Vivent les ghettos ?

Classe

Texte

Type de document

fre Article

Titre

fre Vivent les ghettos ?

Editeur(s)

fre GRECO 13

Date

fre 1982

Langue

fre fre

Est une partie de

fre Recherches sur les Migrations Internationales, n° 4-5

Source

Université Côte d'Azur. BU Saint-Jean d'Angély. Fonds Véronique De Rudder

Droits

fre Droits réservés

Droits d’accès

fre Réservé aux chercheurs de l'UNS et de l'Urmis

Identifiant pérenne

Description

L’article paraît dans la revue du GRECO 13 sur un titre à la fois interrogateur « Vivent les ghettos ? » et quelque peu provocateur puisque ici, par le jeu homophonique, le verbe vivre conjugué à la troisième personne du pluriel « vivent » peut s’entendre sur le registre de la célébration « vive ». Il ouvre avec deux phrases en exergue dont l’une est extraite de l’Etranger de Georg Simmel qui pose l’immigré comme un futur membre de la nation et déjà semblable en étant encore différent. L’article est construit en 3 sections : 1°Naissance d’une nation où Véronique nous rappelle que l’immigration est un apport constitutif de la nation française depuis longtemps. 2° Les ghettos quels ghettos ? où elle reprend les différentes caractéristiques du ghetto; 3° Se faire peur, qui permettent de revenir sur les notions qui ont été brandies depuis les années 50 pour stigmatiser les étrangers installés en France et, en conséquence, sur les fonctions qu’elles assurent politiquement et socialement.
Dans la première section elle pose une question majeure quant aux fractions qui dit-elle « de nationalité française resteront toujours étrangers » (p. 52) Il y a là une allusion non explicite au processus de racisation qui permet que celui qui nous ressemble a priori en tout points se verra pourtant opposer des différences qui le tiendront à distance. C’est ici la poursuite du sillon sur la réflexion qu’elle poursuivra dans d’autres articles sur proximité et distance ou différence et distance , rappelant que ce ne sont « pas tant les faits eux-mêmes qui ont permis que s’opère la mutation de la représentation sociale des étrangers que la manière dont ils sont traités » (p.53). Néanmoins l’apport majeur de ce texte est de développer sur la notion de ghettos et sur sa pertinence dans le contexte français des années 1980 en ce qui a trait à la situation des immigrés. Elle situe ce débat, dans l’émergence de la notion dans les discours des médias comme contiguë au succès de la notion de "seuil de tolérance" qu’elle a beaucoup critiqué depuis 1980. « La France n'a pas renversé son image d'elle-même pour se percevoir enfin comme structurellement composite. Elle a continué de faire des immigrés un problème en soi. Le ghetto devenait le terme commode pour le désigner. Le mot lâché, il fallait que la chose suive. On a traqué les regroupements. On y a cherché - et trouvé - l'isolement, la délinquance, le problème social, le racisme • • • Ils n'étaient pas difficiles à découvrir et l'avaient déjà été, mais ils ont acquis grâce à l'explication par le ghetto une nouvelle cohérence. » (p.53). La deuxième section vise de ce fait, à expliciter les différentes caractéristiques du ghetto institutionnel – le ghetto spontané ne présentant lui jamais une enclave d’une population précisément circonscrite, les membres de celle-ci ayant d’une part la liberté d’habiter ailleurs et des non-membres choisir de résider au sein d’un quartier majoritairement habité par une population x – tel que l’entend, a priori, l’analyse historique des situations d’enclavement de fractions de populations au sein d’une société donnée. Véronique propose quatre caractéristiques majeures du ghetto institutionnel : a)le ghetto est contraint et situe la population cible hors du collectif ; b) le contrôle de la société dominante sur une population x ; c) l’homogénéité de la population ghettoïsée au regard d’au moins un critère assignant ; d) le ghetto est une microsociété qui reproduit de la structuration, hiérarchisation sociale et possède des équipements qui lui sont propres. Véronique discute de la validité de la notion de ghetto transposée à la société française qui, à l’examen empirique, ne répond pas aux quatre caractéristiques. « Les zones de résidence des immigrés en France sont plus souvent contraintes que librement choisies puisqu'elles sont tributaires des fonctionnements des marchés fonciers et immobiliers auxquels s'ajoutent les discriminations dont ils font spécifiquement l'objet. (…) Quant au contrôle qu’ils subissent dès lors qu'ils sont nombreux, il est souvent omniprésent travailleurs sociaux, animateurs culturels, gardiens d'immeubles; police, etc. Au regard de notre troisième · critère de définition, il apparaît qu'il n'existe pas à proprement parler d'enclaves ethniques en France à l'échelle du quartier, même si, ·dans certaines zones, on trouve des îlots entièrement ou presqu'entièrement occupés par des étrangers. (…) Quant à l'existence de communautés ethniques structurées, hiérarchisées et différenciées, ou en cherchera en vain. La