Les conséquences sociales et économiques

La conséquence directe du mouvement c’est l’augmentation des adhérents dans les syndicats, même si tous les syndicats avancent des chiffres invérifiables. Ce phénomène débute en janvier et février, connaît une vraie hausse entre le 18 et le 26 mai, puis retombe progressivement après le 30 mai. Des sections sont tout de même créées pour les secteurs du bâtiment, du textile, de la parfumerie, au total, dans environ 50 entreprises, ce qui représente une vraie rupture dans le département peu syndiqué. Ce sont surtout les syndicats de gauche non communistes qui profitent de cette arrivée de jeunes militants.

 

Economiquement, le mouvement aura un impact réel créant de nombreuses difficultés dans des secteurs déjà en crise, notamment dans le tourisme. Les évènements suscitent de nombreux départs anticipés de touristes et de nombreuses annulations de séjours de particuliers, mais aussi de congrès (au moins une dizaine est annulée à Nice). Les trois grands palaces de Cannes dont la capacité cumulée est de 900 chambres n’hébergent qu’une soixantaine de clients. Lors des week-ends de l’Ascension et de la Pentecôte à fort potentiel, les Français par peur de rester bloquer par la pénurie d’essence, préfèrent soit rester chez eux, soit partir sur une destination proche, donc peu de clients se rendent sur la Côte d’Azur. Le secteur de l’hôtellerie ne tourne qu’à 10 % de ses capacités. Ces pertes de mai-juin 1968 bloqueront les efforts de modernisation et d’équipement nécessaires après une dizaine d’années de stagnation de l’activité.

L’impact se ressent aussi dans le secteur du bâtiment : le marché est déjà en forte baisse et la plupart des entreprises sont des PME. Aucune entreprise n’est épargnée soit par les grèves des travailleurs, soit par la paralysie des transports qui bloquent les matériaux de construction. Dès la mi-juin, la profession demande des mesures d’urgence, comme l’intensification des marchés de l’Etat et des collectivités locales pour compenser la baisse de la demande privée, la compression des charges pour absorber les hausses de salaires obtenues par le mouvement, la lutte contre le travail au noir et le non-paiement des cotisations sociales…

Les grèves de mai ont en fait aggravé des situations de fragilité de ces secteurs, mais seule une minorité des entrepreneurs ne s’en relèveront pas, la majorité mettra en place les avantages obtenus par les grévistes.

Quels sont ces avantages ?

Les accords de Grenelle prévoient une augmentation du SMIG (Salaire minimum interprofessionnel garanti) de 2,20 fr. à 3 francs horaires au 1er juin ; une augmentation globale des salaires dans l’industrie privée de 7 % en juin, et de 3 % en octobre. Dans les Alpes-Maritimes, les salaires réels progressent en moyenne de 10 à 20 % : pour les cheminots, augmentation de 13,5 % en moyenne et le temps de travail passe de 46 h à 44,5 h par semaine. Dans les secteurs de l’alimentation, des grands magasins et de la parfumerie, l’augmentation sera souvent de 30 à 40 %. Dans le textile, 20 % en moyenne, dans la métallurgie, 15 %. Dans la plupart des cas, les jours de grève seront payés à 50 % et les réductions de temps de travail sans perte de salaire vont de 5 h à 30 minutes (SEB). A Sud-Aviation (Cannes), la salaire minimum est revalorisé de 34 %, les diverses primes de 10 %, le temps de travail est réduit d’une heure.

 

Malgré toutes ses mesures, et à cause de l’inflation galopante, le niveau de vie des travailleurs n’aura rien gagné, car dès l’automne 1969, leur pouvoir d’achat se retrouve au même niveau que celui d’avril 1968. De plus, le patronat, notamment à Grasse, profite de l’augmentation des charges sociales pour licencier, et de préférence les salariés qui auront été impliqués dans les grèves.

Les dispositions pour le droit syndical qui sont passées au second plan, font l’objet d’une loi adoptée le 5 décembre 1968 : toute entreprise de plus de 200 salariés doit fournir un local syndical et les délégués syndicaux doivent être reconnus comme représentants du personnel. Ce sera la concession des accords de Grenelle la plus durable, même si l’impact s’en est peu ressenti dans les Alpes-Maritimes où les PME sont majoritaires.