Bonjean, François (1884-1963)
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Description
Pendant 10 ans, il ne publie pas, s’attachant à l’exploration du monde intérieur et à l’enseignement dans l’objectif de réconciliation entre Orient et Occident. En 1939, il rentre à Paris, où il publie en 1940 le récit de l’initiation d’une femme marocaine, Malika, à Fès, dans Confidences d’une fille de la nuit. Puis passe la période de la Seconde Guerre mondiale à Rabat. Entre 1944 et 1946, il est professeur à Pondichéry (Inde), où il rencontre Sri Aurobindo. Il s’installe définitivement au Maroc, à Rabat à son retour. Il écrit avec Lalla Touria Reine Iza amoureuse (1947), s’inspirant des traditions védiques, puis les Contes de Lalla Touria, Oiseau jaune et oiseau vert (1952). Après l’indépendance du Maroc, les Bonjean restèrent à Rabat, mais François Bonjean subit un important choc qui détériore sa santé et meurt en le 12 mai 1963.
Relation(s)
En 1924, après la parution de son roman « Mansour », récit du conflit d’une jeune musulmane entre modernité et tradition religieuse qui s’insère dans le débat des Appels de l’Orient, François Bonjean est présenté à René Guénon par le journaliste Frédéric Lefèvre qui tient une célèbre chronique littéraire dans « Les Nouvelles littéraires ». Les deux hommes s’apprécient autour de la vision de l’Orient : « Guénon qui n’était jamais allé en Egypte, alors que je venais d’y passer 5 ans, fut content de retrouver dans mon livre un Orient souvent conforme à ses vues » (François Bonjean, « Le métier d’écrire », Association des Amis de François Bonjean, 1973, p. 13). René Guénon se rend alors régulièrement au salon tenu le vendredi soir par François Bonjean chez lui, à Paris, Boulevard Pasteur, où les discussions tournent autour des rapports entre Orient et Occident et où il diffuse ses idées des centres orientaux détenteurs de la Tradition. Dans ses écrits, par rapport à Guénon, François Bonjean garde des considérations sociales regrettant la misère de la population du Caire qu’il décrit dans le troisième volet de l’« Histoire d’un enfant du pays d’Egypte », alors que Guénon juge sa description trop noire, gardant une vision d’un « Orient idéal ». Bonjean opère une distinction entre la « tradition vivante » et la « tradition pourrie » qu’il théorise dans l’article « Souvenirs et réflexions sur René Guénon », dans le numéro de la Revue de la Méditerranée qui suit la mort de René Guénon en janvier 1951. François Bonjean, comme de nombreux intellectuels, ne lit pas les ouvrages de René Guénon avant les années 1930 et c’est donc après son installation à Fez en 1929, qu’il interroge vraiment René Guénon par lettre sur l’accès à la connaissance et sur la Tradition. En 1935, Guénon le recontacte après avoir constaté par un compte-rendu d’une conférence de Bonjean dans « La Vérité marocaine », que Bonjean défend alors une perspective « traditionnelle ». Ainsi François Bonjean écrira « Avoir fait vivante en soi-même la Tradition, c’est être devenu un autre. A cet autre sont réservés, assure la Tradition, maints privilèges. Si vous voulez apprendre à nager, jetez-vous à l’eau. Et si vous voulez comprendre ce qu’il faut comprendre, ce que personne ne comprend, piquez une tête, dit la Tradition, dans mes Eaux-mères. Me faire provisoirement confiance, c’est être amené à me faire confiance éternellement ! » (« Construire », manuscrit inédit achevé autour de 1940, p. 114) A partir de ce moment-là, leur correspondance devient abondante, notamment autour des projets littéraires de Bonjean, par exemple « Le Paradis terrestre » autour de la Tradition universelle. Il voit comme objet de l’écriture le maintien de la Tradition, et base sa critique littéraire sur « la position et la signification des œuvres par rapport à la Tradition » et l’acte de création c’est « avoir perçu certains reflets de la Doctrine et s’être rendu capable, le temps d’un éclair, de les faire entrevoir à d’autres » (« Construire », p. 235). Peu lu après-guerre, Bonjean œuvre surtout en diffusant l’œuvre de Guénon dans des articles et conférences, en faisant lire Guénon à ses élèves comme Ahmed Sefrioui, en le faisant découvrir à ses amis, comme Philippe Guiberteau, en organisant des rencontres entre Henri Bosco et Gabriel Germain et des disciples guénoniens de passage. Il fait l’entremetteur entre Guénon et Louis Massignon.
