier, qui a exprimé ce que l'on connaît le 224 plus de Lequier. Ce dernier avantage est en effet, délicat, puisqu'il résulte de nécessaires complications : falsification involontaire de la pensée de Lequier par Renouvier, et silence de Renouvier sur une partie essentielle inconnue de l'œuvre de Lequier. L'examen minutieux auquel se livre Jean Grenier sur l'œuvre de Lequier ou de Renouvier se trouve continuellement concrétisé et discuté, en prenant comme terme de comparaison naturelle i'un ou l'autre des deux philosophes. Il n'est pas dans notre but, d'exposer la philosophie de Jules Le¬ quier, naturellement ! Il convient seulement d'indiquer que si la pensée de Lequier est connue c'est d'abord grâce à Renouvier qui l'exprima (ou plutôt l'imprima puisque Lequier l'avait écrite) en faisant de son ami, son maître. Mais on ne considère, de la sorte, Lequier que d'après Renou¬ vier — en en faisant strictement le fondateur du néo-criticisme. Or, on ne tient compte ainsi que d'une partie de la philosophie de Lequier, qui dans son esprit n'était que subordonnée à sa philosophie chrétienne qui est la partie essentielle de son œuvre. Jean Grenier explique et critique impeccablement et définitivement ces faits. Pourtant nous avons une autre louange à lui faire. C'est pour avoir choisi précisément Jules Lequier. C'est un nom que l'on entend assez peu je crois. Or, il est un des seuls qui aient prouvé que dans une aventure philosophique on pouvait vraiment s'engager. A l'époque de Lequier le romantisme battait son plein. Ceux qui, d'habitude, s'engagent dans ce qu'ils écrivent, s'y consument, les poètes, n'ont, pour ainsi dire, rien fait. Les Châteaubriand, les Lamartine, les Hugo, les Vigny font figure de traîtres. Werther n'est Goethe que jusqu'au gros effet du suicide ex¬ clus (heureusement peut-être !). Aujourd'hui, encore, quand on voit des poètes, des philosophes, marcher sur du feu dans leurs livres, alors que dans leur vie froide, ils portent des pantoufles d'amiante, on exulte de pouvoir leur soumettre l'exemple de Lequier qui, devenu fou était « le commentaire vivant du risque public contenu dans le catholicisme », qui, désespéré nagea, autant qu'il eut de forces, pour que si Dieu voulait le sauver, alors il le sauvât — Lequier mourut ainsi. C'est une,, preuve que pour lui, philosopher, écrire, n'était pas un métier, mais un état. De plus, 225 sa philosophie où le quotidien et le personnel, sa vie se mêlent à l'abs¬ trait est une tragédie dont Goethe avec le Faust n'avait su que la fiction. Jean Grenier présentant un sujet aussi brûlant ne prend pas feu. 11 nous propose du combustible, c'est peut-être mieux. Allume qui veut qui peut. Michel Levant;. Ernst Erich Noth. — La voie barrée (Pion). — Le roman est un genre si peu limité que l'on devrait préciser d'une ou plusieurs épithètes quel livre on propose ; car sauf des spécialités flagrantes où le subterfuge est impossible « roman » remplace « livre » dans la présentation. Sur la couverture du livre d'Ernst Erich Noth, on lit : « La voie barrée — Ro¬ man » qu'est-ce qu'un roman ? Personnellement, je n'en sais rien. On peut dire que « La voie barrée » est un document sur la révolution national- socialiste allemande ; que ce livre décrit et explique certaines positions complètes en face de cette révolution ; mais, je crois ne pas avoir donné ainsi une définition de « roman ». — Peu importe ! Pourtant il est im¬ portant de souligner qu'à propos d'un événement politique capital un alle¬ mand écrive quelque chose qu'il appelle un « roman ». En France on ne sait pas employer ce procédé avantageux (car il y a procédé volontaire ou non) si ce n'est à retardement — alors, qu'en Amérique, Sinclair Lewis l'emploie pour décrire et critiquer un événement politique possible dans « Impossible ici » (1). Les écrivains français font de leurs aventures poli¬ tiques, des aventures personnelles et ce qu'ils peuvent en écrire devient (1) Sinclair Lewis. — Impossible, ici, roman (N.R.F.). 226 pamphlet (L.