De la question du logement à la question ethnique
Classe
Texte
Type de document
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Tiré à part
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Rapport et littérature grise
Titre
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De la question du logement à la question ethnique
Créateur(s)
Contributeur(s)
Sous la direction de Boumaza, Nadir
Editeur(s)
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Université de Grenoble I, Joseph Fourier
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Institut de géographie alpine
Date
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1989
Lieu de création
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Grenoble
Langue
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Format
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Fichier PDF
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7,48 Mo
Importance matérielle
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19 p.
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2 vol.
Est une partie de
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Banlieues Immigration Gestion urbaine
pages
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16-31
Source
Université Côte d'Azur. BU Saint-Jean d'Angély. Fonds Véronique De Rudder
Identique à
Droits
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Droits réservés
Droits d’accès
Réservé aux chercheurs de l'UNS et de l'Urmis
Identifiant pérenne
Description
Rapport et littérature grise
Annotations
L’article qui fait suite à la communication du colloque de mai 1988 à Grenoble, indique sans doute le tournant des recherches de Véronique De Rudder « De la question du logement à la question ethnique », non pas qu’elle y traite ici centralement du racisme, mais plutôt parce qu’elle démontre que comment a été instruit le problème de l’immigration au travers du double échec de la politique de la résorption de l’habitat insalubre via l’habitat social et de celle de l’intégration de la jeunesse via la "politique de la ville".
En mai 2017, dans l’entre-deux tours des élections présidentielles française où, pour la deuxième fois, le FN est présent au second tour, avec cette fois un score au premier tour de 21,3%, il est particulièrement intéressant de relire ce texte écrit dans le contexte des élections présidentielles de 1988 où, l’extrême droite, incarnée par le Front National, avait fait un score de 14,38% annonçant un bouleversement politique historique depuis la deuxième guerre mondiale . Véronique introduit son texte par la percée du FN aux élections qu’elle situe en concomitance avec la préoccupation affirmée de ses électeurs quant à l’immigration, thème qui est devenu dans le même temps un enjeu médiatico-politique. Ce phénomène est lui-même à analyser en articulation avec un autre rapprochement : celui des banlieues ouvrières et de leur évolution et de la place des immigrés dans ces mêmes banlieues (p. 16). L’auteure va reprendre l’histoire de la politique de l’habitat social pour en montrer l’échec – parfaitement illustré dans son article « Debussy, 4000, 18 février 1986 ». Les espaces urbains modernes des banlieues périphériques ont échoués à créer des espaces de vie collectifs appropriables. Délaissés par les classes populaires suffisamment dotées pour s’en échapper , ce sont les populations immigrées qui y sont relogées au côté des plus pauvres de la classe ouvrière tandis que les promoteurs s’en désintéressent et les propriétaires – dont l’Etat - laissent avancer la dégradation inévitable des tours et des barres des cités qui avaient été construites à bon marché dans les années 1970. Les grands ensembles n’ont pas tardé à être assimilés à des cités « dépotoirs » stigmatisés et, par effet d’analogie, stigmatisants de ses habitants. L’irruption de la question immigrée dans la question urbaine est actée dans un nouveau tour de passe-passe du gouvernement qui n’engage aucune correction de la représentation en train de s’édifier : le problème des banlieues, des cités, c’est les immigrés ; trouvant sans doute là une stratégie efficace pour ne pas s’engager dans la rénovation de celles-ci ou mieux encore, dans une véritable politique de l’habitat social d’une part, et ne pas examiner et reconnaître la situation faite aux immigrés et, encore moins, la discrimination dont elle fait l’objet. « Aussi, au lieu que la réalité multiple de la présence immigrée fasse l’objet d’une reconnaissance, principielle et réaliste, et d’une