Le Mas Théotime

Classe

work

Forme de l'oeuvre (au sens FRBR)

fre Roman

Titre

fre Le Mas Théotime

Autre(s) titre(s)

fre Le Mas Theotime

Date de création originale

fre 1940/1941

Langue(s)

fre

Couverture spatiale

Récompense reçue

fre Prix Théophraste Renaudot (1945)

Identique à

Identifiant pérenne

Source(s) utilisée(s)

Description

En août 1940, deux mois après la défaite française, Henri Bosco se lance dans l’écriture du « Mas Théotime ». Achevé le 22 juillet 1941, un extrait est publié dans « La Revue universelle » du 10 avril 1942 mais l’ouvrage est édité par Charlot à Alger seulement en juin 1945. Le roman rencontre un grand succès public grâce à son message d’espérance après les affres de la guerre. 300 000 exemplaires sont vendus, le livre reçoit le prix Renaudot en décembre 1945, ce qui permet à Henri Bosco de prendre sa retraite anticipée de l'enseignement. Il est ensuite réimprimé à Paris en 1946, puis réédité par Gallimard à partir de 1952.
De tous ses ouvrages, Henri Bosco considère que seul « Le Mas Théotime » est un roman, et pas un récit, avec « un commencement, une fin, un milieu, des personnages, une crise » (Entretien avec Jean-Pierre Cauvin, 10 octobre 1962, dans Jean-Pierre Cauvin, « Henri Bosco et la poétique au sacré », page 247). Ici, contrairement à l’écriture de « Hyacinthe », il n’a pas laissé son imagination prendre le dessus sur le travail patient de construction de l’écrivain : « Depuis Hyacinthe j'ai cessé de parler dans la quatrième dimension. Je bâtis carré. Le Mas est carré, carré. » (Lettre à Gabriel Audisio 12 décembre 1944). Il parle d’ailleurs dans une lettre du 11 mars 1940 à son ami Noël Vesper, d’un « roman psycho-policier », qu’il compte intituler « Les Ramasses ». Ce nom fait alors référence à un évènement survenu dans la maison d’un de ses amis de Lourmarin, Sylvain Paris, qui porte ce nom : il tombe un soir nez à nez avec un colporteur cherchant à s’abriter de l’orage, scène qui lui inspire la rencontre inopinée de Pascal et du mari de Geneviève. Le récit se bâtit d’abord sur le thème de « l’hôte secret », inspiré notamment de la lecture de Joseph Conrad et de son roman éponyme.
Mais l'inspiration profonde du « Mas Théotime » vient de la débâcle de juin 1940 : « C'était la débâcle, l'invasion. Je me trouvais dans ma maison du Maroc. Que faire ? Dans les grands désastres, j'estime que chacun doit d'abord essayer d'accomplir la tâche qui lui est propre. [...] Romancier, je résolus tout de suite de mettre en chantier un roman. Le sujet ou plutôt le thème, s'imposa à moi : nous étions dépossédés de notre terre, c'était de cette terre que je parlerais. » (Henri Bosco, cité par Georges Raillard dans « En Provence chez Henri Bosco », 1959). Ce qui reste dans l’écroulement, c’est la terre : « C’est par là, par la terre, si rien n’est changé, que viendra le salut. Enfonçons-nous avec espoir dans cette campagne obstinée à vivre et, à l’occasion d’un récit, disons les vertus de la patience, le culte taciturne de la terre, de la maison, du sang. Ce sera déjà vaincre » (« Genèse du Mas Théotime », dans « Le Mas Théotime », Club du meilleur livre, 1957) Et il écrit alors « le drame de la terre même aux prises avec l’homme. Elle, exigeante et redoutable ; lui, prédestiné aux dominations mais déchiré par des passions contraires » (« Genèse du Mas Théotime »). Il faut voir dans les deux personnages Pascal et Clodius, les deux visages de l’homme face à la terre :
« Pascal, véritable prêtre du Mas, aime la terre mais se défend de sa puissance obscure. Il est du parti de l’homme. Clodius, c’est le contraire. Il s’est donné tout à la terre, sorte de divinité magique qui l’envoûte. Il est du parti de la terre. » (Lettre à Mireille Nicolas, 21 novembre 1964, cité par Mireille Nicolas, « Henri Bosco. Le Mas Théotime », p. 21-22).
