Un rameau de la nuit

Classe

work

Forme de l'oeuvre (au sens FRBR)

fre Roman

Titre

fre Un rameau de la nuit

Date de création originale

1950

Langue(s)

fre

Couverture spatiale

fre Si Frédéric Meyrel habite Marseille, c’est comme l’indique son apologie de la marche à pied et du voyage dès les premières lignes du récit, « par nécessité » (« Un rameau de la nuit », Gallimard, 1970, page 33) et non par amour. Mais par rapport au Marseille souterrain de « L’Antiquaire », la ville décrite par Henri Bosco ici a une toponymie plus précise, essentiellement tournée vers le port de Marseille, car Marseille « tire sa vie de la mer » (page 33). Les amis dont le narrateur nous parle habitent trois quartiers différents de Marseille, et s’étagent en trois groupes sociaux, la Faculté (les Hautard), l’Industrie (les Jumerand) et la Navigation (les Labartelade). Malgré tout, la configuration spatiale de ces groupes sociaux, le Haut pour les Hautard, le Centre pour les Jumerand et le Bas pour les Labartelade donne symboliquement l’image de gradins et d’amphithéâtre à cette ébauche de la ville de Marseille. Marseille est avant tout « la Ville », le théâtre de l’action, le lien de l’ensorcellement, de l’évènement qui déclenche l’initiation de Frédéric Meyrel.

Identique à

Identifiant pérenne

Source(s) utilisée(s)

fre Christian Morzewski, « Avez-vous lu Bosco ? », dans « Roman 20/50 », numéro 33, juin 2002, pages 11-23
fre Martine Valdinocci-Carret, « Contre les sortilèges de l’ombre, « la plus belle église du monde », dans « Roman 20/50 », numéro 33, juin 2002, pages 97-111
fre Georges Raillard, « En lisant Un rameau de la nuit », dans « Le Réel et l’imaginaire dans l’œuvre d’Henri Bosco. Actes du colloque de Nice (mars 1975) », Corti, 1976, pages 30-49