-F. Céline : Mea culpa (1) ou prend une valeur spéciale (André Gide : Retour de l'U.R.S.S. (2). Au contraire « La voie barrée » présente la révolution hitlérienne d'une façon désintéressée. Pour dépersonnaliser le sujet et mieux l'étudier, l'auteur raconte les réactions de plusieurs personnages : un étudiant, une femme, un nazi, un communiste, un juif et d'autres types intermédiaires. Il offre de la sorte, une œuvre complète qui reste cependant rigoureuse¬ ment réelle. Les pages passionnées, du fait même de la forme du livre, n'ont pas le caractère rebutant de la persuasion ; les idées n'ont pas la froideur philosophique. Et les faits cités ont une valeur : celle qui les rattache aux personnages du roman, en les empêchant de devenir de simples documents de reportages. Nulle part la sensiblerie et la sentimentalité souvent inhé- j entes à un tel sujet. Il nous reste à faire un éloge plus positif de ce livre. Ernst Erich Noth a un sens admirable de la composition. Après les avoir présentés d'une façon parfaite, il réunit pour une discussion « entre hommes » qui n'a rien d'artificiel : un nazi, un communiste, un jeune professeur tour¬ menté et un étudiant qui, écoutant angoissé les propos dramatiquès qu'é¬ changent ses amis s'écrie soudain violemment : « J'en ai assez. Je me f... de tous vos bavardages d'héroïsme et de mort glorieuse. Vous êtes tous des possédés. Comme si vous saviez rien de la vie, comme si on ne pou¬ vait vivre simplement, comme tout le monde ! Que nous a-t-elle donné jusqu'ici la vie ? C'est la lâcheté qu'on devrait vous prêcher, l'instinct de conservation, les doutes torturants sur tout ce que vous invoquez et qui ne raut peut-être pas réellement votre enjeu. On vous dupe, vous vous dupez vous-mêmes ! ». C'est une profession de foi à laquelle le livre entier donne toute sa valeur en la préservant des critiques qui y sont déjà énoncées. D'ailleurs puisque c'est un « roman »... Michel Levanti. (1) L. F. CELINE. — Mea culpa (Denoël). (2) ANDRE GIDE. — Retour de l'U.R.S.S. (N-R.F.) 227 MEMOIRES Fernand Vanderem. •— Gens de qualité (Gallimard). — Samuel Pepys. •— Journal (Gallimard). — On écrit ses Mémoires quand on est vieux et oisif. Or, on est mécontent d'être vieux et oisif. Dès que l'on sent percer le mécontentement on prend la plume ; et l'on prétend se peindre tel qu'on était dans la joie et l'activité de la jeunesse. Et ce qu'on était, on le voit, à travers sa mémoire, juste au moment où on commence à la perdre. C'est alors qu'on exige d'elle les plus grands efforts. Elle se venge en vous trompant. Elle a deux moyens de le faire : elle laisse fuir les sou¬ venirs que nous cherchons en elle, elle fausse ceux que nous y trouvons encore. Tantôt elle les défigure, ce qui est fâcheux ; tantôt elle les trans¬ ligure, ce qui est pire. Il existe, il est vrai, un artifice qui permet de conserver des souvenirs assez exacts : c'est de les noter chaque soir, peu après les événements qui nous ont frappés. Dans ce cas, on n'écrit plus des Mémoires, mais un Journal. Les Mémoires se composent quinze, vingt, trente ans après les événements qu'ils relatent. Le Journal on le rédige, quatre ou cinq heures après. M. Fernand Vanderem qui est encore vivant (il n'a que soixante- treize ans), vient d'écrire et de publier ses Mémoires. Ils s'intitulent : « Gens de qualité ». M. Samuel Pepys qui est mort (il aurait présentement 305 ans) nous apparaît, un peu malgré lui, dans son « Journal » (1660-1669). Je vous parlerai de lui tout à l'heure. M. Fernand Vanderem est très connu. C'est juste : il a du talent, un talent agressif. Il a aussi ses bêtes noires. Présentement, la plus noire" d'entre elles n'est autre que M. Paul Valéry. M. 'Fernand Vanderem est spirituel, facilement spirituel. Cet esprit lui a inspiré des Pensées qu'il a recueillies et modestement intitulées : « Minimes », par respect pour La Rochefoucauld, et autres. Il les a publiées à la suite de ses Mémoires. En voici une : « Pour se défendre d'une femme ou d'un quémandeur, l'auxi¬ liaire le plus imprévu, c'est parfois leur dignité ». On ne saurait mieux dire. 228 Pour ce qui est de Samuel Pepys, on ne peut le citer toujours aussi facilement, car Samuel Pepys n'est pas toujours convenable. Il est Anglais cependant, très Anglais même ; on n'a jamais fait plus Anglais. Mais c'est lin Anglais du bon temps, où les Anglais aimaient à la folie les arts, le vin, les femmes ; le temps où l'Angleterre comptait des amoureux furieux, des maris infidèles et des fonctionnaires prévaricateurs. Samuel Pepys est tout cela. Il est impossible d'en douter, puisqu'il le raconte lui-même. J'admets qu'il en rougit. S'il n'en rougissait pas, aurait-il rédigé son Journal en langage chiffré, et raconté ses escapades les plus scandaleuses en compliquant ses cryptogrammes de mots grecs, latins, français, espa¬ gnols, portugais, italiens, de façon à n'être compris que de lui seul ? Malheureusement, tant de précautions ont été vaines, car on l'a dé¬ chiffré et traduit. Rien ne résiste à la malignité des hommes ou à la curio¬ sité d'un pasteur anglican très érudit. Car c'est un pasteur anglican très êrudit qui a découvert, déchiffré, publié ce texte blâmable. Labeur énorme: 3.000 pages. Elles dormaient à la