Dès 1935, Henri Bosco prend contact avec François Bonjean. En 1938, alors qu’il recherche des publications sur des sujets marocains, et pas seulement sur des évènements de métropole, pour Aguedal, il apprend par Roger Le Tourneau, professeur au collège Moulay Idriss, et Marcel Vicaire, Conservateur du Musée du Batha, que François Bonjean prépare un nouveau roman sur le Maroc. Le 15 octobre 1938, voici ce qu’Henri Bosco écrit à François Bonjean :
« Notre désir est très vif de publier quelque chose de vous. Ce désir m’excuse, à vos yeux, de tant d’indiscrétions. Nous manquons de sujets marocains, vraiment marocains. Sans doute y a-t-il peu de vrais écrivains en ce pays. Mais vous sortez d’un long silence… Alors nous voulons en profiter sans vergogne. »
Aguedal publie donc un extrait des Confidences d’une jeune fille de la nuit, le texte d’un écrivain très célèbre et demandé — qui selon Georges Duhamel est « le meilleur avocat de la cause française devant l’Islam et le meilleur avocat de l’Islam devant la France » (propos rapporté à François Bonjean par Ahmed Sefrioui dans une lettre du 4 mars 1947) —, alors qu’Henri Bosco n’a à ce moment-là rencontré qu’un seul véritable petit succès avec L’Âne Culotte. Fortement impressionné par ce texte suivant une femme marocaine, « sans l’intrusion d’Européens », dans une lettre du 16 novembre 1938, il écrit à François Bonjean : « Vous êtes le seul véritable auteur marocain. » Henri Bosco profite de sa réédition en 1941 pour publier « François Bonjean, confident de l’Islam » dans Le Figaro du 3 février 1941, où il décrit Bonjean comme le passeur des secrets de l’âme marocaine, mettant en évidence la passation établie entre Bonjean et lui-même.
La première rencontre semble avoir eu lieu en décembre 1938 et dans une lettre du 24 décembre, Henri Bosco décrit le fort sentiment d’amitié qui en ressort : « L’heure passée avec vous, je ne l’ai pas oubliée. Vous m’avez suggéré des sentiments, des idées qui m’ont ému ».
Le déclenchement de la guerre en 1940 et l’accablement devant ces « heures cruelles » rapproche les deux hommes : « Le ciment de la nôtre devait, hélas ! être l’accablement ressenti de compagnie aux heures de juin 1940. C’est alors que l’enchanteur de « L’Âne culotte, le visionnaire d’« Hyacinthe », entreprit de se tourner le dos pour mieux se retrouver. En conséquence j’eus le privilège d’assister à la conception et à l’enfantement du « Mas Théotime ». Bosco m’en lisais les pages toutes chaudes. » (François Bonjean, « Dar Bosco »). Face à ce désastre, François Bonjean partage la Doctrine de René Guénon et sa vision de l’Ultime Vérité qui permet de comprendre le sens des évènements. Leurs rencontres se font plus régulières lorsque François Bonjean s’installe à Rabat, participant alors au cercle des Amis des Arts et des lettres, qui se réunit dans le jardin de la villa d’Henri Bosco en 1940. Ils séjournent ensemble à l’Aguelmane de Sidi Ali en automne 1940, à Fès-Batha à Pâques 1942, et à Rabat en juillet 1942. Ils se retrouvent à vivre ensemble à Rabat après le retrour des Bonjean de Pondichéry en 1946.
Henri Bosco soutient la carrière de François Bonjean, en travaillant à faire éditer et rééditer ses œuvres, et en publiant des compte-rendu critiques. Il le fait entrer dans la Fondation Laurent-Vibert comme membre correspondant en septembre 1946. Après le départ des Bosco du Maroc en 1955, les amis se trouvent au Bastidon de Lourmarin ou à Châteauneuf-de-Contes où les Bonjean passent l’été en 1958.
Cette amitié restera même après le départ du Maroc l’une des plus importantes pour Henri Bosco.
« Il est certain - j’y reviens et avec joie - que nos communs souvenirs de Rabat sont pour moi l’un des plus clairs miroirs de ma jeunesse, par jeunesse j’entends celle de mes 56 ans. » (Lettre à François Bonjean 21 juin 1960)
Gabriel Germain juge ainsi leurs relations dans son article « Quarante ans d’amitiés » :
« Ce qu’il dut de plus vraiment durable à François Bonjean et à Lalla Touria, l’épouse marocaine de celui-ci, c’est la connaissance de la société marocaine traditionnelle […]. Il apprit par le ménage Bonjean ce qu’était la séculaire culture des illettrés, éclairée par les contes et les chansons, affinée par l’influence des confréries. […]. Henri Bosco […] prenait son bien où il le reconnaissait. Lectures et conversations lui servaient de point de départ, mais il avançait ensuite selon son instinct profond. »
Des échanges littéraires se font : Henri Bosco fait lire à François Bonjean « Hyacinthe » et « Le Mas Théotime ». Entre les deux, Bonjean a transmis à Henri Bosco la doctrine guénonienne, et « Le Mas Théotime » s’est alors empli de sens : « J'ai eu, au cours des tristes années 1939-40, le réconfortant privilège d'assister à la conception et à l'enfantement du « Mas Théotime ». Bosco m'en lisait, encore chaudes, les pages couvertes de son écriture fiévreuse de renoueur des vieux fils transparents, impossible à rompre, de l'épos.
