A suivre...
Henri Bosco le Provençal
Lieu de naissance et de l’enfance
Henri Bosco est né en Avignon, au numéro 3 de la rue de la Carréterie le 16 novembre 1888, seul enfant restant vivant du couple formé par Louis Bosco et Louise Faléna, d’origine aixoise.
Louis Bosco est originaire d’une famille piémontaise et ligure, établie en Provence au début du XIXe siècle. Dans la famille Bosco, l’ancêtre fameux auquel Henri Bosco reste attaché toute sa vie est Saint Jean Bosco, cousin de son grand-père, Jacques Bosco, et dont il se fit le biographe en 1959.
Jacques Bosco s’est installé à Marseille et ses oncles et tante ont inspirés les personnages des Balesta dans le cycle du même nom, qui dresse le portrait de personnages hardis, conquérants qui représentent le mouvement impétueux de la mer qui permet d’atteindre la Provence et en contrepoint de Provençaux des climats doux de la campagne et des plaines, où Henri Bosco vit son enfance.[1]
Dès ses trois ans en effet, la famille quitte la vie très animée d’Avignon pour la campagne aixoise, s’installant au « Mas du Gage », dans une région avec vue sur les Alpilles, entre deux fleuves, le Rhône et la Durance, fleuve impétueux et risqué mis en scène dans L’Enfant et la rivière, réécriture d’un premier récit écrit à 7 ans. Henri Bosco a une enfance solitaire de trois à 17 ans, ses parents partent parfois de longs mois, et il est placé sous la garde alors de la nourrice Julie et de sa tante Martine, personnages largement décrits dans les Souvenirs, Un oubli moins profond (1961), Le chemin de Monclar (1962), Le Jardin des trinitaires (1966), Mon compagnon des songes (1967). A part quelques jours passés à la maternelle d’Avignon, il est éduqué à la maison, apprend à lire avec sa mère, reçoit quelques notions de calcul, solfège et histoire sainte, dans une religion catholique douce et consolatrice qui le marque toute sa vie :
« Or, c’est de ma mère que j’appris d’abord ce que j’ai su, enfant, de cette religion qui me parut ainsi maternellement douce. Maternelle et plus amicale, plus tendre que tragique. J’y ai, en effet, découvert, en premier lieu, la Crèche et non pas la Croix, Bethléem et non le Calvaire, mais surtout les Rois et l’Etoile. J’y suis arrivé, les yeux grands ouverts, par quelques veillées de campagne, en hiver, ce bel hiver de neige qu’aiment les enfants, et par ces vieux chants de Noël que j’ai entendus de bonne heure. Et ainsi la Noël reste encore pour moi ma fête la plus religieuse d’une religion pastorale […] »[2]
Le monde de l’enfance réapparait dans les fictions, partiellement autobiographiques comme Antonin
« Antonin qui n’est autre que moi, à peine romancé »[3] ; ou aux dans L’Âne Culotte et le cycle de Hyacinthe, Le Renard dans l’île, Barboche, où réapparaît Tante Martine, etc., avec de nombreux protagonistes enfants.
« Un enfant, pour chacun de nous, c’est plus ou moins, toujours un témoin du paradis perdu »[4]
Mistral, le Félibrige et la langue provençale
Dans l’Hommage à Henri Bosco pour ses 80 ans, « Bosco déclare ceci : « J’aime assez me retourner vers le passé. Parce que je suis un homme de souvenir, c’est-à-dire de fidélité. » Cette fidélité, il l’exerce à l’égard de son enfance et de la langue provençale dont il se sert avec les siens. »[5]
Bien que ses parents lui parlent en français, ils parlent provençal entre eux, sa grand-mère Louise et sa tante parlent en provençal. Dans la campagne du Comtat-Venaissin où la famille s’installe, c’est une langue encore parlée[6]. Les correspondances échangées avec ses parents lors de ses études, puis lors de la guerre sont souvent écrites en provençal. On peut trouver des poèmes (non publiés) en provençal dans le fonds de son ami Louis Bayle. Il finira par publier en 1974 un petit recueil de poésie en provençal les Troubo provençalo sous l’impulsion à nouveau de Louis Bayle[7]. Si aucun de ses romans n’est écrit en provençal, ils sont pourtant parsemés de toponymie et de patronymie provençales, du Pascal Dérivat (en provençal le caractère incertain de celui qui fuit les responsabilités) du Mas Théotime aux Mégremut (de megre, maigre et mut, muet) de Sylvius et de Malicroix. [8] De même, la langue niçoise est citée dans Le Trestoulas, comme une langue soeur du provençal et Henri Bosco admire la grande fidélité des Niçois à leur idiome contrairement aux Avignonnais[9].
A dix ans, il est inscrit à l’Ecole des Ortolans d’Avignon où il suit l’enseignement de M. Tamisier, puis au lycée où il suit l’enseignement d’Aristide de Cabrières. Il apprend à aimer les auteurs classiques, Homère, Théocrite, Plotin, Virgile, en même temps que les écrivains du Félibrige et en premier lieu Frédéric Mistral, créateur du mouvement Félibrige. Mistral qu’il rencontre en 1906 par l’entremise de son maître Aristide de Cabrières[10].
