Joaquim Antonio (1857-1912)
On sait peu de choses de la vie du photographe Joaquim Antonio ; Joachim K. Bautze a rassemblé quelques éléments biographiques à son sujet dans un livre intitulé Unseen Siam[1], éléments résumés dans les lignes qui suivent. Joaquim Antonio naît à Macao en 1857, alors colonie portugaise ; il y commence ses études, qu'il poursuit à Hong Kong où il reçoit un diplôme d'ingénieur ("Construction of Public Works and Mines"). Il arrive ensuite à Bangkok en 1889, où il travaille comme dessinateur au service de compagnies locales. C'est en 1893 qu'il y fonde son studio photographique, appelé "The Charoen Krung Photographic Studio". En 1900, il devient membre de l'Académie de géographie de Lisbonne. À partir de 1901, il possède également un studio à Phnom Penh ; il est alors le seul photographe professionnel installé cette ville. Il s'associe aussi cette année au photographe Robert Lenz. Il participe ensuite à l'Exposition de Hanoï de 1902-1903, où il reçoit un "Diplôme de Collaborateur" et une médaille d'argent pour ses albums comprenant des portraits, des vues de Bangkok et de ses environs, des scènes de la vie quotidienne, des vues de l'exposition de Hanoï etc. En 1904, il reçoit une nouvelle médaille d'argent à l'Exposition universelle de 1904. On ne trouve ensuite plus de trace significative de ses activités jusqu'à sa mort en 1912. Marie-Hélène Degroise donne des informations similaires sur sa vie, avec 1898-1904 comme période de ses activités à Bangkok et Phnom Penh et évoque en plus une participation à l'Exposition universelle de 1900[2]. Le fonds ASEMI conserve quatre de ses albums, présentés à l'occasion de l'Exposition de Hanoï de 1902-1903. Ces albums portent exclusivement sur l'exposition et ont tous le même titre : Vues de l'exposition d'Hanoi 1902. Ils portent les cotes PH15, PH16, PH17 et PH18 ; chacun contient une soixantaine de photographies, une partie se retrouvant également dans les autres albums sous la forme d'autres tirages.
L'exposition de Hanoï de 1902 nait de la volonté de Paul Doumer, gouverneur général de l'Indochine de février 1897 à mars 1902. L'Union indochinoise est à ce moment une construction encore récente, fondée en 1887. Paul Doumer a travaillé pendant son mandat à moderniser cet État colonial : il en déplace notamment la capitale à Hanoï en 1901 et lance de grands travaux parmi lesquels figure la construction du pont de chemin de fer de Hanoï. Prévue pour décembre 1901, l'exposition, intitulée "Exposition des produits agricoles et industriels et des oeuvres d'art de la France, des Colonies françaises et des Pays d'Extrême-Orient", est destinée à glorifier son oeuvre colonisatrice [3]. Paul Thomé est le commissaire général en charge de l'organisation de l'événement. Adolphe Bussy, architecte des Bâtiments civils au Tonkin depuis 1896 est responsable de l'établissement du plan de l'exposition, installée sur l'emplacement de l'ancien hippodrome, non loin de la gare ferroviaire, sur un terrain d'environ dix-sept hectares [4].
Joaquim Antonio devait probablement être bien introduit dans le cercle des organisateurs, car il a eu à ce qu'il semble l'occasion de photographier les préparatifs de l'exposition. Plusieurs photographies de ses albums montrent en effet des allées désertes ou des travaux en cours : aplanissement du sol, transport de meubles, travail des jardiniers... Ci-dessous, les clichés de ces scènes de travaux.
L'exposition ouvre finalement ses portes le 16 novembre 1902. Paul Doumer, rentré en France en mars 1902, n'assiste pas à l'inauguration ; c'est son successeur Paul Beau qui est présent. Catherine Méneux évoque le chiffre de 5 000 exposants, dont 1 600 originaires de France métropolitaine [5].
Comme on peut le voir sur le plan au-dessus, l'entrée se faisait par le rond-point du boulevard Gambetta. Passé les grilles, au bout de la perspective, les visiteurs apercevaient le Palais central, édifice imposant à la façade de cent mètres de long, dont l'architecture est inspirée par le Gand Palais parisien et le Museum d'Histoire naturelle [6]. C'est par ailleurs le seul bâtiment qui survivra à l'exposition ; le Palais sera reconverti en musée avant d'être détruit par des bombardements pendant la Seconde Guerre mondiale. Le visiteur pouvait voir dans ce palais "l'Exposition de l'École française de l'Extrême-Orient, les Services géographiques, les Messageries maritimes, les Chargeurs Réunis, les Messageries fluviales du Tonkin, les broderies annamites, les meubles sculptés et incrustés. Au milieu de tous ces objets de l'Extrême-Orient, une quinzaine de vitrines de nos principaux joailliers et argentiers de Paris. Des jades, des bouddhas, des laques, des éventails, des brûle-parfums, des livres, des photographies, enfin, un mélange des objets les plus variés qui, par leur diversité et leur nombre, faisaient que l'on sortait de ces grandes salles un peu ébloui."[7]. Ci-dessous, l'extérieur et l'intérieur du Palais.