Description

L’écriture d’« Un rameau de la nuit » commence en 1946, et le premier chapitre est publié dès février 1947 dans la « Revue de Paris » , suivi en septembre-octobre 1948 par deux extraits, intitulés « Du côté de la nuit ». Le récit est achevé le 15 avril 1950 et publié par Flammarion.
Frédéric Meyrel comme de nombreux protagonistes de Bosco est un érudit solitaire, qui vit dans la ville de Marseille par nécessité mais ne recherche que la solitude des collines. Ainsi, « Un rameau de la nuit » commence par une belle apologie du voyage à pied : « C’est si bon d’être seul ! — tout seul, sur un plateau, dans une gorge, au bord d’une rivière. » (Gallimard, 1970, page 7) ; « J’étais seul. Hors de moi, en moi, j’étais seul. Et seul j’avais toujours été. Seul, ce soir, j’allais être. Et demain, seul ; et ensuite, toute la vie » (page 217). Comme d’autres, ce besoin de solitude est le signe d’une aspiration à la connaissance et à l’ascèse spirituelle ; cette solitude est le signe de l’absence de Dieu et tout le récit est le cheminement pour emplir cette solitude et une initiation spirituelle.
Ici le récit initiatique s’appuie sur le thème du double, Frédéric Meyrel se trouvant confronté à une possession par une autre âme, celle du magicien Bertrand Dumontel. De son état initial d’attente dans la solitude, Frédéric Meyrel est tiré par un envoûtement qui passe par l’objet symbolique du dédoublement, le miroir : sur le navire Altaïr, il ressent le trouble de l’existence dans son reflet dans un miroir d’un « être […] indécis » (« Un rameau de la nuit », Gallimard, 1971, page 74), désireux de sortir de son reflet. Si la cérémonie sur l’Altaïr convoque l’âme de Marie-Josépha, la fille du capitaine, celle-ci est conjurée et laisse la place à l’âme de l’homme qu’elle a aimé, Bernard Dumontel, qui a cherché à survivre par tous les moyens magiques. L’âme de Bernard Dumontel est invoquée par le pouvoir magique du miroir, cet objet qui « surnaturellement […] évoque les êtres […] Il est l’instrument nécessaire des apparitions. En présence des morts, on le voilait ; et les Anciens croyaient (du moins le papyrus le dit) que celui qui se penche sur un miroir restera émerveillé en voyant sa propre image »(Henri Bosco, « Brève méditation sur le miroir », dans « Paul Valéry vivant », numéro spécial des « Cahiers du Sud », 1946, page 322). Commence un processus où, à travers le miroir, Frédéric Meyrel perd son âme au profit de cette âme errante. Le miroir réapparaît lors d’une scène avec Marcellin, où celui-ci et Meyrel se trouvent face à un miroir dans la vitrine d’une librairie : Marcellin est effrayé par le reflet de Meyrel dans lequel il reconnaît l’image de Dumontel. A partir de cette rencontre avec le miroir et son sortilège, Frédéric Meyrel ressent le « sentiment mystérieux d’un exil en moi-même, et ce redoutable besoin de me quitter », (page 135) et les amis du protagoniste voient tantôt le vivant Meyrel, tantôt son double, le mort Dumontel : les oiseaux reviennent dans la volière du domaine de Loselée, Marcellin réclame sur son lit de mort son ami Frédéric Meyrel alors que celui-ci est à ses côtés, Clothilde revient à Fontanelle poussé par son amour pour son oncle Dumontel et Frédéric Meyrel tombe amoureux de Clothilde poussé par Dumontel qui cherche à concrétiser son amour défendu pour sa nièce. Dans Loselée, Frédéric Meyrel se confond avec l’âme de Dumontel, accédant à sa mémoire, et ressent une « présence dont on ne sait pas quelle est la nature cachée ; mais présence sensible à travers l’ombre et la clarté, l’odeur des bois, la brise dans les feuilles. Elle n’est cependant ni l’ombre, ni la forêt, mais sans elle toutes ces choses ne seraient que sensations pures, alors que l’on sent l’être même sans cet être inconnu que nulle image ne figure et dont l’émanation fait rayonner la terre, les eaux, les arbres, et le silence de la nuit qui l’aime, car il en est le cœur actif et inaccessible.
Or cet être était là ; et, n’en pouvant trouver le nom ni définir la nature secrète, je me contentais de la paix nocturne. Dans cette paix, l’être circulait, du sommet des collines jusqu’aux paisibles étendues de la campagne. » (p. 142-sq). Dumontel, sans être présent physiquement, est donc le personnage principal d’« Un rameau de la nuit ». Dans sa quête initiatique, Meyrel cède à la « tentation d’avoir deux âmes […] d’être un autre — pour être moi » (page 224). S’il consent à se laisser posséder par l’âme de Dumontel, il se laisse aussi posséder par l’ombre, l’être de la terre particulièrement fort à Loselée décrit par Dumontel dans son agenda : « par moments, dit-il, je ne suis plus moi, je deviens une informe créature, fondue elle-même à ces bois, à ces collines, à ces eaux qui serpentent sous la terre ; […]. Je ne suis plus moi, je ne suis que l’être… » (page 378). Frédéric comme Bernard sont tentés par la Nature et ses sortilèges, par les puissances obscures de la terre qui peuvent leur faire perdre leur identité humaine, par « cette ivresse immense et ininterrompue où l’on s’épanouit à se sentir uni aux mouvements du monde dont on perçoit les vibrations, dont on épouse les métamorphoses, où l’on n’a plus rien de soi-même qui n’aspire et n’expire à la cadence lente de l’onde universelle » (page 380).