Frédéric Mistral « fut à la fois l’Homère et le Virgile de ma propre langue natale. J’y ai retrouvé les dieux et les fées, les temples, les bois, les champs, et les hommes, tels que ceux de ma race ont su les célébrer depuis des millénaires. Sur l’antique Nature d’Hésiode, de Théocrite et de Virgile, il a élevé, en son temps, les chapelles et les églises qui maintiennent un caractère sacré à notre vie rustique. C’est une Provence chrétienne qui se propose dans son œuvre. »[11]
Ainsi, par cette double influence classique et félibrige, « pour Bosco, la Provence est une autre Grèce »[12]. La Provence c’est la provincia romana, marqué des monuments romains et terre d’occupation romaine, grecque, levantine, italienne, gaulois, ligure, arabe[13].
Dans les années 1920, lorsqu’Henri Bosco publie ses premiers romans, Les Félibres ne parviennent plus guère à publier, de nombreuses maisons provençales ayant cessé leurs activités, et comme l’explique Emile Ripert dans son ouvrage Le Félibrige, celles qui restent comme les éditions Aubanel ne publient que Frédéric Mistral et plus de nouveautés. Bien qu’Henri Bosco ait connu Mistral et se soit intéressé au Félibrige, il ne lui a jamais paru intéressant d’appartenir à une école littéraire[14].
Henri Bosco, écrivain provençal
La Provence, au-delà du pays de l’enfance, est donc le cadre des livres d’Henri Bosco, car « J’ai parlé de la Provence, parce que la Provence est mon pays. J’y suis né, j’y vis, je la connais. Il faut toujours partir d’une expérience réelle, d’une connaissance en profondeur »[15] Mais il refuse le terme d’écrivain régionaliste et l’idée d’une « littérature de terroir », visant à travers ce cadre, l’universalisme. Et pour cela, il faut éviter les clichés, le folklore, la simple description, le « régionalisme »[16], la région n’est qu’« un visage particulier de l’universel où il peut se reconnaître. »[17]. « Je suis un écrivain humain, et non régionaliste », « Mes personnages sont provençaux en apparence seulement. Ils sont avant tout universels et humains. »[18]
Si Henri Bosco n’est pas un écrivain régionaliste, c’est parce que « j’aurais pu écrire mes livres à partir de tout autre endroit. Ils auraient été, au fond, identiques. »[19] et que la plupart de ses romans « provençaux » ont en fait été écrit au Maroc, où il vécut entre 1931 et 1955 : « C’est au Maroc que j’ai écrit mes romans provençaux, car, au Maroc, j’ai eu la nostalgie de ma Provence … »[20]
Dans ces trois premiers romans, Pierre Lampédouze, qui se déroule en partie en Avignon, Irénée dont quelques pages parlent de Marseille, et Le Quartier de Sagesse, qui se déroule entre Tarascon et Toulon, la Provence décrite est cette Provence truculente, plutôt urbaine et maritime, mais l’itinéraire de Lampédouze, personnage originalement parisien, vers Lourmarin, vers la contemplation des beautés intérieures (géographiquement et spirituellement) est déjà un travail sur les clichés de la Provence, pays d’une vieille civilisation. Après ces récits lampédouziens, une révolution se fait, les héros préfèrent les campagnes provençales semées de villages et de mas solitaires aux villes,[21] et c’est le « début d’une manière nouvelle, celle de la maturité » [22]. En effet, en octobre 1931, Henri Bosco part enseigner à Rabat, et naissent dans ces années, les récits du Luberon, Le Sanglier, Le Trestoulas, L’habitant de Sivergues[23], puis L’Âne Culotte et tous le cycle de Hyacinthe, Le Mas Théotime, mas qui n’est autre que Les Ramasses de son ami Sylvain Paris, chez qui il loge lors de son premier séjour à Lourmarin en 1922[24], puis Malicroix en Camargue. Même L’Antiquaire et Le Récif, qui se déroulent essentiellement au Maroc et en Grèce, commencent et se terminent en Provence[25]. Au fil des récits d’Henri Bosco, la Provence se fait plus mystérieuse, plus dense ; « nous sommes passés de l’animation urbaine aux solitudes campagnardes, de l’exubérance des agglomérations côtières et rhodaniennes, à la vie profonde de la Camargue ou des montagnes dépouillées, caractéristiques de ce haut pays qu’on appelle parfois la Provence noire. »[26] On est passé de la « Provence amusante, […] drôle, bouffonne quelquefois, que quelquefois on tourne en ridicule, ce qui [l’]exaspère et exaspère tous les vrais Provençaux » à une Provence « grave »[27].
Dans les années 1960, alors que la Provence devient très à la mode, Henri Bosco est fréquemment sollicité en tant qu’écrivain de la Provence, mais il n’accepte que peu de ces commandes éditorialistes. Parmi les plus beaux textes qu’il écrit sur la région, une contribution au Portrait de la France, dirigé par André Chamson, sur le Luberon. Il écrit également une pièce radiophonique, « Martin et Martine en Provence », transformé ensuite en un projet de livre « Voyage en Provence », qui ne vit pas le jour, ensemble qui travaille les clichés sur la Provence et les Provençaux, et est aussi une « anthologie personnelle de la littérature provençale » de Frédéric Mistral et Joseph d’Arbaud à Louis Brauquier, Paul Arène, Paul-Jean Toulet, Alphonse Daudet,…[28].
Comme le dit Jean-Cléo Godin, « Le pays de Bosco est plus antique, plus grave, et surtout plus fidèle à ses origines que cette Cocagne de grand soleil clair et de gras sourires qu’un Daudet ou un Pagnol ont rendue célèbre. »[29]
A suivre ....