La terre cultivée, domestiquée par l’homme s’oppose à la terre laissée libre, sauvage, qui dicte sa volonté à l’homme et déchaine des forces obscures : « Le sens moral de ce récit est le suivant : la terre peut être bonne ou mauvaise à l’homme. Quand celui-ci lui impose sa pensée, y établit ses œuvres en accord avec ses puissances maternelles, elle est bonne. Quand l’homme au contraire n’agit plus sur elle, et à l’occasion contre elle, la terre rapidement le ressent, l’envoûte et le rend à la sauvagerie primitive de ses forces naturelles. C’est là son côté mauvais, sa magie noire. » (Lettre à Mireille Nicolas, 15 mai 1965, cité par Mireille Nicolas, p. 24). Face à Pascal, homme stable et terrien, qui sera sauvé du drame par les travaux de la terre — « L'air n'est pas mon élément, mais la terre ; et j'aime les plantes parce qu’elles vivent et meurent là où elles sont nées. » (« Le Mas Théotime », Gallimard, 1968, p. 31), Geneviève, mouvante, est une « fille du vent », donc du ciel. En amont du roman, deux familles, les Métidieu et les Dérivat du village de Sancergues vivent dans l’harmonie terrestre depuis deux siècles ; dans le dernier chapitre sous forme de « Journal », une nouvelle harmonie qui est davantage une paix grave nous est racontée par Pascal. Entre les deux, le drame de Pascal et Geneviève est leur impossibilité à vivre ensemble sur la terre et le combat de chacun contre les mauvais génies pour qu’au final leur union soit possible sur un plan supérieur, dans l’au-delà, comme le suggère les mots de Geneviève : « Maintenant toute ma vie nous sépare. Et il faut qu'elle nous sépare. Ici, du moins... » (p. 162). Le mouvement de Geneviève ne peut que la pousser non à s’installer au mas Théotime mais dans une quête spirituelle, vers le ciel, ce qui exige qu’elle ne s’unisse pas à Pascal. La céleste Geneviève est la médiatrice du dépassement de sa passion terrienne pour Pascal : c’est en le menant vers les montagnes, sur les pentes desquelles sont construits Micolombe et l’ermitage de Saint Jean, intermédiaires entre le terrien mas Théotime et le ciel, que Geneviève parvient à éviter à Pascal la souillure du meurtre. Car si c’est le mari de Geneviève, qui vient la chercher à Théotime qui tue Clodius, il le fait à la place de Pascal, c’est-à-dire parce qu’il le confond avec Pascal et parce que c’est Pascal qui aurait dû tuer Clodius. Ce substitut à Pascal est aussi ce que serait Pascal s’il retenait Geneviève et ne se débarrassait de sa passion et de son désir de posséder Geneviève. La souillure dont se sauve Pascal, c’est son amour possessive pour Geneviève ; en y renonçant dans ce monde, il atteint le meilleur de lui-même. Il arrive à l’équilibre entre la terre et le ciel en abandonnant la passion dévorante et en épousant une « vraie femme de la terre » (page 373) comme lui, Françoise, tandis que Geneviève se réalise dans la voie mystique. Un couple assorti sur terre, Pascal et Françoise, en attendant l’union de Geneviève et François dans l’autre monde. La relation des deux amoureux, trop différents pour s’accorder, évolue vers le fin amor des troubadours, ou la « religion de l’Amour » des poètes andalous et mystiques soufis, un amour tu, non révélé, qui se réalise dans des noces mystiques après la mort.
« Le Mas Théotime » est donc le roman de la terre et du ciel, commandé par l’ordre de l’univers qui a servi à Henri Bosco pour sa conception : à la genèse du roman, dit-il, « Je fis donc un plan, mais de nature inhabituelle : je dessinai un Zodiaque où je fis figurer, outre la place des étoiles suivant le calendrier, le temps, les productions des saisons. Ce fut là mon véritable plan. Ainsi le rythme cosmique sous-tend chaque moment du récit, commande même la conduite des personnages. » Aux saisons et considérations cosmiques, au paganisme du culte chtonien, s’ajoute le christianisme d’Henri Bosco qui se manifeste dans le cheminement spirituel de Geneviève : celle-ci finit par entrer dans l’ordre féminin des Visitandines, ordre voué au Sacré-Cœur et par rejoindre le couvent de Nazareth, dont Madeleine Dérivat était la supérieure. Sur la tapisserie de Madeleine Dérivat, son bréviaire et sur les murs de la chapelle Saint-Jean, apparaît le symbole des « rose-croix », combinant le cœur ou la rose, symboles de l’amour divin, et la croix, symbole de la douleur et du sacrifice de Jésus Christ, qui est en même temps délivrance. « Le sentiment religieux m’a pris tout de suite (quoi que je raconte, le sentiment religieux me prend très vite), l’image m’est arrivée, elle m’a été envoyée comme cela, parce que c’était une indication, et même un ordre, un ordre caché qui animait ce livre que j’ai écrit. » (Henri Bosco, « Entretien avec Monique Chabanne », pages 121-122).

