Le cinéma et mai 1968 : le Festival de Cannes
Le 10 mai s’ouvre le 21e festival de Cannes avec la projection d’une copie neuve d’Autant en emporte le vent, de Victor Fleming. Le cinéma ne va pas être en reste du mouvement de mai-juin 1968. Si le 13 mai, les étudiants manifestent sur la Croisette, la contestation du milieu du cinéma qui leur apportera son soutien ne commence pas là.
En février 1968, Henri Langlois se voit retiré par le ministre des Affaires culturelles, André Malraux, la direction administrative de la Cinémathèque française, qu’il dirige depuis 1958. Ce limogeage provoque un mouvement de contestation de cinéastes autant français, Abel Gance, Alain Resnais, Georges Franju, Alexandre Astruc, Jean Renoir, Robert Bresson, Jean-Luc Godard, François Truffaut, Jean-Pierre Léaud … qu’étranger Orson Walles, Luis Buñuel, Stanley Kubrick, Charles Chaplin… Sous l’impulsion de François Truffaut, est créé un Comité de Défense de la Cinémathèque française le 16 février et ses membres interdisent la projection de leurs films. Le 18 mars, ils manifestent devant le siège de la Cinémathèque, rue de Courcelles avec des lycéens et des étudiants de Nanterre. Henri Langlois est réintégré dans ces fonctions deux mois plus tard le 22 avril, mais cette « affaire Langlois » marque le début des contestations dans les institutions culturelles.
Dès les premiers évènements étudiants, Henri Langlois et les jeunes cinéastes de la Nouvelle vague soutiennent le mouvement. Jean-Luc Godard en particulier ira filmer sur les barricades parisiennes. Les étudiants occupant la Sorbonne créent une « commission du cinéma » et l’Ecole nationale de photographie et de cinéma, située rue de Vaugirard, est, elle aussi, occupée. Le 17 mai, techniciens, acteurs, élèves de l’IDHEC et de l’Ecole nationale en assemblée générale se déclarent « Etats généraux du cinéma français » et en grève illimitée :
« L’assemblée remet en cause le pouvoir actuel et ses structures et adopte le principe d’une grève illimitée de l’industrie cinématographique avec pour objectif la refonte totale de la profession cinématographique en vue d’assurer la gestion démocratique du cinéma par ceux qui le font »
Communiqué des Etats généraux, 18 mai 1968, cité dans Le cinéma s’insurge, Paris, Le Terrain vague, 1968, p. 6-7
Les Etats généraux demandent l’arrêt du festival de Cannes. Mais la direction du Festival, elle, ne l’entend pas de cette oreille. Le délégué général Robert Favre le Bret renvoie dans les cordes Claude Lellouche qui vient lui signifier la demande.
Le 18 mai, dans la salle Jean-Cocteau, doit se tenir une conférence de presse du Comité de Défense de la Cinémathèque française, qui se transforme en meeting pour la fermeture du festival. Les débats, passionnés, reviennent sur les évènements nationaux, sur le cinéma et son rapport à la société, ….
Festival de Cannes, Mai 1968, 17 mai 1968. Vidéo Ina
Le Festival 1968 gagné par la contestation [muet] 19 mai 1968. Vidéo Ina
Louis Malle dans la salle démissionne, suivi de Monica Vitti ; Roman Polanski, bien que trouvant absurde d’interrompre le Festival suit. Dans la foulée, plusieurs cinéastes se retirent de la compétition, cinq membres du jury, Louis Malle, Monica Vitti, Roman Polanski, Terence Young, et Serge Roulat, se sont retirés, et Louis Malle annonce que "le jury est hors d'état de fonctionner ".
Le même soir, est prévue la projection du film de Carlos Saura, Peppermint frappé. Le cinéaste, avec Jean-Luc Godard et François Truffaut utilise sa projection comme ring : le but est d’arrêter le festival, ils veulent empêcher la projection. Mais la projection commence, ils s’accrochent aux rideaux, et la projection dégénère en bagarre générale, on se prend des coups. Robert Favre le Bret, tentant de faire respecter le déroulement du festival, se voit répondre par Jean-Luc Godard : « Les films appartiennent à ceux qui les font, on n'a pas le droit de les projeter contre la volonté de leurs auteurs. » Le débat va se poursuivre toute la nuit dans la salle Jean Cocteau.
Robert Favre le Bret est contraint le 19 mai d’annuler le Festival, le 21ème Festival se clôt sans palmarès. Il stigmatise Jean-Luc Godard dans son rapport moral qui fait chaque année le bilan du Festival :
« […] Ils [les étudiants] dépêchèrent, entre autres, pour provoquer le trouble et l'arrêt de la compétition, Jean-Luc Godard qui, toujours fidèle à lui-même, démontre qu'un Hélvète anarchiste peut être parfois plus sectaire et plus fanatique encore qu'un moine défroqué. Avec l'aide de quelques metteurs en scène français qui, dans le passé, bénéficièrent cependant si largement de ce même festival, il obtint, en faisant appel à la « solidarité », la démission de quatre membres du jury, les réalisateurs Louis Malle, Roman Polanski, Terence Young et l'actrice Monica Vitti. […] Il s'en suivit – ce qui advint à peu près partout en France en ces mêmes temps – qu'une infime minorité délirante, débordant les chefs de file qui avaient déclenché le mouvement et semblaient retrouver un semblant de raison – décida, fort avant la nuit, de boycotter le Festival par tous les moyens possibles, y compris la violence. »
A leur retour, à Paris, les « Cannois », sont fêtés, mais la presse populaire, elle, les traitent de « sans culotte », « saboteurs »…
A lire : le rapport moral de Robert Favre le Bret après le Festival sur le site de la Cinémathèque française
Pour en savoir plus :
« 18 mai 1968 : les révoltés du Carlton », Jean-Luc Douin, sur Le Monde.fr, 9 mai 2008. En ligne, consulté le 19 mars 2018.
« Godard et Cannes, 2e prise : un Helvète anarchiste paralyse la Croisette », Jérémie Couston, sur Telerama.fr, 13 mai 2014. En ligne, consulté le 19 mars 2018.
« Coups d'éclats à Cannes : Partie 2, Mai 68 », Marc-Antoine Simoni. En ligne, consulté le 19 mars 2018.
« Cannes : 1968 rattrape le Festival », Reuters, sur Le point.fr, 13 mai 2008. En ligne, consulté le 19 mars 2018.
« Festival de Cannes 1968 », Wikipédia. En ligne, consulté le 19 mars 2018.
« L’Affaire Langlois », Wikipédia. En ligne, consulté le 19 mars 2018.