Bibliothèque de Cambridge, où personne n'en fit cas jusqu'en 1825, date à laquelle le pasteur se mit au travail. Le succès le plus scandaleux couronna ses efforts. Car Samuel Pepys était un personnage. Quoique fils de drapier, il avait su, grâce à des protecteurs et à 'ses mérites (il en possédait de remarquables), se hisser aux grands emplois : Secrétaire Général de l'Amirauté. Il fut, sans nul doute, un ha¬ bile homme, ce qui ne l'empêcha pas d'être un homme sincère, du moins envers lui-même, quand il écrivit son « Journal ». Car Pepys entendait (comme tout le monde, en ce temps), les reproches de sa conscience. C'était vne conscience qui avait fort à faire. Si on ne lui obéissait pas toujours, on l'écoutait pourtant. Ainsi Pepys, quand il avait commis un péché, s'infligeait lui-même des amendes. Il avait institué, à cet effet, une tire-lire des pauvres, où il glis¬ sait alors quelques shillings. Il gémissait en les glissant, non de remords, mais d'être obligé de les y glisser. Ce gémissement ne signifie pas qu'il fut avare. Il dépensait volontiers pour ses plaisirs et sa garde-robe. Mais l'argent qu'il déboursait prenait brusquement à ses yeux une valeur sin¬ gulière, du moment que sa conscience seule en recevait le bénéfice. Ton- 229 tefois, il faut lui tenir compte de cette mortification ingénieuse et de l'aveu qu'il nous en fait. Ce drôle d'homme syait bien de l'esprit. Il devrait inté¬ resser les amateurs d'âmes. Jacques Braud. Louis Bertrand. - - Mes années d'apprentissage. (Arthème Fayard, Paris). — Louis Bertrand n'aime pas les universitaires, et il ne s'en cache pas. Qu'il soit assuré, cependant, que tous les professeurs n'éprouvent pas à son égard le même sentiment. L'estime qu'ils ont pour ses livres, parti¬ culièrement ses livres africains, n'est pas diminuée par les remarques sé¬ vères qu'il fait sur certains cuistres ; peut-être, au contraire, s'en trou¬ verait-elle renforcée. Le nouvel ouvrage de Louis Bertrand est le cinquième et probablement dernier volume de la série intitulée Une destinée, sorte d'histoire de ses débuts, qui penche plus du côté des mémoires et du témoignage que du côté des souvenirs anecdotiques. On avait, ici-même, l'an dernier, appré¬ cié le recueil précédent, « Sur les routes du sud ». Celui-ci rencontrera la même faveur, bien qu'il nous touche sans doute d'un peu moins près ; mais sa valeur de document humain, ainsi que ses vifs aperçus sur la génération d'avant-guerre et aussi d'après-gherre en France comme à l'étranger, retiendront l'attention et forceront la réflexion. Je recommande particulièrement la lecture du chapitre final que Louis Bertrand donne en conclusion de ses « Mémoires d'outre-tombe ». Ces pa¬ ges, de la plus grande actualité, contiennent un testament littéraire et poli¬ tique qu'au milieu de la veulerie générale d'à-présent, il y avait quelque uoblesse à écrire. Mais ce ne sont pas les seules pages « actuelles » du 230 livre, qui fourmille d'allusions ou de jugements dont le lecteur ne man¬ quera pas de faire son profit, même s'il ne partage pas toutes les opinions de l'auteur. Roland Lebel. René Guillot. — Frontière de brousse. (Editions du Moghreb, Casa). — Dix nouvelles de 20 à 50 pages chacune. En exergue ces vers : « Dans ton sang, c'est dans ton sang Que les tam-tam se répondent Ceux de la chasse et des jeux De l'ivresse et de la mort. » Ces vers donnent le la du livre.Ce n'est pas un la clair et agréable comme celui qui pourrait vibrer sur les cordes d'un instrument de chez nous. C'est un la magique, une note sourde, noire, passionnée, créatrice d'envoûte¬ ments et de maléfices. Si l'on pouvait placer un signe astrologique sur l'âme d'un livre, comme on le place quelquefois sur l'âme d'un homme, il faudrait inscrire, au frontispice de ces nouvelles de la brousse, la mai¬ son de Saturne avec la Croix des Sorciers, le triangle de Paracelse et la ligne de Fatalité. Car elles sont inspirées par une Nature étrange où tout est étrange : hommes, bêtes, végétaux. Du sol à ces hommes circulent des influx mystérieux. Le souci des hommes est de les capter, de se les ren¬ dre favorables. Dans ce monde où un animisme intense fait régner une crainte partout latente, où tout vit, épie, menace, où il faut tout apprivoi¬ ser, les bêtes, elles aussi, prennent une valeur surnaturelle. De là l'his¬ toire de l'hyène qui vole à un nouveau-né son âme, cette âme qui donnera une nouvelle force, qui rendra la vie au vieux corps décrépit de l'animal. 