■ ' : ' smts ■ /S£5>fe\ /#v \ IJè! f FONDS % £ [ J» I KËN& î Hw y» ^BOicoy -s1 Hommage à JS/Lax Jacob AGUEDAL 1939 2 M ARC H I SI O 4"'« Année - N° 2 Mai 1939 CE NUMÉRO CONSACRÉ A Max JACOB A ÉTÉ COMPOSÉ PAR Jean DENOÊL Hommage à JMlax JACOB SOMMAIRE Max Jacob PORTRAIT PAR LUI-MEME André Gide Max Jacob. Paul Claudet Lettre à Max Jacob Michel Levant; La vie et l'œuvre de Max Jacob. Max Jacob MEDITATIONS RELIGIEUSES. TEMOIGNAGES Marcel Béalu Henri bosco Souvenirs Napolitains. Daniel-Rops Jean Grenier Max Jacob. Paul Petit Réponse à Max Jacob. Jean de Saint Chamant et J. SouliÉ Soirée avec Max Jacob. Max Jacob VIEUX MONDE BRISE. HOMMAGES Natalie Clifford-Barney . . Francis Carco Georges Charensol Charles Albert Cingria . . Jean Cocteau J oseph Delteil Max-Pol Fouchet Roger Lannes Julien Lanoe Henri-Philippe Livet Alain Messiaen Gertrude Stein Jean Valmy-Baysse Morwen le Gaélique Hommage de l'Amazone. Max peintre. Image de Max Jacob. Signe à Max. Rencontre. Hommage à Max Jacob. Le Message de Morwen le Gaélique. Hommage à Max Jacob. Le Solitaire de St. Benoît-sur-Loire. Eternité du poète. Souvenirs sur Max Jacob. POEMES POEMES Maurice Fombeure Rencontres avec Max Jacob. Michel Manoll La part de Dieu. andré de rlchaud Hommage à Max Jacob. Saint Poi. Roux Marché quotidien. André Salmon Itinéraire mystique de Paris à St-Benoît. René Villard Max Jacob le Jongleur de Notre-Dame. Max Jacob POEMES. Bibliographie 101 ax Jaco Cuverville, 2 avril 193<°>. Il n'est sans doute pas, de nos jours, d'auteur plus dé¬ concertant que Max Jacob. Il semble ne se prendre jamais au sérieux, comme Henri Heine; et le rire, le sourire du moins, est toujours chez lui voisin des pleurs. On dirait, par mo ments, qu'il se moque un peu du lecteur. Mais je sais un moyen de ne jamais être sa dupe ; c'est de l'aimer. Alors tout s'éclaircit soudain, et ce qui paraissait feinte d'abord, devient pudeur et tendresse. C'est aussi qu'il ne laisse jamais le mot déborder l'émotion, la pensée; sa phrase les revêt étroitement et sans aucun effet de draperie. D'où chez lui cette qualité si rare du style, qu'il appelle : la densité. Quand il parle au nom de fantoches imaginaires il devient prolixe; il le fait avec une habileté consommée, où se joue son extraordinaire don de sympathie; malgré quoi, dans son Fi- libut on son Bouchaballe, je me perds et le perds un peu. Mais ses poèmes, prose ou vers, mais son Tartufe, je les lis, les re¬ lis, ainsi qu'il dit qu'il le désire ; « non pas longtemps mais souvent » — pour y trouver sans cesse aliment à des joies nouvelles; et pas seulement à des joies. Parfois, souvent, d'un coup d'archet, il écarte de nous des voiles, et l'on ne sait plus trop en face de quoi l'on se trouve, si c'est de soi-même ou de Dieu. « Le mystère est dans cette vie, la réalité dans l'autre; si vous m'aimez, si vous m'aimez, je vous ferai voir la réa¬ lité », dit-il. C'est pourquoi j'aime Max Jacob. André Gide. 102 Paul Claudel ne pouvait pas s'écarter d'un hommage rejulu à Max Jacob. Quand celui-ci a publié ses Morceaux Choisis, il lui écrivit ces lignes, qu'il nous autorise à publier. Paris, le 13 janvier 1937. Merci, cher Max Jacob, d'avoir superposé cette pastille d'encens à ce brasier de beaux poèmes et de chairs humaines que vous m'avez envoyé. J'ai respiré le tout avec délices dans ce mélange d'attendrissement et d'exhilaration que pro¬ cure à la fois aux yeux et aux narines cette émanation puis¬ sante de fantaisie, d'amour et de fumée. Vous avez à la fois les dons d'un poète et les grâces d'un chrétien, rien nulle part d'artificiel et de méchant, mais partout ces belles vertus qu'on appelle l'humilité et la charité, celle-ci dans son dou¬ ble sens. Affectueusement et fraternellement vôtre. Paul Claudel. 103 La Vie et l'GE uvre de M ax Jacob Il est rare que la vie d'un poète n'ajoute pas quelques pages à son œuvre. De Max Jacob on pourrait dire que son œuvre ajoute quelques pages à sa vie : c'est une constatation assez imposante lorsqu'il s'agit d'un poète pour permettre d'insister sur sa personnalité. La vie de Max Jacob est devenue une légende que lui-même dore ou ternit au caprice conscient ou inconscient de sa mémoire. Mais de toute façon, cette vie n'est pas un ruban, continu ou discontinu, ni une ficelle qui s'étrangle elle-même pour faire un nœud lisse qui n'écorche pas la main quand on la déroule. C'est une vie coupée au couteau en trois blocs pleins et durs, dilatés à éclater : avant la conversion ; pendant la conver¬ sion ; après la conversion. Avant sa conversion au catholicisme, Max Jacob vécut cette bohème éblouissante qui le fait paraître comme un premier rôle dans les souvenirs de Francis Carco. Parti de Quimper où il est né, et où il avait passé son enfance, il vient à Paris pour vivre de leçons de piano, puis de critiques d'art. D'employé dans une maison de commerce, il devient apprenti menui¬ sier, puis clerc d'avoué ; il écrit des contes pour enfants — et demeure toujours aussi misérable. 104 En 1905, avec Pablo Picasso et André Salmon, il fait la connaissance de Guillaume Apollinaire ; il écrit, il va dans le monde et jouit d'une si¬ tuation matérielle supportable. Un court poème symbolise cette époque où il va de métier en métier pour vivre et attendre : M'as-tu connu marchand d'journaux A Barbes ou sous le métro ? Pour insister vers l'Institut. Il me faudrait de la vertu. Mes romans n'ont ni rang, ni ronds. Et je niai pas de caractère, M'as-tu connu marchand de marrons Au coin de la rue. Coquilière ? Tablier rendu l'autre est vert... En 1909 il a une apparition qu'il raconte lui-même : Je suis revenu de la Bibliothèque Nationale ; j'ai déposé ma serviette ; j'ai cherché mes pantoufles et quand j'ai relevé la tête, il y avait quelqu'un sur le mur ! Il y avait quelqu'un sur la ta,pisserie rouge. Ma chair est tom¬ bée par terre ! J'ai été déshabillé par la foudre ! Oh ! impérissable secon¬ de ! Oh ! vérité ! vérité larmes de la vérité ! joie de la vérité ! inoublia¬ ble vérité ! Le Corps Céleste est sur le mur de la, pauvre chambre ! Pour¬ quoi^ Seigneur ? Oh ! pardonnez-moi ! Il est da,ns un paysage, un paysage, que j'ai dessiné jadis, mais Lui ! quelle beauté ! élégance et douceur ! Ses épaules, sa démarche ! Il a■ une robe, de soie jaune et des parements bleus. Il se retourne et je vois cette face paisible et rayonnante. 105 Max Jacob accepte totalement cette vérité révélée et demande son bap¬ tême qu'il devra- attendre six ans, pendant lesquels il pleure, prie et étudie les Saintes Ecritures. Je dis pareilles a,ux fleurettes sont les femmes en ce monde rond col, bonne odeur, couleurs,. fossettes... Mis en tisane c'est un poison Quand je devins idiot et fou par amour et pendant six ans six ans je cherchais dans la, foule l'aide et la fin de mes tourments je la trouvai dansant et hors d'atteinte et j'en perdis l'espérance et l'empreinte, Las maintenant : « canfiteor ! » adieu poèmes je m ébranche Au cloître, au fond du corridor j'aperçois la- Divine Marie Plus arbre que fleur et l'infini trésor Plus que. trésor, la Vierge est ma patrie mon bourg natal et le but de ma mort. En 1921, il se retire à Saint-Benoît-sur-Loire pour y vivre comme il sa:t vivre, d'une vie unique, il prie et médite, il écrit, dessine et peint, s'entre¬ tient avec la mercière et le garagiste, donnant à chacun des avis de sour- 106 ciez qui trouvent la parole irremplaçable. Oraison et méditation ! Il est toujours capable d'éblouir, il sait aimer et sait qu'on l'aime ; il est ton jours disponible comme s'il en était au commencement. Une vie pareille, lorsqu'on n'est pas celui qui l'a vécue (et encore ! ) nous laisse perplexe. L'œuvre ne peut, à première vue point nous laisser autrement- Au lieu de pénétrer dans cette œuvre volontairement, laissons- nous inviter par le poète à la mystification bien trouble qu'il nous propose au début de son recueil Le Laboratoire Central (1). « Il se peut qu'un rêve étrange Vous ait occupée ce soir Vous a,vez cru voir un ange Et c'était votre miroir Que la muse du mensonge Apporte au bout de vos doigts Ce dédain qui n'est qu'un songe Du berger plus fier qu'un roi. » Il est évident qu'avec de tels projets on peut gagner beaucoup, mais perdre le ciel. Alors ? Alors dans son Art Poétique (2) Max Jacob dit autre chose qui ne contredit pas le précédent poème : « L'a-rt est un mensonge, mais un bon artiste ti'e.st pas menteur ». Nous voilà, ainsi, mystifiés à fond, heureux sans doute de l'être si bien, mais il n'est pas possible cependant que Max Jacob s'en contente. Mystifier quelqu'un et bien le faire, c'est déjà charmant. Etre le mystifié soi-même et le mystificateur, c'est un miracle (J) Le Laboratoire central, poèmes, Au Sans Pareil. (Z) Art poétique, Limite Paul. 107 de trinité moins un. Mais que cela ne deviennen qu'un motif pour dire autre chose, c'est un moyen fort louable puisqu'il nous comble avant la fin. Oui, la fantaisie de Max Jacob fait partie de son art, mais, elle ne per¬ met pas de croire à un optimisme dont on le loue trop souvent. Par exemple, Joseph Delteil a écrit : « ...quand on arrive de Musset et de Baudelaire et de Maldoror, terribles poètes, Max est oasis. Max l'optimiste. Max le divin donne envie de vivre.-. ». Je ne vois pas Max Jacob si optimiste ou peut-être, si... comme le Mon¬ sieur qui figure à la quatrième page des journaux la réclame souriante de la poudre de Kock, tandis qu'à coups de marteau on lui enfonce un coin dans le crâne. C'est que les pirouettes du poète font oublier d'où elles le font partir et où elles le font retomber, que ce soit du cirque aux vanités, au bain de l'enfer. « Je craque de discordes militaires avec moi-même Mes années sont des guerres de. nation Le bruit de mes années ce sont des bruits d'avions. Noir et noirs souvenirs qui parcourez mes grottes Mes années ont gardé l'empreinte de vos bottes. Je trempe, mon roseau dans le sang de mon cœur. » Quand on écrit cela on est sans en avoir l'air beaucoup moins drôle pi on demandant un saule posthume au cimetière. Que Max Jacob est un grand lyrique, on comprendra que j limer en citant le poème suivant : COULEUR DE L'AUBE Eveillez-vous ! Sortez des brouillards de. l'aurore Corbeaux, qui secouez les draps noirs du sommeil De la ténèbre vaine atteignez les bosphores retardés par le rêve alourdi de,s tunnels. Votre appel coléreux est le cri de la terre. Elle espérait le jour vous dites : « Aujourd'hui ! » Les nuages d'argent reconnaissent les pierres : C'est la Pâque éternelle du jour avec la nuit. Sur le coteau crayeux s'ouvrit- une paupière : les restes d'un déluge., ô corbeau de Noé ? La fenêtre de l'Homme et son regard noyé ! Et les bœufs condamnés à supporter naguère les temples des dieux morts, l'étable du Vivant s'approchèrent de l'ombre et de l'onde plus claire et burent l'eau courante en lui montrant les dents. Puis la terre eut un cri comme on arrache un ongl de l'ombre s'apeuraient des triangles d'oiseaux : la terre préparait ses diurnes hécatombes : la naissance et la mort sortirent des roseaux. Immobile et muet comme un bastion de guerre je suis percé des jours au cadran des saisons. Tous les matins pour moi sont des aubes d'hiver et la mort s'est déjà courbée sur ma maison 109 Mais ne faisons pas de Max Jacob un poète trop terrible. Il est à l'ori¬ gine d'une fantaisie enchantée d'anges, cassée de musiques qui se battent, décorée de modern-style : on sait que cette fantaisie a servi, encore, assen tard, pour qu'on ne se souvienne plus que Max Jacob l'avait inventée. « Les trois dames qui jouent du bugle Tard dans leur salle, de bain Ont pour maître un certain mufle Qui n'est là que le matin. » Lyrique ou fantasque, Max Jacob créateur s'est gardé des excès que ses successeurs se sont permis. Max Jacob est de ceux qui ont des bijoux et portent le brillant côté paume. Il existe dans l'œuvre poétique de ce poète, une partie tellement sépa¬ rée de celle dont nous venons de parler qu'il l'a signée du nom de M01- wen le Gaélique. C'est une poésie qui dépasse le folklore en lui emprun¬ tant sa forme et touche à une fraîcheur qui ne peut passer. Plus d'ombres grotesques ni d'enseignes qui s'effacent ; le dessin est sur la peau fait d'écorchures salées et les rondes réelles se chantent dans la rue. Voici un des nombreux Noëls de Morwen : « Sur un peu de paille sale est une des personnes de la Trinité du ciel. Trois rois dans une compagnie. de cultivateurs et bêtes de boucherie. Bons yeux à vous bergers car la lumière fait mal. Bonnes oreilles pour entendre ce qui viendrait du Paradis. Bons pieds à vous les mages, d'ici à Bethléem• La cour du ciel attendait le moment où le petit Dieu sortirait de la Vierge. Les porteurs d'instruments avaient préparé leurs morceaux et les chanteurs étaient réunis ; les paniers pour jeter les fleurs étaient remplis et notre Père avait les yeux bas vers la terre. Le premier son de minuit a été un coup de feu d'artifice ; les anges ont parlé aux vachers une étoile est tombée devant les rois. S'il ne faisait pas nuit on verrait le printemps car la neige, la neige a fondu par miracle A part la lune et les étoiles tout le monde est endormi à part la cour du ciel qui mange un réveillon ; à part les rois et les bergers ■ les malades et les accouchées et vous,, mes pauvres gens, errants depuis le commencement du monde Une personne de la Trinité, est ici sur un peu de paille, 111 Bretagne de patience où la notion du temps s'écarte, s'ouvre et s'arrête. On ne dérange rien de la crèche paisible, mais quelque chose grandit, bouscule et la paille se brouille. Un trépassé se plaint : « Vous autres qui êtes vivants avec vos fils, père et mère vous n'entendez pas crier les trépassés Entre Vannes et Redon mon âme est dans Veau des marais mon drap mortuaire est pourri depuis que je suis enterré. Est-ce que vous pensez à un mort, vous autres ? Avant peu vous gémirez Ah ! qu'il est triste de se plaindre Plus de bonne lumière Plus de lit de feignant, plus de sommeil. Gare, à vous gare à votre corps si doux Moi je ne pensais pas davantage à ceux qui ont quitté la terre Et vous, mon Dieu, où êtes-vous, vous qui me laissez dans la nuit et dans l'eau ? » 112 L'œuvre antérieure de Max Jacob prouve que cette poésie n'est pas d'ins¬ piration directe, mais le résultat de témoignages et de fictions où l'observa- lion tient une grande place comme dans son œuvre en prose. En effet, dans le roman psychologique Max Jacob tient une des premiè¬ res places de la littérature. En le lisant, certains ont pensé à Balzac — non chez Balzac, c'est surtout le milieu qui est le signe psychologique -- Tandis que chez Max Jacob, la voix et l'expression (syntaxe et choix des mots dans les conversations et dans les lettres) deviennent des signes psy¬ chologiques presque exclusifs. Et c'est pour cette raison que l'on a tenté des rapprochements plus fondés entre l'œuvre de Max Jacob et celle de Marcel Proust. Tout d'abord indiquons une différence essentielle : Max Jacob est l'homme qui boit le coup avec le chauffeur, tandis que Marcel Proust est celui qui lui donne le pourboire formidable. D'autre part chez le second, l'observation est faite pour servir le roman, tandis que chez le premier, l'observation est tout le roman : il en résulte que l'on peut discuter Proust, tandis qu'on accepte Le Cabinet Noir (1) qu'on l'aime ou qu'on ne l'aime pas. Pourtant Max Jacob s'est servi lui aussi de la précision de son observa- lion dans un autre but. Avec des détails parfaitement choisis, exprimés avec des mots dont chacun sort du laboratoire, il a fait naître des mondes qui dormaient dans le hasard. Ils sortent des cartes comme des réussites rigoureuses et ce qui s'y passe est vrai comme un produit chimique : cela fume, éclaire, éclate, voisine, réagit, etc..., et toujours le jeu recommence sans qu'on ne vole personne : Fausses nouvelles, Fosses nouvelles (2). A une représentation de « Pour la Couronne »,, à l'Opéra, quand Des- démolie chante « Mon père est à Goritz et mon, cœur à Paris », on a entendu un coup de jeu dans une loge de cinquième, galerie, puis un, second aux fau¬ teuils et instantanément des échelles de cordes se. sont déroulées ; un homme (1) Le Cabinet noir, Lettres, Gallimard. (2) Le Cornet à Dés, poèmes en prose, Stock. 