Henri Bosco a pu entendre parler de René Guénon dès les années 1920 par l’intermédiaire de Jean Grenier en contact avec René Guénon, mais surtout par celui du peintre Pierre Girieud et de Mario Meunier, le rédacteur de la revue « Le Feu », à laquelle Henri Bosco participe régulièrement à partir de 1924 ; ou encore plus tard, dans les années 1930, par les poètes Vincent Muselli et Noël de la Houssaye, fondateurs de la revue « Eurydice ». Il n’est pas impossible qu’ils aient eu des relations communes parmi les gens de lettres provençaux. Aux dires de Gabriel Germain, la bibliothèque d’Henri Bosco comprend déjà quelques titres de René Guénon avant la guerre. A partir de 1938, c’est François Bonjean, qui connait personnellement Guénon et qui suit la revue des « Etudes traditionnelles », qui l’oriente dans l’œuvre de René Guénon. La correspondance entre François Bonjean et Henri Bosco fait état des nombreuses discussions sur Guénon, des lectures et relectures, et du rôle d’« inspirateur de spiritualité » de Bonjean pour Henri et Madeleine Bosco. Celle-ci écrit à François Bonjean et Lalla Touria le 16 janvier 1942 : « J’ai lu Guénon avidement et aussi lentement en restant des heures à rêver sur un mot et aussi studieusement avec un cahier et des notes […] Je n’ai plus que le souvenir d’une exaltation qui m’a déposée sur un lieu indicible où tout m’est apparu sous un jour nouveau ». Le couple reçoit les ouvrages du métaphysicien en juillet 1941 : « Autorité spirituelle et Pouvoir temporel », « Le Symbolisme de la Croix », « Orient et Occident », « Introduction générale à l'étude des doctrines hindoues », « Les États multiples de l'être », « Le Roi du Monde », « L’Esotérisme de Dante ». La bibliothèque personnelle d’Henri Bosco comprend 12 titres de René Guénon et des numéros de la revue des « Études traditionnelles ». Henri Bosco diffuse lui-même la Doctrine et prête les livres de Guénon à Denise Masson en 1941, ainsi qu’à Pierre Prévost en 1944. Celui-ci dépeint Henri Bosco comme très marqué par René Guénon : « Les idées exposées par ce dernier avaient beaucoup influencé ses propres écrits, m’apprit-il. Il me trouvait trop résistant à la « tradition » ; à un ami commun, il confia que j’étais très marqué par la sociologie. » (Prévost, « Pierre Prévost rencontre Georges Bataille », 1987, p. 116).
En 1943, Ahmed Sefrioui organise à Fez la rencontre de François Bonjean et Henri Bosco avec Si Abdallah, le disciple de Guénon. Henri Bosco lui rend visite plusieurs fois jusqu’en mai 1946 et sort très marqué de cette dernière rencontre en particulier, au cours de laquelle Pierre Georges lui transmet les paroles de Guénon : « Le monde est jugé. Les sages se retirent. Ils sont rentrés dans l’invisible. ». Henri Bosco les consigne dans son Diaire, et explique à François Bonjean qu’il s’agit d’un « véritable avertissement initiatique, transmis depuis les centres inconnus auxquels il était relié ». (Lettre à François Bonjean, 4 mai 1946). Ces rencontres lui permirent d’approfondir sa connaissance de la doctrine guénonienne et firent l’objet de deux récits dans « Sites et mirages » et dans l’article « Trois rencontres » paru dans l’hommage de la NRF à André Gide. Cet article hommage est aussi un hommage à René Guénon, mort un mois avant Gide en janvier 1951, nouvelle qu’il apprend alors qu’il est à Amizimiz, en train d’écrire « L’Antiquaire », et où il a apporté « Le Roi du monde » et « Orient et Occident » (Lettre à Bonjean 27 janvier 1951). Il s’intéresse encore à René Guénon en 1953, puisqu’il indique à François Bonjean qu’il a lu le « René Guénon » de Paul Sérant et participe au numéro hommage de France-Asie. En 1956, dans une tournée de conférences, il parle de Mistral, de Guénon et des Deux-Provence : « Pour le premier et le dernier sujet, cela allait de soi. Mais Guénon ! […] Figurez-vous qu’en cette salle (une chambre monumentale de commerce) où j’allais évoquer Guénon et Valéry, s’étaient égarés quelques poujadistes. Ils s’étaient […] trompés d’étage, et ne s’attendaient pas à ces premières phrases où j’évoque successivement : la ruine de l’Occident, selon Valéry, et le sinistre Kali-Yuga. » (Lettre à Philippe Guiberteau, 1er mai 1956). La même année, dans une enquête auprès de grands écrivains sur leur bibliothèque idéale, dirigée par Raymond Queneau pour Gallimard, parmi 297 titres, Bosco cite six ouvrages de Guénon (Queneau, R., « Pour une bibliothèque idéale », Gallimard, 1956, p. 66). Néanmoins, il cesse progressivement de le lire et déclare en 1964 que « [François Bonjean] et Guénon sont maintenant des ombres », liées au Maroc, qui s’estompent après le retour en France en 1955 (cité par Jean Tourniac, « Présence de René Guénon », 1993, volume 1).
