Précisions conceptuelles et propositions théoriques

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Texte

Type de document

fre Tiré à part

Titre

fre Précisions conceptuelles et propositions théoriques

Editeur(s)

fre Presses universitaires de France

Date

fre 2000-11-01

Lieu de création

fre Paris

Langue

fre fre

Format

fre Fichier PDF
fre 711 Ko

Importance matérielle

fre 12 p.
fre 22 cm

pages

fre 25-45

Source

Université Côte d'Azur. BU Saint-Jean d'Angély. Fonds Véronique De Rudder

Droits

fre Droits réservés

Droits d’accès

Réservé aux chercheurs de l'UNS et de l'Urmis

Identifiant pérenne

Description

Jusqu'à une date récente, il n'y avait aucune recherche en France sur les discriminations racistes. Aujourd'hui encore, l'ignorance règne et le silence pèse au point d'occulter toutes pratiques racistes ou ethnistes. " Tout se passe comme si la discrimination raciste était entièrement contenue dans des interactions individuelles aléatoires, sans impact collectif, sans portée sociale " (p. 2). Face à l'affirmation historiquement ancrée en France de l'égalité des individus devant la loi, de l'égalité des droits et des devoirs de citoyennetés, il est encore extrêmement rare que l'ethnicisation des rapports sociaux soit perçue et encore moins appréhendée comme le produit des inégalités subies par les individus ethnicisés ou racisés. La discrimination raciste est réduite au silence sous l'effet de la double imposition à l'œuvre dans la banalisation du racisme et un traitement juridique qui se limite le plus souvent à rappeler le principe de l'égalité républicaine. Cette négation a freiné le développement d'une sociologie des relations interethniques, sujet devenu d'autant plus délicat du fait de la politisation de la question immigrée dans le contexte de la crise économique amorcée dans les années 70. C'est sur ce constat que les auteurs proposent de s'arrêter le temps d'une réflexion qui, nous l'espérons, ne restera pas qu'épistolaire puisque, loin de limiter son intérêt au seul public français, c'est tout un chacun, sociologue ou pas, qui devrait se sentir concerné par ces questions. Les auteurs en appellent à l'urgence de sortir d'une logique bipolaire soutenant alternativement " l'intégration universaliste " ou le " communautarisme différencialiste " (p. 4), pour s'attaquer à la seule cause pertinente soit, la réduction de l'inégalité. Refusant un débat définitivement stérile entre le modèle républicain et les autres modèles politiques d'intégration des immigrés et de gestion des rapports interethniques, les auteurs soutiennent que la seule question cruciale est celle du contenu réel, concret et pratique de l'universalisme. Réfutant du même coup l'intérêt et l'efficacité des catégories statistiques de l'ethnicité - comment réunir les conditions d'une nomenclature à la fois claire, exhaustive et cohérente -, les auteurs stipulent que bien au-delà d'une compilation chiffrée, il faut procéder à l'analyse du rapport social raciste et ethniste.
L'ouvrage se présente en trois parties. Les deux premiers chapitres constituent une introduction théorique et épistémologique de la question. Les deuxième et troisième parties, ouvrent deux chantiers d'analyse, la ségrégation et la discrimination, avant de terminer par un chapitre critique soutenant un point de vue politique engagé. Les différentes parties compilent des travaux d'un programme de recherche commencé dans les années 80 avec pour objets : a) les situations de cohabitation pluriethnique en milieux urbains; b) l'instrumentalisation de l'ethnicité dans la gestion locale du logement des familles africaines; c) les discriminations et le racisme dans les entreprises. Aux vues de l'importance des enjeux politiques et sociaux trop souvent résumés (l'intentionalité étant bien entendu de mise) par la question de l'immigration et des capacités plus ou moins intégratrices du modèle républicain, les auteurs soutiennent la nécessité de définir d'abord autant que faire se peut les notions, catégories et concepts trop fréquemment empruntés sans autre forme de procès à d'autres contextes sociaux et historiques que la France, utilisés en sociologie des relations interethniques mais bien évidemment, également dans d'autres champs à commencer par celui du politique. L'ouvrage est donc d'abord et avant tout, l'occasion d'une analyse épistémologique de ces notions, catégories et concepts - ce que les auteurs feront en commençant par le passage en revue des notions de race, racisme, racisme individuel, institutionnel et systémique, ethnisme, groupe ethnique, ethnicité, discrimination directe et indirecte, rapports sociaux et relations sociales interethniques, entre autres - pour dévoiler ensuite les ambiguïtés qui masquent les véritables enjeux de l'inégalité, de la différence et de l'altérité.
À l'heure où le modèle républicain est mis à mal par nombre de détracteurs, l'introduction ouvre le débat de façon provocante en posant la question de la solubilité des discriminations racistes dans celui-ci. La France récuse l'idée de minorité. Aucun corps intermédiaire appuyé sur l'ethnicité, la culture, la langue, la religion ou la "race" ne peut s'intercaler entre l'individu et l'État. En contre partie, les procédés ou dispositions pour dénoncer les préjudices racistes ou la discrimination sont quasiment inexistants et tout plaignant potentiel porte le fardeau de la preuve. Dans les faits, le Droit français ne dispose " d'aucun instrument juridique "positif" pour faire régresser les discriminations directes, indirectes, encore moins institutionnelles ou systémiques, puisqu'il ignore le caractère collectif de leurs victimes et "néglige" donc la formation des groupes définis par leur assignation à une situation minoritaire " (p. 8). Le problème du modèle républicain, n'est pas le principe d'égalité qu'il le fonde mais son incapacité à rendre le principe efficient or c'est dans un monde concret et tangible que s'éprouvent quotidiennement les discriminations ethnistes et racistes. En dépit des nouveaux dispositifs administrativo-politiques des années 90, les auteurs soulignent que l'absence de prise en considération plus globale, incluant les discriminations indirectes et institutionnelles, entrave la remise en cause du racisme comme rapport social et comme base de la structuration sociale inégalitaire. L'analyse des soubassements de la discrimination, à commencer par ceux de la ségrégation, constitue donc de fait la pierre angulaire sur laquelle pourrait venir s'appuyer l'élaboration d'un dispositif visant à la fois la lutte contre le racisme, l'ethnicisme (ou d'ailleurs toute autre forme de discriminations et en priorité les discriminations indirectes que produisent les rapports sociaux inégalitaires) et le rétablissement de l'égalité des chances.