Résumé

Pascal Dérivat vit au mas Théotime avec pour voisins les fermiers Alibert et, à la Jassine, son cousin Clodius, avec qui il est en mauvais termes. Un jour arrive au mas Geneviève Métidieu, sa cousine, qu’il aimait enfant. Si Pascal est calme, renfermé, fils de la terre, Geneviève est au contraire, exaltée, fille du vent. S’ils s’aiment, Pascal et Geneviève se déchirent aussi, d’autant plus que Clodius fait peser sa menace de vengeances continuelles sur le mas Théotime. Geneviève part chez un de leurs cousins communs, Barthélémy. Resté seul au mas Théotime, Pascal accorde un soir l’hospitalité à un homme. Le lendemain, Clodius est retrouvé assassiné, mais Pascal ne dénonce pas son hôte, coupable, qu’il continue de nourrir et soigner. Lorsque Geneviève revient, Pascal se retrouve bloqué dans l’angoisse que les Alibert et celle-ci ne découvrent l’homme caché au grenier. Cet homme, bientôt découvert, est en fait le mari de Geneviève qu’elle fuyait, Jacques Lebreux, qui cherchait Pascal et a tué Clodius par accident. Geneviève finit par repartir avec lui, puis le quitte pour rejoindre la Terre sainte. Pascal, retrouvant le calme du mas, finit par épouser Françoise, la fille Alibert, fille de la terre comme lui.

Collections

Relation(s)

« Le Mas Théotime » est écrit au moment où Henri Bosco, sous l’influence de François Bonjean, découvre et lit attentivement René Guénon. Cette influence se voit dès l’épigraphe qu’Henri Bosco projette d’y inscrire, comme il l’indique dans une lettre à François Bonjean le 15 novembre 1940 : « Le livre prend un sens, toujours latent, mais pour moi de plus en plus sûr, et peut-être y mettrai-je, en épigraphe, ces mots : « Si tu veux retrouver la Parole perdue et le Séjour de Paix, oriente-toi » ». Cette épigraphe, qui évoque « Le Roi du monde » de René Guénon, se retrouve finalement sur le bréviaire de Madeleine Dérivat (page 352). Des éléments travaillés par Guénon servent de bases doctrinales au Mas Théotime et en premier lieu le symbole du « Rose-Croix », central au récit. Ce symbole représentant un cœur surmonté d’une croix, orne la tapisserie brodée par Madeleine Dérivat, l’aïeule supérieure des Visitandines de Nazareth, cachée dans le grenier du Mas, est dessiné par Geneviève enfant et figure sur le maître-autel de l’ermitage de Saint-Jean ; il obsède Geneviève, Pascal et Jacques Lebreux. D’un côté, le coeur, dont Guénon parle abondamment dans « Le Roi du monde » et dans ses articles dans la revue « Regnabit », est symboliquement le centre spirituel du monde où vit le « Roi du monde », dont l’influence diffusée par l’intellectuel pur (le rayon céleste) est nécessaire à la marche positive du monde. La symbolique du rayon qui y est donc lié et qui permet de relier tous les états de l’être et de s’élever dans les états supérieurs est d’ailleurs également très présent dans « Le Mas Théotime » pour décrire les deux protagonistes : « cette part de noblesse que nous portons, plus ou moins cachée, dans nos âmes, et qu’un rayon heureux peut frapper tout à coup et élever dans la lumière » (page 139). Cette symbolique du rayon de René Guénon renforce le culte du Saint-Esprit d’Henri Bosco, qui assimilent ainsi sa foi chrétienne et son guénonisme. De l’autre côté, la croix (grecque, à deux branches de longueur égale) dont la symbolique est étudiée dans des termes empruntés au soufisme par René Guénon dans « Le symbolisme de la croix » en 1931, représente les deux phases de la réalisation spirituelle : l’ampleur et l’exaltation. Elle symbolise la réalisation de l’Homme universel ou « Roi du monde », épanoui intégralement et harmonieusement dans les deux sens. Henri Bosco utilise ces notions à plusieurs reprises dans « Le Mas Théotime », « Malicroix », et dans « Chellah » et en fait le titre d’un de ses articles paru dans la revue « Fontaine » en mars-avril 1942 . Le symbole de la « Rose-Croix » est donc inspiré par une lecture guénonienne tout en étant enrichi par les sens chrétiens de ces symboles composants. Une inspiration tout à fait libre et personnelle.