Henri Bosco reconnait encore dans une lettre à François Bonjean du 19 juillet 1960 sa dette intellectuelle à François Bonjean et René Guénon, « une certaine connaissance [qui] a imprimé à [son] œuvre un mouvement dont les effets durent encore ». Dans ses œuvres, Henri Bosco use en particulier des ouvrages de métaphysique hindoue, comme « L’homme et son devenir selon le Vêdanta », notamment de son idée des trois gunas, du « Symbolisme de la Croix » et de son thème de « l’exaltation et l’amplitude », du « Roi du monde », et de son idée centrale des cycles et de l’achèvement contemporain d’un cycle. La découverte de René Guénon est concomitante aussi avec la Seconde Guerre mondiale : on voit l’influence de Guénon dans sa description de son sentiment face aux évènements. Il le décrit non en termes politiques, mais en termes bibliques et hindoues, faisant référence à la vision cyclique de l’histoire exposée par Guénon et employant souvent le terme hindou de Kali-Yuga. « Nous sommes pris dans la spire de l'âge de fer, où le mal va fatalement croissant et tourne de plus en plus vite. Temps de la douleur, de la bestialité, de la confusion, de l'écrasement des valeurs humaines. Cela est connu, prévu, inévitable. C'est la fin d'un cycle — avant le retour à l'Age d'or et le départ vers un autre cycle. Les grandes traditions l'annoncent. Il n'y a rien à faire. » (Lettre à Jules Roy, 14 novembre 1944). En 1942, il entreprend la traduction de l’Apocalypse de Saint Jean, éditée avec les œuvres d’Edy-Legrand par la Galerie Derche de Casablanca : l’ouvrage est parsemé de références maçonniques, kabbalistiques, astrologiques, pythagoriciennes. Il trouve confirmation de ce sentiment apocalyptique dans « Le Règne de la Quantité et les Signes du Temps » que Guénon fait paraître en 1945, où il démontre que c’est l’action de la contre-tradition qui est à l’œuvre dans la guerre. Il faut néanmoins relativiser le guénonisme d’Henri Bosco. Sans aller jusqu’aux dires de Gabriel Germain et Philippe Guiberteau qui rejettent l’idée d’une influence quelconque, car eux-mêmes ont rejetés les idées de René Guénon, il est juste de dire qu’Henri Bosco restait un esprit indépendant et peu, voire pas du tout, intéressé par les écoles, qu’elles soient philosophiques ou littéraires, qu’il n’a pas été adepte exclusif. Comme le dit Gabriel Germain dans « Quarante ans d’amitiés », « [Henri Bosco] agissait en tout comme les grands classiques : il prenait son bien là où il le reconnaissait ». L’influence est donc principalement dans la réponse qu’elle apporte à l’attente spirituelle préexistante d’Henri Bosco et dans la confirmation de son orientation intuitive vers le culte catholique du Saint-Esprit, exprimée dès « L’Âne Culotte », renforcée dans « Hyacinthe », « Le Jardin d’Hyacinthe », « Le Mas Théotime », « Malicroix », « L’Antiquaire ». Ainsi, dans une lettre à François Bonjean du 21 avril 1941, déclare-t-il : « Or, depuis que j’y accède un peu [ à la doctrine de Guénon] (à peine un pas sur le seuil !), je trouve des raisons solides qui me confirment dans mon orientation naturelle : vous savez que j’ai le culte du Saint-Esprit ». Pour René Guénon, les états supérieurs de l’être ne peuvent être atteints qu’avec l’action du Buddhi, le principe intellectuel pur d’ordre universel qui relie tous les états de l’être, et qui est symbolisé par un rayon partant