113 a voulu descendre des combles : un balle l'a arrêté à hauteur du balcon. Tous les spectateurs étaient armés et il s'est trouvé cjue la salle n'était pleine .jue de... et de.... Alors, il y a eu des assassinats du voisin, des jets de pétro¬ le enflammé. Il y a eu des sièges de loges, le siège de la scène, le siège d'un strapontin et cette, bataille a duré dix-huit jours. On a peut- être ravitaillé les deux camps, je ne sais, mais ce que je sais fort bien, c'est que les journalistes sont venus pour un si horrible spectacle., que l'un d'eux, étant souffrant, y a envoyé Madame sa mère et que celle-ci a été beaucoup intéressée par le sang-froid d'un jeune gentilhomme français qui a tenu dix- huit■ jours dans une avant-scène sans rien prendre qu'un peu de bouillon. Cet épisode de la guerre des Balcons a beaucoup fait pour les engagements volontaires en province. Et je sais, au bord de ma rivière, sous mes arbres, trois frères en uniformes tout neufs qui se sont embrassés les yeux secs, tandis que leurs familles cherchaient des tricots dans les armoires des man¬ sardes ». Les poèmes en prose du Cornet à Dés ont eu comme toute l'œuvre poé tique de Max Jacob une fortune considérable : je veux parler de ceux qui l'ont imité. Froidement, il n'y aurait qu'un regret à exprimer : l'œuvre du précurseur n'a pas été surpassée ; et l'influence ne se vérifie pas par l'imi¬ tai ion. Ceci grandit encore l'importance toujours neuve de Max Jacob qui vient récemment de publier quelques Ballades (1) qui prouvent qu'il n'a pas fini de créer et d'étonner. Mais cette importance est souterraine. Dans la géologie contemporaine il fallait une exploration pour que l'on s'aper¬ çoive qu'il y a le « gouffre Max Jacob » : avec ses visions, ses mirages, ses étranglements, avec ses théâtres à coulisses transparentes, avec son eau claire, et partout surtout, ce relief toujours jeune. Michel Levanti. Casablanca, avril 1939. (1) Ballades, René Debresse. 114 jMLéditations Religieuses Je ne puis pas plus désapprouver la publication de mes méditations chrétiennes que blâmer mes amis de les avoir recueillies ou conservées. Elles n'ont jamais été écrites que pour fixer un instant mes idées par la plume, mais si elles peuvent, paraît-il, intéresser un cercle de familiers, ce cer¬ cle peut aussi s'élargir : j'autorise donc volontiers les rédac¬ teurs d'Aguedal à faire connaître les quelques méditations qu'ils possèdent, et je les remercie.. Max Jacob. LA CREATION Mon Dieu vous dominez au-dessus des hommes et au-dessus des choses et des mondes créés allumés vivants détruits et me voici moi porteur d'une biographie comme un couloir étroit. J'ai commencé on ne sait d'où et tout d'un coup j'étais là. Est-ce que l'Océan a re¬ mué parce que j'étais là ? est-ce que dans la grosse bitume univer¬ selle quelque chose s'est aperçu de l'accouchée et de l'enfançon ? Et lorsque l'enfant grandit est-ce qu'il était autre chose qu'une par¬ ticule d'un banc d'école ? Depuis le commencement tout tournait et tout a continué de tourner sans que je participe à rien. J'aurais pu disparaître alors et je puis disparaître encore. Comme on s'est passé de moi, on s'en passera demain sans un regret. Dieu sait que le don de la vie est le seul don qui compte ; il a donné la vie aux généra¬ tions que nous sommes, chacun use sa vie sans souci du prochain, 115 mais quelle importance avons-nous pour le monde ; not>e vie est pour nous seuls ou presque car les plus grands ne font que ce que Dieu aurait pu faire faire par un autre : tout n'est que du travail qu'on s'impose. La vie compte pour soi et nos devoirs ne sont que vis-à-vis de Dieu, à cause de Dieu, marionnette au bout du fil de Dieu qui ignore l'autre marionnette et n'est bien sûre que de son fil. Pourtant marionnette qui sait ce qu'elle dit, ce qu'elle fait, et qui la tient, marionnette inutile mais respectable puisque Dieu a donné sa vie, sa chair et son sang pour elle. Pourquoi salis-tu ce sang dont tu ne sais rien sinon son origine merveilleuse, cette chair qui est pareille à Celle de Dieu pourquoi la salis-tu ? On t'a mené dans le domaine pour y attendre la mort et voilà ce que tu y fais, tu casses tout, tu t'abîmes, tu manges, bois et fumes. Bran que balaie le Temps : qui te donne le droit de ne rien écouter que ta chair? qui t'amène à la confusion? ta chair. On t'avertit bien des fois et tu n'as ni raison ni volonté : le court es¬ pace de ton temps tu le passes à le gâcher, tu ne réfléchis pas à ton devoir sur terre qui est d'obéir à ton créateur. 116 BUT POUR LEQUEL NOUS SOMMES CREES Dieu m'a mis au monde non pour Lui mais pour moi et comme je disais hier parce que rien ne lui a semblé plus précieux que la vie, il nous a fait don de la vie, et parce que ce don est précieux il a com¬ biné la seconde vie pour les morts. Ayant dû instituer la mort il a institué l'autre vie, nous donnant comme but de mériter celle-ci. L'instinct de conservation terrestre, de progéniture, est un signe de ce que nous devons avoir d'essentiel après car c'est le dernier que nous conservions et le plus fort alors vous voyez bien que c'est le principal et si c'est le principal, c'est qu'il y a une signification et la significaton c'est la force du principe de vie tant au point de vue terrestre qu'au point de vue céleste. Comment est-ce que nous au ¬ rons le principe de la vie éternelle ? C'est en suivant les ordres de celui qui tient les fils. Ces ordres sont peu nombreux et très faciles à se procurer. Dieu nous a dit qu'il faut le suivre et l'imiter et il ne nous demande pas plus que nous pouvons. Il nous a donné les facul¬ tés nécessaires à la connaissance, à la contemplation, à l'oraison, le jugement, les sens, et il attend de nous que nous fassions bon usage. Si nous étions des êtres raisonnables nous nous conduirions selon la volonté de Dieu puisque nous ignorons et que Lui sait et que s'il sait i1 ne nous donne que des ordres raisonnables. Mais nous avons la oêtise d'écouter la nature et le démon et d'oublier ce que Dieu veut de nous comme le père de ses enfants. J'ai passé ma vie à contrecarrer Dieu. Quand ai-je fait une ac ¬ tion qui eût Dieu pour but ? bien rarement ou bien si je l'ai faite, c'est sans songer au but éternel. Ma vie est bâtie loin de Dieu tout en paraissant bâtie près de Lui. Aujourd'hui au moins lève-toi et regarde ce salmigondis de folies qui constitue ton existence ivre, livresque, sensuelle et orgueilleuse et demande toi ce que cela consti¬ tue au point de vue du but de la vie, 117 é • • Incliné sur l'infini des mondes, le Seigneur surveille leur nais¬ sance et leur vie et leur mort. Incliné sur l'infini des mondes, l'Uni¬ que surveille la rame des générations, il les attend et les fait dispa¬ raître. Au-dessous des mondes est la ténèbre. O région des ténèbres ! là Dieu ne regarde pas et là il n'envoie aucune grâce de secours ; les maladies y sont quintuplées et décuplées et multipliées. Nous som¬ mes les souffrants, les éclopés, les poursuivis, les secoués, nos crampes ne nous donnent pas de repos. Comment celui qui croit ne songe-t-il pas à l'enfer ? quelle gravité que l'issue d'une vie et si nous devons passer l'éternité dans la crampe et la rage de dents est-ce qu'il ne vaudrait pas mieux ne pas être né ? Pourtant nous risquons à chaque instant ce destin, le destin de notre éternité. Pesez ce mot d'éternité car il n'y en a pas un plus lourd. Terreur du mot éternité. Ce n'est pas une colique d'un jour, ni d'un mois, ni d'un an, ni d'une vie entière. Et comme l'on plaint le malade qui a souffert toute sa vie. Ce n'est pas une colique intolérable d'une vie, c'est une colique de plusieurs vies, d'un siècle, de plusieurs siècles I de toujours. Pour une minute de joie, pour une vie de joies (et quelle vie de déceptions et de châtiments terrestres) je risque la soif et la faim, l'agonie sans fin, la faiblesse, la brûlure vive, les supplices tels que brodequins, eau, scie, la noyade, l'odeur écœurante. Quoi ! 118 y a-t-il un crime qui mérite de tels châtiments sur terre ? mais nous ne connaissons pas la valeur de nos péchés, nous ne connaissons pas la valeur de notre volonté appliquée au bien et la valeur de nos efforts, par conséquent la culpabilité de notre omission. Toi qui connais tant de souffrances, tu veux t'exposer à pire, loi qui connais la loi de Dieu ne crois tu pas à son schéol. Toi qui connais cette parole : mon iota ne passera pas, veux-tu braver la loi de Dieu par le pire des sacrilèges, « l'abus des sacrements ». Mon dieu, voyez quel homme faible : chaque jour je vous demande les dons du Saint Esprit et c'est la force contre ma vanité de vieil homme, que je dois vous demander. Je vous demande' plus particulièrement aujourd'hui de me protéger. A genoux je vous le demande au nom du Père, au nom du Fils, au nom du Paradis, au nom des souffrances du Christ. 119 • • Dieu a quitté son monde à Lui, le ciel où il habite depuis tant d'années et de siècles, l'éternité c'est-à-dire toujours. Il a pris le corps d'un tout petit nourrisson même avant la issance et il -a grandi comme un ordinaire homme prêchant la lo. chrétienne. Dieu a mis les soldats et les juges à ses trousses. Le voilà arrêté tout Dieu qu'il était dans le jardin des Oliviers, arrêté, lié avec des cordes et traîné qu'il le veuille ou non jusqu'aux juges. Comme il l'a dit il était venu pour être tué, dès lors pourquoi se défendre. On peut l'insulter le battre, il est venu pour souffrir , pour être saigné. Il est l'agneau parce que l'agneau est sans défense et il pourra dire Tout est ac¬ compli car l'agneau a été prophétisé comme agneau ne serait-ce que par le fait qu'on a mangé l'agneau chez les Juifs à Pâques depuis Moïse. Agneau tu seras battu, agneau tu seras abattu. Et tu crou leras pattes aux genoux sous le bois d'injustice. Que diras-tu à la Sainte Mère dessous le bois de justice ? tu lui diras ce qu'elle sait : l'agneau ne se plaint pas d'être l'agneau. L'agneau regarde la mère et leur douleur et leur affection se mettent dans leurs yeux. Quelle douleur est-ce ? ils sont dieux, ils savent, ils souffrent, ils se taisent, ils souffrent. Voilà les Dieux. Il confie sa croix à un homme pour bien souligner que cette dou¬ leur n'est pas pour lui seul mais pour chacun des autres, et qu'il est un exemple et il permet que Sainte Véronique ait pitié de Lui pour que chacun de nous ait pitié de la croix des autres. Quel bonheur à la destinée de Véronique, avoir rencontré Dieu sur son chemin et avoir été sensible à sa vue. Reconnaître Dieu cela s'appelle la Foi : 120 donnez-nous la Foi, augmentez notre Foi ; mais que cette Foi suffise non ! certes, il faut nous reconnaître indigne, il faut craindre les châtiments pour n'avoir pas vécu d'accord avec notre Foi. O mon Dieu ! j'ai donné mon temps et mon corps aux horreurs alors que vous donnez votre temps et votre corps au sacrifice. Déshabillez-vous malgré votre souffrance, écorchez-vous en tirant votre robe, si vous ne l'enlevez pas c'est nous qui l'enlèverons, ce sera pire. Sa peau vient avec la robe, agneau écorché, agneau mou¬ rant. L'agneau ne sera pas rôti par l'enfer. Clouez lui les pattes, ar¬ rachez lui le sang et les muscles, les os ne seront pas rompus pour qu'il puisse ressusciter. Telle est la Loi. Il est bien attaché ? dressez la croix debout. C'est le Signe de la Pensée de la souffrance abon¬ dante et généreuse, c'est le Signe du pardon, c'est le signe du don et du martyr. Jésus saura souffrir avec dignité et sans se plaindre et il illuminera le monde avec les sept paroles. En bas de la croix on prépare les simples funérailles, la nature prend part aux funérailles par une lumière crépusculaire. Le corps est lavé pendant l'éclipsé, parfumé dans la demi nuit. Le chagrin les a tués, les parents et les amis et moi, l'humanité, je dois pleurer toute ma vie la mort réelle de Dieu, mort sainte et pas ingrate. Je dois m'enterrer dans le sépul¬ cre avec lui et pleurer autour du sépulcre en attendant la résurrec¬ tion. 121 ETERNITE Les mondes vivant mourant Les générations comme des bancs d'écolier Dieu présidant depuis toujours les univers et les microbes. Pas de temps ni d'espace. Nous sommes confits en illusion : la vie est un clin d'ceil pour le Dieu d'Eternité. Dieu dit : Employez ce clin d'oeil selon mes ordres. Si vous refusez je vous abandonne dans un trou noir. Si vous vous appliquez à me connaître je vous fais com¬ plice de mon éternité, vous devenez presque Dieux vous-mêmes. Voilà posés le Paradis et l'Enfer. PARADIS. — La nature humaine ne compte pas, quelque chose baigne dans un océan univers délivré de la maladie et de l'inhar- monie. Le plus petit du Paradis est plus grand que le plus grand des hommes dit l'Evangile à propos de Saint Jean. Une tradition occul¬ tiste dit qu'il y a des génies qui en remuant un doigt pourraient empêcher l'univers de tourner. Plus de tentation. ENFER. — J'ai été brûlé à la poitrine par l'alcool. J'ai été brûlé par une soupe bouillante. On pourrait souffrir comme ça, c'est le toujours qui est terrible. On ne pourra pas se tuer. Et tout ça pour de petites jouissances de quelques heures. Ne pas désespérer. C'est un crime et un doute de la bonté de Dieu. Dieu nous allège mille fois des difficultés aussitôt que nous avançons une fois vers lui. 122 PARADIS Le Paradis est peut être très voisin de nous. C'est un univers différent du nôtre et où nous nous dégageons des liens et des lour¬ deurs de la chair, nous y volons en esprit et en pensée, notre intel ¬ ligence dégagée de la matière devinera, saura, connaîtra. Nous se¬ rons omniprésents, nous converserons entre nous sans paroles et nous n'aurons rien à cacher. Est-ce que cela ne mérite pas un effort que cette vie du pur esprit ? La grâce de Dieu nous peut donner idée de ce que sera cet univers de grâce éternelle, ce bain d'air de grâce, cette agitation douce dans une atmosphère de grâce de Dieu. La possession de Dieu et Dieu nous possédant. La terre n'offre pas le Paradis : nous ne savons que par instant ce que c'est que le bonheur. Est-ce que je me rends compte de ce que je perds quand je cours après mes sottises habi¬ tuelles ? II serait temps de renoncer sérieusement aux occasions du péché. — Vous ne voulez pas de moi ce matin. —- C'est comme si la double croix était une brouette. Est-ce que la recherche même du Beau n'est pas vanité et orgueil et un bou¬ che-paradis. Max Jacob. 123 T émoignages J'ai connu Max Jacob au bord d'un étang. Nous mar¬ chions dans un sentier de limon bordé de roseaux secs qui cassaient comme des stalactites de gel. Baisser ou lever les yeux, c'était voir les nuages reflétés par l'eau sur laquelle passaient des sarcelles. On ne pouvait éviter de voir le ciel. On marchait en plein ciel, mais sur un isthme de terre grasse collant aux pas comme de la boue. J'ai revu bien des fois Max Jacob. Je le revois souvent. Un Max Jacob dépouillé de sa légende, débarrassé de son masque qui est multiple. Dans Saint-Benoît lavé par toute une nuit de la pous¬ sière des autos qui défilèrent, hier dimanche, devant sa tour romane, dans Saint-Benoît qui a retrouvé sa fraîcheur et son calme, nous allons chaque semaine surprendre sa soli¬ tude, l'arracher pour quelques instants à ses méditations et à ses prières. Des rangées de livres, des gouaches piquées sur les murs blanchis, une grande planche posée sur des tréteaux servant de table, près de la fenêtre. Les dessins de la semaine sont là. Sur un chevalet, un paysage extraordinaire aux tons de cui- 124 vre, que nous avions vu la semaine précédente d'un vert terne mêlé de gris et de rose. — Ah mon cher, la peinture !! me dit Max Jacob, quel tracas ! Je n'en dors plus, je me lève la nuit pour chan¬ ger ce gris, ajouter ce rouge, allonger cette ligne... C'est à devenir fou. Nous lui demandons de nous lire ses derniers poèmes. Puis nous partons avec lui vers Orléans, vers Sully-sur¬ Loire, vers Gien, ou vers la Sologne qui est à deux pas. Au restaurant Feuillanbois, à Châteauneuf-sur-Loire, on connaît bien notre ami : — Bonjour Maître. — Mais enfin, pourquoi m'appelle-t-on Maître, me dit Max, quand nous sommes à table, je ne suis pas un Maître, est-ce que j'ai l'air d'un Maître ? C'est insupportable ! Un Maître, c'est celui qui enseigne, pour enseigner il faut sa¬ voir... moi je cherche... Je raconterai un jour tous ses propos. Les propos d'un homme qui, non seulement a choisi et vécu le jeu le plus dangereux de l'aventure poétique, mais qui n'a jamais cessé d'être dominé par l'angoisse. Envolez-moi au-dessus des chandelles noires de. la terre, au-dessus des cornes venimeuses de la terre. Il n'y a de paix qu'au-dessus des serpents de la terre, La terre est une grande bouche souillée, ses hoquets, ses rires à gorge déployée, sa, toux, son haleine, ses ronflements quand elle dort me triturent l'âme... (1) (1) Sacrifice Impérial (H. G.) 125 — On a toujours dit de moi que je ne suis pas sérieux, me disait-il un jour ; or, pas un seul n'est capable de couper les ponts comme j'ai fait trois fois dans ma vie et d'accepter le martyre et la misère comme j'ai fait, comme je fais ! Ils sont sérieux eux, mais ce n'est pas la même chose... Etre sérieux et se prendre au sérieux sont en effet deux choses. Max Jacob ne s'est jamais pris au sérieux. André Gide l'avait bien compris qui écrivait déjà dans ses Feuillets: Je crois que l'on se surfait étrangement aujourd'hui l'importance de certaines figures qu'on ne, connaîtra presque plus dans dix ans ; et que. par contre, certains ne sont pas du tout mis à leur place — comme ce délicieux Max Jacob, si modeste et si retiré qu'il semble ne pas se douter lui-même de son importance, de sorte qu'il ne parvient pas à se prendre au sérieux, même quand il prie. Sa Défense de Tartuffe me paraît être un des livres les plus significatifs de notre époque, malgré son ètrangeté, et à cause d'elleun des plus beaux. * ** Au retour, nous longeons la Loire au clair de lune. Max n'aime pas la Loire et il trouve le clair de lune « un peu chromo ». Mais il contemple en bordure de la route la che¬ vauchée des « Centaures-verdure ». — Il y a bien des centaures hommes et chevaux, pour¬ quoi n'y aurait-il pas des Centaures-arbres... Saint-Benoît. Nous sommes arrivés. — Déjà !... dira Max qui fait ici son purgatoire. « Du noir ! du noir ! un homme qu'on pousse ! « Du noir ! du noir ! un homme qui souffre !... 126 L'alignement des troncs sur la place de la Basilique prend, dans l'obscurité, l'allure fantastique d'une armée de monstres immobiles au-dessus desquels s'agite le royaume en effervescence du vent et des feuilles. — Au revoir ! au revoir les enfants... à bientôt ! Max claudiquant, Max titubant dans les ténèbres, dispa¬ raît comme aspiré par le gouffre noir et désert qui s'ouvre sous les platanes, repris déjà par tous les fantômes de sa so¬ litude, rendu à la nuit. ...Du noir, du noir un homme qui crie. Croissant de soufre un peu d'e.spoir ! Encore du noir un homme qui prie. (1) Et c'est seulement en fuyant dans l'étrange tunnel per¬ cé pour nous, à travers la campagne obscure, par les rets lumineux des phares que je m'aperçois qu'aujourd'hui en¬ core, j'ai oublié de dire à Max Jacob tout ce que je ne lui ai jamais dit : Comment je découvris, il y a plus de dix ans, le Cornet à Dès à la devanture de chez Stock ; comment ces merveilleux petits poèmes, qui me parurent alors simples annotions plei¬ nes de fantaisie, me firent en les relisant, pénétrer dans le mys¬ térieux domaine de la poésie moderne, où l'on n'avance qu'à tâtons ; comment, bien plus tard, je vins à préférer des trente- (1) Visions Infernales, N. R. F, 127 cinq volumes de son œuvre, la Défense de Tartuffe, les Visions Infernales, et ce Sacrifice Impérial, tiré malheureuse - sement à tout petit nombre, qui résume toute son œuvre. Puis encore, combien il me plaît que l'ignorance absolue du « grand public » — celui des P. Benoit, des Mauriac, des Duhamel — pour cette œuvre dense aux multiples faces en préserve la richesse ; et que nous sommes beaucoup, que nous sommes chaque jour davantage, à nous rendre compte de l'influence, souvent dans les domaines les plus inatten¬ dus, de cette œuvre dont on peut dire (comme l'écrivait ré¬ cemment Léon Guichard à propos d'Eric Satie), qu'elle est d'un précieux secours contre l'emphase, la routine, la ba¬ nalité, qu'elle est un antidote, un tonique, qu'elle se plaît à élargir le fossé, aime le masque, et multiplie les déguise¬ ments. Montargis 1938. Marcel Béalu. 128 SOUVENIRS NAPOLITAINS C'est sur le cours Victor-Emmanuel, à Naples, que j'ai connu Max Jacob. Le tram s'est arrêté devant Patker's hôtel. J'en ai vu jaillir une merveilleuse petite sphère de feu. Cette sphère, à peine tombée sur le trottoir, a bondi et étincelé. Il s'en est détaché un crépitement électrique : cris, lazzi, ricanements, coq-à-l'âne, flèches, fusées, soleils, aurore boréales. Derrière ce météore un grand garçon sérieux attendait sa¬ gement : Jean Grenier. Les gestes, les mots s'envolaient, l'esprit faisait ses ca¬ brioles. Pendant un moment je n'ai plus vu le ciel. Puis cette ex¬ traordinaire pluie de feu est retombée et j'ai aperçu un homme petit, rond, vif, rusé, qui était en train de me dire la bonne aventure. Il me la disait avec une rapidité incroyable : « De l'eau ! De l'eau ! esprit dans les nuées !.. » Il avait le chef couronné d'un vaste canotier de paille blonde où un chapelier délicat, de Caserte ou de Métaponte, avait noué un ruban blanc et rose. Le Vésuve fumait. — Carte postale des plus banales ! s'écriait la voix pétu¬ lante. Le golfe est un bol de lait bleu. La ville, carton rose. Tout ça c'est de la pose. Parlez-moi de Douarnenez, Concar- m neau, Audierne ! Ici, décor. Pas de tendresse. J'expie, j'expie.. D'ailleurs c'est tout naturel : je suis un pêcheur. Connaissez vous le Padre mystérieux de Sainte Claire ? Il a du cœur. Il m'a fait dire mes prières. A cinq heures du matin, j'étais en oraison. C'est un bon moment. On a Dieu pour soi. Le dia¬ ble dort encore, ou bien il est occupé à fournir de rêves abo¬ minables les dormeurs imprudents qui ont osé se glisser dans la nuit, sans prières. Quelle douce saison ! Est-ce que vous respirez cette lymphe ? Ah ! je me damne, je me damne !... Allons manger des coquillages ! » Nous allâmes manger des coquillages devant un étalage de nacre, de corail, d'algue et de verre peint. Jamais poète ne fut tellement à son aise devant pareil décor de grotte marine. — Quand j'étais vendeur, disait-il, chez un grand né¬ gociant en quincaillerie je vivais dans une mansarde... Elle m'aima... Nous allions boire des champoreaux. » Je le regardais dire. A mesure qu'il évoquait ces jours devenus à peu près imaginaires, les mots prenaient vivement l'initiative, et dansaient pour leur propre compte tout autour du récit, mais en le suivant du coin de l'œil. En somme l'his¬ toire tenait bon. Seulement on voyait tournoyer par desus, dans le ciel, de petits vols d'oiseaux, des vols spirituels, et ils jouaient entre eux dans les nuages. On assistait à l'éclosion de la légende du Très-benoît Saint homme Max Jacob. Il n'y manquait pas un seul diable, mais il y avait un ange, toujours le même, qui disait des paroles sensées.... Matorel. — Je fais le serment d'être toujours bien reli¬ gieux et bien intelligent autant que Dieu m'en aura donné le pouvoir. L'Ange. — Tout tourne bien ! mais quel mal il nous a donné et depuis tant d'années ! Henri Bosco. 130 • • Max Jacob est de ces gens que les gens sérieux ne veulent pas prendre au sérieux. Les mêmes gens sérieux se refusent à croire qu'un clown c'est aussi un homme et que les clowne¬ ries enferment une part immense d'humanité. La fantaisie en feu d'artifice du Cornet à dès, l'amour du jeu de mots, du calembour (pas sérieux le calembour), et cette noncha- lence supérieure à faire une carrière, toute sortes de raisons pour que ce poète au cœur pur ne soit pas mis à son rang. Notre société est ainsi faite qu'elle ne pardonne d'écrire qu'à qui réussit, c'est-à-dire, en style commercial, gagne de l'ar¬ gent. Verlaine et Péguy, et Bloy, et maints autres, l'ont ap¬ pris à leur dépens. Mais dans cette poésie cocasse, dans cette prose acide et spirituelle, il y a peut-être bien plus de réalité humaine que dans maintes thèses de philosophe. Le Cabinet noir m'a tou¬ jours paru une mine énorme de faits, de notations, de ces vices et de ces médiocrités qui sont la trame ordinaire de vies humaines ; ceux-là seuls n'y voient qu'ironie qui croient aussi que Daumier est seulement un ironiste. Et qu'en opé¬ rant en lui cette quotidienne transfusion, dont il a si bien parlé dans la Défense de Tartufe, la grâce divine ait laissé in¬ tacte son expression, cette poésie à clinquants et à cymbales, soit mis en garde contre la tentation du lyrisme, quelle plus belle preuve demander que la poésie de Max Jacob était vraiment profonde, vraiment humaine, puisque Dieu lui- même a pu y pousser racines ? Daniel-Rops. 131 MAX JACOB Combien y a-t-il d'années que j'ai rencontré Max Jacob dans un « salon littéraire » où l'on récitait de ses poèmes ? Environ seize ans. Je m'intéressais alors beaucoup à la per¬ sonnalité des écrivains ; je fus enchanté de connaître l'auteur de Cinématoma, du Cornet à dés, du Cabinet noir et du Laboratoire central, livres originaux, mines de vérités psy¬ chologiques et de sonorités imprévues. Mais à mesure que je connus l'homme, je trouvai qu'il était encore plus intéres¬ sant que l'œuvre. Sans doute ai-je passé par toute une gamme de sentiments vis-à-vis de Max Jacob, depuis la sympathie jusqu'à la réserve, la surprise, l'admiration, la reconnais¬ sance, l'amitié. C'est à ce dernier sentiment que je me suis arrêté depuis très longtemps. Mais il est difficile vis-à-vis d'un homme aussi complexe, d'avoir des sentiments simples.Il déconcerte..., mais c'est aussi qu'il se plaît à déconcerter. Tel que je l'ai vu souvent, il se résignait mal à passer inaperçu. C'est aussi que l'influence conjuguée « Montmartre » et « fin de siècle » l'avait profondément marqué: Il a vécu sa jeunesse avec des gens qui étaient persuadés que l'art a sa fin en soi, ce qui est peut-être soutenable, et que l'art a son expression dans l'artifice, ce qui l'est moins. De là, même chez des hommes comme Laforgue, Jarry, Apollinaire, ce besoin perpétuel d'être en représentation et de composer un personnage. Il faut dire qu'ils y sont arrivés. Jarry, paraît- il, jouait le père Ubu à la perfection tous les jours de sa vie. 132 Qui n'a pas vu Max Jacob