231 C.e sont là des histoires à faire peur. Racontées d'une façon obscure (mais comment dire clairement des choses qui ne sont pas claires ? ) il en émane une puissance de suggestion extraordinaire. Or, c'est là justement la puissance indispensable à qui veut évoquer, en nous, et du fond de ï: ous, ces mystérieux offices de la sorcellerie noire. Lisez « La forêt ma¬ lade » ou la « Randonnée des morts ». Ce sont d'hallucinantes histoires. L'arbre lui-même nous y poursuit de sa malveillance. Ce climat lourd est très favorable à l'éclosion d'une poésie sombre où excelle René Guillot, poésie que rythment ces tambours magiques qui échauffent le sang, troublent la tête. Il nous semble que cette musique est un apport original à l'exotisme littéraire. Ce qu'on retient de ces histoi¬ res, souvent inexplicables, c'est moins le sujet lui-même, qu'un rythme qui vous hante. René Guillot est un poète. Henri Bosco. ronique marocaine CONTACTS Dans l'introduction dont son amitié couronne le Dialogue sur l'art entre un français et un marocain (Revue musicale de juin) de M. Pierre Féline, Paul Valéry s'avance d'un pas léger sur le terrain de la politique indigène. Sa démarche est d'une élégance infaillible. Trois phrases et le voici dans le cœur du sujet. Sans avoir pris la peine de descendre jusqu'au Maroc, et n'en connaissant que l'odeur des aimables feuillets du Colonel Féline, il met le doigt sur l'essentiel. Ainsi le maître, sur un simple récit et sans avoir vu le malade porte un diagnostic assuré. Il prédit l'échec des tentatives de contact, des essais d'assimilation, si l'un des éléments, dans la conscience qui lui est donnée d'une évidente supériorité de force, prend l'attitude, sup¬ posons même en toute générosité, de qui n'a qu'à enseigner sans penser à recevoir. Hauteur et justesse de vue, au sein d'une méditation solitaire, qui d'un coup d'aile rejoint celle de Lyautey. Il se trouve que, le même mois, dans Commune, Henry de Montherlant rejoint exactement Valéry, en un tableau, pris sur le vif, d'un mouvement extraordinaire. Il s'agit du contact de Yahia et de Combet-David, « fameux arabisant », sur le terrain de la collaboration scientifique. L'idylle dura six ans. M. Combet-David empêchait Yahia de crever de faim, moyennant quoi il le suça comme un vampire... Quand M. Combet-David eut bien sucé Yahia, que toute la substance de Yahia fut passée dans les ouvrages de M. Combet-David, celui-ci lui dit à peu près : « Vous avez chanté ? Eh bien, dansez maintenant ! » et rejeta cette pelure vide... Les ouvrages de M. Combet-David écrits en collaboration avec Yahia ont paru d'abord sous leurs deux noms. Dans les réimpressions, le nom de l'académicien figure 233 seul, suivi, en caractères minuscules, de la mention : « en collaboration avec M. Yahia Bendali ». Enfin, sur la couverture de leur dernier ouvrage, Pro¬ verbes des Bédouins; du Cliara (à quoi servirait-il d'être arabisant si on n'écrivait pas Cliara pour Sahara, A'haggar pour Hoggar, Pas, pour Fez, etc.), le nom de Yahia a été purement et simplement supprimé. C'est la gra¬ dation usuelle par laquelle nous nous débarrassons d'un collaborateur in¬ connu et désarmé. A la lettre entortillée et humble où Yahia se plaignait de ce dernier traitement, M. Combet-David a répondu par un bref billet où il expliquait ainsi la chose : « J'ai des ennemis très puissants. C'est dans votre intérêt que je n'ai pas voulu que votre nom fût associé au mien. » On sent bien que ce grand Français est dans une situation à ne plus se gêner. Je voudrais tout citer, de cette peinture du mauvais orgueil et de la scien¬ ce faite sottise : « Il semble que lorsqu'on traduit des poèmes bédouins du désert, tout l'intérêt soit d'en conserver la naïveté et la force. M. Combet- David ne l'entendait pas ainsi : ce qu'il voulait, c'était donner des poèmes qui, d'une part, fussent élégants, et d'autre part convenables à nos mœurs. Affaiblir l'expression et dénaturer le sens : tel est essentiellement son ap¬ port aux traductions de Yahia. Exemples : quand Yahia traduisait littérale¬ ment : la « salive » (de l'objet aimé), M. Combet-David, choqué par « sali¬ ve » (et ignorant sans nul doute que c'est bien la salive qu'on échange dans les baisers pénétrants de l'amour), biffait, et mettait « l'haleine ». Quand Yahia traduisait : « son corps pétri de sang et de chaux » (les Bédouins ap¬ pliquent de la chaux sur les blessures), M. Combet-David, choqué d'abord par le mot « sang », qui lui paraissait répugnant, le remplaçait par « pour¬ pre », qui est un mot noble ; choqué ensuite par le mot « chaux », qui lui paraissait trivial, le remplaçait par « albâtre », qui est un mot poétique, et écrivait bravement : « son corps pétri de pourpre et d'albâtre ». Et ainsi de suite. Le résultat était