analyse des formes diverses qu’elle revêt – toutes choses que bien des acteurs institutionnels font "en privé", mais qui ne parviennent guère à s’imposer dans leurs pratiques – c’est la question de la cohabitation pluriethnique qui émerge au centre des préoccupations. » (p. 23). Exit la question du logement au profit de la mise en scène de la question ethnique. « Cette manière de traiter le logement et la cohabitation, entraine, de fait, au-delà de la "surlocalisation du social" évoquée, une "dépolitisation du politique" dans laquelle se trouvent enfermées toutes les populations concernées. Le traitement socio-local de la cohabitation contourne la question du droit au logement, de l’interdiction légale de la discrimination raciale, et au-delà, celles fondamentales, de l’égalité de traitement et de la démocratie (locale si on y tient). Le caractère éminemment politique, et non seulement social, de l’intégration des populations immigrées en France aujourd’hui, et la question de ses fondements juridiques et institutionnels sont escamotés au profit de la recherche d’instruments de gestion d’un "problème social". » (p. 25). Le dernier point de l’exposé prend aujourd’hui, presque 30 ans plus tard, toute sa force puisque l’auteure examine en quoi la disparition des identités collectives – dont l’identité de classe – mais aussi celles que pouvaient créer le sentiment d’appartenance à un territoire, favorise d’une part une individualisation qui s’exacerbe et une marginalisation, les habitants sont renvoyés à eux-mêmes et au ban-lieues – dans l’incapacité même de dire leur "mal-vie", et d’autre part, un repli identitaire. Quand toutes les autres identités collectives se sont évanouies, reste « la carte d’identité (et avec elle celle de l’électeur) donc la nationalité française, ultime identité individuelles et collective encore valorisable, et utilisable pour peser sur la concurrence et lutter contre l’indifférenciation, qui vient s’affirmer, comme rappel à l’ordre des dirigeants. Elle offre, en outre, l’avantage symbolique d’autoriser une certaine identification avec les classes dominantes, puisque la nationalité est le seul trait partagé avec elles.
La dimension revendicative de cette affirmation, qui a souvent été vue, à juste titre, dans sa dimension de refus obsessionnel de l’immigration, n’a peut-être pas suffisamment été perçue comme appel adressé aux pouvoirs publics pour une reconnaissance, et une restauration de la dignité bafouée. Et l’on sait, ou l’on devrait savoir, que la dignité n’étant pas par elle-même négociable, elle est fort peu prévisible quant aux moyens et aux formes par lesquels elle tente de se restaurer.
Le "racisme petit blanc" par lequel le rejet ethnique et nationaliste exprime le refus d’être ravalé au même statut social que les immigrés, est aussi une forme d’opposition à la relégation. Or, ces immigrés ne sont pas tous des étrangers. Certains d’entre eux sont, eux aussi, français. D’où surgit l’affirmation que l’on veut "rester français", comme si la cohabitation menaçait l’appartenance ; puis la distinction entre les "vrais" français et les autres, et, pour mieux clore, signifier qu’"être Français, ça se mérite", par une insoumission à des fidélités communautaires ou culturelles "étrangères", et par soumission à l’ordre et à la norme que l’on s’est vu imposer à soi-même, et qui n’a pourtant pas produit l’intégration escomptée. C’est ainsi qu’être Français, en fin de compte, "ça se voit". La sommation identitaire tourne à vide comme tourne à vide le procès d’identification, toujours aspiré dans une définition plus exclusive (au double sens d’exclusivité et d’exclusion) de soi comme de l’autre … Le racisme se nourrit aussi du mépris de soi. (…) L’aggravation de la marginalité sociale et de la ségrégation résidentielle, telle que l’on peut la prévoir en tout cas à court terme, n’a guère de chance de favoriser ces ferments cohésifs et il est peu probable qu’ils apparaissent au profit d’un développement des ressources urbaines de la périphérie, alors qu’elles tendent assez souvent à disparaître des centres des villes. L’émergence de mouvements sociaux résidentiels ne semble pas prévisible, non plus que celle de nouveaux modèles d’identification collective.
C’est plutôt, dans ce contexte, la révolte inorganisée, mais peut être aisément récupérable, qui pourrait ici ou là surgir, si la restauration ou la réinvention d’une citoyenneté réellement démocratique et participative n’est pas entamée d’urgence. » (pp. 27-29)