vivant, créant ses rôles, assurant autour de lui la distribution des rôles secondaires, et cela parfois d'une manière géniale, ne connaît pas vraiment Max Jacob. Car son œuvre n'en donne qu'une faible idée. Quel dommage que tout cela soit perdu, que le film, que le dis¬ que n'en ait rien pu retenir ! Il y a des hommes d'exception — et Max Jacob est de ceux-là — dont il faudrait suivre la vie pas à pas. Les anecdotes, les souvenirs que je pourrais rapporter des journées passées ensemble à Paris, en Italie, en Bretagne seraient bien fades, car il y manquerait l'into¬ nation, les gestes, le cadre et cette étonnante mise en scène qui en font tout le prix. Et puis comme c'est difficile de parler véridiquement d'un contemporain et d'un ami ! On peut être entraîné à vouloir faire trop plaisir à celui dont on parle ou à se faire valoir sans qu'on le veuille, à ses dépens. La matière est riche pourtant avec Max Jacob et l'on n'a pas à craindre d'être pris de court. Il fut, ou il est, un des derniers bohèmes, un des premiers poètes cubistes, un pein¬ tre original et sensible, un mystique, un grand pécheur, etc. •— mais ce que je préfère en lui, c'est sans doute le peintre des mœurs de la bourgeoisie — le Rot de Béotie, le Cabinet noir par exemple, demeureront, avec l'Art poétique qui montre un Max Jacob moraliste ; ce qui me touche en lui c'est le poète armoricain, Morwen le Gaélique, qui a si bien su retrouver ce mélange d'ironie, de rêve et de tendresse qui est au fond des sentiments bretons. Mais il y a, je crois, à propos de Max Jacob et des mul¬ tiples êtres, anges et démons, qui s'agitent en lui, un problè¬ me central qui se pose pour lui encore plus que pour tout artiste. L'œuvre d'art doit contenir une grande part de con¬ ventions, d'apprêts, de décorations, d'ornements qui la ren¬ dent désirable et constituent sa beauté. Max Jacob nous dit lui-même dans le bref discours qu'il prononça à une mani- 133 festation littéraire de l'Exposition qu'il découvrit la beauté en regardant la Vénus de Milo. Et pourquoi ? C'est que « la beauté, c'est l'éloignement de l'œuvre — éloignée de l'artiste, éloignée du public —. Comment concilier cet éloi- gnement de l'œuvre avec la sincérité de l'émotion ? » Et Max Jacob se demande encore comment on peut concilier le men¬ songe nécessaire à l'œuvre avec la vérité nécessaire à l'artiste. Mais il semble qu'il ait bien souvent préféré le mensonge. Reppelons-nous la Défense de Tartufe : plaidoyer en faveur de quelqu'un qu'on ne croit pas et qui ne ment que pour arriver à une beauté supérieure. Rappelons-nous son « Dieu est dupe ». Et pourtant il est sincère. Seulement, sa sincérité ne rencontre pas toujours son mensonge : ils habitent des plans différents. Mais quand ces plans coïncident, quand la force de l'émotion est encadrée par la très grande technique qu'il possède, son art n'est plus de l'artifice, il est très grand. Jean Grenier. 134 REPONSE A MAX JACOB La poésie c'est la réponse. Un poëme est un prétexte à réponse. Sinon ce n'est rien, ou un simple passe-temps d'oisif. La rime, et même le calembour, son parent riche, sont des trucs pour attirer la réponse, pour appâter la Muse. Ce sont presque des pièges. Le vrai poète, Max Jacob par exemple, s'en sert comme une somnambule des cartes ou un radiesthé¬ siste du pendule, parce que c'est commode : mais en eux- mêmes ils ne sont rien. La réponse c'est le mouvement vers nous de cette réalité que nous poursuivons. Aide-toi, le ciel t'aidera. Frappez et on vous ouvrira, etc... La réponse est vieille comme le monde et on la trouve partout. Argent, gloire, esprit, les sept péchés capitaux, les vertus aussi, les neuf Muses — répondent à ceux qui les aiment. Eros aussi. Narcisse seul ne répond pas : le néant répond à sa pla¬ ce. Dieu répond. On ne peut pas plus imaginer un chrétien sans la grâce qu'un pianiste sans piano. 135 Le diable aussi répond (1) — c'est pourquoi méfions nous de lui, mes petits amis : on peut être inspiré par en haut, mais on peut l'être aussi par en bas (2). * * ❖ Il n'y a pas d'art sans réponse. Une cuisinière ne mérite le nom d'artiste que si elle obtient une réponse. Sinon ce n'est qu'une bonne ou mauvaise — cuisinière. De même un mé¬ decin. De même un équilibriste, ou un général ou un homme d'Etat. Napoléon a obtenu une réponse inouïe — d'ailleurs négative (en fin de compte) (3). Le « Miracle de la Marne » aussi a été une réponse. Le destin se laisse forcer. S'il y a dans le monde de moins en moins de réponse c'est que les âmes se rapetissent à vue d'œil : le but de la civilisation moderne semble être de réussir à se passer de réponse (4). C'est pour¬ quoi le Dr. Carrel ne croit pas à la civilisation. Max Jacob non plus. (1) II vient au moindre signe et sa réponse est le malheur, dit Max Jacob. (2) Il ne suffit pas de se dire, ou même de se croire, surréaliste, pour avoir affaire au surnaturel. Aux antipodes du je des mystiques - réalité personna¬ lisante et lumineuse « qui est en nous plus nous-mêmes que nous », il y a le ce obscur des psychanalistes. Il ne faut pas confondre le désir avec l'amour, ni le « ravissement » des saints avec l'état de transes des détraqués et des spi- rites. C'est le contraire : là unification et ici dissociation. Leur seul point com¬ mun — lequel est sans doute à l'orgins. du malentendu qui sert d' « art poéti¬ que » à certaines écoles littéraires et artistiques contemporaines — est que dans les deux cas le moi individuel conscient perd la direction, sinon le contrôle, de son activité. (3) Positive pourtant, et pleine de sens •— belle comme une phrase, de Mo¬ zart — cette réponse : que Napoléon soit mort le 5 mai, seul jour de l'année où le soleil se couche sous l'Arc de triomphe. La réponse peut d'ailleurs parfois avoir plutôt l'air d'une question, comme dans certains horoscopes de naissan¬ ces. (4) Quelle répnse splendide pourtant, mais tragique, chez le très moderne Marquis de Champaubert ! I 36 Toute activité peut devenir un art. Quand un équarisseur est un grand artiste, et qu'il est taoïste par-dessus le marché, le bœuf se découpe tout seul. Il se soulève vers le couteau. Tel Virgile, tel Mozart, tel Claudel — tel leur petit frè¬ re Max Jacob — qui ont à faire face à un tel afflux de ré¬ ponse que leur tâche est plutôt de lutter contre elle que de la provoquer (5). De même Michel-Ange suspendu au pla¬ fond de la Sixtine, aimanté par son œuvre et comme allaité par elle. Peut-on même dire qu'il ait la tâche matérielle de la peindre ? Comme le couteau de l'équarisseur et la plume du poète son pinceau marche tout seul (« rien que la petite pres¬ sion de la main pour gouverner »). * * * 11 se peut qu'un rêve étrange Vous ait occupé ce soir Vous avez cru voir un ange Et c'était votre miroir. Ainsi chante Max Jacob dans un de ses plus beaux lieds, mais il ne faut pas croire les poètes : la réponse n'est pas un miroir, ni un écho. Jamais un écho ne répondra en araméen à une paysanne bavaroise. Rappelez-vous dans ce film des frères Marx intitulé : « La soupe aux canard », la pantomime sublime de Groucho (5) Qui expliquera qu'il suffise à un Virgile de dire deux mots, en appa¬ rence les plus banals, pour qu'on soit d'emblée immergé dans la poésie - où une Légende des Siècles tout entière n'arrive pas à nous faire entrer jusqu'à la cheville ? Parfois chez des poètes de troisième ordre on trouve de petites ré¬ ponses, rafraîchissantes oasis au milieu d'un désert de rocailles en carton. De même chez George Sand le miracle tout à coup de ses romans champêtres. 137 devant la glace. Quelle émotion quand on s'aperçoit à la fin (par des détails) que ce n'est pas une glace, que l'image qu'on voit de l'autre côté du cadre est celle d'un autre, d'un sosie (qui tient son chapeau derrière le dos) ! (Il y a quelque cho¬ se de semblable dans « La femme et son ombre »). Drôle de monde. Il n'est pas seulement élastique. Il est hanté. ❖ * * Chez Max Jacob, qui est hanté lui aussi, c'est au pluriel qu'il faut parler de la réponse. « Toupie du Très-Haut », mais actionnée par des fouets de sens contraire, quelle variété infinie de ronflements ! Que de réponses ! que de voix alter¬ nativement et parfois simultanément démoniaques et angéli- ques. Essayez de vous y reconnaître. Elles se croisent, se heur¬ tent, interfèrent, jouent avec l'auteur et lui prennent son por¬ te-plume — parfois aussi se livrent des batailles en règle. No man's land Max Jacob préside à ces jeux et assiste à ces com¬ bats plus qu'il ne les dirige. Théâtre en même temps que spec¬ tateur d'opérations dont il est l'enjeu, ayant des intelligences dans les deux camps, il chante, cocasse Homère, sa propre guerre de Troyes. Je craque de discordes militaires avec moi-même Mes années sont des guerres de nations Le bruit de. nies années ce sont des bruits d'aivions Noirs et noirs souvenirs qui parcourez mes grottes Mes années ont gardé l'empreinte de vos botte,s. 138 ❖ * * Mon Dieu quelle guerre cruelle ! Tous les coups portent. Des deux côtés le sang qui coule est celui du poëte. La Muse le recueille en de durables coupes. Car la vraie poésie est faite avec du sang et non avec du « vernis pour les ongles ». « Je trempe mon roseau dans le sang de mon cœur » dé¬ clame le Pénitent en Maillot Rose avec une voix ambiguë — une voix de fausset inouïe — qui dit vrai mais qu'on ne croit guère et d'autant moins que Saint Matorel (pudeur suprê¬ me) semble parfois chercher à se faire prendre pour Tartufe (1). Comme si Tartufe pouvait être poëte ! Comme si Tar¬ tufe pouvait se croire Tartufe ! Non, Tartufe se croit la sin¬ cérité même, il l'affiche sans cesse et, parfaitement extérieur à lui-même sa conviction se forme à mesure qu'il l'exprime. Max Jacob n'est pas tel. Il ne cache pas sous une affectation littéraire de sincérité un manque de franchise fondamental. Ce serait plutôt le contraire. Je n'en veux pour preuve que ce titre justement — la Défense de Tartufe — qu'il a donné au récit de sa conversion. * * * Ce que j'appelle la réponse, Max Jacob l'appelle l'an¬ neau de Saturne. Paul Petit. (1) Mais on dit justement que c'est Tartufe qui voudrait bien passer pour Saint Matorel ! 139 UNE SOIREE AVEC MAX Si drôles que soient tous les récits que l'on peut faire de sa vie merveilleuse, c'est le côté émouvant de Max qui m'a, toujours attiré, derrière sa fantaisie, sa verve éblouissante, sa mystification fabuleuse. ]e. sais tout ça, comme tout le monde, mais je sais a,ussi que c'est une âme déchirée qui ne s'est jamais arrêtée de souffrir... Hôtel Nollet. 8 heures. Le poète Michel Griitli, Suisse à la chevelure albinos, prend congé. Nul mieux que Max ne sait montrer de grâce à un visiteur qui s'en va. Son visage se fond en tendresses, il s'incline; des paroles de miel coulent de ses lèvres; son crâne penché fait songer à quelque chanoine en dévotion. D'une voix grave, il dit encore : « A bientôt ! » La porte se referme et aussitôt sa figure s'éclaire. Max a retrouvé sa jeunesse. Le buste émergeant de derrière un rideau, tel un régis¬ seur de théâtre affairé, Max Jacob rajuste sa toilette. Il aban¬ donne ses chaussons rouges, puis il se passe au cou une cra¬ vate d'un bleu tendre. « Nous dînons ensemble, bien entendu », lance Max, et nous voilà partis pour la place des Batignolles, au Restaurant des Marronniers, où le poète a ses habitudes. * * * Un restaurant classique, petit bourgeois, garni de plantes vertes et de vases de cuivre. Après avoir suspendu avec soin son pardessus à la patère, Max s'assied, laissant paraître un 140 contentement sans mélange. « Alors ?... » fait-il. Mademoi¬ selle Mélanie s'empresse, offrant la carte et murmure « C'est Vendredi ! » puis, d'une voix plus forte : « Nous avons de la daurade ». Max jette un regard circulaire, un regard de peintre et de psychologue. Que peut présenter d'extraordinaire à ses yeux les visages de ces deux dîneurs assis face à face ? Détrompez- vous, ce ne sont pas leurs physionomies que Max observe. « Regarde-les, me dit-il, comme regarderait un peintre... Il y a entre les objets un vide où nous pouvons voir, si nous y prêtons attention, des figures : ce sont les formes spatiales... » Et il dessine du doigt le contour mouvant de l'image circons¬ crite entre les deux profils. Le dîner s'achève, Mélanie reparaît avec la gelée de gro¬ seille où Max retrouve son enfance, cependant qu'attirée par la faconde de l'illustre client la patronne, le cuisinier sous son bonnet blanc, Emile le plongeur font cercle derrière lui et l'é- coutent, immobiles, médusés par le verbe. De sa savante théorie de l'espace Max en vient à Apolli¬ naire, « ce cher garçon né sous le signe du Taureau, qui a lais¬ sé quelques très bons vers et d'insupportables amis ». De là, sur le fil d'archal, il se laisse glisser à des commentaires de la Kabale et de livres érudits traitant de la magie noire. Sans égard à notre ignorance, il réfute quelque auteur du XIVe siècle avec lequel il semblerait qu'il ait eu personnellement maille à partir. Je pense : « Cher Max, que de tempêtes en ton âme carmélitaine ! » Il se tait. — Quand tu mourras, lui dis-je, — car nous mourrons tous, ou presque tous — nous graverons sur ta tombe ces deux vers d'un autre poète, bien faits pour te plaire : Sont morts les beaux diseurs, mais les voix ont chanté, Sont morts les bâtisseurs, mais le temple est bâti. 141 — Tu es toujours le même !... Au reste, tu me comprends. Sans doute as-tu la grâce, sans le savoir. Comme je le disais à l'autre Jean, non l'Evangéliste, comme toi, mais le Baptiste, je suis sûr que Dieu va au devant de toi ; mais toi, qui es généralement si poli, tu n'as même pas l'air de t'en aperce voir... » * * ❖ Un client morose écoute nos propos d'une oreille atten¬ tive, pris entre le désir de se rapprocher de notre groupe et de terminer la côte de veau panée qu'il dispute à son assiette. Max fait observer qu'il a au cou non une fraise de clown com¬ me on pourrait le croire, mais seulement un faux-col en cel¬ luloïd, et : « N'en doutez pas, ajoute-t-il, il ne peut être qu'un receveur principal des Postes et Télégraphes, que le veuvage expose aux dangers de la solitude ». * ❖ ❖ — C'est vrai, dit Max, la lutte de classe n'existe que pour ceux qui en vivent.. Ainsi, M. Jouhaux !.. Je