Autour du palais se déploient deux ailes en fer à cheval. À gauche, dans l'ordre en partant du palais : les pavillons du Tonkin (trois premiers clichés ci-dessous), des villes de l'Indochine (clichés 4, 5, 6, 7 et 8), de la Direction Générale de l'Agriculture, des Forêts et du Commerce (appelé aussi pavillon des Forêts, cliché 9), du Siam (clichés 10, 11 et 12) et des Philippines (clichés 13, 14, 15 et 16). C'est au sein du pavillon du Siam qu'Antonio exposait ses albums. Il est mentionné par Alfred Raquez dans son livre compte rendu de l'exposition, Entrée gratuite, qui en fait un portrait élogieux : "M. Antonio, membre de l'Académie de géographie de Lisbonne, a beaucoup voyagé dans l'intérieur du pays. Il a rapporté de la brousse siamoise et des provinces du Nord de très intéressantes épreuves finement reproduites. Les agrandissements des beautés siamoises sont particulièrement agréables. Des albums renferment d'innombrables séries de photographies de Bangkok et des environs, ainsi que des scènes variées de la vie siamoise ; d'autres vues, prises dans notre Exposition de Hanoi, sont fort bien traitées. Maitre Antonio est un collectionneur de monnaies. Il a eu la patience de composer en pièces d'or et d'argent le mot SIAM qui lui sert d'enseigne précieuse. S'il est vrai que l'or attire l'or, Antonio deviendra millionnaire en exposant souvent."[8]. Ses photos du Siam sont aussi mentionnées par Albert Ducarre dans son rapport, qui parle d'Antonio comme du "photographe officiel de la cour"[9].
À droite, dans l'ordre en partant du palais, le visiteur pouvait découvrir les pavillons consacrés aux produits de la France métropolitaine et de ses colonies (clichés 1 à 5), ainsi qu'un pavillon des machines, à la gloire à l'industrie française, a priori non photographié par Antonio. L'aile se termine par un pavillon consacré à Madagascar (cliché 6).
D'autres pavillons sont relégués derrière le palais et ses bras. Derrière la section française, le Japon (premier cliché ci-dessous) et la Chine (clichés 2, 3, 4, 5 et 6) exposaient également. Pour la Chine, Alfred Raquez rapporte notamment "qu'un exposant Tu-Tien-Shun de Kioukiang a apporté, seul, plus de 7.000 pièces [de porcelaines et de faïences]. Il en est sur les murailles, sur des étagères, sous des vitrines, à terre, partout."[10], abondance bien visible sur les clichés 3 et 4. À l'ouest, derrière le palais : le pavillon de Lyon (consacré aux industries de la ville) et la galerie des Beaux-Arts, ces deux derniers non photographiés par Antonio. Suivent encore à l'ouest trois petits bâtiments, deux pavillons pour les artistes indochinois et un pavillon de la presse (clichés 7 et 8 ; le pavillon de la presse faisait entre autres office de bureau de poste), auxquels est adossée une salle des fêtes (cliché 9).
Encore plus à l'ouest, la zone des "attractions", où se trouvaient notamment une grande roue (premier cliché ci-dessous) et l'École Professionnelle de Hanoï (cliché 2). Le visiteur pouvait aussi voir dans cette partie de l'exposition un zoo humain (clichés 3 à 11), appelé par Raquez "village des Philippins et des Négritos". Le terme Négritos désigne des populations de petite taille, à peau noire et aux cheveux crépus, vivant entre autres aux Philippines. Vingt-cinq avaient été emmenés des Philippines. Alfred Raquez brosse un portrait condescendant de deux d'entre eux, reconnaissables sur le cliché 5 ci-dessous : "Saluons tout d’abord les anciens du pays, les sauvages, les aborigènes que trois cents ans de domination espagnole n’ont pu entamer. Ils sont vingt-cinq, ces Negritos, hommes, femmes et enfants, groupe étrange, d’un réel intérêt ethnographique, appelé à faire les délices des savants qui se sont donné rendez-vous en notre bonne ville. [...] L’un s’est affublé d’une superbe jaquette noire et se glisse une serviette de toilette en guise de cravate. Jambes nues, un vieux chapeau haute forme sur la tête, une canne à la main..., le capitan s’avance, se rengorgeant et sautillant, très drôle et très digne. L’autre n’a pour tout costume qu’un casque américain, forme prussienne, avec un aigle magnifique étendant ses ailes protectrices et dorées au-dessus de l’écusson de la République américaine. J’allais oublier la bande de toile exigée par la police des mœurs."[11].
D'autres populations étaient présentes semble-t-il à des fins d'exhibition ethnographique ; les albums d'Antonio contiennent en effet de nombreux portraits de groupes de personnes en tenues traditionnelles : les ethnies minoritaires de l'Indochine étaient représentées (Yao, Jaraï, Lü etc. ; clichés 1 à 7 ci-dessous), mais les visiteurs pouvaient aussi voir des Vietnamiens (clichés 8 et 9), des Philippins fabriquant des cigares (cliché 10) et même des Malgaches (clichés 11 et 12).
Antonio n'a pas manqué non plus de photographier les officiels de l'exposition : les membres des jurys (clichés 1 à 3 ci-dessous) et les représentants de la presse (cliché 4), parmi lesquels figurent Alfred Raquez et François-Henri Schneider.
Retrouvez tous les clichés de Joaquim Antonio possédés par l'ASEMI dans la collection éponyme.