De ce vertige, de cette plongée dans l’abîme, Frédéric Meyrel sera sauvé, comme tant d’autres protagonistes d’Henri Bosco par Dieu et plus spécifiquement par l’église de Géneval. Car c’est les cloches de Géneval sonnées par le sacristain Elzéar, dont la pureté de cœur fait ainsi obstacle au sortilège de l’ombre de Loselée, qui extraie Frédéric Meyrel de l’enchantement et le ramène auprès de l’abbé Bourguel mourant, à temps pour entendre ses dernières paroles à propos du sacristain : « Il y a un saint… Ici, un Saint… voilà sa Miséricorde » (page 409). Elzéar, qui accompagne la mort de Marcellin et de l’abbé dans le chapitre le plus sombre du roman, « Le noir feuillage », représente les espérances du salut : « S’il priait, c’était dans ce monde, un monde où la prière, elle aussi, a un corps étroitement uni à l’âme qui l’élève. Sa prière à lui restait à l’écart. Devant nous, il ne priait pas ; il nous aidait. Mais comme tout alors devenait simple, on sentait travailler la main de l’ange familièrement à côté de soi. (page 341). A travers lui, Dieu a veillé sur l’âme de Frédéric Meyrel et le sauve au dernier moment, quand il s’apprête à renoncer à son âme. Et Frédéric vivra alors dans le souvenir du saint Elzéar, et dans la recherche de ce lien avec Dieu : « Géneval me hante toujours.
Mais c’est le Géneval où de ce drame vit le dernier témoin : Elzéar.
Où irais-je, si je ne vais, un jour (demain peut-être), le retrouver à vêpres dans l’église sombre où il allumait, sur l’autel, avec tant de ferveur deux pauvres cierges, au temps de la tentation ?
« La plus belle église du monde »
Je me souviens.
Oui, c’est bien là qu’il faut que j’aille… » (page 410).
Dans cette métempsychose subie par Frédéric Meyrel, il est donc question d’une lutte entre les puissances nocturnes et le divin, entre l’amour qui divise comme celui du camp Dumontel, le notaire Drot, Bernard Dumontel, Clothilde et le jardinier Mus et celui qui unit, celui de Marcellin, de Rose, d’Elzéar et de l’abbé Bourguel, de la fidélité à soi ou de la déchéance de se renier. Dans sa quête de soi, Frédéric Meyrel se soumet à l’étranger et au terme de cette expérience ténébreuse accède à la révélation de la lumière et l’exorcisation du mal. « Malgré ce drame et le désespoir, le héros s’enrichit ; la femme est rejetée du drame. Car il a découvert un saint dans ce village de Géneval, dans l’Eglise, la plus belle église du monde. (C’est celle de Vaugines, et je dis bien : la plus belle église du monde.) Cet homme donne une certitude à notre héros. Le livre finit donc sur une ouverture, comme de coutume.
Cet amour implique ceci : il faut que nous ayons des interdits pour nous connaître nous-mêmes, pour connaître une partie mystérieuse de nous… Nous avons tous des autres en nous. Des quantités de personnalités superposées gisent et meurent en nous. Seuls des évènements violents, imprévus font appel à ses couches inférieures. » (Henri Bosco, Entretien avec Jean-Pierre Cauvin du 8 octobre 1962, dans Jean-Pierre Cauvin, « Henri Bosco et la poétique du sacré », pages 238-239).
« Cette façon d’envisager la confrontation de l’être humain et des forces naturelles n’est qu’une conséquence d’une position métaphysique héritée de Plotin et qui m’est chère, « l’âme en train de contempler devient ce qu’elle contemple », déclare Henri Bosco dans une lettre à Anne-Marie Defeche du 21 mars 1967 (Anne-Marie Defeche, « Du visible à l’invisible, ou la parole secrète des éléments. Malicroix Henri Bosco », Ecole normale moyenne, 1967, cité par Sandra Beckett, « Miroirs, reflets et possession dans Un rameau de la nuit », p. 211). L’héritage de Plotin se retrouve dans les deux inscriptions grecques sur lesquelles Meyrel travaille en tant que bibliographe et autour desquelles Henri Bosco glose son récit. Tout d’abord un extrait présenté comme un papyrus grec inédit : « Tout est en toi, tout vient de toi. Tu donnes tout et ne reçois rien : car tu possèdes toutes choses et il n’est rien que tu ne possèdes… », suivi d’un commentaire « Il est rien que tu ne possèdes : sans doute. Et même ce qui te possède. Car tu peux être possédé, et par toi-même, sans cependant te posséder. En toi, il y a l’autre…
Il vient de toi aussi, mais le connaissais-tu ? N’est-il pas l’étranger ? » (pages 39-40). Et un second qui prend encore davantage le ton d’un avertissement : « Ô Semblable, tu es moi… Crains un invisible démon.
Il nous tend le miroir qui fascine et captive…
Ah ! je sens que tu cèdes : te voilà pris et tu m’as quitté. Déjà tu me regardes : c’est toi et je me reconnais » (page 45). Ces réflexions sur le double en soi, où se retrouve encore le miroir comme source d’ensorcellement, trouvent leur origine dans l’Ennéade IV, 2, « De l’essence de l’âme » ou l’Ennéade, II, 3, « De l’influence des astres » : « Chaque être est double, il est un composé d’âme et de corps, et il est un moi » (Ennéades, 2.3.9, dans la traduction d’Emile Bréhier, Les Belles Lettres, 1924, page 36). De la fascination plotinienne du double, Henri Bosco tire l’idée chère que celui qui nous possède c’est nous-même : « Cette prise de possession d’une âme par une autre âme, c’est nous-mêmes, qui l’accomplissons sur nous-mêmes. L’inconnu qui sommeille en nous s’éveille, […] Comme il ne nous ressemble pas, il est l’autre — mais l’autre c’est nous. » (Henri Bosco, « Notes » à l’article d’A. Duguet-Huguier, « A la recherche d’Henri Bosco, Cahiers du Sud, numéro 45, novembre 1957, page 443). « Un Rameau de la nuit » est donc le roman de l’autre que l’on porte en soi, et de la nécessaire réconciliation du même et de l’autre selon le mot final des Ennéades mis en exergue d’« Un rameau de la nuit » : « Fuir seul vers lui seul. » (Ennéade IV, 9, 11).