que ces poèmes bédouins, pleins de traits vigou¬ reux et neufs dans la traduction de Yahia, et qui eussent fait sous cette forme les délices des lettrés, comme celles de toute âme sensible aux pas¬ sions, devenaient d'une fadeur insipide, et proprement illisibles après les corrections de M. Combet-David : à quelques mots près, on eût pu les pren¬ dre pour des traductions du XVIIe siècle, d'Horace ou Tibulle... ». Les images d'Afrique du Nord qui émergent des Pages africaines extrai- 234 tes par Mme Jeanne Sorel, de la littérature française (Horizons de France), sont au contraire d'un orientalisme aux douces teintes. C'est peut-être la preuve que son anthologie est bien faite. Il était toutefois impossible d'y caser dans ces conditions, justement, Montherlant. Si Abdelkader Benchehida, qui recueille et traduit les Roses marocaines de Si Ahmed Sbihi (Geuthner) a-t-il subi l'influence d'un Combet-David ? Je ne crois pas. Son livre nous fait connaître la poésie officielle du Maroc. Elle est, on le sait, jeu d'adresse. Nous avons connu cette mode en France, mais notre poésie s'en est relevée. A la base, un manque de substance : Souvent, le jeu au tennis, en compagnie de jolies femmes, éloigne tout souci du cœur. — Ainsi quand ces femmes{ lancent les balles, elles semblent ban¬ nir les soucis dans un monde sa/is écho... Il y a probablement des manières en arabe de dire cela joliment. L'illustration de M. Mattéo-Brondy fait une très heureuse harmonie avec le texte. La littérature de M. Piersuis est âpre. Dans sa forme et par sa pensée elle adhère à son thème : le roman du bled. Que ces aventures d'une portée profondément humaine aient trouvé en lui leur enterprète, nous ne pouvons assez l'en remercier. Dans Les Feux du Douar (Editions du Moghreb) il re¬ lève « la marque du bled sur l'esprit de l'Européen ». Car c'est là-bas que le contact est fait d'échanges, et combien, des uns et des autres, y périssent! On enfonce dans ce récit comme dans la sacrée terre du Rharb. L'auteur se porte vers ses héros, non par affection ni même sympathie, mais parce qu'ils l'intéressent. C'est le plus bel hommage et le plus viril, qu'il leur puisse rendre. Je voudrais qu'il assure son talent de conteur et rapporte quelques- unes des histoires de cette terre jusque dans leur invraisemblance tragique. On apprend beaucoup sur les hommes en voyant comment ils se vêtent. L'art décoratif ne donne ses chefs-d'œuvre qu'au sein des sociétés formées d'individualités violentes : Moyen Age, primitifs. Il demeure encore, dans des coins presque inviolés de ce pays, les restes de parures d'une éclatante somptuosité sur la misère, d'une inspiration pour nous déconcertante et qui place l'homme à la hauteur des plus réussis des oiseaux. M. Besance- uot, par l'admirable exposition qu'il a faite à Paris, nous a permis de con¬ templer quelques-unes de ces féeries. M. Gilbert Bons a relevé une éton- 235 iiante série de coiffures. Dans le premier fascicule de son Costume au Ma¬ roc (Boccard), M. Gabriel-Rousseau consent à être plus modeste. Il suit très consciencieusement les chemins battus. Il a le mérite d'entreprendre le pre¬ mier une œuvre qui peut être magnifique. Son ouvrage intéressera très uvement ceux qui ne sont pas venus au Maroc. L'Art Vivant, qui consacre un numéro spécial à notre Empire colonial, ne s'est pas mis en tête de chercher une formule neuve. Chaque rubrique a été affectée au premier rédacteur dont le nom vient à l'esprit. Sans doute s'agit-il souvent du plus qualifié, mais ces Messieurs sont certainement très occupés, ou bien ils en ont trop dit déjà sur le sujet. Pourtant l'art indigène inspire à Gabriel Audisio de très élégantes réflexions. MM. Merlin et Poinssot ont eu le goût de choisir pour thème de leur article la plus émouvante, la plus séduisante aventure de leur carrière : la pêche miracu- ^use d'œuvres exquises, au large de Sfax de 1907 à 1913. Parmi toutes ces photos, celles qui viennent du monde noir ont une force d'un éclat sai¬ sissant ; mais cela non plus n'est pas neuf. Quant au tableau que dresse M. Laprade de l'architecture moderne au Maroc, c'est une mauvaise plai¬ santerie. M. Laforgue, lui, ne parle pas s'il n'a quelque chose à dire. Sollicité de donner des conseils aux amateurs de jardins, il s'exprime judicieusement (Chantiers, avril) : « Je vous recommanderai simplement d'éviter l'en¬ combrement, et de respecter les proportions en vous méfiant des erreurs d'échelle. L'erreur d'échelle est le résultat de deux défauts qui, comme beaucoup de défauts, sont opposés et se joignent : l'emphase et la mesqui¬ nerie... Le second de ces défauts