du soleil « Roi du monde ». Dans ce rayon, ce principe, Henri Bosco voit le Saint-Esprit chrétien et retrouve donc dans la lecture de Guénon « de nouvelles raisons de croire, catholiquement » (« Trois rencontres », dans « Hommage à André Gide », La Nouvelle revue française, novembre 1951, p. 276). Et retrouve dans l’ésotérisme de René Guénon de quoi réalimenter le catholicisme contemporain qu’il critique vertement : « Je regrette seulement que le mouvement actuel du catholicisme le porte vers une prédominance du côté moral (et utilitaire) aux dépens de ce qui en fait la valeur, le surnaturel. Il est mû par des religieux qui rêvent d’une sorte de calvinisme qui puisse satisfaire les esprits d’abord rationnels ; l’ésotérisme chrétien risque d’y perdre le peu qui lui restait de mystère. Et j’en suis désolé » (29 décembre 1964, cité dans Jean Tourniac, « Présence de René Guénon », 1993, volume 1, p. 26bis).
Henri Bosco a souvent déclaré son admiration pour Joseph Conrad, et à travers lui, « romancier de la mer », la mer : « J’ai toujours rêvé d’être le Conrad français », déclarait Henri Bosco à Claude Girault en 1966 : « J’adore la mer, mais je n’ai jamais été marin. J’aurais aimé devenir officier de marine, mais la médecine me dégoûtait ! force me fut de renoncer » ; « Vous savez, je suis plutôt porté vers des étrangers. J’ai une grande passion pour Tolstoï. Une plus grande passion encore pour Conrad. Conrad pour moi, c’est Homère. Extraordinaire » (Entretien avec Jean-Pierre Cauvin, 10 octobre 1962, dans Jean-Pierre Cauvin, « Henri Bosco et la poétique au sacré », page 253). Les deux écrivains partagent leur goût de la musique ce qui fait dire à Henri Bosco dans une de ses premières lettres à Jules Roy : « J’en ai assez de lire des études sur le beau, le laid, le musical, le non-musical, etc. Je veux du beau, du musical. Une nouvelle de Conrad ; en dix pages vous met la tête dans un autre monde. Voilà ce que j’aime » (11 juin 1942). Ainsi Henri Bosco fait dans Aguedal la recension de deux traductions françaises de Joseph Conrad, « Un paria des îles » et « La Rescousse ».
Henri Bosco et Joseph Conrad partagent une même écriture spontanée, sans plan établi, guidée par les nerfs : ainsi, pour Joseph Conrad, « le fait d’écrire, la seule possibilité d’écrire réside en deux mots dans la transmutation de la tension nerveuse en phrases. […] Quand elle est au bout de force, les phrases ne viennent plus. L’effort du vouloir n’y peut rien. » (cité par G. Jean-Aubry, « Joseph Conrad, Life and letters », Heinemann, 1957, p. 321). Pour « Le Sanglier », de même, Henri Bosco déclare dans une lettre à Gabriel Audisio : « J’ai vu pendant des années le Luberon. (C’est une grosse masse magnétique qui forcément vous dit quelque chose). Je ne savais pas ce qu’elle me disait. Ça ne parle pas en clair, les montagnes. Mais ça parle. Si on n’entend pas le sens des mots on perçoit le ton. […] J’emmagasine donc pendant dix ans cette espèce de charge électrique, de poésie végétale et minérale, une énorme provision qui change forcément mon tonus vital. […] Avec ces indispositions dans le corps, un beau jour je me suis mis à écrire sans trop savoir où j’irais. » Ils partagent ainsi ce « passage de l’hallucination mentale et fugitive à l’écrit » comme l’analyse Henri Bosco dans son compte-rendu de « La Rescousse » de Joseph Conrad dans « Aguedal ».