Résumé

Frédéric Meyrel, poussé par son désir de solitude et son amour du voyage à pied, découvre le village de Géneval et fait la connaissance de la propriétaire de l’humble « café du souvenir », Rose Manet et son neveu, Marcellin. De retour à Marseille, il reprend son activité de traducteur de textes anciens. Sur le port de Marseille, il visite un bateau en rade, l’Altaïr, où il surprend une cérémonie du capitaine, Alléluia, en l’honneur de sa fille, Marie-Josépha de Jésus. Coincé par l’eau dans les couloirs du bateau, il s’évanouit, blessé par des inconnus. Il s’éveille chez des amis et commence une longue convalescence. Il se retire ensuite à la campagne et loue à Géneval, sur l’insistance du notaire Drot, le domaine de Loselée qui appartenait au frère de celui-ci. Il y est aidé de la servante Valérie et du jardinier Mus, et profite du voisinage de l’abbé Bourguel. Il est frappé de leurs attitudes étranges qui s’expliquent par leur sentiment de voir en lui le précédent propriétaire de Loselée, Bernard Dumontel. Dumontel avait le don d’entrer en communication avec les êtres, charmait les oiseaux, et vivait sur le domaine avec sa nièce Clothilde de Queyrande, qu’il aimait. Pour fuir cet amour incestueux, il est parti à l’aventure et est tombé amoureux d’une nonne novice, Marie-Josépha de Jésus, qui l’a tant aimée qu’elle en est morte et dont le corps a été immergé aux Maldives. Après l’installation de Frédéric Meyrel, les volières du domaine de Losélée se remplissent à nouveau et Clothilde revient s’installer dans le domaine voisin de Fontanelle. Une force obscure le pousse vers Fontanelle et Clothilde. Même si Clothilde aime Bernard à travers lui, Frédéric se laisse prendre au charme de la jeune fille et se laisse posséder par l’Ombre. Sur le conseil de Mus, l’abbé Bourguel propose à Meyrel de pratiquer un exorcisme sur Loselée et Fontanelle. Mais Meyrel s’y oppose et préfère rester auprès de Clothilde dans une relation passionnelle, où Clothilde attend de voir Bernard prendre totalement possession de Frédéric et Frédéric attend d’elle d’être aimé. Une nuit, il surprend Mus dans le parc, parlant à l’eau et à l’ombre de Bernard et le terrasse. Il se retire dans une des chambres de Bernard et y trouve son agenda, où Bernard a consigné la puissance de la terre planant sur Loselée. Il retrouve Clothilde au matin pour s’enfoncer dans le jardin et l’enchantement. Sa chute est interrompue par la cloche de l’église de Géneval, sonnée par le sacristain Elzéar, qui le sort de sa transe et l’amène au chevet de l’abbé Bourguel, gravement malade. Il arrive tout juste à temps pour assister à la mort du curé et recueillir ses dernières paroles.

Table des matières

I. Une simple halte

II. - L'Altaïr

III. - Rencontres

IV. - Loselée

V. - Ce noir feuillage...

VI. - Son ombre

VII. - Le messager

Collections

Relation(s)

Le thème du double et de l’opposition entre l’homme et le « double nocturne » est une obsession d’Henri Bosco qui se retrouve dans « L’Antiquaire » et « Le Récif », qui racontent également un cheminement du protagoniste vers la nuit dans un mouvement de descente où il risque de se perdre, descente au terme de laquelle il remonte au grand jour transformé, clarifié, généralement en empruntant la voie vers Dieu. « Un rameau de la nuit », puis « L’Antiquaire » sont deux romans d’initiation aux intrigues complexes, qui plongent dans l’obscurité de l’âme humaine au risque de l’existence de Meyrel et Baroudiel. Ils sont confrontés aux puissances de la terre, aux aspirations dionysiaques, jusqu’aux confins de la folie. Après avoir l’accent sur ces noirceurs, Henri Bosco se tournera dans l’écriture vers le doux refuge de l’autobiographie romancée dans le cycle des « Souvenirs ».

Le thème du dédoublement est au-delà de la théorie orphique de la métempsychose est particulièrement développé dans le cycle de Hyacinthe, où l’âme de Hyacinthe subit une véritable « transfusion des âmes » (« Hyacinthe », Gallimard, 1961, page 87) et est retirée de son corps par le magicien Cyprien.

"Un rameau de la nuit" est dédié « à Jean Orieux et à la mémoire de J-C. Mardrus ».

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