L’espace même du roman est traversé de cette croix, représentant le centre de l’être, l’exaltation et l’ampleur (ou amplitude) : Théotime est au centre de la croix formée par le village des Métidieu et Dérivat, Sancergues et la ferme des Alibert, deux opposés, tendresse et douceur des jardins face à la rigueur de la maîtrise de la terre. C’est donc au centre de cette croix que Geneviève arrive, en quête (mystique) de la tapisserie de Madeleine Dérivat. Dans cette quête, elle est traversée d’expériences d’illuminations, de progressions intellectuelles : « Si l’exaltation ne manquait point à Geneviève, qui, pour un rien, se portait tout à coup à la pointe extrême de son cœur et y flambait, elle ignorait encore les bienfaits de l’amplitude, qui compensent l’élan et équilibrent l’âme. Car l’exaltation nous emporte au-dessus de nous-mêmes, comme un jaillissement vers les hauteurs, tandis que l’amplitude, contrairement à l’apparence, ne s’acquiert que par le recueillement et une lente concentration. » (pages 77-78). Dans un premier temps, elle circule sur la branche verticale de l’exaltation, entre La Jassine et Théotime, centre spirituel secondaire, un lieu de refuge dans lequel Geneviève trouve la quiétude et doit atteindre le grenier, où est conservé le symbole de la Rose-Croix qui lui ouvrirait la porte d’autres centres spirituels. Ce temps de l’exaltation, caractérisé par la lutte entre Pascal et Clodius, entre Théotime et La Jassine, s’achève sur la scène des sangliers que Geneviève charme et vainc, allégorie de la victoire de l’esprit sur les sens : elle dépasse les ardeurs charnelles pour atteindre un autre ordre de la passion. Elle se pacifie et prend le chemin de l’amplitude. Si Pascal lui défend la voie d’initiation du mas Théotime, il offre à Geneviève par un élan du cœur l’autre centre spirituel secondaire, Micolombe. De ce centre, Geneviève se tourne vers un troisième centre spirituel, supérieur, plus pur encore, l’ermitage de Saint-Jean, équivalent du grenier du mas Théotime. Celui-ci la mènera ensuite vers l’Orient, le couvent des Trinitaires de Marseille, puis Nazareth, le « séjour de Paix ». Elle découvre via le symbole de la Rose-Croix reproduit dans la chapelle de Saint-Jean, la « Parole perdue », la Tradition décrite par René Guénon, et la Source est ravivée par la rénovation de l’ermitage, centre du monde, dont Pascal fait le récit dans son « Journal » : « je pense à l’ermitage Saint-Jean […] Pourquoi ce cœur et cette croix plantée au milieu de l’image, dans cette pauvre église de montagne consacrée à l’ami de Dieu ? Ni le cœur ni la croix ne bougent, comme s’ils se tenaient au centre invisible du monde » (page 334). L’ensemble du roman est donc le récit d’une initiation graduée à la Tradition guénonienne nourrie du christianisme d’Henri Bosco.

L’amour passionnel et possessif qu’éprouve Pascal pour Geneviève peut se rapprocher du désir de possession du magicien Cyprien pour Hyacinthe, désir qui le pousse à vouloir à tout prix l’amour de Hyacinthe et à la priver de son âme pour n’en faire qu’un objet. La conscience de Pascal de ce dévoiement du bien dans l’amour possessif est aussi ce qui le sauve, contrairement à Cyprien qui ne parvient pas à vaincre ce péché similaire au premier péché d’orgueil : « A persister dans un espoir inavoué, mais puissant, et sans doute bientôt terrible, bien loin de la sauver, en la maintenant dans une vie droite, je contribuais à sa perte. J'entrais, moi aussi, à mon tour, comme un instrument de déchéance, dans la succession de tous ceux qui, attirés, sans doute malgré elle, par l'attrait fatal de ses charmes, n'ayant pas su se l'attacher, n'avaient pu que l'abandonner aux instincts violents et malheureux dont leur propre passion avait attisé l'ardeur. » (« Le Mas Théotime », p. 195)

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Bonjean, François (1884-1963) Relations Personne
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Charlot, Edmond (1915-2004) Biographie Personne