est souvent' à reprocher à nos places pu¬ bliques. Il est même facile de constater, par la comparaison, combien ce défaut est surtout moderne, alors que le passé nous a légué de si beaux exemples. Nous pouvons constater la chose au Maroc : à Casablanca, il a été exécuté, ces derniers temps, sur des places publiques, des fontaines en céramique à l'échelle d'un patio de maison. Plus près de nous, vous con¬ naissez les comiques proportions qui ont été données à un bassin avec fon¬ taine près de la gare. » Tout livre sur Lyautey, même indigne, apporte avec lui-même un élé¬ ment d'intérêt : l'embarras de l'écrivain devant un tel sujet. Un témoi- 236 gnage de M. Wladimir d'Ormesson (Adieux, éd. Spes) s'impose pour une autre raison : nul n'ignore que l'auteur fut de ceux à qui le Patron a voué une personnelle amitié. L'on comprend que de cet héritage naisse un de ces sentiments qui nourrissent une vie. Sur ces souvenirs on s'appuie. Parfois, un des articles que, quotidiennement, M. d'Ormesson donne au Figaro, semble un appel à l'Ombre. Une des images qui sont la richesse de l'auteur prend l'actualité, devient leçon. Le directeur du Figaro voit en Lyautey, celui sur qui les Français, à l'heure des pires troubles, trouveraient à s'accorder. Il le cherche, il le trouve, avec autant de cœur que de noblesse d esprit. C'est ainsi que le Maréchal aurait voulu survivre. Mme Sonia E. Howe (Lyautey du Tonkin au Maroc, Société française d'éditions littéraires et techniques), elle non plus, ne traite pas essentielle¬ ment le sujet. On ne devinera pas sous ces lignes ce que pouvait être Lyau¬ tey. Elle n'a tenté que de dire son œuvre, et même simplement, cette An- - glaise, Lyautey au service de la France. Les conditions, les circonstances, les faits, sont dits avec exactitude et conscience, avec intelligence et clarté. Est-il besoin d'ajouter que le récit est passionnant ? Et même que la formule est bonne. Ces pages sont à lire en même temps que ce qui reste du Maré¬ chal : ses lettres, ses paroles. Aussi bien ce qu'on écrira de lui ne sera jamais qu' « en marge ». Recevra l'étincelle qui est digne. Avec le général Charbonneau, nous voilà loin de Lyautey. Son Maroc 23e heure (Lavauzelle) est un document de haut intérêt. Il fait connaître ce que peut être, face à l'histoire contemporaine du Maroc, une réaction stric- iement militaire. Les militaires ont pris, à cette histoire, une part suffisam¬ ment importante et glorieuse pour que nous souhaitions approcher cette pensée. A ce titre, les lettres envoyées par le colonel Laverdure à ses filles, dans les dernières semaines de sa vie, et qui forment le centre du livre, sont des pièces de choix. Remercions encore le général Charbonneau de nous faire connaître ce mot de l'historien Lenôtre, disant de Bazin : « Pour re¬ later la vie de Charles de Foucauld, l'ermite du Sahara, il ira jusqu'au Maroc. » Le Maroc héroïque du Médecin capitaine Yial (Hachette) a connu un j uste succès. C'est un beau livre et qui mérite son titre. A condition d'accep¬ ter qu'héroïque soit synonyme de guerrier. Voilà comme on a toujours parlé 237 aux jeunes gens de vingt ans, partant, sans doute, comme il faut leur parler. Mais sans aller jusqu'à célébrer certains gestes du capitaine Laffitte, qui lèvent simplement le cœur. Au reste, il ne s'agit pas du tout dans ce livre d'une paraphrase d'épopée : c'est un récit documenté, véridique et prenant. Ce qui, chez les héros émeut Mme Girard, c'est leur faiblesse. Marraine de légionnaires (Sorlot) est un livre tendre. Ces réprouvés font à une femme, parce qu'inconnue, des confidences d'adolescents, des confidences qui satis¬ font cette part de médiocrité nécessaire à notre repos. Elles touchent. Encore un document humain : le bel album édité par les Imprimeries Réunies sur les., Corses au Maroc. Ils sont tous là, nommés, loués, photogra¬ phiés. Et c'est une illustration saisissante de l'installation des Français au Maroc. Les gloires de l'Ile sont citées. Voici les personnages à qui sont dues des mentions spéciales : M. Chiappe, M. Campinchi, Napoléon et son fils, Tino Rossi, et tous les membres de l'Institut : Abel Bonnard, Claude Far- rère, Paul Valéry, Lucien Bonaparte, Jérôme Carcopino. La somme de travail consciencieux, dévoué, amoureux, qu'ont dépensée depuis sa création les rédacteurs de la Revue de Géographie marocaine est un exemple insigne. A vingt-deux ans, elle fait preuve, sous l'impulsion de MM. Célérier et de Mazières d'une vigueur d'adolescente, et même annonce qu'elle va étendre son action. Son numéro de mai dernier donne la primeur de l'introduction qu'ont rédigée pour le