population étrangère est globalement plutôt caractérisée par une forte homogénéité socio-professionnelle et le poids des discriminations qu'elle subit - aggravé en cette période de crise de l'emploi - l'entrave pour produire ses propres élites. Enfin, en l'absence de véritables minorités localement structurées, il n'existe pas de " monde" propre aux immigrations. La ségrégation spatiale est plus diffuse que concentrée. » (pp. 57-58). En fait le ghetto suppose préalablement la reconnaissance d’une minorité interne ce que refuse le modèle jacobin de la France : « L'assimilationnisme "à la française", de tradition jacobine fonctionne toujours pleinement pour interdire sur le territoire national des "dissonances" culturelles jugées porteuses de division. (…) Il n’est [le ghetto] simplement pas possible sans reconnaissance minimale de l’altérité » (p. 59). Son analyse montre que le recours à la notion de ghetto résulte principalement d’une filiation idéologique qui vise à marquer négativement les étrangers pour en accentuer la distance sociale d’avec la société française. Ainsi pour la sociologue, face à la saillance de cette notion dans les médias, « c'est la genèse de ce phénomène, sa filiation avec d'autres fantasmes concernant l'immigration et son usage social qu'il nous faut maintenant interroger pour comprendre pourquoi cet épouvantail sans actualité a pu être brandi » (p. 59).
La troisième section permet à Véronique de revenir sur les « épouvantails » que la société française a mobilisés depuis les années postcoloniales pour éviter de s’interroger sur ses responsabilités en matière d’immigration et, a, pour faire, usés à l’endroit des immigrés les rendant à chaque fois responsables de leurs situations. Les années 50-60 sont le temps de bidonvilles, qui nés de la crise du logement social sont pourtant vus et montrés comme des façons de vivre de ces « gens-là » et qui « autorisera toutes les indignations et toutes les peurs : les unes à la mesure des autres… Puisqu'il n'était pas tant que cela produit par la société française, il pouvait être stigmatisé comme monstrueux, et on pouvait craindre son développement anarchique • • • A la manière d'un cancer rongeant la ville. C'était, ne l'oublions pas, l'époque de la dénonciation de l'''immigration sauvage" (on aurait difficilement pu trouver une expression plus riche en connotations) quoi de plus sauvage que le bidonville? Mais cela autorisa aussi sa pérennité : Il y eut des bidonvilles pendant vingt ans. » (p. 60). Vinrent ensuite les cités de transit au nom de l’idée "d’adaptation" où des familles étrangères ont été regroupées : « inadaptation et immigration ont été confondues pour concentrer les étrangers » (p. 61) – véritable prophétie auto-réalisatrice. Mais dans ces cités la concentration est aussi pour la société française prendre à ses propres yeux le risque de donner une occasion de création de communauté de minorisés et donc de résistance. Il faut donc trouver les moyens de contrôler ce risque : éliminer les cités de transit. C’est soit le contrôle comme dans les foyers de travailleurs de la SONACOTRA soit une subtile dispersion dans les logement sociaux, les quartiers populaires, au nom du « seuil de tolérance ». Mais parce que, sous la pression des chercheurs qui ne cessent de réitérer leurs objurgations quand à cette notion, le seuil de tolérance a perdu sa légitimité – « Le "seuil de tolérance" est devenu une norme honteuse. On s'y réfère encore, mais "sous le manteau", en se drapant dans une dénégation si insistante qu'elle en devient suspecte à beaucoup. Il fallait trouver autre chose. » (p. 62) qui sera nous dit l’auteure le « ghetto » comme nouvel épouvantail. L’article se termine sur l’analyse de la fonction qu’assure les épouvantails dans la société française : « Ici, l'objectif est - encore et toujours - de retrouver et de réaffirmer un "nous" introuvable, comme une incantation, par crainte - pas toujours injustifiée - d'être laissé pour compte, d'être renvoyé aux "autres". Le ressort en est la peur. Au lieu de tenter de cerner toujours quels problèmes nous posent ces étrangers, ne peut-on renverser la perspective et se demander pourquoi nous avons tant besoin d'en avoir peur ? Et pourquoi tout habitat qui les abrite en nombre nous inquiète ? C'est qu'en dernier ressort, telle est la fonction idéologique de l'extranéité. Il est nécessaire que la présence étrangère soit dangereuse. Cette nécessité, seule, permet de resserrer à tout moment opportun la trame du tissu social. Les complots, on le sait, sont toujours ourdis par l'étranger. (…) Ainsi les étrangers – en tant que tels, c'est-à-dire en groupe – nous sauvent-ils tout autant de la guerre civile que de l’indifférenciation. Les différences désignées à l’exclusion – ou, ce qui revient au même, à l’intégration – évitent la perte de l’unité nationale tandis qu'elles préservent la tolérabilité d’autres différences, sans les résoudre ni les confondre. » (p.65).
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