Après l’Ecole normale supérieure, où il est reçu en 1923, et son agrégation de lettres, Gabriel Germain décide de se fixer au Maroc, à Rabat en 1927. Il enseigne d’abord au Lycée Gouraud de Rabat, où il rencontre Henri Bosco. Il se marie en 1940 avec Odette Germain, professeure au lycée de filles de Rabat. Mobilisé dans le Renseignement en 1939, il est ensuite directeur du collège berbère d’Azrou d’octobre 1941 à novembre 1944 après avoir demandé à passer dans l’enseignement musulman, mais suite aux troubles nationalistes de 1944, demande sa réintégration dans les établissements française et devient proviseur du lycée de Meknès en 1944-1945. Il est ensuite attaché jusqu’en 1948 au Centre de documentation et d’orientation pédagogique à Rabat où il assure la direction de la publication du Bulletin de l’Instruction publique au Maroc. Journaliste, il publie dans Combat (Alger) et dans la Presse marocaine, deux journaux anti-vichystes entre 1943 et 1946 sous le pseudonyme de Maximilien, et de nombreux comptes-rendus de lecture dans le Bulletin de l’Instruction publique au Maroc. En 1948, il retourne enseigner sur le poste de Lettres supérieures, au lycée Gouraud de Rabat. En 1952, il soutient ses deux thèses de doctorat d’Etat : « Essai sur la genèse de l’Odyssée » et « Homère et la mystique des nombres ». Il quitte le Maroc en 1954 et est nommé à la Faculté de Lettres de Rennes jusqu’à sa retraite en 1964.
A son arrivée au Maroc, il choisit de s’installer à Salé, ville face à Rabat, jusqu’en 1937, exilé du milieu européen. Gabriel Germain rejette alors le milieu occidental établi à Rabat : « J’avais choisi en 1927 de fuir l’Occident qui m’était de plus en plus intolérable » (« Quarante ans d’amitié », dans Renaissance de Fleury, numéro 99, septembre-octobre 1976, p. 9-14). Il juge l’Occident abrutissant, « prisonnier de l’intellectualité » (La lampe de Sala, p. 31). Gabriel Germain appartient au mouvement de La Jeune république de Marc Sangnier et écrit une chronique régulière dans le journal de ce parti. Il adopte une position extrêmement progressiste, anti-colonisation, souhaitant « une émancipation progressive qui aille jusqu’à l’indépendance », exprimée dans l’opuscule Colonisation et civilisation, publié par La Jeune République en 1934, où il critique fortement le style de vie des Européens à Rabat — comme les Bosco : « Les Européens travaillent entre eux, logent dans leurs quartiers, vivent avec toutes leurs préoccupations du pays natal et arrivent à se constituer une vie sans aucun contact avec les indigènes, sinon avec les moins intéressants ou pour des relations très superficielles ». (La Lampe de Sala, p. 69). Il fait partie des rares écrivains du Protectorat en symbiose, apprenant l’arabe et le berbère, et déclare en 1958 « La découverte du Maroc m’a fait ce que je suis ».
Sa carrière universitaire était celle d’un helléniste, mais au Maroc, il a été poète, romancier, homme de théâtre et journaliste : en 1932 et 1933, il présente plusieurs pièces de théâtre à Rabat, Les aigles meurent, Ibokadem, et Madame et sa Fatma, satire des femmes de colons reflètant la réalité sociale où se mélangent arabe et français : « Un vrai théâtre marocain qui cherche à être l’image fidèle de la vie populaire, doit se faire polyglotte comme la rue ». Son premier recueil de poésie « Chants pour l’âme de l’Afrique » (1936) manifeste son amour sincère pour l’Afrique et les Africains vers lesquels va son empathie : « Tous ces mépris font des plaies à ma chair et je me rebelle pour vous ». Il publie son unique roman après son retour en France, en 1958 : La Lampe de Sala rédigé au Maroc est un récit semi-autobiographique, où le personnage principal, son double romanesque, vit comme lui dans la médina de Salé dans les années 1930. Il y intègre ses rêves et ses amis, François Bonjean, sa femme Lalla Touria, Henri et Madeleine Bosco. Il continue d’explorer les domaines du rêve et de la poésie avec ces ouvrages La poésie corps et âmes (1973) et L’aventure onirique (1986). C’est surtout son autobiographie spirituelle Le regard intérieur (1968) qui lui vaut une notoriété publique et critique. Gabriel Germain s’y peint comme humaniste, « hérétique de toutes les religions » : il y raconte son itinéraire de l’étude approfondie de l’Islam et son approche de l’Unité de Dieu et de la contemplation, du bouddhisme et ses exercices de méditation, le taoïsme du parfait détachement, l’hindouisme et sa conception de l’énergie psychique en sommeil en soi, qu’il s’agit de réveiller pour accéder à la « vision supramentale ». Il étudie également les mystiques occidentaux, Maître Eckhart, saint Thérèse d’Avila, saint Jean de la Croix, Albert Béguin et son ouvrage « L’Âme romantique et le rêve ». Ainsi déclare-t-il : « Mon XXe siècle à moi n’est pas des soixante ans que j’ai vécus ; cinq millénaires l’habitent : je les tiens tout vifs dans mon sang. »