Guide de l'Alpinisme de l'Office du Tourisme MM. Dresch, Emberger et de Lépiney, c'est-à-dire les meilleurs. La Revue accueille en outre au Maroc, M. del Villar, 1 eminent pédologue espagnol. Il vient de se fonder à Paris une revue où sont abordés sérieusement et au grand air . les problèmes coloniaux, où les spécialistes font un effort vers l'audience du public. C'est une date. La France méditerranéenne et africaine fSirey) est dirigée par MM. Robert Montagne, René Hoffherr, Ladreit de Lacharrière. Chaque fascicule apportera les résultats d'une enquête menée principalement par le groupe qui s'accroît autour de l'équipe des cours de haute administration musulmane. Voici les bases concrètes de ce contact Mé¬ tropole-Colonie, qui ont, elles aussi, pour en revenir à mon point de départ, tant à recevoir l'une de l'autre. Christian Funck-Brentano. 238 MEMENTO Deux études posthumes de Pierre de Cénival : Les émirs des Hinlata, « rois, » de' Marrakech (« Hespéris », 4e trim. 1937) et, en collaboration avec M. Th. Monod : Description de la côte d'Afrique de Ceuta. au Sénégal par Valentin Fernandès (1506-1507) (Larose). Charles de Foucauld : L'Evangile présenté aux pauvres du Sahara. — (Rabat, impr. Foch). — Berthe G.-Gaulis : Lyautey intime (Berger-Levrault). — Général Gouraud : Lyautey (Hachette). — Albert-Jean : Le quartier des Andalous (Ed. des Loisirs). — Henri Ardel : Colette Bryce au Maroc (PlonL — A. Armand y : Pour la Princesse (Pion). — Louise et Justin de Ciiersoux : Autour de la Mdida; (Tanger). — L. des Courières : Chansons d'amour (Tanger). — Paluel-Marmont : Malika, fille de chef (Nouv. Soc. d'éd.). — A.-M. Goichon : La distinction de l'essence et de l'existence d'après Ibn Sidna (Desclée de Brouwer). — Jean Martin : Je suis un légion¬ naire (Fayard). — M. E. Orano : A tra,verso il Marocco (Naples). — Géné¬ ral Caloni : La France au Maroc (Soc. d'éd. litt. et techniques). — Henri Terrasse ■' Villes impériales du Maroc (Arthaud). — B. Maslow : Les mos¬ quées, de Fès et du Nord du Maroc (Ed. d'art et d'histoire). — H. Koehler: Relation de la vie et de la mort de sept jeunes gens que Moulay Hamet, roi du Maroc, tua... (Moncho). — Mélanges de géographie et d'orientalisme offerts à E.-F. Gautier. — G. Marcy : A propos du déchiffrement des ins¬ criptions libyqu.es (Alger. Carbonel). — Orage sur l'Afrique du Nord (Libr. de Médicis). — L. Chauvot : Le Haut Comité Méditerranéen (Libr. technique et économique). — G. Lucas : Fès dans, le Maroc moderne (Si- rey). — P. Stéfani : Les libertés publiques aji Maroc (Sirey). — L. Em- uerger : Les arbres du Maroc (Larose). R. Pottier : Charles de Foucauld artiste (« Etudes », 5 mars). -- Emile Dermenghem : Printemps marocain (« Nouvelles littéraires », 16 avril). — R. Lebel : Le faux exotisme («Afrique française », avril. — R. Le Tourneau : Molière à Fès (« Bull, de l'enseignement public au Ma- ïoc », avril). — H. Larrouy : Lettre de Fès et Stéphane Lothar : Lettre de Salé (« Cahiers du Sud », avril et février). — Fr. Sieburg : Nach Ma- 239 rokko (« Frankfurter Zeitung », 19 juin). — A. Fraccaroli : Viaggio al Marocco (« Corriere délia Sera », avril-mai). — Y.-D. SÉmach : Le saint tVOuezzan et les saints du Maroc (Bull, de l'enseignement public », juin). — R. Ricard : Les Portugais et l'Afrique du Nord sous le règne de Jean III, d'après la chronique de Francis,co de Andrade (« Hespéris », 4e trim. 1937). — G. Marçais : Sur l'inscription arabe de la cathédrale du Puy (« Comp¬ tes rendus de l'Ac. des Inscriptions », avril). — Docteurs Gaud et Sicault : L'alimentation indigène au Maroc (« Bull, de l'Institut d'hygiène », oct.- déc. 1937). — Dy M. Uzan : Le théisme (« Sciences », avril). — R. Hoffherr : La coopération internationale en Afrique («Rev. polit, et parlem. 10 janvier) et Comment organiser une économie française d'Empire (« Po¬ litique étrangère », avril). — R. Montagne : Comment organiser politique¬ ment l'Empire français (« Politique étrangère », avril). Les Renseignements coloniaux de mars publient les Entretiens sur l'évo¬ lution des pays de civilisation arabe tenus à Paris en juillet 1937 : Intro¬ duction, par R. Montagne ; Tendances intellectuelles de la jeunesse de Fès, par M. Le Tourneau ; Les écoles coraniques rénovées au Maroc, par G. Spillmann ; Les influences européennes sur les familles indigènes au Maroc, par Mlle Masson, etc... Les Arts La peinture A PROPOS DE L'EXPOSITION EDY LEGRAND Quand on dit d'une œuvre d'art << elle est poétique », alors que ce n'est pas un recueil de vers, on croit trop vite l'avoir comprise et jugée. Certes on en a perçu un caractère latent, mais encore