Perturbé très jeune par le rigourisme de son éducation et de son milieu, l’amour envahissant de sa mère après le décès de son père en 1880 et son renvoi de l’Ecole alsacienne en 1877 pour ses « mauvaises habitudes », soit la masturbation, qui lui donna un fort sentiment de culpabilité face au péché de l’onanisme, André Gide suit une scolarité discontinue alternant renvois, maladies et courts séjours à l’Ecole alsacienne, ou séjours à Rouen et Paris encadré de précepteurs. Entre 1885 et 1888, il vit une période d’exaltation religieuse qu’il partage avec sa cousine Madeleine au moment où il fréquente par ailleurs l’Institution Keller, maison d’éducation protestante à Paris. En 1888, alors qu’il prépare son baccalauréat de philosophie au lycée Henri-IV, il commence à fréquenter les salons littéraires. Son premier recueil « Les Cahiers d’André Walter » paru en 1891 rencontre la faveur des critiques ce qui lui permet de rencontrer Maurice Barrès. La même année, il rencontre par l’entremise de Pierre Louÿs, son ami de l’Ecole alsacienne, avec qui les relations vont se dégrader, Paul Valéry, puis Oscar Wilde. Le voyage avec son ami le peintre Paul Laurens, pendant 9 mois à partir d’octobre 1893, en Algérie, Tunisie et Italie, parachève sa libération morale et sexuelle : il expérimente l’homosexualité à Sousse, expérience réitérée en 1895 en Algérie où il rencontre à nouveau Oscar Wilde. La mort de sa mère le 31 mai 1895 lui permet de concrétiser le 7 octobre au temple protestant d’Etretat, son projet de mariage avec sa cousine, Madeleine Rondeaux, qui ne sera jamais consommé.
Il travaille à ce moment-là aux « Nourritures terrestres », dont, après sa période symboliste close avec « Paludes », le lyrisme est salué à sa parution en 1897 par une partie des critiques, mais dont l’individualisme est vivement critiqué y compris par certains de ses amis comme Francis Jammes. L’ouvrage est également vivement critiqué pour sa forme, les critiques peinant à en comprendre la structure, excepté Henri Ghéon avec qui il entretient une amitié profonde jusqu’à ce que celui-ci ne se convertisse au catholicisme en 1916. Il publie critiques et chroniques, notamment dans « L’Ermitage », revue à la tête de laquelle il a placé son ami Edouard Ducoté. Il y écrit sur Nietzsche qu’il a découvert lors d’un séjour à Rome début 1898, y publie un éloge funèbre de Mallarmé, répond aux « Déracinés » de Barrès qu’il réprouve. Il publie dans « La Revue Blanche », « Philoctète » qui constitue sa contribution intellectuelle à l’affaire Dreyfus. Il écrit et fait des pièces de théâtre qui sont mal reçues, « Prométhée mal enchaîné » et « Le Roi Caudale », ce qui le pousse à snober le grand public et le théâtre. Après la pièce de « L’Immoraliste » montée en 1902, reconnue par la critique mais pour laquelle il se sent incompris, il peine à écrire jusqu’à la publication de « La Porte close » en 1909. Il se noue d’amitié avec Jacques Copeau et Jean Schlumberger, avec qui il fera figure de chef de file de la Nouvelle Revue française.
En 1910, il se lance dans l’entreprise de « Corydon », un essai socratique pour combattre les préjugés sur l’homosexualité et la pédérastie, dont il fait d’abord imprimer anonymement les deux premiers chapitres en 1910, qu’il complète en 1917-1918 mais qu’il ne publie sous son nom qu’en 1924. En 1914, avec la publication des « Caves du Vatican », où Paul Claudel décèle des relents pédérastiques, André Gide est écarté de la direction effective de la NRF. Dans ce contexte, il est à nouveau tenté par la conversion au catholicisme en 1916, balançant entre son paganisme qui lui permet de s’affirmer et une doctrine qui lui donnerait des armes pour combattre son péché. Mais il refuse finalement d’entrer dans l’Eglise et de rejoindre ceux qui le critiquent, qu’il considère comme des dogmatiques. En mai 1917, il tombe amoureux du jeune Marc Allégret avec qui il part en voyage et entretient une brève liaison à Cambridge de juillet à octobre 1918. Sa femme Madeleine, qui avait déjà eu des soupçons en 1916, reçoit la confirmation de son homosexualité et quitte le domicile conjugal pour sa maison de famille à Cuverville. André Gide, profondément affecté, est néanmoins libre de publier « Corydon » et ses mémoires à visage découvert. Ce qui ne l’empêche pas d’être la figure tutélaire de la NRF toujours en charge de trouver de nouveaux auteurs : sa réputation ne cesse de grandir malgré les attaques virulentes à droite de Henri Massis, Henri Béraud, … Il se défend peu, mais défend surtout la NRF avec le soutien de son ami Roger Martin du Gard. Il s’installe par ailleurs rue Vaneau sans Madeleine, mais avec Marc Allégret, et la fille qu’il a conçu avec Élisabeth van Rysselberghe, née en avril 1923. En 1925, il publie son premier et seul roman, « Les faux monnayeurs ». En 1926, la publication complète de son autobiographie « Si le grain ne meurt » où il ne cache rien de sa sexualité fait scandale.
Autour de Gide, les conversions au catholicisme se poursuivent, Jacques Copeau, Charles Du Bos,… et il répond aux tentatives de séduction comme aux attaques par les « Nouvelles nourritures terrestres » en 1935. Parallèlement, il commence à s’intéresser au communisme et cède à la tentation de sortir du purisme esthétique pour s’engager politiquement. Mais même ces nouveaux camarades le regardent avec défiance d’autant qu’il refuse de prêter sa plume et d’adhérer à l’Association des écrivains et artistes révolutionnaires. Il évoque assez rapidement son refus de l’orthodoxie et de la « religion communiste ». En 1936, il est invité en URSS, dont il revient effrayer du culte de Staline et du contrôle de l’information, ce dont il publie le témoignage dans « Retour de l’U.R.S.S. », puis il dresse un réquisitoire contre le stalinisme dans « Retouches à mon retour de l’U.R.S.S. », qui lui vaut d’être vilipendé par le PCF. Au deuil politique s’ajoute la mort de Madeleine le 17 avril 1938. Pendant l’Occupation, il refuse de continuer à participer à la NRF prise en main par Drieu la Rochelle et les Allemands. Il s’exile sur la Côte d’Azur, puis à Tunis et Alger où il rencontre De Gaulle. Il accepte la direction nominale de la revue de la France libre, « L’Arche ». Il ne rentre à Paris qu’en 1946, refusant par sa présence de cautionner l’épuration, mais ne retrouve pas de place dans un monde littéraire politisé. Après 1947 et son Prix Nobel, il n’écrit presque plus rien outre ses « Cahiers » dont il veut assurer la publication avant sa mort.