me sou¬ viens, c'était un gros garçon aux lèvres fleuries, qui n'avait dans ce temps-là de révolutionnaire que le bouc hérité de son père, le communard. Il était chômeur, comme je le suis tou¬ jours resté; il a fait son chemin, comme j'ai fait le mien, mais pas dans le même sens. A-t-il eu raison ? C'est son affaire... Ne jugeons pas pour n'être pas jugés. Nous ne savons si le corps de Jouhaux ne contient pas une âme en proportion. (Et toi, Porgès, sceptique, avec ton nez toujours en l'air, tu de¬ vrais bien comprendre que tout est possible. Ah ! si tu savais ce que tu perds de ne pas croire au miracle...) Je tirais alors 142 mes humbles ressources de mes fonctions de commis aux Ga¬ leries du Boulevard Barbès. On ne dira jamais assez com¬ bien de vertus bourgeoises la France doit à la grande confec¬ tion. Les miens, à commencer par la tante Delphine, m'ont toujours appris à respecter ces piliers de l'ordre que repré¬ sentait dans mon enfance le Magasin du Louvre... M. Jou- haux, qui n'avait pas de chaussures à se mettre aux pieds, me rendit le grand service de faire appel à ma charité. J'ajoute qu'impécunieux comme lui, je ne pouvais guère le réconfor¬ ter, sinon de ma sollicitude fraternelle.. Les treize sous, qui restaient à M. Jouhaux, lui permirent cependant de m'offrir un café au bar Martin de la rue Ordener, qu'il fréquentait. « Où vivez-vous ? lui dis -je accoudé au zinc, et M. Jou haux, consultant son bouc, me répondit : « Nulle part »... « Je vous offre, cher M. Jouhaux, de partager ma cham¬ bre ». Il accepta... De là datent mes relations avec le Régent de la Banque de France. Et depuis... M. Jouhaux, dont l'heu¬ reuse fortune tient sans doute à sa sage volonté d'oubli, me fit dire, comme je lui proposais, l'an passé, l'achat d'une gou¬ ache représentant, il me souvient, la Captivité de Mardochée : « Laissons-là ces vieux souvenirs... » * % ❖ Le plongeur, qui avait reparu dans la salle du restaurant devenue déserte, venait de saisir une perche pour abattre le rideau de fer du café des Marronniers. On entendait sonner 11 heures. Une pluie fine donnait à la place, sous le feu des verts becs de gaz, cet aspect particulier aux peintures poin¬ tillistes dont Max Jacob disait du mal comme d'un procédé auquel il ne croyait plus. La brèche laissée ouverte dans le ri¬ deau baissé encadrait l'église aux fines colonnes doriques du 1er Empire. Les arbres, chargés de pluie, accrochaient au bout de leurs branches la lumière; le reste s'enfonçait dans la nuit. 143 Le silence grandissant faisait songer à quelque coin de cette province chère au cœur de Max Jacob, et où il a choisi de vivre à Paris comme à Saint-Benoît. Car partout où il se trouve, ce qu'a toujours cherché le « beau diseur » n'est rien d'autre que le silence intérieur, et l'abondance de ses paroles (lequel de ses amis s'en étonnerait ?) n'a souvent d'autre dessein que de nous y convier... sic ** « En cette période de carême, ne voudrais-tu pas m'ac- compagner à l'Adoration perpétuelle ? Il est bon, qu'après un repas fraternel comme celui-ci, où vous poussez la bonté jusqu'à m'écouter, nous allions nous recueillir un instant de¬ vant le Sacré-Cœur. J'en ai tant besoin ! Si vous saviez, mes amis, que je tiens pour une faveur du ciel de vivre au pied de la Sainte Basilique. Tant d'êtres luttent en moi que mon cœur en est déchiré... Et quand je pense que Dieu est mêlé à tout ça !... » Nous voici en plein vent, comme sur une falaise de Bre¬ tagne. La Basilique est là, dans le bleu de la nuit, énorme. « Tu vois, me dit Max, ce dôme c'est l'œuf de la fécondité spirituelle. Soyons dignes d'en être issus, comme les poussins du bon Dieu... » Le chemin des adorateurs n'est-il pas la voie étroite des élus ? On longe une barricade, puis l'on passe un pont de bois brimbalant sous les rafales. Une pancarte annonce « Entrée des Adorateurs ». Dans un préau qu'éclaire la lampe des vier ges sages, un être coiffé d'une calotte, qui paraît tenir à la fois du bedeau et du préparateur de physique, prononce : « Mes¬ sieurs, vos cartes ! » Avec une déférence officielle, Max Jacob soulève son cha¬ peau, abat son monocle et dit d'une voix forte : « Monsieur, 144 mon ami et moi venons pour rendre hommage au Sacré- Cœur. Faut-il pour cela des formalités ? Nous sommes de modestes artistes, aimant Dieu, et n'avons d'autre désir que de faire une prière, après dîner, avant de rentrer nous cou¬ cher... » — Avez-vous votre décoration ? reprend l'homme dont la figure couperosée apparaît derrière son pupitre, terrible comme celle d'un examinateur. — Je n'ai d'autre décoration, riposte Max, que celle de la Légion d'Honneur que M. de Monzie, un fort digne homme, m'a fait remettre voici neuf mois. Quant à mon ami, s'il n'est pas décoré, c'est sans doute à cause d'un oubli de sa part... » Mais le cerbère est inflexible. Les honneurs du monde, les « grandeurs de chair » n'ont pas pour lui d'importance, et nous sommes d'accord, Max et moi, pour penser que ce pré¬ posé hirsute est un triste gardien de l'Arche Sainte. Passant la porte, Max lui lance encore : « Faites votre de¬ voir, Monsieur, nous ferons le nôtre ! » Et nous voici rejetés dans les ténèbres et dans le vent.... Jean de Saint-Chamant et Jean Soulié. 145 VIEUX MONDE BRISE... Sous les caps du passé, océan sans rivage Je contemple un amour emporté par les vents les troupeaux fugitifs en la nuit de mon âge disparaissent. Mes yeux sont les lampes du temps. Terres mémoriales, mes îles fortunées ! Seigneuriales délices, majestueux repos ! les rapides chevaux de mes vertes années n'ont pas lassé mon cœur du bruit de leurs sabots. J'ai tissé, j'ai tissé de vents et de paroles un voile au long col gris tenu par les péchés. De mon dernier portail il cache l'Acropole et courbe vers le sol un casque empanaché. As-tu faim de la terre ? rêves-tu de royaumes ? Changerais-tu de peau, de pays, de couleur ? Deux fées se sont penchées pour enlever mon heaume le fer de leur baiser cicatrisa mon cœur, Qu'elle brille, la rouge, avec sa guipure ! Ses serviteurs criaient : « Le vieux monde est brisé ! Sa licorne au printemps emprunte sa parure. Sa deuxième licorne, les habits de l'été. « Va ! tu sauras bientôt ce que l'âge contemple ! ? Me disait l'autre fée nue sous un beau turban Elle était allongée sur les marches d'un temple et me tendait un crâne d'or sur un cadran. Un triste et calme vent inconnu sous les astres qui n'était pas venu d'horizons cardinaux étendait sur le golfe le jour bas du désastre. Le vieux monde est brisé, préparons les vaisseaux. Max Jacob. 147 Hommages HOMMAGE DE L'AMAZONE Tâcher de dire, moi aussi, pourquoi j'aime Max Jacob ? D'abord pour ses contrastes : parce que son regard fuit comme une truite, et sait regarder le soleil. Pour ses poèmes, où il offre à Dieu, son suprême ami, toute une intimité. A cause de sa susceptibilité, toujours prête à l'offense, —• peau neuve allant au devant de chaque blessure. (Même la possibilité d'une intention cruelle peut le faire souffrir). Il devine les pensées et y répond en rougis¬ sant : on peut lui faire autant de plaisir que de peine : ce qui est doublement généreux de sa part. Il est attentif au point d'éveiller en nous des subtilités semblables aux siennes, et l'on parle, selon lui, afin de mieux l'écouter. Et quand il vient me voir rue Jacob, ma rue a l'air de por¬ ter son nom pour mieux l'accueillir ! Natalie Clifford-Barney, 13 juillet 1938, 148 • • Nous devons tous beaucoup à Max Jacob : il nous a éveillés au sentiment secret des êtres et des choses et préservés de bien des confusions. Sans lui, la Poésie aurait fini par se disperser. Il a rompu avec les maîtres qui encombraient le Temple : il a rétabli le divin dans le commerce avec les Muses et j'ai la certitude qu'avant bientôt la place à laquelle il a droit ne lui sera plus contestée par personne... même ou plu¬ tôt par ceux de ses imitateurs qui tentèrent de la lui ravir. Francis Carco. 149 MAX PEINTRE Si l'on eût dit. il y a une trentaine d'années aux fami¬ liers du « bateau-lavoir », que Max Jacob prendrait un jour place dans l'histoire de l'art contemporain, on les eût beaucoup surpris. Max se livrait alors à maintes besognes : d'abord, il y avait la poésie, puis les conseils aux ménagè¬ res du quartier, quelques consultations astrologiques, enfin la confection au moyen d'allumettes trempées dans du marc de café et de la cendre de cigarettes, de compositions où l'on pouvait reconnaître la scène du Bossu, que l'auteur avait vue la veille sur la scène du théâtre de la place Dancourt — qui ne s'appelait pas encore l'Atelier. Le temps a passé et Max en somme n'a guère changé : il est toujours poète — un grand poète ; il prodigue main¬ tenant ses conseils aux dames de Saint-Benoît-sur-Loire : il fait de temps en temps l'horoscope d'un de ses amis, et il peint. Du moins il en était ainsi quand il habitait rue Nol- let et l'on put croire à ce moment que son activité de pein¬ tre allait l'emporter sur toute autre. Alors, je ne pénétrais jamais dans sa chambre sans me dire que Max peintre n'était pas moins important que Max poète, ce qui surpren- 150 dra beaucoup de ceux qui l'admirent et sans doute lui- même. Ses œuvres sont belles, émouvantes, d'une subtilité de couleur qui révèlent le peintre authentique. S'il n'était pas né poète, il fut devenu un grand artiste ; peut-être même, sans trop l'avoir cherché l'est-il naturellement. D'ailleurs, pour avoir travaillé tard il n'en a pas moins beaucoup travaillé ; ses gouaches sont plus et mieux que des dessins d'écrivains, elles valent par elle-mêmes et je ne les admirerais pas moins si j'ignorais leur auteur. Je suis cer¬ tain qu'entre Utrillo et Rouault, Max Jacob a sa place marquée aujourd'hui parmi les peintres inspirés. G. Ciiarensol. 151 IMAGE DE MAX JACOB Vous me demandez quelques lignes sur Max Jacob. Il m'est bien facile de vous les reproduire, car, bien que ne les ayant plus — les ayant esquissées, puis perdues, tant l'été fut fertile en perturbations et déplacements subits et nécessai¬ res — elles sont si présentes à ma mémoire (vous savez que dans ce cas, ma mémoire c'est mon cœur) que je les puis reconstituer tout de suite. C'est l'écrivain que j'admire immensément, sinon le plus, dans notre époque, et il le sait et tout le monde le sait ; mais je tiens une fois de plus à dire pourquoi : car il n'y a pas que moi qui l'admire, et il y a une façon élogieuse, ad- mirative de se tromper, et tout de suite alors je tiens à mar¬ quer une distance. Oui, il y a des gens qui admirent Max Jacob de ce fait qu'étant légers eux-mêmes et sûrs de leur trouvaille, ils le prennent pour un auteur léger. Certes Max est léger, mais comme la grâce qui est d'un poids de pêche et d'étoiles — je pense à une baleine — incommen¬ surable. Aussi ce qu'ils ont lu, dont ils se déclarent enchan¬ tés, devant prendre place à côté de ce qu'ils liront de vrai¬ ment léger au point de vue synonyme de la sottise qu'ils incarnent, n'a-t-il rien à voir avec l'impressionnant total de perfection et de grand art d'en haut et d'en bas et de par¬ tout que représente Max Jacob. Quelqu'un de pourtant intelligent, quoique d'officiel, me disait : 152 -— Oui, nous avions tablé sur un très grand succès, pen¬ sant que ce serait le Courteline de l'époque... Quelle insanité ! J'aime beaucoup Courteline, et tout le monde l'aime et Max Jacob aussi certainement, mais quelle idée de faire de tels rapprochements ! Vraiment les éditeurs, il faudra qu'ils déchantent de ce gen¬ re qu'ils ont tous adopté de dire qu'ils veulent surtout faire du commerce, c'est à savoir vendre et vendre le plus possi¬ ble, conformément au goût du public. Si le public veut de l'excrément, ils feraient beaucoup mieux de se faire vidan¬ geurs de propos délibéré. Il y a toujours, dans le choix de chaque carrière un désintéressement qui donne à songer. Tel se fait parquetier, tel argentier, tel pâtissier qui a un four pour des repas en ville. C'est par appétence spéciale — ou entre une poésie — qu'ils font cela en très grande part. Que l'on n'aille pas alors nous raconter que les éditeurs n'ont que ce but de vendre de l'excrément dans l'existence. Ce qui me plaît, quand je parle de Max Jacob, c'est d'avoir à faire à des gens dont le jugement est surtout ex¬ trêmement sévère. Non d'une sévérité qui se voit : d'une sévérité qu'une race de chair et de bienséance ainsi qu'une véritable soif de grand art motive. Il y a ainsi des gens en France, et plus qu'on ne croit. J'ai un ami, par exemple, de cette sorte, qui fait trembler tout le monde. Eh bien pour lui — et on ne l'aurait jamais cru parce qu'il ne rit jamais — Max est le sommet indépassable. Ce qu'il y a d'ennuyeux, peut-être, c'est le peu d'accès qu'il a en Amérique ; mais ce qu'il y a d'ennuyeux davan¬ tage, c'est l'Amérique elle-même, dans son incapacité native à apprécier un chef-d'œuvre français en dehors de l'officialité ou d'une truculence de mauvais aloi. 153 Ce qui a l'air d'une naïveté — mais ce n'en est pas une — et qui me plaît infiniment chez Max, c'est l'attitude de déflagration jusqu'à l'émiettement produite par le mépris qu'il a dès que dans une société, au lieu de parler une lan¬ gue compréhensible, on se met à parler anglais. Ce fut un snobisme du XIXe siècle. Il ne peut le tolérer. Il se fait tout petit, se réduit, s'excuse, s'en va, et prive immensément de sa présence. Si bien qu'on se le tient pour dit. On ne recom¬ mence plus ou on recommence moins. Contradictoirement, il adore la littérature anglaise, mais traduite, comme elle aurait toujours dû l'être. Thomas Hardy, Chesterton font ses fortifiants délices. Aussi les rus¬ ses, les très grands, dont le verbe traverse la langue. Parle- t-on russe, cependant, en sa présence, il ne décompose pas. Il comprend que c'est une manie et il l'admet. Et puis les Rus¬ ses ont de singuliers mérites et il ne font pas figure de domi¬ nateurs du monde avec un genre, le leur, à l'exclusion de tout autre. Et si l'on parle breton ? Peuh ! Il le sait, le breton, mais il n'aime pas le parler avec des amateurs même bretons — et il y en a pas mal. Il aime et comprend surtout infiniment sa terre, ses grandes landes où luisent des toits distancés par des kilomètres de respect de sa définition qu'a une famille ou un être dans ses incendies, ses drames, ses héroïques cri¬ mes ; comme nous avions vu un jour avec Kit Wood. Nous avions deux voitures. Le ciel était prodigieux de des¬ cente large vers la mer. Kid Wood est mort, depuis, effroya¬ blement, la tête broyée par le train sur les rails, en Angle¬ terre. Et il a été pleuré par des gens très simples et qui l'ai¬ maient en Bretagne, car il y avait très peu de distance — les marins se connaissaient dans les eaux — entre son pays sur l'île, je veux dire en Grande-Bretagne, et les premiers ter¬ ritoires sur le continent. 