Il m'avait passé quelques temps auparavant le manuscrit d'« Hyacinthe ». Mais le patient architecte du « Mas » n'était déjà plus le barde d'« Hyacinthe ». (François Bonjean, « L’Afrique dans le Mas Théotime »).
Entre « Le Mas Théotime » et l’œuvre de François Bonjean, « Reine Iza amoureuse », un dialogue est à l’œuvre sur le couple et l’appel des puissances infernales auquel il s’agit de résister pour accepter le bienfait de l’Amour. Ce roman, où les deux amants refusent de céder aux Puissances d’En-Bas, inspire un article à Henri Bosco, « Un roman d’amour courtois », (Revue de la Méditerranée, volume 7, numéro 2, mars-avril 1949). Ils ne peuvent que lui rappeler ses personnages du « Mas Théotime », Pascal et Geneviève, en lutte face à leur chasteté enflammée et leur recherche de sérénité. En comparaison des romans de chevalerie présentant les amours d’une musulmane et d’un chrétien, où c’est la musulmane qui renie sa foi pour vivre cet amour, ici, c’est l’inverse qui arrive, tout en ayant pas d’importance dans la perspective guénonienne de Bosco et Bonjean, où christianisme comme islam descendent de la même Tradition. Si Geneviève dans « Le Mas Théotime », envisage que ce soit en Dieu (après la mort) qu’elle puisse rejoindre Pascal, en réponse, le héros de « Reine Iza amoureuse » rejette cette idée : « irais-je à m'engager, comme certains soufis, à remettre l'union au lendemain de la mort ? Cette supposition me fait sourire. Non, je ne suis pas taillé dans une étoffe aussi rare » (« Reine Iza amoureuse », Genève, Éditions du Milieu du Monde, 1947, p. 129). Quoi qu’il en soit, ces deux couples, ainsi que celui de « Yamna » en se retrouvent dans l’ascèse érotique, dans des noces mystiques et immatérielles en Dieu.
L’amitié n’empêche pas les deux écrivains d’avoir un différend littéraire en 1946 : François Bonjean reproche à Henri Bosco de lui avoir caché, alors qu’ils discutaient de chacun de leurs livres, un projet de livre sur le Maroc, et lui reproche de croire que le Maroc serait une « chasse gardée » de François Bonjean. Celui-ci assure alors vouloir garder pour lui à l’avenir ses observations psychologique sur le Maroc pour éviter d’influencer le regard d’Henri Bosco sur le Maroc. En fait, Henri Bosco préparait à ce moment-là des films sur le Maroc et non pas un livre et lui en répond en ce sens, tout en lui assurant qu’il n’était pas exclu qu’il écrive un jour sur le Maroc (ce qu’il fit quelques années plus tard avec « Pages marocaines » et « L’Antiquaire »). Mais justement, dans leur correspondance, aucun échange ne vient commenter ces deux œuvres, dont l’idée a pourtant été inspirée par cet échange tendu de 1946.
François Bonjean n’a pas su voir la mutation des élites marocaines et le mouvement pour l’indépendance. A lecture de son ouvrage Au Maroc en roulotte, il apparaît qu’il est convaincu des bienfaits de la colonisation, de la mission civilisatrice de la France et donc de la légitimité de sa présence. Il appelle de ses vœux la fusion du meilleur de l’Occident et de l’Orient, via la force apportée par les Français à mène de stimuler « les forces de l’âme profonde […] de cette belle race demeurée en jachère » (Au Maroc en roulotte, Hachette, 1950, p. 277). Dans cette espérance, ne pouvait prendre place la rébellion des Marocains, et l’indépendance du Maroc qui laissèrent François Bonjean dans un état de morosité profonde puisqu’il avait passé sa vie à se faire le porte-parole de l’Islam. Il est de plus rejeté au Maroc comme un écrivain « colonialiste », notamment pour avoir reçu les Grand Prix de l’Empire, du Maroc et du Maréchal Lyautey.
Ressources liées
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