Si la ségrégation pose la question de la discrimination dans l'espace territorial alors que la discrimination induit plus largement tout traitement par la mise en exergue de "différences" construites dans des rapports sociaux fondamentalement inégalitaires, les deux notions se superposent en partie au point de se confondre. Mais surtout le rapport qu'elles entretiennent traduit une ambiguïté qui s'exprime derrière une chaîne sémantique qui tout à la fois l'éclaire et le complexifie. L'analyse de ces ambiguïtés mises à jour par les auteurs, dévoile les enjeux sociaux qu'elles dissimulent et qui se trouvent illustrer par une série d'oppositions : ségrégation versus protection ; distance versus mise à distance; catégorisation et production de différence; refus de partager et refus de coexister. La discrimination finalement "valide" et renforce les différences qu'elle produit. Elle s'insinue dans un glissement de représentations, lui-même produit et producteur d'un glissement sémantique (effet de pratiques discursives structurées et structurantes) entre une différence, construite sur des variables continues, qui procède à une mise en ordre et en normes (là s'introduit le premier glissement entre la différence et la différence de ou avec) et une différence qui, quoique élaborée sur des variables discontinues et donc a priori non hiérarchisables, se radicalise en différence absolue. La construction de la différence - et par la suite la pérennité de sa légitimité -, est un enjeu majeur dans les rapports sociaux. Le processus est observable dans les différentes sphères d'activités de la vie sociale tels que le monde du travail, le logement, ou plus largement la répartition des espaces urbains.
La peur sociale liée à la conjoncture de la crise économique n'est pas plus nouvelle que la traduction du problème politico-social en problème urbain. Or, la cohabitation pluriethnique - qui, en réalité est moins un problème de relations interethniques qu'un problème de concentration territoriale des classes défavorisées, "dangereuses" (à l'instar de ce qu'étaient perçus les ouvriers par la bourgeoisie à la fin du 19ème siècle) au sein desquelles on compte parfois une proportion importante d'immigrés - offre des visages variés et contrastés qui " dépendent autant de la morphologie sociale de populations en présence que des circonstances et des objets de leurs relations " (p. 86). L'ethnicisation dans les relations de cohabitation réfère à deux niveaux. Le premier traduit des réalités macrosociales et procède de la politisation de la présence des immigrés ou de tels ou tels groupe d'entre eux. Le droit du sang est revendiqué. Le deuxième met moins en cause la légitimité de la présence des immigrés ou d'un groupe ethnicisé que le danger de "contamination" encourue par sa fréquentation (dépréciation de soi ou/et de son environnement). Comme l'inégalité dans la répartition des espaces territoriaux, l'inégalité est observable dans le travail. L'inégalité structurelle dans les emplois est engendrée par des pratiques discriminatoires qui sont autant de relais de la "préférence nationale" qui sous couvert de protectionnisme des nationaux contribue à la segmentation du marché du travail entre des "vrais bons Français" et des Français considérés de deuxième ordre. Mais, encore faut-il compter, les effets directes et indirects des préjugés et des stéréotypes, qui permettent de se dédouaner à bon compte en imputant la responsabilité de la discrimination aux ceux qui en sont les victimes (c'est tel trait, telle attitude qui devient la cause). Explication renforcée au besoin par l'invocation de la "distance culturelle". Il demeure cependant que l'entreprise est un milieu le plus souvent clos, difficile à pénétrer et dont les discours à l'abri des rationalités rendent les pratiques opaques et font avorter les plaintes avant même qu'elles soient portées en justice.
Étudier le racisme requiert de le situer comme un processus de production et reproduction des rapports de domination. Cette perspective sociologique a conduit les auteurs à placer au centre de leur approche la distinction essentielle entre rapports et relations interethniques. " Les rapports interethniques sont des rapports sociaux qui s'inscrivent au niveau structurel et macrosocial, dans les rapports nationaux et internationaux, et qui fondent et organisent la coexistence et les contacts entre majorité et minorité. Les relations interethniques s'inscrivent dans le cadre des rapports interethniques, mais disposent d'une marge de liberté quant à l'importance accordée au facteur ethnique " (p. 154). Au terme de l'ouvrage, les auteurs s'engagent sur des propositions d'actions concrètes et plaident pour la mise en place d'une autorité officielle, pluraliste et indépendante apte à " répondre aux exigences d'une nécessaire "action positive" en faveur de l'égalité" (p. 199). Revenant au modèle républicain, ils concluent sur sa capacité à offrir une issue tout en conservant l'axe universaliste, à condition que " le racisme en acte - soit les exclusions et les discriminations - ne soit pas traité comme un problème "à part", une sorte d'épiphénomène, grave certes, mais sans rapport direct avec les autres processus inégalitaires généraux, y compris ceux qui procèdent ou accompagnent la ségrégation territoriale à grande échelle qui sévit en France " (p. 195). Cette question doit être posée publiquement comme un problème politique global qui engage tous les Français.
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