154 Je voulait dire autre chose. Il y a des gens qui doivent tout à leur siècle. Ce n'est pas le cas de Max Jacob. C'est son siè¬ cle qui lui doit. Beaucoup de ceux dont on parle et dont les propos font époque dans les temps post-Apollinaires sont entièrement formés par lui. Quelle impression produit-il quand on le rencontre ? Celle d'un être plein de majesté. Il n'est ni immense, ni mê¬ me grand — c'est ridicule d'être grand —, et il est fort physiquement d'une façon qui donne à réfléchir. Mais l'on n'en a pas le temps, tout fasciné que l'on est par l'éclat des propos. On le regarde alors et dans l'âme, et c'est un merveilleux contact de salubrité. Son œil est agile, du plus étonnant gris-ciel poudreux dont un oiseau surpris dans ses roches pures nous ait proposé la teinte. Son pied est petit, propice à l'escarpin. Sa main est vive, soudaine, potelée com¬ me l'églantine. Aux avant-bras, sous les paumes, l'endroit où l'os de jointure cutané interne soutient les muscles flé¬ chisseurs, se discerne un double bracelet magique. Quant aux lignes, celles de la main et des doigts, elles sont extraordi¬ naires, mais il sait mieux dire les nôtres que nous les siennes. Un don que je lui envie entre tous, c'est l'éloquence. Il bavarde avec une foule comme avec un ami, procurant un plaisir intense. C'est là qu'est son mérite extraordinaire : procurer plus que du plaisir, du bonheur par la présence et l'art, cet art sévère. Charles-Albert Cingria. 155 SIGNE A MAX Il existe de Max Jacob un mot admirable : « Il ne faut pas, me disait-il, être connu pour ce que l'on fait ». Un poète est posthume. Il lui est difficile de vivre côte à côte avec son œuvre. En fait, son œuvre le mange et cher¬ che à se débarrasser de lui. Nul mieux que Max n'a su réussir ce miracle : se ren¬ dre invisible, tromper l'œuvre à force de transparence et donner en pâture à l'époque un homme de paille qu'elle puisse brûler sans atteindre le poète. Cher Max — je t'aime dans l'éternité. Jean Cocteau. 156 9 9 Max est un dieu en trois personnes : le Père fait le bo¬ niment à Saint Benoît (il faut bien gagner sa vie, je veux dire son ciel...) Le Fils couve avec amour la jeune poésie. Quant au Saint-Esprit, hé bien, il est langue... Max représente pour moi cette chose unique, incroya¬ ble, cette hérésie (disent les hérétiques) : un poète souriant. Quand on arrive de Musset, et de Baudelaire, et de Maldo¬ ror, terribles poètes, Max est oasis. Max l'optimiste, Max le divin donne envie de vivre. Avant tout il m'a fait du bien, Merci, Max ! Et après tout, il est par là de la race des génies à la Mozart, des bons génies, quoi ! Naturellement la Providence fait moins de pétard que Satan. L'influence de Max sur la Poésie française, influen¬ ce fine, sûre, « catholique » est une influence invisible, na¬ turellement... Joseph Delteil. 157 RENCONTRE On veut parler d'un autre, on parle de soi. Je pense à Max Jacob, c'est à moi que je pense. Je m'insurge contre cette im¬ pudeur et puis je l'accepte. Après tout, c'est la preuve même qu'il ne saurait m'être indifférent, qu'il fait au contraire par¬ tie de moi. Et sans doute y a-t-il de la joie pour un homme à savoir que son image vit dans le cœur de milliers d'autres, mê¬ me déformées, même à l'état de petite flamme vacillante com¬ me celles des églises pauvres... C'était à Paris, vers midi, sur les quais... Toutes les boî¬ tes étaient closes, leurs bouquinistes déjeunant dans les bis¬ trots du trottoir opposé avec les plâtriers pointillés de blanc au visage. Un seul coffre restait ouvert. Je m'en approchai, je plongeai mon regard dans l'huître sans grand espoir de dé¬ couvrir quelque chose qui me plût, mais j'en retirai « Le La¬ boratoire Central », presque neuf, pour cent sous, que je con¬ naissais mais ne possédais pas. Avant de m'asseoir au square Saint-Julien-le-Pauvre, dont les pigeons sont si bien élevés que jamais ils ne fientent sur les bancs, je feuilletai le bouquin. Puis je m'installai. D'à- 158 voir relu ces vers me donna l'envie d'en écrire. J'en écrivis aux¬ quels je trouvai, je l'avoue, un goût savoureux. Quand je les relus, je m'aperçus qu'ils n'étaient pas de moi, mais terriblement influencés par Max Jacob, terrible¬ ment « jacobiens ». Je m'insurgeai, en commençai d'autres. Hélas ! le diable d'homme me tenait la main, la dirigeait, mal¬ gré que j'en eus, sans pourtant lui éviter la maladresse car il n'est pas de si bon maître qui puisse en garantir l'écolier. Mon papier, je l'appuyais sur le livre acheté. Une singulière osmose s'opérait ainsi, contre laquelle je ne protestai bientôt plus, me livrant tout le reste du jour à l'amitié de Jacob, et m'y délectant. Je me souviens de cette journée passée avec lui comme de celle que je vécus à Annecy en compagnie de Laforgue parce que l'automne était là, avec ses bancs mouillés, ses casi¬ nos désertés, ses kiosques sous la bruine et mon début de tu¬ berculose... Ainsi peut-on vivre avec des œuvres. Et c'est bien là le signe de l'œuvre : qu'on puisse vivre avec. Max-Poe Fouchet. 159 HOMMAGE A MAX JACOB Si cet homme est mon père, comment le jugerais-je ? Or « tout ce qui est grand est mon père ». C'est l'hon¬ neur que se fait Henri de Montherlant. Ceci est affaire de passion et non de grade. Et je me moque du ridicule d'être certain d'y avoir droit. La grandeur n'est ni la tension, ni la solennité, ni la statue laissée derrière soi, à chaque pas que l'on fait en avant. Je sais à qui je pense. La grandeur peut être, exactement le contraire : à savoir une certaine forme de la faiblesse. Cette faiblesse à laquelle le poète répond par l'acharne¬ ment à se livrer : corps, âme et biens. Or, du lyrisme de Max Jacob, de ce lyrisme convoité de toute part, par la terre et par le sang, par le ciel et la prière, par l'angoisse, le feu, l'ironie, par le sel et par le soufre, par les cris et par les silences, se délivre aujourd'hui une sorte d'unité pathétique. Entre « l'homme de chair et l'homme reflet », ce poète masqué a douté de ses incarnations successives, sachant que 160 chacune d'elles n'était qu'une forme de son insatisfaction profonde. — Max Jacob a aujourd'hui obtenu de lui-même, une austérité et une solitude, qui n'ont d'ailleurs pas fait cesser les poursuites secrètes dont il est l'objet. Mais, il y a concilié densité et instabilité sous le pouvoir d'un ciel mo¬ ral. Quand je vois Max Jacob, je pense à ces arbres, dont on ne songe pas assez que leurs branches sont aussi des ra¬ cines et qu'elles tiennent à l'air aussi solidement que celles du sol tiennent à la terre. Roger Lannes. Paris, février 1938. 161 LE MESSAGE DE MORWEN LE GAELIQUE Morwen le Gaélique n'est pas un dédoublement tardif de Max Jacob ; c'est au contraire le Max Jacob d'origine, celui de la Côte qui, après un quart de siècle, surgit impérieu¬ sement pour réclamer les armes forgées par un héroïque aventurier de la Poésie et pour les mettre au service d'une cause éternelle. S'agissait-il seulement d'écrire des chansons populai¬ res bretonnes, fût-ce avec un charmant archaïsme, fût-ce avec une verve pleine de jeunesse ? S'agissait-il de ressusci¬ ter une Bretagne engloutie par le temps ou plutôt par la vulgarité des mœurs contemporaines ? N'y avait-il qu'à faire sonner quelque puissante cloche d'Ys ? Il était sans doute à la portée d'un poète habile et inspiré d'exalter le pittoresque et les coutumes touchantes de l'Armorique. Mais qui pouvait porter témoignage de ce qu'il y a de meilleur dans l'âme bretonne : sa gaieté, sa tendresse, sa ferveur et la grande fraternité populaire de cette race de paysans et de pêcheurs ? Qui donc, si ce n'est Max Jacob dans les poèmes de Morven, au style serré, au rythme tendu, qui sont autant de petits drames d'un raccourci frémissant ? Quand Picasso vint pour la première fois à Quimper, il ouvrit la fenêtre de sa chambre d'hôtel pour contempler la ville. Il faisait nuit. La fenêtre donnait sur les toits silencieux qu'enserrait le vaste ciel. Le peintre ne pût se détacher de ce spectacle ; il passa la nuit sur le rebord de sa 162 fenêtre. Il sentait une ville écrasée, humiliée, mais dont l'âme vivante parlait au ciel ; en était écoutée. Le contraire d'une ville inerte ou d'une arrogante cité. C'était l'humble huma¬ nité quotidienne abandonnée à son destin et la Providence veillait sur elle dans l'obscurité. Telle est la véritable poésie de la Bretagne. Les flèches sublimes de ses cathédrales ont beau s'élancer vers le ciel, elles n'auront jamais l'audience qu'obtiennent ces chapelles de hameaux, assiégées par le lierre, entourées par des tombeaux, remplies d'ex-votos, bé¬ quilles et bateaux suspendus. Les formidables promontoires de granit dont parle Michelet ont beau défier l'Océan, ils ont moins de puissance pour nous émouvoir que ces visages de pêcheurs tous les jours face à face avec le danger et que ces doigts de femmes aux prises avec la misère. Octave Mirbeau disait des gens de mer : « On les a traités de brutes, ces hé¬ ros. Ah ! vous les verrez, ces brutes magnifiques avec leurs mains calleuses, leurs yeux pleins d'infini, leurs dos qui font pleurer ». La Bretagne est un pays en profondeur. On ne peut pas la juger sur les apparences. L'amour seul en donne la clef. C'est encore, dans notre époque de parole et de fu¬ mée, un exemple de la fraternité humaine fondée sur le roc de la FOI. Les Bretons sont encore de ces pierres vivantes dont parle Saint Pierre dans son Epître. Tel est le message sans prix de Morwen le Gaélique. Julien Lanoe. 163 HOMMAGE A MAX JACOB La poésie de Max Jacob — l'un des phénomènes de l'époque — est apparue sous le double signe de l'extase sa¬ crée et de la grimace, et n'a pu se tenir en équilibre entre ces deux pôles que par la propulsion même du génie. Aujourd'hui, nous voyons évoluer l'homme et le poète vers cette transparence où l'eau-forte des stigmates s'efface devant une lumière révélatrice, où la contorsion recule et dis¬ paraît devant une majesté. Il y avait d'exceptionnelles ressources au fond du « Cor¬ net à dès », et le mirage à multiples faces de cette Introduc¬ tion qui reste en tous points un document admirable sur l'un des tournants de notre art. Mais Ariel bouffon battait des ailes comme l'ange, c'est ce qui, par la suite, délivra le poète de son malaise propre et de tant d'étranges compromis. Le drame et le génie particuliers de Max Jacob ne sont donc point sensibles à qui ne décèle toutes les nuances d'un art en qui se manifestent les plus étonnantes, et parfois les plus décevantes contradictions : un poème de Max Jacob, c'est à côté de la diaphane et éclatante simplicité du volubilis, l'ironie prolixe, allitérée des vrilles sur la tige grimpante de la fantaisie. Il y a davantage de vraies ressources dans les tentatives actuelles du poète, résultats d'éliminations et de greffes sé¬ vères. L'inspiration munificente et astucieuse, l'ingénuité et 164 l'humour natifs sont devenus choses de Dieu plus que cho¬ ses de l'homme et montrent ce rare filigrane qui rehausse la pourpre du sang versé au calice de l'Esprit. A tous ces points de vue l'auteur du « Laboratoire Cen¬ tral » devenu pénitent de Saint-Benoit-sur-Loire, reste un exemple de ce que Dieu, par sa grâce et malgré la perversité du shpinx humain, peut créer de Réponse, de sublime Logi¬ que et de sublime Illogisme, selon le cas, dans l'âme immen¬ se, troublante, désespérante, mais avide, troublée et désespé¬ rée du Poète. Ce pantèlement de l'âme que refuse un Valéry, sans aucun doute voué à l'assèchement de l'Arcadie mallar- méenne, Max Jacob l'accepte, maintenant hors des malices du jeu, comme l'engrenage où il doit passer tout entier après quelques signaux d'usage à la terre. Nous garderons de l'œuvre ancienne, du « Cinémato- ma », le souvenir d'un passage étrange dans nos Babels tru¬ quées et retruquées, notant l'acuité de la réplique humaine au pâteux mensonge de Bâal; nous tirerons profit de cette prose agile, sœur de celle de Satie, vouée à l'exploration de savoureuses banalités, des mœurs insipides de province; nous mettrons en tiroir ces imageries qui bourlinguèrent parfois tant de lieues avant de jeter l'ancre dans des hâvres de haute suavité; mais nous réserverons au psalmiste des récents jours une pensée d'alleluias. La communion des saints, belle re¬ vanche de la solidarité des pécheurs, voilà l'horizon qui reste suspendu sur la cellule du poète attaché aux travaux d'un agréable désert; voilà aussi le rouage secret de notre louange à qui la poésie de Max Jacob apparaît en définitive l'arc-en- ciel breton flottant dans un ciel lavé, pieusement aimanté sur les villages et les ports, le flot de la mer et des landes. Henri-Philippe Livet. 