ne faudrait-il pas le défi¬ nir et mieux, l'expliquer ? Ce sont là deux problèmes qui, résolus à pro¬ pos de l'exposition de M. Edy Legrand, doivent la situer comme ne le peu¬ vent faire les éloges descriptifs. La première remarque est de ne pas confondre la poésie picturale avec la poésie littéraire, l'illustration d'un texte par le dessin ou d'un dessin par le texte consistant à transformer l'une en l'autre. Je sais bien que. dans les tableaux de M. Edy Legrand, on découvre des personnages qui semblent faits pour les poètes ; mais, qu'on ne s'y trompe pas. si le ré¬ sultat est littéraire (dans le bon sens du mot) l'intention était exclusive¬ ment picturale ou c'était la réalité. Donc la poésie flagrante, sensible pour chacun, dans la peinture de M. Edy Legrand, est subordonnée à l'organisa¬ tion du tableau. De même, la vie cui se dessine dans les gestes ou les positions relati¬ ves des personnages dépend de la réalité, mais ne s'y adapte que jusqu'à la courbe parfaite qui adhère à la sphère pleine, incassable, qu'est un 241 ■ableau de cet artiste. La meilleure preuve est que dans aucune œuvre de M. Edy Legrand, jamais un seul personnage n'est traité au détriment des autres. Que la relativité des masses et des rapports fait l'harmonie d'un tableau, chacun s'en rend compte, comme Newton de la gravitation universelle : que cette pomme soit sur l'arbre ou qu'elle soit sur l'herbe, le tableau n'a plus le même poids. Mais ce que les réussites de M. Edy Legrand dé¬ montrent, c'est que le dosage des couleurs est mathématique au même titre que l'isolement ou le groupement des masses. C'est dans ce dosage qu'esl contenue la valeur exclusivement technique du cubisme ; mais, tandis que les cubistes se sont acharnés à la contemplation vicieuse de ce bijou, M. Edy Legrand l'offre en appât à la vie qui mord et se laisse caresser. Ce sont là des perfections techniques que l'on rencontre assez peu pour se permettre d'y insister. Ce ne sont que des moyens pour peindre, mais la façon dont les possède M. Edy Legrand démontre une recherche passionnée qui n'aura pas de fin, puisque, chaque nouvelle combinaison pose un nouveau problème. Toutefois, cette maîtrise incroyable pourrait donner une œuvre stérile^ Mais, de la même façon que la poésie de M. Valéry n'est pas un traité de versification, la peinture de M. Edy Legrand n'est pas « l'art de peindre ». Ici comme là, le génie serre les bras, étouffe : quand on regarde, le tra¬ vail est morL II fallait bien lui porter des fleurs. Michel Levantî. 242 ALBERT MARQUET EN SUEDE Les liens qui unissent la Suède et la France sont très forts. Combien de français le savent ? Cependant que d'artistes suédois ont travaillé et vécu à Paris ! Ils en parlent avec chaleur, ils vont y passer une partie de leurs vacances et accueillent avec une vive sympathie écrivains, pein¬ tres, chanteurs que Paris leur envoie. Il faut voir une salle suédoise devant un spectacle français. Elle a toutes les indulgences de l'amitié. Les suédois manifestent un goût très vif pour notre peinture. Notre cher et grand Albert Marquet a trouvé chez eux une fervente admiration. Son exposition à Stockholm a valu à notre art les plus flatteuses louanges. Le conservateur du musée national M. Ragnard Hopp écrit : « Il n'ar- « rive pas trop souvent qu'un grand peintre français fasse une exposition « particulière dans notre pays. Qu'il honore un événement pareil de sa « présence est encore plus rare, mais s'il expose des paysages de Suède « avec ses autres toiles, il faut regarder cela comme quelque chose de « tout à fait nouvau. Puisqu'Albert Marquet réside maintenant dans notre « capitale en double qualité de peintre exposant et de peintre de Stockholm, « nous autres suédois, nous avons une raison particulière de lui souhaiter « la bienvenue. « En cette occasion unique, c'est pour nous une grande joie d'adresser « à Marquet comme représentant de la peinture française, des remercie- « ments pour tout ce que l'Art français nous a donné d'expériences riches <- et fertiles, et ces remerciements, nous lui demandons de les transmettre (<■ à son pays ». Albert Marquet a travaillé, il y a trois ans à Rabat. Nous aimerions qu'il y revînt. L'accueil du Maroc, nous en sommes sûrs, ne le céderait en rien à celui de la Suède. M. M. AGUEDAL ? parait six fois par an par les soins de henri bosco, c. funck-brentano armand guibert (tunis) jean grenier, rené janon (alger) et pour le compte DE LA SOCIETE DES AMIS DES LETTRES ET DES ARTS au maroc Rabat, 14, avenue de Marrakech abonnement ; Pour un an : 40 frs. {Etranger : 50 frs). Chèques Postaux : Sala, 122-95, à Rabat.