165 LE SOLITAIRE DE SAINT-BENOIT-SUR-LOIRE Dix ans d'amitié me lient à cet homme extraordinaire, « cousin germain de Notre-Seigneur Jésus-Christ », Max Jacob. Max Jacob ! Un des visages les plus graves de notre épo¬ que promise à tous les tremblements de terre et tous les in¬ cendies de la Colère Divine, à toutes les joies pour les rares Amis de la Vérité crucifiée. Sans parler de l'œuvre abondante, vaste de ce méconnu, de cet esprit profondément catholique (universel) qui a porté tous les costumes, de la robe du grand seigneur à la robe de bure, on peut dire de lui ce qu'on dit des plus grands : sa vie et sa personne ne se séparent pas de son œuvre. Le Cornet à dés, ce chef-d'œuvre tant démarqué par les esthèdes de la copie originale, les personnages de Filibuth et du terrain Bouchaballe, c'est Max Jacob, Saint Matorel, c'est encore lui qui ouvre son cœur avec tous ses sanglots tous ses sarcasmes toutes ses implorations, toute sa prière... « Scandale pour les uns, folie pour les autres ». Les ama¬ teurs de lieux communs, les « camarades » de la Républi¬ que des Lettres ont classé définitivement Max — à côté des figures centrales d'Apollinaire et de Picasso — comme un fantaisiste, un feu follet hoffmanesque, un météore du coq- 166 à-l'âne et de la calembredaine. Pour nous, nous voyons en Max Jacob un des plus grands poètes catholiques de no¬ tre époque, et nous répéterons après Jacques Maritain, que sa poésie a l'importance des tableaux de Cimabue et de l'An- gelico. Pas d'homme moins littéraire ! Ceux qui savent lire, mon cher Max, connaissent ton vrai visage ! Ceux qui sont des habitués privilégiés du cabaret de la Souffrance, l'épouse-croix de Notre Sauveur, connaissent la grimace d'exil de ton visage et ces ardentes prières qui sortent de ton cœur gonflé d'injustice et d'amour... Léon Bloy disait que « la miséricorde n'est rencontrable que chez les pauvres ». Depuis des années, tu protèges les humbles et les désespérés. Pas d'âme qui n'ait reçu de toi ou un conseil plein de sagesse ou une parole de bonté, une de ces paroles qui touchent l'âme même du cœur, et redonnent es¬ pérance et courage ! Ces chemins de croix que nous avons faits ensemble, ces effusions vers Dieu que nous présentions dans les églises de Paris et d'ailleurs, voilà ton plus beau poème, ta grande ri¬ chesse, Pauvre plein de foi, d'espérance et de charité ! Tu t'es retiré de l'Enfer de Paris, voué aux malédictions et aux flammes par les saints et les visionnaires, et tu vis en Dieu Seul chantant à sa gloire des ballades intérieures et ter¬ ribles qui sont le tamis de toute ta vie passée de souffrances et de contradictions, et peignant les personnages de l'His¬ toire Eternelle de la Très Sainte Trinité sur la palette de la chair et de l'Esprit... 167 Dans cette campagne exquise où se dresse une Basilique au Cœur percé et brûlant, tu offres chaque jour l'étable de ton âme à Jésus-Enfant... Les hommes ne t'ont pas compris, mais lorsque le jour des Rétributions sera arrivé, le Grand Jour des Assises de Dieu, tu retrouveras près de Jésus-Christ aux Plaies Rayon¬ nantes, l'Ange portant un calice qui t'est apparu rue Ravi- gnan, et la « Dame parfaite » que tu as honorée dans tes Litanies — qui te feront entrer dans cette Jérusalem Céleste, dont on ne peut rien dire sinon ces mots que balbutiaient les Saints en extase, et qui signifient Joie, Harmonie, Lumière : Tu te reposeras sûrement La veille de ton enterrement ! Alain Mëssiaen. 168 ETERNITE DU POETE Il y avait un moment amer où l'on dit à Max Jacob : « Vous étiez poète ? ». Max a répondu : « Oui, quand même, moi j'étais poète ». C'était sa modestie qui l'empê¬ chait de dire poète dans le passé, le présent et l'avenir. Enfin, il est poète, il a le cœur d'un poète et il écrit des poèmes, il fait sa peinture mais pas comme un peintre, mais comme un poète. Et il fait les découvertes de chaque jeune âme qui paraît dans le monde et il fait cette découverte avec son âme de poète. J'ai bien connu Max à cette époque quand le monde était encore jeune, jusqu'à maintenant quand le monde est vieux, son âme n'était jamais jeune et jamais vieille, car à quoi bon avoir une âme si une âme peut avoir un âge ? Max n'a jamais trouvé nécessaire de se demander pour¬ quoi il parle de lui-même comme un homme vieux et pas, mais il a toujours su qu'une âme n'a pas d'âge et il a toujours une âme. Bon ! C'est ça qui fait: un poète. Gertrude Stein. 169 SOUVENIRS SUR MAX JACOB Max Jacob... Je le revois au plus lointain de ma jeunesse, tel qu'il est resté, propre et net dans sa personne comme dans son cœur, avec cet air de prélat gourmand et spiri¬ tuel, aux yeux à la fois profonds et malicieux bien ouverts sur le monde, et pleins, nous semblait-il pourtant, d'une ardente vie intérieure. La fin était proche alors du siècle dernier. Il ne s'évadait qu'à peine du Quartier Latin, logé à son orée, au dernier étage d'un vieil immeuble du Quai aux Fleurs. Le carrelage de la chambre et de la cuisine était tou¬ jours encaustiqué de frais : on s'y voyait comme dans un miroir et on y patinait comme au Palais de Glace. Et de la fenêtre on avait une belle vue sur la Seine et l'Ile Saint- Louis. — C'est moi qui fais mon ménage, aimait-il dire en frottant l'une contre l'autre ses mains fines aussi bien en¬ tretenues que le carrelage. Il y avait au mur quelques tableaux, une ou deux gouaches. Un jour, je dis devant une de ces dernières : — C'est bien. 170 Elle est de moi, répondit-il modestement. Tu me fais plaisir quand même, reprit-il. J'ai quitté l'Ecole colo¬ niale pour me faire peintre, mais jusqu'ici, je ne suis arri¬ vé qu'à me spécialiser dans la critique d'art. Dans les ate¬ liers on dit que je n'arriverai à rien en peinture. — Mais on me disait aussi que j'écrivais mal, écrivait- il plus tard. Je lâchais tout pour apprendre à écrire. Je connus alors une vie de misère, et je fis tous les métiers. Aujourd hui, le poète a sa cote dans les catalogues de librairie, et, à l Hôtel des Ventes, le peintre — car Max a repris ses pinceaux — subit sans sourciller le feu des enchè¬ res. Quand je le connus, il se faisait la main dans une revue hebdomadaire, un quelconque moniteur des beaux-arts. Sous les pseudonymes les plus divers, il y affirmait un éclectisme qui le conduisait de l'Académisme le plus pompeux à l'im¬ pressionnisme le plus hardi, et de l'Art décoratif tradition¬ nel à ce « modem style » qui était l'art nouveau de 1900. Mais un nom revenait fréquemment dans ses propos : Picasso. Quand il le prononçait, il tournait les yeux vers Mont¬ martre. Mais des intérêts le retenaient encore sur la rive gau¬ che : il devint même à ce moment secrétaire de la rédaction du Sourire. Les grands dessins à légende promis aux joies de la tri¬ chromie, ne durent pas modifier son sens naturel de l'hu¬ mour : il les recevait et les mettait en pages, c'était tout. En revanche, il n'eût pas hésité à se refuser les lettres de son Cabinet noir, et les commentaires dont il les faisait suivre : il poussait le respect de la consigne jusqu'au sacrifice. « N'oubliez pas, avait dû lui dire son directeur, que nous devons aller au grand public, d'abord ». 171 Au grand public, Max Jacob y allait à sa façon qui n'était pas celle du journal. De chaque métier qu'il était contraint de faire pour vivre, il rapportait un lot nouveau d'observations, tout en se demandant à lui-même : Dis-moi quelle jut la chanson Que chantaient les belles sirènes Pour faire pencher des trirèmes Les Grecs qui lâchaient l'aviron... Saint Matorel lui dévoilait son âme mystique et bur¬ lesque, tandis que dans la nuit où il se complaisait le cerf affamé broutait l'herbe d'enfei Mais dans le jour revenu il s'armait d'un nouveau sou¬ rire et ses petits yeux regardaient le monde comme un jeu de massacre que son ironie autant que sa fantaisie criblaient de boules imaginaires. La fresque s'ordonnait en conséquence où il allait, du Terrain Bouchaballe et de Filibuth ou la montre en or, au Cabinet noir et au Roi de Béotie, décrire avec la précision du peintre et la verve de l'écrivain toute une société. Du peintre et de l'écrivain, ai-je dit... Et du poète. Car le visionnaire est toujours présent dans l'œuvre de Max Jacob. Il s'évade du Cornet à dés et du Laboratoire central pour se répandre dans L'Homme de chair et l'Homme reflet ou nous annoncer le dadaïsme par de plaisantes onomato¬ pées ou d'inattendus rapprochements de mots. Le beau ne fait pas rire, a écrit quelque part Sully Prudhomme. Oui, mais Max Jacob a toujours su envelop- 172 per de lyrisme la caricature elle-même, et relever de poésie et d'attendrissement jusqu'au comique de certaine laideur. Mais sans oublier sa rencontre avec Guillaume Apolli¬ naire, son émigration à Montmartre, sa conversion, c'est le Max Jacob de 1900 que je veux surtout revoir, le créateur de rythmes et d'images insolites, précurseur — déjà ! — de tout un mouvement dont il sera le dernier à bénéficier, le compagnon mélancolique, et pourtant souriant qui, ayant fait à pied le chemin des tours de Notre-Dame au Pont de Neuilly, sonnait vers les dix heures du soir à ma porte, et disait pour excuser son arrivée tardive et sa lassitude : — Je viens dîner... en voisin. Jean Valmy-Baysse. 173 SAINTE MARIE-MADELEINE Il n'y a pas plus mauvaise aux tombeaux du Père Lachaise au Purgatoire à l'Enfer sur la terre ou sur la mer Que ne fut la Madeleine ; paressant matin au soir amoureuse comme chienne négligeant tous ses devoirs. « Pense un peu à ton travail « je te donnerai la schlague « au lieu de colliers et bagues « et de tout ton attirail. « Les fléaux de boulevard « qui tentent les vieux paillards « on les met à Saint Lazare. » lui dit son frère Lazare, 174 — Ne frappez pas votre sœur mais attendez le Sauveur Elle sera fleur de mousse parmi les nouvelles pousses, Père et Fils et Saint-Esprit au-dessus du Paradis ! Le Fils descendit sur terre par les ordres de Son Père « Tes pieds supportent l'haleine « d'une femme au corps pourri » dit leur hôte à Jésus-Christ « son nom est la Madeleine ». — Que le démon d'enfer tremble « car les péchés sont remis « à celles qui lui ressemblent « quand Dieu les a convertis. » Morwen le Gaélique. (1 ) (1) Morwen Le Gaélique est le pseudonyme que prend Max Jacob quand il pense en breton, ET SA MERE EN PRISON Au temps du temps des moines des moines de Crozon j'avais mon fils Antoine, toujours à la maison. L'abbé Saint Polycarpe chantait sur le gazon, « Apprenez-moi la harpe « la harpe et le violon ! » — Moines au monastère où donc est mon garçon ? — Parti en Angleterre pour une fondation sur une auge de pierre ! C'est le Roi des Poissons qui tient le reliquaire et qui fait les répons. La dame des Fontaines en guise d'artimon et les queues des Sirènes y servent d'aviron. — Moines de l'Angleterre rendez-moi mon garçon son frère est à la guerre et sa mère en prison. Morwen le Gaélique. 1.77 LES YEUX DU GRAND'PERE « Cubisme ou myopie » un critique Le serviteur disait, le petit serviteur : « grand'père, grand'père, vos yeux ne sont pas clair « crochez dur dans mon bras, je ferai le hâleur « agrippez-vous au mur crépi où est le lierre. — Ce n'est pas comme il faut : « laisser un enfant nu se rouler dans l'avoine « si c'est mon petit-fils, ce n'est pas un pourceau ! » Moi de rire ! un enfant ? — et c'étaient des pivoines. « Pourquoi ne pas les mettre en gerbe à fa chapelle plutôt que de les perdre, ces lys au vent du lof ? — Des lys ? et quels lys donc P les coiffes de dentelles des filles à genou au pardon de Roscoff. » « Par annonce de mort, j'ai vu des sans-baptême des crânes de fœtus ! — Censé, grand'père, censé ! avec vos mains, grand-père, ramassez-les vous-même : c'est, devant la maison, la rangée de pensées. Morwen le Gaélique. P oèmes RENCONTRES AVEC MAX JACOB Premier, je vis Max Jacob A Saint-Benoît sur la Loire, Peignant, rimant, depuis l'aube Jusqu'aux avancées du soir, Mordu, près du portier bègue Par l'envie de voyager, Ailé d'un ange et d'une aigle, Aidé d'un soleil léger. Luise la Loire luisante Parmi les moissons du ciel, Villages au bord des routes Sous la lune de pain bis ; Les carrosses et les fées Passaient en chapeau pointu, Et des trompes étouffées Sonnaient à cor-que-veux-tu. 179 A Poitiers vint me quérir, A Chauvigny nous allâmes Retrouver le souvenir Des guerriers en oriflammes. Nous eûmes d'autres rencontres A Paris (ou bien Paroir) Où chacun toujours se montre Comme devant son miroir : A son avanta-a-ge ! Je le vis — toujours le même — Disert, simple, précieux, Dans le siècle où son tumulte Eloquent, mélodieux, Tantôt pleure puis exulte. Ainsi conjuguant sans cesse La harpe et le mirliton, Il ravissait ma jeunesse Couronnée de faux carton. Je n'oublie plus Max Jacob, La joie que j'eus à le voir Peignant, rimant, depuis l'aube Jusqu'aux avancées du soir. Maurice Fombeure. 180 LA PART DE DIEU Max Jacob innocent et condamné aux galères dans le prétoire rouge où les cinq plaies du Christ servent de pièces à conviction toutes ses paroles ramassées par les scribes de l'enfer tous ses profils enfermés dans l'armoire aux poisons les témoins sont dispersés plus haut que la cîme des astres quelques-uns sont lamas dans les cellules de la monta¬ gne d'autres se sont repentis dans les monastères de la cam¬ pagne il en est sur le pont des bateaux en partance d'autres se souviennent de lui dans les ranchs il est comme une luciole dans les chambres sans feu où les doigts gourds cherchent la toison dé l'amitié ceux qui sont déjà marqués à l'épaule. i8i ét qui se reconnaissent à l'avant-garde du convoi sont à la barre et fixés sur le fléau de la loi la balance se mettra en mouvement au premier chant du coq quand la trahison se lèvera avec ses loques Max Jacob montrera ses fers limés en secret par les anges le juge se penchera sur ses empreintes et son visage consumé ira rouler sur les planches le pro¬ cès se terminera dans l'épouvante quelqu'un dira : « Tous ceux qui vous accusent men¬ tent » les gardiens complices du poète le feront porte-clefs des geôles de la terre. Michel Manoll. 182 HOMMAGE A MAX JACOB Au fond des chemins arides de l'Eternité pleine d'aima- aux quatre musiques de la fièvre [bles incendies quand une lueur toute pleine de trous des miroirs brûlants s'élance de ton cœur entr'ouvert Alors, tu entends, Max, l'arbre d'argent noir sans bruit ruisseler de sang et de divinations chuchottantes de vérités de velours qui caressent la peau et s'effeuillent ensuite dans une brise d'anges mystérieux Une fumée qui va et vient qui glisse entre tes pinceaux et le jour tu dors dans les branches brisées... On entend la main coupée qui doucement fait craquer ses petits soleils sur l'oreiller et ce grand cerisier ce grand cerisier, Max, — tu as seul le droit de le couvrir d'oiseaux —- qui penche doucement sur le ruisseau ce ruisseau des veines des années et des grands cristaux parleurs de la Jeunesse. André de Richaud. 183 MARCHE QUOTIDIEN à Max Jacob Chez le prêtre et le boucher, l'une esprit, l'autre ventre, Ametendre et Chairvive s'en vont au marché. Payant de son péché, la première achète une vertu ; de son engrais, la seconde un gigot de la brebis qu'on tue. Sans cesse l'homme règle en mal le bien du pardonnant, en excrément le pré des portelaines du donnant-donnant. Le double jeu, qualités et défauts, s'opère au cours de ce chassé-croisé, la palme émanant de la faute, le festin de la nausée. La veille on s'est couché telles deux folles qui, dès l'aube vidées, se voudront sages l'une et l'autre encore de forme et d'idée. Hier, aujourd'hui, demain, c'est le manège humain : recommencer ce qu'ont fini le corps sur le chemin, l'esprit dans l'infini. La bête et l'ange se recréent au moyen de l'échange, mé¬ téore et fange, tout s'arrange entre l'infâme et le sacré. L'abeille se compose d'une épine et d'une rose, un rire habite la douleur, la houille exprime la merveille, le fu¬ mier la fleur. 184 Ici diable, là dieu, l'insondable énergie, rythme et feu, nous égaille depuis l'antienne de la grâce jusqu'aux lanter¬ nes de l'orgie. Muant de l'aile et de la peau, l'être hybride s'active à planer dans le saphir du rêve ou se vautrer dans l'émeraude des troupeaux. De l'abime à la cîme l'homme se damne puis se sauve, le bêlement du sacrifice rouge s'accrochant ainsi qu'un lys d'amour aux mâchoires du fauve. De ton cor de lumière, ô Soleil, soleil d'or, oriente appé¬ tit et conscience vers le geste de miséricorde et le carillon frêle au bout de cette corde. Ametendre et Chairvive, oyez donc le latin stellaire du pardon de même que l'argot funèbre du boucher : voici l'heure équivoque et sainte du marché. Goutte d'or, 1890, Saint-Pol-Roux. 185 ITINERAIRE MYSTIQUE DE PARIS A St-BENOIT-SUR-LOIRE A Max Jacob, hommage du siècle. C'est ce qu'on lit au fronton de mes Archives du Club des Onze. C'est vieux de quinze ans. Dans le même temps, je publiais un Max Jacob poète, peintre, mystique et homme de qualité. .le ne puis que me répéter. Et Max sait qu'il faut un ermitage pour échapper aux servitudes de Paris. Itinéraire mystique de St-Benoît-sur-Loire à Paris au printemps : Aux bornes du chemin, les versets de ton Art poétique. Max Jacob. La verte Loire avec ses sables, Fond de l'eau et Visions infernales. Les merveilles du Cabinet noir dans la besace du facteur. Madame Gagelin descend chez ses enfants, 186 Au micro, causerie par Mme Lariboisière. Concours hippique, à la gouache, par Max Jacob. Max Jacob lit à distance nos lignes de la main aux pau¬ mes des premières feuilles des Champs Elysées. Je rêve d'une Comédie Française affichant enfin, en s'ex- cusant du retard : Trois nouveaux figurants au Théâtre de Nantes, comédie par Max Jacob. A Max Jacob, hommage du siècle. Par le courrier d'Afri¬ que, où sonne une cloche bénédictine au faite des ermitages de sable. Merci, Denoël ; merci, Bosco. André Salmon. 187 A MAX JACOB LE JONGLEUR DE NOTRE-DAME Tu fus un écolier bien sage Jadis à Quimper-Corentin, Et, penchés sur la même page, Nous avons appris le latin. Puis tu partis pour la grand'ville Et pareil à François Villon Tu connus les besognes viles, Le froid, la faim et l'abandon. Tu n'aimais pas les antichambres Où l'on va mendier les faveurs, N'ayant pas le dos qui se cambre Des intrigants et des flatteurs. C'est dans une pauvre mansarde, Sous les toits près de Picasso, Riche d'espoir, pauvre de hardes, Et méprisé de quelques sots Que sont nés ces poèmes d'âme, La « Côte » et le « Phanérogame » Le « Laboratoire central » Que tu dédias à Notre-Dame, Quand sur le fond d'un mur banal, Tu vis Jésus, comme un fanal, 1 88 Ton œuvre au temps cruel résiste, Avec tes mains de pur artiste, Tu sais jongler avec les mots, Lançant la rime fantaisiste, Comme au cirque un équilibriste Lance la boule ou le cerceau ! Ton vers fait parfois comme un saut Périlleux. Et quant à la rime, Elle est un vrai jeu de mime. Mais que tu sais, naïvement, Dans tes vers ou dans tes romans, Parler des femmes, des enfants. Ceux de la rue de Ravignan.... Des Bretonnes de nos villages, Des animaux, comme des mages, Admis à contempler l'enfant. « Oui dira votre fond ô bêtes familières ? » Le poème du « Cheval » dédié à Picasso. M'émeut autant qu'une prière : Pauvre jument vivant rue Campagne-Première Rêvant d'herbe au bord d'un ruisseau ! Que tes marines sont exquises, Celles que tu peignis, à Roscoff ou Tréboul.... Où Max auteur du Roi Kaboul Accusé d'être un peu « maboul » Décrit un port breton comme un beau coin d'Assise.., « Gardez vos marins en tous lieux, Robe de la Mère de Dieu ! » Sous la voûte des cathédrales, On te voit souvent à genoux, Priant pour les femmes vénales. 189 Pour tous ceux qui sont morts pour nous (1). Tu dialogues avec la Vierge A qui tu vas brûler un cierge Dans l'église du Sacré-Cœur.... Et si ce dialogue interloque Un passant sceptique et moqueur, Tu montres bien que tu t'en moques, Tendant tes « bras vers le Sauveur » (2) Je te vois sous le froc de moine De François, le saint aux oiseaux... Tu en as la figure idoine, Tes bêtes à toi sont les mots Qu'attire, oiseleur, ton pipeau (3). Pardonne-moi ces oripeaux Dont, gauchement, je vêts ton âme. Heureux celui qui d'un seul mot Sut dire ton art et sa flamme, Te saluant d'un nom si beau Max le Jongleur de Notre-Dame ! René Villard. 1,1) Sauvez les âmes de mes amis morts à la guerre (M. Jacob). (2) Le poète a tendu les bras vers le Sauveur (M. J.), Laboratoire Central, (3) O ma rue Ravignan de tes hauteurs... sur tes pipeaux m'ont enseigné l'amour... (M. J.). 190 METEMPSYCHOSE ET SOUVENIRS Depuis tant de siècles, moi qui vis plus souvent dans mes âmes passées... Il est vrai qu'on ne devait montrer aucun sentiment en présence du roi Louis. L'allée d'arbres dignes du Poussin à Saint-Cloud peut être ou ailleurs... Je revois les deux visages ennemis quand il m'arriva de casser une porcelaine, une de ces porcelaines que l'on déposait entre les arbres du Poussin sur les talus de sa promenade parce qu'il les aimait. Il m'était interdit même d'avouer ma faute et d'expri¬ mer mon regret. Telle était la grandeur du roi que ce furent les deux ennemis qui furent en disgrâce et non moi. On parle aujourd'hui de l'injustice des despotes et on ignore le secret de leurs affaires. Depuis tant de siècles, moi qui vis plus souvent dans mes âmes passées, je me souviens mieux des figures de mes deux ennemis dans les arbres du Poussin que de celle du roi juste. 191 PETIT OU GRAND Ces couloirs de palais en des temps de légendes, c'était comme les couloirs interminables des hôpitaux. Avant ma naissance ou des morts, j'ai vécu là, on y parlait tout bas. Les couloirs étaient doubles, celui des seigneurs, celui des petites gens. On les auraient confondus n'étaient certaines décorations les jours de fêtes ; alors les couloirs des seigneurs avaient devant chaque porte des pots de fleurs de la même couleur selon les fériés de l'église : fleurs rouges les jours de certains martyrs, fleurs blanches pour les vierges ; vert et or le di¬ manche. Je me souviens que je n'ai jamais su dans quel couloir je devais passer : petites gens ou grands. Qui le dira ? les rares groupes de moines, de soeurs ou de seigneurs parés, les questionnerai-je ? me connaissent-ils ? et moi-même ? Les parquets sont un rouge lac de glace. Voici les mansardes ! ah oui ! cela est bien pour moi. 192 BALISTIQUE ET KABALISTIQUE Jetez à terre les hauts degrés ! disparaissez, les plantes riches. J'aspire à l'oignon et au grès : le Soleil luit pour les derviches.. Pélican ! dans ma thébaïde faisons des excès de ton sang. Nous invitons les Néréides, les météores, les ouragans. Mon Dieu, je poursuis ton regard comme on poursuivrait une affaire : où es-tu ? et sous quel hangar ? Dût mon corps en être charnière ! Sa couronne est de vingt-deux lettres ! Le monde n'est qu'un livre pour Lui Dix grillages cachent Sa Tête Sa baignoire est dix infinis Kabbale ! à tes jeux de kabyles non ! je ne veux pas être habile mes yeux aux yeux de Jésus-Christ ! Tous mes cris et tous mes écrits au carrefour du Crucifix. Max Jacob. 193 BIBLIOGRAPHIE 1904 — Le roi Kahoule et le marmiton Gauvin, livre de prix pour les écoles. Chez Picard et Kahn. J904 — Le Géant du Soleil, conte pour les enfants. Librairie Générale. 1909 — Saint Matorel, roman — chez Kahnweiler — réédité à la N-R.F. en 1937. 1911 — Les œuvres mystiques et burlesques de, frère Matorel, mort au couvent de Barcelone. Illustré par A. Derain. Chez Kahnweiller. 1912 — Le siège de Jérusalem,, drame symbolique. Chez Kahnweiler. 1913 — La Côte, chants bretons. Illustré par Pablo Picasso. Chez l'auteur. 1916 — Les Alliés sont en Arménie, poème. Hors commerce. 1917 — Le Cornet à dés, poèmes en prose. Chez l'auteur, Edition défini¬ tive, chez Stock en 1923- 1918 — Le Phanérogame, roman. Chez l'auteur. 1919 —- La défense de Tartufe, extase, remords, visions, prières, poèmes et méditations d'un juif converti. A la Société Littéraire de France. 1920 — Le Cinématoma, fragments des mémoires des autres. A la Sirène. réédité à la N.R-F. en 1929 1920 — Le livre de l'aimé et de l'ami, de Raymond Lulle, traduit de l'es¬ pagnol, par de Barrau et Max Jacob. A la Sirène. 1920 — Maforel en Province, illustré par Depaquit, plaquette de luxe. Chez Vogel, 194 1921 — Ne coupez pas, Mademoiselle., ou les erreurs des P.T.T., illustré par Juan Gris, plaquette de grand luxe. Galerie Simon. 1921 — Le Dos d'Arlequin, fantaisies dramatiques, illustré par l'auteur. Au Sagittaire. 1921 — Le Laboratoire Central., poèmes. Au Sans-Pareil. 1922 — Le roi de Béotie, nouvelles. A la N.R.'F. 1922 — Le Cabinet noir, lettres. A la N.R.F- 1922 — Le Terrain Bouchaballe, roman en deux volumes. Chez Emile Paul. 1922 — Art Poétique, chez Emile Paul. 1922 — Le Cabinet noir, lettres avec commentaires. A la N.R.F. 1923 — Filibuth, ou la montre en or, roman. A la N.R-F. 1923 — La Couronne de Vulcain, fantaisie, Galerie Simon. 1924 — Les Visions infernales, poèmes en prose. A la N.R.F. (Collection: Une œuvre, un portrait). 1924 — L'homme de chair et l'homme reflet, romani Au Sagittaire. Re¬ pris par la N.R.F. 1924- — Isabelle, et Pantalon, opérette avec musique de Roland Manuel (Représentée au Trianon-Lyrique). 1925 — Les Pénitents en maillots roses, poèmes. Au Sagittaire. 1926 — Le Nom, nouvelle. A la Lampe d'Aladin, Liège. 1927 — Fond de l'eau, poèmes. Editions de l'Horloge, Toulouse. Réédité par les Cahiers Libres. 1-928 — Visions des souffrances et de la mort de Jésus, fils de Dieu, quarante dessins. Galerie des Quatre-Chemins. 1929 — Sacrifice Impérial, poèmes. (Collection Les Introuvables). Emile Paul. 1930 — Tableau de la Bourgeoisie, illustré par l'auteur. A la N-R.F. 1931 — Fable sans moralité, avec musique, de H. Bordes. Chez Maurice Sénart. 1932 — Bourgeois de France et d'ailleurs, à la N.R.F, 195 1.932 — Le Bal masqué, avec musique de F. Poulenc. Chez Rouart, Le- rolle et Cie. 1932 — Cinq poèmes, avec musique de F. Poulenc. Chez Rouart, Lerolle et Cie. 1934 — Rivage, poèmes. Les Cahiers Libres- 1937 — Morceaux choisis. A la N.R.F. .1938 — Ballades. Chez René Debresse. Au théâtre : Chantage, représenté au Théâtre de l'Atelier (1 acte). Trois nouveaux figurants au théâtre de Nantes, représenté par les soins de M. Pierre Bertin, chez M. Paul Poiret en 1917. Ainsi que L'Enfant de la Maison. Et La Femme fatale. COLLABORATION Sans vouloir citer toutes les revues qui ont publié des œuvres de Max Jacob (elles sont innombrables), nous mentionnons seulement ici quelques revues auxquelles il a bien voulu donner sa précieuse collaboration : La Nouvelle Revue Française, Commerce, Le Roseau d'Or. La Ligne de Cœur, Mesures, Les Feux de Paris, Le Journal des Poètes, Aguedal. Le Point,: les Nouvelles Lettres, La Revue de Paris, Le Mercure de France, Les Nouvelles Littéraires, Vogue, Le Pain Blanc, Sic, L'Œuf dur, Action, Le Disque Vert, Le Mail. Ces deux dernières revues lui ont consacré un numéro spécial vers 1920 environ. ŒUVRES DE MAX JACOB Frs CINEMATOMA 12 » LE ROI DE BEOTIE 12 » LE CABINET NOIR 16,50 FILÏBUTH ou LA MONTRE EN OR 12 » L'HOMME DE CHAIR ET L'HOM¬ ME REFLET 15 » TABLEAU DE LA BOURGEOISIE 400 » (illustré par l'auteur sur vélin) LES 7 PECHES CAPITAUX 12 » (La gourmandise) BOURGEOIS DE FRANCE ET D'AILLEURS 15 » SAINT-MATOREL 18 » MORCEAUX CHOISIS 15 » LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE Revue Mensuelle de Littérature et de Critique Directeur (1919-1925) : Jacques RIVIERE Directeur : Jean PAULHAN — Paraît le 1er de chaque mois — La Nouvelle Revue Française a publié en 1939 (entre autres oeuvres) : Choix des Elues, par Jean Giraudoux. — Familières, par L. P. Fargue. L'Epée et le Miroir, par Paul Claudel. — Politique, par Jacques Char- donne. — M. François Mauriac et la liberté, par J. P. Sartre. — Songe d'Eleuthère, par Julien Benda. -— Le Pave Pie XI, par Paul Claudel. — Journal de vacances, par Jean Guehenno. — Paris, par C.F. Ramuz. — Lettre à Cornélius, par Jean Grenier. — Péril en mer, par Rogert Hughes. — Maïakowski, par Elsa Triolet. — L'incendie, par Jean Cocteau. —Le Minotaure, par Jules Supervielle. — Colloque, par Paul Valéry. — Un procès de sorcellerie, par L. Lévy-Bruhl BULLETIN D'ABONNEMENT Veuillez m'inscrire pour un abonnement de * un an, six mois, à l'édition ordinaire, de luxe de La Nouvelle Revue Française, à partir du Ier * Ci-joint mandat-chèque de le vous envoie par courrier ,'lc ce jour chèque postal de Veuillez l'aire recouvrer à mon domicile la somme de (majorée de 3 fr. 25 pour frais de recouvrement à domicile). France Union postale Autres pays * Edition ordinaire: 85 fr. 100 fr. no fr. UN AN 46 fr. 54 fr. 60 fr. SIX MOIS * Edition de luxe : 145 fr. 170 fr. 185 fr. UN AN Abonnement d'essai de 3 mois : 18 fr. l!)3 (Signature), Adresse * Rayer les indications inutiles Détacher ie bulletin ci-dessus et l'adresser à IVl. le Directeur de LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE, 5, rue Sébastien-Botin, anciennement 43, Rue de Beaune, Paris - VIF. Compte Chèque postal : 169.33. Téléph. : Littré 28-91. 92 et 93. Adr. télég. : Enerefene Paris. — R. C. Seine 35.807 AGUEDAL parait six fois par an par les soins de henri bosco, c. funck-brentano armand guibert (tunis) jean grenier, rené janon (alger) et pour le compte de la SOCIETE DES AMIS DES LETTRES ET DES ARTS au maroc Rabat, 14, avenue de Marrakech Abonnement : Pour un an : 40 frs (Etranger : 50 frs). Chèques Postaux : Sala, 122-95, à Rabat lll»Élp^vKf Ce numéro 15 fr. IMPRIMERIES RÉUNIES CASABLANCA AGUEDAL 14, Av, de Morrakech - RABAT — ,